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Full text of "Romania"

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ROMAN  lA 


(^ 


ROMANIA 

RECUEIL    TRIMESTRIEL 

CONSACRÉ  A  l'Étude 

DES    LANGUES   ET   DES    LITTÉRATURES    ROMANES 


PUBLIE  PAR 


Paul  MEYER    et    Gaston  PARIS 


Pur  remenbrer  des  ancessurs 
Les  diz  et  les  faiz  et  les  murs. 
Wace. 


3e  ANNÉE   —   1874 


PARIS 

LIBRAIRIE    A.    FRANCK 

(f.  VIEWEG,  propriétaire) 
67,    RUE   RICHELIEU 


PC 
2 

Ré 
t. S 


s»--^ 


9- 


PHONÉTIQUE  COMPARÉE 


Rien  ne  contribuerait  plus,  suivant  moi,  aux  progrès  des  études  lin- 
guistiques que  de  poursuivre  séparément  chacune  des  deux  directions  dans 
lesquelles  elles  s'étendent,  d'examiner  à  part,  si  l'on  peut  s'exprimer 
ainsi,  la  coupe  verticale  et  la  coupe  horizontale  de  la  langue. 

D'un  côté  il  s'agit  d'embrasser  et  de  présenter,  dans  l'ensemble  de  ses 
phénomènes,  un  dialecte  bien  déterminé,  autant  que  possible  celui  d'un 
seul  endroit  ;  d'autre  part,  de  poursuivre  un  phénomène  isolé  dans  ses 
conditions  variées  à  travers  tous  les  dialectes,  d'en  établir  la  base  phy- 
siologique et  d'en  déterminer  le  domaine  géographique.  Je  veux  essayer 
de  résoudre  ici  quelques  problèmes  de  la  seconde  espèce,  sans  me  dissi- 
muler que  ces  recherches  resteront  défectueuses  tant  qu'on  n'aura  pas  à 
sa  disposition  un  plus  grand  nombre  de  travaux  du  premier  genre.  Je 
commence  par  un  essai  qui  réclame  doublement  l'indulgence. 


I 

Les  modifications  syntactiques  de  la  consonne  initiale  dans  les 
dialectes  de  la  Sardaigne,  du  centre  et  du  sud  de  l'Italie. 

J'avais  l'intention  de  retravailler  soigneusement  la  lecture  que  j'ai  faite 
en  juin  1872  au  Congrès  des  philologues  ù  Leipzig:  j'y  ai  renoncé, 
parce  que  j'ai  reconnu  que  je  ne  suis  pas  en  état  de  livrer  sur  ce  sujet 
un  travail  définitif.  Les  documents  écrits,  à  peu  d'exceptions  près,  nous 
font  très-imparfaitement  connaître  les  phénomènes  dont  il  s'agit.  D'autre 
part,  un  séjour  en  Italie,  même  long  et  répété,  n'avancerait  guère  un 
étranger  quand  il  s'agit  de  tenir  compte  des  nuances  phonétiques  les  plus 
fines  et  les  plus  fugitives.  Je  publie  donc  ici  le  mémoire  presque  dans  sa 
forme  première  ;  seulement  j'avais  ù  la  lecture  omis  une  foule  de  cita- 
tions et  de  remarques  que  je  crois  bon  de  réintégrer  dans  le  texte,  parce 
que  divers  points  douteux,  la  plupart,  il  est  vrai,  d'une  importance 
secondaire,  y  sont  abordés. 

Romania,  111  ' 


2  H.  SCHUCHARDT 

Je  demande  plus  d'une  fois  des  éclaircissements  au  lieu  d'en  donner  : 
j'aurais  été  contraint  de  le  faire  bien  plus  souvent  si  M.  G.  Vitelli  de 
Santa-Croce  di  Morcone  ne  m'avait  point  assisté  de  ses  conseils  pour 
l'italien  méridional. 

Les  phénomènes  qui  ont  pour  cause  la  rencontre  ou  l'influence  réci- 
proque de  deux  ou  plusieurs  sons  peuvent  avoir  leur  siège,  aussi  bien 
que  dans  l'intérieur  du  mot,  dans  l'intérieur  de  la  phrase,  entre  différents 
mots.  Tantôt  la  fmale  d'un  mot  et  Pinitiale  du  mot  suivant  prennent  à  un 
changement  de  ce  genre  une  part  tout  à  fait  égale,  que  ce  soit  seulement 
comme  cause  (ainsi  dans  l'italien  non  istarà  pour  non  staràj  ou  en  même 
temps  comme  objet  du  changement  (ainsi  dans  le  sanskrit  abalêyam  pour 
ahalâ  iyam)  ;  tantôt  la  participation  de  ces  deux  éléments  est  différente  ; 
ainsi,  c'est  l'initiale  qui  modifie  la  finale  dans  le  sanskrit  tan  dêvam  pour 
tani  dcvam,  la  finale,  à  l'inverse,  qui  modifie  l'initiale  dans  le  kymr.  yn 
when  pour  yn  pen.  Il  est  clair  a  priori  que  ce  sont  les  mêmes  lois  qui 
président  aux  changements  phoniques  dans  l'intérieur  des  mots  et  dans 
l'intérieur  des  phrases.  La  différence  des  résultats  provient  de  la  nature 
du  contact,  plus  lâche  ici,  plus  étroit  là  '. 

Il  faut  noter  ici  diverses  gradations.  Du  mot  simple  (dans  lequel  il  faut 
encore  distinguer  entre  la  racine  et  la  terminaison)  on  arrive  à  la  construc- 
tion syntactique  par  plusieurs  intermédiaires  :  d'abord  la  composition, 
puis  l'enclise  (qui  a  en  commun  avec  la  composition  l'unité  tonique  des 
différents  membres,  mais  non  leur  séparabilité),  ensuite  l'union  intime 
qui  existe  entre  le  substantif  et  son  épithète,  le  verbe  et  son  régime,  enfin 
tous  les  groupements  qui  se  produisent  dans  l'intérieur  d'une  proposi- 
tion; car  une  pause  oratoire  empêche  d'ordinaire  l'influence  des  sons  les 
uns  sur  les  autres.  Naturellement  la  limite  de  ces  différents  domaines  est 
plus  large  ou  plus  étroite  dans  les  diverses  langues;  les  langues  litté- 
raires européennes  n'admettent  et  n'expriment  les  modifications  syntac- 
tiques  de  ce  genre  qu'avec  une  grande  réserve,  tandis  que  les  patois  les 
favorisent  généralement.  Il  n'y  a  que  l'apostrophe  qui  soit  d'un  usage 
universel.  D'ailleurs  il  est  rare  que  la  fmale  et  l'initiale  aient  des  droits 
égaux.  Plusieurs  langues  accordent  une  grande  liberté  à  la  finale,  qui, 
généralement,  se  trouve  dans  la  plus  grande  dépression  tonique  et  appar- 
tient à  une  terminaison  flexionnelle  ou  dérivative,  mais  se  font  scrupule 
d'entamer  l'initiale,  comme  si  le  mot  risquait  de  perdre  son  individualité. 
En  outre  la  langue  peut  accorder  plus  d'influence  aux  sons  suivants  sur 

I.  Ainsi,  par  exemple,  pour  éviter  la  rencontre  d'une  n  avec  une  s  impure 
suivante,  l'italien  emploie  dans  l'intérieur  du  mot  un  autre  moyen  qu'entre  deux 
mots  :  comparez  costanza  avec  con  istanza.  Dans  ce  dernier  cas,  \'i  appartient 
aussi  bien  à  un  mot  qu'à  l'autre.  Pour  non  istarà,  on  écrivait  souvent  autrefois 
nonne  starà. 


PHONÉTIQUE    COMPARÉE  J 

ceux  qui  précèdent  ou   aux  sons   précédents  sur  ceux  qui  suivent. 

Si  en  sanskrit  les  consonnes  finales  sont  les  plus  mobiles,  ce  caractère 
appartient  dans  d'autres  langues  aux  consonnes  initiales.  Partout  on 
observe  une  différence  entre  l'influence  d'une  consonne  précédente  et 
celle  d'une  voyelle  précédente. 

L'influence  la  plus  naturelle  parait  être  celle  qu'une  voyelle  exerce  sur 
la  consonne  qui  la  suit.  Un  voyelle  a  deux  qualités  essentielles,  la  sono- 
rité et  la  durée  ;  elle  peut  donc  exercer  de  deux  façons  son  influence 
assimilatrice:  elle  peut  changer  une  consonne  sourde  en  sonore  ou  une 
consonne  explosive  en  continue.  Les  explosives  sourdes  ou  ténues  sont 
donc  sujettes  aux  deux  genres  de  changements.  La  chute  complète  d'une 
fricative  sonore  primaire  ou  secondaire  après  une  voyelle  n'est  pas 
rare.  Parfois  aussi,  dans  l'émission  d'une  continue,  la  voyelle  empêche 
la  clôture  de  la  bouche,  en  d'autres  termes  change  une  nasale  en  frica- 
tive. Il  y  a  bien  plusieurs  consonnes  qui  sont,  comme  les  voyelles,  à  la  fois 
sonores  et  continues,  mais  c'est  avec  les  autres  consonnes  plutôt  qu'avec 
les  voyelles  qu'elles  se  mettent  ordinairement  d'accord,  parce  que  les  con- 
ditions des  rapports  des  consonnes  entre  elles  sont  essentiellement  autres 
que  celles  des  rapports  des  consonnes  avec  les  voyelles  :  elles  leur  sont 
souvent  directement  opposées.  Ainsi  après  les  consonnes,  précisément 
à  l'inverse  de  ce  qui  se  passe  après  les  voyelles,  nous  trouvons  que  les 
sourdes  et  les  explosives  sont  favorisées  au  détriment  des  sonores  et  des 
continues.  Toutefois  on  ne  doit  pas  toujours  admettre  une  influence  tout 
à  fait  spontanée  d'une  consonne  sur  l'initiale  suivante  ;  souvent  l'opposi- 
tion, née  d'une  action  vocalique,  entre  la  position  faible  de  l'initiale 
faprès  une  voyelle)  et  la  position  forte  (après  une  consonne)  s'est  géné- 
ralisée, et  le  point  de  départ  s'est  déplacé,  si  bien  que  de  la  formule 
a  ba  (^^  a  pa)  :  at  pa  est  sortie  la  formule  at  pa  (==  aï  hd)  :  a  ha.  On 
devrait  pouvoir  regarder  le  commencement  de  la  phrase  ou  de  la  propo- 
sition comme  position  indifférente,  assurant  à  la  consonne  sa  valeur  ori- 
ginaire; mais  il  équivaut  souvent  à  la  position  forte,  même  quand  celle- 
ci  offre  un  changement  de  la  consonne.  Passons  aux  exemples  : 

L   Consonne  originaire  dans  la  position  forte  :  consonne  affaiblie  dans  la 

position  faible. 

En  hébreu,  à  l'initiale  aussi  bien  qu'à  la  médiale,  les  moyennes  ^,y,  "i 
et  les  ténues  C),  =,  n  ne  prennent  point  après  les  voyelles  (y  compris 
le  schwa  mobile),  le  signe  du  dagesch  lene ;  c'est-à-dire  qu'elles  ont  la 
valeur  de  fricatives,  à  peu  près  celle  des  lettres  ê,  y,  2,  ?,  /.,  0  en  grec 
moderne.  De  même,  l'irlandais,  après  une  finale  originairement  voca- 
lique, remplace  les  ténues  et  les  moyennes  (aussi  bien  que  la  nasale  m) 


4  H.  SCHUCHARDT 

par  les  fricatives  correspondantes  '  qui,  dans  la  langue  actuelle,  se  sont 
changées  en  une  simple  aspiration,  sont  devenues  muettes  ou  se  sont 
autrement  modifiées;  s,  après  une  voyelle,  se  change  en  // ;  /  devient 
muet.  Dans  l'autre  rameau  de  la  famille  celtique,  les  moyennes  et  m  sont 
sujettes  aux  mômes  modifications  qu'en  irlandais  (g  disparait  complète- 
ment). Seulement  une  explosive  sourde  ne  se  change  pas  en  fricative 
sourde,  mais  en  explosive  sonore '.  En  breton,  \'s  sourde  se  change  aussi 
en  z  sonore. 

II.  Consonne  originaire  dans  la  position  faible  :  consonne  renforcée  dans  la 

position  forte. 

Nous  trouvons  dans  l'ancien  haut  allemand  de  Notker  les  moyennes 
b,  g,  d  fane,  b,  g,  ^)  après  les  voyelles  et  les  liquides;  mais  après 
d'autres  consonnes,  elles  se  durcissent  en  ténues. 

Ainsi  :  dem  golde  —  des  koldes; 
du  bist  —  ili  pin  ; 
in  dih  —  ih  tih. 

Le  rapport  de  l'/au  v  est  le  même  : 
dem  vater  —  des  fater. 

De  même  qu'en  britannique  la  ténue  originaire  en  position  faible  se 
change  en  moyenne,  de  même,  au  moins  en  comique  et  en  breton,  la 
moyenne  originaire  peut  en  position  forte  être  remplacée  par  la  ténue,  la 
fricative  sonore  issue  d'une  moyenne  par  la  sourde.  Mais  on  se  trouve  en 
présence  de  conditions  tout  à  fait  nouvelles  en  ancien  irlandais,  où  la 
moyenne  dans  la  position  forte  devient  ténue,  tandis  que  la  ténue  s'affai- 
blit, non  point  en  moyenne,  mais  en  fricative.  Mais  la  ténue  elle- 
même,  en  britannique,  est,  dans  certains  cas,  susceptible  d'être  élevée  à 
la  fricative  sourde,  si  bien  qu'ici  il  semble  qu'on  doive  admettre^,  pour 
la  position  forte,  la  même  transformation  qu'on  a  en  irlandais  pour  la 
position  faible.  Je  dis  «il  semble»,  car  en  irlandais  la  fricative  n'est  point 

1.  On  peut  comparer  ce  qui  se  passe  dans  l'ancien  haut  allemand  deTatien  et 
d'Otfried  :  l'ancienne  ténue  gutturale  persiste  dans  l'intérieur  du  mot  ou  à  l'ini- 
tiale après  une  consonne,  et  est  remplacée  par  la  fricative  après  une  voyelle. 
Le  rapport  est  encore  aujourd'hui  le  même,  Kalt,  Volk;  mais  wachcn,  rekh. 

2.  L'irlandais  moderne  adoucit  à  la  médiale  en  moyennes  les  ténues  que  l'an- 
cienne langue  n'a  pas  changées  en  fricatives,  en  sorte  qu'il  se  produit  une  coïn- 
cidence partielle  entre  ce  dialecte  et  le  groupe  britannique  dans  lequel  le  même 
adoucissement  est  également  de  date  récente.  Comparez  : 

irland.  kymr.         irland.  kymr. 

*  Ictan  —  1 
^      pupall  —  papdl  \  i    litan 

2'      —       )  >   kthan        ' 

3e       —  puball  —  pabdl  )  llydan 


période,  'j 


PHONÉTIQUE    COMPARÉE  5 

née,  comme  en  britannique,  de  la  ténue  par  l'intermédiaire  d'une  aspirée. 
Enfin,  en  kymrique,  de  /  et  r  naissent  par  renforcement  deux  sons  nou- 
veaux :  /  et  r  sourdes  (//  et  rh) . 

III.  Consonne  originaire  non  conservée  :  consonne  renforcée  dans  la  position 
forte  :  consonne  affaiblie  dans  la  position  faible. 

Ce  cas  se  présente  en  irlandais  pour  le  v  qui  ou  bien  s'élève  à  Vf 
ou  disparaît;  par  exemple  lat.  vinum  =  anc.  ir.  fin,  in. 

Il  ne  faut  pas  oublier  que  la  loi  des  finales  celtiques  a  perdu  depuis 
longtemps  son  caractère  euphonique.  Les  conditions  qui  l'ont  produite 
sont  tout  à  fait  effacées  à  l'initiale,  tandis  qu'on  peut  encore  les  recon- 
naître à  la  médiale.  Cette  langue  a  perdu  non-seulement  des  voyelles, 
mais  des  consonnes  finales.  Je  n'ai  point  encore  parlé  de  l'influence  par- 
ticulière des  nasales  finales  qui  se  fait  sentir  dans  les  deux  rameaux 
celtiques;  cette  influence  pourrait  se  formuler  tout  extérieurement  pour 
l'irlandais,  où  elle  est  désignée  sous  le  nom  d'éclipsé,  de  la  manière  sui- 
vante :  après  un  certain  nombre  de  mots  terminés  originairement  par  n, 
les  ténues  se  changent  en  moyennes,  les  moyennes  en  nasales  et  Vn 
ainsi  produite  finit  par  tomber.  Mais  si  arn  tir  devient  arn  dir,  puis 
ar  dir  (écrit  ar  d-tir),  arn  doras  devient  arn  noras,  puis  ar  noras  (écrit  ar 
n-doras)  :  ainsi  c'est  l'initiale  qui  a  disparu  plutôt  que  la  finale.  Il  s'agit 
donc  là  de  deux  phénomènes  essentiellement  distincts. 

Ainsi  nous  voyons  que  l'écart  entre  l'initiale  forte  et  la  faible  peut 
devenir  considérable,  soit  que  le  son  originaire  se  modifie  dans  des  direc- 
tions diflférentes  ou  qu'il  se  modifie  dans  la  même  direction  à  plusieurs 
reprises  (par  exemple  kymr.  gwr,  'ghwr,  wr);  mais  d'un  autre  côté 
cette  différence  peut  se  réduire  jusqu'à  devenir  presque  microscopique, 
si  bien  que  nous  avons  affaire,  non  plus  à  des  consonnes  différentes,  mais 
aux  degrés  différents  d'une  même  consonne.  Ces  différences  quantitatives, 
comme  nous  les  appellerons  par  opposition  aux  autres  ou  qualitatives, 
reposent  sur  une  double  circonstance  :  sur  la  force  de  l'expiration  et  sur 
sa  durée.  On  peut  parler,  pour  les  consonnes  aussi  bien  que  pour  les 
voyelles,  d'accent  et  de  quantité,  si  ce  n'est  que  l'un  et  l'autre  ne  sont 
pas  également  applicables  à  toutes  les  consonnes. 

Les  continues  sourdes,  comme /et  s,  sont  susceptibles  de  l'un  et  de 
l'autre  au  plus  haut  degré. 

Les  continues  sonores,  comme  /  et  n,  ne  connaissent  aucune  limitation 
pour  la  quantité,  mais  si  on  essaye  de  les  accentuer  au-delà  d'une  certaine 
limite,  elles  deviennent  sourdes  '. 


Le  kymrique  ne  connaît  pas  .seulement  17  cl  Vr  sourdes  dont  |'ai  parle 


6  H.   SCHUCHARDT 

Les  explosives  sourdes  peuvent  être  prononcées  avec  l'accentuation 
la  plus  forte  (comparez  les  lettres  emphaticjues  des  Arabes,  les  ténues 
énergiques  des  Ossètes,  des  Géorgiens  et  autres  peuples  caucasiques, 
des  Magyares,  etc.)  ;  mais,  en  tant  que  momentanées,  elles  ne  sont  point 
susceptibles  de  quantité. 

Ce  qui  est  le  plus  difficile  à  préciser,  c'est  la  nature  des  explosives 
sonores.  Il  est  certain  que,  chez  elles,  comme  chez  les  consonnes  sonores 
en  général,  la  force  de  l'expiration  est  limitée;  elles  risquent  toujours 
de  passer  aux  ténues  '.  D'autre  part  elles  diffèrent  des  ténues  en  tant 
que  la  dénomination  de  momentanées  ne  leur  est  attribuée  qu'impropre- 
ment. Il  est  vrai  que  l'ouverture  de  la  clôture  buccale  par  laquelle  on 
les  produit  est  momentanée,  mais  la  sonorité  qui  les  caractérise  exige 
une  certaine  durée;  elle  doit  donc  se  produire  pendant  la  clôture.  Ce 
son  bourdonnant  qu'on  appelle  «  le  son  de  Purkinje  »  peut  être  considé- 


toul    à    l'heure;   il   possède  encore    les  nasales  sourdes.   Après  «,   de  même 
qu'une  explosive  sonore  devient  une  nasale  sonore,  de  même  une  explosive  sourde 
devient  une  nasale  sourde.  Par  exemple  yn  nydd  =  yn  d.  ;  ynnharnas  =  yn  t. 
En  Allemagne,  on  entend  Vn  sourde  dans  la   prononciation  emphatique;  par 
exemple,  na  (nun),  ne  (nein).  Mais  !'/  et  \'n  sont  surtout  fréc^uentes,  principale- 
ment à  côté  de  certaines  ténues.  L'I  se  produit  après  le  t  latéral  (j'exprime  tous 
ces  sons  particuliers  par  les   lettres  grecques).  Ainsi  la  prononciation  la  plus 
habituelle  de  Tlcpokrnos,  Atlns,   Mittel  est  Tlcpolcmos,   A-x).t35,   Mi-xX.    Ce  / 
latéral  appelle  la  fricative  ).  et   le  d  latéral  appelle  1'/   fpar  exemple,  A-ilcr , 
Ta-U)  aussi  naturellement  que  le  f  et  le  (^  ordinaires  appellent   5   et  z.   En 
dehors  du  groupe  qu'elles   forment  avec  ),,  /,  ces  muettes  dentales  latérales 
(dont  je  ne  sache  pas  que  les  physiologistes  aient  jusqu'à  présent  fait  mention) 
sont  prononçables,  mais  je  ne  les  ai  jamais  entendues.  La  grande  intimité  des 
groupes  tX  et  S/  (qui  sont  très-fréquents  dans  diverses  langues  africaines  et  amé- 
ricaines) explique  comment,   dans  plusieurs  dialectes  allemands  et  dans  deux  ou 
trois  patois  romans  du  Tirol,  il  ont  pris  la  place  de  kl,  gl ;  par  exemple,  ■z'^ein, 
ô/ji  —  -zlamé  (ou  aussi  ■ùJamè,  cf.  Brùcke,  Principes  de  physiologie,  etc.,  p.  58) 
=  chmare,  8Heza  =  ecclesia.  Peut-être  avons-nous  ici  une  indication  utile  pour 
l'explication  de  l'ombrien  çl  =  cl.  Si  la  plupart  des  Romans  prononcent  à  l'in- 
verse cl  pour  tl,  c'est  pour  préserver  1'/  de  l'absorption  dans  le  son  dental  dut. 
En  allemand,  Vn  sourde  se  rencontre  après  un  t,  mais  après  un  t  qui   provient, 
non  point  de  la  brusque  rupture  d'une  clôture  buccale,   mais  de  celle  d'une 
clôture  nasale,   qui  lui  ressemble  beaucoup  pour  l'oreille;  on   la  trouve,   par 
exemple,  dans  kannten,  prononcé  kaniy  ou  kantvn.  Ici  t  est   moins  un  son   qu'un 
élément  phonique,  car  v  en  est  inséparable.    Ainsi   on   prononce  Ah-m   (pour 
Athem),   T^mcsis,  Pimeumatisch,  etc.  Ces  prononciations  sont-elles  aussi   connues 
en  français,  ou  bien  prononce-t-on  toujours  TUpolenu,  t'mese,  p'neumatique  ? 

I.  Il  faut  remarquer  qu'en  dravidien  on  ne  peut  avoir  de  ténue  qu'à  l'initiale, 
de  moyenne  qu'à  la  médiale.  Par  exemple  tanda-m  =^  sanscrit  danta  {Rev.  de 
ling.  V,  288).  Ceux  des  Allemands  dont  le  dialecte  natal  ne  distingue  pas  la 
moyenne  et  la  ténue  auront  à  lutter  avec  des  difficultés  de  plus  en  plus  grandes 
pour  prononcer  les  mots  italiens  suivants  :  Icda,  datdre,  tedcsco,  data.  En  général, 
ces  Allemands  seront  toujours  portés  à  l'assimilation;  ils  ne  prononceront  pas 
tout  à  fait,  comme  les  Français  le  leur  reprochent,  projel  pour  brochel  et  réci- 
proquement, mais  bien  ou  prochet  ou  brojet;  de  même  que  pour  beaucoup  d'Alle- 
mands inutile  devient  initile  ou  unutulc. 


PHONÉTIQUE   COMPARÉE  y 

rablement  prolongé,  bien  qu'il  ne  se  compare  pas  sous  ce  rapport  aux 
sons  qui  se  forment  avec  la  bouche  ouverte.  Ce  sont  des  moyennes  de  ce 
genre  que  certains  sons  du  sindhi,  desquels  on  a  dit  à  tort  qu'ils 
n'existaient  dans  aucune  autre  langue,  discutant  bien  inutilement  pour 
savoir  s'ils  étaient  simples  ou  doubles  '. 

Ainsi,  il  n'y  a  absolument  que  les  ténues  qui  soient  incapables  d'allon- 
gement, mais  elles  ont  une  compensation  dans  ce  qu'on  appelle  le  redou- 
blement, tel  qu'on  l'entend  par  exemple  dans  l'italien /a«o.  Ce  mot  con- 
tient deux  ténues,  mais  en  réalité  elles  sont  diversement  formées  :  la 
première  est  une  implosive,  la  seconde  une  explosive.  Il  ne  s'agit  donc 
pas,  rigoureusement  parlant,  du  redoublement  d'un  seul  et  même  son. 
Mais  la  valeur  acoustique  de  ces  ténues  qui  se  suivent  varie  avec  la  durée 
de  la  pause  qui  se  produit  entre  les  deux,  de  même  qu'on  tient  compte 
des  pauses  dans  la  mesure  des  séries  rhythmiques  :  ainsi  fat-to,  fat  —  to, 
fat  —  to  répondent  exactement  à  a/z/îo,  annno,  annnno.  La  règle  générale 
({ue  ùoxmQ  K\m\\it\\.(^Le  système  naturel  des  sons.  Halle,  1869,  p.  109) 
pour  la  quantité  des  sons  est  donc  parfaitement  exacte  :  «  Un  son  dure 
tant  que  les  organes  qui  le  produisent  persistent  dans  la  position  néces- 
saire à  sa  production.  »  Au  reste  je  ne  conçois  pas  comment  presque 
tout  le  monde  s'accorde  à  regarder  en  allemand  le  signe  double  d'une 
ténue  comme  l'expression  d'une  vraie  ténue  double.  Quand  les  Alle- 
mands du  nord-ouest  prononcent  réellement  comme  doubles  ou  allongées 
les  lettres  écrites  doubles,  nous  sommes  choqués  de  cette  particularité 
de  prononciation.  Et  l'oreille  ne  saisit-elle  pas  tout  de  suite  une  différence 
entre  l'allemand  Latte,  Suppe,  et  l'italien  latte,  zuppa,  aussi  bien  qu'entre 
l'allemand  Mamma,  Anna  et  l'italien  mamma,  Anna  ? 

Toutes  les  autres  consonnes  peuvent  être  réellement  redoublées  : 
an-na,  am-ma,  al-la,  etc.  Mais  la  langue  n'emploie  pas  ce  redoublement^. 
Ici  le  double  caractère  indique  toujours  le  son  allongé.  Ce  mode 
de  notation  qui  a  souvent  aussi  été  appliqué  aux  voyelles  (p.  ex. 
anc.  lat.  Maarcus,  ail.  See^  a  déjà  plus  d'une  fois  empêché  la  juste 
appréciation  de  phénomènes  linguistiques.  L.  Salviati  {DegU  avverti- 
menti  dclla  lingua  sopra  il  Decamerone  I,  xxxviii,  édit.  de  Naples, 
1712,  p.  220  s.)  remarque  déjà:  «  Non  per  tanto  non  ci  dobbiamo  fare 
a  credere,  che  le  due  consonanti  due  volte  si  protferiscano  :  perciocchè 

1.  Des  deux  principaux  grammairiens  du  sindhi,  J.  Beames  et  E.  Trumpp, 
le  premier  compare  la  prononciation  de  ces  lettres  à  celle  de  /'  et  m  dans  l'ita- 
lien cbbi  et  marcmma  ;  l'autre  le  décrit  comme  il  suit  :  «  On  terme  la  bouche  et 
on  fait  entendre  par  pression  un  son  sourd  [le  son  de  Purkinje];  on  ouvre  ensuite 
la  bouche  et  on  lait  entendre  le  son  g  (/,  d,  b).  « 

2.  Je  dois  remarquer  à  ce  propos  que  les  explications  physiologiques  de  Bcr- 
gaigne  et  Havet  [Mémoires  de  la  Soc.  de  ling.  de  Paris,l\,  1)  ne  me  convainquent 
point  du  tout. 


8  H.  SCHUCHARDT 

se  ciô  fosse,  due  fiate  altresî.d'essamedesima  consonante,  nella  bocca  di 
chi  favella,  si  faria  la  battuta,  e  sentirebbesiespressamente.làdove  altro, 
che  una  non  vi  si  fa  giammai,  ne  far  vi  si  potrebbe  senzachè  suono  di 
vocale  tra  l'una  e  l'altra  vi  si  sentisse  interposto.  Per  la  quai  cosa,  corne 
s'è  detto,  più  per  consenso  che  per  ragione,  fu  questa  usanza  introdoUa 
del  soggiugner  nella  scrittura  la  medesima  consonante  :  e  più  diritta,  chi 
ben  riguarda,  fu  la  costuma  che  nel  latino  idioma,  e  forse  in  altri, 
secondo  il  testimonio  d'approvati  autori,  prevalse  per  alcun  tempo,  ciô 
fu  di  porre  in  quella  vece  una  linea  torta  sopra  la  consonante,  la  quale 
con  doppia  forza  doveva  pronunziarsi  :  il  che  ancora  nelle  nostre  scrit- 
ture  si  costuma  da'  copiatori,  cosî  scrivendo  fiàtna  e  dàno  per  fiamma, 
danno.  «  On  croit  souvent  que  la  moyenne  est  soumise  aux  mêmes  con- 
ditions que  la  ténue,  mais  c'est  là  une  erreur.  Dans  l'italien  jreddo,  il 
n'y  a  pas  d'arrêt  dans  l'émission  de  la  voix;  il  se  produit  un  allonge- 
ment de  la  moyenne,  tel  que  je  l'ai  expliqué  plus  haut.  D'ailleurs  si  l'on 
voulait  prononcer  fred-do,  on  aurait  quelque  chose  de  semblable  à  an-na 
et  non  à  fat-to,  car  à  mon  avis,  la  nature  des  moyennes  n'admet  pas  de 
différence  entre  l'explosive  et  l'implosive. 

Les  dialectes  italiens  emploient  à  l'initiale  ces  différences  quantitatives 
régulièrement,  les  qualitatives  seulement  dans  des  cas  isolés.  On  exprime 
ici  par  le  redoublement  du  caractère  le  renforcement  quantitatif  du  son, 
aussi  bien  à  l'initiale  qu'à  la  médiale  :  nno  n'est  pas  plus  déraisonnable 
que  anno.  Mais  il  s'agit  de  savoir  si  nous  devons  ici  admettre  toujours  et 
exclusivement  un  allongement  de  l'initiale,  ou  s'il  n'y  a  pas  plutôt,  au 
moins  pour  les  consonnes  sourdes,  accentuation.  Salviati,  /./.,p.  721,  ne 
décide  pas  si  la  «  doppia  forza  »  avec  laquelle  la  consonne  est  émise 
provient  d'un  «  doppio  spirito  »  ou  de  l'émission  plus  rapide  du  a  spi- 
rito.  ))  En  tout  cas,  il  ne  voit  pas  qu'il  s'agit  là  le  plus  souvent  d'un 
allongement.  Je  crois  que  l'accentuation,  d'après  la  nature  respective 
des  différentes  consonnes,  peut  se  produire  aussi  bien  seule  qu'avec  l'al- 
longement ;  peut-être  est-elle  favorisée  par  une  voyelle  accentuée  immé- 
diatement suivante;  peut-être  son  application  est-elle  arbitraire,  et  le 
renforcement,  pourvu  qu'il  soit  bien  marqué,  peut-il  être  produit  par  l'un 
d'une  façon,  par  l'autre  d'une  autre.  On  n'arrive  guère  à  des  résultats 
plus  sûrs  par  l'observation  directe.  Mais  quant  à  l'existence  en  général 
de  consonnes  accentuées  dans  l'italien,  elle  est  hors  de  doute.  Les 
ténues  qui  se  trouvent  au  commencement  de  la  phrase  ou  après  les 
consonnes,  c'est-à-dire  qui  sont  des  initiales  propres,  ne  peuvent 
être  redoublées,  tandis  que  les  initiales  dont  il  s'agit  ici  d'ordinaire , 
c'est-à-dire  qui  se  trouvent  comprises  dans  le  mouvement  rapide 
du  discours  (même  en  dehors  de  l'enclise  proprement  dite)  ont 
absolument  les  propriétés  des  médiales;  Salviati,  /.  l,  p.  222,  a  tort 


PHONÉTIQUE   COMPARÉE  9 

quand  il  dit  que  le  c  de  Carissime  a  le  même  son  que  le  ce  de  tocca.  Je 
reparlerai  plus  bas  du  renforcement  des  ténues  à  l'initiale  propre.  En 
outre,  il  y  a,  en  napolitain  par  exemple,  certains  mots  dont  l'initiale  est 
toujours  considérée  comme  forte;  de  ce  nombre  sont  ccà  (ici),  cchià 
(plus).  Ainsi  ici  le  c  est  marqué  d'un  accent,  et  ce  c  accentué  repose 
dans  ccà  sur  un  double  c  {ecce  hac),  de  même  que  du  latin  illac,  illic, 
illorum,  inde,  ipso  (lat.  vulg.  isso),  le  napolitain  a  fait  lia,  llï,  lloro,  nne, 
sso.  L'initiale  renforcée  de  cchiù  est  due  peut-être  au  sens  de  ce  mot. 
Ainsi  nous  remarquons  dans  ce  cas  que  l'accent  remplace  l'allongement 
ou  le  redoublement.  En  général,  les  deux  modes  du  renforcement  quan- 
titatif sont  tout  à  fait  équivalents  et  nous  avons  vu  qu'ils  s'expriment  de 
même.  Nous  avons  beau  allonger  une  consonne  autant  que  possible,  elle 
ne  change  pas  pour  cela,  tandis  qu'en  augmentant  la  force  de  l'expira- 
tion, nous  faisons  passer  comme  on  l'a  vu  la  consonne  sonore  à  la 
sourde.  Cependant  l'initiale  accentuée  n'est  pas  seule  intermédiaire  entre 
l'initiale  originaire  et  le  renforcement  qualitatif,  l'allongement  peut  aussi 
bien  servir  de  transition  (comparez  les  notations  celtiques,  telles  que 
anc.  irl.  bb,gg,  dd=^p,c,t,  kym.  //=/  sourde,ff=f,f^=v).  Il  semble  qu'en 
italien  il  y  ait  aussi  des  exemples  de  ce  renforcement  qualitatif,  tandis 
que  le  redoublement  n'indique  qu'un  renforcement  quantitatif.  Les  sons 
composés  g  et  z  dolce  peuvent  être  allongés  de  telle  sorte  que  ggiù,  zzelo 
se  prononcent  ddzu,  ddzelo  ;  mais  le  renforcement  dans  les  mots  de  ce 
genre  se  produit  peut-être  plutôt  par  l'insertion  de  l'accent  seulement 
après  l'ouverture  de  la  clôture  dentale  :  tzu,  tzelo.  Le  second  élément  des 
sons  composés  en  question  est  toujours  égal  à  lui-même,  aussi  bien  dans 
la  durée  que  dans  la  qualité. 

Avant  d'examiner,  au  point  de  vue  qui  nous  occupe,  les  différents 
dialectes  italiens,  je  veux  jeter  un  coup  d'œil  sur  le  sarde,  qui  ne  peut 
en  aucune  façon,  même  en  supposant  qu'une  classification  des  langues 
romanes  soit  possible',  être  rangé  parmi  les  dialectes  italiens.  Mais 
comme  il  s'en  distingue  en  ce  qu'il  a  conservé  dans  une  large  mesure 
les  consonnes  finales  originaires,  il  est  le  seul  dans  ce  domaine  où  on 
puisse  encore  clairement  discerner  l'influence  des  finales  consonantiques 
ou  vocaliques.  Je  parle  ici  du  sarde  archaïque,  celui  du  centre  ou  de 
Logudoro.  L'initiale  est  dans  la  position  faible  après  les  voyelles;  dans  la 
position  forte  :  i"  après  une  pause  oratoire;  2"  après  des  consonnes  qui 
se  prononcent  réellement;  5°  après  des  consonnes  qui  ne  se  prononcent 
plus,  mais  qui  d'habitude  s'écrivent  encore,  ainsi  après  le  d  de  ad  (a),  le 


1.  Dnns  la  leçon  d'ouverture  de  mon  cours  de  1S70  à  Lcip/ig,  |'ai  css.iyo  do 
démontrer  qu'il  est  impossible  d'établir  une  classification  des  lanj^ues  romanes,  et 
que  leurs  rapports  historiques  ne  se  laissent  pas  représenter  par  l'image  d'un 
arbre  généalogique. 


10  H.  SCHUCHARDT 

t  de  et  et  la  y  personne  sing.  de  toutes  les  formes  verbales,  par  ex. 
bénit  prestu  (venit  praesto)  pron.  béni  prestu ,  mais  béni  prestu  (véni 
praesto)  pron.  bcni  brcstu  (devant  les  voyelles,  ce  t  se  fait  encore 
entendre,  mais  comme  un  d:  bénit  ipse,  pron.  benid  ipse)  ;  mais  non  par 
exemple  après  y't!  (jam),  en  sorte  que  ja  qui  se  prononce  ja  ghi  =  ital- 
giacchc.  Les  modifications  des  consonnes  sont  pour  la  plupart  qualita- 
tives. En  règle,  la  position  forte  conserve  le  son  originaire.  Les  ténues 
passent  aux  moyennes;  les  fricatives  s  et/  deviennent  sonores,  le  vtombe 
ou  est  remplacé  par  l'aspirée.  Le  b  devrait  passer  au  v.  Mais  il  descend 
un  degré  de  plus,  c'est-à-dire  qu'il  disparait,  tandis  qu'à  l'inverse  v  dans 
la  position  forte  est  renforcé  en  b.  Pour  le;,  il  se  produit  de  même  un 
renforcement  à  la  position  forte,  il  sonne  g.  Entre  g  et  y,  l'intermé- 
diaire est  gj,  que  nous  retrouverons  en  napolitain.  Pour  les  consonnes  d, 
r,  m,  n  (mais  non  pour  g,  l)  il  existe  d'après  Spano  {Ortografia  sarda 
nazionale,  Cagliari,  1840)  une  prononciation  dure  et  une  douce,  c'est- 
à-dire  qu'il  s'agit  seulement  d'une  différence  quantitative.  A  l'initiale,  on 
n'écrit  jamais  que  la  consonne  originaire  (ou,  si  elle  manque,  son  renfor- 
cement, ainsi  b=^v],  tandis  qu'à  la  médiale,  qui  se  comporte  sensiblement 
comme  l'initiale,  les  modifications  quantitatives  sont  notées  dans  l'écri- 
ture. Dans  le  tableau  suivant,  j'abandonne,  pour  l'initiale,  l'orthographe 
sarde  pour  représenter  autant  qu'il  est  possible  la  prononciation. 


position  forte: 
consonne  originaire 

sas  cosas 
SOS  ■poveros 
SOS  tempos 
SOS  ûzos 


position  faible  : 
consonne  affaiblie. 


—  una  gosa 

—  su  hoveru 

—  sa  dcmpu 

—  su  vizu  {films) 
(à  Bitti  su  \iizu) 

non  sô  —  co  fo  [sum) 

SOS  hocs  —  su  oc  (bove) 

sosgiaos  (pour  ghiaos)  su  jau  (clavus) 
(à  Osile  sos  ciaos 
pour  *  chiaos) 

consonne  renforcée. 


comp.  la  médiale  : 

connosco— formiga 
ispingo — pohulu 
posta — istadu 


falsu-n£u 
accrhU'taula 


sas  giannas  (pour  ghj) 

,    SOS  ddepidos  — 

Renforcement!    sos  xamuros  — 

quantitatif  >  {   sos  nnostros  — 

f    duos  vTcgnos  — 

consonne  renforcée. 
sas  giannas  (pour  ghi) 
sos  binos 


consonne  originaire. 
sa  ^anna  (janaa) 
sa  depidu  (debitum) 
su  mura 
sa  nostru 
unu  régna 

consonne  affaiblie. 
sa  janna  aggiunghere-ma^u 

su  inu2  cumhennere-naes 


! .  Je  regarde  toujours  la  consonne  qui  est  quantitativement  forte  comme 
la  secondaire,  la  faible  comme  la  primaire  ;  mais  il  est  aussi  impossible  de  dé- 
montrer cette  hypothèse  que  l'inverse. 

2.  Spano  (I,  12,  n.   5),  dit  :  a  Se  le  voci  parimenti  latine  principiano  da  v, 


PHONÉTIQUE   COMPARÉE  M 

Ajoutons  quelques  remarques  : 

1°  L'échange  entre  b  et  une  aspiration  plus  ou  moins  faible,  comme 
dans  ^05  boes  et  sa  oe,  ou  sos  binos  et  su  inu,  a  eu  pour  conséquence  la 
prosthèse  du  b  dans  quelques  mots  qui  primitivement  commençaient  par 
une  voyelle  :  p.  ex.  bessire  (exire,,  bocchire  (occidere)\  a  bessire  à  côté  de 
pro  essire  semble  répondre  exactement  à  a  bière  (bibere)  à  côté  de  pro  iere, 
tandis  qu'il  s'agit  ici  du  renforcement  de  l'initiale  tout  aussi  bien  que 
dans  sas  giannas  à  côté  de  sa  janna  ; 

2"  Une  série  de  mots  qui  commencent  par  b  ne  subissent  pas  le  chan- 
gement en  question;  c'est  qu'ils  sont  empruntés  à  l'italien  (Spano,  1,  12); 

5°  Il  y  a  de  même  plusieurs  mots  commençant  par  v  qui  sont  sous- 
traits à  la  règle  (cf.  p.  10,  note  2); 

4°  Quelques  mots  commençant  par  t  comme  tin  (Gcîsç),  tittone  [tiîio- 
nem),  n'adoucissent  pas  le  /  ; 

5°  Il  y  a  un  mot  où  le  d  subit  un  changement  qualitatif  :  dans  la  posi- 
tion faible,  il  tombe  comme  le  b  (et  comme  le  g  en  britannique).  Ce  mot 
est  dinari  (denarins^  :  par  exemple  qnantos  dinaris,  leo  (levo)  inari.  A  la 
médiale  d  tombe  d'ordinaire  entre  voyelles  :  cnm,  nuigu,  etc.; 

6"  A  la  médiale,  on  trouve,  suivant  les  dialectes,  g  ou  j  pour  cl.  La 
forme  ordinaire  pour  oculus  est  ojii;  à  Bosa,  oggiii  (ailleurs  ogru,  ocru, 
orgu). 

On  pourrait  croire  que  ces  changements  de  l'initiale  sont  inconnus  au 
sarde  méridional  ou  dialecte  de  Campidanu,  car  G.  Rossi  n'en  dit  rien 
dans  ses  Elementus  de  grammatica  de  su  dialettu  sardu  méridionale  e  de  sa 
lingua  italiana  {C2^s\tàù\x ,  1842).  Mais  le  prince  L.-L.  Bonaparte,  dans  ses 
Osscrvazioni  sulla  pronunzia  del  dialetto  sassarese  (en  tête  de  //  vangelo  di 
S.  Maîteo  volgarizzato  in  dialetto  sardo  sassarese  dal  Can.  G.  Spano,  Lon- 
dra,  1866),  parle  en  général  des  modifications  syntactiques  du  cagliari- 
tain,  et  nous  apprend  particulièrement  que  le  c  palatal  dans  la  position 
faible  sonne  comme  z  [su  celu  ou  su  xelu,  pron.  su  zelu).  Il  y  a  d'ail- 
leurs plus  d'un  indice  qui  montre  que  des  lois  analogues  à  celles  du 
dialecte  de  Logudoro  ont  dû  être  en  vigueur  ici  aussi.  Par  exemple, 
la  plupart  des  mots  qui  devraient  commencer  par  un  v  prennent  un  b  : 
bMliri  (yalere),bcnniri  {yeniré),  binti  {yiginti  ,  bôlliri{'yolcre),  brcnti  iycntre^  ; 
mais  V  est  conservé,  par  exemple,  dans  yanu,  yena,  yida  ;  b  est  préposé 
dans  bessire  [exire]  ;  vest  tombé  dans  05  (vo5;commeenesp.).Fuchs(KtT/'a 
irréguUerSy  p.  189)  cite  expressément  comme  des  formes  coexistantes  f«// 
et  vcnit,  bolis  et  olis,  bosta  et  ostu  [vostro],  os  et  bosu  {vobis). 


si  fa  scntire  un'  aspirazione,  v.  gr.  su  liinii,  pro  hcndcrc,  Int.  vinum.vendcre,  ecc, 
salve  vclemi,  vitiii,  vohuUadc.  »  IMus  haut  il  tcr'xi  su  entn,  sa  este,  de  iii<}mr  que 
unu  oc;  c'est  donc  la  môme  aspiration  qui  remplace  un  ^  et  un  v  originaires. 


12  H.  SCHUCHARDT 

Le  dialecte  qui  se  parle  au  nord  de  la  Sardaigne  ou  dialecte  de  Gal- 
lura  est  généralement  d'accord  avec  celui  de  Logudoro  dans  le  traite- 
ment des  consonnes  initiales.  Ce  dialecte  a  pour  subdivisions  ceux  de 
Tempio  et  de  Sassari.  Nous  devons  des  renseignements  sur  le  dernier  à 
l'écrit  du  prince  Fionaparte  cité  plus  haut.  Le  dialecte  de  Sassari  n'exprime 
point  en  général  dans  l'écriture  les  modifications  dont  je  donne  ici  le 
tableau. 


consonne  originaire. 
a  cori 
ctin  pobbulu 
c  terra 
lin  Rgliola 
cun  saïUu 
m  zclu 
in  gf^gw 

consonne  renforcée. 
a  Giuanni 
Rre 

consonne  renforcée. 
a  hhatti 


consonne  affaiblie. 
lu  gori 
lu  hobbulu 
la  derra 
lu  xigliolu 
lu  iantu 

lu  zclu  (caeliim) 
la  jcsgia  (cccksia) 

consonne  originaire. 
cil  Juanni 
lu  re 

consonne  affaiblie. 
vulianl  ^attl 


médiale. 

manca — amiggu 
tcmpiu — cahhu 
iltclla—daddu 

forsi — co£a 
folza — giultizia 


—  cu^ubà 


Remarques  : 

1°  En  ce  qui  concerne  la  dernière  des  modifications  indiquées  ci-des- 
sus, Bonaparte  remarque  que  le  b  dans  la  position  forte  a  le  son  du  b 
double  italien,  mais  que  dans  la  position  faible  on  entend  un  b  «  debole 
si,  ma  di  pronunzia  spagnuola.  «  J'ai  noté  ce  b  par  un  ^. 

2°  Bonaparte  remarque,  au  sujet  du  v  dans  cun  vinu,  qu'il  a  le  son 
du  V  dans  l'italien  avvicina, tandis  que  le  v  de  lu  vinu  a  le  son  du  (.(b  spa- 
gnuolo  meno  labiale  che  il  b  italiano.  »  D'après  cela,  le  b  elle  v  dans  la 
position  faible  auraient  la  même  prononciation;  seulement  ils  la  devraient 
dans  l'un  des  cas  à  un  renforcement,  dans  l'autre  à  un  affaiblissement. 
N'ayant  pas  trouvé  la  chose  bien  claire,  je  n'ai  point  admis  vv  —  [3 
dans  mon  tableau.  A  la  médiale,  on  trouve,  comme  on  doit  s'y  attendre, 
après  une  voyelle  è(=p),  après  une  consonne  v;  par  ex.  v/fci' mais  ^a/i'u. 
Dans  le  dialecte  de  Logudoro,  b  et  v  sont  traités  de  même  en  position 
faible  mais  aussi  en  position  forte  ;  des  mots  isolés,  dans  celui  de  Sassari, 
indiquent  une  tendance  vers  la  même  identification,  par  exemple  :  bbozi 
—  ^ozi  (voce). 

3°  Pour  le  g—j,  on  peut  répéter  ici  ce  qui  a  été  dit  du  dialecte  de 
Logudoro.   Le  son  intermédiaire  entre  ;  et  g,  à  savoir  ghi,  se  trouve 

I.  On  trouve  aussi  b  pour  le  v  italien,  lat.  b,  par  exemple  abiani  (habcbant), 
amaba,  tandis  que  le  b  italien  =:  lat.  b  est  rendu  aussi  bien  que  le  p  italien  et 
latin  par  bb,  par  exemple,  subbiddu,  abbita  ;  comparez  logudor.  hapo  (habco), 
depet  (débet). 


PHONÉTIQUE   COMPARÉE  1  J 

dans  celui  de  Tempio,  par  exemple  ghiaddu  sass.  giaddu  (gallus),  ghiun- 
ghï  sass.  giugnï  (jungere). 

Quant  aux  influences  particulières  que  dans  le  dialecte  de  Sassari 
17  de  l'article  //  et  de  la  préposition  pal  exerce  sur  la  consonne  suivante 
pour  s'éteindre  ensuite  devant  elle,  je  n'en  parle  pas  ici. 

Le  dialecte  de  Tempio,  d'après  Bonaparte,  ne  connaît  que  la  modifi- 
cation du  V  qui,  dans  la  position  faible,  devient  muet.  Nous  manquons 
de  renseignements  précis  sur  les  modifications  de  l'initiale  dans  le  sarde 
septentrional  ;  en  général  il  parait  soumis  aux  mêmes  conditions  que  les 
dialectes  italiens.  Car  s'il  diffère  considérablement  du  sarde  propre, 
celui  du  centre  ou  du  sud,  c'est  surtout  par  rapport  au  caractère  des 
finales  (il  n'y  a  de  terminées  en  s  que  les  formes  du  pronom  de  la 
^*  pers.  plur.:  eddis  et /i5  devant  une  pause  oratoire  ou  une  voyelle,  eM, 
// devant  une  consonne.  Je  l'ai  cependant  réuni  au  sarde,  parce  qu'il 
s'en  rapproche  étroitement  dans  les  modifications,  surtout  qualitatives'. 

Je  laisse  tout  à  fait  de  côté  les  dialectes  du  nord  de  l'Italie;  je  n'y 
connais  pas  de  phénomènes  du  genre  de  ceux  qui  nous  occupent  2.  Dans 
la  plupart  d'entre  eux,  la  finale  est  le  plus  souvent  une  consonne,  non 
pas  la  consonne  latine  comme  en  sarde,  mais  une  consonne  de  formation 
nouvelle;  les  deux  dialectes  du  nord  de  l'Italie  qui  se  distinguent  des 
autres  en  ce  point  et  se  rapprochent  de  l'italien  du  centre  et  du  sud,  le 
ligurien  et  le  vénitien,  diffèrent  de  celui-ci  par  une  prononciation  moins 
énergique  des  consonnes.  Comme,  dans  l'italien  du  centre  et  du  sud,  la 
voyelle  finale  (bien  que  souvent  fort  obscurcie)  est  la  règle,  et  la  con- 
sonne finale  l'exception,  on  comprend  que  s'il  y  a  une  distinction  entre 
la  position  faible  et  la  position  forte  de  l'initiale,  elle  est  déterminée  non 
plus  par  l'opposition  entre  une  finale  consonantique  ou  vocalique,  mais 
avant  tout  par  la  nature  de  la  voyelle  finale  elle-même.  Effectivement 
nous  remarquons  d'une  part  que  l'existence  originaire  d'une  consonne  à 
la  finale  après  une  voyelle  non  accentuée  ne  donne  lieu  à  aucun  renfor- 
cement de  l'initiale  ip.  ex.  andava  via)  et  d'autre  part  que  ce  renforce- 
ment se  produit  même  après  une  finale  qui  originairement  ne  contenait 
pas  de  consonne  (p.  ex.  andro  vvia).  Il  semble  donc  tout  naturel  de  voir 

i .  Bonaparte  avait  promis  un  mémoire  spécial  «  On  the  Initial  Mutations  ot 
the  Sardinian  Dialccts  compared  with  those  of  the  Cellic  and  BasqueLanguagos,  » 
mais  il  n'a  pas  paru,  que  je  sache.  D'après  ce  que  j'ai  dit  plus  haut,  Bonaparte 
se  trompe  quand  il  dit  (1.1.  p.  XXXVll)  :  «  Mentre  ne'  dialetli  sardi  la  ragione 
di  cotali  cainbiainenti  si  è  sempre  eutonica  e  dipendente  dalla  natura  dclla  IcUcra 
finale  délia  vocce  che  précède,  ne'  collici  e  ne'  baschi  non  in  una  sola  Jettera, 
ma  nel  senso  délia  voce  tutta  si  debbe  riconoscere  una  causa  diversa  producente 
i  medesimi  effetti.  » 

2.  Je  ne  sais  à  quoi  Ascoli  fait  allusion  en  disant  {Archivio  glottolo^icoiuiluno, 
I,  p.  L)  :  «  Il  seconde  caso,  frequentissimo,  corne  ognun  sa,  negli  idiomi  celtici  c 
non  estraneo  pure  ail'  Italia  Superiore.  n 


14  H.  SCHUCHARDT 

dans  l'accentuation  de  la  voyelle  finale  la  principale  cause  du  renforce- 
ment de  l'initiale. 

Toute  voyelle  finale  accentuée  en  italien  est  brève.  Par  conséquent, 
si  l'on  ajoute  par  exemple  à  andrà  l'enclitique  vi,  pour  que  la  voyelle  o 
conserve  sa  quantité,  il  faut  que  le  v  s'allonge  et  que  le  groupe  devienne 
androvvi,  car  on  ne  peut  avoir  de  voyelle  brève  dans  aucune  syllabe  ac- 
centuée et  ouverte,  à  la  seule  exception  de  la  syllabe  finale.  Mais  cette 
explication  suffit-elle  aussi  pour  des  cas  comme  a  ccasa,  e  ttu,  dans  les- 
quels i?  et  e  sont  proclitiques?  Non;  on  observe  évidemment  ici  l'ac- 
tion continuée  d'une  consonne  finale  originaire.  Comparez  à  ces  cas 
d'autres  comme  la  casa,  mi  yede,  dans  lesquels  l'initiale  n'est  pas  renfor- 
cée, parce  que  la  et  mi  n'ont  jamais  eu  de  consonne  finale.  Il  s'agirait 
donc,  pour  la  production  du  renforcement,  de  deux  conditions  diffé- 
rentes :  d'un  côté,  l'accentuation  de  la  voyelle  finale,  de  l'autre,  l'exis- 
tence d'une  consonne  finale  originaire.  C'est  aussi  en  général  l'avis  de 
Francesco  d'Ovidio  dans  sa  dissertation  intitulée  :  Di  alcune  parole  che 
nella  pronunzia  îoscana  producono  il  raddoppiamento  délia  consonante  ini- 
ziale  délia  parola  seguente  (tirage  à  part  du  t.  V  du  Propugnaîore,  cf.  Rom. 
I,  264).  L'analogie  de  ce  qui  se  passe  à  la  médiale  autorise  cette  double 
explication  de  phénomènes  extérieurement  identiques.  Ainsi  nous  avons 
acquictare  de  adquietare,  mais  acqua  de  àqna  :  la  consonne  est  allongée 
dans  le  premier  cas  à  cause  de  la  chute  d'une  consonne  précédente,  dans 
le  second  pour  sauvegarder  la  brièveté  de  la  voyelle  qui  précède.  On 
voit  même  un  grand  nombre  de  formes,  comme  femmina,  nippi,  tutto 
(cf.  lat.  querella,  littera,  etc.)  où  la  longueur  a  passé  de  la  voyelle  à  la 
consonne  suivante.  Au  lieu  d'une  voyelle  longue,  suivie  d'une  consonne 
brève  ou  simple,  nous  avons  maintenant  une  voyelle  brève  suivie  d'une 
consonne  double  ou  longue.  Je  crois  nonobstant  qu'un  examen  moins 
superficiel  découvrira  une  cause  commune  à  tous  les  cas  de  renforce- 
ment de  l'initiale. 

Il  faut  en  effet  remarquer  : 

1°  Que  dans  les  polysyllabes  terminés  par  une  voyelle  atone,  comme 
ama,  amava,  la  consonne  finale  originaire  était  tombée,  en  Italie  du  moins, 
(nous  avons  vu  qu'il  en  est  autrement  en  Sardaigne)  dès  une  époque 
très-ancienne.  Dans  le  latin  de  la  décadence  ou  le  roman  primitif  de 
l'Italie  —  car  c'est  à  celui-ci  et  non  au  latin  classique  qu'il  faut  se  repor- 
ter —  on  prononçait  déjà  ama,  amaba  (cî.Jonrnal  de  Kuhn,  XXI,  458); 

2°  Que  la  grande  majorité  des  mots  qui  se  terminent  par  une  voyelle 
accentuée  ont  perdu  une  consonne  finale,  et  par  conséquent  que  cette 
consonne  peut  fort  bien  avoir  occasionné  le  renforcement  de  l'initiale 
suivante.  Si  nous  considérons  l'histoire  d'un  mot  de  ce  genre,  non  point 
isolé,  mais  réuni  à  un  mot  suivant,  nous  trouverons  l'explication  juste. 


PHONÉTIQUE    COMPARÉE  I  5 

De  bontate  vera  est  né  bontàt  vera,  puis,  d'après  la  même  loi  qui  règne  à  la 
médiale  bontât  vera  (cf.  ciel  sereno,  amâr  costei);  puis  non  pas,  comme  on 
pourrait  le  croire,  bonîa  vera,  mais  tout  de  suite  bonta  vvera,  de  même 
que  cUnla  ''cunula  ,  cûnla  a  àonné  directement  culla  sans  passer  par  cûla.  Ces 
parole  tronche  semblent  être  en  contradiction  avec  une  tendance  expresse 
de  l'italien  :  on  sait  en  effet  qu'il  préfère,  à  la  différence  surtout  du 
roman  du  nord- ouest,  la  chute  trochaïque  et  même  dactylique  à  l'iam- 
bique.  Mais  dans  la  langue  la  plus  ancienne  existait  et  dans  les  dialectes 
italiens  du  centre  existe  encore  à  côté  de  chaque  forme  oxytonique  'même 
pour  les  monosyllabes)  une  forme  paroxytonique  qui  tantôt  repose  sur 
l'étymologie  et  tantôt  provient  de  l'addition  d'une  voyelle  (souvent  avec 
insertion  d'une  consonne),  par  ex.  virtude,  piede,  puoîe,  à  côté  de  rirtù, 
piè,  puo,  et  amoe,  abilitae,  piue,  à  côté  de  amd,  abilità,  pin.  Ces  deux 
séries  de  formes  étaient  certainement,  dans  la  plus  ancienne  période  de 
la  langue  littéraire,  d'une  application  distincte,  comme  elles  le  sont 
encore  aujourd'hui  dans  les  dialectes.  On  employait  la  forme  oxytonique 
dans  le  cas  d'une  union  étroite  avec  le  mot  suivant,  en  sorte  que  la 
finale  cessait  pour  ainsi  dire  d'être  finale  et  devenait  médiale  ;  la  forme 
paroxytonique  on  l'employait  devant  n'importe  quelle  pause.  Ainsi^  en  ro- 
main ou  en  toscan,  on  reçoit  aujourd'hui  à  une  question  ou  bien  la  courte 
réponse  :  sie,  nôe,  ou  bien  la  réponse  plus  polie  :  sissignore,  nossignore. 
Devant  une  pause  le  romain  emploie  amane,  piune,  mais  dans  le  dis- 
cours rapide  amà,  più  ;  les  textes  écrits  en  dialecte  romain  violent  d'ail- 
leurs très-souvent  cette  règle.  C'est  donc  proprement  la  cohésion  d'un 
membre  de  phrase  en  un  seul  mot  qui  agit  à  la  fois  sur  la  finale  et  sur 
l'initiale.  La  brièveté  de  la  voyelle  finale  accentuée,  qui  ne  provenait 
originairement  que  de  la  chute  d'une  consonne,  a  fini  par  devenir  la 
règle  pour  tous  les  autres  cas,  bien  plus  rares  :  sur  andrà,  giù  se  sont 
modelés  andrâ,  tu,  ou  plutôt  l'analogie  de  andra  vvia,  già  vvieni  a  fait 
naître  andro  vvia,  tu  vvieni  pour  andrô  via,  tu  vieni,  auxquels  on  peut 
comparer  à  la  médiale  des  cas  comme  femmina  pour  fcmina.  Si  les 
groupes  a  ccasa,  e  ffa  n'ont  point  pu  susciter  de  même  des  formes  comme 
la  ccasa,  mi  ffa,  l'explication  s'en  trouve  dans  l'atonie  et  par  conséquent 
dans  la  brièveté  nécessaire  de  a,  e,  la,  mi;  1  casa  est  aussi  impossible 
que  âmâto.  C'est  précisément  l'union  étroite  des  petits  mots  de  ce  genre 
avec  le  mot  suivant  qui  a  préservé  dans  beaucoup  d'entre  eux  la  con- 
sonne finale,  soit  toujours  :  //;,  con,  /jerCdialectalement  co,  pe),  non  (mais 
quand  il  est  isolé,  no),  soit  seulement  devant  les  voyelles  :  ad,  ed,  dans 
l'ancienne  langue  aussi  od,  clicd,  sur.  Les  anciens,  prenant  le  (/  dans  ces 
mots  pour  un  son  euphonique,  ont  dit  aussi  abusivement  :  mad,  ncd, 
sed  {magis,  nec,  si)  ' . 


i.  Dans  la  traduction  calabraise  de  la  GcrusaUmmt  llbcrala  par  Carlo  Cusen- 


l6  H.  SCHUCHARDT 

Je  m'attends  à  une  objection,  non  point  contre  la  théorie  que  je  viens 
d'exposer,  mais  sur  la  possibilité  de  la  concilier  avec  ce  que  j'ai  dit  plus 
haut.  On  dira  :  dans  né  ttu  =  nec  tu  il  s'est  produit  une  assimilation  ;  or 
cette  assimilation,  qui  a  lieu  après  les  voyelles,  qu'a-t-elle  de  commun 
avec  le  renforcement  des  consonnes  après  une  consonne?  ne  sont-ce 
pas  là  des  phénomènes  d'un  ordre  tout  à  fait  différent?  Cette  difficulté 
m'amène  à  rechercher  ce  qui  se  cache  ici  sous  le  nom  impropre  d'assi- 
milation. Une  consonne  a  disparu,  une  autre  a  été  allongée  ou  redou- 
blée :  avons-nous  là  deux  phénomènes  successifs?  Non,  car  quand  une 
fois  une  consonne  a  tout  à  fait  disparu,  il  ne  se  produit  pas  pour  elle  de 
compensation  :  la  langue  n'élève  pas  de  monuments  à  ses  morts.  L'allon- 
gement de  la  seconde  consonne  est  tout  au  moins  contemporain  de  la 
chute  de  la  première,  mais  il  peut  lui  être  antérieur,  ainsi  de  cun'la 
peuvent  s'être  formés  cunlla^  culla.  Ne  peut-on  pas  supposer  qu'après 
une  consonne  finale,  la  consonne  initiale  a  été  renforcée  ('qu'elle  l'ait  été 
tout  de  suite  jusqu'au  degré  actuel,  ou  d'abord  à  un  moindre  degré),  et 
qu'ensuite,  devant  cette  consonne  renforcée  ou  entrain  de  se  renforcer,  la 
première  a  disparu?  C'est  ainsi  que  W.  Hartel  'Etudes homéric^ues.  Obser- 
vations sur  la  prosodie  et  la  métrique  d'Homère,  2"  édit.  Berlin  1 873 ,  p.  55) 
explique  aussi,  par  la  nature  des  continues  grecques  qui  avaient  autrefois 
un  son  plus  plein,  l'absorption  et  la  chute  de  certaines  consonnes  ini- 
tiales. Cet  écrit  contient  d'ailleurs  plusieurs  autres  remarques  qui  méri- 
tent d'être  prises  en  considération  dans  l'étude  qui  nous  occupe,  et 
l'auteur  (p.  48  s.)  renvoie  expressément  aux  modifications  de  la  con- 
sonne initiale  en  italien.  Une  consonne  finale  suivie  d'une  ténue  initiale, 
ou  bien  se  conformait  à  l'analogie  des  autres  cas  Qna  ttu  comme  ma 
llui  =  mas  lui),  ou  bien  portait  la  ténue  à  renforcer  d'abord  son  accent, 
puis  sa  quantité.  Cf.  p.  ex.  kymr.  a  thi  =  ac  ti.  On  lit  dans  la  Gram- 
matica  celtica  {2"  éd.,  p.  193)  :  «  In  allatis  exemplis  [a  thi,  a  chledyf] 
transiit  et  in  th,  ce  in  ch  ut  in  mediis  vel  extremis  vocibus.  »  A  chledyf  est, 
en  effet,  identique  à  sych  =  siccus.  Mais  d'après  la  loi  des  médiales  ac  ti 
aurait  dû  donner  ai  thi  comme  tact  donne  laith.  Th  est  pour  tt,  que  le  t 
soit  vraiment  redoublé  ou  prononcé  emphatiquement  :  saeth  =  sagitta, 
laith  =  laitt  =  lactt,  a  thi  =  a  tti  =  ac  tti. 

Nous  voyons  en  même  temps  par  ces  exemples,  si  nous  voulons  conser- 
ver la  désignation  reçue,  que  l'assimilation  entre  la  finale  et  l'initiale  et 
celle  qui  se  produit  entre  médiales  ne  sont  point  du  tout  identiques.  iVè  ttu 
n'est  point  tout  à  fait  semblable  à /uHo,  parce  qu'il  est  identique  à  Ne  rre, 
tandis  qu'à  la  médiale  on  ne  trouve  pas  rr  pour  cr.  Il  y  a  aussi,  bien 


tino  d'Aprigliano  (Cosenza,  1737),  on  remarque  la  très-fréquente  addition  d'un 
d  final  devant  une  voyelle  initiale,  p.  ex.  jocad,  praticavad,  aperïud  (3*  pers.  sg. 
parf.),  ed  {est),  sud  (sunt),  staud  istant),  cud  (cum),  ped  (per),  etc. 


PHONÉTIQUE    COMPARÉE  I7 

qu'elle  soit  moins  évidente,  une  différence  entre  l'ancien  italien  amallo  et 
le  romain  amallo,  parce  qu'on  ne  dit  pas  en  anc.  ital.  ainacci,  comme 
ici  amacce.  A  la  médiale,  ce  sont  certaines  consonnes  seulement  qui  tom- 
bent devant  certaines  consonnes;  à  la  finale,  c'est  toute  consonne  devant 
toute  consonne;  l'assimilation  est  sans  réserves.  La  préposition  ad  en 
composition  montre  la  même  liberté.  Il  faut  que  la  consonne  finale  se 
soit  encore  maintenue  devant  les  voyelles  longtemps  après  qu'elle  était 
devenue  muette  devant  les  consonnes.  Il  faut  qu'il  y  ait  eu  un  temps 
où  è  amara  était  un  hiatus  aussi  bien  que  plus  tard  o  a  lui  ou  qu'aujour- 
d'hui a  amici. 

Il  s'agit  maintenant  de  savoir  si  dans  les  dialectes  italiens  une  con- 
sonne reçoit  après  une  consonne  un  renforcement  quantitatif,  mais  c'est 
un  point  sur  lequel  je  ne  veux  pas  m'exprimer  avec  trop  d'assurance. 
En  effet,  je  n"ai  presque  jamais  trouvé  dans  ce  cas  la  consonne  ini- 
tiale exprimée  par  un  double  caractère.  Cependant  le  prof.  Vescovi 
(Fanfani,  Vocabolario  dell'  Uso  Toscano,  p.  775)  dit  expressément  que  la 
consonne  possède,  après  une  consonne  ou  une  voyelle  accentuée,  le 
«  Suono  forte,  gagliardo  e  vibrato  ;  «  que  par  ex.  l'm  dans  nel  mondo  sonne 
précisément  comme  dans  è  mondo  et  non  pas  comme  dans  questo  mondo. 
En  ce  cas  nous  aurions  pour  les  différences  quantitatives  le  même  rap- 
port que  pour  les  qualitatives.  Car,  après  une  consonne,  c'est  toujours 
la  consonne  forte  qu'on  prononce  à  l'initiale^  non-seulement  quand  elle 
est  primitive,  mais  encore  quand  elle  est  secondaire.  Ainsi,  dans  plusieurs 
dialectes,  au  lieu  de  non  va,  on  dit  non  ha  ou  plutôt  non  hba  et  dans 
d'autres  /jofc/?a.  Cesformes  sont  tout  à  fait  entre  elles  dans  le  même  rapport 
que  //  mondo,  il  mmondo  et  (florent.  vulg.)  immondo.  Je  suis  donc  con- 
vaincu qu'après  uneconsonne  la  consonne  initialea  un  son  quantitativement 
plus  fort  qu'après  une  voyelle  non  accentuée  ;  mais  si  ce  renforcement 
quantitatif  est  un  allongement,  il  n'a  pas  besoin  d'atteindre  le  même 
degré  qu'après  une  voyelle  accentuée,  et  il  ne  l'atteint  pas.  Au  reste  ce 
sont  là  des  nuances  qu'il  est  bien  difficile  de  vérifier  dans  la  pratique. 

Après  avoir  exposé  l'état  général  des  choses  dans  les  dialectes  italiens, 
je  veux  appeler  l'attention  sur  les  particularités  les  plus  importantes  que 
montre  sur  ce  point  chaque  dialecte.  Je  commence  par  le  florentin.  Les 
modifications  quantitatives  qui  se  présentent  ici  sont  regardées  comme 
faisant  partie  de  la  langue  écrite.  Le  son  fort  se  fait  entendre  au  com- 
mencement des  phrases  à  ce  qu'assure  Salviati,  /.  /.,  1,  222  ;  je  me  suis 
demandé  plus  haut  si  on  doit  l'admettre  après  les  consonnes.  Les  mots 
terminés  par  une  voyelle  qui  produisent  un  renforcement  peuvent  se 
ranger  dans  les  catégories  suivantes  (je  suis  ici  pour  le  détail  l'article 
cité  de  d'Ovidio,  p.  4  ss.)  : 

I.  Tous  les  mots  accentués  sur  la  finale,  qu'ils  se  soient  originairement 
Romania,lll  2 


|8  H.  SCHUCHARDT 

terminés  par  une  consonne  ou  non,  ainsi  (uj  louiez  les  parole  tronche , 
{b)  tous  les  monosyllabes  qui  ont  un  accent  propre.  Sont  exceptés  : 

i)  Les  mots  qui  sont  apostrophés.  C'est  ce  que  dit  Salviati  tout  à  fait 
généralement;  d'Ovidio  ne  parle  que  des  mots  qui  peuvent  perdre  un  / 
final.  Ainsi  ha'  =  hai,  e' =  el  {egli),  pé  =^  pei,  etc.  Les  impératifs,  qui 
d'après  lui  sont  aujourd'hui  plus  usités,  vai,  fai,  5/^/(pour  les  anciens  va,  fa, 
sta),r\e  sont  pas  autre  chose  que  des  2'-'  pers.  sg.  ind.  prés.  Mais  le  renfor- 
cement n'est-il  pas  également  abandonné  après  i'  =  io,  vo'^=voglio,  etc.  ? 
Il  est  vrai  que  bien  des  mots  reçoivent  une  apostrophe  tout  à  fait  abusive, 
et  ceux-là,  bien  entendu,  ne  font  pas  exception  à  la  règle.  Ainsi  d'O- 
vidio écrit  fe'  aussi  bien  pour  fè  =  fede  (comme  rè  =  rege)  que  pour 
fè  =fecit  (cette  forme  est  àfei,  qui  seul  appellerait  une  apostrophe,  ce 
que  vende  est  à  vendei),  di'  pour  dï  =  die. 

2)  Les  interjections  ah,  eh,  ih,  oh,  uh.  D'Ovidio  dit  de  ces  mots, 
p.  1 1  :  «  Non  producono  di  nécessita  raddoppiamento,  benchèquesto  per 
maggior  enfasi  possa  farsi.  )>  Il  faut  réfléchir  que  dans  les  interjections 
qui  "se  terminent  par  une  //,  la  voyelle  n'a  pas  un  son  aussi  aiguisé  que 
les  autres  voyelles  fmales  accentuées,  mais  est  plus  ou  moins  allongée  ;  en 
outre  ces  interjections  se  trouvent  souvent  devant  une  pause  et  alors, 
après  la  pause,  on  a  une  initiale  forte. 

II.  Tous  les  monosyllabes  proclitiques  qui  se  terminaient  origi- 
nairement par  une  consonne  comme  a  {ad),  e  (et),  0  (aut),  ne  {nec),  ira 
(trans],  mais  non  point  mi,  ti,  si,  ne  (inde),  di  [de],  etc. 

Rem.  Se  {si^  suit  l'analogie  de  e,  ne,  etc.  On  peut  rapprocher  le  fait  que 
ce  mot  dans  l'ancienne  langue  otïre  devant  les  voyelles  un  d  inorga- 
nique. 

m.  Un  petit  nombre  de  paroxytons:  corne,  dove, qualche, contra,  infra, 
intra,  sopra.  D'Ovidio  ne  dit  rien  de  oltra,  dont  la  tendance  à  renforcer 
la  consonne  suivante  a  cependant  laissé  des  traces.  A  la  finale  de  ces 
mots  sont  venues  se  mêler  soit  la  conjonction  e  =  et,  soit  la  préposition 
a=  ad.  Dans  le  dialecte  natal  de  d'Ovidio,  celui  de  Campobasso, 
corne,  quand  il  est  employé  à  la  comparaison,  s'unit  à  e,  ou  plutôt  \'e  final 
est  compris  comme  une  particule  copulative  (qu'on  songe  à  l'origine  du 
mot  :  quomodo,  lomb.  comôd,  cors,  cùmed  devant  les  voyelles),  par  ex. 
cumm'  é  tté  {corne  te).  De  même  en  Logudoro  com'  et,  coniente  et  tue,  à 
Rome  com'  e  tte,  absolument  comme  là  quant'  et  tue,  ici  quant'  e  tte  pour 
quanto  le,  et  tal'  e  cquale  pour  taie  quale.  C'est  tout  à  fait  de  même  qu'on 
dit  dans  le  florentin  vulgaire  quand'  é,  quant'  e  pour  quando,  quanto 
[-a,  -i,  -e),  p.  ex  quand'  ettu  vendei,  quant'  e  vvo'  tu  scommette  ? 
t'  ha'  arruggini  quant'  e  tiu  voi.  En  outre  la  particule  copulative  est  inter- 
calée dans  l'italien  tutt'edue,  tutt'eîre,  etc.;  Diez  Gram.i,U\,  40)  s'efforce 
à  tort  de  contester  ce  fait.   Dans  bell'  e  fatto  aussi,  à  mon  avis,  Ve  est 


PHONÉTIQUE   COMPARÉE  I9 

pléonastique  ;  à  Rome  on  dit  encore  p.  ex.  mezz'e  accomidate.  Enfin  nous 
trouvons  le  même  phénomène  dans  des  composés  comme  altrettanto, 
aîîrettale  («  in  alîresï  l'e  non  produce  raddoppiamento,  forse  per  la 
forma  anapestica  délia  parola  »  d'Ovidio,  1.  1.  p.  1 1 ,  mais  cf  anc. 
it.  altresslj,  et  plus  clairement  encore  dans  qualcheduno,  ciascheduno  (cf. 
frioul.  ognidun).  Je  ne  regarde  pas  comme  impossible  que  dans  ambedue 
aussi,  pour  ambi  duo,  se  cache,  comme  dans  tutt'e  due,  la  préposition  et  (cf. 
esp.  ambos  d  dos,  pg.  ambos  de  dos),  bien  que  le  d  ne  soit  pas  redoublé; 
dans  l'arch.  amendue  la  seconde  syllabe  a  été  renforcée  d'une  autre  façon  : 
Vm  a  engendré  après  elle  une  autre  nasale,  tout  à  fait  comme  dans  le 
roumain  amùndoi  (cf.  anc.  it.  ognindi).  Ou  bien  la  nasale  serait-elle  un 
développement  du  son  bourdonnant  de  Purkinje,  comme  dans  la  forme 
dialectale  einbè  —  ebbene  (cf.  Briicke,  Eléments,  p.  56)  ?  Quelquefois 
dans  ces  combinaisons  la  préposition  a  remplace  la  conjonction  e;  ainsi 
on  dit  à  Naples  cumm  'a  tte,  quant  'a  tte,  et  en  Toscane  aujourd'hui, 
comme  au  temps  de  Villani,  tutt'  a  due.  Dans  les  mots  diciassetîe,  dician- 
nove  aussi,  qu'il  vaut  donc  mieux  écrire  par  s  et  n  doubles,  a  s'est 
introduit.  Comparez  encore  l'usage  de  a,  entre  povero  poverino  et  les 
pronoms  personnels,  dans  des  dialectes  toscans.  Par  ex.  à  Florence  poer 
'a  mené,  poerin  'a  ttene,  à  Tornia  porammc,  poarinanno,  dans  la  Valle  di 
Chiana  puarin'amme,puann'a  nnoK  Dans  contra,  intra  qui  se  font  suivre 
d'une  initiale  forte,  on  peut  aussi  songer  à  une  influence  de  tra  (trans) 
(cf.  anc.  fr.  entreiz  —  *  in~trans  Jahrb.  VI,  ^66,  20);  de  même  infra 
semble  s'être  modelé  sur  intra  comme  fra  sur  tra. 

On  peut  encore  citer  dans  le  florentin  vulgaire,  comme  paroxytons 
produisant  le  renforcement,  les  infinitifs  de  la  3*  conjugaison  latine.  Ainsi 
esse  mme,  esse  lladri,  prétende  ddi  crede  cchc,  pour  csser  me,  etc. 

La  langue  écrite  n'exprime  pas  le  renforcement  de  l'initiale.  Si  elle 
veut  indiquer  le  renforcement  il  faut  qu'elle  change  l'initiale  en  médiale, 
et  c'est  aussi  ce  qui  arrive  plus  souvent  que  cela  n'arriverait  sans  ce 
motif.  Non-seulement  (sans  parler  de  véritables  composés  les  enclitiques 
mais  souvent  encore  les  proclitiques  sont  jointes  par  l'écriture  au  mot 
auquel  elles  se  rapportent;  p.  ex.  accanto,  altato,  ncppure,  sebbene;  dans 
evviva  se  cache  et  (non.  point  e'  =  egli  ou  une  interjection  comme  le 
suppose  Blanc,  Grammaire  de  la  langue  italienne,  p.  598)  ;  cbbcne  aussi 
est  plutôt  et  bcne  que  eh  bcne.  Des  formes  comme  locchc,  dijfatti,  diggiù, 
dippià  sont  fautives  au  point  de  vue  toscan,  bien  que  souvent  appuyées 
par  la  prononciation  d'autres  dialectes;  d'Ovidio  remarque,  p.  9  :  «  Fer 


I.  Cf.  Potslc  incdïtc  di  Giuscppc  Gloachlno  Bclli  Ronuno,  Renia  i86j,  II,  164  : 
Pord  vccchia;  avec  cette  remarque:  «  Fovc/j.  Quando  si  usa,  si  annette 
con  prestezza  alla  parola  seguente  con  suono  c  in  caso  di  compassione  c  di 
tenerezza.  n 


20  H.  SCHUCHARDT 

un  méridionale  p.  es.  non  è  possibile  pronunziare  dipiù  e  digià  con  un 
p  e  con  un  g  solo  senza  un  particolare  exercizio  ad  hoc.  »  Enfin,  l'ita- 
lien a  en  grand  nombre  des  combinaisons  lâches  comme  chicchessia,  per- 
ciocché,  soprattutto,  pour  lesquelles  on  écrit  aussi  bien  clii  che  sia,  per 
cio  che,  sopra  tutto. 

Après  oltra  la  consonne  est  tantôt  redoublée ,  tantôt  non  ;  oltra  cchè 
oltrachè,  oltra  ccià,  oltracio  (les  deux  premières  formes  peuvent  être 
comprises,  ainsi  qu'on  l'a  vu,  comme  représentant  oltre  a  chè,  oltre  a  cio), 
oltraddic]uesto,  oltrammisurato,  olîrainondano.  D'Ovidio  remarque  p.  12  s. 
que  quelque  mots  paraissent  avoir  une  tendance  à  redoubler  d'eux- 
mêmes  leur  initiale,  en  dehors  de  l'influence  de  la  finale  précédente.  On 
dit  g//  ddei,  la  ddea,  mio  ddio  ;  mais  il  est  difficile  d'expliquer  avec  d'Ovi- 
dio  ce  dd  par  le  dd  de  Iddio  =  //  Dio  (Domemeddio  aussi  pourrait  bien 
avoir  subi  l'immixtion  de  et  :  Seigneur  et  Dieu  ;  mais  cf.  aussi  les  jurons 
populaires  florentins  affededdonda,-ddina,- ddieci,  caltadeddina,  catta- 
dcddua,  dans  lesquels  les  deux  dernières  syllabes  sont  une  altération  de 
dio).  On  dit  aussi  spiritossanto  et  ognissanti,  où  d'Ovidio  suppose  avec 
raison  une  provenance  directe  du  lat.  spiritus  sanctus,  ornnes  sancti. 
Mais  il  a  tort  de  prétendre  que  «  ogni  unito  a  nome  plurale  è  asso- 
lutamente  latino  e  punto  italiano,  »  et  que  ogni  ne  peut  être  la  cause  du 
renforcement  de  la  consonne  suivante,  car  il  est  sûr,  comme  nous  le 
verrons,  qu'ogni  exerce  cette  influence  dans  certains  dialectes. 

Les  anciens  allaient  beaucoup  plus  loin  que  les  modernes  dans  l'usage 
d'écrire  les  proclitiques  avec  les  mots  suivants  ;  dans  les  manuscrits  du 
moyen-âge  nous  trouvons  tout  à  fait  habituellement  :  elle,  massi,  cheffu, 
arriccieri,  datte,  =  e  lo,  ma  si,  che  fu,  a  Riccieri,  da  te.  Après  des  formes 
verbales  apostrophées,  la  consonne  initiale  de  l'enclitique  est  ici  régu- 
lièrement représentée  par  un  caractère  simple,  ainsi /am/,  diele,  votene 
=  f ai-mi,  diei-le,  vogUo-tene.  Mais  après  se'  le  redoublement  peut  avoir 
ou  ne  pas  avoir  lieu  :  settu  ou  setu.  De  même  après  tra'  et  après  diè 
(diede)  :  tranne  trane,  dielle  diele. 

Il  vaudrait  la  peine  d'étudier  de  plus  près,  à  ce  point  de  vue,  les  anciens 
manuscrits.  On  reconnaîtrait  probablement  certaines  différences  entre 
eux  pour  les  modifications  de  l'initiale,  suivant  le  temps  et  le  lieu  où  ils 
ont  été  écrits.  On  trouve  le  commencement  d'une  étude  de  ce  genre  dans 
la  dissertation  de  Pio  Rajna  :  Osservazioni  fonologiche  a  proposito  di  un 
manoscritto  délia  biblioteca  Magliabecchiana  (tirage  à  part  du  tome  V  du 
Propugnatore),  p.  8  ss.  Le  manuscrit  auquel  se  rapportent  ces  observa- 
tions appartient  au  commencement  du  xv«  siècle.  L'auteur  établit  que 
dans  des  conditions  absolument  identiques,  certaines  consonnes  sont 
d'ordinaire  redoublées,  les  autres  non.  Ces  dernières  sont  h,  d,  g,  m,  v. 
Mais  les  prononçait-on  réellement  simples  ou  brèves  ?  C'est  ce  qui  me 
parait  beaucoup  moins  assuré  que  ne  le  pense  M.  Rajna. 


PHONÉTIQUE   COMPARÉE  2  1 

Le  renforcement  des  consonnes  initiales  dont  il  vient  d'être  parlé 
n'est  pas  seulement  florentin,  il  est  général  en  Toscane,  et  s'étend 
constamment  du  côté  du  sud  ;  jusqu'où  il  arrive  au  nord  et  à  l'est,  je 
l'ignore;  il  ne  se  rencontre  point  à  Lacques.  D'Ovidio,  p.  4,  note  i, 
dit  qu'il  est  également  étranger  au  pays  d'Arezzo,  mais  je  ne  sais  s'il 
faut  l'en  croire .  Dans  les  Poésie  giocose  in  dialetîo  chianajuolo  di  Raffaele- 
Luigi  Billi  di  Casîiglion  Fiorentino  (Arezzo  1870),  après  des  infinitifs 
abrégés  (même  paroxytons)  la  consonne  initiale  est  régulièrement  redou- 
blée, p.  ex.  vedè'lla  mi  figliola,  dê'vvolîa,  crede'  cche,  esse' ggaliardo  (cepen- 
dant rompece,  rompeme)  quelquefois  après  d'autres  parole  tronche  (surtout 
en  ô  =  ère)  ou  monosyllabes,  p.  ex.  Signo'  vve,  Signa'  cche,  a  qquie,  che 
Itu,  pià  cche,  à  côté  de  Signa  cureîo,  Signa'  sera,  a  vinl,  che  me,  pià  te,  etc. 
{Ddio  est  ici  la  forme  usuelle).  Je  ne  suis  pas  sûr  que  l'a  renforce  toujours 
l'initiale  suivante,  parce  que  les  composés  avec  a  offrent  la  consonne 
simple  (acadere,  aloggêre,  apontère,  etc.). 

Dans  un  spécimen  du  dialecte  voisin  de  Tornia  (La  Castagna.  Lunario 
di  Mariangolone  Cerro  da  Tornia,  1872.  Rome  1871),  les  consonnes  ne 
sont  pas  redoublées  au  commencement  du  mot.  Cette  orthographe  est- 
elle  bien  d'accord  avec  la  prononciation,  ou  des  formes  isolées  comme 
s'haffunl,  p.  69,  ne  seraient-elles  pas  une  trace  de  la  véritable  pronon- 
ciation ? 

D'ailleurs  le  florentin,  dans  les  mêmes  conditions,  ne  connaît  pas 
seulement  des  modifications  quantitatives^  il  en  a  aussi  de  qualitatives, 
savoir  : 

i)  C  en  position  faible  est  changé  en  forte  aspiration',  p.  ex.  il  carallo, 
mais  questo  havallo,  in  croce,  maïs  la  hroce,  parti  contenta,  mais  sono  hontcnto. 
On  retrouve  la  même  chose  à  la  médiale,  c'est-à-dire  que  le  c  est,  comme 
on  dit  improprement,  aspiré,  quand  il  n'est  pas  double  ou  précédé  d'une 
consonne.  Le  prof.  Vescovi  (Fanfani,  Voc.  deW  uso  tosc,  p.  771  ss.) 
n'a  donc  pas  tout  à  fait  tort,  quand  il  dit,  pour  défendre  la  fameuse 
gorgia  fiorentina,  qu'elle  provient  d'une  loi  qui  règne  généralement  en 
Italie.  Au  reste  les  Florentins  ne  sont  pas  les  seuls  qui  souffrent  de  cette 
gorgia;  d'autres  Toscans  en  sont  affectés,  mais  à  Lucques,  à  l'ise,  à 
Livourne,  à  Pistoja  et  ailleurs  le  c  disparaît  tout  à  fait  :  pour  questo 
cavallo,  on  dit  questo  avallo,  pour  la  croce,  on  dit  la  rocc,  etc.;  de  même 
qu'au  milieu  des  mots  cuoo,  dio,  neviarc  =  cuoco,  dico,  ncvicare.  C'est 
du  moins  ce  que  dit  Fanfani,  /. /.  p.  I9^  Mais  G.  Gigli.dans  son  Vocabo- 
lario  gatcriniano,  dit  de  Pistoja  .•  u  Questa  non  ha  gorgia,  se  non  insen- 
sibile,  »  et  de  Pise  :  «  Pare  a  taluno,  che  al  volgo  siasi  attaccata  alcuna 

1.  Ascoli  (Corsi  di  glotlologia,  I,  25  n.  0  'a  désigne  comme  scmplicc  spiiito 
aspro,  mais  ailleurs  (Aichivio  glottologico  iuluino,  l,  p.  XLV)  comme  continua  soi  Jj 
de  l'ordre  des  gutturales,  analogue  au  ch  allemand  dans  Liclicn. 


22  H.  SCHUCHARDT 

cosa  di  Rorgia,  ma  i  Pisani  dicono  esser  quella  /'quando  pur  sia)  gorgia 
venerabile,  etc.  »  (Fanfani,  p.  760  ss.).  A  Sienne  et  à  Volterra,  \a  gor- 
gia est  inconnue.  D'après  Vescovi  on  n'aspire  pas  seulement  le  c  mais 
encore  le  g  (mais  je  manque  tout  à  fait  de  renseignements  sur  ce  point) . 

2)  Le  cet  le  g  en  position  faible  se  prononcent  sans  la  clôture  dentale, 
p.  ex.  divien  célèbre,  mais  presque  uomo  scelebre,  gran  gelo,  mais  presque 
molîo  zelo  :  car  ces  deux  sons  faibles  ne  sont  pas  tout  à  fait  iden- 
tifiés aux  français  cli,  j  ;  on  les  désigne  seulement  comme  en  étant  très- 
rapprochés;  d'après  Ascoli  (Corsi  di  glotîologia,  I,  22),  ils  s'en  distin- 
guent «  sol  per  minore  stretta  orale.  »  La  même  chose  s'observe  à  la 
médiale. 

3)  Le  V  en  position  faible  disparaît  complètement,  mais,  tandis  que 
les  autres  modifications  se  produisent  même  dans  le  langage  des 
gens  cultivés,  cette  dernière  appartient  à  la  langue  de  la  plus  basse 
classe,  telle  que  nous  la  représentent  les  Sclierzi  comicidi  Gio.  Batt.  Zan- 
noni  (éd.  de  Milan,  1850).  On  dit  anda  via,  par  vero,  mais  mi  enne, 
la  ia,  de  même  à  la  médiale  caallo ,  laoro,  proo.  Dans  le  texte  de  Zannoni 
que  j'ai  sous  les  yeux,  il  règne  une  extrême  inconséquence  ;  la  langue  lit- 
téraire induit  souvent  à  mettre  un  v  là  où  il  devrait  manquer,  surtout 
dans  les  formes  du  verbe  volé,  p.  ex.  :  i'  adia,  /'  eggo,  i'  enissi,  i'  oglia 
et  à  côté  i'  vo,  i'  voglio^  i'  vorre,  V  vo'  ;  e'  vadia,  e'  enga,  é*  endea,  e'  enissi, 
e'  oie,  et  à  côté  e'  voil,  e'  voilse,  e'  vorrà;  la  a  —la  va  (cela  va),  la  erità 
—  la  verità,  to'  antaggio  —  îo'  villanaccio,  do  oitte  —  do  vorîe  ( —  due 
volté),  etc.  Ve  =  vi  persiste  toujours.  Cette  particularité  non  plus  n'est 
pas  restreinte  à  Florence.  Dans  les  poésies  de  Billi,  en  dialecte  chiana- 
juolo,  la  chute  du  v  se  remarque  dans  les  formes  de  volere  dans  lesquelles  le 
radical  n'a  pas  l'accent,  ainsi  c/2'  olete,  ch'  olesse,  ci'uribbe,  m'urristi  (mais 
vurrimmo,  nun  vurrï,  che  vurrlj  ;  et  en  outre  gli  occhêbili  (vocaboli)  et  ia 
(via  !)  Au  reste,  dans  le  chianajiiolo  tout  à  fait  comme  dans  l'italien  du 
sud,  il  y  a  quelques  mots  qui  offrent  à  l'initiale  g,  g/u' =  ital,  g  —  /,  sans 
que  la  finale  du  mot  précédent  paraisse  y  être  pour  rien,  aussi  a  Ghisù  et 
de  Ghisù,  con.  ghiustiziaet  laghiustizia,  elghiudisio,  gran  Ghiesafatte  (=  Jo- 
saphat). 

Je  dois  insérer  ici  une  remarque  qui  est  d'une  portée  générale,  mais 
qui  s'applique  surtout  au  sarde.  A  regarder  les  choses  de  près,  on  a  en 
florentin  vulgaire  non  point  andà  via  et  la  ia,  mais  andà  vvia  et  la  ia,  en 
face  l'un  de  l'autre.  Dans  la  position  forte,  ce  renforcement  se  produit 
même  dans  la  langue  des  gens  cultivés.  Mais  là  où  s"ofFre  une  opposition 
qualitative,  je  n'ai  point  eu  d'égard  à  ces  renforcements  quantitatifs,  parce 
que  presque  toutes  les  indications  manquent  sur  ce  point  et  qu'il  est 
bien  difficile  de  saisir  à  l'initiale  le  son  renforcé  quand  le  son  primitif 
n'existe  pas  à  côté  de  lui  pour  le  faire  ressortir.  Bonaparte,  1.  1.,  p.  XI, 


PHONÉTIQUE    COMPARÉE  2] 

dit  qu'à  Logudoro,  dans  Quantos  dinaris  en  face  de  meda  inari^  «  d 
non  solo  si  fa  sentire,  ma  esige  pronunzia  forte  di  doppio  d  ;  ;>  c'est  que 
d  fort  était  ici  plus  sensible,  parce  que  le  d  ordinaire  se  maintient  habi- 
tuellement dans  la  position  faible.  Le  florentin  des  gens  cultivés  a  pro- 
prement, non  point  deux^,  mais  trois  prononciations  du  c  initial,  puisque 
—  même  si  l'opinion,  citée  plus  haut,  de  Vescovi  est  juste  —  la  ténue 
ne  peut  pourtant  point  être  allongée  après  une  consonne  :  a  ccavallo,  il 
cavallo,  questo  havallo  ;  Lucques  n'en  a  que  deux  :  a  cavallo,  il  cavallo, 
questo  avallo. 

Dans  le  dialecte  de  la  Sabine  régnent,  autant  que  je  puis  le  voir,  les 
mêmes  conditions  qu'en  toscan.  Dans  les  Poésie  di  Loreto  Mattei  patrizio 
Reatino  nato  nell'  anno  1615  ^  i^orto  170s  (sec.  ediz.,  Rieti  1857), 
les  changements  qualitatifs  sont  seuls  indiqués;  v,  d,  g  tombent  dans  la 
position  faible,  p  dans  la  position  forte  devient  b,  p.  ex.  quae  [qualche) 
bota — onne  ota,  piii  de  illu  —  iia  e  igné  (de  v.),  metterianu  ola  —  a  gustu, 
tout  à  fait  comme  à  la  médiale  laa,  troanu  —  beneeiîa,  ciitaini  —  litià, 
maazzini  —  sbariu,  sbeglià.  Le  b  originaire  persiste  d'habitude  à  la  posi- 
tion faible,  cependant  on  a  occa,  otte.  Vse  rencontre  quelquefois  écrit  dans 
l'une  et  l'autre  position  'è  rero,  te  vea)  ;  mais  à  l'exception  de  re  (ital. 
vi)  et  peut-être  de  mots  comme  virli-varli,  cette  notation  est  sans  doute 
fautive.  On  remarque  de  nombreuses  inconséquences,  comme  onne  doe 
[ogni  dove),  onne  guisa  à  côté  de  onne  ota,  onne  i  —  ugni  ï  [di),  — 
au  commencement  d'une  phrase  ou  d'un  vers  inii,  ice  mais  ba,  boglio, 
etc.,  fa  otà,  fa  ennetta,  po  eni,  mais  sa  de,  se  icc,  mais  se  bo'  (hypoth.), 
sempre  ba,  sempre  bo,  ail'  antri  baie,  quanti  bo,  sdiiini  bo',  è  rannc,  sa 
rasse  [gr.),  a  ccrinà  (decl.),  etc. 

Rome  s'accorde  assez  bien  avec  la  Toscane  en  ce  qui  touche  les  chan- 
gements quantitatifs.  Dans  les  Poésie  inédite  di  Giuseppe  Gioachino 
Belli  romane  (Roma  i86-$-i866,  4  vol.),  ils  sont  désignés  plus  soi- 
gneusement que  dans  aucun  autre  texte  patois  que  je  connaisse,  ce  qui 
n'empêche  pas  naturellement  le  livre  de  fourmiller  d'inconséquences  qui 
laissent  partout  place  au  doute.  Le  redoublement  n'a  lieu  qu'après  les 
voyelles  et  non  après  les  consonnes  (si  ce  n'est  exceptionnellement, 
p.  ex.  bbun!  sscnto,  III,  176),  ni  au  commencement  du  vers.  Dans  le 
corps  du  vers  on  n'a  point  égard  à  la  ponctuation,  p.  ex.  Ctii  è  ?  — 
Sso  io.  Les  infinitifs  devenus  paroxytons,  comme  esse,  mette,  ride,  ne 
renforcent  pas  ;  da  se  comporte  comme  de  et  non  comme  a  \dafd,  da  yoi\. 
Après  nu,  tu,  su,  du,  etc.,  il  n'y  a,  en  règle  générale,  pas  de  redou- 
blement, mais  il  y  en  a  un  après  les  interjections,  même  quand  leur  pro- 
nonciation allongée  est  expressément  notée,  ainsi  ult  cclie,  ah  !  ccaroiina 
eh?  rrisponna,  noo,  nnu  (cf.  lo  soo,  tutta,  III,  242).  A  côté  du  renforce- 
ment facultatif,  nous  rencontrons  aussi  en  romain  un  renforcement  absolu, 


24  H.  SCHUCHARDT 

savoir  :  i  )  pour  tout  b  initial  :  hbasta,  in  bbusila,  la  bbumba;  et  aussi  réguliè- 
rement à  la  médiale  :  gabbdla,nohbilc,  subbito;  2;  pour  tout /^'  initial,  ainsi 
Già,  buttata  ggià  (après  les  consonnes  on  écrit  d'habitude  un  g  simple  :  er 
giorno);  à  la  médiale  régulièrement  :  diggiuno,  orloggio,  preggiudizio, 
etc.;  5)  pour  y  initial  le  plus  souvent,  ainsi:  sîajjoja,  mi' jjela,  disse  jjeri, 
mais  au  commencement  de  la  phrase  Jcrsera  (cf.  —  ajjuîo);  le  j  de  je  = 
gli  n'est  redoublé  que  conditionnellement;  4)  pour  tout  gn  initial,  ainsi  : 
Ggncnte,  arza  ggnisempre,  à  la  médiale  régulièrement  :  gruggno,  maggnate, 
piaggnc,  etc.  ;  5)  dans  une  série  de  mots  isolés  commeccusi,  cquà,  lia,  lïi, 
ppiù  et  Ddio  dont  il  a  été  parlé  plus  haut.  On  a  aussi  vergine  Mmaria,  I, 
559,  II,  186.  187,  mais  Santa  Maria,  de  Maria.  VI  de  l'article  n'est  pas 
redoublée  après  les  prépositions  [a  la,  su  la,  ira  li),  mais  elle  l'est 
d'ailleurs  [che  II'  oste,  maggnà  lli  fichi,  pijjà  II'  aco)  ;  mais  des  deux  parts 
les  exceptions  sont  assez  nombreuses  pour  inspirer  quelques  soupçons 
sur  la  solidité  de  cette  règle.  —  De  modifications  quantitatives,  le 
romain  ne  connaît  proprement  qu'une  :  le  c  palatal  en  position  faible 
descend  à  s,  p.  ex.  gaîta  sciccca,  me  sce  vo  (comme  à  la  médiale  capasce, 
fesce)  '.  Pour  distinguer  de  ce  s  =  c  le  s  ital.  commun,  on  écrit  ce  der- 
nier ssc,  p.  ex.  ve  ssclojjo,  pozzo  sscerne  (et  à  la  médiale  e^^ce,  fasscia).  Le 
renforcement  de  1'^  en  z  n'a  lieu  qu'après  des  consonnes,  p.  ex.  er  zole, 
in  zaccoccia  (et  à  la  médiale  corzo,  Monzu).  Le  romain  du  moyen-âge 
connaissait  encore  entre  autres  l'échange  entre  b  et  v. 

La  façon  dont  le  napolitain  traite  l'initiale  est  très-remarquable,  Ce 
que  l'abbé  Galiani  a  dit  à  ce  sujet  dans  son  ouvrage  souvent  cité  {Del 
dialctto  napoleîano,  ir^éd.  1779,  2' éd.  1789,  3^  éd.  1827),  est  non- 
seulement  incomplet,  mais  encore,  comme  beaucoup  d'autres  endroits  de 
son  ouvrage,  inexact  et  faux,  et  ne  mérite  pas  la  réfutation  dont  le  doc- 
teur Carmeniello  a  gratifié  l'abbate  Strunzillo  (imprimée  avec  l'écrit  de 
Galiani,  dans  la  Scdta  di  scritîori  ne'  dialetîi  del  rcgno  délie  due  Sicilie, 
vol.  I.  Napoli  1827),  sans  donner  lui-même  à  la  vérité  des  renseigne- 
ments meilleurs  ni  plus  complets.  Wentrup  (^Contributions  à  la  connais- 
sance du  dialecte  napolitain,  Wittenberg  1855),  bien  qu'il  soit  resté 
longtemps  sur  les  lieux,  ne  remarque  rien  à  ce  propos.  J'ai  parcouru  une 
série  de  textes  anciens  et  nouveaux,  mais  l'orthographe  en  est  au  plus 
haut  degré  défectueuse  et  contradictoire  2.  Au  reste  la  phonétique  napo- 


1.  D'après  L.  Morandi  (Duccsnto  sonetti  in  dialctto  romancsco  di  G.  G.  BelU 
Firenze  1870,  p.  97),  cet  se  doit  se  prononcer  «  con  uno  strisciamenlo  piano  ed 
uguale  in  tutta  la  sillaba,  non  con  quel  colpo  aspro  che  si  suol  dar  loro  nella 
lingua  comune,  ne  tampoco  cosl  dolce  che  somigli  al  g,  francese.  » 

2.  Fasano  songeait  déjà  à  noter  le  renforcement  quantitatif.  Il  dit  dans  la 
prélace  de  son  Tasso  napolctano  (Napoli  1689)  :  «  E  ttanto  è  bero  che  ppuro  a 
li  primme  conte  n'  havimmo  assarvato,  ch'  appriesso  la  eo  verboo  cognionzione 


PHONÉTIQUE   COMPARÉE  25 

litaine  offre,  dans  son  ensemble,  une  telle  masse  de  difficultés,  qu'on  doit 
vivement  souhaiter  qu'une  étude  approfondie  et  méthodique  en  soit  faite 
par  une  personne  compétente  du  pays  même.  Dans  l'attente  d'un  travail 
de  ce  genre,  je  me  restreins  absolument  aux  points  les  plus  essentiels. 

Le  napolitain  diffère  d'abord  assez  notablement  du  florentin  en  ce 
qui  concerne  les  conditions  du  renforcement.  Il  ne  se  produit  pas  après 
toute  une  série  de  monosyllabes  p.  ex.  après  ca  =  (jua  (qui  occupe  géné- 
ralement la  place  de  l'ital.  che),  chi  (=  cjui,  quis;  che  =  (juod,  quid 
renforce),  da  (mais  il  a  lieu  après  a,  co,  pe],  ma,  mo  [mo  va  =  riét.  mo 
ba),  0,  si  fhypoîh.),  tu.  Po  {=  poî)  a  perdu  une  voyelle  finale  et  rentre 
donc  dans  la  même  catégorie  que  Di  =  Dio,  Si  =  Sià  l'Signore),  qui  ne 
renforcent  pas  davantage.  Les  formes  verbales  monosyllabiques  ont  une 
vertu  inégale  :  le  renforcement  se  produit  sûrement  après  è,  ha,  je  pense 
aussi  après  so  'sum,  sunt),fu.  Pour  d'autres  je  suis  dans  le  doute;  on 
m'assure  que  po  et  stà  renforcent,  mais  non  vo  et /à,  ainsi,  p.  ex.  ce  po 
ghi,  mais  ce  va  jl  (ire). 

Il  faut  remarquer  par-dessus  tout  les  formes  dérivées  de  illc  :  i)  lo  a) 
=  illo  (illum)  ne  renforce  ni  comme  article  ni  comme  pronom,  ainsi 
lo  figlio,  lo  voglio  vedè  (illum  volo  viderc),  b)  =  illiid  (le  d  agit)  renforce 
aussi  bien  comme  article  (avec  un  infinitif  pris  substantivement  ou  un 
adjectif  de  sens  neutre)  que  comme  pronom,  ainsi  lo  bolè,  lo  bcro,  lo 
ccome,  lo  boglio  vedè  [illud  volo  videre);  —  2)  le  a)  =ital.  gli  =  illi,  illis 
(dat.  sg.  et  pi.),  ne  renforce  pas,  p.  ex.  i'  le  facive  sape;  h]  =  illos, 
nias,  comme  pronom  renforce,  p.  ex.  /'  le  ffacive  vedè;  c)  =  illae commç. 
article  renforce,  p.  ex. /c//îg//c  (les  filles  mais //^g/i>  (les  fils)  ou  plutôt 
d'après  la  prononciation  habituelle  (comme  dans  ces  formes  1'/  tombe 
d'habitude  et  Vc  féminin  sonne  comme  /)  i  ffiglic,  i  figlic,  si  bien  que  la 
distinction  si  essentielle  des  genres  reste  exclusivement  confiée  ù  l'ini- 
tiale. Il  est  possible  que  le  corresponde,  non  point  comme  on  l'a  admis 
jusqu'à  présent  à  illac,  mais  à  illas,  et  que  le  renforcement  soit  dû  A 
l'influence  de  1':?,  ce  qui  apporterait  un  appui  inattendu  à  l'hypothèse 
d'Ad.  Tobler  sur  la  formation  du  pluriel  italien  (au  moins  pour  la  pre- 
mière déclinaison);  —  3)  la==ilLi  (illam)  ne  renforce  ni  comme  article 
ni  comme  pronom  :  la  varca  fplur.  le  barchc),  la  fa  (plur.  le  J)a).  Le  ren- 
forcement de  l'initiale  se  produit  aussi  après  sso,  sto,  plur.  ssc,  stc,  pour 
distinguer  le  neutre  et  le  féminin  du  masculin,  et  même  après  des  pro- 
noms et  des  adjectifs  polysyllabes  :  chclle  bcspc,  clicW  autc  ghiojc,  ccrtc 
becchic  {=  cerîae  vetulae ,  Valentino  La  Meza Canna  1,  s  ^,  2;  cicrtc  viccchic 
—  ccrîi  vetuli,  ibid.,  IV,  121,   2).  Je  remarque  en  outre  qu'il  y  a  ren- 

che  ssia,  sempe  qu;ise  abbesogna  arrcddoppiare  le  lettere,  c  accossi  a  II'  ha, 
comme  a  rritta,  a  mmanca.  » 


26  H.  SCHUCHARDT 

forcement  après  o,c;/;c ,  comme  après  qnarche.  Parmi  les  polysyllabes 
oxytons,  les  infinitifs  abrégés  comme  'mbroglià,  sapé  ne  produisent  pas  de 
renforcement.  Après  des  mots  terminés  par  une  consonne,  au  moins  après 
gran  et  non,  je  trouve  la  consonne  forte,  p.  ex.  gran  glnudizio  —  gra 
ghiudizio,  non  boglio  =  no  boglio. 

Outre  les  modifications  quantitatives  le  napolitain  en  connaît  trois 
qualitatives  :  v  se  renforce  en  b,  g  en  ghi  (g),  d  s'affaiblit  en  r  douce 
(cf.  à  la  médiale  sbanl,  nghianarejare  de  janara  (sorcière),  virc=  vides). 
Sur  V  —  b\\  n'y  a  rien  à  dire,  si  ce  n'est  que  v  dans  beaucoup  de  mots  répond 
étymologiquement  à  b,  comme  dans  varia,  vasso,  vraccio,  etc.;  on  pour- 
rait aussi  bien  admettre,  au  lieu  d'un  renforcement,  un  affaiblissement  du 
^  en  V  qui  n'aurait  atteint  qu'une  partie  des  mots  commençant  par  b. 
On  voit  ici  un  acheminement  vers  la  confusion  complète  du  v  et  du  b 
qui,  en  sarde,  a  gagné  beaucoup  plus  de  terrain.  De  même  que  dans  la 
série  labiale,  la  fricative  sonore  a  passé  à  l'explosive  sonore  aussi  dans 
la  série  gutturale  ou  plus  précisément  palatale.  A  la  fricative;  correspond 
une  explosive  que  Brùcke  désigne  par  g'  et  qu'on  entend  par  ex.  dans 
l'italien  ghirlanda.  Si  ce  g'  se  trouve  immédiatement  devant  une  voyelle 
obscure,  un  /  fugitif  s'intercale  entre  deux  ;  ainsi  ghï  —  jl,  ghiuorno 
—  juorno.  Ce  ghiuorno  est  exactement  l'ancienne  forme  de  l'italien 
giorno.  De  gj  est  venu  dj,  dz.  Vr  douce  représente  la  fricative  dentale 
sonore,  avec  laquelle  elle  a  la  plus  étroite  parenté.  Je  rappellerai  ici  Vr 
ombrienne,  et  ce  son  du  frison  de  Sylt  qui  est  intermédiaire  entre  r  et 
i  ;  les  indigènes  eux-mêmes  ne  savent  s'ils  doivent  écrire  bruar  ou  bruai 
le  mot  qui  répond  à  l'allemand  Brod.  Vr  espagnole  entre  voyelles  a  un 
son  chuchoté  analogue  (cf.  ti  =  r  à  Montpellier,  Revue  des  langues 
romanes,  I,  123). 

J'ai  déjà  cité  plus  haut  des  exemples  du  renforcement  absolu  de  l'ini- 
tiale en  napolitain;  quelques-uns  ne  sont  point  fondés  sur  l'étymologie, 
comme  rrè,  rroba,  mnialora,  mme,  etc.  ;  b  particulièrement  se  trouve  sou- 
vent redoublé  dans  la  position  faible.  La  prononciation  forte  de  cette 
consonne  est-elle  ici  générale  comme  à  Rome  .?  L'article  et  le  pro- 
nom apostrophés  sont  d'habitude  écrits  avec  /  double  :  //'. 

Les  autres  dialectes  du  sud  de  l'Italie  continentale  sont  essentiellement 
d'accord  avec  le  napolitain.  Les  renseignements  sûrs  font  encore  plus 
défaut  ici.  Dans  la  préface  à&iCanti  dellc provincie  meridionali  raccolti  da 
Antonio  Casctti  c  Vittorio  Inibriani  (vol.  L  Torino  1871],  on  lit  p.  VI  s.  : 
<c  Ne  dialetti  napoletano  e  leccese  è  invalsa  un'  ortografia  mostruosa, 
^  barbarica,  che  si  direbbe  inventata  apposta  per  annaspar  la  vista,  ripro- 
vatissima  dal  Galiani  :  quando  la  consonante  in  principio  di  vocabolo  è 
pronunziata  piij  forte  del  solito  per  via  délia  parola  précédente,  la  si 
scrive  doppia.  Anche  in  Italiano  le  consonanti  iniziali  si  pronunziano  per 


PHONÉTIQUE   COMPARÉE  27 

eufonia  quando  scempie,  quando  reduplicate;  ma  si  scrivono  sempre  a 
un  modo.  Noi,  per  regda.  abbiamo  ripudiata  questa  barbarie  ;  ma  la  forza 
dell'  abitudine  ci  ha  fatto  cascare  in  essaripetute  volte,  malgrado  il  fermo 
proposito  di  smetterla.  Di  alcune  parole,  inalcuni  dialetti,  abbiamo  sem- 
pre scritta  doppiala  consonanteiniziale;peresempio,inpartenopeo,m/ne, 
mmio,  ppà  (per),  cchiù,  sse  {se),  cce'  [quà],  etc.  » 

D'après  ce  que  j'ai  dit  pius  haut,  je  ne  puis  partager  l'opinion  des 
éditeurs,  et  je  trouve  particulièrement  qu'ils  ont  tort  de  s'appuyer  sur 
l'autorité  de  Galiani.  Mais  les  changements  qualitatifs  eux-mêmes  ne 
paraissent  point  indiqués  dans  cette  publication  avec  le  soin  désirable. 
V  en  position  faible  tombe  le  plus  souvent,  tout  à  fait  comme  en  sarde  : 
ainsi  dans  le  dialecte  de  Nardo  (terre  d'Otrante), /a '/fà,  diddo'ieni, 
eu  ci  'uei  (con  dû  vuo),  à  côté  de  si'  binutu  isei  )'.),  pi'  bisitare,  nu'  bo- 
ghiu  'nonvoglio).  Cependant  ici  ;^  se  montre  souvent  tant  à  la  position 
forte  qu'à  la  faible,  p.  ex.  a  voi,  me  vueri. 

Pour  ce  qui  concerne  le  dialecte  de  Lecce,  nous  possédons  un  con- 
trôle pour  la  représentation  donnée  par  la  Raccolta  dans  les  Puesei 
a  lingua  leccesc  de  lu  Franciscantoni  d'Amelio  de  Lecce  fLecce  i8p^:.  Le  v 
initial  est  très-fréquent  dans  la  Raccolta  et  tout  à  fait  exceptionnel 
ici.  Il  faut  que  le  commencement  du  vers  et  de  la  phrase  ait  dans 
ce  dialecte  la  valeur  de  la  position  faible  :  nous  trouvons  dans  nos 
deux  sources  Icnne  (venni),  Isciu  (vedo) ,  Ulia  [voleva),  Idi  (vedi), 
etc.  ;  mais  aussi,  dans  la  Raccolta,  Bisciu  (I,  26:?).  Il  n'est  point  rare 
de  rencontrer  un  renforcement  où  on  attendrait  un  affaiblissement, 
ainsi  cjuantu  bolii,  ci  me  bba  (se  mi  va),  fazzu  bidi,  macari  bai  (j)er  quan- 
to  vai).  Avec  nun  on  trouve  soit  nu  biddi,  nu  bogghiu,  soit  nu  mbiddi,  nu 
mbogghiu  (cf.  a  nibita  =  in  vita,  a  mbrazze  =  in  braccia').  Le  /'  origi- 
naire tombe  dans  beaucoup  de  cas,  p.  ex.  sutta'razzu,  fuesti'attuta,  li 
ueà  (buoi),  dojcrsi,  a  ddu  jancn.  Cette  chute  du  r  etdu  b  à  la  position  faible 
a  eu  pour  conséquence  ici  comme  en  sarde  que  souvent  à  la  position 
forte  on  a  préposé  un  ^  à  des  voyelles  initiales,  ainsi  cchiù  kiuta  (alta), 
già  bansaà  (alzà),  e  barde,  e  beoue  bete  (et  est),  eu  bincliia  (quod  impkbat), 
e  bulie  (ulivé),  su  bunte,  (on  retrouve  la  même  chose  ailleurs,  p.  ex.  dans 
un  spécimen  du  patois  de  Bagnoli  Irpino,  Principato  ulteriore  :  a  Bot- 
taiano);  cf.  la  prosthèse  du  r  dans  le  nap.  raio,  rccco,  etc. 

L'échange  entre  d  et  r  s'étend  aussi  sur  un  vaste  territoire.  Je  cite 
quelques  exemples  tirés  de  textes  de  Spinoso  (Basilicate):  Rona,  Ruormi, 
Rinaro,  li  rissi,  tu  ruormi,  lo  rico  (lo  neutre,  ma  ri  billczze  —  c  dici,  li 
donne,  fa  danno,  cchiù  di  n'nno,  cci  dici  (che  d.  .<').  Ainsi  ce  vers  :  «  Ti 
l'aggio  ritto  e  ti  lu  tornu  a  dice  ;  »  mais  :  «  mmien/.u  a  ri  li  stelle  », 
<(  vai  a  chiesa  a  ra  spusare  »,  «  nun  ti  fa  venccti  ra  lu  suonno  »,  «  nun 
ti  pozzo  luvare  a  ra  la  mente.  »  Dans  e  diposo  {Race.  I,  101)  on  a  d 
en  position  forte  pour  r  originaire. 


28  H.  SCHUCHARDT 

C'est  sur  l'échange  entre  ghi  et  /  qu'il  est  le  plus  difficile  d'être 
éclairé  ;  en  effet,  nous  trouvons  souvent  ghi  d'une  part  en  position  faible 
et  d'autre  part  pour  un  y  non  originaire,  p.  ex.  cchiù  ghianca  (I,  3$ 
Spinoso;,  la  ghiunda  (I,  266,  Carpignano  Salentino)  =junda  ou,  comme 
on  trouve  souvent  ailleurs,  unda.  La  prosthèse  du  ;  est  fréquente  dans  d'au- 
tres dialectes  (même  en  dehors  du  sud  de  l'Italie),  par  ex.  dans  celui  de 
Bari:  jacque  iacqaa),  janne  (anni),  jedde  [ellaj,  josce  {oggi],jorfanicdde 
(orfanellij,  etc.  (Rime  italiane  baresi  di  Francesco  Savcrio  Abbrescia  Bari 
1848J.  Cette  prosthèse  du  /  n'aurait-elle  pas  été  autrefois  déterminée  par 
certaines  conditions  ?  —  Il  y  a  encore  une  modification  de  l'initiale  qu'on 
peut  supposer  plutôt  que  constater  :  c'est  la  chute  du  g  en  position 
faible,  surtout  devant  r  et  u  suivi  d'une  voyelle,  p.  ex.  nu  aroflo,  U 
addhl  {galli),  cornu  ranu,  na  ratia,  milli  uardie,  gll  uasta  (comme  à  la 
médiale  preu  ou  prehu,  fatlhano,  etc.,  et  même  Marharita,  I,  211);  mais 
aussi  è  randc,  etc.  Je  ramènerais  au  même  phénomène  la  prosthèse  du  g 
qu'affectionnent  plusieurs  dialectes  (p.  ex.  a  gara,  I,  127,  Santa  Croce 
di  Morcone,  je  gauto  =  è  alto,  I,  ^24,  Spinoso).  —  Je  ne  crois  point 
avoir  épuisé  le  nombre  des  modifications  qualitatives  que  présente  l'ita- 
lien du  sud.  Je  rappelle  encore  en  passant  cette  circonstance  remarquable 
que  m  =  n  assimile  en  b  non-seulement  un  v  suivant,  mais  encore  un  f, 
p.  ex.  à  Bari  mbaccie  mbronte  —  in  f.,  chimborme  ou  chiinporme —  conf., 
mbierne  —   inferno  (à  Spinoso  'mpierno),  cumhietto,  a  Chieti   umpcrn 

—  inf.,  etc. 

Dans  le  sicilien  nous  retrouvons  au  moins  les  trois  modifications 
qualitatives  du  napolitain,  surtout  les  deux  premières,  p.  ex.  eu  bdi,  a 
bidiri,  e  béni  ppi  ghiri,  min  ghiri,  è  ghianca;  seulement  les  conditions 
paraissent  un  peu  différemment  limitées.  Ainsi  après  les  formes  plu- 
rielles de  illc,  il  ne  se  produit  pas  de  renforcement  :  tu  i  viristi  (tu 
les  as  vues),  i  figghi  les  filles).  Ce  que  disent  là-dessus  Wentrup  dans 
son  mémoire  sur  le  sicilien  'Archiv  de  Herrig,  XXV)  et  Pitre  dans  le 
glossaire  de  ses  Canti  popolari  siciliani  (Palermo  1870-71)  est  tout  à 
fait  insuffisant.  Ici  aussi,  comme  dans  l'italien  du  sud  en  général,  on 
trouve  dans  toute  une  série  de  mots  le  renforcement  absolu  de  l'initiale, 
comme  cca,  cchiù,  cci,  nni,  etc. 

Le  corse,  qu'il  aurait  mieux  valu  peut-être  rattacher  au  sarde  septen- 
trional, peut  encore  trouver  une  mention  ici.  Il  présente  l'échange  de 
b  et  V,  ghi  et  y  dans  des  conditions  qui  paraissent  semblables  à  celles 
du  toscan,  p.  ex.  gran  birtà,  qualchc  boita,  tu  boli,  tra  bieini,  purtà  bia 

—  un  ghiornu,  ha  ghiudiziu,  a ghiente  fdatif,  mais  a  jentele  peuple),  per 
ghiuca,  ensl  ghientile  (comme  à  la  médiale  spcrghieura,  manghià,  ar- 
ghientu,  peghiu,  reghie).  Mais  dans  les  textes  que  j'ai  sous  les  yeux 
{Canti  popolari  corsi,  Bastia  1843.  —  Fée,  Voceri,  chants  populaires  de 
la  Corse.  Strasbourg  1850.  —  Mattei,  Pruverbj,  detti  e  niassime  corse. 


PHONÉTIQUE   COMPARÉE  2Çf 

Paris  1867),  il  y  a  trop  d'inconséquences  pour  que  j'essaie  d'entrer  ici 
dans  les  détails.  Ces  modifications  caractérisent  sinon  exclusivement,  au 
moins  particulièrement  le  corse  méridional;,  cf.  Mattei,  p.  XVI  s.  et  XII; 
il  dit  :  «  Au  Cap  Corse  on  appelle  encore  la  gorge  d'une  montagne 
a  Pinzu  a  Berghjne,  comme  on  le  dirait  à  Ajaccio,  parce  qu'il  s'agit  d'un 
nom  propre  qui  n'a  pas  changé  depuis  les  temps  primitifs;  tandis  que  dans 
tout  autre  occasion  les  Cap-corsins  disent  vergine  et  non  berghjne.  » 

Je  le  répète^  tous  ces  renseignements  sont  naturellement  défectueux 
et  même  en  partie  inexacts,  mais  il  faut  espérer,  avec  l'activité  linguisti- 
que qui  se  développe  aujourd'hui  en  Italie,  qu'il  se  trouvera  un  philologue 
pour  étudier  spécialement  ce  sujet.  Ce  qu'on  vient  de  lire  me  paraît 
suffisant  pour  établir  la  thèse  suivante  :  dans  les  dialectes  de  la  Sardaigne, 
du  centre  et  du  sud  de  l'Italie,  il  existe  pour  les  initiales  une  loi  en 
vertu  de  laquelle  chaque  consonne  se  présente  avec  une  double  forme, 
une  forte  et  une  faible  (qualitativement  ou  quantitativement),  et  qui  est 
essentiellement  d'accord  avec  la  loi  des  médiales.  Dans  ma  conviction 
cette  loi  a  régné  autrefois  aussi  dans  d'autres  parties  du  domaine  roman, 
peut-être  dans  le  roman  tout  entier.  Voyons  d'abord  l'Espagne.  Est-ce 
qu'on  n'a  pas  dû  dire  autrefois  la  rosa  et  au  pluriel  las  rrosas,  de  façon 
que  l'r  faible,  qui  ne  se  trouve  aujourd'hui  qu'à  la  médiale,  alternait  à 
l'initiale  avec  l'r  forte  .''  La  confusion  de  b  et  de  v,  qui  s'étend  au-delà 
des  Pyrénées  en  Gascogne  et  jusque  dans  le  haut  Languedoc  (Revue  des 
lang.  rotn.  I,  314),  indique  une  ancienne  distinction  entre  la  position 
faible  et  la  position  forte.  Nous  trouvons  trois  phases  successives  : 
\)  b  et  V  sont  nettement  distincts  et  leurs  modifications  se  font  dans  le 
même  sens,  p.  ex.  bove  —  vove,  vino  —  ino;  2)  b  et  j'  se  mêlent  en  ce  que 
leurs  modifications  se  croisent  :  b  kh  position  faible  s'affaiblit  ;  j^  à  la 
position  forte  se  renforce,  p.  ex.  bore — vove,  bino — i'//;oou  bien  bove—ovc, 
bino — ino;  comp.  le  sarde  et  l'italien  du  sud;  3)  la  distinction  entre  la 
position  faible  et  la  position  forte  disparaît  :  c'est  généralement  la  con- 
sonne forte  qui  persiste  seule,  p.  ex.  bove,  bino.  C'est  tout  à  fait  de 
même  qu'en  romain  le  b  allongé  a  conquis  aussi  la  position  faible,  et  est 
devenu  ainsi  l'initiale  universelle.  En  général  les  labiales  ont  plus  d'in- 
clination pour  la  prononciation  allongée  que  les  autres  consonnes,  dont 
le  lieu  d'articulation  est  placé  plus  en  arrière  dans  la  bouche.  L'm  longue 
aussi  est  favorisée  à  l'initiale  non  moins  qu'à  la  médiale.  Cet  échange 
capricieux  du  b  et  du  )'  que  nous  offrent  les  inscriptions  latines  des 
bas  temps,  et  qui  m'avait  toujours  semblé  assez  extraordinaire,  s'explique 
très-simplement  par  la  mobilité  de  l'initiale  sous  l'influence  de  la  finale 
précédente.  On  ne  peut  attendre  des  lapicides  ignorants  de  cette  époque 
l'observation  même  grossière  de  la  loi  d'après  laquelle  bel  r  alternaient 
l'un  avec  l'autre,  pas  plus  qu'il  ne  faut  la  demander  aux  scribes  bien  pos- 


^O  H.  SCHUCHARDT 

teneurs  des  chartes  de  la  Sardaigne  ou  de  l'Italie  méridionale.  Dans  les 
chartes  sardes  du  xii>-'  siècle,  par  exemple,  nous  trouvons  à  côté  l'une 
de  l'autre  des  formes  comme  custas  billas  et  custas  villas,  pro  boluntade  et 
cum  boluntade,  etc.  On  ne  reconnaît  qu'une  chose,  c'est  qu'il  ne  s'agit 
plus  ici  que  de  renforcement  du  v,  car  on  trouve  bien  d'ordinaire  b 
écrit  pour  v,  mais  non  l'inverse.  Le  même  arbitraire  règne  encore  dans 
les  statuts  beaucoup  plus  récents  de  Sassari  :  custos  gotales  et  custu 
goiale,  per  dcsîimognos  et  falso  dcstimongno,  etc.  Mais  le  ^  à  la  position 
faible  commençait  déjà  à  disparaître  :  à  côté  de  o  boqaier  (II,  xlvi. 
XLvii),  on  trouve  o  ochien  (III,  ii),  qui  oquinî  (II,  L,  etc.)  ^=  occid. 

H.  SCHUCHARDT. 

Halle,  août  187^. 


UGGERI   IL  DANESE 

NELLA  LETTERATURA  ROMANZESCA  DEGL'  ITALIANI. 


II 

Assai  più  che  le  prodezze  giovanili  di  Uggeri  si  andarono  ripetendo 
e  divulgando  in  Italia  le  vicende  délia  sua  virilità.  E  certo  non  senza 
ragione  :  le  prime  non  facevano  che  ammannire  in  nuova  forma  la  vec- 
chia  e  noiosa  storia  délia  lotta  fra  cristiani  e  saracini;  in  queste  invece 
si  contenevano  elementi  drammatici  in  grado  sommo,  atti  a  commuovere 
la  natura  umana  senza  distinzionediluogo,  di  tempo,  o  difede.  La  scelta 
appare  dunque  guidata  da  un  certo  senso  estetico,  che  nelle  prime  fasi 
del  periodo  italiano  sembra  davvero  aver  avuto  non  poca  efficacia  a 
rinvigorire  o  a  spegnere  la  vita  délie  narrazioni  venute  a  noi  d'oltre- 
monte.  E  dico  nelle  prime  fasi,  giacchè  questo  senso  poco  a  poco  si 
venne  corrompendo,  quantunque  non  cosî  presto  che  i  suoi  effetti  non 
si  facciano  sentire  anche  nel  tempo  délia  peggiore  degenerazione. 

In  luogo  di  un  solo,  questa  volta  tutti  e  tre  i  testi  che  ho  descritto 
nel  principio  devono  esser  presi  in  esame.  Abbiamo  dunque  tre  version! 
da  contrapporre  alla  francese ;  l'una  franco-italiana  (ms.  XIII  marc), 
toscane  le  altre  due  :  e  di  queste  ultime  in  prosa  l'una  (III"  libro  délie 
Storie  di  Rinaldo),  l'altra  in  ottava  rima  (primi  nove  canti  del  Danesé). 

Una  prima  occhiata  ai  contorni  mette  subito  in  evidenza  un  fatto  assai 
importante  :  i  tre  testi  italiani  hanno  comuni  molti  casi  che  la  Chevalerie 
Ogier  ignora,  ne  ignorano  un'  infmità  che  si  contengono  in  quella;  tutti  e 
tre  vengono  quindi  a  comporre  una  famiglia  a  parte,  che  appunto 
potremo  chiamare  la  famiglia  italiana.  K  in  questa  ancora  ci  si  viene 
ben  presto  a  manifestare  una  seconda  distinzione  :  i  rapporti  scambievoii 
délie  versioni  toscane  sono  di  gran  lunga  più  stretti  che  quelli  di  cia- 
scuna  délie  due  colla  franco-italiana  :  cosa  di  certo  che  non  sorprende. 
ma  che  tuttavia  avrà  da  essere  uno  dei  punti  su  cui  maggiormente  si 
dovranno  rivolgere  le  indagini  critiche  di  questo  mio  studio. 

Le  troppo  gravi  differenze  délia  famiglia  italiana  da  tutto  il  resto  délia 
stirpe  non  mi  permettono  di  cominciare  altrimenti  ciie  coll'  analisi  di 


p  p.    RAJNA 

uno  tra  i  nostri  testi;  solo  dopo  di  ci6  riusciranno  possibili  le  compara- 
zioni.  Ma  si  puô  dubitare  a  quale  di  essi  convenga  dare  la  preferenza; 
giacchè  la  maggiore  antichità,  cheporterebbeallascelta  délia  compilazione 
franco-italiana,  non  puô  valere  per  un  criterio  irrefragabile.  Ragioni  a 
mio  giudizio  assai  gravi,  ma  che  non  potranno  apparire  chiaramente  se 
non  quando  la  questione  sia  slata  svolta,  m'inducono  a  condurre  il  mio  sunto 
sul  testo  in  oltava  rima,  quale  è  dato  dai  mss.  fiorentini.  Cosî  facendo 
oltengo  anche  il  vantaggio,  certo  non  ispregevole,  di  far  conoscere  un' 
opéra  popolare  che  va  noverata  tra  le  migliori  o  le  meno  peggio  del  suo 
génère,  sopratutto  per  ciô  che  spetta  ail'  efficacia  del  sentimento.  A  ri- 
sparmio  poi  di  spazio  e  di  tempo  soggiungerô  insieme  in  nota  i  luoghi 
délia  prosa  che  corrispondono  ai  tratti  che  citerô  dalla  rima,  in  maniera 
che  il  confronto  délie  parole  possa  farsi  fm  d'ora  senza  bisogno  di  ripeti- 
zioni. 

Il  poema  comincia  al  solito  con  un'  invocazione  sacra;  ma  ciô  che  qui 
v'ha  d'osservabile  si  è  una  classe  di  ascoltatori  di  cui  si  fa  menzione 
nella  prima  stanza  prima  di  rivolgere  qualche  parola  di  ammonimento 
alla  buona  gcnte,  che  costituiva  l'uditorio  consueto  dei  cantambanchi  : 

Donami  grazia  per  la  tua  piatade 
Ch'io  pos[s]a  dar  dilet[t]o  a'  tuo  pastori 
Che  a  udirmi  stanno  per  lor  cortesia' 
Per  discacciar  la  lor  malinconia. 

Carlomagno  tiene  corte  per  la  Pentecosta.  Alla  baronia  cosî  radunata 
egli  manifesta  che  Massimione^,  perfido  saracino  signore  di  Verona,  più 
non  manda  il  tributo,  e  che  dei  messi  nessuno  ritorna;  chiede  chi  voglia 
rinnovare  la  prova,  e  vede  tutti  star  zitti  per  paura.  Ma  se  gli  altri 
temono  non  teme  il  Danese,  che  spontaneamente  si  profïerisce,  soggiun- 
gendo  di  voler  menar  seco  Berlinghieri  suo  cognato.  E  questi  senza 
punto  titubare  si  dice  pronto  : 

Con  esso  te,  o  cavalier  possente, 
Intendo  senpre  vivere  e  morire. 

Carlo  allora,  dopo  averti  ringraziati,  commette  il  messaggio  : 

E  'I  Danese  rispose  :  E'  sarà  fatto  ; 
Ma  primamenle  vo'  far  teco  un  patte. 


1.  Le  prime  otto  stanze,  corne  già  avvertii  (V.  Romania  II  157)  sono  per- 
dute  nel  codice  magliabechiano.  Ne!  citare  i  passi  mi  attengo  il  più  che  posso 
alla  lezione  del  manoscritto  ,  ma  non  a  segno  da  riportare  versi  assolutamente 
errati.  Se  il  rimedio  è  subito  dato  dall'  omissione  di  qualche  vocale  d'uscita 
correggo  senz'  altro  ;  dove  sono  necessarie  mutazioni  più  gravi  do  in  nota  la 
lezione  scartata.  Qui  il  codice  aveva  che  a  udirmi  mi  staranno  per  la  lor  chor- 
îesia. 

2.  Il  cod.  laur.  scrive  Mansimione. 


UGGERI    IL    DANESE  55 

Tu  sai  che  Baldovin,  mio  caro  figlio, 
Rimarrà  sanza  padre  s'io  non  torno  ; 
Chi  sarà  sua  difesa  0  suo  consiglio  ? 
Prima  lo  vo'  saper  ch'  i'  vada  attorno. 
Alla  risposta  Carlo  diè  di  piglio  : 
lo  t'inprometto  che  la  notte  e  '\  giorno 
Senpre  starà  col  mio  figliuol  Carlotto  : 
Mai  non  gli  mancherà  solo  un  pilotto'. 

Cosi  confortato  e  salutata  la  moglie,  Uggeri  col  compagno  s'avvia, 
e  si  conduce  fin  presso  Brescia.  Qui  il  siniscalco  che  teneva  la  terra  per 
Massimione  vuol  toglier  loro  i  cavalli,  ed  è  ucciso  dal  Danese.  Di  poi 
giungono  aile  porte  di  Verona.  Uggeri  chiama  il  portinaio,  che  saputo 
il  suo  nome,  gli  passa  con  un  darde  la  coscia.  Cade  il  poveretto  ;  ma 
appena  si  puô  rialzare  chiama  di  nuovo  il  feritore,  che  imprudentemente 
si  affaccia  e  paga  le  pêne  colla  vita.  Il  Danese  crede  tuttavia  di  dover 
morire;  ma  asciugandogli  Berlinghieri  la  ferita  con  unfascio  d'erbe,  viene 
per  caso  a  trovarvesene  una  che  ha  virtii  di  far  stagnare  il  sangue.  S'ad- 
dormenta  allora  il  barone,  e  al  risvegliarsi  si  trova  guarito,  quando 
appunto  il  cognato  lo  piangeva  morto.  Ed  ecco  che  mentre  Berlinghieri 
va  in  cerca  del  cavallo,  il  Danese  sente  una  voce  domandargli  pietà  :  è 
una  fata  inseguita  da  un  follette.  Da  lei  richieste  egli  le  traccia  per 
ricovere  un  cerchie,  e  non  dà  ascolte  aile  parole  dell'  inseguitore.  Perô 
cestui  si  parte,  dope  di  che  anche  la  fata  si  allontana.  Raccontata  l'av- 
ventura  a  Berlinghieri,  il  Danese  si  apparecchia  a  entrare  con  lui  in 
Verena,  deve  con  Massimione  si  trova  anche  Lucane  re  di  Schiavonia, 
che  ha  promesse  in  isposa  al  tiranno  una  sua  serella.  E  non  è  piccela 
fortuna  per  gli  ambasciatori;  giacchè  propenendosi  Massimione  d'impic- 
carli,  Lucane  glielo  impedisce.  Vengono  dunque  i  bareni  di  Francia,  e 
Uggeri  espone  il  messaggie  colla  solitatemerità,  tante  che  il  saracine  non 
si  contiene  più,  e  cerca  impadronirsi  di  lui  per  mandarlo  aile  ferche.  Ma 
il  valere  del  Danese  per  una  parte,  (Canîo  II)  per  l'altra  la  fermezza  e 
lealtà  di  Lucane,  impediscone  che  la  cesa  abbia  effetto.  Massimione  allora 
offre  due  partiti  :  o  il  Danese  gli  dia  tre  colpi  di  spada,  sotto  pena  di  morte 
se  non  riesce  a  fargli  maie,  o  ne  riceva  egli  tre.  il  primo  partito  è  pre- 
scelte,  bencliè  assai  più  pericelose  che  non  paia;  giacchù  il  saracine 
indossa  armi  cesî  rebuste,  che  non  terne  di  nulla.  E  infatti  i  primi  due 


I.  F"  50  r«  :  «  Allora  el  Danese  s'  inginocchiô  e  disse  a  Carlo  :  Santa  corona, 
»  io  non  b  altro  figliuolo  che  Baldovino.  lo  lo  lascio  sanza  padre  per  fornire  la 
»  tua  bisognia.  Se  alcuno  maie  per  qucsta  andata  mon  advcnisseionon  ti  potrei 
»  mai  aniare;  insino  alla  niortte  sarei  tuo  nimico;  e  periS,  signiore,  io  ve  lo  rac- 
I)  comando.  Carlo  lo  abracciô  e  baciollo,  e  disscgii  :  Il  tuo  figliuolo  Baldovino 
»  mi  sarà  racomandato  quanto  il  mio  figliuolo  Carlotto,  e  senpre  insicme  si  sta- 
»  ranno.  » 

Romania,  III  3 


J4  P-   RAJNA 

colpi  riescono  vani  ;  ma  avanti  di  vibrare  il  terzo  Uggeri  si  raccomanda 
alla  Vergine.  Questa  manda  san  Giorgio,  che  aiuta  a  menare  la  spada, 
cosicchè  questa  volta  non  valgono  le  armature  e  Massimione  cade  morto. 
Lucano,  che  solo  tra  tutti  ha  visto  Papparizione,  ne  dà  conto  a!  Danese, 
e  manifesta  il  proposito  di  prendere  il  battesimo.  Senza  punto  tardare  i 
due  cristiani  corrono  la  terra  e  se  ne  fanno  padroni;  Lucano  corre  a 
Brescia,la  prendee  costringe  i  saracini  a  rinnegare  Maometto;  impadro- 
nitosi  poi  anche  di  Padova,  torna  a  Verona,  dove  è  accolto  con  festa 
da  Uggeri.  Si  avvertepoi  Desiderio,  che  subito  manda  vescovi  echierici, 
e  quindi  viene  egli  stesso.  Lucano  offre  la  sorella  al  Danese  ;  ma  avendo 
egli  altra  donna,  la  fanciulla  vien  fidanzata  a  Berlinghieri.  Allora 
i  pagani  si  battezzano.  Di  tutti  questi  successi  Uggeri  dà  conto  a  Carlo 
con  una  lettera,  in  cui  non  iscorda  di  raccomandare  di  nuovo  a  lui  e  ai 
suoi  baroni  il  figliuolo,  E  non  è  a  dire  se  l'imperatore  si  rallegri,  e  se 
mostri  affetto  e  faccia  onore  a  Baldovino  e  alla  madré  Ermellina;  tutta  la 
corte  è  in  festa,  e  con  danze,  canti,  suoni,  si  viene  manifestando  l'alle- 
grezza  universale.  Ma  se  gli  altri  gioiscono,  Gano  invece  si  addolora; 
nella  gloria  del  Danese  egli  vede  l'esaltazione  di  Rinaldo  e  dei  Chiara- 
montesi,  e  Pabbassamento  délia  sua  propria  stirpe.  Perfido  corn'  egli  è 
sempre,  chiama  Carlotto  e  gli  afferma  che  l'imperatore  ha  giurato  di 
lasciare  la  corona  a  Baldovino  : 

E  Carlotto  rispose  a  quel  tinore'  : 
A  Baldovin  senpre  amer  vo  portando  ; 
Contente  son  ch'  egli  abbia  questo  onore2. 

Pure  Gano  sa  vincere  questi  buoni  sentimenti  insinuandogli  che  sarebbe 
tenuto  bastardo,  e  dispostolo  ad  uccidere  Baldovino  gliene  suggerisce  il 
modo.  (C.  ///)  Vestitosi  a  bianco  con  cinquanta  donzelli  e  fatto  vestire 
'i  rosso  Baldovino  con  pari  brigata,  vada,  egli  dice,  a  S.  Dionigi  per 
^îô'étrare,  sotto  pretesto  di  far  onore  al  Danese.  Scontratosi  col  giovane 
compagno  si  lasci  poi  cadere  da  cavallo,  e  simulando  per  ciô  un  accesso 
d'ira,  lo  uccida  : 

Pc'  tene  vieni  a  me  sanza  temere  : 
lo  saprô  tante  cel  tue  padre  fare 
Ch'  io  ti  farô  quel  fallo  perdonare'. 

Il  disegno  è  messo  ad  esecuzione  e  le  due  brigate  dei  giovani  si  partono. 
E  in  quella  notte  Ermellina  è  turbata  da  un  sogno  funesto,  che  fa  si  ch'  ella 
si  desti  gridando  e  piangendo,  in  guisa  da  far  accorrere  Namo  suo  padre, 
e  molti  altri  baroni  e  dame.  Intanto  i  giostratori  giungono  a  S.  Dionigi  : 

1.  Il  cod.  a  que  tinori. 

2.  F"  52  v  :  «  Di  questo  son  io  centento,  se  piacie  a  Carlo.  » 

3 .  Ib.  :  «  E  poi  tene  vieni  a  casa  mia  ;  ed  io  farô  poi  la  pacie  trattè  e  Carllo.  » 


UGGERI    IL    DANESE  55 

Carlotto  noi  faciea  già  volentieri, 
E  ben  gli  dispiaciea  cotai  vivanda  ; 
Ma  tanto  Gano  1'  avea  consiglialo 
Che  fu  con  Baldovino  al  canpo  andato. 

Ma  nella  giostra  ogni  volta  che  Baldovino  s'incontra  con  Carlollo  lo 
schiva,  sicchè  questi  viene  al  maganzese  Ansuigi,  mandato  da  Gano  : 

Vedi  :  s'io  non  ci  avessi  altra  cagione 
lo  non  gli  farei  mai  tal  falligione'. 

Ansuigi  gli  fa  prendere  il  suo  cimiero  e  cosî  riesce  a  ottenere  che  il 
figliuolo  del  Danese  al  primo  incontro  lo  uni  e  lo  abbatta.  Il  cimiero  cade 
e  l'errore  si  fa  subito  manifeste;  perô  Baldovino  si  butta  ginocchione 
dinanzi  a  Carlotto, scusandosi  e  dicendogli  di  prendere  vendetta.  Allora  il 
figlio  di  Carlo,  istigato  da  Ansuigi, 

Dal  bello  inbusto  gli  tagliô  la  testa  2. 

Com'  è  ben  naturale  si  leva  gran  romore,  per  cui  Carlotto  non  tarda  a 
mettersi  in  salvo  con  Ansuigi 

A  una  terra  di  Gano  di  Maganza'. 
Il  cadavere,  posto  sopra  una  bara,  è  portato  a  Parigi  : 

La  trista  madré  non  sapea  il  tinore; 
Nel  suo  palagio  quel  di  si  danzava  *. 

Là  in  sulla  sala  è  recata  la  bara  : 

Come  fur  sulla  sala,  umile  e  piano 
Posar  quel  corpo  con  tormento  asai  ; 
Ciascun  credea  che  per  gabbo  si  faccia 
Per  contraffar  la  lesta  ella  bonaccia  : 

Onde  Ermellina  corse  a  quella  bara  ; 
Ridendo  la  scoperse,  i'  l'ô  saputo*. 

Alla  vista  del  figliuolo  ucciso  ella  tramortisce  e  cade;  Orlando  [;iur\» 
di  starsene  rinchiuso  fmchè  non  sia  punito  Carlotto  ;  Rinaldo  va  con  lui  ; 
e  Carlo,  che  non  era  ivi  présente,  risaputo  il  caso  funesto, 

A  piangier  cominciô  con  capo  chino  ; 
Di  testa  la  corona  si  cavône 
Diciendo:  Lasso  figliuol  di  Pipino! 
Di  portar  mai  corona  non  son  dengnio, 

1.  F"  53  r"  :  «  lo  non  voglio  seguitare  più  innanzi  questo  inalc.  Tu  vedi  che 
»  senpre  mi  riguarda.  » 

2.  Ib. 


}    Ib. 

4.  Ib. 

5.  Ib. 


((  Ellevùgli  la  testa  dallo  'nbusto.  » 
((  Andaronsenc  a  Fontieri.  » 


«  E  qui  s'  attciidcva  a  danzarc.  » 

«  E  quando  giunsono  ogniuno  scne  ridea  crcdendo  clic  lo  faciessono 
»  per  dare  sollazo  aile  donne,  come  si  ta  alcuna  volta  aile  teste.  E  ouando  posa- 
»  rono  la  bara  nel  mezû  délia  sala  ed  Ermellina  fu  la  prima  che  ridendo  corse  e 
1)  scopri  la  bara.  » 


JO  p.   RAJNA 

Perché  perduto  ô  si  franco  sostengnio. 
O  lasso  a  me!  corne  dirô  al  Danese 
Quando  mi  chiederà  il  suo  caro  figlio? 
O  lasso  a  me,  ch'  egli  à  quel  bel  paese 
Conquistato  con  suo  propio  consiglio! 
O  lasso  a  me!  Perché  tanto  palese 
A  guardar  Baldovin  diedidi  piglio? 
O  lasso  a  me!  che  potrà  dir  la  giente 
Del  tradimento  che  fatt'  ô  présente? 

Maledetto  sia  il  mese  ell'  ora'  e  '1  punto, 
0  figliuol  mio,  ched  io  t'ingienerai, 
Ch'  assî  duro  partito  son  qui  giunto  ! 
Tapino  a  me!  perché  non  t'afogai?* 

Gano,  malizioso,  cerca  d'insinuare  al  vecchio  imperatore  cheforse  il  torto 
venne  da  Baldovino  : 

Carlo  rispondez;  Non  mi  ragionare, 
Malvagio  uomo,  pien  di  ma!  latino, 
Perch'  io  vorrei  Carlotto  fosse  morto, 
Bench'  io  non  so  da  oui  si  venne  il  torto. 

Quindi  il  buon  vecchio  va  ad  Ermellina  e  manifesta  a  lei  pure  il  suo  pro- 
fonde dolore,  promettendo  gran  vendetta  sopra  Carlotto.  Per  suo  consi- 
glio Baldovino,  tra  un  lamentare  continue,  è  deposto  in  una  tomba. 

Ed  ecco  che  il  Danese,  messo  ordine  a  ogni  cosa  e  lasciato  Berlin- 
ghieri  a  custodia  dell'  acquisto,  con  Desiderio,  Lucano  e  numerosa  bri- 
gata  se  ne  viene  verso  Parigi.  Carlo  eccita  i  baroni  a  celare  il  dolore,  e 
per  mezzo  di  Namo  ne  fa  preghiera  anche  ad  Ermellina  : 

Ed  ella  gli  rispose  :  Padre  mio, 
Quanto  potrb  cielerè  il  mio  dolore. 

Con  grande  addobbamento  si  va  ad  incontrare  Uggeri,  che  subito 
domanda  Astolfo  del  suo  Baldovino,  e  ne  ha  per  risposta  ch'  egli  è  a 
caccia  con  Carlotto  ;  ma  cosî  rispondendo  Astolfo  non  puô  frenare  le 
lagrime.  (C.  IV)  L'incontro  con  Carlo  è  commovente  :  domandato  del 
giovinetto,  Pimperatore  Io  dice  ancor  egli  a  caccia,  continuamente 
piangendo,  il  che  il  Danese  pensa  egli  faccia 
Per  tenereza  di  sua  ritornata'. 

Lucano  e  Desiderio  sono  onorati  altamente  da  Carlo,  che  fattiseli 
sedere  ai  due  lati,  dichiara  al  primo  la  fede  cristiana  e  gli  espone  quella 
leggenda  di  Maometto,  come  rinnegasse  il  cristianesimo  per  dispetto  di 

1.  F"  53  v°  :  «  E  quando  senti  chilT  avea  mortto  si  cavô  la  corona  di  capo, 
»  e  disse  :  0  figliuolo  Carlotto,  maladetto  sia  l'ora  e  '1  punto  ch'  io  t'  ingie- 
»  nerai.  » 

2.  Il  cod.  rispone. 

3.  F"  54  r"  :  «  E  credeva  chello  faciesse  per  tenereza  délia  sua  tornata.  » 


UGGERI   IL    DANESE  57 

non  esser  stato  creato  papa,  che  trovava  tanta  credenza  nel  Medio  Evo. 
Lucano  lo  ringrazia,  e  desiderando  di  vedere  Orlando  e  Rinaldo,  va 
colDusnamo  ed  Uggeri  al  palazzo  dove  si  tengono  rinchiusi.  Cola  li  tro- 
vano  vestiti  a  bruno  ;  abbracciato  da  loro  con  lagrime  il  Danese  pensa  : 

Forse  piangon  costor  per  tenerezza 
Ch'  ànno  di  me  perché  son  ritornato. 
Ma  de!  vestire  molto  gli  è  gravezza  : 
Debbono  avère  il  lor  core  aghiadato. 

Una  scena  consimile,  ma  più  dolorosa,  si  rinnova  subito  dopo,  quando 
Uggeri  viene  ad  Ermellina.  Tuttavia  il  giorno  passa  senza  che  in  lui 
nasca  alcun  sospetto  : 

La  sera  venne  ed  al  letto  s'andaro  ; 
Insino  ail'  alba  insieme  si  posaro. 

Corne  l'alba  del  giorno  fu  apparito', 
Sendo  la  notte  scura  trapassata. 
Il  buon  Danese  si  fu  risentito, 
E  Ermellina  era  ancora  addormentata  ; 
Ed  e'  mirando  il  suo  petto  fiorito 
Vide  la  dama  nel  viso  canbiata, 
E  '1  suo  chiaro  color  partito  s'era, 
Ella  sua  carne  tutta  pesta  e  nera. 

Istorpire  la  vedea  molto  forte 
E  lagrimar  negli  ochi  nel  dormire. 
Destolla  il  buon  Danese  a  cota'  sorte; 
Poi  che  fu  desta  cominciô  addire  : 
O  gientil  dama  colle  menti  acorte, 
Dimmi  quai  pena  ti  fa  si  languire. 
Ermellina  rispose  con  pavento  : 
Marito  mio,  ingniuna  pena  senio. 

Disse  il  Danese  :  Non  mi  ti  cielare, 
Perché  veduto  l'ô  ne'  tua  senbianti. 
Se  non  mi  manifesti  taie  afiare 
Uccider  mi  vedrai  tosto  davanti. 
Rinaldo  fatto  m'a  maravigliare 
E  '1  buono  Orlando  di  lui  due  cotanti, 
Che  nel  palazo  son  vestiti  a  nero. 
Tosto  mi  cava  di  cotai  pensiero. 

Ellaî,  veggiendo  non  poter  cielare 
Il  fatto,  tosto  appiangier  cominciava. 
Disse  :  Danese  mio  di  grande  affare, 
Per  nonc  addolorarti  ti  cielava. 
Poi  ch'  ai  cotale  affetto'  di  saperc 

1.  Forse  :  Corne  fu  l'alba  c  7  giorno  ju  apparito. 

2.  Il  cod.  Ermellina. 

3.  Il    cod.  porta  etielto,  c  1'   cdizionc  del    i^i?  :   Ma  poi  che  tat  efccto  (  Ja 
saperc.  Ma  questc  mi  paiono  Iczioni  nalc  dall'  avcr  malo  inlcso  il  passo,  che  a 


58  P.   RAJNA 

Più  non  ti  vo'  cielar  la  cagion  prava  ; 
Poi  che  venuti  siamo  a  questo  porto 
Or  vo'  che  sappi  che  tuo  figlio  è  morto. 

Corne  M  Danese  udi  cotai  tinore 
Subitamente  allor  fu  tramortito. 
Morto  senbrava  e  non  avea  sentore; 
Ermellina  credea  fosse  transite  ; 
Onde  lev6  un  gran  pianto  con  dolore, 
Da  molta  giente  il  pianto  fu  sentito. 

I  panni  si  mettea  subita  e  ratta  ; 

Fuor  délia  zanbra  usci  corn'  una  matta». 

Accorre  Namo;  Uggeri  si  risente  e  vuol  sapere  dalla  moglie  corne  la 
sventura  sia  accaduta;  ella  glielo  narra,  attribuendo  peraltro  al  caso  ciô 
che  da  Carlotto  fu  fatto  a  studio 2.  Intanto  il  misero  padre  si  è  vestito; 
fattasi  indicare  la  chiesa  dov'  è  sepolto  il  cadavere,  vi  si  conduce,  e  co- 
stringe  con  minaccie  il  guardiano  a  mostrargli  la  sepoltura  : 

[E]  come  la  gran  lapida  à  levato 

II  Danese  ebbe  veduto  il  figliuolo; 

Con  gran  dolor  per  nome  !'  à  chiamato  ; 
Pensar  dovete  s'egli  avea  gran  duolo  ! 
O  figliuol  mio,  io  sono  attè  tornato, 
Trovar  non  ti  credea  in  questo  stuolo; 
Rispondi  al  tuo  Danese  padre  caro, 
Che  per  te  porta  gran  dolore  aniaro. 
0  caro  Baldovin,  tu  non  rispondi 
Al  padre  tristo  che  ta!  pena  porta. 
Non  vedi  tu  che  '1  bel  parlar  nascondi? 
Ov'  è  la  mente  tua  cotanto  acorta? 
O  caro  Baldovin,  tu  non  rispondi! 
La  tua  persona  più  non  mi  conforta. 
Chi  mi  t'a  tolto,  dolcie  mia  speranza? 

me  ricorda  il  dantesco  :  Ma  se  a  conoscer  la  prima  radia  Del  nostro  amor  tu  hai 
cotanto  affctto. 

1 .  Ib.  :  «  E  passato  el  giorno  Uggieri  si  coricô  colla  sua  donna,  che  senpre 
»  piagneva  abbracciandolo,  tanto  che  Uggieri  le  garri  del  suo  piangniere  ;  e 
»  dormendo  la  notte  non  si  destô  mai  Uggieri  ch'  ella  non  piagniesse.  Ella  mat- 
»  tina  sul  di  chiaro  ed  Ermellina  piagnieva  dormendo,  effacieva  si  grande  el 
»  pianto,  che  '1  Danese,  che  dormiva,  si  destô,  e  voltossi  allei  e  chiamolla  e 
»  disse  :  Donna  mia,  tu  mi  dirai  perché  fai  si  grande  il  pianto.  Ed  ella  il 
»  cominciô  maggiore,  e  abbracciavalo  e  disse  ;  Io  mi  facievo  un  sognio  nuovo. 
»  Disse  Uggieri  :  Tu  non  di'  vero  ;  essettù  non  me  Io  dirai  io  t'ucciderô,  e 
))  poi  ucciderè  ancora  me.  .Allora  ella  si  picchiava  el  viso  con  anbedue  le  mani, 
»  e  disse  :  O  signior  mio,  perdonami,  inperô  che  Carllo  m'a  fatto  tenere 
»  cielato  il  tuo  e  mio  dolore.  Ora  io  non  posso  più  tenerllo  cielato.  Sappi  che 
»  Baldovino  tuo  figliuolo  è  mortto.  Uggieri  gli  prese  tanto  dolore  àl  quore  ch' 
»  egli  si  volse  per  levarsi  e  tramorti  e  cadde  atterra  del  letto.  Allora  Ermellina 
»  cominciô  a  gridare  con  gran  pianto.  » 

2.  Nel  ms.  magliabechiano  fu  qui  omessa  una  stanza,  che  le  stampe  recano, 
e  che  è  veramente  necessaria. 


UGGERI   IL   DANESE  Jf) 

Tu  eri  mio  conforto  e  mia  alegranza. 

Il  Danese  abracciava  Baldovino, 
Di  quella  seppoltura  lo  cavava  ; 
E  come  fusse  stato  un  banbolino 
Per  la  città  di  Parigi  il  portava. 
Le  gienti  che  '1  vedean  tanto  meschino 
Di  lui  ciascun  piangieva  c  lagrimava. 
A  Carlo  sen  gi  a  guisa  d'uno  pazo, 
E  trovôl  nella  sedia  in  sul  palazo. 

E  disse  :  Carlo,  rendimi  il  mio  figlio 
Ch'io  ti  lasciai  quando  feci  partita, 
Quai  era  mio  conforto  e  mio  consiglio  ; 
Il  tuo  figliuol  mi  gli  à  tolto  la  vita. 
Ito  son  senpre  inn'  ongni  tuo  periglio 
Fra  quella  giente  pagana  stordita. 
Questo  non  è  il  figliuol  ch'io  ti  lasciai. 
0  lasso  a  me!  perché  in  tal  luogo  andai? 

Tu  promettesti  a  me,  santa  corona, 
Di  guardar  Baldovin  fin  ch'io  tornasse: 
Tu  non  mel  rendi,  io  non  so  la  cagione. 
Carlo  piangieva  colle  menti  lasse  , 
E  niente  risponde[a]  a  tal  scrmone, 
Benchè  Danese  spesso  domandasse, 
Di  tal  vergongnia  stava  in  contumacie  ; 
Ciascun  piangieva  quel  figliuol  veraciei. 

Gano,  che  si  trova  présente,  va  a  Carlotto  e  lo  consiglia  di  uccidere  il 
Danese,  se  non  vuole  che  questi  prenda  vendetta  di  lui.  Carlotto  si  arma 
e  subito  viene  al  palazzo  : 

Disse  Carlotto  :  0  malvagio  barone, 

Come  se'  ardito  di  far  tal  lamento? 

Il  tuo  figliuol  non  uccise  Carlone, 

Anzi  fu'  io,  e  già  non  me  ne  pento. 

Com'  io  uccisi  il  tuo  figlio  sterpone 

Uccidrô^  te,  se  più  arai  ardimento 

Di  fare  motto.  Dipartiti  quinci  ; 

Tanto  non  aspettar  ched  io  cominci'. 

Infellonito  per  queste  miraccie  scagliate  cosi  in  mal  punto,  Uggeri  alîerra 
la  spada, 

1.  Ib.  :  (I  Allora  Uggieri...  sen'  and5  alla  sepoltura,  ettrasscne  luori  Baido- 
»  vino  che  già  sentia  di  corru/ione,  e  portavalo  in  braccio  c  dicicva  :  0  hgliuolo 
))  Baldovino,  io  non  ti  lasciai  accarlo  acquesto  modo.  E  andonnc  alla  prcscn/a 
»  di  Carlo  e  misegli  questo  corpo  dinanzi.  E  dicieva  :  O  Carlo,  rendcmi  il  mio 
»  figliuolo  com'  io  te  lo  lasciai.  Questo  non  c  Baldovino.  Vedi,  o  Carlo  inpcra- 
»  dore,  io  lo  rivoglio,  e  non  nii  partirè  mai  dinanzi  attè  che  Baldovino  mi  sari 
»)  renduto.  Tutta  la  baronia  piagnicva  sentendo  le  tenorc  parole  dcl  Danese.  » 

2.  Il  ms.  iiccidcrd. 

].  V°  54  V"  :  «  Carlotto  gridô  :  Io  uccisi  Baldovino  eccosi  uccidcrù  le,  can 
»  traditore.  » 


40  p.    RAJNA 

E  a  Carlotto  la  menô  si  presta  , 

Che  'n  sulla  sala  gli  gittô  la  testa'. 

A  quella  vista  Carlo  grida  che  il  traditore  sia  morto;  i  maganzesi  si 
scagliano  per  dare  effetto  a  un  comando  cosî  grato  a  loro,  ma  Uggeri  si 
difende  valorosamente.  Orlando  e  Rinaldo,  sentendolo  assalito  ne 
sapendo  il  perché,  vanno  con  Ulivieri  al  palazzo  (C.  V),  dove  il  chia- 
ramontese,  se  il  cugino  non  lo  trattenesse,  si  scaglierebbe  contro  quei 
di  Maganza.  Tuttavia  anche  Orlando  sta  per  prendere  le  parti  di  Uggeri, 
quando  Carlo  con  alte  grida  gli  chiede  aiuto,  dicendogli  dell'  uccisione 
dei  figlio.  Allora  Orlando  dice  ail'  amico  di  arrendersi;  e  poichè  ricusa, 
vengono  a  darsi  colpi  di  piatto.  Intanto  Rinaldo 

Per  ira  tutto  quanto  si  rodea  ; 
A  Frusberta  due  volte  mise  mano 
Sol  per  tagliar  la  testa  a  Cârlo  Mano. 

E  pur  2  si  tenne  per  amer  d'Orlando, 
Pensando  com'  egli  era  suo  nipote. 

Al  gran  romore  accorre  Ermellina;  si  duole  a  Orlando  che  le  voglia 
togliere  il  raarito;  quindi  rimprovera  questi  ancora,  tanto  ch'  egli  porge 
la  spada  al  paladino.  Carlo  vorrebbe  l'uccidesse;  ma  Orlando  protesta 
che  lo  lascerà  nuovamente  libero  se  l'imperatore  non  giura  di  camparlo 
e  solo  di  metterlo  in  prigione  : 

Gantraditor,  che  dallato  gli  stava, 
Air  orechie  di  Carlo  si  chinava  : 

Promettil  pur  di  mettere  in  prigione. 
Di  chè  tu  vuoi'  ch'  egli  abbia  ongni  di  un  pane 
E  un  tagliere  di  carne  di  montone, 
E  bere  gli  fa  aque  di  fontane. 
Egli  è  di  si  gran  pasto  quel  barone 
Che  in  tre  di  morrà  a  guisa  d'uno  cane. 
Tu  sai  ch'  egli  è  a  guisa  d'un  gigante, 
E  per  sette  guerrier  mangia  davante*. 

Carlo  accetta  il  partito  e  lo  manifesta  ad  Orlando,  che  avendo  pro- 
messo  deve  consentire.  Il  Danese  è  rinchiuso  nel  fondo  di  una  torre;  sua 
compagnia  è  il  cavallo  Duraforte,  ch'  egli  ottiene  da  Orlando  di  avère 

1 .  F»  5  5  fo  :  «  E  al  primo  colpo  che  gli  meno  gli  levô  la  testa  dallo  'nbusto.  » 

2.  Il  ms.  E  poi  pure. 

3.  Il  ms.  vuogli. 

4.  Ib.  :  «  E  Gano  parlô  a  Carllo  e  dissegli  :  Sia  contento  che  egli  sia  messo 
»  in  prigione,  chè  qui  a  stento  lo  lascierai  (il  cod.  lasckrci)  morire  come  saraino 
I)  can  traditore  ch' egli  è.  Allora  Carlo  disse,  avendo  avuto  di  segreto  da  Gano, 
»  a  Orlando,  diciendoli  :  Diletto  nipote  mio,  io  voglio  che  'I  Danese  muoia  in 
»  prigione  in  grande  stento  e  calamità.  E  voglio  ch'  egli  abbia  el  di  un  taglieri 
»  di  carne  e  un  bicchieri  d'acqua  e  solo  pane;  —  mmaginando  chella  sua 
»  grande  statura  del  Danese  e  robusta  e  fortte  natura  assi  poca  vivanda  regiere 
«  non  potesse.  » 


UGGERI   IL    DANESE  4I 

con  sè.  Certo  morrebbe  Ai  famé  se  non  fosse  Pamorevole  astuzia  del 
buon  paladino  : 

Orlando  fu  con  que'  chell'  à  a  guardare 
E  disse  :  Tosto  fa  far  de'  taglieri 
Ch'  un  quarto  di  castron  vi  possa  stare  ; 
Di  questo  ubbidirai  Carlo  inperieri; 
E  ongni  indi  un  pan  gli  abbia  a  portare 
Di  venti  libre  per  cotai  mestieri  ; 
Buona  profenda  dona  al  suo  cavallo  : 
Fa  che  di  questo  non  mi  faccia  fallo. 

Ed  e'  rispuose  :  Questo  sarà  fatto, 
Po'  che  t'è  in  piacimento,  gientil  sire'. 
Lo  'nperador  Carlo  possente  e  adatto 
Per  tutto  il  suo  reame  fè  bandire 
Che  ricordar  non  si  debbe  in  nullo  atto 
Questo  Danese,  chi  non  vuol  morire. 
Chi  lo  ricorderà,  sanza  più  resta 
Si  converrà  ched  e'  perda  la  testa*. 

Solo  conforto  al  misero  prigioniero  si  è  che  un  giorno  il  mese  pu6  stare 
con  lui  la  sua  donna. 
E  qui  l'autore  lo  lascia  : 

Lasciamo  il  buon  Danese  inprigionato 
E  si  diren  del  gran  re  di  Nubia; 
Dalla  giente  era  re  Bravier  chiamato, 
Saracin  era  di  gran  vigoria  ; 
Quai  per  incantamento  fu  aquistato 
In  su  'n  un  monte  rosso  in  fede  mia  ; 
Come  aquistato  fu  quel  re  Braviero 
Il  monte  Rosso  tosto  si  fè  nero. 

Conta  l'autor  che  questo  saracino 
Aveva  indosso  demôni  da  ciento  ; 
Colle  grida  atterrava  al  suo  dimino 
Ciascun  guerrière  di  gran  valimento. 

Sentendo  nominar  Carlo,  chiede  ai  baroni  s'egli  potrebbe  conquistarlo  ; 
ed  essi  meravigliano  che  possa  di  ciô  dubitare.  Deliberatosi  di  assediare 
Parigi,  ne  scrive  a  Marsilio  e  ne  riceve  promesse  di  aiuto.  Contidando 

1.  P'"  SS  v"  :  «  E  Orlando...  andonne  al  soprastante  e  disse  :  Guarda  chcttù 
»  faccia  il  mio  comandainento  ecchè  non  dica  niente  a  persona,  se  non  che  io 
»  colle  mie  mani  t'ama/erô.  Tussai  che  U^gieri  è  uomo  di  gran  pasto,  e  Carlo 
»  per  cagione  che  niorisse  di  famé  comandô  che  tu  gli  dcssi  ogni  giorno  un 
»  bicchieri  d'acqua  e  un  pane  e  un  tagliere  di  carne.  Fa  uni  hicchieri  che  tenpa 
»  un  quarto  e  un  pane  d'un  me/.o  staio  e  un  tagliere  che  tenga  uni  mc/.o  inon- 
))  tone.  E  questo  vo'  chetfaccia  in  ogni  modo.  Disse  el  soprastante  :  Dio  vcl 
»  meriti,  chè  voi  canpate  uni  franco  haronc  dalla  lame.  » 

2.  Ib.  :  «  Carllo,  acciôchc  veruno  mai  il  polessc  domandare,  fccicuna  leggie, 
»  che  fusse  pcna  capitale  a  chiunquc  ricordasse  Uggicri  o  Danese...  E  fccicnc 
»  andare  il  bando  per  tulta  la  crisliana  ledc.  « 


42  p.   RAJNA 

nella  sua  forza  Bravieri  con  soli  diecimila  dei  suoi  passa  a  Valenza,  dove 
è  incontrato  da  Marsilio.  Tutti  fanno  allegrezza  : 

Ma  Balugante  n'ebbe  gran  dolore, 
Perché  a  Carlo  portava  grande  amore. 

Dopo  più  giorni  di  festa  Bravieri  fa  in  presenza  di  Marsilio  una  prova 
taie  délia  potenza  délie  sue  strida,  che  desta  in  lui  la  maggiore  fiducia  ; 
perô  egli  ancora  non  vuol  condurre  con  se  che  ventimila  uomini.  L'eser- 
cito  si  muove.  Giunte  a  Parigi  le  nuove  del  loro  approsimarsi,  Rinaldo 
e  Riccardo  d'Ormandia  '  escono  di  nascosto  —  non  perô  insieme  — 
dalla  città,  e  fugano  l'avanguardo.  Bravieri  sdegnato  caccia  da  se  questa 
gente  vigliacca  ;  poi  si  avvicina  alla  terra,  e  da  demonii  si  fa  recare  un 
padiglione^.  Fermato  il  campo,  egli  a  manda  a  significare  a  Carlo  che 
venga  a  lui  colla  coreggia  al  collo  e  conduca  prigioni  i  paladini.  False- 
rone  insieme  col  re  Dragone  va  a  portare  l'ambasciata,  (C.  VI)  alla 
quale  l'imperatore  risponde,  che  mandera  chi  combatta.  Bernardo  di 
Provenza  ottiene  di  essere  il  primo  alla  prova,  ed  è  il  primo  a  rimaner 
prigioniero;  Ottone  e  Salamone  seguono  la  sua  sorte.  Ulivieri  abbatte 

ravversario  : 

E  come  voile  quel  gran  re  pigliare, 
Non  pessando  che  fosse  indemoniato, 
Il  re  Bravier  cominciava  a  gridare 
Sicome  vide  Ulivier  dismontato. 
Non  mughi6  mai  per  tal  tenpesta  il  mare 
Quando  più  forte  giammai  fu  crucciato. 
Tanto  fu  grande  il  gridar  di  quel  sire 
Che  Ulivieri  e  Rondel  fè  tramortire'. 

Cosi  anche  Ulivieri  è  preso,  il  che  accade  poi  al  re  Fiorello,  a  Gano,  a 
Riccardo  d'Ormandia,  a  Lucano.  Il  signore  di  Maganza  ha  dal  saracino 
il  saluto  che  si  mérita  : 

Per  mille  volte  tu  sia  il  mal  venuto, 
E  que'  délia  tua  schiatta  tutti  quanti. 
Per  quel  ch'  i'  ô  dalle  gienti  saputo, 
Dei  tradimenti  avete  fatti  tanti, 
Che  ben  se'  dengnio  d'essere  apenduto. 
Ma  se  'n  sul  canpo  t'abatto  davanti, 

1 .  La  prosa  dice  sempre  di  Normandia,  e  certo  ha  ragione.  La  forma  usata 
dal  rimatore  dev  'essere  stata  introdotta  unicamente  per  comodo  del  verso. 

2.  Nella  brève  descrizione  di  questo  padiglione  c'  è  qualche  verso  tolto  a  certe 
ottave  che  irimatori  si  sono  rubate  a  gara  e  che  s'incontrano  in  non  so  quante 
opère.  Per  me  non  conosco  più  curioso  esempio  dell'  assenza  assoluta  di  ogni 
idea  di  proprietà  letteraria  presso  quest'  ordine  di  autori.  Ne  discorrerô  forse  tra 
non  molto,  avendo  già  raccolto  e  ordinato  i  testi. 

3.  F»  57  v°  :  «  Ulivieri  smontè  ettrasse  (il  cod.  dtressc)  fuori  Altachiara,  e 
»  andavagli  adosso  gridando  ch'  egli  s'arrendesse.  Ma  re  Bravieri  messe  uno 
»  terribile  grido,  per  modo  che  Ulivieri  cadde*disteso  in  terra.  » 


UGGERI    IL    DANESE  45 

Iscannare  farotti  per  amore 
Che  tu  se'  si  perfetto  traditore. 

Nondimeno  Gano  si  porta  da  uomo  valente.  Dopo  questi  baroni  esce 
Orlando,  (C.  VII)  che  a  fatica  puo  muovere  Vegliantico  : 
Una  grande  spronata  allor  gli  tocca  ; 

Com'  un  cristian  Vegliantico  sospira, 

E  parea  mormorassi  colla  boc[c]a. 

Il  cent'  Orlando  sua  faccia  rimira; 

Lagrimar  la  vedea,  onde  si  scocca, 

E  tutto  era  già  pien  di  doglia  e  d'ira. 

Parecchie  parole  si  scambiano  i  due  aversari  prima  di  venire  alla  zuffa, 
la  quale,  in  causa  délie  grida,  ha  termine  colla  prigionia  di  Orlando, 
sebbene  Bravieri  sia  stato  abbattuto  da  cavallo.  Col  medesimo  artiti- 
cio  vien  preso  anche  Rinaldo  ;  Baiardo  peraltro,  ucciso  un  saracino  a 
calci,  si  salva  in  Parigi. 

Mentre  accade  tutto  questo  Malagigi,  che  si  stava  a  custodire  Montal- 

bano, 

Una  domane  su'  arte  gittava. 

Trovô  ch'  un  demonio  era  e'  re  Bravieri, 
Ma  uno  cristian  conquistar  lo  dovea; 
Ma  quai  si  fosse  quel  franco  guerrier! 
Nella  sua  arte  già  non  conosciea. 
Crede  che  sia  Rinaldo  a  ta'  mestieri, 
Ond'  a  frategli  in  tal  guisa  diciea  : 
Ciascun  s'allegri  sanza  aver  dolore, 
Benchè  asediato  sia  lo  'nperadore. 

Ma  intanto  Carlo  istesso,  perduti  i  suoi  baroni,  si  dispone  ad  uscire,  e  il 
rimatore  consuma  ben  nove  stanze  a  descrivere  il  suo  armarsi.  A  lui 
ancora  accade  di  abbattere  Bravieri  e  di  esser  preso  colle  grida.  Al 
vederlo  con  loro  i  baroni  fanno  gran  lamento,  e  Orlando  con  amorevo- 
lezza,  Rinaldo  con  modi  aspri,  rimproverano  a  Carlo  la  prigionia  del 
Danese.  Ne  minore  è  lo  sgomento  nella  città.  Il  Dusnamo  manda  ail' 
Apostolico,  perché  venga  colle  reliquie  a  cacciare  quel  demonio,  e  altresi 
a  Malagigi,  (C.  VIII)  che  subito  si  mette  in  via  con  Guicciardo.  La  loro 
venuta  non  fa  che  aggiungere  due  altri  prigioni.  Dopo  vengono  presi 
ancora  il  re  Desiderio,  //  biwri  rc  Ansiiier,  cli'cra  alamanno,  il  re  di  Sco- 
zia,  il  Duca  di  Sansogna,  Qiiatro  ji  di  Girardo  ddlLi  rratta,  Amonc, 
P'araone  balio  di  Carlo,  e  altri  assai  : 

Que'  che  fur  presi  non  potre'  contare 

Per6  che  'ncrescierebbe  a  queste  gienti  ; 

Ma  sccondo  la  storia  dell'  atîare 

Truovo  che  fur  guerrier  trecicntoventi'. 

I.  F"  ^9  r"  :  K  E  avcva  allora  re  Bravieri  dugcntoventi  baroni.  E  questo  fu 
»  el  numéro  de'  baroni  che  furono  presi.  » 


44  P-   RAJNA 

Non  ci  essendo  più  chi  possa  combattere,  ail'  infuori  di  Namo  al  quale 
fu  proibito  di  uscire,  Bravieri  intima  a  Carlo  che  gli  renda  la  terra.  Ma 

Carlo  rifiuta  : 

Il  tuo  tâlento  di  noi  far  pctrai, 
Malla  mia  terra  non  arai  giammai*. 

Bravieri  gli  assegna  un  mese  di  tempo.  Era  scorso  cramai  il  termine 
senza  che  si  presenti  per  i  cristiani  alcuna  via  di  salvezza,  benchè  in 
Parigi  giunga  frattanto  il  papa  colla  chiericîa  e  di  processioni  e  preghiere 
non  si  faccia  risparmio.  Bravieri  fa  apparecchiare  le  forche  : 

Le  fè  rizzar  si  allé,  ai  mio  parère, 

Che  di  Parigi  si  potean  vedere. 

A  quella  vista  la  regina  tramortisce  ;  Ermellina  allora  la  prega  di  cavare 
di  prigione  il  Danese  perché  combatta  egli  ancora  : 

Dicieva  Gaierana  ad  Ermellina  : 
r  non  verre'  Carlo  disubbidire; 
Ma  se  '1  pastor  délia  leggie  divina 
Ti  fa  ta!  grazia,  i'  n'ô  molto  disirez. 

Il  papa  consente,  ed  Ermellina  va  al  Danese,  che  ail'  udire  tanti  mali 
dice  di  non  voler  piij  vivere  : 

Col  mio  cavallo  intendo  qui  morire. 
Che  forza  potre'  aver  contra  colui 

Ch'  à  preso  Oriando  e  M  buon  Rinaldo  ardito?'' 

Cosî  Ermellina  si  parte,  e  Namo  allora,  raccomandata  la  città  ail'  arci- 
vescovo  di  Parigi,  va  ancor  e  gli  a  combattere  e  ad  esser  preso.  —  Ma 
la  notte  appare  ad  Uggeri  S.  Giorgio,  e  gli  comanda  di  andare  allaprova: 

Senpre  sarà  con  teco  mia  persona 

Sicome  un'  altra  volta  fu  a  Verona*. 

Perô  l'indomani  il  barone  esce  dal  carcere,  s'arma  e  s'avvia,  dopo  aver 
toccato  le  santé  reliquie.  Ma  ecco  venirgli  avanti  vestita  di  bianco  lafata 
che  sotto  Verona  egli  ha  campato  dal  folletto  (C.  IX).  Ella  vuol  ora 
rimeritargli  il  servigio;  perô  gli  narra  dei  demonii  che  Bravieri  ha 
indosso,  gli  dice  d'impeciare  le  orecchie  sue  e  quelle  del  cavallo,  e 
quindi  scompare.  Uggeri  torna  indietro  per  dar  esecuzione  al  suggeri- 
mento;  poi  esce  di  nuovo  e  va  a  Bravieri,  aile  domande  del  quale,  non 
sentendo  nulla,  o  non  risponde  o  risponde  a  sproposito  : 

1.  F''^  58  V  :  «  Re  Carlo  rispuose  ch'  egli  erano  suo  prigioni  e  ch'  egli  gli 
»  poteva  fare  assua  posta  morire,  ma  chella  città  non  sarebbe  giamai  data 
»  assaracini.  » 

2.  F°  59  r"  :  «  Disse  la  reyna  :  lo  non  farei  questo  per  non  disubidire  il 
»  mio  signiore;  ma  vattene  al  santo  padre  e  domandaglie[le]  di  grazia.  » 

3.  F°  59  v°  :  «  0  signior  mio  Dio,  se  costoro  non  ànno  potuto  durare 
»  acquesto  saraino  e  corne  potrô  io  mai  durare  acquesta  battaglia  ?  E  disse  : 
»  0  Ermellina,  vatti  con  Dio,  chè  io  voglio  morire  m  questâ  prigione  addolo- 
»  rato.  » 

4.  Ib.  :  «  Io  sar6  con  teco  com'  i'  fui  a  Verona.  » 


UGGERI    IL    DANESE  4Ç 

Il  re  Bravier  diciea:  Ecco  sollazzo, 
Questi  sarà  di  corte  giocolaro  ; 
0  egli  è  muto,  o  briconiere,  o  pazzo, 
Ma  sua  pazzia  gli  farô  costar  caro  *. 

S'inganna  peraltro,  perché  questa  volta  non  valendo  le  grida,  Bravieri  è 
ucciso  dall'  avversario  : 

Corne  Bravier  fu  di  vita  passato 
Videsi  il  corpo  suo  fracido  tutto  ; 
Un  si  gran  puzo  al  canpo  àllascïato, 
Che  ma'  no  si  senti  cotanto  brutto  ; 
II  Danese  fu  quasi  spaventato, 
E  fra  se  dicie  :  V  veggo  ch'è  distrutto 
Un  dimonio  d'inferno  a  questa  volta. 
A  Cristo  ne  rendea  graziâ  molta. 

Il  caval  di  Bravier  tosto  spario; 
Ma'  non  si  vide  po'  che  '1  re  fu  morto, 
Per6  ch'  era  un  demonio  al  parer  mio; 
In  inferno  tornô  per  lo  più  corto^. 

Uggeri  torna  in  Parigi  e  diffonde  l'allegrezza  colle  liete  novelle.  Armato 
il  popolo,  lo  conduce  fuori.  Allora  Marsilio  dichiara  che  se  sarà  assalito 
ucciderà  iprigioni;  se  invece  gli  assalitori  torneranno  indielro,  libérera 
loro  tutti,  ed  egli  si  ricondurrà  in  Ispagna.  Carlo,  messo  aile  strette,  si 
accomoda  al  secondo  partito  e  manda  il  Dusnamo  al  vincitore  di  Bra- 
vieri. Questi  fa  che  l'esercito  si  rivolga,  palesa  a  Namo  il  suo  nome,  e 
quindi  viene  a  Carlo  : 

Dinanzi  a  Carlo  l'ardito  Danese 
S'inginochiô  e  sua  piè  gli  baciava. 
Carlo  diciea:  Sta  su,  baron  cortese; 
Perché  scanpato  m'ai  da  morte  prava? 
Ed  e'  rispose  :  Questo  fia  palese; 
Ma  non  mi  levo,  in  tal  guisa  parlava, 
Che  tu,  re  Carlo,  mi  perdonerai  ; 
Per  solo  Iddio  tal  grazia  mi  farai. 

Re  Carlo  disse  :  Tu  non  m'ai  ofFeso, 
Perdono  niuno  non  debbe  acadere  ; 
Perdonato  ti  sia  ongni  gran  peso 
Che  fatto  m'ai,  baron  di  gran  potere. 
Quando  '1  Danese  quel  perdono  i  preso 
Sissi  levava  per  cotai  dovere. 
Disse  :  I'  vo'  che  sappi,  re  pregiato, 
Ch'io  son  Danese,  che  tanto  ofîallato. 


1 .  F°  6o  V  :    «    Disse  lo  'nterpido  al  re  Bravieri  :  Costui  mi  par  pazo  ;  e 
»  quando  lo  domando  e'  dicie  ch'  lo  lo  'ncanto.  x 

2.  F"  6i  r-  :  «  Ma  il  corpo  gittava  si  grande  il  puzzo  che  Uggieri   tu  per 
«  tramortire.  « 


46  p.    RAJNA 

Quando  Carlo  ode  che  quest'  è  'I  Danese 
Subitamcnte  lo  corse  abracciare'. 

Délia  versione  in  prosa,  ora  che  ho  dato  un  sunto  cosi  minuzioso  di 
quella  in  rima,  non  ho  bisogno  d'intrattenere  a  lungo  chi  legge.  Le  due 
non  solo  si  rassomigliano  nell'  orditura,  nella  scelta  dei  personaggi,  nel 
concatenamento  dei  fatti,  ma  spessissimo  hanno  comuni  le  più  lievi 
circostanze  e  perfino  non  poche  parole,  tanto  da  apparire  quasi  para- 
frasi  l'una  dell'  altra.  Di  ciô  non  occorre  che  io  metta  avanti  nuove 
dimostrazioni  :  il  fatto  appare  già  chiarissimo  dai  brani  che  ho  arrecato 
via  via,  Nondimeno  la  conservazione  di  tutte  e  due  non  riesce  punto 
superflua;  giacchè,  sia  pure  che  esse  si  confondano  in  una  versione  sola, 
cosicchè  quanto  alla  conoscenza délia  storia  di  Uggeri  quale  fu  concepita 
dagl'  italiani  sarebbe  stata  di  ben  piccolo  danno  la  perdita  sia  dell'  uno, 
sia  dell'  altro  testo  :  a  noi  rimane  pur  sempre  una  questione  critica  che 
ci  si  affaccia  in  condizioni  da  farci  sperare  una  soluzione  :  resta  a  cer- 
care  una  spiegazione  attendibile  ai  rapporti  strettissimi  che  si  manife- 
stano  tra  la  prosa  e  la  poesia.  Ma  benche  le  differenze  quasi  scompaiano 
di  fronte  aile  somiglianze,  non  per  questo  mi  posso  tener  sciolto  dall' 
obbligo  di  additarle  a  chi  legge. 

Nel  principio  la  prosa,  fedele  al  costume  che  essa  e  tutte  le  altre 
opère  consimili  seguono  a  ogni  cominciamento  di  libro,  annoda  la  nar- 
razione  coi  fatti  raccontati  nei  libri  anteriori,  e  precisamente  colla  morte 
di  Mambrino.  Il  rappicco  naturalmente  non  puô  essere  altro  che  este- 
riore;  giacchè  per  se  stessa  la  storia  dei  Danese  non  aveva  rapporte 
alcuno  colle  vicende  di  Rinaldo.  Ma  non  solo  in  cio  si  manifestano  le 
tendenze  ordinatrici  dei  prosatore;  giacchè,  mentre  la  rima  comincia  ex 
abrupto  dalla  corte  che  Carlo  tiene  alla  pentecosta,  la  prosa  premette 
parole  che  rendono  l'esposizione  più  simile  a  storia  vera  :  (f°  50  r") 
<(  ...  avendo  Carlo  un  figliuolo  ch'  avea  nome  Carlotto,  giovane  dell' 
etade  di  diciotto  anni  :  e  in  corte  di  Carlo  era  un  barone  chiamato  el 
Danè  Uggieri  :  quest'  aveva  un  figliuolo  che  aveva  nome  Baldovino, 
ch'  era  il  più  bello  giovane  di  Parigi,  ed  era  délia  età  di  quindici  anni  ; 

I.  F"  61  v"  :  «  E  quando  Uggieri  giunse  s'inginocchiô  a'  piedi  di  Carllo  coll' 
»  elmo  in  testa.  E  '1  re  Io  voile  fare  levar  ritto  :  non  perô  ch'  egli  conosciesse 
))  chi  egli  si  fusse.  Ma  Uggeri  cominciô  a  gridare  :  Misericordia  !  misericordia  ! 
))  E  disse  :  Io  non  mi  leverô  mai  di  qui  se  Carlo  Magnio,  inperadore  di  Roma 
»  e  re  di  Francia,  non  mi  perdona.  Disse  re  Carllo  :  Io  non  so  di  (juello  che 
»  io  t'  abbia  a  perdonare,  chè  tu  non  mi  ofendesti  mai  ;  e  avendomi  tu  bene 
»  offeso,  tu  m'  ai  ora  tamto  servito,  che  io  ti  perdono  liberamente  quante  offese 
»  per  insino  acquesto  punto  tu  mi  faciesti  mai.  E  cosi  chiamo  testimoni  tutta 
»  (^uesta  baronia  :  corne  ô  detto,  liberamente  ti  perdono.  Allora  si  cavô  Uggieri 
»  I  elmo  e  disse  :  0  caro  signior  mio,  ora  vedi  acchi  tu  ai  perdonato.  Quando 
»  Carllo  vide  ch'  egli  era  Uggieri,  pianse  di  grande  tenerezza  e  corselo  abrac- 
»  ciare.  » 


UGGERI    IL    DANESE  47 

ettanto  s'ama  con  Carlotto  chell'  uno  non  sapeva  stare  sanza  l'altro, 
amandosi  maravigliosamente  l'uno  l'altro.  «  Cito  questi  particolari  solo 
perché  si  veda  l'indole  différente  délie  due  composizioni  ;  alla  quale  se 
non  si  avesse  ben  fermo  l'occhio,  sarebbe  impossibile  portare  un  giudi- 
zio  retto  intorno  aile  diversità.  Invece  mérita  di  essere  rilevato  anche 
per  altri  riguardi  che  dalla  sola  prosa  si  riferisce  l'origine  di  tutti  i 
mali  che  seguiteranno  alla  malizia  di  Gano;  il  quale,  corne  in  altri 
luoghi  di  queste  Storie  di  Rinaldo,  cosî  anche  qui,  richiama  alla 
mente  di  Carlo  che  un  re  pagano  non  gli  paga  da  tempo  il  tributo  :  (f" 
50  r")  «  Ed  essendo  Carllo  im  questa  tranquilità  e  pacie,  Gano  di  Maganza, 
invidioso  d'ogni  bene,  vedendo  um  di  el  libro  de'  trebuti  trovô  che  M  re 
Massimione  di  Verona  non  avea  dato  el  trebuto  d'anni  dieci  passati  ; 
ettrovô  che  Carlo  v'avea  mandati  molti  messaggi  e  mai  non  ven'  era 
tornato  veruno  arrendere  risposta.  «  Certo  che  l'imperatore  scordasse  il 
tributo  non  sembrerà  strano  ;  ma  non  dovrà  parer  naturale  ch'  egli  dimen- 
ticasse  la  sorte  toccata  ai  messaggeri  ;  perô  la  parte  qui  assegnata  al 
Maganzese  difficilmente  si  potrà  concepire  altrimenti  che  corne  una 
giunta  arbitraria. Ma  anche  se  è  taie,  anziappunto  perquesto,  essa  èdegna 
di  attenzione;  perché  mai  ciô,  avrô  opportunité  di  spiegare  piii  innanzi. 
Ne  la  parte  di  Gano  nel  principio  si  riduce  a  quello  che  si  è  visto;  è 
egli,  che  sebbene  molti  si  offrano  di  andare  con  un  nuovo  messaggio  a 
Massimione,  fa  cadere  la  scelta  sul  Danese  :  il  che  non  accade  punto 
nella  rima,  dove  anzi  Uggeri  è  il  solo  e  il  primo  che  si  profferisca  : 
Di  quanti  ven'  avea  ingniun  risponde, 
Niun  si  truova  che  vi  voIgHa  andare. 

Di  certe  altre  diversità  di  poco  conto  non  gioverebbe  a  nulla  il  parlare  ; 
perô  balzo  fmo  al  punto  in  cui  Uggeri  e  il  cognato  giungono  sotto 
Verona.  Qui  s'incontrano  alcune  tra  le  maggiori  discrepanze  che  siano 
fra  i  due  testi.  Nella  prosa  il  Danese  non  si  vendica  già  subito  del  feri- 
tore,  ma  solo  più  tardi  dopo  aver  liberato  la  fata  ;  e  questa  non  solo  gli 
promette  aiuto  per  l'avvenire,  ma  comincia  dal  scegliergli  le  orbe  che  lo 
risanano  délia  piaga.  Cosî  gli  elementi  del  racconto  vengono  ad  essere  i 
medesimi,  ma  si  trovano  composti  insieme  diversamente. 

Più  oltre  lo  sdegno  di  Gano  contre  Uggeri  è  motivato  con  una  pueri- 
lità  :  il  Maganzese  s'indispettisce,  e  quindi  s'induce  a  ordire  i  suoi  tra- 
dimenti,  perché  il  Danese  ha  scordato  di  salutarlo  cogli  altri  baroni  nella 
ettera  ail'  imperatore.  Del  sogno  d'Krmeilina  la  prosa  reca  particolari 
che  la  ,rima  ignora.  Poi  è  un  servo  che  avverte  Baldovino  —  il  cimiero 
non  si  scioglie  né  cade  —  corne  senza  volere  egli  abbia  abbattuto  Car- 
lotto. La  terra  a  cui  l'uccisore  è  condotto  da  Ansuigi  si  trova  precisata, 
ed  è  Pontieri.  E  cominciando  dal  punto  in  cui  si  vien  lamentando  la 
morte  di  Baldovino  s'ha  opportunité  meglio  che  altrove  di  nolare  una 


48  p.   RAINA 

differcnza  che  rende  assai  diverse  lo  stile  dei  due  testi  :  le  fréquent!  e 
non  brevi  parlate  délia  rima  non  si  trovano  nella  prosa  se  non  in  forma 
assai  più  succinta;  anzi  non  è  raro  che  appena  se  ne  accenni  il  conte- 
nuto  con  discorso  indiretto.  Cosi  accade  che  nella  somma  la  prosa,  oltre 
ail'  essere  più  concisa,  riesca  anche  assai  meno  drammatica  e  descrittiva. 
Che  del  reslo  come  la  prosa  ignora  moite  particolarità  délia  rima,  cosî 
anche  a  questa  succéda  a  volte  il  medesimo  di  fronte  a  quella,  è  cosa 
che  basta  accennare  una  volta  per  tutte.  Si  puô  tuttavia  notare,  perché 
tocca  in  qualche  modo  la  rappresentazione  dei  caratteri,  che  manca  nella 
narrazione  prosaica  la  suggestione  di  Gano  a  Carlo  che  si  va  lamen- 
tando,  e  la  risposta  sdegnosa  dell'  imperatore. 

Dopo  il  ritorno  di  Uggeri  troviamo  che  la  prosa  non  contiene  ne  la 
dichiarazione  délia  fede  cristiana  ne  la  leggenda  di  Maometto,  che  il 
rimatore  pone  in  bocca  a  Carlo.  Le  scène  patetiche  del  Danese  colla 
moglie  sono  sbozzate  di  fuga  anzichè  descritte  ;  ne  il  povero  padre  tra- 
mortisce  al  primo*  annunzio,  bensî  ail'  udire  i  particolari  del  fatto.  Il 
guardiano  délia  chiesa  dov'  è  sepolto  Baldovino  non  è  per  nulla  nella 
prosa ,  che  assai  più  succinta  in  tutta  questa  parte,  è  confusa  anzi  che  no 
nel  racconto  dell'  imprigionamento  di  Uggeri  e  dell'  astuzia  usatâ  da 
Orlando  per  campargli  la  vita.  E  qui  accade  anche  di  avvertire  come  le 
stesse  cose  si  trovino  narrate  prima  in  una  délie  due  versioni,  dopo 
nelP  altra  :  il  che  del  rimanente  non  è  punto  strano,  giacchè  si  pu6 
osservare  anche  nei  rifacimenti,  per  es.  nel  Morgante  messo  a  paragone 
coll'  Orlando. 

Circa  il  nascimento  di  Bravieri  la  prosa  si  diffonde  molto  più  délia 
rima;  poi  in  luogo  di  cento  demonii  gliene  mette  addosso  trecento.  Nella 
prova  che  si  fa  a  Saragozza  parecchi  particolari  difïeriscono  ;  e  difîe- 
risce  pure  il  numéro  délie  milizie  che  Marsilio  prende  con  se  :  duecento- 
mila  uomini  nella  prosa,  ventimila  nella  rima.  Délia  scorreria  di  Rinaldo 
si  narra  più  in  brève  e  nulla  si  dice  del  padiglione  di  Bravieri.  Falerone, 
inviato  a  Carlomagno,  parla  in  modo  ben  più  insolente  e  perô  accende 
Rinaldo  di  sdegno.  Nei  primi  combattimenti  c'è  convenienza  :  ma  dopo 
Ulivieri  combatte  Astolfo,  non  il  re  Fiorello;  dopo  di  Gano  —  e  qui 
manca  il  saluto  caratteristico  di  Bravieri  al  traditore  —  Desiderio,  e 
non  Riccardo  d'Ormandia  :  le  quali  differenze  non  impediscono  che  il 
duello  di  Lucano,  che  tien  dietro,  convenga  esattamente. 

Più  povera  di  afFetto,  la  prosa  non  contiene  nulla  che  corrisponda  aile 
belle  ottave  intorno  a  Vegliantico  che  non  vorrebbeandare  alla  battaglia. 
Ma  resta  oscura  la  ragione  di  un'  altra  discrepanza  :  il  luogo  che  il  Dus- 
namo  occupa  nella  rima  qui  è  tenutoda  Girardo  da  Rossiglione.  È  egli  che 
scrive  al  papa;  egli  che  ultimo  va  a  combattere  e  che  preso  è  rimpro- 
verato  da  Carlo,  il  quale  gli  aveva  affidato  la  custodia  délia  terra.  Per 


UGGERI    IL    DANESE  49 

ultimo  conchiuderô  con  dire  che  ucciso  Bravieri  Marsilio  non  parte 
subito,  ma  si  entra  in  Parigi,  invitato  da  Carlo  a  visitare  la  sorella 
Galerana,  e  che  prima  ancora  di  entrare  promette  un  tributo  che  ci 
ricorda  i  fmti  patti  conchiusi  a  Saragozza  da  Gano  avanti  il  disastro  di 
Roncisvalle  :  (f°  61  v°)  «  E  daccapo  giuro  e  promesse  el  trebuto 
ogni  anno  di  darllo  a  Carllo  ,  el  quale  era  questa  quantità  d'oro  e 
d'ariento  :  cioè  uno  mulo  carico  con  cinque  cento  libre  d'oro,  e  un' 
altra  soma  d'ariento  d'altrettanto  peso,  e  cinquanta  cavagli  di  giostra 
con  cinquanta  paggietti  tutti  neri,  e  dieci  falconi  e  dieci  astori  mudati,  e 
dieci  sparvieri  mudati,  venticinque  cani  mastini  daccaccia  e  venticinque 
levrieri  da  giugniere,  ettrè  corsieri  barbareschi  da  palio,  e  um  palio  di 
drappo  d'oro.  » 

Dalla  lievità  délie  difFerenze,  che  pur  sforzandomi  di  scegliere  le  cose 
meno  futili  ho  dovuto  accennare,  si  vede  bene  se  ci  sia  ragione  di  dire 
che  i  due  testi  toscani,  la  prosa  e  la  rima,  si  riducono  a  una  sola  ver- 
sione.  Per  quanto  riesca  affme  non  sopporta  invece  di  essere  aggiogata 
insieme  la  narrazione  franco-italiana  compresa  nel  codice  XIII  di  Vene- 
zia.  Bisogna  dunque  portar  pazienza  e  discorrerne  con  un  pô  di  agio. 

In  générale  s'abbia  a  mente  che  il  testo  fr.-it.  procède  più  semplice,  o 
a  dir  meglio  più  nudo  ;  l'esposizione  è  intollerabilmente  prolissa,  ma  la 
copia  dei  fatti  e  délie  circostanze  è  minore  d'assai  che  nelle  versioni  tos- 
cane. Questo  del  rimanente  non  puô  riuscir  cosa  nuova  a  nessuno  che 
conosca  altre  rame  délia  compilazione;  a  tutte  sono  comuni  questi  carat- 
teri,  e  appunto  costituiscono  uno  degli  argomenti  che  inducono  a  giudi- 
care  Topera  intera  fattura  di  una  medesima  persona.  Di  Gano  nel  prin- 
cipio,  com'  era  ben  da  aspeltare,  non  troviamo  menzione  alcuna ,  la 
parte  di  perpetuo  traditore,  che  la  letteratura  toscana  gli  assegna,  è  pro- 
dotto  di  un'  età  più  tarda,  quantunque  già  la  compilazione  del  ms.  di 
Venezia  ne  contenga  gli  elementi.  Massimione  è  qui  chiamato  le  Maximo 
Çudé  '  ;  la  sua  città  è  Marmara,  nome  peraltro  il  quale  non  désigna  altra 
cosa  che  Verona^.  Carlo  adunque,  irritato  per  il  tributo  che  il  saracino 


1.  Nelle  sue  Notes  sur  un  ms.  fr.  {Bibl.  de  l'Ec.  des  Ch.,  4*  série,  t.  III)  il 
sig'.  Guessard  scrive  Maximo  Cuntc  in  luogo  di  Maximo  Çudc.  È  uno  sKiglio  di 
lettura  che  iu  avvertito  e  corretto  primamente  dal  Mussatia  (Handschr.  Sludicn, 
II,  p.  58-. 

2.  Che  Marmara  sia  un  soprannome  di  Verona,  non  solo  puô  argomentarsi 
dair  itinerario  che  nel  racconto  si  ta  seguire  al  Danese,  ma  è  dette  cspressa- 
niente  in  un'  opéra  scritta  alla  meta  del  trecento,  nell'  i4//i7j  di  Nicola  da  Casola. 
Tra  gl'  innumerevoli  personaggi  che  cola  vengono  in  isccna  c'  è  uncotaleDwx  de 
Marmorca  : 

I,  f"  223  r°  Marmorea  il  tint,  que  hui  in  nos  lengaç 
Vérone  estoit  nomez. 

Si  confronti  ciô  che  a  proposito  di  Brescia  dicono  le  versioni  toscane  del 
Danese  : 

Romania,  III  4 


JO  p.    RAJNA 

gli  nega,  e  più  per  il  malgoverno  che  fa  dei  suoi  messaggeri,  délibéra, 
consigliato  dai  suoi,  di  mandare  un  nuovo  ambasciatore.  Il  Danese  qui 
non  si  profferisce  :  i  franchi  lo  designano,  Carlo  lo  richiede;  egli  invece, 
corne  Gano  nella  Chanson  de  Roland  (v°  280  segg,),  è  poco  disposto 
ail'  andata.  Pure  alla  fine  si  ravvede  : 

F"  65  r"  Davant  lui  se  vait  ençenocler, 

E,  Inperer,  fait  il,  li  perdon  vos  requer: 
Li  mesaço  vu  farô,  qi  ne  diça  noier. 

La  scena,  corne  si  vede,  è  bella,  e  scolpisce  ottimamente  il  carattere  di 
Uggeri,  un  misto  di  bonarietà  e  di  fierezza.  Corne  nei  testi  toscani,  Bal- 
dovino,  che  qui  pure  è  figlio  d'una  figliuola  di  Namo,  è  lasciato  in  cu- 
stodia  di  Carlo,  che  promette  di  renderlo 
F"  65  v  E  san  e  salvo,  sença  nula  malie. 

Con  Uggeri  non  va  ne  Berlinghieri  ne  alcun  altro  compagno  :  egli  passa 
in  Italia,  alberga  a  Pavia,  poi  si  conduce  fino  a  Besgora  (Brescia),  dove 
in  cambio  di  trovare  chi  lo  voglia  offendere,  alloggia  pacificamente 
presso  un  buon  ostiere,  che  gli  dice  cose  terribili  del  Maxime.  Non  è  a 
tacere  l'ammirazione  che  desta  nel  Danese  la  fortezza  délia  città,  la 
quale,  se  crediamo  ail'  autore,  fu  fondata  da  Verçilio  '.  Senza  incontrare 
altro  guaio  che  il  pagamento  dello  scotto^,  il  buon  cavalière  si  parte,  e 
giunto  sotto  Marmora,  ha  lo  spettacolo  poco  lieto  di  trenta  cadaveri 
appiccati.  Non  per  ciô  si  sgomenta.  Délia  ferita  ne  délia  fata  non  è  qui 
parola  ;  anzi  i  guardiani,  da  lui  regalati,  gli  si  mostrano  benevoli  e  lo 
ammoniscono  del  pericolo  che  corre.  Seguito  dalla  folla, 

F°  66  r°  Li  quai  li  ont  e  plante  e  pluré, 
Que  de  lu  li  paroit  gran  peçé, 

viene  alla  presenza  del  Maximo  in  un  momento  in  cui  questi  era  adiratis- 
simo  per  la  fugadi  unfalcone,  egliesponenontroppo  concisamentelasua 
ambasciata.  Lucano  è  personaggio  ignoto  del  tutto  a  questa  versione. 
Le  parole  da  una  parte  e  dall'  altra  abbondano  ;  la  conclusione  si  è  che 

C"  I  Di  giorno  in  giorno  tanto  cavalcavan 
Che  a  una  terra  i  baroni  arivaro. 
Alla  città  quai  è  Brescia  chiamata  ; 
Mirabella  era  a  quel  tempo  nomata. 

F"  50  v°  :  «  E  giunti  a  una  città  chiamata  Mirabella,  che  or  si  chiama 
»  Brescia,  etc.  »  —  Forse  il  nome  di  Marmora  venue  dalle  cave  di  marmo  che 
abbondano  nel  territorio  di  Verona  ;  fors'  anche  dall'  anfiteatro,  énorme  mole 
che  doveva  tare  un'  impressione  profonda  sulle  menti  del  popolo  ;  forse  in  génère 
dai  molti  edifizi  di  marmo  che  già  nel  duecento  ornavano  la  città. 

1 .  È  in  questo  luogo  che  occorre  il  passo  citato  dai  Comparetti  nel  suo  dottis- 
simo  Virgilio  nel  Mcdio  Evo,  II,  101. 

2.  F°  6^  v°  Da  r  oster  se  parti  e  fe  sego  rason 

Ço  qe  il  oit  speso  cun  tuto  I'  aragon. 


UGGERI    IL    DANESE  JI 

il  saracino  dà  tempo  fino  ail'  indomani  al  Danese  perché  scelga  tra  li 
rinnegare  e  le  forche.  Questi  se  ne  va  alloggiare 
F°  66  v°  Al  mior  albergo  q'el  potè  trover, 

ed  ha  la  fortuna  di  abbattersi  ad  un  oste  che  adora  Macone  suo  malgrado 
e  col  quale  puô  confidarsi  interamente.  L'oste  promette  di  essere  in  suo 
soccorso;  va  a  parlare  agli  amici,  e  con  questi  viene  la  mattina  seguente 
al  palazzo,  ciascuno  avendo  la  spada  nascosta  sotto  la  cappa.  H  Maxïmo 
e  il  Danese,  ricusando  il  cristiano  di  lasciare  la  sua  fede,  vituperano 
scambievolmente  i  loro  dei  ;  e  anche  qui  s' ha  un  protluvio  di  parole  che 
paiono  troppe  perfmo  ail'  oste  : 

F°  67  r°  E  darer  II  Danois  estoit  li  bon  oster, 
Qe  spese  fois  li  fait  li  segner 
Qe  tante  non  deçà  cun  lui  aderasner. 

Finalmente  Uggeri  s'accosta  piano  piano,  afferra  il  Maximo,  e  gli  spicca 
il  capo.  Perô,  come  si  vede,  l'uccisione  ha  luogo  in  modo  ben  diverso  da 
ciô  che  narrano  i  testi  toscani.  Allora  quelli  délia  corte  si  scagliano  sul 
Danese;  ma  scopertisi  l'oste  e  i  suoi,  si  suscita  una  zufTa  terribile,  che 
termina  colla  domanda  del  perdono  per  parte  degl'  infedeli.  La  cittàtutta 
è  in  festa  e  chiama  sire  il  suo  liberatore,  il  quale  affida  il  governo  al  buon 
ostiere. 

Alla  stessa  maniera  come  nelle  version!  già  esaminate,  a  questo  punto 
si  lasciano  le  cose  d'italia  per  tornare  alla  Francia,  e  propriamente  a 
Baldovino.  Carlotto  è  qui  un  perverso;  Gano  ne  i  maganzesi  non  pren- 
dono  per  nuila  parte  alP  azione,  ne  davvero  c'è  bisogna  di  loro  :  il 
figlio  di  Carlo  opéra  per  invidia,  per  odio,  per  vendetta,  e  sopratutto 
non  sa  perdonare  a  Baldovino  che  Uggeri  gli  abbia  tolto  sotto  Roma  la 
gloria  di  uccidere  Karoer  e  Sandonio'.  S'egli  pratica  col  giovinetto  è 
solo  per  trovare  via 

F"  67  v»  Qe  oncir  le  poust  a  traison. 

Di  ciô  Baldovino  non  ha  alcun  sospetto  : 

Ib.  Ma  una  fois  andando  a  talcon 

I  venent  anbidos  a  tençon 
Per  li  caçer  e  por  la  venoison  ; 
Si  qe  Çarloto  le  feri  el  galon 
De  una  spea  qe  li  ce  al  polmon. 
Qe  morte  cai  a  tera  en  un  sablen. 

L'uccisore  fugge,  e  ben  presto  la  novella  si  spargc.  Ma  gliepisodii  passio- 
nati  che  abbelliscono  a  questo  punto  le  versioni  toscane  non  trovano 
riscontro  nel  testo  fr.-it.  Che  Floriamon  —  cosi  qui  si  chiama  la  madré  — 

i.  Vedi  Romama,  II,  161. 


52  P-   RAJNA 

sia  alïranta  dal  dolore,  s'intende;  Carlo  pure  è  addoloratissimo  ;  dichiara 
che  più  non  amerà  il  figliuolo;  ma  infine 

F'  68  r°  Tant  fi  le  dux  N.  e  tant  li  va  proiant, 
Qe  li  rois  li  perdone  sa  ire  e  mal  talant, 
Si  qe  in  Paris  io  retorné  l'infant. 

Poco  dopo  ecco,  corne  negli  altri  due  testi,  giungere  prima  un  messaggio 
del  Danese,  poi  lui  medesimo.  Qui  pure  si  va  ad  incontrarlo;  cogli  altri 
è  anche  Carlotto.  E  quando  l'infelice  chiede  del  figliuolo,  invece  di  na- 
scondere  il  vero,  Namo  lo  manifesta  subito,  salvo  ch'  egli  dà  la  colpa  al 
caso,  e  attribuisce  ail'  uccisore  un  pentimento  pur  troppo  non  reale. 
Allora  Carlotto,  secondo  gli  si  è  persuaso,  chiede  perdono  e  lo  ottiene  : 

F°  68  r"  Davant  da  lui  Çarloto  s'ençenoclà, 

Cun  la  coreça  al  colo  pardon  li  demanda. 
Oçer  li  guarda,  de  dolor  larmoià; 
Por  amo[r]  K.  elo  li  perdonà, 
E  del  dux  N.,  qi  doncha  le  conselà. 

Perdonato  a  Carlotto  Uggeri  narra  con  prolissità  la  conquista,  ripe- 
tendo  le  stesse  cose  pii^i  d'una  volta.  E  qui  è  intromesso  un  episodio  di 
certi  messaggeri  spacciati  a  Marmora  ediuntributo  che  Poste  manda  ail' 
imperatore  insieme  con  un  suo  figlio,  il  quale,  in  cambio  di  essere  rite- 
nuto  in  ostaggio  da  Carlo,  è  fatto  cavalière  e  poi  rimandato  libero  al 
padre.  Cosî  abbiamo  un  tratto  non  brève  in  cui  l'argomento  principale 
si  perde  di  vista,  con  grave  danno  dell'  interesse,  giacchè  l'animo  del 
lettore  ha  tutto  il  tempo  di  raffreddarsi. 

Qui  giunta,  V  azione  viene  a  patire  un  interrompimento  che  i  testi 
toscani  non  conoscono.  Del  Danese  si  arriva  a  dire  che 

F°  68°  v  Dever  Çarloto  non  oit  mal  entant, 
tanto  che  spesso  giuoca  con  lui 

Ib.  A  scachi  et  a  tables  por  çirse  sbanoiant. 

Un  giorno  che  appunto  sono  intenti  a  giocare,  Carlotto,  il  quale  perde, 
inveisce  contro  Uggeri  e  lo  minaccia  : 

69  r"  Ma  una  fois  te  digo  apertamant: 
De  toi  farô  qe  fi  de  ton  enfant 
Qe  eo  oncisi  cun  un  coltel  trençant. 

Quel  ricordo  crudele  risuscita  tutto  il  dolore  e  lo  sdegno  nelP  animo  del 
povero  padre  : 

Ib.      Le  tavoler  saçé  dont  avoit  zugé; 
Por  ira  e  mal  talant  el  l'oit  pié, 
E  sor  le  çevo  tel  n'oit  a  Çarloto  doné 
Qe  ocii  e  cervele  li  est  del  çevo  volé; 
Morto  a  tera  el  est  trabuçé. 
Oltra,  fait  il,  fel  traito  renoié, 
Moi  ne  altrui  çamai  no  onçiré. 


UGGERl    IL    DANESE  55 

Cominciando  di  qui  l'  accordo  délie  varie  versioni  si  fa  più  stretto  e  si 
puô  passar  sopra  a  moite  cose  più  leggermente.  Il  ridursi  del  Danese  in 
un  canto,  la  richiesta  che  Orlando  gli  fa  délia  spada,  il  suo  ubbidire, 
basta  che  appenasiaccennino.  Di  Rinaldo  non  si  parla  in  nessun  modo. 
Anche  nel  cantare  fr.-it.  l'imperatore  vorrebbe  mortoil  Danese,  e  Orlando 
si  oppone  risoluto,  dicendo  che  è  suo  prigioniero.  Efficace  è  l'  ira  di 
Carlo,  e  bello,  se  non  fosse  guasto  dall'  esecuzione,  sarebbe  l' intromet- 
tersi  di  Namo,  che  riesce  a  placare  qualche  poco  il  suo  signore.  Nell' 
imprigionamento  c'  è  di  notevole  la  malafede  di  Carlo,  che  induce  Orlando 
a  consegnargli  il  Danese  mostrandosi  disposlo  a  punirlo  corne  Namo 
suggerisce,  quando  già  nella  sua  mente  ha  dehberato  che  questa  prigionia 
equivalga  alla  morte  : 

F"  69  v°  Eo  li  farô  in  tel  preson  fiçer 

Qe  petite  tenpo  elo  li  porà  durer 
Q^elo  non  aça  a  (la)  maia  mortfiner. 

Anche  qui  Uggeri  develasua  salvezza  ad  Orlando  ;  ma  l'astuzia  è  nar- 
rata  più  confusamente  : 

Ib.  Por  çascun  ior  li  fasoit  un  pan  porter 

Qe  asà  n'averoit  de  quelo  dos  baçaler  ; 
E  una  peça  de  carne  si  grande  e  plener, 
Qe  in  du  iorni  no  la  poroit  mançer; 
E  un  si  gran  bronçer  de  vin  li  fait  porter, 
Qe  ben  se  poit  de  toto  saoler. 

Orlando  puô  andare  ogni  giorno  alla  prigione;  ma  del  cavallo  ne  délia 
moglie  non  si  fa  parola. 

Qui  si  abbandona  Uggeri  per  venire  a  Braier,  o  Braer,  del  quale 
l'autore  non  narra  punto  l'origine;  bensi  dicecom'egli  venisse  a  sapere 
per  malie  non  esserci  de  sor  tera  cavalière  alcuno  di  cui  egli  abbia  a 
temere.  Braier  convoca  allora  un  consiglio,  che  nessun  altro  lesto 
conosce  ;  corne  nessun  altro  sa  di  Tanfur,  mandato  a  Carlo  con  minaccie 
terribili,  se  non  rinnega,  ne  délia  risposta  ardita  e  sprezzante  dell'  impe- 
ratore.  Si  pu6  tultavia  paragonare  con  questo  episodio  1'  ambasciata 
che  nei  toscani  è  commessa  a  Falserone  quando  i  saracini  si  trovano 
già  sotto  Parigi.  Avuta  la  risposta  Braier  si  mette  in  mare  con  trenta  rc 
e  quattrocento  mila  uomini,  e  passato  in  P'rancia  si  avvia  verso  Parigi. 
Marsilio  non  è  nemmcno  nominato;  invece  si  narra  con  prolissit;')  una 
prima  battaglia  combattuta  da  Orlando  alla  testa  di  ventimila  uomini, 
alla  quale  appena  lontanamente  si  pu6  paragonare  la  sortita  scgreta  e 
poco  importante  di  Rinaldo  e  di  Ricciardo  di  Normandia  presse  gli  altri 
due  autori.  L'indomani  Braer  si  avanza  per  combattere  da  solo  a  solo, 
e  provoca  audacemente  Carlo  c  i  suoi.  L'imperatore  lascia  libéra  l'andata 
a  chi  vuole  : 


54  P.   RAJNA 

V"  71  v"  Ben  le  fiist  le  cont  R.  aie; 

Quant  il  oit  le  sorte  veu  e  cité, 

Qe  ver  quel  pain  nul  hon  averoit  duré 

Qe  scia  sevra  tara  abité. 

Orlando  intende  bene  che  1'  uccisore  ha  da  essere  il  Danese,  ma  essen- 
doci  bando  di  morte  contro  chi  pronunci  il  suo  nome,  si  sta  quieto  ed 
aspetta.  Esce  allora  Ulivieri,  di  cui  si  narra  a  lungo  l'  armarsi,  le  parole 
con  Braer,  e  il  duello,  che  termina  colla  vittoria  del  saracino.  Questi 
vince  col  valore,  non  colle  grida  ;  le  gridaci  sono,  aiutanoancor  esse,  ma 
non  hanno  potenza  soprannaturale  : 

F°  72  v"  Quant  Oliver  li  oit  entendu 
Pur  del  crier  oit  paura  eu. 

E  già  se  ne  era  parlato  narrando  la  venuta  in  Francia  : 

F°  70  V  Braer  oit  nome  tant  solemant 

Por  q'  elo  braise  tan  forte  e  feremant, 
A  le  brair  si  spaventa  la  çant, 
Q^elo  li  fa  vinti  e  recréant. 
Ma  insieme  : 

Ib.  Plu  oit  il  força  qe  quatro  altri  conbatant, 

Dopo  Ulivieri  è  fatto  prigione  l'Arçiveschovo.  E  qui  per  un  pezzo  ci 
dovremmo  sorbire  descrizioni  monotone,  se  per  buona  sorte  l'autore 
stesso  non  si  avvedesse  délia  convenienza  di  tagliar  corto  : 
F»  72  v°  Qe  vos  doit  eser  li  pla  plus  alonçé.? 

Tutti  i  pari,  a  eccezione  di  Orlando,  rimangono  prigionieri.  Allora,  con- 
sigliatosi  con  Namo,  Orlando  ricorre  a  uno  stratagemma  ;  nomina 
Uggeri,  ma  in  modo  che  Carlo  non  sappia  da  chi  propriamente  sia  venuta 
la  parola,  sicchè  per  domandarne  infrange  egli  medesimo  la  legge  : 

F"  73  r"  E  R.  prist  li  Danois  a  nomer. 
K.  l'oï,  si  le  responde  arer: 
A  qi  0  oldu  li  Danois  mentoer.? 
Çascun  escria  :  Vu  si  deso,  meser  ! 
Le  rois  l'oldi,  ne  olsa  plu  parler, 

Ripetutasi  due  volte  questa  scena,  Carlo  toglie  per  il  meno  maie  il 
divieto  : 

Ib.  El  dise  qe  çascun  li  posa  nomer. 

Quindi  Orlando  puô  manifestare  quanto  sa,  come  cioè  Braer  non  abbia 
ad  esser  vinto  se  non  da  taie  che  si  trova  sotterra,  e  come  questi  non 
possa  esser  altri  che  Uggeri.  Carlo  consente  che  esca  di  prigione;  ma  il 
Danese  rifiuta  : 

Ib.  Se  de  colu  non  prendo  vençament 

Qi  m'a  tenu  qui  loga  longament. 

Inutilmente  Namo  si  studia  dissuaderlo  : 


UGGERI    IL    DANESE  55 

Ib.  Dist  li  Danois  :  Uncha  a  mon  vivent 

Non  averà  da  moi  pax  ne  bon  convent 

Se  trois  coipi  non  li  do  de  ma  spea  trençent. 

Carlo,  senîendo  ciô,  è  addoloratissimo  ;  se  il  Danese  gli  dà  tre  colpi  farà 
di  lui  due  parti  ! 

Ib.  Dist  R.:  Ne  vos  dotés  ne  mie; 

Ne  vos  dalmaçarà  la  monta  d'una  alie. 

A  questi  confort!  si  aggiunge  un  moto  generoso  dell'  animo  : 

F"  73  V  Meio  voio  morir  qe  eser  perie 

Tanti  bon  çivaler  cun  son  en  presonie. 

Perô  Carlo  consente  ;  e  non  ne  segue  alcun  maie.  Uggeri  vuol  solo 
pagarlo  di  panra  ;  ride  vedendolo  coprirsi  di  due  elmi  : 

Ib.  E  li  Danois  cun  saço  e  menbrie 

Alça  li  brando  cun  le  viso  enbronçie; 
Una  vista  fi  d'una  grande  remie; 
Alça  li  colpo  e  belament  le  plie  : 
Ne  fose  por  cil  una  moscha  perie. 

Ail'  autore  la  condotta  de!  Danese  non  par  meritevole  di  approvazione  : 

Ib.  Saçés,  segnors,  qe  la  fo  gran  stoltie 

Qe  fe  li  Danois  veçando  la  baronie: 
Tros  colpi  feri  II  rois  con  la  spea  forbie. 

La  castastrofe  è  detta  in  brève.  La  fata,  l'impeciamento,  la  scena 
comica  che  ne  nasce,  non  possono  qui  trovare  luogo  alcuno  ;  Uggeri 
esce,  e  avendo  per  caso  nelle  parole  che  al  solito  passano  tra  lui  e 
l'avversario  accennato  al  suo  trovarsi  sotterra,  produce  grande  sgomento 
in  cosiui,  che  ricordando  la  profezia,  prevede  la  sua  morte.  E^raer  vor- 
rebbe  sottrarsi  alla  battaglia,  ma  non  trova  il  modo  ;  tuttavia  sdegna  le 
profFerte  di  Uggeri  : 

F"  74  v"  En  crestenté  averà  gran  loer, 

Tera  averà  a  tenir  e  guarder, 

Conpagno  sera  R.  et  Oliver. 

Vedendosi  vicino  a  soccombere  il  saracino  manda  un  grido  e  fa  accorrere 
la  sua  gente  ;  ma  allora  si  avanza  anche  una  schiera  di  cristiani  c  si 
viene  a  battaglia.  Finalmente  Uggeri  uccide  Braer,  che  per  qualche 
poco  si  era  spiccato  da  lui  e  azzuffato  con  Orlando.  Qiicsti  manda  un 
messo  alla  città  ;  tutti,  il  re  stesso,  escono  fuori  ;  i  saracini 
F°  7^  v°  En  tua  torne  por  poi  c  por  pendant; 
Non  atendoit  li  père  son  enfant. 

La  liberazione  de!  prigionicri,  la  cacciadei  fuggiaschi,  il  rilorno  a  Parigi, 
mettono  termine  alla  rama  : 

Ib,  Gran  çoia  lo  in  Paris  e  'ntorno  et  inviron 

Por  cil  avoir  qc  il  li  aporlon. 


^6  p.   RAJNA 

De  qui  avanti  se  renova  la  cançon  : 
Mai  non  io  tel  oldua  par  nesun  lion. 

A'compiere  la  parte  espositiva  e  preparare  cosi  la  materia  aile  consi- 
dcrazioni  criiiche  resta  che  io  parli  délia  versione  che  si  attribuisce,  pare 
a  me  con  ragione,  a  Raimbert  de  Paris.  Trattandosi  di  un  documento 
edito  da  un  pezzo  e  dissimile  assai  da  quelli  a  cui  s'è  volta  qui  la  nostra 
attenzione,  non  ho  bisogno  di  andar  tanto  per  le  lunghe.  L'andata  a 
Marmora,  o  a  Verona,  che  dir  si  voglia,  non  trova  riscontro  nel  testo 
francese,  che  ai  fatti  di  Roma  fa  seguitare  immediatamente  il  principio 
deile  peripezie  di  Uggeri.  Se  non  che  queste  peripezie  sono  assai  più 
intralciate.  Carlotto  (Kallos  o  Charlos)  uccide  qui  Baldovino  {Bauduinet) 
colla  scacchiera,  adirato  peressere  stato  vinto  ai  giuoco.  Uggeri  vorrebbe 
bene  vendicarsi  : 

J195  S'il  le  tenist,  ja  n'euist  mais  mestier 
Ne  li  fesisttos  les  menbres  trenchier; 

ma  Carlo  prudentemente  ha  fatto  allontanare  il  figlio.  Ricusando  il 
Danese  ogni  composizione  e  persistendo  nelle  minaccie,  l'iraperatore  le 
mette  al  bando.  Quegli  pieno  d'ira  si  scaglia  contro  di  lui  per  ucciderlo  ; 
ma  in  fatto  dà  invece  morte  a  Loiher,  nipote  délia  regina  e  figlio  del  re 
di  Portogallo.  È  in  grazia  di  questa  uccisione  che  Carlo  grida  qui  pure 
che  Uggeri  sia  preso  : 

J2j6  Prendés  le  moi,  car  par  le  roi  du  ciel, 
S'il  vos  escape  je  vos  ferai  irier. 

Ma  se  molti  Io  vanno  ad  assalire  e  provano  quanto  valga  la  sua  spada, 
i  paladini  con  altri  cavalieri  Io  aiutano,  tanto  ch'  egli  puô  uscire,  montare 
a  cavallo  e  fuggirsene.  A  noi  non  importa  di  seguitarlo  nelle  sue  lunghe 
peregrinazioni,  che  i  testi  italiani  non  conoscono  ;  perô  lascio  com'  egli 
andasse  a  Desiderio,  come  da  ciô  nascesse  una  guerra  sanguinosa,  come 
poi  si  rifugiasse  in  Castel-Fort,  come  alla  fine,  rimasto  solo,  fosse 
costretto  ad  una  nuova  fuga.  Tutto  questo  riempie  parecchie  migliaia  di 
versi,  che  io  posso  saltare  a  piè  pari.  Perô  vengo  fino  al  punto  dove 
Uggeri  è  sorpreso  dormienteda  Turpino,  che  ritorna  da  Roma.  Condotto 
a  Carlo,  a  fatica  sfugge  aile  forche  ;  pure  alla  fine  Turpino  ottiene  che 
sia  solo  imprigionato,  e  ne  diventa  egli  medesimo  il  carceriere.  Qui 
dunque  comincia  la  parte  colla  quale  anche  le  versioni  italiane  hanno 
somiglianze  strette.  Sia  pure  che  i  particolari  per  Io  più  differiscano  ;  che 
per  es.  nel  racconto  di  Raimbert  la  prigionia  di  Uggeri  sia  la  più  dolce 
che  si  possa  immaginare  :  Io  schéma  a  ogni  modo  si  accorda.  Ed  ecco 
anche  qui  sopraggiungere  l'africano  Brehus  0  Braihier  ' ,    mettere  il 

I .  Il  nome  vero  è  senza  dubbio  Braihier,  0  Braihcr  che  risponde  ail'  italiano 
Bravieri.  Brehus  dev  'essere  una  forma  insinuatasi  in  grazia  di  ricordanze  délia 
Tavola  Rotonda  {Brehus  sans  Pitié), 


UGGERI    IL    DANESE  57 

campo  a  Parigi,  gettare  colle  prime  prove  taie  sgomento  tra  i  Franchi, 
che  più  non  sanno  vedere  scampo  in  altri  che  in  Uggeri.  E  Uggeri  è  nomi- 
nato  da  trecento  a  un  punto,sicchè  l'imperatore  non  ha  cuore  di  eseguire  il 
bando  stabilito  contro  chiunque  pronunci  quel  nome.  E  oraegli,  credendo 
morto  da  un  pezzo  il  prigioniero,  si  pente  de!  suo  operare;  saputolo  in 
vita,  corre  per  liberarlo.  Ma  Uggeri  non  consente  a  uscire  se  non  si  dà 
in  suo  potere  Carlotto,  ch'  egli  vuole  uccidere;  e  a  questo  ancora  l'im- 
peratore si  vede  costretto  a  consentira.  E  la  cosa  non  avrebbe  qui  la 
riuscita  buffonesca  che  hanno  nel  testo  fr.-it.  i  tre  colpi  sopra  di  Carlo, 
il  giovane  principe  sarebbe  veramente  ucciso,  se  non  scendesse  S,  Mi- 
chèle e  non  ordinasse  al  Danese  di  risparmiarlo  : 

10999  ^ors  une  buffe  li  donnas  solemant 
Por  garantir  le  tien  fol  sairemant. 

La  volontà  divina  è  rispettata,  e  tra  Carlo  e  Uggeri  segue  una  perfetta 
riconciliazione.  Corne  poi  Braiher  sia  ucciso,  non  c'è  qui  bisogno  di 
riassumere;  ma  alla  sua  morte  l'autore  fa  tener  dietro  ancora  altri  casi, 
narrando  come  Uggeri,  accorso  a  certe  grida  di  donna,  liberi  una  fan- 
ciulla,  figlia  del  re  Angart  d'Inghilterra,  e  attraverso  a  gravi  pericoli  la 
conduca  in  salvo.  La  compiuta  disfatta  dei  saraciniele  nozze  del  Danese 
colla  donzella  da  lui  salvata  terminano  lietamente  il  lungo  poema. 

Su  questi  materiali  che  sono  venuto  raccogliendo,  riassumendo,  con- 
frontando,  bisogna  adesso  che  mi  trattenga  a  ragionare.  É  necessario 
vedere  quali  sorte  di  relazioni  passino  tra  ivarii  testi,  quai  posto  si  deva 
assegnare  a  ciascuno  nella  storia  di  questa  leggenda.  Che  le  tre  versioni 
che  l'Italia  fornisce  per  suo  contributo  si  contrappongano  alla  francese 
costituendo  una  classe  spéciale,  è  troppo  chiaro  oramai  perché  ci  sia 
bisogno  di  nuove  spiegazioni.  Basti  solo  ricordare,  senza  discendere  a 
minuzie  inutili,  come  la  narrazione  dell'  andata  a  Marmora  si  trovi  solo 
nelle  versioni  nostre  ;  come  solo  in  esse  Carlotto  sia  ucciso  da  Uggeri 
per  vendetta  di  Baldovino  ;  come  in  tutte  e  tre  la  prigionia  sia  coUegata 
immediatamente  con  questi  fatti,  senza  che  si  frapponga  la  fuga  in  Italia, 
ne  altri  casi  fortunosi.  Perô  è  manifeste  che  di  una  vera  e  piena  doriva- 
zione  dei  testi  italiani  dal  poema  di  Raimbert  non  si  deve  nemmeno 
parlare  ;  si  potrà  invece  chiedere  se  quel  poema  possa  aver  servito  a 
far  conoscere  nella  penisola  la  storia  di  Uggeri  e  se  le  versioni  nostre 
siano  forse  a  ritenere  una  mischianza  dicose  toile  di  l;\con  nuove  inven- 
zioni  e  fantasie.  E  anche  posta  cosi  la  questione,  inclinorei  a  rispondere 
che  no  ;  trascurando  per  ora  il  resto,  l'opéra  del  trovero  parigino  si  d.\  a 
conoscere  con  troppa  evidenza  per  un  rifacimento  di  età  non  moite 
antica,  perché  sia  facile  attribuirgli  tanta  importanza  nella  propagazionc 
délie  avventure  di  Uggeri  da  una  nazione  ad  un'  altra.  Lasciando  le  sue 
lungaggini  insopportabili  nel  racconlo  délie  peripeziedcl  protagonista,  si 


^8  p.    F<AJNA 

faccia  di  gra/ia  attenziorie  al  combaltimento  con  Braiher.  Il  saracino 
nel  testo  francese  è  munito  del  prez.ioso  unguento  che  servi  a  ungere  il 
cadavere  di  Cristo  (v"  1 1  290),  e  con  questo  più  e  più  volte  guarisce  le 
sue  ferite.  Che  di  ci6  le  versioni  antiche  non  dovessero  saper  nulla, 
appena  si  puô  dubitare;  anzi  non  sarà  un'  ipotesi  molto  ardita  il  sup- 
porre  che  questo  tratto  provenga  dal  Fierabras,  nel  quale  il  possesso  del 
balsamo  è  motivato  ampiamente.  E  ancora  c'è  di  peggio;  chè  tutta 
quella  parte  délie  ultime  rame  dove  s'intromette  la  figlia  di  Angart  sup- 
pone  un  'età  in  cui  il  senso  dell'  epopea  fosse  oramai  perduto  e  i  romanzi 
di  Tristano  e  di  Lancilotto  avessero  dato  il  bando  alla  Chanson  de  Ro- 
land. 0  corne  mai,  mentre  Carlo  e  tutti  i  Franchi,  non  sapendo  nulla 
del'  esito  del  duello,  devono  trovarsi  nella  più  crudele  angoscia  per 
le  sorti  delP  impero  e  délia  cristianità,  come  mai  puô  venir  in  capo  ail' 
autore  di  allontanare  il  suo  eroe  per  fargli  compiere  un'  avventura  da 
cavalière  errante  ?  E  non  contente  di  ciô  il  poeta  non  trova  sconvene- 
vole  d'introdurre  a  questo  punto  una  descrizione  voluttuosa  délia  fan- 
ciulla  e  di  fare  —  dopo  sette  anni  di  prigionia  e  i  casi  di  Braiher  !  — 
che  il  Danese  se  ne  accenda  come  un  giovinetto  di  primo  pelo  : 

12081   Ogier  l'esgarde,  le  cuers  il  va  caant; 
Tant  fu  souspris  de  s'amor  maintenant, 
Aine  ne  fu  si  de  nule  amor  vivant. 

Eppure  questo  episodio  non  sembra  mancare  in  nessun  manoscritto. 
cosicchè  s'avrà  a  ritenere,  non  già  una  mera  interpolazione,  ma  una 
délie  giunte  venute  nel  poema  quando  Raimbert  lo  rifece. 

Dal  non  saper  nulla  di  tutta  questa  narrazione  mentre  nella  guerra  di 
Braiher  le  analogie  sono  relativamente  strette,  parrebbe  dunque  potersi 
già  sospettare  che  le  versioni  italiane  si  appoggino  a  un  testo  più  antico 
di  quello  di  Raimbert.  Se  non  che  aile  ragioni  négative  non  si  deve  mai 
dare  troppo  peso,  quando  non  siano  sorrette  da  altri  argomenti.  Uno 
non  dispregevole  mi  pare  si  possa  cavare  dagli  accidenti  délia  prigionia 
di  Uggeri.  Considerando  la  natura  del  racconto  noi  ci  aspettiamo  di 
vederlo,  appunto  come  succède  nei  testi  italiani,  gettato  in  un  fondo  di 
torre,  costretto  a  sostenere  una  vita  disagiosa,  insopportabile  ;  e  invece 
secondo  Raimbert  egli  esce  alla  messa,  giuoca  a  scacchi,  ha  compagni 
quanti  vuole,  mangia  d'ogni  delicatezza  (yo  9872  segg.),  e  insomma  se 
la  passa  cosî  bene,  che  quando  alla  fine  è  liberato  egli  si  trova  più  grasso 
che  mai  : 

10383  Ne  fust  si  biaus  dès  l 'ore  q'il  fu  nés; 
Crans  fu  e  gras  et  fornis  et  molles. 

È  vero  che  in  certi  luoghi  s' incontrano  parole  che  farebbero  concepire 
ben  più  dura  la  prigionia  : 


UGGERl    IL    DANESE  J9 

9767  Onkes  ne  vit  son  pié  ne  son  talon, 

Sor  le  brun  marbre  se  gist  li  gentieus  hom  ; 
Blance  ot  le  barbe,  s'ot  flori  le  grenon. 

Ma  queste  contraddizioni  evidenti  non  fanno  che  confermare  quanto 
io  dico,  non  potendo,  pare  a  me,  derivare  da  altro,  se  nondauna  fusione 
imperfetta  del  vecchio  col  nuovo.  Che  il  vecchio  poi  s'abbia  a  ricono- 
scere  in  questi  tratti  per  cosî  dire  sporadici,  che  s'accordano  coi  rac- 
conti  italiani  e  quel  ch'è  più  colla  natura  intima  délia  leggenda,  è  troppo 
facile  a  scorgere.  E  forse  non  è  questo  il  luogo  in  cui  il  racconto  abbia 
sopportato  le  maggiori  perturbazioni  :  più  guasta  sembrerebbe  la  parte 
che  narra  i  fatti  di  Braiher  prima  che  sia  liberato  Uggeri.  I  Franchi,  i 
quali  nella  versione  ibrida  di  Venezia  non  si  sgomentano  se  non  quando 
tutti  i  principali  campioni  sono  stati  presi,  che  nelle  toscane  si  lasciano 
ridurre  ail'  ultima  estremità,  tanto  che  già  si  vedono  rizzate  le  forche 
per  impiccare  l'imperatore  e  tutti  i  suoi,  qui  mostrano  una  vigliaccheria 
incomprensibile.  Un  solo  cavalière,  Dos  de  Nantuel  (9966  segg.),  com- 
batte da  solo  a  solo  ;  riuscita  maie  questa  prova  venti  baroni  si  gettano 
tutti  insieme  su  Braiher,  e  tutti  quanti  sono  da  lui  volti  in  fuga  e  malconci 
(10063)  !  Ciô  basta  per  spaventare  ognuno  e  far  si  che  subito  si  pensi 
al  Danese.  E  sia  pure  che  ne  Orlando,  ne  Ulivieri,  ne  Rinaldo  abbino 
parte  nell'  azione  ;  questa  non  poteva  essere  una  buona  ragione  per  far 
comparire  vigliacchi  tutti  gli  altri,  tra  cui  si  noverano  pure  nomi  assai 
famosi.  Del  resto  anche  su  questa  assenza  dobbiamo  intrattenerci  un 
poco.  Per  Rinaldo  non  c'èbisogno  di  troppe  parole,  giacchè  in  origine 
egli  non  entra  se  non  in  una  classe  ristrettissima  di  narrazioni,  in  un  ciclo 
a  parte  a  cui  primitivamente  erano  estranei  affatto  Orlando  e  i  paladini. 
Quanto  ad  Orlando  nel  testo  offertoci  dall'  editore  si  rilevano  alcune 
anomalie.  Da  certi  versi  (10:142-48)  egli  appar  morto,  il  che  signitiche- 
rebbe  che  l'azione  dell'  uhima  parte  almeno  s'avrebbe  a  collocare  dopo 
la  rotta  di  Roncisvalle;  ma  questi  versi  del  pari  che  altri  allusivi  al  me- 
desimo  Orlando  si  leggono  in  un  solo  manoscritto  e  paiono  quindi  doversi 
sposettare  interpolati.  Se  cosî  non  fosse  bisognerebbe  accusare  di  un' 
altra  contraddizione  l'autore,  poichè  tra  i  personaggi  délia  guerra  con 
Braiher  compare  Milon  d'Aiglant  (9960),  che  al  tempo  di  Roncisvalle 
era  mor.to  da  un  pezzo,  tanto  che  Berta  si  trovava  allora  moglie  di  Gano 
e  ne  aveva  un  figlio  già  adulto.  Ma  poco  a  poco,  0  per  diritto  0  per 
rovescio,  si  vuole  che  i  paladini  entrino  dappertutto;  se  non  altro  si 
crede  necessario  spiegare  come  sia  che  di  loro  non  si  parli,  e  perô  per 
solito  si  ricordano  come  morti.  Cosî  per  un  lato  viene  a  introdursi  una 
cronologia  tutta  fittizia,  che  s'ha  a  dire  non  di  rado  la  disperazione  dei 
critici  moderni  ;  per  un  altro  appetto  a  certi  nomi  si  vedono  impallidire 
altri  già  famosi,  che  finiscono  per  diventare  in  molta  parte  enimmatici. 


6o  P-    RAJNA 

Tener  dietro  ail'  evoluzione  délie  letterature  romanzesche  anche  soito 
questo  aspetto  è  certo  una  ricerca  di  molto  intéresse  ;  qui  basterà  accen- 
nare  qualcosa,  affinchè  si  possa  giudicare  piii  rettamente  délie  singole 
versioni  délia  storia  de  Uggeri  e  si  eviti  il  rischio  di  vedere  un  dissenso 
fondamentale  là  dove  non  si  tratta  che  di  discrepanze  al  tutto  secondarie, 
prodotte  necessariamente  dalla  diversità  del  tempo. 

È  ora  notissimo  che  il  ciclo  di  Carlomagno,  quale  noi  lo  conosciamo 
dai  poemi  francesi,  ha  avuto  nascimento  dalP  accozzo  di  parecchi  cicli 
minori.  Coll'  andar  del  tempo  la  fusione  già  nella  Francia  si  fece  più 
intima,  non  perô  a  segno  che  i  medesimi  eroi  diventassero  comuni  a 
ogni  sorta  di  racconti,  se  pur  questi  non  erano  invenzioni  nuove.  Per 
quelli  che  divulgati  da  un  pezzo  avevano  messo  radici  profonde,  i  rima- 
tori  si  contentavano  di  trasformare  i  versi  e  le  rime,  ammodernare  la 
lingua,  interpolare  il  racconto,  conservando  quai  era  la  tela.  Ma  ogni  volta 
che  le  narrazioni  trasmigrarono  in  Italia,  il  tramutamento  non  poteva  fer- 
marsi  cosi  vicino;  la  lingua  doveva  farsi  altra  cosa,  se  il  popolo  aveva  a 
intendere,  e  cosi  veniva  a  mancare  un  ritegno  efficacissimo  aile  innova- 
zioni.  D'altronde  le  vecchie  storie  non  erano  note  nella  penisola  in  tutti 
i  loro  particolari,  sicchè  a  nessuno  destava  scandalo  o  sospetto  il  vedere 
introdotto  in  un'  azione  chi  prima  non  vi  aveva  punto  partecipato.  Anzi 
la  conoscenza  imperfetta  délia  materia  faceva  si  che  si  preferissero  sem- 
pre  certi  personaggi  più  conosciuti,  i  quali  a  questo  modo  venivano  a 
intromettersi  dovunque.  Ci  fu  naturalmente  un'  età  di  transizione,  in  cui 
il  vecchio  persisteva  ancora  quando  il  nuovo  si  era  già  sprigionato;  questa 
età,  per  mancanza  di  altri  documenti,  ci  puô  essere  rappresentata  special- 
mente  dal  ms.  XIII  di  Venezia.  Cosi  accade  che  ivi  diverse  generazioni 
si  trovino  mescolate;  per  contentarmi  délie  storie  di  Uggeri,  vediamo 
comparire  sulla  scena  eroi  del  tempo  antico,  come  Bernardo  di  Clermont, 
e  insieme  hanno  occupato  un  luogo  cospicuo  Orlando  e  Ulivieri.  Ma  se 
non  altro  i  figliuoli  d'Amone  qui  sono  ancora  lasciati  in  disparte  ;  è  in  un 
periodo  posteriore,  a  noi  rappresentato  solo  dai  testi  toscani,  che  l'ul- 
timo  freno  vien  rotto.  Allora  anzi  succède  che  RinaldoeMalagigi,  Gano 
e  i  Maganzesi,  prendano  il  soprawento  su  tutti  gli  altri;  richiesti  impe- 
riosamente  dal  popolo,  che  per  loro  vuole  appassionarsi,  per  loro  accen- 
dersi,  sia  d'amore,  sia  d'odio,  essi  penetrano  dappertutto'.   Ed  è  note- 

I.  Aile  cause  interne  che  hanno  ampliata  in  maniera  cosi  straordinaria  la 
parte  di  Rinaldo  nella  nostra  letteratura  cavalleresca,  dubito  sia  da  aggiungerne 
una  affatto  esterna,  ma  forse  molto  efficace.  Nei  codici  francesi  e  fr.-it.  l'iniziale 
R.  serviva  ugualmente  per  designare  il  tiglio  d'Amone  (Renaud)  e  il  nipote  di 
Carlo  {Roland,  Rolando).  Ora  egli  era  troppo  naturale  che  i  toscani,  presso  i 
quali  i  due  nomi  non  cominciavano  più  dalla  rnedesima  lettera,  leggessero  sbada- 
tamente  Rinaldo  anche  dove  era  da  interpretare  Orlando  L'intrusione  di  Rinaldo 
si  tirava  poi  dietro  come  conseguenza  necessaria  quella  dei  fratelli,  dei  cugini, 


UGGERI    IL    DANESE  6l 

vole  il  fatto  che  da  Gano  sono  spesso  surrogati  Namo  e  Turpino,  i  savi 
consiglieri  di  Carlo.  S'intende  che  dove  ciô  succède  si  dà  un'  interpre- 
tazione  sinistra  a  ciô  che  in  origine  era  suggerito  a  fin  di  bene.  Cosî 
accade  nelle  storie  del  Danese;  giacchè  mentre  il  primo  pensiero  d'im- 
prigionare  Uggeri  nel  testo  francese  vien  da  Turpino  (9572  segg.),  ne' 
fr.-it.  da  Namo,  nella  prosa  toscana,  e  con  qualche  diversità  nella  rima, 
è  il  perfido  conte  di  Maganza  che  induce  Carlo  a  prendere  un  siffatto 
partito.  Se  non  che  i  due  primi  tendono  a  salvare  l'infelice;  questi 
ultimo  non  mira  ad  altro  che  a  toglierlo  di  mano  ad  Orlando  perché 
muoia  délia  morte  pîù  atroce.  Le  ultime  conseguenze  di  questa  evolu- 
zione  possiamo  vedere  in  una  parte  del  Morganîe  che  appartiene  real- 
mente  al  Pulci  :  Rinaldo  pénétra  perfmo  nei  fatti  di  Roncisvalle,  che  fmo 
a  quel  punto  gli  erano  stati  preclusi,  quasi  fossero  un  sacro  recinto.  Se 
a  tutto  ciô  non  si  fa  bene  attenzione,  s'accresce  la  difficoltà  di  trovare  il 
filo  che  riconnette  coi  testi  francesi,  0  siano  originarii  oppur  rifatti,  le 
ultime  diramazioni  che  vediamo  vegetare  in  Toscana. 

Ma  da  questa  digressione  rimettendomi  sulla  mia  strada,  un  altro 
argomento  assai  più  diretto  fmisce  di  persuadermi  che  le  versioni  ita- 
liane  non  si  possono  ricondurre  al  testo  di  Raimbert.  La  cronaca  Danese 
di  Carlomagno',  che  indubbiamente,  come  afferma  il  Paris,  seguiva  la 
versione  originaria  délia  Karlamagnùs-Saga,  narrando  i  fatti  di  Uggeri  si 
trova  in  qualche  cosa  d'accordo  con  quanto  dicono  lenarrazioni  nostrali, 
dissentendo  invece  dalle  francesi.  Il  Paris,  al  quale  si  deve  che  il  ri- 
scontro,  almeno  in  parte,  sia  stato  avvertilo,  partuttaviapropenso  a  giu- 
dicarlo  casuale,  e  preferisce  attribuire  a  confusione  mnemonica  nell' 
autore  délia  compilazione  di  Venezia  le  differenze  gravissime  che  si 
notano  tra  ciô  che  narra  costui  e  quanto  dice  Raimbert^.  Il  dotto  critico 
aveva  forti  ragioni  per  giudicare  cosî,  ed  io  sono  altrettanto  alieno 
quanto  lui  dal  ricondurre  immediatamente  a  uno  stesso  fonte  il  racconto 
nostro  e  quello  délia  Saga  islandese;  i  rapporti,  come  si  vedrà  fra  poco, 
li  immagino  più  remoti,  più  indiretti.  Qui  peraltro  osservo  che  la  con- 
cordanza  délia  cronaca  Danese  colla  narrazione  fr.-it.  non  si  riduce  al 
solo  tratto  rilevato  dal  Paris,  ma  da  quel  poco  che  io  posso  scorgere  si 
estende  assai  più  oltre;  perô  il  vedere  qua  dentro  un  puro  effetto  del 
caso  mi  pare,  più  che  difficile,  quasi  impossibile.  È  analoga  infatti  la 
causa  dell'  odio  di  Carlotto  contro  di  Uggeri.  Nella  cronaca  Danese  il 
prode  campione  èodiato  dal  principe  perché  mandato  con  lui  dall'  impe- 
ratore  a  soccorrere  l'Italia  invasa  dal  re  Amarus,  ha  ucciso  costui  e  cosi 


ed  anche  dei  nemici. 

1.  Non  ho  dinanzi  il  testo,  e  perô  mi  attengo  aile  notizie  che  ne  dà  il  Paris, 
Hist.  poét.  de  Cliaii.,  p.  511. 

2.  Op.  cit.,  171,  3 1 1. 


62  p.    RAJNA 

tolto  a  Carlotto  un'  occasione  di  gloria.  Or  bene,  ad  Amarus  si  sostitui- 
scano  Karoer  e  Sandonio,  e  il  racconto,  ridotto  a  questa  forma  succinta, 
potrà  essere  attribuilo  senza  inesattezza  alla  compilazione  di  Venezia. 
Parlando  di  Baldovino  vi  si  dice  infatti  : 

F°  67  v°  Ma  cil  Çarloto  no  i'amava  un  boton 
Por  son  père,  quant  de  fora  de  Ron 
Oncis  qui  dos  q'era  rois  de  coron. 
For  ço  qe  Çarloto  non  oit  la  loldason 
A  li  Danois  senpre  fo  en  tençon, 
Ne  mais  no  l'amô  la  monta  d'un  boton. 

Questa  concordanza  è  peculiare  al  testo  fr.-it.,  che  è  anche  il  solo  tra  i 
nostri  a  raccontare  le  Enfances  Ogier,  ossia  la  guerra  di  Roma  ;  altre  due 
sono  invece  comuni  anche  ai  toscani,  e  abbracciano  cosi  tutta  la  fami- 
glia  itaHana.  Sono  esse  le  seguenti  :  Uggeri  uccide  Carlotto  e  per  questo 
appunto  incorre  nella  disgrazia  di  Carlo;  —  dopo  questo  fatto  viene 
imprigionato  subito,  e  di  fughe,  guerre  ed  assedii  che  il  barone  sostenga 
per  molti  anni,  non  si  fa  punto  parola.  Se  non  fosse  un  ardimento  poco 
fruttuoso  si  potrebbe  perfino  dire  che  i  testi  italiani  hanno  apparenza 
di  essere  meno  discosti  dalla  versione  originaria  là  dove  fanno  che  il 
Danese  non  céda  alla  prima,  ma  opponga  una  resistenza  virile;  quel  suo 
acconciarsi  passivamente  al  giudizio  e  alla  condanna  di  Carlo  spiace  a 
ragione  al  Paris,  e  non  gli  par  cosa  naturale'.  Perô  dall'  accordo  délie 
versioni  italiane  col  libro  Danese  si  deduce  per  un  lato  essere  realmente 
esistita  una  storia  di  Uggeri  in  cui  la  guerra  di  Lombardia,  tradizione 
distinta  in  origine^,  non  entrava  ancora  per  nulla;  per  un  altro  che  i 
racconti  nostrali  s'appoggiano  a  un  testo  francese  assai  diverso  da  quello 
di  Raimbert  e  certamente  piij  genuino.  La  perfetta  concordanza  di  queste 
conclusioni,  ottenute  per  una  via  affatto  di  versa,  con  quelle  a  cui  mi 
ha  condotto  lo  studio  délie  Enfances,  puô  servire  di  riprova  e  aile  cose 
esposte  qui  e  a  quelle  dette  nella  prima  parte  5. 

Ma  non  per  ciô  mi  passa  nemmeno  per  la  mente  di  supporre  che  le 
versioni  italiane  possano  tenerci  luogo  de!  testo  francese  perduto  ;  esse 
certo  se  ne  sono  scostate  assai  assai,  senza  che  a  noi  sia  più  possibile 

1 .  Op.  cit.,  3 12. 

2.  Taie  la  dice  ben  a  ragione  il  Paris,  !.  c. 

3.  Potrei  ancora  richiamare  l'attenzione  su  certe  conformità  délie  versioni 
italiane,  e  specialmente  di  quella  de!  cod.  XIII,  col  racconto  che  si  trova  in 
Wernher  di  Tegernsee  (1158),  riferito  dal  Paris  p.  312.  Corne  in  tutti  i 
racconti  nostrali  —  sia  pure  che  differiscano  le  cagioni  —  il  figlio  di  Otkar  o 
Osigier  dimora  nel  palazzo  reale  ed  è  compagno  del  principe;  come  nei  testi 
toscani  la  morte  del  giovinelto  è  celata  al  padre  ;  come  nel  fr.-it.  Otkar  s'induce, 
se  non  a  perdonare,  almeno  a  non  prendere  vendetta  dell'  offesa  atroce.  Ma 
poichè  le  prove  addotte  sono  più  conclusive,  rilego  qui  in  nota  queste  altre,  che 
verrebbero  a  produrre  nuove  complicazioni. 


UGGERI    IL    DANESE  6^ 

discernere  ciô  che  va  tenuto  in  conto  di  originale  da  quanto  è  pura  e 
sernplice  novilà.  Nemmeno  oserei  decidere  se  il  racconto  dell'  andata 
a  Marmora  o  a  Verona  sia  o  no  invenzione  nostrale  ;  veramente  riesce 
cosî  acconcio  a  preparare  l'uccisione  di  Baldovino  con  tutte  le  sue  conse- 
guenze,  che  in  certo  modo  ripugna  il  crederlo  niente  più  che  un  ripiego, 
un'  interpolazione,  una  giunta  appiccicata  là  nel  principio.  Il  contrasto 
tra  i  servigi  che  il  Danese  rende  a  Carlo  e  il  modo  com'  egli  ne  è  pagato 
è  di  una  efficacia  veramente  mirabile  ;  la  commozione  degli  affetti  che 
in  conseguenza  di  ciô  si  viene  a  destare  in  tutti  i  personaggi  non  trova 
facilmente  l'uguale  in  tutta  la  letteratura  romanzesca.  Puè  darsi  che  il 
merito  sia  tutto  da  attribuire  alla  felice  ispirazione  di  qualche  nostro 
cantastorie;  ma  sarebbe  poco  guardingo  chi  osasse  affermarlo,  e  ne 
prendesse  argomento  ad  uno  sfogo  di  vanità  nazionale.  Non  sapendo 
quindi  dir  nulla  di  certo  suU'  origine  dell'  episodio,  mi  contento  di  rile- 
vare  una  somiglianza  tra  l'Uggeri  chevi  è  messoin  iscenae  ilGano  délia 
Chanson  de  Roland.  Anche  Gano,  in  atto  di  partire  par  un'  ambasciata 
arrischiatissima,  pensa  a  un  figliuolo  giovinetto,  che  si  chiama  Baldovino 
ancor  esso,  e  lo  raccomanda  ail'  imperatore  : 

3 13  Si'n  ai  un  filz,  ja  plus  be!  n'en  estoet  : 
Ço  est  Baldewin,  ço  dit,  ki  ert  prozdoem. 
A  lui  lais  jo  mes  honurs  e  mes  fiés. 
Gua[r]dez  le  ben,  ja  ne  l'verrai  des  oilz. 

Il  testo  fr,-it.  ha  per  di  più  colla  Chanson  anche  questa  somiglianza,  che 
ivi  Uggeri,  precisamente  come  Gano,  consente  suo  malgrado  ad  assu- 
mersi  il  messaggio  pericoloso.  E  similmente  solo  questa  versione  dà 
luogo  ad  un  riscontro  con  un  altro  racconto.  L'oste  di  Marmora  che  ad 
Uggeri  si  scopre  avversario  del  Maximo  Çadé,  che  lo  consiglia,  stabilisce 
un  piano  con  lui,  raccoglie  la  notte  amici,  li  conduce  la  mattina  al 
palazzo  colle  spade  sotto  le  cappe  e  fa  che  al  momento  opportuno  diano 
soccorso,  s'identifica  talmente  colP  oste  che  secondo  certe  versioni  ita- 
liane  aiuta  Buovo  quando  sotto  spoglie  di  medico  si  conduce  in  Antona, 
da  doversi  ammettere  un  prestito  o  da  una  parte  o  dall'  altra.  Siccome 
poi  tra  le  versioni  délia  storia  di  Buovo  è  appunto  quella  del  ms.  XIII  la 
più  antica  a  narrare  il  fatto  a  questa  maniera,  bisognerà  dire,  a  voler 
parlare  esattamente,  che  il  compilatore  ha  ripetuto  due  volte  la  stessa 
invenzione,  sia  ch'  egli  medesimo  l'avesse  immaginata,  sia  che  l'avesse 
trovata  in  una  storia  di  Uggeri,  sia  infme  —  e  questo  a  me  pare  il  più 
probabile  —  che  esistesse  in  una  versione  délia  storia  di  Buovo  di  cui 
egli  facesse  suo  pro. 

Stando  le  cose  come  sono  venuto  mostrando,  è  chiaro  che  i  rapport! 
fra  i  testi  italiani  e  l'opéra  di  Raimbert  non  possono  essere  molto  stretti. 
La  versione  del  codice  veneziano  è  tuttavia  quella  che  gli  riesce  un  po' 


64  P-    RAJNA 

raeno  discosta,  o  a  parlare  più  proprio,  che  qua  e  làmostra  qualchc  somi- 
glian/.a  che  le  altre  non  conoscono.  Per  ciô  che  spetta  al  non  aver 
introdotto  Gano,  mi  richiamerô  aile  cose  dette  dianzi  intorno  aile  muta- 
zioni  dei  personaggi  nelle  varie  età  dalla  letteratura  cavalleresca.  Con 
ciô  si  viene  a  coUegare  la.conformità  maggiore  nel  carattere  di  Carlotto, 
che  opéra  il  maie  da  se  medesimo,  non  già  per  istigazione  di  perfidi 
consigliatori.  Se  non  cheperquesta  parte  nemmeno  i  testi  toscani  devono 
alla  cieca  essere  tenuti  innovatori;  il  loro  Carlotto,  figura  ritratta  con 
molta  delicatezza  e  con  un  istinto  mirabile  del  vero  e  del  buono,  ha  pur 
esso  riscontro  in  certe  parti  del  poema  francese,  che  poco  badando  a 
contraddirsi,  fa  a  volte  generosa  in  grado  sommo  Tindole  del  giovi- 
netto.  Cosi,  sebbene  il  verso  io8$6  dica  di  lui, 

Mais  trop  est  fel  desmesuréement, 
egli  nondimeno,  quando  Uggeri  è  preso  da  Turpino,  intercède  calorosa- 
mente  perché  non  solo  gli  sia  perdonato,  ma  anche  gli  si  rendano  tutte 
le  sue  terre  : 

9441  Por  Deu,  biaus  père,  faites  m'i  apaier, 

Le  tort  c'avons  faites  H  adrechier 

Corn  jugeront  duc  et  conte  et  princhier, 

Et  li  rendes  ses  terres  et  ses  fiés. 

Cil  qi  tort  a  se  doit  humilier. 

Sebbene  siano  minuzie,  noterô  che  solo  nella  versione  fr.-it.   corne 
nella  francese  a  Uggeri  nella  prigione  si  dà  a  bere  anche  vino,  e  non 
sola  acqua;  che  lui  vanno  a  visitare  molti  cavalieri;  che  Bravieri  passa  il 
mare  con  trenta  re  e  circa  quattrocento  mila  saracini  : 
9821  Tant  assanbla  Brehus  paiene  gent, 
Trente  roi  sont  de  la  loy  Tervagant, 
Vingt  amirant  ki  région  ont  grant  : 
Quatre  cent  mile  sont  Sarrasin  puant. 

En  meir  s'enpaignent  Brehus  et  si  baron,  etc. 

Ms.XIII,f°70v°  Avanti  trois  mois  tant  n'oit  asenblé, 

Qe  conter  no  s'en  poroit  li  cento  e  li  mile: 

Plus  de  quatrocento  mile  seroit  anonbré 

A  bone  arme  e  a  destrer  seçorné  ; 

E  si  le  estoit  .xxx.  rois  coroné  : 

En  nave  entrent,  en  buçe  et  en  gale,  etc. 

Più  importante  è  il  fatto  che  anche  il  testo  fr.-it.,  corne  il  francese,  non 
dà  luogo  a  Marsilio,  e  quindi  nemmeno  aile  scène  di  Saragozza.  Nella 
guerra  poi  di  Parigi,  si  nel  ms.  XIII  che  nel  poema  di  Raimbert,  Braiher  va 
in  persona  a  sfidare  Carlomagno,  non  manda  già  un  messaggero  corne 
nelle  narrazioni  toscane.  Qui  si  notaperfmo  qualcheconformità  di  parole  : 

9940  A  haute  vois  si  se  va  escriant  : 

Ou  es  tu  Kalle?  Mahomès  te  cravantl... 


UGGERI    IL    DANESE  65 

9950  Bataille  enquier  envers  toi  solement, 
Ou  au  millor  de  trestote  ta  gent. 

Ms.XIII,f''7iv°  Ad  alta  vos  el  oit  uçé  : 

K.  de  France,  qe  tanto  e  alosé, 
Car  or  te  levé,  e  no  eser  entardé  ; 
Prende  tôt  tes  arme  e  tes  coré, 
E  vene  avec  moi,  q'el  non  ert  vilté.... 
E  se  questo  non  vo  fare  por  toa  vilté, 
Ma[n]dame  le  milor  e  le  plu  alosé 
Li  quai  scia  en  la  toa  contré. 

Ma  ai  miei  occhi  aile  somiglianze  di  parole  in  questo  génère  di  mate- 
rie  non  c'è  troppo  da  fidarsi,  in  grazia  délia  stretta  cerchia  d'idée  in  eu 
si  muovono  cotesti  cantori,  trascinati  perciô  a  servirsi  abitualmente  di 
un  formalismo  sommamente  acconcio  a  far  vedere  rapporti  anche  là 
dove  non  esistono  per  nulla.  A  questo  principio  credo  si  deva  tanto  ri- 
spetto,  che  non  solo  non  terrei  conto,  se  fossero  sole,  délie  frequenti 
analogie  dove  ricorrono  luoghi  comuni,  come  sarebbe  ad  es.  l'armarsi 
di  un  cavalière,  ma  non  fabbricherei  neppure  induzioni  su  affinità  di 
questa  fatta: 

9968  Et  dist  li  rois  :  Je  l'otroi  et  créant; 
Va  t'adober  de  par  Deu  le  poissant. 

Ms-XIII^f^yaroDist  li  rois:  Et  eo  li  voio  otrier; 

Alez  a  prendere  ves  arme  e  ves  corer. 

Perô  io  inclino  più  a  dar  peso  aile  somiglianze  di  cose  —  esîranee 

sempre,  s'intende,  alla  rima  e  alla  prosa  toscana  —  che  si  manifestano 

nella  liberazione  di  Uggeri.  E  nel  testo  francese  e  nel  fr.-it.,  Namo  fa 

ufficio  di   consigliatore  ;  in  entrambi  il  Danese,  ben  lungi  dal   sentira 

pietà  per  Carlo,  prorompe  in  parole  assai  aspre,  che  nel  primo  sono 

dirette  a  lui  medesimo  (10319  segg.),  nell'  altro  ai  baroni  che  lo  ven- 

gono  a  liberare;  in  entrambi  ricusa  di  uscire  se  non  si  è  vendicato,  e 

preferisce  morire   in  prigione.    E    per  terminare   una  volta,   metterô 

ancora  a  fronte  le  parole  di  Uggeri  quando  consente  ad  andare  alla  bnt- 

taglia  : 

1 1075  Dist  li  Danois  :  Bien  fait  a  otroier  : 

Or  cha,  mes  armes  !  n'i  voei  plus  atargier. 

Ms.XIII,f''73V''  Dist  li  Danois  :  Et  eo  li  voio  otrier. 
Or  me  le  faites  mantenant  aporter. 

Sommando  insieme  tutti  questi  riscontri,  insignificanti  se  si  conside- 
rano  uno  ad  uno,  io  non  sono  a  dir  vero  troppo  alieno  dall'  ammettere 
che  il  compilatore  italiano,  insieme  con  un  altro  testo  che  seguiva  ordi- 
nariamente,  conoscesse  anche  quello  di  Raimbert  od  uno  non  troppo 
dissimile.  Già  lo  studio  di  altre  rame  mi  ha  dovuto  persuadere  che  costui 
mescola  insieme  versioni  diverse  per  età  e  per  natura,  e  sopra  narra- 

Romania,  III  5 


66  P-   RAJNA 

zioni  venute  d'oltralpe  ma  trasformate  in  Italia,  innesta  volentieri  circo- 
stanze  ed  episodii  tratti  direttamente  dai  testi  francesi  '  Ciô  che  è  acca- 
duto  per  la  storia  di  Buovo  puô  assai  bene  essersi  rinnovato  in  quella  di 
Uggeri.  E  allora  io  mi  rendo  facilmente  ragione  di  certi  tratti  del  poema 
di  Raimbert  che  riappaiono  nella  compilazione  fr.-it.  con  applicazione 
diversa,  rimanendo  ignoti  aile  versioni  posteriori.  A  quel  modo  che  in 
quello  Carlotto  uccide  Baldovino  colla  scacchiera,  cosi  fa  in  questa 
Uggeri  di  Carlotto  istesso;  corne  nell'  uno  il  Danese  non  consente  a  com- 
batteresenon  si  mette  in  suopoterel'uccisore  delfiglio,  al  quale  poi,  per 
ordine  dell'  angelo,  si  contenta  di  menare  un  colpo,  cosi  nell'  altra  solo 
dopo  aver  dato  tre  colpi  ail'  imperatore  fa  pace  con  lui  ed  esce  contro 
Braier.  Il  Paris  pensa 2  che  questi  contorcimenti,  se  cosî  posso  espri- 
mermi,  nascano  da  confusioni  mnemoniche.  Per  me  non  sono  alieno  dal 
pensare  che  cosî  sia,  giacchè  non  è  inverisimile  che  il  rimatore  cono- 
scesse  il  poema  di  Raimbert  piuttosto  per  averlo  sentito  recitare  che  per 
averne  davanti  un  manoscritto.  Tuttavia  metterei  innanzi  un'  altra  ipo- 
tesi  e  lascerei  dubbia  la  scelta  :  forse  l'autore  operô  deliberamente,  e  si 
propose  di  mescolare  insieme,  e  in  certo  modo  accordare,  le  due  ver- 
sioni diverse  3. 

E  qui  si  affaccia  una  domanda,  molto  più  importante,  se  si  considéra 
ben  da  vicino,  di  ciô  che  sembri  a  prima  giunta.  La  versione  del  codice 
XIII  è  dessa  oppur  no  l'anello  intermedio  tra  la  francese  perduta  e  le 
toscane? —  Il  fatto  osservato  or  ora,  voglio  dire  le  somiglianze  col 
poema  di  Raimbert  più  copiose  che  nei  testi  posteriori,  non  puô  certo 
servire  di  sostegno  a  una  risposta  affermativa ;  giacchè,  lasciando  anche 
il  sospetto,  non  punto  infondato,  a  mio  giudizio,  che  il  compilaîoreavesse 
una  conoscenza  diretta  di  quell'  opéra  0  di  una  consimile,  è  troppo 
naturale  che  quanto  più  addietro  si  risale  e  più  abbondanti  si  devano 
fare  le  analogie.  Invece  siamo  disposti  a  rispondere  un  no  da  alcuni 
riscontri  che  spettano  al  patrimonio  privato  délie  versioni  toscane.  In 
queste,  appena  narrato  l'imprigionamento  di   Uggeri,  gli  autori  dicono 

1.  V.  le  mie  Ricerche  intorno  ai  Reaii  di  Francia,  p.  159,  nell'  opéra  /  Rcali 
di  Francia,  etc.  Bologna,  1872  ;  vol.  I. 

2.  Op.  cit.  171. 

3.  Qui  c'è  già  assai  da  rimanere  perplessi  ;  ma  ad  accrescere  ancora  le  per- 
plessità  s'aggiunge  un'  altra  circostanza.  Seguendo  il  suc  costume  di  precorrere 
1  fatti,  il  compilatore  fr.-it.,  prima  di  raccontare  1'  uccisione  di  Baldovino,  ne 
getta  là  un  cenno.  Non  sapeva,  egli  dice,  il  Danese,  il  quale  aveva  lasciato  il 
figlio  a  Carlo,  che  cosa  avesse  fatto  Carlotto  nella  sua  assenza  : 

F"  67  v°  Como  r  oncis  un  çorno  a  donoier 
Ad  una  dame  por  son  cor  déporter. 

Con  queste  parole  si  accenna  a  una  versione  diversa  evidentemente  da  quella 
che  poi  si  espone  :  segno  cotesto,  ne  certo  il  solo>  di  molta  trascuratezza  nell' 
autore. 


UGGERI    IL    DANESE  67 

del  bando  severissimo  emanato  da  Carlo  contre  chiunque  pronunzi  que 
nome;  e  il  medesimo  fa  pure  Raimbert  (9686-9690),  mentre  il  compi- 
latore  ne  tace  qui  affatto  e  solo  ripara  ail'  omissione  nel  racconto  délia 
guerra  di  Braier,  quando  il  bando  rattiene  Orlando  dal  manifestare  ciô 
ch'egli  ha  scoperto  per  opéra  d'arte  : 

F»  71  v°  Mais  R.  no  l'oit  ancora  devisé 
Per  li  bando  qe  estoit  crié  : 
Q[  mençona  li  Danois  doit  eser  apiçé. 

Un'  altra  analogia  consiste  in  ciô,  che  nei  testi  toscani  del  pari  che  nel 
francese  il  combattimento  del  Danese  con  Bravieri  si  compie  senza  che 
altri  le  venga  a  sturbare;  mentre  nel  fr.-it.,  come  s'è  visto,  accorre,  vio- 
lando  i  patti,  una  schiera  di  saracini  e  il  duello  si  muta  in  battaglia.  E  a 
queste  analogie  comuni  ai  due  testi  se  ne  aggiungono  certe  altre  proprie 
di  un  solo.  Nella  prosa,  come  nell'  Ogier,  la  prigionia  del  Danese  dura 
sette  anni,  mentre  il  cantare  del  codice  veneziano  è  muto  a  questo  pro- 
posito  '  :  «  E  in  questo  modo  stette  in  prigione  sette  anni  (f"  5  5  v°)  ». 

9764  Li  ver  racontent  de  la  bone  canchon 
Sept  ans  tes  plains  fu  Ogiers  en  prison. 

La  rima  contiene  questi  versi,  che  rassomigliano  a  quelli  di  Raimbert 
che  faccio  loro  seguire,  e  che  invece  non  s'incontrano  ne  colla  prosa  ne 
colla  versione  fr.-it.: 

C°  V  Egli  è  di  si  gran  pasto  quel  barone^ 

Che  in  tre  di  morrà  a  guisa  d'une  cane. 

Tu  sai  ch'  egli  è  a  guisa  d'un  gigante 

E  per  sette  baron  mangia  davante. 
9582  Et  vos  savés,  empereres  proisiés, 

Qu'il  mengeroit  contre  cinq  chevaliers  : 

Si  faitement  morra  par  tans  Ogier. 

Le  parole  nel  poema  francese  sono  pronunziate  da  Turpino  col  segreto 
intendimento  di  salvare  Uggeri;  nel  noslro  vengono  da  Gano,  e  mirano 
propriamente  al  fine  che  mettono  innanzi  ;  ma  ci6  non  toglie  la  somi- 
glianza,  benchè  la  faccia  apparir  strana.  Che  se  questo  riscontro  e  i 
pochi  altri  che  ho  potuto  accennare  sembrano  cose  troppo  lievi  e  immeri- 
tevoli  di  attenzione,  si  ricordi  non  trattarsi  qui  di  provare  rapporti 
diretti  tra  le  opère  toscane  e  la  Chevalerie  Ogier  :  che  mai  abbiano  potuto 
esisterne,  è  cosa  che  per  me  negoassolutamente.  Solo  si  vuol  far  vedere 
che  a  spiegare  l'origine  della  rima  e  délia  prosa  non  basta  il  testo  fr.-it. 
Perô  0  accanto  a  questo  si  dovrà  ammettere   un  altro  fonte,  oppure 


I .  Nella  rima  la  prigionia  dura  il  doppio  : 

C"  VIII  Tussai  che  '1  buon  Danese  sta  in  prigione; 
Quattordici  anni  è  stato  a  quel  tormento  ! 


68  p.   RAJNA 

s'avrà  a  negare  addirittura  che  il  racconto  délia  compilazione  sia  stato 
intermediario  tra  la  PYancia  e  la  Toscana. 

Tra  le  due  ipotesi  si  potrebbe  per  prudenza  rimaner  dubbi,  quantun- 
que  la  maggiore  simplicità,  a  tacer  d'altro,  parli  in  favore  délia  seconda. 
Ma  nelle  questioni  critiche  non  è  mai  soverchia  la  cautela;  è  cosi  facile 
cadere  in  errore,  cosi  facile  credere  inverisimile  ciô  che  invece  è  vero,  e 
viceversa  verosimile  il  falso  !  Tuttavia  se  ci  accadrà  di  scoprir  traccie  di 
un'  altra  versione  di  gran  lunga  più  somigliante  aile  due  toscane,  allora 
gli  scrupoli  s'avranno  da  bandire  e  non  ci  dovremo  ostinare  a  intromet- 
tere  senza  bisogno  di  sorta  il  ms.  marciano.  Questa  volta  1'  aiuto  viene 
da  un'  opéra  dove  nessuno  certo  avrebbe  pensato  ad  andarne  in  cerca  : 
da.\V  Attila  di  Nicola  da  Casola',  che  già  mi  ha  prestato  un  servigio, 
dissipando  ogni  dubbio  suU'  identità  di  Marmora  con  Verona.  Qui  esso 
mi  offre  una  scena  délia  quale  mi  è  necessario  dar  conto  per  disteso. 

Una  fata  delP  oriente,  Gardene  regina  di  Damasco,  aveva  mandate 
ad  Attila,  quando  egli  stava  per  passare  in  Italia,  splendidi  regali  :  un 
magnifico  padiglione  e  insieme  un  elmo  ricchissimo  con  un  carbonchio 
sul  dinanzi.  Dell'  elmo  la  messaggera  che  lo  ha  portato  d'orienté  parla 
cosi  al  signore  degli  Ungari  : 

I,  f"  26  r"  Un'  indivinaille  li  avoit  fet  la  fee 

Par  art  de  negromancie  :  quant  l'aurés  portée 
In  bataille  de  champ,  ou  ad  aspre  mesle[e], 
Si  fortement  brait,  que  nu!  seroit  ossé 
Ver  vus  aprosmer  a  ferir  de  lance  ne  de  spee; 
Se  lor  çhivaus  ne  aront  les  oreilles  stupé 
Tôt  fuiront  arer,  si  seront  sbaraté. 

La  prova  mostra  la  verità  délie  parole  quando  Attila,  in  prossimità  di 
Aquileia,  viene  la  prima  volta  a  urtarsi  coi  cristiani,  Allacciato  l'elmo 
egli  si  scaglia  tra  i  nemici  : 

I,  ff*  71  r°  Et  ses  indivinailles  fait  tel  huz  et  crier 

Que  tôt  li  autres  barons  ne  savent  que  fer... 
Par  ce  ne  acatoit  homes  por  tôt  l'univers  mon 
Que  contre  lui  poist  conbatre  front  a  fron  : 
Si  cribles  criz  çitoit  cil  mauves,  et  grant  ton, 
Et  espoentables  vois,  semble  que  tôt  confon. 

Perô  i  cristiani  sarebbero  sconfitti,  se  Foresto,  l'eroe  del  poema,  non  si 
mettesse  in  ginocchio.  Terminata  appena  la  preghiera 

F"  71  v"  Un  grant  splendor  desent  et  une  vois  que  parla, 
Que  dist  :  Lieve  tantost,  mister  doter  ne  toi  fa. 

I .  Più  esattamente  si  direbbe  Nicola  da  Bologna  di  Giovanni  da  Casola  : 

I,  f«  8$  v  Ensi  fist  il  mauves,  cum  nos  conte  et  paroil 
Nicolais  Bologneis,  filz  lohans  da  Chasoil. 


UGGERI   IL    DANESE  69 

Va  tost,  prent  ton  distrer,  que  vient  por  deçà, 
E  fais  que  les  oreilles  stupé  soient  et  sera, 
Si  que  celle  vois  pas  non  li  noira; 
Si  fais  de  toy  meismes,  et  ne  te  intonira. 

Svanito  lo  splendore  Foresto  si  segna  : 

72  r°  Et  les  oreilles  de  son  chival  implist  ; 

De  soy  meismes  tel  meicine  fist, 

D'une  grant  bande  de  sa  insaigne  que  i  mist. 

Cosi,  venuto  a  battaglia  con  Attila,  non  ha  alcun  danno  dall'  indivinaille, 
con  gran  meraviglia  del  pagano  : 

73  r"  Quant  a  un  sol  christiens  mes  grant  cous  ne  i  valoit; 

De  li  foliaus  mon  hiaumes  cestui  pas  non  churoit. 

Anzi  nel  nome  délia  Trinità  Foresto  mena  tal  colpo  suU'  elmo,  che  lutto 
lo  guasta  : 

74  r°  Li  foliaux  crie;  mais  tost  fu  abassé, 

Que  tôt  le  desfait,  ali  prest  ert  volé  : 

Ne  li  ait  plus  puissance  li  innemis  infernee. 

A  nessuno,  io  penso,  sarà  sfuggita  la  perfetta  rassomiglianzadi  questa 
scena  con  ciô  che  le  versioni  toscane  ci  narrano  sole  délie  grida  di  Bra- 
vieriedel  suo  combattimento  con  Uggeri.  Perché  mai  nell'  episodio  di 
Nicola  la  malia  risegga  nell'  elmo,  è  facile  vedere  :  bisognava  potesse 
distruggersi  senza  che  Attila  fosse  ucciso.  Del  resto  la  potenza  délie 
grida  è  la  medesima  o  quasi  ;  alla  fata  di  Verona  risponde  esattamente  la 
voce  divina  che  si  fa  sentire  al  medesimopunto,  quando  cioè  il  campione 
andava  a  incontrare  il  nemico  ;  la  meraviglia  di  Attila  è  uguale  a  quella 
di  Bravieri  ;  i  duelli  mettono  capo  del  pari  alla  distruzione  dell'  incanto. 
Ora  chi  mai  vorrà  immaginare  che  i  romanzieri  toscani  imitasseroPopera 
di  Nicola  ?  Sarebbe  strano  davvero  che  chi  narrava  le  storie  del  Danese 
pensasse  a  trar  partito  da  un'  opéra  cosî  disparata  com'  è  VAitiLi]  ma 
il  peggio  si  è  che  questo  poema,  per  la  sua  stessa  mole  ',  non  riusci  mai 
a  diffondersi,  e  rimase  confmato  nel  palazzo  degli  Estensi,  per  i  quali 
era  stato  composto.  Poi  esaminando  l'episodio  per  se  medesimo,  vi 
s'incontrano  inconseguenze  che  un  inventore  non  commette  ;  giacchè 
Nicola,  dimentico  che  Foresto  ha  le  orecchie  turate,  fa  che  risponda  a 
proposito  a  una  domanda  dell'  avversario.  Si  aggiunga  infme  che 
l'efficacia  straordinaria  délie  grida  di  Bravieri  è  strettamente  coUegata 
col  nome  di  costui,  o  ne  fosse  la  causa,  o  ne  fosse  l'etTelto.  Ce  lo  dimo- 
strano  parecchi  luoghi  anche  nell'  opéra  di  Raimbert  : 

1 1396  Quant  Braiher  ciet,  si  comcnça  à  braire 
Tôt  autresi  corne  li  ors  en  l'aire. 


I .  Délie  tre  parti  di  cui  si  componeva  a  noi  ne  sono  giunte  due  sole  ;  e  sono 
circa  trcntasette  mila  vcrsi  1 


70  p.  rajna 

1 1 557  Li  païen  brait,  qi  trop  de  dolor  sent. 

1 1701   Et  r^raiher  brait  quant  il  la  plaie  sant. 

1 1843   Li  païen  brait  si  qu'en  tentist  la  terre. 
Perô  è  manifesto  che  queste  grida  0  sono  nate  insieme  colla  storia  di 
Bravieri,  0  almcno  si  sono  svolte  dal  suo  proprio  seno. 

Al  contrario  che  Nicola  imitasse  un  romanzo  cavalleresco,  è  la  cosa 
più  naturale  del  mondo.  Tutto  quanto  il  suo  Attila  si  puè  dire  infatli 
foggiato  su  questo  génère  di  composizioni,  e  in  esso  non  son  pochi  i 
luoghi  che  non  solo  ritraggono  di  là  lo  spirito,  ma  propriamente  appaiono 
dovuti  a  questo  0  a  quel  romanzo.  Ma  che  egli  potesse  avère  dinanzi 
alla  memoria  0  l'una  0  l'altra  délie  versioni  toscane,  si  deve  negare 
assolutamente;  giacchè,  lasciando  il  resto,  nessuna  délie  due  si  oserebbe 
supporre  composta,  e  tanto  meno  divulgata  di  là  dalP  Apennino,  quando 
egli  scriveva,  cioè  tra  il  1355  et  il  1358.  Bisognerà  dunque  conchiudere 
quello  che  a  noi  importava  di  provare,  che  cioè  esistesse  allora  una 
versione  délie  storie  di  Uggeri  da  non  confondersi  con  nessuna  di  quelle 
possedute  da  noi,  ma  somigliantissima  aile  due  toscane.  Ora  si  pensi 
che  Nicola,  costretto  ad  uscir  da  Bologna  per  ragioni  politiche,  viveva 
sia  nelle  terre  degli  Estensi,  sia  in  quelle  degli  altri  signori  confmanti;  a 
ogni  modo  nella  regione  orientale  délia  vallata  del  Po.  E  che  altro  mai 
allora,  se  non  un  poema  fr.-it.,  avevaad  essere  una  versione  délie  storie 
del  Danese,  che  nota  in  quelle  provincie  alla  meta  del  trecento  doveva 
poco  dopo  servire  di  modello  ai  romanzieri  toscani  ?  La  famiglia  italiana 
ci  si  rivela  troppo  distinta  dalla  francese  perché  neppure  si  possa  pen- 
sare  ad  ascrivere  a  quest'  ultima  un'  opéra  legata  cosî  strettaniente  coi 
membri  délia  prima  che  sono  giunti  fmo  a  noi  ;  anche  la  menzione  di 
Marmora  ,  nome  noto  solo  alla  letteratura  fr.-it.  conferma  in  qualche 
modo  le  induzioni  mie;  giacchè  dopo  le  cose  dette  non  deve  parère  im- 
probabile  che  Nicola  togliesse  anche  quella  designazione  dal  medesimo 
fonte  da  cui  ebbe  l'episodio  délie  grida.  E  parlando  di  un  poema  fr.-it. 
non  sarei  lontano  dall'  intendere,  piutiosto  che  un'  opéra  scritta  in  fran- 
cese scorretto  da  un  nostro  cantatore,  una  composizione  in  dialetto  con 
mescolanza  di  modi  e  parole  che  la  lingua  d'oïl  aveva  trasmesso  insieme 
coi  racconti  ai  rimatori  veneti  e  lombardi.  A  pensare  cosî,  almeno  per 
ora  che  sono  costretto  a  contentarmi  d'ipotesi,  m'inclina  il  vedere  che 
quel  pochi  testi  di  questo  génère  che  ci  si  sono  conservati,  tutti  furono 
riprodotti  fedelmente  dai  rimatori  e  prosatori  délia  Toscana.  È  dunque 
nella  letteratura  dialettale  del  nostro  settentrione  che  si  devono  cercare 
per  lo  più  gli  anelli  di  congiungimento  tra  la  Francia  el'Italia média; let- 
teratura dialettale  che  tien  molto  dell'  ibrido,  e  mescola  stranamente  il 
francese  col  vernacolo  '.  Alla  compilazione  del  ms.  marciano,  prezio- 

!.  V.  le  nette  distinzioni  dell'  Ascoli,  Archiv.  giott.,  I,  449  segg. 


UGGERl    IL    DANESE  7I 

sissima  sempre,  non  si  pu5  pertanto  dar  più  quell'  importanza  nello 
svolgimento  délia  letteratura  romanzesca  in  Italia  che  le  si  attribuiva  da 
principio  ;  essa  è  coma  un  ramo  nato  a  mezzo  il  tronco  in  quell'  albero 
che  ha  le  sue  radici  nella  Francia,  la  vetta  nella  Toscana. 

Il  nodo  più  difficile  puô  cosî  dirsi  sciolto;  sepurenonèillusionelamia 
e  l'edificio  che  mi  sono  ingegnato  di  elevare  non  poggia  sul  falso.  Resta 
tuttavia  una  parte  importante  del  problema  :  rimangono  a  determinare  i 
rapport!  délie  versioni  toscane  tra  di  loro,  e  ancora,  se  pure  ci  riuscirà, 
quelli  di  ciascuna  col  testo  perduto.  Se  questo  esistesse  non  vi  potrebb' 
essere  questione  più  facile  e  semplice  ;  il  confronto  di  poche  pagine  con- 
durrebbe  a  conclusion!  sicure.  Ma  avendo  a  che  fare  con  un'  incognita, 
bisogna  camminare  ben  cauti,  e  non  mettere  avanti  il  piede  se  prima 
non  s'è  visto  dove  lo  si  posa. 

Si  rammenti  che  quando  si  trattava  di  vedere  se  la  compilazione  di 
Venezia  fosse  stata  il  modello  dei  testi  posteriori,  ho  avuto  a  citare 
qualche  circostanza,  che  o  la  sola  prosa^  o  lasola  rima,  avevano  comune 
col  poema  di  Raimbert.  Erano  cose  minute,  ma  tuttavia  non  trascurabili  ; 
corne  allora  non  mi  è  parso  lecito  farne  conto  se  non  in  unione  con  altre 
prove,  cosî  farô  anche  qui  ;  ma  è  giusto  che  queste  prove  io  mi  studii 
subito  di  rintracciarle  e  dia  aile  ricerche  l'avviamento  che  mi  è  suggerito 
da  questi  indizi. 

La  versione  del  ms.  XIII,  è  ben  vero,  non  è  il  fonte  délie  toscane;  è 
peraltro  più  antica  a  ogni  modo,  e  quindi  coUo  stesso  intento  col  quale 
siamo  ricorsi  ail'  opéra  di  Raimbert  potremo  rivolgerci  anche  a  lei. 
Perfettamente  alla  medesima  maniera  troviamo  qui  qualche  analogia 
peculiare  o  alla  prosa  o  alla  rima.  Per  quest'  ultima  non  bisogna  certo 
aspettarsi  gran  cosa;  un  poeta,  per  servile  che  sia,  è  pur  sempre 
costretto  a  mutare  ;  ma  senza  contentarci  d'ogni  poco  dovremo  bene 
tenerne  conto  per  piegare  da  una  parte  piuttosto  che  dall'  altra,  fmo  a 
che  una  ragione  di  maggior  peso  non  faccia  addirittura  traboccare  la 
bilancia. 

La  convenienza  nelle  omissioni  non  è  cosa  da  portercisi  riposare  con 
sicurezza;  insieme  con  altri  argomenti  ha  tuttavia  ancor  essa  un  certo 
significato.  Quindi  noterô  che  tra  la  scelta  del  messaggero  che  deve 
andare  a  Massimione  e  la  partenza,  non  s'interpone  nella  rima,  come 
non  s'interpone  nel  testo  fr.-it.,  alcuna  scena  tra  il  Danese  e  la  moglie, 
come  succède  invece  nella  prosa.  Chi  badi  allô  sviluppo  dato  dal  poeta 
agli  affetti,  dubiterà,  mi  pare,  che  egli  volesse  saltare  questo  brève  epi- 
sodio  se  lo  avesse  trovato  nel  suo  modello.  Similmenie,  e  già  l'ebbi  a 
dire,  si  puô  dar  poco  peso  a  qualche  somiglianza  di  parole  ;  pure  non  è 
da  passare  sotto  silenzio  questo  riscontro  là  dove  Carlo  va  lamentandosi 
per  l'uccisione  di  Baldovino  : 


72  p.    RAJNA 

C°  m  0  lasso  a  me!  corne  dirô  al  Danese 
Quando  mi  chiederà  il  suo  caro  figlio? 

F*  67  v'Se  retorne  qe  dir  arô  de  l'infant 
Qe  plu  amava  de  nuia  ren  vivant? 

Il  prosatore  dice  invece  :  (f  55  v")  «  Corne  mi  potroe  io  mai  scusare 
al  Danese  che  tanto  mi  racomandoe  Baldovino  suo  figliuolo  ?  » 

La  prosa  è  ben  più  ricca  e  non  ha  a  temere  che  si  dicano  prodotte  da 
un  puro  caso  le  analogie  che  le  sono  proprie.  Essa  narra  che  Bravieri, 
prima  di  passare  in  Ispagna  ed  in  Francia  (f'^  56  r")  «  domandô  la  sua 
madré,  detta  Rossandra,  ch'  ella  gli  diciesse  s'  egli  era  veruno  barone 
chello  potesse  offendere.  Ed  ella  gli  rispuose  ch'  ella  Irovava  che  non 
era  uomo  sopra  la  terra  che  lo  potesse  offendere.  E  Uggieri  stava  in  un 
fondo  di  torre  ch'  era  sotterra.  E  per  queste  parole  passô  piij  sicuro  ' .  » 
Nella  rima  non  c'è  nulla  che  risponda  a  questo  passo  ;  soltanto  vi  si 
narra  che  avendo  sentito  parlare  délia  potenza  di  Carlo,  il  saracino  si 
volgesse  ai  suoi  baroni  chiedendo  ; 

C°  V  Ditemi  il  ver  :  Potresi  conquistarlo? 
I  sua  guerrier  ciascun  gli  rispondea  : 
Che  è  quel,  singnior  nostro,  che  voi  dite? 
Nel  mondo  non  à  re  di  tal  nomea  . 

Ch'  appetto  attè  valesse  dua  carpite  : 
Sol  colle  grida  tue  di  taie  altea 
Farai  morir  quelle  gienti  ismarrite. 

Il  testo  di  Venezia  reca  invece  parole  che  nel  concetto  principale  con- 
cordano  colla  prosa  : 

F°69  v  E  cil  malvès  a  fato  sorte  citer, 
Qe  de  sor  tera  non  trova  çivaler 
De  qi  el  se  deçà  de  niente  doter. 

Èun  responso  che  come  le  parole  délia  madré  nella  prosa,  ha  per  effetto 
di  dare  a  Braier  una  sicurezza  fallace,  giacchè  il  pagano  non  puô  imma- 
ginare  che  un  uomo  vivo  sia  sotterra  : 

1.  Rapporti  stretti  ed  evidenti  con  ci6  che  qui  si  dice  ha  un  passo  dei 
Ncrboncsi  (L.  VII,  c  32).  Il  luogo  di  Bravieri  è  tenuto  da  Tibaldo  d'Arabia  : 
«  Allora  fè  venire  due  satrapi  indovini  e  voile  sapere  quello  che  era  di  Gu- 
glielmo,  se  egli  era  vivo  0  morto.  Rispuosono  :  Domattina  il  saprete  per  nigro- 
manzia.  E  incantarono  un  foiletto  innun  corpo  morto,  e  domandollo  in  questa 
forma  :  Dimmi  :  tussai  la  fama  di  Guç;lielmo  d'Oringa  ;  dimmi  s'  e^li  è  morto. 
Rispuose  il  foiletto  :  Morto  è.  E  altro  a  questo  non  rispuose.  E  credettono  che 
diciesse^  che  fusâe  morto;  e  apresso  dissono,  dubitando  di  non  essere  ingan- 
nati  :  È  egli  sopra  la  terra?  Rispuose  brieve,  come  quegli  che  parlano  coperti, 
e  disse  :  È  sotterra.  Allora  ciertamente  si  credetteno  che  fussi  morto  :  ed  edino 

7  O 

furono  ingannati  ongni  volta.  E  pure  diciea  e!  vero,  ch'  egli  era  morto  in 
quanto  alla  fama,  perché  le  spie  nol  sapeano  dov'  egli  era  ;  seconde,  ch'  egli  era 
sotterra,  perché  egli  abitava  nella  caverna  sotto  la  montangnia.  » 


UGGERl    IL    DANESE  73 

Ib.  Se  l'è  de  soto  tera  doncha  no  èlo  en  vie, 
E  de  hom  morto  no  me  doto  ne  mie. 

Un  altro  luogo  non  è  meno  conclusivo.  Uscendo  solodalcampo  a  com- 
battere  contro  i  campioni  di  Carlo,  il  Bravieri  délia  prosa  (f°  57  r") 
«  comando...  ch'  eglino  non  gli  desseno  mai  nessuno  soccorso  per  un 
solo  cavalieri.  »  La  rima  tace  questa  circostanza;  ma  non  cosî  la  ver- 
sione  fr.-it.  : 

F°  7 1  v°  E  si  vos  voie  dire  e  comander. 
Se  me  verés  ad  un  homo  çostrer, 
Q^el  no  li  sia  nul  altro  parçoner, 
Non  me  deçà  secorer  ni  aider, 

Argomenti  che  conducono  a  conclusioni  identiche  vengono  in  luce 
anche  se  mettendo  a  confronto  la  prosa  e  la  rima  domandiamo  a  noi 
medesimi,  là  dove  differiscono,  qualedelle  due  abbia  l'aria  di  conservare 
la  versione  genuina.  Qui  è  facile  essere  abbagliati  dall'  apparenza;  non- 
dimeno  citerô  qualche  esempio. 

Che  sotto  Verona  i'erba  che  guarisce  Uggeri  gli  sia  trascelta  dalla 
fata,  invece  di  trovarsi  a  caso  nel  fascio  che  Berlinghieri  ha  raccolto,  anzi 
per  I'  appunto  nel  luogo  opportuno  perché  abbia  a  venir  a  contatto  colla 
piaga,  sembra  più  ragionevole  e  più  consentaneo  aile  intenzioni  di  chi 
aveva  immaginato  il  racconto.  Qui  dunque  s'avrebbe  a  parteggiare  per 
la  prosa  contro  la  rima.  Più  innanzi,  ma  sempre  nel  racconto  dei  fatti 
compiuti  in  Italia,  il  prosatore  désigna  nominatamente  sette  città  lom- 
barde conquistate  dal  Danese.  Il  rimatore  invece  si  contenta,  oltre 
che  di  Verona,  di  parlarci  di  Brescia  e  di  Padova;  ma  ecco  che 
poi  nella  lettera  in  cui  Uggeri  rende  conto  a  Carlo  di  quanto  ha  ope- 
rato,  gli  fa  dire  che  ha  acquistato 

Sette  buone  città  di  Lombardia, 
precisamente  come  se  le  cose  fossero  state  narrate  quali  si  leggono  nell' 
altro  testo.  Viene  la  volta  délia  rima.  Si  ricordi  come  i  perversi  disegni 
di  Gano  contro  Baldovino  e  il  Danese  vi  si  trovino  motivati  assai  meglio  ; 
si  avverta  quanto  sia  più  convenevole  che  Uggeri  svenga  al  primo 
annunzio  délia  morte  del  figlio  e  possa  sopportare  senza  perdere  i  sensi 
il  racconto  dei  particolari,  anzichè  regga  al  primo  colpo,  di  gran  lunga 
più  tremendo,  e  non  résista  ail'  altro  già  ammorzato.  Insomma  non 
sarebbe  difficile,  tirando  innanzi  con  considerazioni  di  questo  génère, 
far  vedere  come  dei  due  testi  ora  l'uno,  ora  l'altro  possa  passare  con 
più  diritto  ai  nostri  occhi  come  rappresentante  délia  versione  genuina, 

Da  tutto  ciô  si  sarebbe  tentati  di  conchiudere  che  il  rimatore  e  il  pro- 
satore non  curassero  l'uno  dell'  altro,  e  che  le  strette  somiglianze  tra  le 
loro  opère  si  devano  ail'  aver  avuto  un  fonte  comune.  Sarebbe  una  con- 
clusione  avventata  e  più  che  inesatta  ;  si  badi  bene,  e  si  vedrà  che  a 


74  P-    RAJNA 

rigore  si  puô  solo  inferirne  non  bastare  la  prosaa  spiegare  la  rima,  ne  la 
rima  a  spiegare  la  prosa.  Affmità  cosi  strette  quali  sono  quelle  dei  due 
testi  s'avranno  a  credere  nate  unicamente  dall'  esser  stata  madré  ad 
entrambi  una  medesima  versione  ?  Ripugna  l'animo  a  crederlo,  e  per  le 
moite  parole  comuni,  e  più  forse  per  la  parte  fatta  a  Rinaldo,  soverchia 
perché  s'attribuisca  tal  quale  a  un'  opéra  dell'  età  fr.-it.  Una  ricerca 
minuta  ci  conducc  fortunatamente  a  riconoscere  il  vero,  che  in  questo 
caso  non  disconviene  dal  verosimile, 

Nella  prosa  un  lettore  attento  non  puô  a  meno  di  fermare  il  pensiero 
su  certe  parole  délia  parte  che  narra  l'affrontarsi  del  Danese  con  Bravieri  : 
(fo  60  v")  «  Allora  re  Bravieri  prese  del  canpo.  Quando  Uggieri  lo 
vide,  e  vannosi  afïerire,  alcuno  dicie  che  7  re  Bravieri  volgieva  lo  stocco 
délia  lancia  ;  ma  io  nol  dico;  e  andaronsi  afferire  aspramente.  »  Che  il 
prosatore  non  inventi  una  circostanza  ne  la  affibbii  a  un  fmto  antecessore 
per  il  magro  gusto  di  contraddirla  ,  è  cosa  che  facilmente  si  crede 
ma  ci  dobbiamo  dire  ben  fortunati  che  la  circostanza  s'incontri  appunto 
nella  nostra  rima  : 

C°  IX      Veggiendo  il  buon  Danese  il  re  Bravieri 
Che  colla  lancia  adosse  gli  venia, 
La  lancia  abassa  e  pungnie  suc  destrieri, 
Ben  che  sua  disfidanza  non  udia. 
Inver  di  lui  n'andava  il  guerrier!  ; 
//  re  Bravier  lo  stocco  gli  volgia  * . 
Veggiendo  il  buon  Danese  tal  affare 
Il  destrier  volse  e  '1  colpo  ebbe  a  schifare. 

Ingannarsi  qui  non  mi  par  possibile  :  le  parole  si  trovano  troppo  esatta- 
mente  conformi  perché  si  possa  pensare  che  il  prosatore  alluda  ad  altro 
che  al  luogo  del  nostropoema.  Ogni  altra  spiegazione  riuscirebbe  contorta 
ed  urterebbe  contro  ogni  sano  principio  dicritica.  Ai  più  guardinghi  farô 
riflettere  che  il  verso,  con  una  semplice  trasposizione,  è  passato  tutto 
intero  nella  prosa,  e  che  in  questa  si  è  conservata  perfino  la  voce  che 
serviva  alla  rima  {volgieva).  E  ancora  non  basta  :  se  si  vuol  intendere  tutta 
la  forza  délia  prova  bisogna  porre  mente  a  un'  altra  minuzia.  Poniamo 
che  si  trattasse  del  principio  di  un'  ottava  :  rimarrebbe  ancora  aperta  la 
via  a  sofisticare,  e  qualcuno  si  potrebbe  divertire  a  supporre  che  il  rima- 
tore  togliesse  dalla  prosa  e  l'opinione  e  le  parole  ;  ma  il  verso  vien  sesto 
tra  gli  Otto  délia  stanza,  e  quindi  è  vincolato  a  tutti  i  versi  e  aile  rime 
antecedenti.  Perô  il  rimatore  non  lo  poteva  introdurre  nel  suo  discorso, 
amenodiarchitettare  apposta  tutta  la  stanza  per  il  gusto  e  il  deliberato 
proposito  di  tendere  un'  insidia  alla  critica  moderna  ;  bisognerebbe  dire 

j.  Il  ms.  volgica. 


UGGERI    IL    DANESE  75 

allora  che  uno  spirito,  benigno  o  maligno,  gli  avesse  rivelato  il  remoto 
avvenimento  di  questa  scienza. 

Insomma  1'  anteriorità  délia  rima  è  cosa  dimostrata,  e  c'è  da  ralle- 
gnarsene  per  più  di  un  verso.  È  questo  un  altro  esempio  da  aggiungere 
a  quelli  che  dimostrano  fallace  l'opinione  che  la  poesia  cavalleresca  dei 
cantatori  toscani  sia  un'  emanazione  délia  letteratura  prosaica,  Poi  si 
dissipa  un  dubbio,  che  altrimenti  ci  avrebbe  dato  noia.  Ora  infatti  ècerto 
che  le  fonti  fr.-it.  délia  storia  di  Uggeri  furono  note  e  al  rimatore  e  a 
prosatore  ;  i  legami  délia  prosa  con  quelle  sono  cosî  saldi  da  reggere  al 
ogni  prova;  mentre  se  la  rima  ci  si  fosse  scoperta  più  récente,  subito  ci 
sarebbe  nato  lo  scrupolo  che  l'esserle  proprie  alcune  poche  analogie  con 
Raimbert  e  col  testo  marciano  si  dovesse  o  ad  incontri  fortuiti  o  ad  alte- 
razioni  avvenute  per  colpa  di  amanuensi  nella  versione  prosaica.  La 
quale  a  mio  parère,  se  in  parte  si  è  attenuta  al  testo  più  antico,  in  parte 
non  ha  certo  sdegnato  di  seguitare  Topera  del  rimatore  toscano,  conten- 
tandosi  spesso  di  spogliarlo  délie  forme  metriche.  Solo  cosî  potremo 
darci  compiutamente  ragione  délia  stretta  conformità,  specialmente  in 
quel  luoghi  dove  le  rime  del  cantare  si  ravvisano  più  o  meno  dissimulate 
nella  prosa.  S'ingannerebbe  dunque  a  partito  chi  credesse  di  poter 
ricostruire  l'originale  perduto  col  semplice  confronte  délie  due  versioni 
toscane  ;  non  basta  punto  che  una  cosa  sia  in  entrambe  per  conchiudere 
che  già  si  dovesse  trovare  in  quello.  Quindi  non  è  possibile  determinare 
fmo  a  quel  segno  il  rimatore  seguisse  la  versione  conosciuta  da  Nicola 
da  Casola,  che  cosa  introducesse  di  suo.  Forse  non  gran  cosa  :  tutto  il 
racconto  riesce  cosî  ben  congegnato,  mostra  nelle  singole  parti  tanta 
conformità  di  natura,  che  si  preferisce  ritenerlo  opéra  di  getto  anzichè 
un  torso  antico  a  cui  un  altro  artefice  abbia  aggiunto  braccia ,  capo, 
gambe.  A  ogni  modo,  di  chiunque  sia  il  merito,  è  certo  che  larimatoscana, 
si  astragga  pure  dalla  lingua,  ha  pregi  digranlungasuperiori  a  quelli  del 
testo  di  Venezia.  Si  ripensi  aile  scène  appassionate  cheseguono  alla  morte 
di  Baldovino,  e  aile  altre  non  meno  belle  che  terminano  la  parte  délia  nar- 
razione  esaminata  fmo  ad  ora.  Azione  e  caratteri  stanno  in  perfetta 
armonia  :  questa  si  svolge  da  quelli  ;  quelli  prendono  luce  da  questa. 
Baldovino,  gentile,  animoso,  riverente  verso  il  compagno  suo  Carlotto; 
Carlotto  fiacco  contro  le  insinuazioni  dei  malvagi,  ma  in  fondo  buono 
ancor  egli  ;  Ermellina  madré  e  sposa  affettuosissima  ;  Carlo  nobile 
signore,ma  pur  taie  che  in  lui  i  sentimenti  :  generosi  non  trascendono 
mai  ne  falsano  la  natura  umana,  sicchè  se  piange  amaramente  Baldo- 
vino e  maledice  il  figlio  incolume,  e  non  ricorda  più  se  non  d'esser  padre 
quando  se  lo  vede  morto  dinanzi  :  tutte  queste,  io  dico,  sono  figure 
nobilissime,  efficacemente  ritratte.  Ma  su  tutte  l'altre  si  leva  il  Danese, 
del  quale  ammiriamo  a  Verona  la  prodezza,  compiangiamo  a  Parigi  la 


76  P-    RAJNA 

miseria.  La  scena  dov'  egli  dissepellisce  il  cadavere  del  figlio  e  se  lo 
reca  in  braccio,  è,  quanto  alla  sostanza,  di  una  potenza  tragica  non 
indegna  di  qualunque  gran  poeta.  Egli  languisce  lunghi  anni  neilo 
squallore  di  un  carcere  :  ma  pure  appena  sente  a  che  sia  ridotta  Parigi, 
sia  ridotto  il  re  Carlo,  dimentica  tutto  ciè  che  quesli  gli  ha  fatto  patire 
per  ricordare  solo  ch'  egli  è  il  suo  signore.  E  cosi  dopo  aver  liberato  da 
morte  imminente  lui  e  tutta  la  baronia,  da  distruzione  il  reame,  gli  si 
getta  aile  ginocchia  e  implora  perdono,  non  rammentando  altro  fuorchè 
r  uccisione  di  Carlotto.  Quanto  diversa,  mi  si  permetta  di  esclamare, 
non  è  questa  figura  stupenda  dall'  Uggeri  bassamente  vendicativo  di 
Raimbert,  dallo  stolto,  sebbene  innocuo  percotitore  di  Carlo  che  s'ha 
nella  compilazione  di  Venezia  ! 

Ma  il  fme  del  mio  discorso  non  è  di  esaltare  questa  o  quella  versione. 
Volli  indagare  le  vicissitudini  délia  leggenda,  e  la  figliazione  dei  vari 
testi,  la  quale  seconde  le  mie  ricerche  verrebbe  ad  essere  rappresentata 
da  questa  figura  : 


Testo  francese 
primitivo 


La  Guerra 
d'Italia 


Rifacimento  di  Raimbert 


Uggeri' fr.  it. 


Versione 
del  Compilatore  fr.  it. 


Versione  toscana  nmata 


Versione  toscana  in  prosa 


Di  nuove  spiegazioni  non  mi  pare  ci  sia  bisogno,  giacchè  qui  non 
faccio  se  non  rappresentare  con  linee  quelle  che  prima  ho  detto  a  parole. 
Le  linee  sono  continue  là  dove  i  rapporti  riescono  determinati, 
interotte  quando  invece  conservano  molta  parte  di  oscurità.  I  testi 
perduti  distinguo  con  carattere  corsivo.  Quanto  aile  due  versioni 
toscane,  ho  badato  a  far  si  che  apparissero  quali  io  le  credo  scritte  a  poca 
distanza  di  tempo.  Ma  fissare  una  data  non  mi  è  qui  possibile.  I  codici 
a  cui  dobbiamo  la  prosa  appartengono,  il  più  antico  al  secolo  XV,  l'altro 


UGGERI    IL    DANESE  77 

ai  primi  anni  del  XVI  ;  dati  cotesti  che  ci  illuminano  scarsamente,  e  solo 
ci  avvertono  che  ci  guardiamo  dal  risalire  troppo  addietro.  Dali'  esame 
del  testo  si  ricava  unicamente  che  l'opéra  dev'  essere  posteriore  al 
ritorno  dei  papi  da  Avignone.  Se  essi  vi  si  fossero  trovati  tuttavia,  non 
credo  che  l'autore  avrebbe  scritto  le  seguenti  parole  :  (f"  58  v°;  «  In 
questo  tempo  il  duca  Girardo  scrisse  a  Vignione  al  papa  e  in  Provenza, 
dov'  egli  era,  si  corne  lo  re  Carlo  era  preso.  »  Si  direbbe  che  il 
ritorno  non  dovesse  essere  seguito  gran  tempo  innanzi  ;  se  fosse  un  fatto 
già  antico  difficilmente  si  alluderebbe  alla  città  francese.  Quindi  in  altre 
parole  il  terzo  libro  délie  storie  di  Rinaldo,  0  a  dir  meglio  la  redazione 
prosaica  délia  storia  del  Danese,  assegnerei  su  questi  indizii  al  cadere 
del  secolo  decimoquarto  0  al  principio  del  decimoquinto. 

Pio  Rajna. 


SUR 


UN     NOUVEAU     MANUSCRIT 

DES  LOHERAINS 
(duon  300-'). 


Les  lecteurs  de  ce  recueil  savent  déjà  que  la  bibliothèque  de  la  ville 
de  Dijon  s'est  enrichie  naguère  d'un  beau  manuscrit  du  xiii'^  siècle  '.  La 
description  de  ce  précieux  monument  de  notre  histoire  littéraire  reve- 
nait de  droit  à  l'érudit  et  zélé  bibliothécaire  de  Dijon,  M.  Philippe  Gui- 
gnard  ;  sa  modestie  a  bien  voulu  me  laisser  ce  soin.  C'est  un  devoir  pour 
moi  de  l'en  remercier  d'autant  plus  vivement  que  la  présente  notice  lui 
doit  davantage  :  ses  indications  précises  et  détaillées  sont  venues  com- 
pléter et  rectifier  dans  une  certaine  mesure  les  notes  sommaires  prises 
pendant  mon  court  séjour  à  Dijon. 

Par  le  caractère  de  l'écriture  le  ms,  3 00-'  remonte  à  la  première  moi- 
tié du  xiii"  siècle;  il  est  écrit  sur  vélin,  et  mesure  o'"3  3  sur  o'^2  5.  Bien 
conservé  extérieurement,  il  a  gardé  sa  reliure  primitive  à  ais  de  bois  de 
chêne  recouverts  de  peau  (probablement  de  peau  de  cerf)  ;  toutefois  il 
a  perdu  ses  deux  fermoirs.  Malheureusement  l'état  intérieur  est  loin  de 
répondre  à  celui  de  l'extérieur  :  des  lacunes  trop  nombreuses  et  trop 
larges  enlèvent  à  ce  beau  volume  une  part  de  son  prix. 

Dans  son  état  actuel  il  compte  97  feuillets  par  deux  colonnes  à  la 
page  et  cinquante-trois  vers  à  la  colonne  2.  Il  contient  en  partie  les  deux 
principales  branches  de  la  Geste  des  Loherains:  la  chanson  de  Garin  et 
celle  de  Gerbert  de  Metz.  Antérieurement  à  la  numérotation  actuelle  en 
chiffres  arabes  (1-97),    il  avait  été   folioté  en   chiffres  romains.    La 

1.  Voy.  Romania  II,  384.  La  conjecture  exprimée  à  cet  endroit,  que  la  leçon 
de  ce  ms.  semblerait  se  rapprocher  du  ms.  de  Berne  plus  que  des  autres,  n'est 
pas  justifiée  par  l'examen  auquel  je  me  suis  livré. 

2.  Ce  chiffre  53  n'est  constant  qu'à  partir  du  f°  37  et  pour  la  seconde  moitié 
du  ms.  ;  les  f"  précédents  ne  comptent  que  52  et  même  51  vers  seulement. 


UN  NOUVEAU  MS.  DES  Lokerains  -jc) 

différence  entre  les  deux  séries  de  chiffres  nous  permettra  de  consta- 
ter l'étendue  des  pertes  subies  par  le  ms.  à  une  date  que  nous  ne  pou- 
vons déterminer.  Voici  le  relevé  des  lacunes  qui  portent  principalement 
sur  la  seconde  partie. 

Garin  —  i)  Les  folios  numérotés  anciennement  I-XII  manquent,  soit  un 
cahier  et  demi,  le  cahier  étant  composé  de  huit  feuillets.  Des  quatre 
derniers  feuillets  du  second  cahier,  les  trois  premiers  (1-3  =XIII-XV) 
sont  fortement  endommagés,  l'encre  est  très-altérée,  en  sorte  qu'il  est 
difficile  de  déchiffrer  les  premières  lignes.  Du  folio  i  il  ne  reste  que  la 
moitié  de  gauche,  c'est-à-dire  les  colonnes  a  et  d;  autant  qu'on  peut 
l'assurer  dans  l'état  du  ms.,  le  premier  vers  doit  se  lire  : 

'<  Ce  poise  moi,  »  dist  Ga 

Le  fol.  2  a  toute  sa  colonne  a  passablement  conservée;  la  colonne  6 
est  mutilée  et  demanderait  de  grands  efforts  pour  en  assurer  la  lec- 
ture; la  col.  c  est  complètement  effacée,  mais  non  la  col.  d.  Voici  le  pre- 
mier vers  de  ce  feuillet  : 

«  A  .1.  baron  qui  ma  terre  traist.  » 

Le  f"  3  a  la  col.  a  très-lisible;  j'en  transcris  la  majeure  partie,  dont  la 
fin  sert  d'exposition  au  poème  tout  entier.  Quant  à  la  leçon  adoptée  par 
notre  ms.,  je  dirai  tout  à  l'heure,  à  propos  d'un  fragment  de  Gerbert,  à 
quelle  famille  il  doit  être  rattaché.  Le  passage  suivant  montre  la  que- 
relle engagée  entre  Fromond  et  Garin. 

«  Que  vos  seist  la  pucelle  au  cor  gent  ? 

»  Je  vos  donaisse  et  l'enor  et  le  gant, 

»  Tote  la  terre  a  tôt  ce  qu'i  apant^  ; 

»  Mais  je  voi  bien  que  orguil  il  ai  grant 
5  »  Et  félonie  et  mervoilioux  bobant 

))  Ne  vos  donroie  le  monte  d'un  bessant.  » 

Fro.  l'oit,  rogi  de  matalant, 

En  haut  parole  moût  orguillousement  : 

«  De  Bordelois  suis  je  nez  voirement, 
10  »  En  ceste  terre  sont  niui  moillor  parant  : 

))  Vos  pourchasciez  mon  daserietement, 

»  Mais  par  l'apostre  que  quierent  peneant 

»  Je  ne  verrez  pessez  le  chief  d'un  ant 

»  Per  devant  Mez,  vos  moillor  chasement, 
1 5  »  Vos  mostrerai  de  chrs.  in  tant 

»  Qui  vos  donront  tôt  l'avoir  de  Nuelant  ; 

n  N'an  istrez  tant  comme  uns  arz  destant.  » 

Ga.  l'oï,  a  pou  d'ire  ne  tant, 

Envers  Fro.  saillit  tôt  maintenant  ; 

1.    Ms.^UH. 


8o  F.  BONNARDOT 

20  En  haut  perole  si  que  la  cort  l'entant  : 

«  Fh  a  putain,  fel  atrais  de  noiant, 

»  Galanz  nostre  nies  voir  n'en  deist  noiant 

»  Au  duc  Hervi  mon  père  le  vaillant.  » 

Ja  l'aust  feruz  du  poinz  enmi  les  danz, 
25  Quant  l'empereres  par  le  mantel  le  prant. 

Enqui  comancent  .1.  tel  desroiemant 

Dun  furent  mort  chrs  .XXX.  Vl"., 

Chastel  brissié  et  villes  a  noiant, 

Deserieté  an  furent  mainz  anfanz  ; 
30  Chescuns  comance  de  grant  efforcemant  ; 

Ainz  n'ot  si  pesme  en  cest  siegle  vivant 

Ne  si  mortes  ne  qui  durast  a  tant  : 

II<^.  M.  homes  an  furent  mort  sanglant. 

De  si  grant  guerre  n'iert  ja  nuns  qui  fi  chant 
35  Corn  ceste  fu  des  Lohoranz  vaillant. 

Après  quoi  vient  la  laisse  : 

Sus  on  palais  des  .II.  plus  haut  baron 
Lai  commançai  la  noise  et  la  cançon 
Per  tel  manière  corne  vos  conterons. 

De  ce  même  folio  3,  la  colonne  b  est  bien  malade  au  milieu,  la  col. 
c  est  altérée  et  demande  de  l'étude;  la  col.  d  est  en  assez  bon  état,  elle 
commence  ainsi  : 

Et  de  sa  teste  la  cervelle  li  chiet. 

Le  f°  4=XVI  et  les  suivants  sont  parfaitement  lisibles.  A  partir  du  f"  5  = 
XVII  les  cahiers  se  suivent;  il  y  en  a  quatre  de  huit  folios  chacun.  Avec 
le  dernier  se  termine  la  chanson  de  Garin,  dont  voici  la  fm  (f°  36= 

XLVIII): 

De  ceste  guerre  faiçons  ci  bone  fin. 
Dex  vos  garisse  qui  en  la  croiz  fu  mis, 
Et  Dex  garisse  celi  qui  l'ai  escri  ! 

Amen.  Amen.  Amen. 
Ci  faut  la  première  pertie  des  Lorans, 

Explicit. 

Suivant  la  justification  du  ms.  cette  première  lacune  s'étend  à  envi- 
ron 2850  vers,  début  de  la  chanson  de  Garin  qui,  en  son  entier,  devait 
compter  à  peu  près  ici  50  vers. 

Gerbert  —  2)  La  seconde  lacune  porte  aussi  sur  le  commencement  du 
poème  :  le  feuillet  anciennement  numéroté  XLIX  a  été  enlevé  (sans 
doute  pour  la  miniature  dont  il  était  orné),  et  avec  lui  manquent  les  210 
premiers  vers  de  la  chanson.  Par  suite  le  f^"  anc.L  a  été  numéroté  37 
au  lieu  de  38,  avec  un  écart  de  1 3  folios.  Il  commence  ainsi  : 


UN  NOUVEAU  Ms.  DES  Loherdins  8i 

L'oste  fu  saiges,  cortois  et  bien  apris  ; 
Joste  Begon  en  la  couche  se  mist, 
Moût  bâillement  li  a  conté  et  dit. 

A  partir  de  ce  f'^  37=L,  viennent  sept  cahiers  qui  se  suivent  régulière- 
ment. Il  faut  observer  cependant  qu'après  le  f°  47=LX,le  premier  pagi- 
nateur  ayant  tourné  deux  feuillets  à  la  fois,  il  en  est  résulté  que  le  f^  48 
n'a  pas  de  numérotation  correspondante  en  chiffres  romains  :  dès  lors 
l'écart  entre  les  deux  foliotements  est  ramené  à  la  proportion  primitive, 
12.  Cette  proportion  va  se  continuant  jusqu'au  f°  9j=CV  dont  voici  les 
derniers  vers  : 

Dit  Gi.  :  «  Dame,  jen'i  puis  ester  plus  ; 

1)  A  Anseys  m'estuet  aler  au  dur 

»  Que  ont  essis  li  Persanz  et  li  Turz.  » 

Congié  demandent  et  montent  sor  les  murs  ; 

A  se  harberges  est  Gi.  revenuz 

Sor  S.  Germain  ou  ses  tref  fut  tenduz  ; 

Et  la  roigne  ne  vot  estargier  plus  ; 

et  la  réclame  du  cahier  suivant  : 

Li  suens  tressor  senpres  enfondrez  fu. 

3)  Après  ces  vers  s'ouvre  une  lacune  considérable  de  17  f*^:  le  fol.  94 
actuel  étant  numéroté  anciennement  VF^'III.  La  perte  est  de  deux  cahiers 
plus  un  feuillet,  exactement  elle  comprend  les  sept  derniers  feuillets  du  1 4'' 
cahier,  le  1 5"^  entier  et  les  deux  premiers  feuillets  du  16",  soit  environ  3600 
vers.  L'écart  est  à  présent  de  29.  A  partir  d'ici  l'écriture  m'a  paru  être' 
d'une  autre  main.  Le  folio  94=VF^III  débute  comme  suit  : 

Deci  es  danz  l'a  fandu  et  partiz, 

Mort  le  trabuche  dou  destrier  ou  il  sist  ; 

A  haute  voiz  et  escrier  se  prist. 

4)  Enfin  le  ms.  s'arrête  au  troisième  feuillet  plus  loin,  97=VI^'''  VI, 
avec  les  vers  : 

Ou  cors  li  met  son  espié  acéré. 
Mort  le  trabuche  dou  destrier  sejorné, 
Puis  trait  l'epee  qui  li  pant  au  costé. 

Le  seizième  cahier  est  donc  incomplet  de  deux  feuillets  à  la  fm,  de 
même  qu'au  commencement  :  il  n'en  reste  que  les  quatre  feuillets  du  cœur. 

Telle  quelle,  cette  seconde  partie  contient  12700  vers  ;  si  les  lacunes 
intérieures  (18  feuillets)  étaient  comblées,  elle  compterait  environ  10^30 
vers.  Dans  cette  évaluation  n'entre  pas  le  nombre  des  vers  compris  aux 
folios  VI-'*^'^  VII  et  suivants...  qui  font  déficit.  Quel  est  le  nombre  des 
feuillets  manquants .''  Sur  combien  de  vers  porte  cette  lacune  fmale  ? 
C'est  ce  qui  ne  saurait  être  indiqué  d'une  façon  précise;  toutefois  en 

komaniajll  0 


82  F.   BONNARDOT 

s'aidant  du  ms.  de  la  bibliothèque  de  l'Arsenal  coté  B.-L.F.  181,  lequel 
contient  à  peu  de  chose  près  la  même  leçon  que  notre  ms.,  on  est  en 
droit  de  présumer  que  dans  ce  dernier  texte  Cirbert  ne  devait  guère 
plus  s'étendre  que  de  900  à  950  vers. 

En  résumé  on  arrive  à  cette  constatation  :  la  chanson  entière  de  Cir- 
bert devait  compter  environ  17500  vers;  en  son  état  actuel  elle  n'en 
compte  guère  que  les  deux  tiers. 

Malgré  ses  trop  nombreuses  mutilations,  le  ms.  de  Dijon  est  pré- 
cieux pour  l'étude  de  notre  histoire  littéraire. Il  fournit  un  nouveau  témoi- 
gnage de  la  faveur  qui  s'était  attachée  au  récit  des  luttes  entre  les  deux 
races  qui  se  partagèrent  le  territoire  de  l'empire  franc  sous  les  prédé- 
cesseurs de  Charlemagne  :  au  nord  les  Francs  et  plus  spécialement  les 
Francs  d'Austrasie  (Loherains),  au  sud  les  Aquitains  (Bordelois)  dont 
la  résistance  opiniâtre  dut  enfm  céder  sous  les  coups  de  la  fortune 
adverse.  Venant  s'ajouter  aux  douze  manuscrits  de  Paris',  aux  cinq 
autres  manuscrits  aujourd'hui  perdus  et  dont  l'existence  n'est  plus  attes- 
tée que  par  les  fragments  trouvés  à  Thoré  (Vendôme),  Carpentras, 
Troyes,  Châlons-sur-Marne  et  Paris',  le  ms.  de  Dijon  doit  désormais 
tenir  une  place  importante  dans  Tétude  des  origines  et  des  modifications 
de  la  Geste  des  Loherains. 


1.  Voici  l'indication  de  ces  manuscrits  : 
B.  N.  1442  anc.  FR.  7533  B.  N.  4988  anc.  FR.  9654  '.  '.a 

—  19160  —  St-Germain  1244 

—  19161   —         —  2041 

—  24577  —  L'^  Vallière  2728(60) 
Arsenal  B.-L.  F.   180. 

(anc.         —  —         181. 

Lamarre  227,  leçon  abrégée). 
De  ces  12  mss.,  les  seuls  19160  et  181  contiennent  la  chanson  à'Hervis  qui 
forme  la  première  branche  de  la  Geste.  Outre  les  mss.  de  Paris,  Edelestand  du 
Méril  en  compte  neuf  autres  en  province  ou  à  l'étranger  (Mort  deCarin,  p.  LXVII)  ; 
il  n'a  pu  connaître  les  fragments  récemment  découverts  ainsi  que  divers  autres 
textes,  sur  l'origine  et  la  valeur  desquels  le  docteur  Edm.  Stenge!  prépare  un 
travail  d'ensemble*. 

2.  De  ces  fragments,  les  trois  premiers  ont  été  publiés  ou  analysés  dans  la 
Revue  des  Sociétés  savantes  (4e  série,  t.  V,  p.  441  et  t.  VIII,  p.  274);  celui  de 
Thoré  a  été  donné  en  entier  par  le  Cabinet  historique  (1867)  et  tiré  à  part.  La 
langue  dans  laquelle  il  est  écrit  présente  les  caractères  du  dialecte  wallon  et  non 
vendômois,  comme  paraît  le  croire  M.  de  Rochambeau  qui  l'a  découvert.  Le 
quatrième  fragment  a  été  publié  à  la  suite  de  mon  Rapport  au  Ministre  de 
l'Instruction  publique  (Archives  des  Missions,  5*  série,  I,  pp.  286-291  et  pp.  4-2- 
47  du  tiré  à  part)  ;  le  dernier  paraîtra  prochainement  ici  même. 

*  Cette  notice  était  à  l'impression  lorsque  la  liste  des  ms.  de  la  Geste  des  Loheraim 
qui  existent  tant  en  France  qu'à  l'étranger  a  paru  dans  la  dernière  livraison  des  Roma- 
nische  Studien  (décembre  1873).  J'aurai  occasion  d'en  parler  dans  un  prochain  article, 
ainsi  que  d'un  nouveau  fragment  de  Girbert  édité  dans  le  même  recueil. 


1442  anc.  tt 

^-  7533 

'443    — 

7553^-^ 

1461    — ■ 

7542'.'. 

1582   — 

7608 

1622   — 

76282 

2179   — 

.7991  ' 

UN  NOUVEAU  MS.  DES  Loherains  85 

La  leçon  du  ms.  de  Dijon  diffère  profondément  de  celle  qui  a  été  sui- 
vie par  les  autres  mss.  à  l'exception  de  Ars.  181,  dont  les  variantes  sont 
reproduites  pour  le  fragment  qu'on  va  lire.  J'ai  été  amené  naturellement 
à  choisir  dans  le  ms.  de  Dijon  le  passage  correspondant  au  fragment  de 
Châlons  que  j'ai  publié;  on  verra  combien  les  deux  leçons  se  ressem- 
blent peu.  Pour  rendre  cette  divergence  plus  immédiatement  sensible, 
j'ai  placé  à  droite  du  texte  de  Dijon  le  numéro  du  vers  correspondant 
de  Châlons,  en  tenant  compte  moins  de  la  forme  que  du  sens  général. 
Et  comme  cette  dernière  leçon  a  été  elle-même  rapprochée  de  celle  du 
ms.  1622,  le  lecteur  qui  voudra  se  reporter  aux  Archives  des  Missions 
aura  ainsi  sous  les  yeux  la  leçon  de  quatre  mss.  (et  même  d'un  plus 
grand  nombre,  le  ms.  1622  étant  pris  pour  type  d'un  groupe  entierj', 
formant  deux  familles  à  coup  sûr  très-dififérentes  l'une  de  l'autre. 

L'une  de  ces  familles  n'a  jusqu'ici  pour  représentants  que  Dijon  300-' 
et  Arsenal  181,  et  peut-être  Arsenal  180  avec  une  leçon  écourtée  et  en 
certains  points  fort  divergente.  Laissant  pour  le  moment  ce  dernier  ms. 
de  côté,  la  comparaison  entre  les  deux  autres  est  tout  à  l'avantage  du 
premier.  L'antériorité  et  la  supériorité  du  ms.  de  Dijon  sur  le  ms.  de 
l'Arsenal  se  prouve  par  sa  leçon  plus  brève  et  d'un  ton  plus  ferme  ;  le 
récit  est  moins  prolixe  et  plus  fidèle  à  la  tradition  première.  D'autre 
part  le  caractère  de  l'écriture  et  la  physionomie  générale  du  langage 
accusent  incontestablement  une  antiquité  plus  haute.  La  forme  et  le 
fond  s'accordent  pour  assurer  au  ms.  de  Dijon  la  prééminence  sur  celui 
de  l'Arsenal  :  selon  toute  apparence,  le  second  n'est  qu'une  leçon  mo- 
dernisée du  texte  contenu  dans  le  premier. 

EXTRAIT  DU  MS.   500-'   DE  LA   BIBL.    DE  DIJON. 

Ce  passage  se  rapporte  au  duel  entre  Girbert  et  Fromondin  et  au 
guet-apens  tendu  contre  Girbert  vainqueur  par  Guillaume  de  Monclin.  — 
Le  fragment  de  Châlons  commence  après  le  16"  vers  de  cet  extrait^. 

/•  75rf  {anc.iiii^xv)  En  cel  agait  que  ii  viauz  Fro.  fit, 

Lai  fu  Guiil.  i'orgoilloux  de  Monclin, 

1.  L'étude  plus  approfondie  que  j'ai  faite  du  poëme  depuis  la  publication  du 
fragment  de  Châlons  m'a  démontré  que  les  mss.  de  la  Bibl.  nat.,  quoique  ne 
formant  qu'une  même  famille,  doivent  cependant  être  répartis  en  deux  groupes 
au  moins,  et  le  fragment  de  Châlons  rapporté  à  un  autre  groupe  que  celui 
auquel  appartient  le  ms.  1622.  C'est  un  point  que  je  me  propose  de  traiter 
ultérieurement  à  l'occasion  d'un  nouveau  passage  de  la  même  chanson.  Quoi 
qu'il  en  soit  de  cette  nuance,  la  donnée  essentielle  du  présent  travail  n'est  pas 
infirmée,  à  savoir  la  parenté  originelle  de  Dijon  et  Arsenal  181,  à  l'exclusion  des 
mss.  de  la  Bibl.  nat. 

2.  Variantes  de  Arsenal  B.-L.  F.  iSi. 

Ce  ms.  offre  la  disposition  peu   ordinaire  de  5  col.  à  la  page  ;  il  compte  51  vers  à  la 


84  F.  BONNARDOT 

Et  dam  Tiebauz  d'Espremont  li  merchis, 
Et  avec  aux  li  cuens  Bernarz  ses  fiz 
5  Qui  d'Autremure  son  compaignon  trait. 
Ez  en  la  plaice  l'orgoilioux  P'rod., 
Es  sains  apreche;  or  ouez  que  ii  dit  : 
«  Or  m'acoutez,  frans  cuente  palezin  : 
»  Je  jurerai  Gi.  le  fil  Ga. 
10  »  Conques  mes  pères  sor  le  suen  ne  ferit 
»  Dois  puis  cel[e]  hore  que  il  ses  hons  devint, 
»  Ne  de  ma  dame  la  perole  ne  dit 
»  Don[t]  ou  palais  fu  enforciez  li  criz. 
»  Se  m'aist  Dex,  qui  onques  ne  mentit, 
15   »  Et  les  reliques  c'on  aporte  ici 
»  Ainsi  est  voir  corn  vos  avez  oi.  » 

—  «  Perjurez  estes  !  »  ce  dit  li  fiz  Ga.,  2 

»  Se  celui  plait  qui  en  la  croiz  fu  mis, 
»  Se  nul  vos  fois  per  la  goule  gehir 
20  »  Li  rois  me  toille  ma  terre  et  mon  pais.  » 
Les  armes  proignent,  sont  es(t)  destriers  sailliz  ; 
Et  li  dux  broche  le  bon  destrier  Flori,  2j 

Brandit  la  hante  d'un  bon  espié  forbi,  24 

Sor  son  escu  va  ferir  Frod. 
25  Mervoille[x]  col  de  l'acier  poitevin. 

Desor  la  boucle  li  ai  frait  et  malmis  :  28 

L'auberz  fu  forz  que  maille  n'en  ronpit  ;  29 

Enpent  le  bien  et  li  vessaux  se  tint. 

Outre  s'en  paisse  Gi.  li  fiz  Ga.,  ) 

30  Moût  ot  grant  honte  quant  il  ne  l'abatit,  j 

Cil  les  esgardent  du  grant  palais  antis. 

«  Chiveliers  est,  »  ce  dit  Fro.,  «  mes  fiz;  32 

»  Il  doit  ma  terre  tote  quite  tenir; 
»  Bien  set  atendre  son  mortel  enami. 
35  »  Encor  sarai  cuens  palais  se  il  vit.  »  jj 


colonne.  A  la  fin  de  la  chanson  de  Garin  (f"  77b),  le  copiste  s'est  fait  connaître  en  ces 
termes  ; 

Ciz  romans  est  a  Jaque  de  Paris. 

Haut  soit  pendus  qui  l'enblera  en  fin  ! 

Sachiês  qu'il  fut  escris  a  S.  Quentin 

En  chiès  Robert  Dardane  Houdebin. 

{F'io'ja)  4-$  Et  avec  seu  fu  Bernars  de  Nesil  Le  mal  tricheres,  et  Fauconnes  ses  filz 
—  6  Et  on  parc  fu  l'orguilleus  Frod.  —  7  or  escoutez  qu'il  dist.  —  8  Or  m'entendez 
franc  chevalier  gentilz.  —  9  Je  jur  seur  sains  Gibt.  le  filz  Car.  —  1 3  esmeus.  —  1 5  E. 
1.  r.  c'on  a  aporté  ci.  —  î6  Que  il  e.  v;  si  com  Pavez  oi.  —  17  Tu  es  parjures.  — 
18  Se  il  plest  Diex,  or  aproche  ta  fins.  —  19  Se  ne  le  veus  par  la  geule  gehir.  —  20 
Li  rois  me  face  tout  mon  pais  tolir.  —  21  Après  ses  mos  sont  es  destriers  sallis.  —  22 
E.  1.  d.  point  1.  b.  d.  F.  —  23  du  roit  e.  f.  —  25  Mervillex  cop.  —  28  Enpaint  le 
bien.  —  29  Outre  passa.  —  31  Cil  le  regardent.  —  32  Diex!  dist  Fro.,  quel  chevalier  a 
ci.—  33  Cil  doit.—  34  Car  bien  atent.  —  35  Ancor  sera  conte  palais  c'il  vit.  —  {F"  107b) 


UN  NOUVEAU  Ms.  DES  Loherains  85 

Frod.  broche  le  destrier  de  Castele  j4 

Qui  tant  vai  tôt  que  tôt  an  bruit  la  terre; 

La  pierre  esmie  et  froint  et  escartele, 

Toz  les  esclos  après  lui  entreserre. 
40  Brandit  la  lance  ou  l'ensoigne  vantele  3  j 

Et  fiert  le  duc  en  la  targe  novele.  36 

Desoz  la  bocle  li  fraint  et  escartele,  37 

Le  blanc  haubert  li  desmaille  et  desserre, 

Tôt  son  espié  li  conduit  sor  la  selle, 
45  Le  sanc  varmoil  an  fait  cheor  sor  terre; 

Fors  de  rastrier(s)  li  ai  mis  le  pié  destre.  40 

Per  .1.  petit  nul  mit  fors  de  la  selle.  41 

«  Dex  !  j)  dit  Fro.,  «  cist  doit  chiv^fers  estre,  45 

»  Cist  set  moût  bien  son  enami  conquerre  :  46 

50  D  Encor  sarai  cuens  palais  de  Bordele.  » 

Et  Frod.  delez  le  duc  s'arreste, 
f°  74a  (iiii  "j'O  Dit  tel  pcrole  que  ne  li  fu  pais  bêle  : 

«  E  non  Dex  !  dux,  petit  savez  de  guerre  ; 

»  Veez  ma  dame  lassus  a  ces  fenestres  ;  47 

55  »  Si  vos  agarde  corn  vos  le  savez  faire.  » 

Li  dux  l'entant,  a  pol  d'ire  ne  desve, 

Ne  deist  mot  que  li  trenchat  la  teste. 


|67-8 


89 


Li  dux  Gi.  ot  le  bruit  de  la  gent. 

Moût  ot  grant  duel  quar  très  bien  les  entant  ; 
60  Arriers  se  trait  bien  le  lonc  d'un  arpant  ; 

Des  espérons  broche  Flori  le  blanc  86 

Qui  plus  vai  tôt  que  querreax  ne  destant,  88 

Brandit  la  hante  au  confenon  pandant,  84 

Fiert  Frod.  —  ainz  ne  reçut  si  grant  — 
65  Mervoillox  col  en  son  escu  devant; 

Desoz  la  bocle  li  vai  tôt  paçoiant  : 

Fors  fu  l'aubers  que  mailles  n'en  desmant  ; 

Enpent  le  bien,  cil  se  tient  roidemant. 

Li  arçons  brissent  et  darriers  et  devant,  94-$ 

70  Rompent  les  cincles  et  li  lo(ho)rain  s'estanl;  96 

Le  jor  pcrtit  Frod.  de  Bauçaint  :  97 

En  terre  fiert  li  heaumes  voiremant 


}6  Fromondins  point. — 38  La  p.  es.  et  fent  et  es. — 39  Tous  les  esclos  aprez  le  cheval 
perent.  —  40  hante.  —  42  fent  et  esq.  —  45  Si  que  du  sanc  li  conduit  sous  l'ai- 
selle.  —  46  Fors  del  destrier.  —  49  et  bis.  Car  il  set  bien  son  anenii  requerre;  Bien 
doit  tenir  tote  quite  ma  terre.  —  50  Ancor  sera  quens  palais  de  Bordelle.  —  J5  Si  vos 
esgarde,  mes  ne  savez  que  fere. — 56  a  poi  que  il  ne  derve. — 57  N.  d.  m.  por  tout  l'or 
de  Castelle,  —  $9  Grant  honte  en  a  Girbz.  quant  les  entent.  —  60  Ar.  recule,  puis  est 
v[e]nus  avant. — 61  a  brochié  l'aufcrrant. — 62  Qui  va  si  tost  que  que  quarrès  qui  destcnt. 
—64  F.  F.  tant  ascemeement — 66  D.  1.  b.  li  pesoie  et  pourfent.— oS  Enpaint  le  bien  et 
il  se  tint  forment.  —  70  R.  1.  sangles.  —  71   Le  jor  perdi  F.  lebaucent.  —  72  En  terre 


I  12 


86  F.  BONNARDOT 

Mien  esciant,  jusqu'à  nasel  devant. 

Li  dux  le  vit,  celé  part  vint  poignant  99 

7^  Et  trait  l'espce,  vers  lui  an  vint  poignant.  101 

Le  bon  cspié  ficha  enmi  le  chant; 

Ja  l'eust  mort  sanz  nul  demoremant  :  104 

Toz  fu  honiz  Fro.  et  sui  paranz, 

Quant  l'esgait  saut  fors  d'un  abuchemant,  105 

80  .C.  chiveliers  es  vers  heaumes  luisanz, 

Li  cuens  Guill.  ou  premières)  chief  devant.  106 

Gi.  le  voit,  moût  grânt  paor  l'enprant,  107 

Et  trait  l'espee,  vers  lui  an  vint  poignant  : 

«  Glorious  Pères,  per  ton  comandemant  \ 

85  «  Cist  traitors  me  moignent  malemant  ; 

»  Mort  ont  mon  père,  moi  feront  ausimant, 

»  Se  Dex  n'an  panse,  n'an  estordrai  noiant.  »  1 

Mat  anz  l'espee  et  prant  l'espié  tran[chan]t  1 1  ;-4 

Vers  la  cité  s'en  vai  esperonant  ;  117 

90  II  vient  a  pont,  ne  pot  aler  avant  1 18 

Qu'il  lo  trovai  enconbrez  de  lor  gens.  120 

Selonc  la  rive  s'en  vai  aval  corrant.  125 

Li  cuens  Gi.  les  vai  moût  esprochant, 

De  rens  en  autres  se  vai  moût  api;ochant  : 
9^   «  E  non  Dex  !  dux,  cist  chevax  vai  trop  lent;  \ 

»  Mauvaisemant  le  fait  Flori  li  blans.  [  128-30 

»  Encui  morroiz  sanz  nul  desloemant.  »  ^ 

Li  dux  le  voit  esloignier  de  sa  gent,  | 

11  li  trestorne  le  chief  de  l'auferrant  )   -^     ' 

100  Et  fiert  Guill.  per  moût  fier  mautalant  : 

L'escu  li  perce  et  l'auberc  li  desment; 

Moût  le  navra  delez  la  range  ou  flanc,  (  '3  5'4> 

Plaigne  sa  lance  l'ai  abatu  sanglant  ; 

Tendit  sa  main,  si  ai  pris  l'auferrant;  144 

105  Fiert  soi  en  Loire  senz  nez  et  sanz  chalant.  1 50 

La  gent  Guill.  vindrent  espaonant, 

Qui  lancent  lances  et  bons  espiez  tranchanz; 

Nu  tochent  mie  :  que  Deu  ot  a  gairant. 


fiche  le  vert  helme  luissant.  —  73  manque.  —  74  Voit  le  li  dus.  —  75  Et  tret  l'es,  qui 
au  costé  li  pent.  —  76  champ.  —  77  et  bis.  Ja  li  eust  donné  son  paiement  Que  Frod. 
n'alast  jamès  avant.  —  78  Toz  i  fus  mors  et  honnis  a  parent.  —  79  l'aguet  s.  du  bruillet 
verdoiant.  —  80  a  vers  h.  1.  —  81  et  bis  Li  quens  G.  de  Monclin  le  poissant  Venoit 
devant  abandonneement.  — 82  et  bis  Voit  les  Gibz.,  m.  g.  paors  l'en  prent;  Dieu 
reclama,  le  gloriex  poissant.  —  8}  manque.  —  84  Pères  piteus.  —  85  Corn  cil  glouton 
me  mainent  m.  —  (F"  107c).  86  ensement.  —  88  puis  tret  l'espié  tranchant.  —  89  s'en 
vont.  —  91  lluec  trova  encontre  de  la  gent.  —  94  Et  moult  sovent  li  aloit  escriant.  — 
9J  Per  Dieu!  Gibt.,  ce  cheval  v.  t.  1.  —  97  Ancui  morois  s.  n.  delaiement.  —  98 
esloignié.  —  99  torna  le  coul  —  100  par  si  grant  m.  —  102  lez  le  senestre  flanc.  — 
105  l'abati  jus  s.  —  104  ses  mains.  —  105  en  l'iaue.  —  106  i  sont  venu  poignant.  — 
107  Li  uns  a  lance  [et]  l'aut^rje  espié  trenchant.  —  108  Nen  touchent  point. 


•54- s 


UN  NOUVEAU  MS.  DES  Loherains  87 

Tôt  balement  noe  Flori  !i  blans  1 54 

1 10  Que  poign  n'en  moillent  li  arçons  per  devant;  1 55 

De  l'autre  part  ou  grant  gravier  le  prant.  1 58 

Nul  tochent  mie  maulgré  an  aient  il. 

Ne  puet  autre  estre;  du  tôt  i  ont  failli, 

Que  bien  l'enporte  li  chevax  ou  il  sit 
1 1 5  Qu'ainz  n'i  moillirent  li  chevaz  ne  li  crins. 

Devant  la  saule  au  paron  dessendit, 

Et  la  roigne  p^r  son  estrier  le  prist,  160 

Puis  li  demande  :  «  Com  l'avez  fait,  amis  !  »  161 

—  «  E  non  Deu  !  dame,  mallemant  m'ont  bailli  ;  \ 

120  »  Mais  de  ma  guerre  eusse  trait  a  fin  >  162-70 

0  Ne  fut  Fro.,  que  Dex  puet  maleir  !  »  / 

La  dame  l'ot,  tôt  li  change  li  vis,  171 

Et  dit  au  roi  :  «  Or  estes  vos  honiz  ;  \ 

»  Trai  vos  ai  li  envers  de  put  lin.  /  '72-9 

\2<)  i>  Fai  an  jostise,  gentis  rois  poestis,  »  ' 

Li  rois  s'embroche,  mal  soit  mot  que  il  dit. 

Volez  oir  de  Fro.  que  il  fit? 

Que  il  pansairent  de  l'estort  mainteni/, 

Ai  fait  ses  homes  tôt  armer  a  loisir, 
130  Et  sont  montez  es  destriers  arrabiz. 

Le  pont  d'Orliens  avoient  si  sospris, 

Tantôt  fu  mors  qui  entr'aus  se  fu  mis. 

Quant  il  sont  outre  s'arestent  .1.  petit, 

A  pié  dessendent  li  chiveliers  machins, 
1 3  5  Pei  devers  aux  font  le  pont  debatir 

Et  les  solliers  enmi  l'aive  jaillir, 

Que  n'i  passèrent  ne  Gi.  ne  Ge., 

Li  rois  de  France  ne  sui  autres  norriz. 

Comme  félons  sont  de  la  cort  perX'iz  ', 
140  Sarreemant  s'en  vont  pcr  le  Barris, 

Sor  lor  chevaux  de  lor  armes  garniz. 

I .  Ms.  ptir. 

110  Que  n'i  moilla  onques   l'auve  devant.   —    m   se  prent. 

1 1 1  bis  La  fu  bien  Diex  au  duc  Gibt.  amis,  —  m  ter  C'on  li  lança  maint  roit 
espié  forbi.  —  ii2  Mais  ne  touchèrent  Gibt.  le  filz  Car.  —  113  Et  tuit  ensemble  ont 
a  Gibt.  falli.  —  115  Que  n'i  moillerent  li  chevel  ne  li  crin.  —  116  sele,  perron.  — 
119  malement  sui  baillis.  —  120  la  g.  —  122  mua  —  125  Fé  en  justisce,  sires 
rois  posteis.  —  126  L.  r.  s'enbronche  qui  mot  ne  rcspondi.  —  127  comment  Fro. 
le  fist.  —  128  manque.  —  129  Ses  homes  fet  —  130  es  auferranz  de  pris.  —  131 
ponc.  —  132  se  meist.  —  134  li  chr.  de  pris.  —  136  Et  les  solives  enmi  l'iave  flatir. 
—  137  passasent.  —  138  ne  li  autre  noris. —  140  Serreement  s'adressent  vers  Bcrri. 

Nos  deux  mss.  de  l'Arsenal  et  de  Dijon  s'arrêtent  ici  dans  leur  rapport  lointain  avec 
le  fragment  de  Châlons,  qui  compte  200  vers,  et  les  mss.  de  la  Bibl.  nat. 

La  laisse  qui  suit  immédiatement  est  telle  dans  181  : 
Va  s'en  Fro.,  compaigne  enmainne  chiere, 
M.  chrs.  out  bien  sous  sa  baniere, 


88  F.  BONNARDOT 

Pour  les  formes  du  langage,  M.  G.  Paris  a  très-bien  reconnu  que  ce 
sont  en  général  celles  de  la  région  sud-est  de  la  Lorraine.  Avec  un  peu 
plus  de  précision,  et  en  tenant  compte  de  certaines  circonstances  locales', 
j'assignerais  de  préférence  à  ce  précieux  ms.  une  origine  bourguignonne, 
dans  la  partie  nord-est  de  cette  province,  voisine  tout  à  la  fois  de  la 
Vôge  et  de  la  Comté.  Je  relève  quelques-unes  des  formes  les  plus  typi- 
ques : 

-el  dés.  la  diphth.  de  en  eau  (au  a),  viaut  i,  chevaz  115  (en  lorrain 
il  faudrait  vies,  viez,  cimveis);  —  l'emploi  ordinaire  de  la  dipht.  oi 
même  en  syllabe  atone  (fr.  ei,  è)  orgoilloux  2,  6,  proignent  21,  mervoille 
2$,  froint  38,  ensoigne  40,  varmoil4<^,  mervoillox  65,  moignent  85;  — 
interversion  de  e(ei)  et  a  dans  :  enami  34,  49,  sarai  35,  50  ,  astriers  46, 
paçoiant66,  chevaz  115  (non  plus  lorrain  que  viauz),  etc.;  — assour- 
dissement de  a  en  au:  saule  116;  —  e  désinence  de  la  2"  p.  pi.  =^  oi  : 
morroiz  c)-j,  et  de  l'infm.  =  0  (pour  ôi)  :  cheor  45  ;  —  introduction  de 
la  nasale  mouillée  en  place  de  la  nasale  pure  :  proignent  2 1 ,  moignent  85, 
plaigne  103,  poign  110,  roigne  117;  —  contraction  de  ne  le  ennui  nu 
(masc.  et  neut.)  19,  47,  108,  112;  —  paragoge  de  /  dans  les  mots 
qui,  dans  la  langue  commune,  ont  un  u  provenant  de  toute  autre  source 
que  de  la  vocalisation  de  la  liquide:  pol  {=  pou  paucum)  56,  faute 
très-fréquente  à  Metz  dans  les  bas-temps  :  oit,  polt,  îestalmant  (=  îes- 
tamant  testaumant),  etc. 

Par  quelques-uns  de  ces  traits  et  par  d'autres  aussi,  tels  que  p.  ex.  ai 
sans  t  désin.  de  la  3^  pers.  sg.:  sarai,  3$,  50,  vai  62,  66,  89,  92,  93, 
9^,  95,  trovai  91,  a/  46,  103,  104,  etc.,  la  langue  du  ms,  de  Dijon  se 
rapproche  de  celle  de  Floovanî,  dont  la  nationalité  n'a  pas  encore  été 
déterminée  d'une  façon  précise.  Tous  ces  indices  que  nous  ne  faisons 
qu'effleurer  devront  être  groupés  et  étudiés  soigneusement  par  le  futur 
éditeur  de  la  Geste  des  Loherains,  qui  aura  certainement  à  tenir  un 
compte  considérable  de  la  leçon  fournie  par  le  nouveau  manuscrit. 

F.    BONNARDOT. 


Et  li  cheval  hanissent  moult  et  fièrent. 
Fro.  chevauche  et  .vii.  conte  derrière. 


Fromons  chevauche,  sa  gent  en  a  menée. 


I .  Le  ms.  a  appartenu  en  dernier  lieu  à  M.  Guéneau  d'Aumont,  ancien  pro- 
fesseur à  la  Faculté  des  Sciences  de  Dijon  ;  il  a  été  donné  à  la  Bibliothèque  de 
cette  ville  par  M.  Guéneau  d'Aumont,  ancien  intendant  militaire,  après  la  mort 
de  son  père  (1869). 


CHANTS  POPULAIRES 

RECUEILLIS     DANS    LA    VALLÉE    D'OSSAU. 


Les  quelques  chants  que  je  vais  publier  ont  été  recueillis  aux  Eaux- 
Bonnes.  Amené  plusieurs  fois  dans  cette  petite  ville,  j'avais  déjà,  dans 
de  précédents  voyages,  cherché  à  découvrir  ce  que  la  poésie  populaire 
avait  pu  produire  dans  la  vallée  d'Ossau,  mais  toujours,  partout,  dans 
toutes  les  mémoires,  je  n'avais  rencontré  que  les  vers  de  Despourrins' 
qui  se  sont  à  la  vérité  répandus  dans  les  basses  classes,  dans  les  cam- 
pagnes, mais  ne  leur  appartiennent  nullement  ni  par  l'inspiration,  ni  par 
le  style.  Ce  n'est  pas  un  vrai  poète  populaire  qui  se  serait  amusé  à 
décrire  le  nez  de  sa  maîtresse  et  à  comparer  le  visage  de  celle-ci  à  un 
cadran  solaire  où  l'ombre  de  ce  nez  charmant  marque  les  heures  de 

l'amour  : 

Soun  nasillou  dessus  sa  care, 
Yogue  dab  lous  arraïs  deù  sou, 
Et  de  l'ombrette  qu'in  débare 
Marque  las  ores  de  i'amou. 

Je  m'étais  découragé.  Cependant  M.  L.  Ribaut,  intelligent  et  érudit 
libraire  de  Pau,  m'avait  remis  une  excellente  version,  recueillie  dans  la 
vallée  d'Ossau,  d'une  chanson  qui  est  bien  connue  en  Lorraine  sous  le 
titre  de  Chanson  de  la  Bergère.  Je  me  rappelais  aussi  avoir  trouvé  dans 
V Histoire  du  Béarn  de  M.  Mazure  quelques  spécimens  de  poésies  patoises. 
C'est  seulement  depuis  lors  que  j'ai  lu,  grâce  à  une  communication  de 
M.  Gaston  Paris,  le  petit  volume  de  M.  Couaraze  de  Laa^  où  il  est  sur- 
tout question  de  vers  artistiques  béarnais,  mais  qui  contient  cependant 
quelques  pièces  vraiment  populaires. 

Cette  année  en  assistant  à  la  fête  d'Aas,  en  voyant  les  femmes  la  tête 
et  les  épaules  couvertes  de  leurs  capulets,  les  hommes  avec  leurs  vestes 

1.  Us  forment  la  plus  grande  partie  d'un  recueil  dont  la  Y  édition  a  paru  à  Pau  en 
1866  sous  ce  titre:  Gansons  béarnaises  de  Despourrins  et  aûtes.  —  Vignacourt,  i  vol. 
in-i8. 

2.  Les  chants  du  Béarn  et  de  la  Bigorre.  Tarbes,  1861. 


90  DE    PUYMAIGRE 

rouges,  former  non  pas  précisément  des  rondes  puisque  toutes  les  mains 
ne  se  rejoignent  pas  et  que  leur  danse  rappellerait  moins  une  couronne 
qu'un  fragment  de  guirlande,  en  les  voyant,  au  son  de  la  flûte  à  trois 
trous  et  du  bizarre  instrument  qu'ils  nomment  tambourli,  accompagner 
leurs  pas  réguliers  de  chansons  dont  je  n'entendais  que  quelques  mots, 
je  me  sentis  repris  par  ma  vieille  curiosité.  Le  lendemain  matin,  j'étais 
chez  M.  Lanusse  père,  l'un  des  guides  les  plus  connus,  les  plus  estimés 
des  Eaux-Bonnes,  grand  chasseur,  grand  marcheur,  habile  cavalier  et 
qui  certes,  dans  sa  jeunesse,  dut  être  un  beau  danseur  et  un  joyeux 
chanteur.  Je  lui  dis  ce  qui  m'amenait  et  dès  qu'il  eut  compris  que  je  ne 
voulais  pas  de  chansons  de  Despourrii,  —  c'est  ainsi  que  les  Béarnais 
prononcent  le  nom  de  leur  poète  —  il  me  débita  de  la  meilleure  grâce 
du  monde  quelques  couplets  qu'on  trouvera  plus  loin.  Il  fit  plus  encore, 
il  me  promit  de  rechercher  un  cahier  de  chants  populaires  qui  lui  avait 
jadis  été  envoyé  par  M.  Gaston  Sacaze,  dont  le  nom  est  bien  connu 
des  botanistes,  même  au-delà  de  la  vallée  d'Ossau,  et  sur  lequel  j'em- 
prunterai quelques  lignes  au  spirituel  écrivain  qui  se  cache  sous  le  pseu- 
donyme de  Jam  :  «  Gaston  Sacaze,  Sacaze  Gaston,  comme  l'appellent 
»  les  montagnards,  est  une  individualité  extraordinaire,  originale,  pres- 
»  que  complète  dans  son  genre.  D'une  mémoire  prodigieuse,  soumettant 
»  les  données  de  la  science  au  creuset  de  l'expérience,  pasteur  bota- 
»  niste,  comme  il  s'intitule  avec  une  légitime  fierté,  il  a  tout  pratiqué 
»  lui-même,  sciences,  langues,  musique  et  dessin'.  »  Ceux  de  mes  lec- 
teurs qui  désireraient  plus  de  détails  sur  cet  homme  distingué  pourront 
recourir  à  la  brochure  de  M.  Couaraze  de  Laa.  Ils  y  trouveront  non- 
seulement  d'amples  renseignements  biographiques  sur  lui,  mais  encore 
quelques  poésies  béarnaises  dont  il  est  l'auteur.  J'avais  tâché,  dans  mes 
précédents  séjours  aux  Eaux-Bonnes,  d'entrer  en  relations  avec  M.  Sa- 
caze, j'avais  été  sans  succès  le  chercher  à  Bagès  où  il  réside  et  j'aurais 
renouvelé  mes  tentatives  si  je  n'avais  appris  qu'il  venait  de  perdre  son 
frère.  Le  moment  n'était  pas  opportun  pour  aller  parler  de  chansons  à 
M.  Sacaze  et  je  dus  me  contenter  de  connaître  le  petit  recueil  qu'il  avait 
jadis  remis  à  M.  Lanusse  et  qui  contenait  seulement  sept  morceaux. 

Cette  découverte  n'avait  nullement  rassasié  ma  curiosité.  Un  matin 
que  j'avais  rencontré  Lanusse  devant  sa  porte  et  que  je  le  priais  de 
compléter  la  Marquise,  dont  il  ne  m'avait  dit  que  les  premiers  couplets, 
tout  occupé  d'excursions  projetées,  interrompu  par  des  voyageurs  lui 
demandant  qui  une  voiture,  qui  un  cheval  de  selle,  il  me  confia,  pour 
ainsi  dire,  à  un  brave  paysan  qui  passait  appuyé  sur  deux  crosses  et 
qui  —  il  était  borgne  —  arrêta  sur  moi  un  œil  spirituel  et  curieux.  — 

I.  Guide  des  Eaux-Bonnes,  excursions  à  pied,  par  Jam,  2"  éd.,  p.  15. 


CHANTS  POPULAIRES  DE  LA  VALLÉE  d'oSSAU  9I 

«  Voilà  justement  votre  affaire,  me  dit  Lanusse,  voilà  Simon  Lassousse, 
d'Assouste,  il  sait  plus  de  chansons  que  moi.  » 

Je  ne  lâchai  pas  mon  nouvel  ami  qu'il  ne  m'eut  promis  de  venir  me 
voir  dans  la  journée  même.  Il  fut  exact  au  rendez-vous  que  je  lui  avais 
donné,  et  de  deux  heures  à  cinq,  il  me  chanta  de  nombreux  couplets  en 
béarnais  et  en  français.  Dans  les  premiers  se  trouvait  une  sorte  de  pas- 
tourelle très-longue  et  de  facture  certainement  artistique.  Suivant  lui 
elle  avait  trait  aux  premières  amours  d'Henri  IV.  —  Gaston  Phœbus', 
Henri  IV  et  un  peu  Bernadotte  sont  les  personnages  légendaires  du 
pays.  Mon  chanteur  admirait  beaucoup  cet  interminable  morceau  où  les 
deux  interlocuteurs  se  perdent  dans  des  considérations  métaphysiques  et 
empruntent  souvent  à  l'astronomie  les  comparaisons  de  leur  langage  imagé. 
Je  ne  jugeai  pas  à  propos  de  transcrire  cette  pastourelle  ;  il  me  pro- 
posa ensuite  le  Débat  de  l'eau  et  du  vin,  qu'on  retrouve  de  bien  des 
côtés,  qui  est  connu  dans  le  Pays  Messin  comme  dans  la  partie  alle- 
mande de  l'ancien  département  de  la  Moselle  et  dont  M.  F.  Michel  a 
publié  une  version  basque  2.  Il  me  demanda  après  cela  si  je  voulais 
qu'il  chantât  l'histoire  de  la  jeune  fille  enlevée  par  trois  capitaines  et 
qui  fit  la  morte  pour  son  honneur  garder.  La  leçon  de  Simon  Lassousse 
n'offrait  aucune  variante  remarquable  de  cette  pièce  répandue  en  France, 
en  Italie  et  dont  M.  Chaoadonné  des  fragments  en  langue  euskarienne  5, 
Simon  Lassousse  me  dit  ensuite  des  couplets  que  je  reconnus  pour  être 
de  Despourrins,  et  d'autres  bergeries  faites  à  l'imitation  de  ce  poète  et 
qui  me  parurent  de  peu  d'intérêt.  Puis  vinrent  un  assez  grand  nombre 
de  morceaux  de  genres  différents  et  la  plupart  en  français.  On  en  lira 
quelques-uns  tout  à  l'heure. 

J'ai  dû  entrer  dans  tous  ces  détails  un  peu  minutieux  pour  bien  faire 
connaître  comment  je  me  suis  procuré  les  chants  qui  font  le  sujet  de  cet 
article.  Je  pense  pouvoir  maintenant  les  transcrire  sans  plus  de  prélimi- 
naires. Je  commencerai  par  donner  les  chansons  provenant  de  M.  Sacaze, 
seulement  je  laisse  de  côté  la  première  oij  il  est  parlé  d'une  victoire  que 
les  Béarnais  remportèrent  sur  les  Sarrazins  près  de  la  grotte  d'Izeste  et 
qui  pourrait  bien  n'être  qu'un  pastiche  dans  le  genre  du  chant  d'Alta- 

bicar. 

I 

FRANÇOIS  I",  PRISONNIER. 

Quoan  lou  rei  partit  de  France  Conqueri  d'aùtes  pays 

Conqueri  d'aùtes  pays,  Vive  la  flou 

Vive  la  rose,  La  flou  deù  lys. 

1.  J'ai  encore  entendu  chanter  cette  année  les  couplets  de  ce  prince  :  Aqucres  moun- 
tines... 

2.  Le  Pays  basque,  p.  }j6. 

3.  Biarritz,  t.  Il,  p.  174. 


92 

Quoan  este  daban  Pavie 
Lous  Espagnous  que  l'an  pris, 
Vive... 

—  Renti,  renti,  rey  de  France, 
Sinon  tu  qu'es  niourt  ou  pris. 

Vive... 

—  Quin  seri  lou  rey  de  France 
Que  jamais  you  nou  l'ey  bist! 

Vive... 


DE    PUYMAIGRE 

—  Page  qués  nabes  m'apportes 
Que  s'y  conte  ta  Paris.? 

Vive... 

—  Las  nouvelles  que  jou  porte: 
Lou  rey  qu'ey  mourt  ou  pris. 

Vive... 

—  Tournateu,  poustillou,  en  poste, 
Tournateu  en  ta  Paris  ; 

Vive... 


—  Quoan  leben  l'aie  deii  mantou 
Lui  troben  la  flou  deù  lys. 
Vive... 

Maou  lou  prenen,  lou  liguen 
Dens  la  prison  que  l'an  mis, 
Vive... 


Hé  complimen  à  la  reine, 
Tabé  à  meus  entants  petits. 
Vive... 

Que  hassen  batte  monède, 
La  qui  siè  dens  Paris. 
Vive... 


Dens  ne  lède  tour  escure 
Jamais  sourcil  non  sia  bist, 
Vive... 


Sinon  per'  ne  frinestote 
Bet  poustillou  béni. 
Vive.., 


Que  m'en  envien  'ne  cargue 
Per  rachettam  au  pays. 
Vive  la  rose 
Per  rachettam  au  pays 
Vive  la  flou 
La  flou  deù  lys. 

Dans  son  histoire  de  Béarn  M.  Mazure  a  donné  un  autre  texte  béarnais 
de  cette  chanson  (p.  475).  Elle  est  extrêmement  répandue.  Nous  en 
retrouvons  une  version  française  dans  les  Chants  historiques  de  M.  Le 
Roux  de  Lincy  (t.  II,  p.  192).  M.  de  la  Villemarqué  a  bien  voulu  nous 
en  communiquer  une  autre  leçon  recueillie  par  lui  dans  la  Bretagne 
française.  Elle  a  été  publiée  en  catalan  par  M.  Milà  y  Fontanals  dans 
les  Observaciones  sobre  la  poesia  popular,  p.  142,  et  enfin  dans  le  dépar- 
tement du  Nord,  M.  Al.  Favier  en  a  découvert  deux  versions  assez  diffé- 
rentes de  celles  que  nous  venons  de  citer  pour  qu'il  soit  peut-être  inté- 
ressant de  les  donner  ici.  Elles  sont  d'ailleurs  inédites  : 

LE  ROI  CAPTIF. 
(Version  du  pays  de  Pévèle.) 


Le  roi  est  parti  le  dimanche. 

Vive  le  roi! 
Et  le  lundi  a  été  pris 

Vive  Louis! 

—  Arrête,  arrête  grand  roi  de  France, 
Arrête,  arrête  te  voilà  pris. 

—  Je  ne  suis  mie  le  roi  de  France, 
Vous  ne  savez  mie  qui  je  suis. 

Je  suis  un  pauvre  gentilhomme 
Qui  va  de  pays  en  pays. 


Qui  s'en  va  demander  l'aumône, 
Un  petit  morceau  de  pain  bis. 

A  la  bride  de  son  cheval 
Louis  Bourbon  était  écrit, 

A  la  montur'  de  son  épée, 
On  y  voyait  trois  fleurs  de  lis. 

Voilà  qu'on  le  prend,  qu'on  l'emmène 
Dans  la  grand'  tour  à  Maestrick. 
A  mis  la  tête  à  la  fenêtre 
Pour  voir  son  messager  venir. 


CHANTS  POPULAIRES  DE  LA  VALLÉE  D'OSSAU 


93 


—  O  messager  qui  portes  lettre, 
Que  dit-on  du  roi  à  Paris? 

—  On  dit  que  notre  roi  est  mort 
Qu'il  est  mort  ou  bien  qu'il  est  pris. 

Ah!  s'il  est  mort  nous  aurons  guerre. 
S'il  est  pris  nous  aurons  encor  pis. 

—  Il  n'est  pas  vrai  que  je  sois  mort, 
Il  est  bien  vrai  que  je  suis  pris. 

Or,  va  porter  lettre  à  la  reine, 


Aussi  à  Georges  mon  petit-fils  ; 

Qu'il  ait  bien  soin  de  mon  royaume, 
Après  ma  mort,  sera  pour  lui. 

Qu'il  soutienne  bien  ma  couronne, 
Car  moi  ne  la  puis  soutenir. 

Si  j'ai  l'heur  de  rentrer  en  France, 
Un  grand  château  ferai  bâtir. 

J'y  ferai  faire  une  tourelle 
Pour  celui  qui  m'a  fait  ci  tenir. 


Même  sujet. 
(Version  de  l'Ostrevent.) 


Le  roi  est  parti  le  dimanche. 
Et  le  lundi  a  été  pris. 

— Arrête,  arrête,  grand  roi  de  France, 
Arrête,  arrête,  te  voilà  pris. 

—  Je  ne  suis  pas  le  roi  de  France, 
Vous  ne  savez  pas  qui  je  suis. 

Je  suis  un  pauvre  gentilhomme 
Qui  roui'  de  pays  en  pays. 

On  regard'  dessus  son  habit, 
Louis  Bourbon  était  écrit. 

Voilà  qu'on  le  prend,  qu'on  l'emmène 
Dans  une  tour  proch'  de  Madrid. 

Il  met  la  tête  à  la  fenêtre 
Et  voit  son  postillon  venir. 

—  0  postillon  qui  portes  lettres, 
Que  dit-on  du  roi,  à  Paris? 

—  Hélas!  mon  pauvre  gentilhomme, 
On  ne  sait  s'il  est  mort  ou  en  vie. 

—  0  postillon  qui  portes  lettre 


Retourne-toi  vite  à  Paris. 

Recommande  moi  à  la  reine 
Et  à  Louis  mon  premier  fils  : 

Qu'il  soutienne  bien  ma  couronne 
Tant  qu'il  la  pourra  soutenir. 

Qu'on  amène  ici  deu.x  tonn's  d'or 
Sera  pour  racheter  ma  vie. 

J'ai  une  chapell'  qu'en  est  couverte, 
Ah  !  qu'on  la  fasse  découvrir. 

S'il  manque  de  l'argent  en  France, 
Qu'on  coupe  un  bras  à  saint  Denis. 

Qu'on  y  prenne  croix  et  calice 
Et  les  deux  bras  de  Jésus-Christ. 

Et  si  je  rentre  un  jour  en  France, 
Un  grand  château  ferai  bâtir. 

J'y  ferai  faire  une  tourelle 
Pareille  à  celle  de  Madrid, 

Sera  pour  mettr'  le  roi  d'Espagne 
A  son  tour  quand  il  sera  pris. 


II 


HENRI  IV  A  COUTRAS 

Entre  la  Roche  et  Coutras, 
Toujours  criden  bataille,  hélas! 
Toujours  criden  bataille. 

Aquiou  Henri  siey  approuchat 
Dap  toutes  ses  gens  d'armes,  hélas  ! 
Dap  toutes  ses  gens  d'armes. 

Mons  de  Joyouse  y  ey  dedens, 
Au  roi  dit  sis  bou  rende,  hélas! 
Au  roi  dit  sis  bou  rende. 


Don  es  tu  simple  cadet. 
Qui  au  roi  dit  si  es  bou  rende,  hélas! 
Qui  au  roi  dit  si  es  bou  rende? 

Henri  fa  pousa  sous  canons. 
Le  long  de  las  murailles,  hélas  ? 
Le  long  de  las  murailles. 


AiJs  purmés  cobs  qu'il  a  tirats 
Joyouse  tombe  à  terre,  hélas  ! 
Joyeuse  tombe  à  terre. 


94  DE  PUYMAICRE 

Cette  chanson,  copiée  sur  le  cahier  de  M.  Sacaze,  est  connue  de 
Simon  Lassousse.  La  Roche  dont  il  y  est  question  est  sans  doute  La 
Roche-Chalais.  Ce  fut  entre  cette  localité  et  Coutras,  au  confluent  de 
l'isie  et  de  la  Droune,  que,  le  20  octobre  i  ^87,  Henri  de  Navarre  battit 
Joyeuse,  lequel  fut  tué  à  la  fin  de  l'action,  non  d'un  coup  de  canon, 
mais  de  trois  coups  de  pistolet.  M.  Le  Roux  de  Lincy  a  donné  dans  ses 
Chants  liistoricjucs  français  (2'- série,  p.  434  et  suiv.,  trois  chansons  sur 
la  mort  d'Anne  de  Joyeuse.  Aucune  d'elles  ne  rappelle  celle  qu'on  vient 
de  lire. 

m 

DUNOIS 

Près  las  tours  de  Marmande  «  Nous  qu'eb  offrim  de  roses 

Y  a  u  gentiou  guerrier,  Courounes  de  laùrè 

Landeridette  Landeridette 

Lou  charman  Dunois  Courounes  de  iaùrè 

Landeridè.  Landeridè. 

Las  dames  de  Marmande  Marche  à  Dax  et  Bayonne, 

Que  li  ban  saludè  Tous  angles  bataille, 

Landeridette  Landeridette 

Que  li  ban  saludè  Adieu,  charmant  Dunois, 

Landeridè.  Landeridè.  » 

Cette  chanson  provenant  du  cahier  de  M.  Sacaze  est  aussi  connue  de 
Simon  Lassousse.  Cette  épithète  de  cfiarmant  donnée  à  Dunois  nous  a 
d'abord  fait  craindre  que  ces  couplets  ne  fussent  qu'une  réminiscence 
de  la  romance  si  connue,  dont  sous  l'Empire  on  avait  voulu  faire  un 
air  national.  Ils  paraissent  pourtant  bien  réellement  populaires  et  nous 
nous  demandons  si  ce  n'est  pas  plutôt  cette  chanson  tout  abrupte  qui  a 
pu  donner  l'idée  du  Jeune  et  beau  Dunois,  dont  l'auteur  était  un  Ossalois, 
le  comte  A.  de  Laborde.  Dunois,  cependant,  n'était  pas  beau,  au  con- 
traire, mais  en  1450  il  fut  en  effet  envoyé  en  Guyenne  pour  y  com- 
battre les  Anglais.  Il  les  chassa  de  Mont-Goyon,  de  Blaye,  de  Fronsac 
et  de  Dax,  et  assiégea  Bayonne  qui  se  rendit. 

IV 

LA  MORT  DE  M.  DE  MONEIN. 

Daban  Bordeu  la  horte  ville.  Ni  l'eslambrec  sus  sa  cabale 

Là  moussu  de  Monein  y  an  tuè  La  nabe  au  sire  qu'a  porté. 

Serquera  message  dens  la  ville  _  3;^^^  ^^  ^^^^  ^^^^^  ç^^i^^ 

Qui  porte  la  nouvelle  au  rei.  ^^^  i^  pi  gg^jj  annoncé. 

Assi  qu'ey  moussu  de  Candale  —  Dites,  dites,  mons  de  Caudale, 

Ancien  noble  et  gran  chivalié,  Que  tout  pi  sera  perdonné. 


CHANTS  POPULAIRES  DE  LA  VALLÉE  D'OSSAU  95 

—  Monein  noble  et  de  renoumade  —  Retournes  t'en  biste,  Candale, 

Sus  lou  rampart  que  l'an  blessé  Et  que  ton  bras  qu'en  baille  très, 

En  combatten  dap  boste  armade  Et  ménage  bien  ta  cabale 

Bel  mousquetères  lous  nous  a  tuè.  Hèla  sauta  sus  tous  angles. 

Le  personnage  dont  il  est  question  dans  cette  chanson  est  Tristan, 
baron  de  Monein,  qui  fut  tué  à  Bordeaux  dans  une  sédition  et  sur  la 
mort  duquel  Nicolas  de  Bordenave  donne  les  détails  suivants  :  «  L'an 
))  1 548  fut  la  sédition  des  Gabeleurs  en  Guienne,  esmeue  premièrement 
»  en  Saintonge  par  le  peuple  menu,  à  cause  de  quelques  imposts  nou- 
)j  veaux  que  le  roy  Henry  II  avoit  mis  sur  les  salines.  Cette  furie  popu- 
»  laire  s'espandit  incontinent  par  toute  la  Guienne,  avec  tant  d'insolences 
»  et  cruautez  que  plusieurs  officiers  du  Roy  et  autres  notables  person- 
«  nages  furent  massacrez  et  leurs  maisons  pillées,  et  ne  falloit  pour 
;)  incontinent  fere  massacrer  un  homme  que  crier  au  gabeleur.  En  la 
))  ville  de  Bordeaux,  oià  la  présence  et  respect  du  lieutenant  de  Roy  qui 
»  estoit  en  la  ville  et  de  la  cour  de  Parlement  devoit  contenir  le  peuple 
))  en  quelque  crainte  et  révérance  de  l'autorité  du  roy,  furent  exercées  les 
»  plus  grandes  insolences  et  plus  brutales  cruautez,  car  le  (la  date  du 
))  jour  manque)  d'aoust,  le  seigneur  de  Moneinh,  gentilhomme  bearnois, 
»  lieutenant-général  en  Guienne,  en  absence  d'Henry,  roy  de  Navarre, 
))  sorty  du  Chasteau-Trompette,  où  il  s'estoit  retiré,  à  la  persuasion  du 
))  président  La  Cassaigne,  envoyé  vers  lui  par  tout  le  cors  du  Parlement, 
«  pensant  par  la  présence  dudit  lieutenant  faire  retirer  la  populasse,  qui 
»  au  son  de  la  grande  cloche  de  Saint-Aliège  avoit  pris  les  armes,  fut 
))  inhumainement  massacré  par  quelques  belistres  sur  la  porte  de  la 
;>  maison  de  la  Mairerie  avec  le  sieur  de  Montolieu  aux  Landes  et  un  autre 
«  gentilhomme...  Et  ceux  qui  passoient auprès  du  corps  mort  du  lieute- 
»  nant  de  Roy,  qui  gisoit  nud  sur  la  rue,  ensanglantoient  le  fer  de  leurs 
»  piques  dedans  ses  playes,  et  branlans  lesdites  piques  jettoient  plusieurs 
))  cris  de  joyeuses  acclamations  comme  en  un  triomphe  de  victoire.  » 
{Histoire  de  Béarn  et  de  Navarre  par  Nicolas  de  Bordenave,  édition  de  la 
Société  de  l'Histoire  de  France,  p.  47,  48.) 

V 

CHANT  RELATIF  AUX  GUERRES  D'ESPAGNE. 

D'Anjou  qu'ey  partit  armât,  Boste  nègre  rebelliou 

Catalas,  gémit,  tremblât,  Et  boste  tourre  courounade 

Barcelone  revoltade  Deù  drapeou  deù  duc  d'Anjou. 

Hélas!  qu'un  gran  attentat,  Cataias,  prenetz  avis, 

Tuv  as  este  canounade,  partit  bistc  ta  Paris 

Vandome  qu  ata  mandat.  ^n^^  p,ç„jret  à  Versailles, 

Revelles  Barcelonés,  Vous  qu'ey  trouvarats  Père  bou 

Per  Vandome  serat  prés,  Por  esvita  las  mitrailles 

Bien  Ihéou  sera  castigade:  Demandât  lou  tous  perdou. 


96 


DE    PUYMAIGRE 


VI 

LES  FILLES  DU  SEIGNEUR  DE  MEYRAC. 


Las  guerres  son  cridades 
La  baïg  au  pais  la  mè, 

La  dondondaine, 
La  baïg  au  pais  la  mè, 

La  dondondè. 

Ossau  qu'a  u  gétilhomè, 
Très  fillettes  n'abè, 
La  dondondaine,  etc. 

S'en  ba  t'a  la  purmére  : 

—  Ma  fille,  bos-y  allé? 
La  dondondaine,  etc. 

—  Nanï,  nanï,  mou  père, 
Ta  la  guerre  nou  irai. 

La  dondondaine,  etc. 

S'en  ba  Jeanne  la  bère  : 


—  Ma  fille,  bos  y  allé? 
La  dondondaine,  etc. 

—  Oui,  certe,  oui,  mon  père, 
Ta  la  guerre  you  irai, 

La  dondondaine,  etc. 

Dat  me  boste  cabale, 
La  qui  sab  bataillé, 
La  dondondaine,  etc. 

Baillât  me  bostes  armes, 
Las  que  tienetz  deù  rei, 

La  dondondaine,  etc. 
Baillât  me  u  petit  page 
Qui  siè  fidéou  à  moi, 

La  dondondaine. 
Qui  siè  fideou  à  moi 

La  dondondè. 


Simon  Lassousse  m'a  dit  connaître  cette  chanson  que  j'ai  transcrite 
comme  les  précédentes  du  cahier  que  m'a  confié  M.  Lanusse.  Cette 
chanson  dont  il  manque  sans  doute  beaucoup  de  couplets  est  une  variante 
du  romance  portugais  Donzella  que  vai  a  guerra  {Portugiesische  Volkslie- 
der  von  Bellermann,  p.  64)  et  d'un  chant  du  nord  de  l'Italie  publié 
dans  les  Canti  Monferrini  (p.  54)  et  dont  M.  Nigra  a  donné  plusieurs 
leçons.  Ces  vers  de  l'une  d'elles  rappellent  bien  le  début  de  nos  couplets 
béarnais  : 


Lo  re  l'ha  scrit  na  letra, 

Na  letra  sigila  : 
Bon  vej  de  sesant'  anni 
L'ha  dandè  a  fe  '1  solda. 
—  «  Cosa  piorejvo  Padre, 

Cosa  piorejvo  voj? 


Dej-me'n  caval  morelo 
Ch'a  m'  possa  ben  porté; 
E  dej  -me  d'un  bon  page 
Che  mi  possa  fide.  « 

(Fascicolo  III,  p.  96.) 


VII 


LE  PRISONNIER  DE  MARMANDE 


A  la  tour  de  Marmande, 
Très  personniers  y  avaient  : 
Are  ne  va  le  visiter 
Sinon  très  boenes  filles, 
Boenes  à  marier. 

La  una  porte  le  boire. 
Et  l'alite  le  manger, 
L'aùte  chemise  blanche, 
Pour  le  galant  changer. 


—  Que  si  conte,  ma  mie, 
OjJe  si  conte  de  mei? 

—  Que  si  conte  aùte  cosa, 
Galant  mouri  calé. 

—  Usque  can  you  mouri, 
Alarge  moi  les  pieds.  — 

—  Quand  le  galant  fut  large 
Dans  l'aygue  s'arrouché, 

A  la  primera  aurnada. 


CHANTS  POPULAIRES  DE  LA  VALLÉE  D'OSSAU 

Dans  l'aygue  s'enfonce  ;  Le  galant  retourné. 


97 


A  la  segunda  aurnada. 


(Simon  Lassousse.) 


Cette  chanson  n'est  pas  inconnue  dans  l'ancien  département  de  la 
Moselle;  elle  a  été,  par  moi,  recueillie  à  Coume,  qui  jadis  dépendait  de 
la  Lorraine,  seulement  là  Nantes  remplace  Marmande,  et  cette  version 
n'offre,  bien  entendu,  aucun  vestige  du  patois  béarnais. 

VIII 
LA  BERGÈRE  ET  LE  LOUP 


Entre  Paris  et  Saint-Denis 
L'y  a  une  bergère, 
Qui  garde  son  troupeau  joli 
Le  long  de  la  rivière. 

Un  jour  le  loup  sortant  du  bois, 
Avec  sa  gueule  ouverte. 
De  la  plus  belle  du  troupeau 
La  belle  fit  la  perte. 

La  belle  fit  un  si  grand  cri  : 
«  Douce  vierge  Marie  ! 
Celui  qui  m'  rendra  ma  brebis 
Je  serai  son  amie.  » 

Le  fils  du  roi  l'entend  crier, 
Il  mit  la  main  à  son  épée 
Et  tout  d'un  coup  suivit  le  loup, 
La  brebis  lui  a  ôté. 


«  Tenez  belle,  votre  brebis 
Mettez  la  avec  les  autres. 
Je  vous  ai  fait  un  grand  plaisir, 
M'en  ferez  vous  un  autre.? 

—  Monsieur,  tout  en  vous  remerciant, 
Vous  avez  p'ris  grand  peine, 
Quand  nous  tonderonsnos  brebis. 
Vous  en  aurez  la  laine. 

—  Belle  je  ne  suis  pas  marchand. 
Ni  revendeur  de  laine. 
Mais,  je  demande  un  doux  baiser, 
Pour  me  payer  ma  peine. 

—  Monsieur,  ne  parlez  pas  si  haut, 
Ma  mère  nous  écoute, 
Et  si  mon  père  nous  entend 
Il  me  battra  sans  doute.  » 

(Simon  Lassousse.) 

Cette  chanson  est  répandue  sur  des  points  fort  éloignés  les  uns  des 
autres.  J'en  ai  trouvé  deux  versions  dans  le  Pays  Messin.  Elle  a  été 
donnée  par  Marcoaldi,  p.  193  de  ses  Canti  inediti,  par  Ferraro  dans  les 
Canti  Monferrini,  p.  91,  par  Wolf  dans  les  Volkslieder  aus  Venetien,  n"  77, 
par  Bujeaud  dans  les  Chants  populaires  des  provinces  de  l'Ouest,  t.  II, 
p.  307.  On  est  frappé  de  la  ressemblance  de  cette  chanson  et  d'un 
chant  des  Carmina  burana  :  Lacis  orto  sidère,  exit  virgo  prospère. . . 

IX 
LE  ROSSIGNOL  MESSAGER 


En  revenant  de  Paris, 
J'ai  rencontré  une  bergère, 
Hélas!  mon  Dieu  qui  chantait  tant! 
Eir  ressemblait  à  l'hirondelle, 
Au  rossignol  dans  le  printemps. 
Je  lui  dis,  en  m'approchant  : 
Il  Bonjour,  bonjour,  mademoiselle, 
Romania,  III 


Vous  êtes  la  fille  d'un  prince, 

Et  moi  le  fils  d'un  grand  seigneur, 

Pour  vous,  mademoiselle, 

Je  serai  votre  serviteur. 

—  Si  mon  amant  vous  étiez, 

Dans  les  armées  point  n'iriez, 

Car  qui  va  dans  les  armées, 

7 


98 


DE    PUYMAIGRE 


Va  en  danger  d'être  tué. 
—  Si  à  l'armée  je  m'en  vais, 
Vous  entendrez  de  mes  nouvelles, 
Par  un  messager  ou  deux, 
Par  le  rossignol  sauvage. 
Le  messager  des  amoureux.  i> 
Le  messager  n'a  pas  manqué 
D'aller  à  la  port'  de  la  belle  : 
«  Bell'  je  vous  souhait'  le  bonjour, 
Êtes-vous  fille  ou  bien  damée? 
Je  vous  apporte  des  nouvelles, 


Lui  répondit  la  demoiselle  : 
«  De  ma  boîte  prenez  les  clés, 
Lor  et  l'argent  que  vous  voudrez, 
C'est  pour  passer  la  mer  courante, 
Sans  peine,  ni  sans  danger. 
—  D'or  et  d'argent  je  ne  veux  point, 
Je  vous  remerci'  mademoiselle. 
J'ai  une  plume  sur  mon  aile, 
Qui  vaut  un  million  de  francs. 
C'est  pour  passer  la  mer  courante, 
Pour  aller  trouver  votre  amant.  » 
(Simon  Lassousse.) 


De  celui  qu'  votr'  cœur  a  aimé.  » 

On  pourrait  citer  bien  des  chansons  où  le  rossignol  est  un  messager 
d'amour  et  remonter  jusqu'au  troubadour  Pierre  d'Auvergne: 

Rossinhol  en  son  repaire 

M'iras  ma  domna  vezer... 

(Parnasse  occitanicn,  t.  I,  partie  I,  p.  138.) 

Une  chanson  recueillie  dans  le  Pays  messin,  à  Retonfey,  débute  ainsi  : 

Rossignolet  sauvage,  messager  des  amours... 
Une  pièce  sur  la  prise  du  Chasteau  Double  (Le  Roux  de  Lincy,  2e  série, 
p.  384)  se  chantait  sur  l'air  :  Petit  rossignolet  sauvage  et  commençait 

ainsi  : 

Rossignolet  des  bois  saulvages 
Qui  chantez  si  mignardement. 


LA  FLAMANDE 


Il  lui  fera  des  souliers 

De  maroquin  de  Flandre. 

El  tout  comme  il  la  va  chaussant, 

Lui  fait  une  demande: 


Dedans  Bordeaux  il  y  a 
Une  jolie  flamande, 
Tra  la,  tra  la  la  ra 
Dedans  Bordeaux  il  y  a. 
Une  jolie  flamande. 

De  trois  amants  qu'elle  a 
Ne  sait  pas  lequel  prendre. 

L'un  est  maître  boulanger, 
L'autre  un  meneur  de  danse, 

L'autre  est  un  cordonnier, 
Celui-là  elle  va  prendre. 

M.  Victor  Smith  a  publié  dans  la  Romania  d'intéressantes  recherches 
sur  les  Chants  de  quête  du  Velay  (t.  II,  p.  58)  :  on  y  trouve  une  pièce 
dont  la  chanson  précédente  n'est  qu'une  variante.  Cette  chanson  existe 
aussi  dans  l'ancien  département  de  la  Moselle;  à  Malavillers,  qui  faisait 
jadis  partie  du  Barrois,  j'en  ai  recueilli  une  leçon  qui  n'offre  que  très- 
peu  de  différences  avec  celle  que  M.  V.  Smith  a  reproduite. 


«  Galant,  galant,  si  tu  le  veux 
Nous  marierons  ensemble. 

Nous  coucherons  dans  un  lit  vert 
Couvert  de  fleurs  d'orange. 

Avec  à  l'entour  du  papier, 
Le  rossignol  y  chante.  « 

(Simon  Lassousse.) 


CHANTS  POPULAIRES  DE  LA  VALLEE  D  OSSAU 


99 


XI 

LE   MÉDECIN 


«  Bonjour,  maître  médecin, 
Et  à  toute  la  compagnie, 
Lan  tire  lire  lan  lire, 
Et  à  toute  la  compagnie. 

—  Je  ne  suis  pas  venu  ici, 
Ni  pour  chanter  ni  pour  rire, 
Lan  tire,  etc. 

Je  suis  venu  expressément 
Pour  demander  votre  fille. 
Lan  tire,  etc, 

— Monsieur,  laquelle  voulez-vous. 
La  grande  ou  la  petite? 
Lan  tire,  etc. 

—  La  petite,  s'il  vous  plaît, 


XII 


Car  elle  est  la  plus  jolie.  » 
Lan  tire,  etc. 

La  grande  est  auprès  du  feu, 
Eir  pleure,  elle  soupire. 
Lan  tire,  etc. 

«  Ma  sœur,  ne  pleure  pas  tant, 
Car  tu  seras  mariée, 
Lan  tire,  etc. 

Avec  un  riche  marchand 
Revendeur  de  pomm'  cuites, 
Lan  tire,  etc. 

Et  il  vous  mènera  à  Paris, 
A  cheval  ou  à  bourrique.  » 
Lan  tire  lire  lan  lire. 

(Lanusse,  père.) 


LES  TRENTE  VAISSEAUX  CHARGÉS  DE  BLÉ 

Nous  irons,  etc. 


Devant  Burgos  sont  arrivés 
Trente  vaisseaux  chargés  de  blé. 
Nous  irons  sur  l'eau  nous  promener 
Nous  irons  jouer  aux  îles. 

Trois  dames  les  vont  marchander  : 
«  Marchand,  combien  vends-tu  ton 
Nous  irons,  etc,  [blé? 

— Entrez, mesdam's,vouslesaurez;  » 
Et  la  plus  jeune  haussa  le  pied 
Nous  irons,  etc. 

Marinier  se  mit  à  voguer  : 
«  Arrête,  arrête,  marinier. 


—  Je  suis  femme  d'un  conseiller. 
—Quand  vous  seriez  femme  du  roi, 
Nous  irons,  etc. 

Aveque  vous  je  coucherai 
Dans  un  lit  bien  renfermé. 
Nous  irons,  etc. 

Ou  les  anneaux  y  sont  d'acier 
Et  les  rideaux  sont  de  papier.  » 
Nous  irons  sur  l'eau  nous  promener 
Nous  irons  jouer  aux  îles  ! 

(Lanusse,  père.) 

Un  grand  nombre  de  provinces  de  France  (Chants  populaires  du  Pays 
messin,  p.  io6,  Romancero  de  Champagne,  t.  Il,  p.  230,  Chants  populaires 
de  Champfleury,  p.  1 56),  la  Catalogne  (Obser\aciones  sobre  la  pocsia  popu- 
lar,  p.  loi),  VhaWe  {Canzoni  dcl  Picmonte,  p.  170)  pourraient  offrir  de 
nombreux  parallèles  à  cette  chanson,  qui  rappelle  aussi  le  romance  La 
bella  Helena  [Primavera  y  flor  de  romances,  t.  II,  p.  3). 

XIII 
LE  DUC  DU  MAINE 


Le  noble  duc  du  Maine 
Est  mort  ou  bien  blessé. 


Dondaine  la  ro  la  la  la 
Est  mort  ou  bien  blessé. 


100 


Trois  jeunes  demoiselles 
Le  viennent  visiter. 


Eiriui  disent:  «Beau  prince, 
Où  êtes-vous  blessé? 

—  Au  cœur,  mesdemoiselles, 
Je  crois  que  j'en  mourrai. 

Appelez-moi  mes  pages, 
Mes  pages  et  laquais. 

Qu'ils  m'apportent  de  l'encre, 


DE    PUYMAIGRE 

De  l'encre  et  du  papier, 

Pour  écrire  une  lettre 
A  mon  cousin  le  roi. 


—  Mais,  vrai  Dieu!  mes  armées 
Qui  les  fera  marcher, 

Ce  sera  monsieur  Vendôme 
Qui  est  noble  chevalier.  » 
(Simon  Lassousse.) 

Dans  les  Chants  populaires  du  Pays  messin,  j'ai  publié,  p.  183,  une 
chanson  qui  porte  le  même  titre  que  celle-ci,  mais  présente  avec  elle  de 
notables  différences. 

XIV. 

LE  DUC  DE  BIRON. 


Qui  veut  audir  chanson 

Chansonnette  jolie, 

Qui  est  de  fait  à  Paris, 

A  Paris  la  grand'ville. 

Biron  le  misérable. 

Qui  a  mal  entrepris 

De  tuer  le  roi,  la  reine, 

Et  le  prince  leur  fils. 

Le  roi  fut  averti 

Par  un  de  ses  gendarmes. 

Qui  se  faisait  nommer 

Capitaine  des  armes. 

«  Sire,  prenez  bien  garde 

Au  maréchal  Biron, 

Il  a  fait  l'entreprise 

De  vous  fair'  trahison.  » 

Comme  il  disait  cela. 

Voilà  Biron  qui  entre, 

Le  chapeau  à  la  main. 

Faisant  sa  révérence, 

Et  en  disant  :  «  Mon  prince, 

Vous  plaît-il  de  jouer.? 

Voilà  une  bonn'  somme 

Je  viens  de  la  gagner. 

—  Biron,  si  tu  veux  jouer, 
Va-t'en  trouver  la  reine. 
Ta  somme  elle  la  jouera 

Et  encor  davantage 
Davantage  si  tu  as. 

—  Biron,  si  tu  veux  jouer. 


Il  faut  quitter  tes  armes. 

—  Pour  crainte,  ni  pour  rien, 
Je  ne  les  veux  quitter, 

Pour  vous,  belle  princesse. 
Pourtant  je  les  laisserai.  » 
Avant  de  voir  trois  fois. 
Le  grand  prévôt  il  entre 
Le  chapeau  à  la  main. 
Faisant  sa  révérence. 
En  lui  disant  :  «  Mon  prince. 
Ne  soyez  pas  fâché, 
A  la  vaste  Bastille 
Il  faut  aller  coucher. 

—  Ah  !  traître  de  prévôt. 
De  grand  prévôt  de  France, 
Tu  m'as  bien  attrapé 
Quand  j'ai  quitté  mes  armes. 
Si  j'avais  mon  épée 

Et  mon  poignard  doré. 

Je  te  prendrais  la  barbe 

Quand  tu  serais  le  roi.  » 

Moi  j'ai  (/.  Il  est)  resté  trois  jours 

Sans  boire  et  sans  manger 

Sans  être  visité 

De  princes  ni  de  dames. 

Mais  un  de  la  justice 

Qui  faisait  l'ignorant. 

Vint  lui  dire:  «  Mon  prince. 

Qui  vous  a  mis  dedans.? 

—  Ceux  qui  m'ont  mis  dedans 


CHANTS  POPULAIRES  DE  LA  VALLÉE  d'OSSAU 


lOI 


Ont  pouvoir  de  m'y  mettre, 
C'est  le  roi  et  la  reine 
Que  j'ai  servis  longtemps, 
Et  pour  ma  récompense 
La  mort  me  font  souffrir. 

—  N'aye  pas  peur,  Biron, 
Tu  ne  mourras  encore. 

—  Il  faut  me  pardonner 
Comme  moi  je  pardonne. 

—  Il  n'y  a  pas  de  pardon, 
La  parole  du  roi 


Ne  recule  jamais. 

—  Adieu  mon  vieil  ami, 
Tu  vas  à  l'aventure, 
A  quelque  vieux  soldat 
Serviras  de  monture. 
Adieu,  donc,  mon  épée 
Et  mon  poignard  doré  ! 
Adieu  toute  la  France, 
Adieu  donc  pour  jamais  !  « 
(Simon  Lassousse.) 


On  peut  lire  dans  les  Instructions  relatives  aux  poésies  populaires  une 
autre  version  de  cette  espèce  de  complainte,  qui  doit  être  fort  ancienne. 
Elle  offre,  d'une  manière  assez  remarquable,  des  traces  de  la  passion 
de  Biron  pour  le  jeu.  En  une  année,  suivant  les  Mémoires  de  Sully  (t. 
VII,  p.  74  note),  il  avait  perdu  plus  de  cinq  cent  mille  écus. 


Quand  le  roi  entra  dans  la  cour 
Pour  saluer  les  dames, 
La  première  qu'il  salua 
Eir  lui  a  ravi  son  âme. 


XV 

LA  BELLE  MARQUISE 

De  la  belle  marquise. 

Le  roi  l'a  prise  par  la  main 
La  mène  dans  sa  chambre, 
La  marquise  tout  en  entrant 


Le  roi  demande  à  ces  messieurs  : 
«  A  qui  est  cett'  joli'  dame?  » 
Le  grand  marquis  lui  a  répondu: 
«  Sire,  elle  est  ma  femme. 

—  Marquis,  tu  es  plus  heureux  que 
D'avoir  cett'  joli'  dame  ;  [moi 
Mais,  je  te  jure  en  foi  de  roi 
Nous  coucherons  ensemble- 

—  Sire,  vous  avez  tout  pouvoir, 
Tout  pouvoir  et  puissance. 
Mais  si  vous  n'étiez  pas  le  roi. 
J'en  aurais  la  vengeance.  » 


A  voulu  se  défendre. 

«Marquise,  ne  pleurez  pas  tant, 
Car  vous  serez  princesse, 
De  tout  mon  or  et  mon  argent 
Vous  serez  la  maîtresse.  » 

La  reine  lui  fit  un  bouquet 
De  toutes  fleurs  jolies, 
Mais  la  senteur  de  ce  bouquet 
Tua  la  bell'  marquise. 

Le  roi  lui  fit  faire  un  tombeau 
Tout  en  fer  de  Venise, 
Pour  y  dedans  ensevelir 
Cette  belle  marquise. 

(Lanusse,  père.) 


Le  marquis  monte  les  agrès 
Dessus  son  lit  d'assise. 
Tout  en  pleurant  et  soupirant 

Je  connais  deux  autres  versions  de  cette  belle  chanson;  l'une  a  été 
publiée  dans  les  Chants  populaires  des  provinces  de  l'Ouest,  t.  II,  p.  109  et 
l'autre  dans  les  Chants  historiques  français,  2''  série,  p.  viii.  M.  Bujeaud 
et  M.  Le  Roux  de  Lincy  pensent  que  cette  chanson  peut  faire  allusion  û 
quelque  belle  favorite.  Pour  M.  Lanusse  de  qui  je  tiens  ces  couplets, 


102  DE    PUYMAIGRE 

l'amant  de  la  marquise  c'est  Henri  IV,  qui,  à  Pau  et  dans  les  environs 
de  cette  ville,  continue  à  tant  préoccuper  les  imaginations.  Y  aurait-il 
dans  ces  couplets  un  souvenir  de  la  mort  de  Gabrielle  d'Estrées  qu'on 
prétendait  avoir  été  empoisonnée  par  une  orange  ou  un  citron  dans  le 
jardin  de  Zamet?  C'est  peu  probable. 

De  toutes  les  chansons  que  nous  venons  de  publier  les  plus  intéres- 
santes sembleront  sans  doute  celles  que  M.  Sacaze  a  communiquées  à 
M.  Lanusse,  Puisque  nous  avions  l'autorisation  de  ce  dernier,  nous  ne 
pensons  pas  avoir  été  trop  hardi  en  donnant  un  échantillon  du  recueil 
entrepris  par  le  pasteur  botaniste.  Mais  eussions-nous  commis  une  indis- 
crétion, nous  ne  nous  la  reprocherions  pas  si  elle  pouvait  décider 
M.  Sacaze  à  faire  part  au  public  de  ses  découvertes.  Elles  doivent  être 
très-importantes  si  l'on  en  juge  d'après  une  note  écrite  à  la  fm  de  son 
manuscrit  et  dans  laquelle  M.  Sacaze  parle  d'un  choix  fait  par  lui  de 
cinquante  pièces  sur  deux  cents  chansons  historiques  et  de  quatre-vingts 
chansons  triées  d'environ  deux  cents  autres  morceaux  de  genres  diffé- 
rents. 

Th.    DE    P'JYMAIGRE. 


MÉLANGES. 


I. 

LE    SAVETIER    BAILLET 

CHANSON    COMIQUE. 
(B.N.fr.  12483.) 

Mos  sans  vilonnie    vous  veil  recorder, 
Afin  qu'en  s'en  rie,     d'un  franc  savetier 
Qui  a  {corr.  ot)  non  Baillait  ;  mes  par  destourbier 
Prist  trop  bêle  famé  :  si  l'en  mescheï , 
Qu'ele  s'acointa  d'un  prestre  joli; 
6  Mes  le  çavetier  moût  bien  s'en  chevi. 

Quant  Baillet  aloit    hors  de  son  ostel 
Le  prestre  venoit     qui  estoit  isnel  : 
A  la  savetiere  fourbissoit  l'anel. 
Entr'eus  deus  faisoient  moût  de  leur  soulas, 
Des  meilleurs  morsiaus  mengoient  a  tas 
12  Et  le  plus  fort  vin  n'espargnoient  pas. 

Le  savetier  frans    une  fille  avoit 
D'environ  trois  ans     qui  moût  bien  parloit. 
A  son  père  dit,  qui  souliers  cousoit  : 
«  Voir,  ma  mère  a  duel  qu'estes  ceens  tant.  » 
Bailet  respondi  :  «  Pourquoy,  mon  enfant? 
18  —  Pour  ce  que  le  prestre  vous  va  trop  doutant. 

»  Mes  quant  alez  vendre    vos  souliers  aus  gens 
»  Lors  vient  sans  attendre  '  monseigneur  Lorens. 
»  De  bonnes  viandes  fet  venir  ceens, 
»  Et  ma  mère  fait  tartes  et  pastez. 
))  Quant  la  table  est  mise  l'en  m'en  donne  assez, 
24  »  Mes  n'ay  que  du  pain  quant  ne  vous  mouvez.  » 

Baillet  sot  sans  doute,    quant  le  mot  oy, 
Qu'il  n'avoit  pas  toute    sa  famé  a  par  li, 
Mes  n'en  fist  semblant  jusqu'à  un  lundi 
Qu'il  dist  a  sa  famé  :  «  Je  vois  au  marchié.  x 


104  MÉLANGES 

Celé  qui  vousist  qu'il  fust  escorchié 
jo  Li  dist  :  «  Tost  alez,  ja  n'en  wiegne  pié!  » 

Quant  elle  pensa     qu'il  fust  eslongiez 
Le  prestre  manda     qui  vint  forment  liez. 
D'atourner  viandes  s'estoit  avanciez; 
Puis  firent  un  baing  pour  baingnier  eulz  deus. 
Mes  Baillet  ne  fu  tant  ne  quant  honteus  : 
36  Droit  a  son  ostel  s'en  revint  tous  seulz. 

Le  prestre  asseùr    se  cuida  baignier  : 
Baillet  par  un  mur     le  vit  despoillier, 
Lors  hurta  a  l'uis  et  prist  a  huchier  ; 
Sa  famé  l'oy,  que  faire  ne  sot, 
Mes  au  prestre  dit  :  «  Boutez  vous  tantost 
42  »  Dedens  ce  lardier,  et  ne  dites  mot.  » 

Baillet  la  manière    et  tout  le  fait  vit. 
Lors  la  çavetiere    l'apela  et  dit  : 
«  Bien  vegniez  vous,  sire!  Sachiez  sans  respit 
»  Que  moût  bien  pensoie  que  retourriez  ; 
»  Vostre  disner  est  tout  appareilliez, 
48  »  Et  le  baing  tout  chaut  ou  serez  baingniez. 

»  Voir  ne  le  fiz  faire    que  pour  vostre  amour, 
»  Quar  moût  vous  faut  traire     de  mal  chascun  jour.  » 
Baillet  qui  vouloit  jouer  d'autre  tour 
Li  dist  :  «  Diex  m'avoit  de  tous  poins  aidié, 
»  Mes  râler  me  faut  errant  au  marchié.  » 
54  Le  prestre  ot  grant  joie  qui  s'estoit  mucié. 

Mes  ne  savoit  mie    que  Baillet  pensa  : 
La  plus  grand  partie    des  voisins  manda 
Moût  bien  les  fist  boire  et  puis  dit  leur  a  : 
«  Sur  une  charete  me  faut  trousser  haut 
»  Ce  viez  lardier  la  ;  vendre  le  me  faut.  » 
60  Lors  trembla  le  prestre,  qu'il  n'avoit  pas  chaut. 

On  fist  ens  en  l'eure    le  lardier  trousser  : 
Baillet  sans  demeure     l'en  a  fait  mener 
En  la  plus  grant  presse  que  pot  on  trouver. 
Mes  le  las  de  prestre  qui  fu  en  [s]  serré 
Ot  un  riche  frère  qui  estoit  curé 
66  D'assés  près  d'ilec.  La  vint  bien  monté, 

Qui  sot  l'aventure    et  le  destourbier. 
Par  une  creveure    qui  fu  ou  lardier 
Le  connut  son  frère  ;  haut  prist  a  huchier  : 
«  Frater,  pro  Deo ,  dcUbcra  me  !  » 
Quant  Baillet  l'oy  haut  s'est  escrié  : 
72  «  Esgar  :  mon  lardier  a  latin  parlé  ! 


Le  savetier  Baillet  105 

»  Vendre  le  vouloie,     mes,  par  saint  Symon, 
»  Il  vaut  grant  monnoie!     nous  le  garderon. 
»  Qui  li  a  apris  a  parler  laton  ? 
»  Par  devant  l'evesque  le  feron  mener; 
»  Mes  ains  le  feray  ci  endroit  parler. 
78  »  Lonc  temps  l'ai  gardé,  si  m'en  faut  jouer.  » 

Lors  le  frère  au  prestre     li  a  dit  ainsi  : 
«  Baillet,  se  veus  estre     tourjours  mon  ami, 
»  Vent  moy  ce  lardier,  et  pour  voir  te  di 
»  Je  l'achèterai  tout  a  ton  talent.  » 
Baillet  respondi  :  «  Il  vaut  grant  argent 
84  »  Quant  latin  parole  devant  toute  gent.  » 

Ja  pourrez  entendre     le  sens  de  Baillet  : 
Afin  de  miex  vendre     prist  un  grant  maillet. 
Puis  a  juré  Dieu  c'un  tel  rehaingnet 
Donrra  au  lardier  qu'il  sera  froez, 
S'encore  ne  dist  du  latin  assez. 
90  Moût  grant  pueple  s'est  entour  aiinez. 

Plusieurs  gens  cuidoient    que  Baillet  fust  fols^ 
Mes  folleur  pensoient  :     il  jura  saint  Pol 
Que  du  grant  maillet  qu'il  tint  a  son  col 
Sera  le  lardier  rompus  de  tous  sens. 
Le  chetif  de  prestre  qui  estoit  dedens 
96  Ne  savoit  que  faire:  près  n'issoit  du  sens. 

Il  ne  s'osoit  taire     ne  n'osoit  parler; 
Le  roi  débonnaire     prist  a  reclamer  : 
«  Comment!  »  dist  Baillet  «  faut  il  tant  tarder.? 
»  S'errant  ne  paroles,  mescheant  lardier, 
»  Par  menues  pièces  t'iray  despecier.  » 
102  Alors  dist  le  prestre,  n'osa  delaier  : 

«  Frater,  pro  Dco    me  délibéra  ! 
»  Reddam  tam  cito    ce  qu'il  coustera.  » 
Quant  Baillet  l'oy  en  haut  s'escria  : 
«  Çavetiers  me  doivent  amer  de  cuer  fin, 
»  Quant  a  mon  lardier  fais  parler  latin.  » 
108  Lors  le  frère  au  prestre  dist  :  «  Baillet  voisin  : 

»  En  tant  com  vous  prie    le  lardier  vendez, 
»  Ce  sera  folie    se  vous  le  quassez. 
I)  Ne  me  faites  pas  du  pis  que  povez. 
—  Sire  »  dist  Baillet,  «  sus  sains  vous  plevis, 
»  J'en  aroy  vint  livres  de  bons  parisis  : 
114  »  Il  en  vaut  bien  trente,  que  moût  est  soutiz.  » 

Le  prestre  n'osa  le  mot  refuser  : 
A  Baillet  ala  vint  livres  conter; 
Puis  fist  le  lardier  en  tel  lieu  porter 


I06  MÉLANGES 

Ou  priveement  mist  son  frere  hors. 
Bon  ami  li  lu  a  cel  besoing  lors, 
I  20  Quar  d'avoir  grant  honte  li  garda  son  cors. 

Baillet  ot  vint  livres,    et  tout  par  son  sens. 
Ainsi  fu  délivres     monseigneur  Lorens: 
Je  croi  c'onques  puis  ne  li  prist  pourpens 
D'amer  par  amours  famé  a  çavetier. 
Par  ceste  chançon  vous  puis  tesmoigner 
1 26  Que  du  petit  uueil  se  fait  bon  guetier. 
Ex  oculo  pueri  noli  tua  facta  tueri. 

Quar  par  la  fillete    fu  le  fait  sceù 
Qui  estoit  joneite.     N'est  si  haut  tondu 
Se  vers  çavetiers  s'estoit  esmeùs 
Qu'en  la  fin  du  tour  n'en  eiist  du  pis. 
Gardez  entre  vous  qui  estes  jolis 
IJ2  Que  vous  ne  soiez  en  tel  lardier  mis. 

II. 

MIER  (MERUS)  DANS  LES  PATOIS 
(voy.  Romania,  t.  II,  p.  529). 

Ce  n'est  pas  seulement  dans  le  wallon  et  le  picard  que  merus  [mier  et 
mer)  continue  à  vivre  :  dans  des  patois  qui  en  sont  tort  éloignés,  ceux  de 
la  Suisse  romande,  et  particulièrement  ceux  de  la  Gruyère  et  du  pays 
d'En-haut,  il  est  encore  en  usage  avec  la  fonction  d'un  adverbe,  qu'il  a 
également  dans  les  deux  dialectes  français^  et  la  flexion  d'un  adjectif.  Sa 
forme  est  mâr  dans  le  pays  d'En-haut  et  môr  dans  la  Gruyère.  Je  lis  dans 
des  notes  fort  intéressantes  qui  accompagnent  des  traductions  de  la 
parabole  de  l'enfant  prodigue  dans  les  trois  dialectes  du  canton  de  Fri- 
bourg  que  mâr  sert  à  renchérir  sur  la  signification  (des  adjectifs  et  des 
participes),  qu'il  met  pour  ainsi  dire  au  superlatif.  L'exemple  cité  est /m 
mârebai  «  fut  bien  surpris  ».  Outre  l'emploi  de  mero  et  meramén  «vraiment, 
exactement  »,  et  l'idiotisme  /  e  îô  mero  lli  «  c'est  parfaitement  lui»,  ce  qui 
se  dit  d'un  portrait  ressemblant,  seuls  exemples  de  l'usage  de  ce  mot  que 
je  rencontre  dans  le  glossaire  de  Bridel  et  qui  viennent;,  paraît-il,  du 
pays  d'En-haut  (.''),  où,  à  ma  connaissance,  ils  ne  sont  plus  employés 
aujourd'hui,  en  voici  d'autres  que  j'y  ai  recueillis,  avec  les  équivalents 
gruériens,  et  dont  les  deux  premiers  correspondent  à  ceux  relevés  par 
M.  Bréal  : 

Mârnii,  mâranà,  «  tout  nu  ». 

To  mârxau,  tôta  mâraxaula,  aussi  mârxolet,  mâraxoleta,  gr.  màrxolet, 
«  tout  seul  ». 

Pllâu  a  la  môrvqxa,  gr.  «  il  pleut  à  verse  ».  Jules  Cornu. 


COMPTES-RENDUS. 


Recueil  d'anciens  textes  bas-latins,    provençaux   et   français, 

accompagnés  de  deux  glossaires,   et  publiés  par    Paul   ME'i'ER.   i"  partie: 
bas-latin-provençal.  Paris,  Franck,  1874.  Gr.  in-S",  192  p. 

La  préface  qui  accompagnera  ce  recueil  ne  devant  paraître  qu'avec  la 
seconde  livraison,  je  crois  pouvoir  faire  connaître  ici  par  avance  le  but  que  je 
me  suis  proposé  et  les  principes  qui  m'ont  dirigé  dans  le  choix  des  morceaux 
et  dans  l'établissement  des  textes.  Chargé  depuis  1869  du  cours  de  langues 
romanes  à  l'École  des  chartes,  j'ai  souvent  senti  le  besoin  d'un  recueil  de  textes 
qui  fût  proportionné  aux  exigences  de  mon  enseignement,  et  c'est  parce  qu'un 
tel  recueil  n'existait  pas  que  j'ai  été  conduit  à  entreprendre  celui  dont  la  pre- 
mière livraison  vient  de  paraître. 

Les  élèves  de  l'École  des  chartes  doivent  être  en  état  de  lire  tout  document 
écrit  dans  l'un  quelconque  des  idiomes  usités  en  France  pendant  le  moyen  âge. 
Des  textes  de  tous  ces  idiomes  devaient  donc  prendre  place  dans  mon  recueil. 
Et  d'abord  des  textes  bas-latins  qui,  dispersés  dans  des  ouvrages  volumineux  et 
coûteux,  n'avaient  pu  jusqu'à  présent  être  introduits  dans  l'enseignement.  Pour 
cette  partie  de  mon  travail,  il  n'existait  pas  de  précédents. J'ai  choisi  et  édité  de 
mon  mieux.  On  pourra  s'étonner  de  ne  rencontrer  parmi  ces  spécimens  de  la 
basse-latinité  qu'une  seule  charte  mérovingienne  (n'  8).  C'est  que  les  documents 
de  cet  ordre  ont  été  mis  à  la  portée  des  travailleurs  par  diverses  publications, 
dont  l'une  au  moins  le  recueil  des  Diplomata  édité  en  1851  chez  Kœppelin,  est 
très-facilement  accessible.  Je  n'ai  admis  (au  moins  sciemment)  aucune  pièce  latine 
postérieure  au  temps  de  Charlemagne.  Les  textes  latins  perdent  une  grande 
part  de  leur  intérêt  linguistique,  dès  qu'on  arrive  au  temps  où  apparaissent  les 
premiers  écrits  romans,  et  la  masse  des  documents  devient  telle  qu'il  eût  été  dif- 
ficile de  faire  un  choix  ^. 

Pour  la  partie  provençale,  qui  dans  ce  fascicule  occupe  170  p.  sur  192,  j'ai  visé 
à  donner  des  échantillons  de  tous  les  genres  et  de  tous  les  dialectes.  Ce  résultat 
n'a  pu  être  atteint  qu'à  condition  de  réduire  au  strict  nécessaire  les  spécimens 
de  chaque  genre.  Car  d'une  part  le  recueil  tout  entier,  avec  les  glossaires,  ne 
doit  pas  former  plus  d'un  volume  de  moyenne  grosseur,  et  d'autre  part  plu- 
sieurs lignes  sont  presqu'à  chaque  page  envahies  par  un  apparatus  criticus  dont  il 

I.  Je  dois  ajouter,  à  mon  point  de  vue  particulier,  que  la  collection  des  fac-similé  de 
l'Ecole  (qui  comprend  maintenant  près  de  700  spécimens)  contient  assez  de  documents 
latins  de  tous  les  temps  et  de  tous  les  lieux  pour  satisfaire  à  tous  les  besoins  de  l'ensei- 
gnement. 


I08  COMPTES-RENDUS 

ne  m'était  pas  possible  de  dispenser  le  lecteur.  On  trouvera  à  la  fin  de  ce  fasci- 
cule une  proportion  relativement  considérable  de  chartes,  de  coutumes,  de  pièces 
d'archives  en  un  mot.  J'espère  que  les  philologues  ne  s'en  plaindront  pas.  Si 
j'ai  multiplié  les  documents  de  ce  genre  ce  n'a  pas  été  seulement  pour  faire  pas- 
ser sous  les  yeux  de  mes  élèves  des  textes  avec  lesquels  il  importe  qu'ils  soient 
familiers:  c'est  surtout  parce  que  les  pièces  d'archives  sont  en  général  d'un 
bien  plus  grand  secours  que  les  compositions  littéraires  pour  l'étude  des  dialectes. 
-  Les  pièces  des  troubadours  sont  au  nombre  de  1 5.  Je  n'aurais  pu  en  admet- 
tre un  plus  grand  nombre  sans  déranger  la  proportion  du  recueil.  Il  s'en 
faut  que  ces  quinze  pièces  donnent  une  idée  même  lointaine  de  l'admirable 
variété  de  la  poésie  provençale.  Mais  pourtant  je  les  ai  choisies  telles  qu'elles 
puissent  donner  matière  à  quinze  leçons  bien  remplies.  Plusieurs  ont  un  carac- 
tère historique  et  peuvent  fournir  aux  étudiants  le  sujet  d'utiles  compositions. 

Ce  recueil  est  donc  entièrement  composé  en  vue  de  l'enseignement.  Mon  but 
n'a  pas  été  d'accroître  nos  connaissances  littéraires  par  la  publication  de  mor- 
ceaux inédits.  Pourtant  il  y  en  a  :  et  les  personnes  qui  ont  le  plus  étudié  la  lit- 
térature provençale  y  trouveront  des  fragments  dont  elles  n'avaient  jamais  ouï 
parler.  J'appelle  notamment  leur  attention  sur  le  n"  34. 

Je  me  suis  abstenu  de  tout  commentaire  littéraire  ou  philologique.  La  place 
me  manquait  pour  ces  accessoires.  L'explication  des  mots  sera  donnée  dans  la 
mesure  nécessaire  par  le  glossaire;  quant  à  écrire  une  petite  préface  pour  cha- 
que morceau,  il  n'y  fallait  pas  songer.  Il  y  aurait  eu  trop  à  dire.  L'explication 
que  j'ai  publiée  dans  le  précédent  numéro  de  la  Romanla  d'une  pièce  de  P. 
Vidal  contenue  dans  mon  recueil  (n"  13)  donnera  au  lecteur  l'idée  des  dimen- 
sions que  peuvent  atteindre  ces  sortes  d'introductions  littéraires.  Puis,  il  faut 
bien  laisser  sa  part  à  l'exposition  orale  du  professeur.  Toutefois,  j'ai  fourni 
dans  une  certaine  mesure  aux  maîtres  les  éléments  de  leurs  leçons,  en  donnant 
en  note,  toutes  les  fois  que  je  l'ai  pu,  les  sources  des  morceaux  publiés.  C'est 
ainsi  que  Bocce  (n°  1)  et  le  début  du  Donat  proensal  (n°  37)  apparaissent  accom- 
pagnés pour  la  première  fois  des  textes  dont  ils  sont  inspirés. 

L'établissement  des  textes  a  dans  un  ouvrage  de  ce  genre  une  importance 
toute  particulière.  Je  ne  puis  exposer  en  détail  le  système  que  j'ai  suivi  pour 
chaque  morceau,  ce  système  ayant  naturellement  varié  selon  les  cas.  Mais  je 
dois  dire  que  j'ai  copié  ou  collationné  tous  les  manuscrits,  qu'ils  soient  en 
France  ou  à  l'étranger,  d'où  sont  tirés  les  morceaux  dont  se  compose  le  recueil. 
Il  n'y  a  d'exception  que  pour  trois  ou  quatre  morceaux  pour  lesquels  j'ai  eu  des 
garanties  suffisantes*.  Lorsque  je  me  suis  trouvé  en  présence  de  plusieurs  leçons, 
j'ai  tenté  de  ;les  classer.  Ce  cas  s'est  présenté  pour  Ginirt  de  Roussillon  (n*'  6)  et 
pour  plusieurs  pièces  de  troubadours.  Le  texte  des  deux  morceaux  de  Girart  de 
Roussillon  est  établi  d'après  le  système  que  j'ai  exposé  en  1870,  dans  le  Jarh- 
buch  fur  romanische  literatur.  Pour  quelques  pièces  de  troubadours  (n^*  10,  12,  13, 


I.  Ainsi  je  n'ai  pas  revu  sur  le  ms.  de  Vienne  VAppendix  Prohi,  mais  M.  Mussafia  a 
bien  voulu,  à  ma  prière,  vérifier  la  lecture  de  quelques  passages  qui  me  semblaient  suspects 
et  qui  se  sont  trouvés  conformes  au  ms.  De  même  pour  les  variantes  du  n"  5  j'ai  eu 
recours  à  l'obligeance  de  M.  Gariel,  et  M.  l'abbé  Chevalier  a  bien  voulu  revoir  encore 
une  fois  pour  moi  l'original  du  n°  40. 


STENGEL,  Mittheilungen  aus  Turiner  Handschriften  109 

14,  19),  je  crois  avoir  trouvé,  sinon  tout  à  fait  la  filiation  des  mss.,  du  moins, 
leur  classement  par  familles.  En  ce  cas  les  signes  par  lesquels  je  désigne  les  mss. 
sont  calculés  de  façon  à  rendre  ce  classement  sensible  aux  yeu;^.  Mais  pour  d'autres 
pièces  j'ai  complètement  échoué.  Les  personnes  qui  ont  l'habitude  de  ces  travaux 
savent  qu'il  n'est  pas  toujours  possible  de  se  rendre  compte  des  rapports  qu'ont 
entre  elles  diverses  leçons  d'un  même  texte.  Cependant  il  me  semble  que  dans 
deux  ou  trois  des  cas  oià  j'ai  échoué  (n"  15,  16,  17),  ce  rapport  pourrait  être 
trouvé.  J'ai  rapporté  en  note  toutes  les  variantes  des  mss.  En  principe  je  ne 
crois  pas  que  cette  accumulation  de  leçons,  souvent  sans  autorité  et  parfois 
ineptes,  ait  beaucoup  d'utilité \  mais  un  apparatus  criticus  aussi  complet  que 
possible  était  nécessaire  aux  fins  que  je  me  propose,  qui  sont  non-seulement 
d'enseigner  le  provençal  et  le  vieux  français,  mais  encore  de  donner  aux  élèves 
des  notions  sur  l'art  de  constituer  un  texte  critique. 

Mes  textes  étant  établis  directement  d'après  les  mss.,  j'ai  pu  me  dispenser  de 
tenir  aucun  compte  des  éditions  de  mes  devanciers.  Si  j'en  fais  ici  la  remarque, 
c'est  que  je  ne  voudrais  pas  qu'on  me  reprochât  d'avoir  omis  des  variantes  qui, 
vérification  faite,  ne  doivent  leur  existence  qu'à  des  fautes  de  lecture.  J'en  don- 
nerai un  exemple  amusant  :  aux  vers   164-5  '^^  morceau  de  Girart  de  Roussillon, 

j'ai  imprimé  : 

Caries  mandet  sa  cort,  e  fon  bien  granz, 

De  barons  Loherens  et  d'Alemanz; 
dans  l'édition  de  M.  Hofmann,  v.  2690,  on  lit  pour  le  second  vers  De  Ba- 
viers;  cependant  les  trois  mss.  portent  d'un  commun  accord,  et  aussi  lisiblement 
que  possible,  barons,  ou  batos.  Sans  doute  j'admets,  avec  le  savant  profes- 
seur de  Munich,  que  des  Bavarois  feraient  bien  à  cet  endroit,  mais  il  n'y  en  a  pas 
dans  les  mss.  et  je  ne  pouvais  en  mettre,  même  en  note. 

En  finissant,  qu'il  me  soit  permis  de  répéter  ici  la  phrase  par  laquelle  je  ter- 
minais il  y  a  dix  ans  la  préface  de  Flamenca  :  «  J'aurai  pour  ceux  qui  voudront 
examiner  mon  travail  d'autant  plus  de  reconnaissance  qu'ils  l'auront  plus  souvent 
rectifié,  »  P.  M. 


E.  Stengel,  Mittheilungen  aus  franzœsischen  Handschrilten  der  Turiner 
Universitaets-Bibliothek,  in-4'',  46  p.  Marburg,  Pfeil.  (Progr.  univ.  pour 
la  rentrée  d'octobre  1873). 

Le  travail  de  M.  Stengel  sur  les  mss.  français  de  Turin  se  divise  en  trois 
parties  :  dans  la  première  il  traite  de  quelques  mss.  déjà  décrits  ou  utilisés  par 
d'autres  savants;  dans  la  seconde  il  décrit  minutieusement  un  ms.  qu'il  a  étudié 
d'une  façon  particulière  et  qui  offre  d'ailleurs  un  grand  intérêt  ;  dans  la  troisième 
il  donne  quelques  notes  rapides  sur  des  mss.  qu'on  n'a  pas  encore  décrits  depuis 
l'ancien  catalogue  et  qu'il  n'a  pas  eu  le  temps  d'examiner  longuement.  Dans  tout 
le  cours  de  son  mémoire,  le  jeune  professeur  fait  preuve  de  connaissances  bi- 
bliographiques remarquablement  étendues  et  précises;  il  montre  dans  la  repro- 

I.  Je  !!uis  heureux  de  voir  que  cette  opinion  est  aussi  celle  de  M.  Martin,  qui  se  pro- 
pose dans  son  édition  de  Rcnart  de  ne  citer  les  leçons  des  manuscrits  secondaires  que  là 
où  elles  aident  à  corriger  le  texte  des  manuscrits  principaux.  Voyez  son  Examen  critique 
des  mss.  du  Romande  Renart,  p.  43. 


riO  COMPTRS-RKNDUS 

duction  des  textes  qu'il  publie  une  grande  exactitude,  bien  qu'il  ne  démêle  ou 
ne  retrouve  pas  toujours  la  bonne  leçon  ;  il  apporte  en  somme  à  la  littérature 
de  l'ancien  français  une  contribution  importante.  Il  pourrait  relever  un  peu 
moins  durement  les  inadvertances  de  ceux  qui  l'ont  précédé. Voici  quelques  notes 
qui  portent  surtout  sur  les  textes. 

I.  P.  3-4,  à  propos  de  la  traduction  de  Dante  en  vers  français  dont  M.  Casati 
a  public  des  fragments  fort  remarquables,  j'observerai  r  qu'elle  ne  peut  être, 
comme  l'a  supposé  M.  Lacroix,  de  F.  Bergaigne,  contemporain  de  François*', 
attendu  que  le  style  accuse  une  date  notablement  antérieure  ;  2'  qu'elle  doit, 
d'après  la  langue,  avoir  été  composée  par  un  Italien  (ce  qui  me  fait  douter  un 
peu  de  l'assertion  de  M.  St.,  d'après  laquelle  l'italien  serait,  dans  le  ms.,  écrit 
par  une  main  italienne,  le  français  par  une  main  française).  —  P.  1 1 ,  il  est 
regrettable  que  M.  St.  ne  nous  donne  pas  un  peu  plus  de  détails  sur  les  pièces 
e  et  g  du  ms.  L  IV,  33,  qui  sont  des  romans  de  la  Table-Ronde.  La  seconde, 
intitulée  :  C'est  de  Gliglois  comment  il  eut  grant  painne  pour  sa  famé,  rappelle,  par 
le  nom  du  héros,  le  joli  poème  du  Bel  Inconmi;  la  forme  Gliglois  j\.  Guiglois?) 
se  rapproche  du  Wigalois  allemand. 

II.  Le  curieux  ms.  L  II,  14,  qui  contient  une  compilation  singulière  de  pièces 
originairement  étrangères  l'une  à  l'autre,  est  le  sujet  principal  du  mémoire  de 
M.  Stengel.  La  description  qu'il  en  donne  est  faite  avec  soin,  et  si  elle  n'est  pas 
toujours  très-facile  à  suivre,  c'est  la  faute  du  ms.  Au  point  de  vue  de  l'histoire 
littéraire,  elle  me  suggère  deux  ou  trois  remarques.  P.  1 1,  il  serait  temps  de 
faire  disparaître  de  la  littérature  le  titre  de  Roman  de  Sapienu,  pour  le 
livre  d'Herman  de  Valenciennes.  Il  y  a  longtemps  qu'on  a  montré  que  ce 
titre  est  une  bévue,  provenant  de  ce  que  le  premier  vers,  dans  quelques  mss., 
est  Comans  de  Sapicnce,  c'est  la  cremor  de  Dcu,  et  qu'un  ms.  de  la  B.  N.  porte, 
par  une  erreur  du  rubricateur,  Romans  au  lieu  de  Comans.  —  P.  28,  v.  221  ss., 
le  résumé  de  l'histoire  de  Huon  de  Bordeaux  qui  est  donné  ici  est  extrêmement 
curieux  ;  il  ne  parle  ni  de  l'Orient,  ni  d'Auberon,  il  place  en  Lombardie  la  scène 
de  l'exil  de  Huon,  substitue  à  Esclarmonde  la  fille  du  comte  Guinemer  (qui  pour- 
rait bien  être  devenu  le  Garin  de  St-Omer  du  poème  actuel),  et  justifie  ainsi  une 
conjecture  que  j'ai  émise  jadis  (Revue  germanique,  1861)  :  les  aventures  merveil- 
leuses d'Huon  en  Orient  ont  été  introduites  par  l'auteur  de  notre  poème  dans 
une  tradition  à  laquelle  elles  n'appartenaient  pas  originairement.  —  P.  31,  je 
doute  que  le  ms.  de  Turin  (qui  est  fort  semblable  à  notre  ms.  12548,  à  celui 
du  Vatican,  et,  si  je  ne  me  trompe,  au  ms  401  de  Carpentras)  contienne  un 
remaniement  du  texte  que  donne  le  ms.  25516,  mais  je  n'ai  pas  étudié  la  question 
d'assez  près  pour  me  prononcer.  A  ce  propos,  M.  St.  «  prétend  faussement  » 
(pour  employer  une  de  ses  expressions  favorites)  que  M.  Gautier  publiera 
dans  la  Romania  une  version  franco-provençale  de  Beuvc  ;  nous  n'avons  jamais 
annoncé  qu'une  étude  de  M.  Gautier  sur  «  une  suite  de  Beuvc  d'Hanstone,  »  et 
encore  le  poème  de  Béton  se  rattache  à  Beuve  par  un  lien  extrêmement  lâche. 

III.  P.  39,  une  M  chronique  »  en  prose  qui  a  pour  première  rubrique  :  Com- 
ment le  roy  Salomon  de  Hongrie  fu  mariez  à  la  fille  de  l'empereur  d'Allemagne,  a 
bien  plutôt  l'air  d'un  roman,  et  j'ai  idée  que  nous  avons  là  une  forme  nouvelle 
du  roman  si  connu  de  la  Manekine.  —  P.  41,  il  serait  facile  de  grossir  la  liste 


HOFMANN,  ein  Katalanisches  Thierepos  1 1 1 

des  mss.  de  Florimont;  je  ne  citerai  que  celui  de  Montpellier,  parce  que  le  cata- 
logue ne  l'indique  pas  :  un  long  fragment  de  Florimont  remplit  les  fol.  13-61  du 
ms.  252  de  la  Bibl.  de  la  Fac.  de  médecine'. 

Voici  maintenant  quelques  rectifications  pour  les  textes  imprimés  par  M.  Sten- 
gel.  P.  12,  V.  12,  sïnc,  I.  simc\  v.  28,  Soibant,  1.  Soibaut.  —  P.  13,  v.  49,  le 
ms.  a  fort  bien  III  ducees  (duceês)  ot  il  par  desoiis  lui,  M.  St.  corrige  à  tort  IIII  ; 
V.  ^6,  mort  ore,  1.  mortore  ;  v.  90,  Qui  les  foires  créa  et  establi,  je  lirais  Cil  qui, 
bien  que  le  même  vers  se  retrouve  p.  28,  v.  230.  —  P-  23,  v.  8,  pourquoi  un 
(?)  après  le  nom  fort  clair  de  Barlaitc?  —  P.  25,  v,  15,  Font  faire  au  tens 
moustiers  et  cruchefis,  1.  auteus.  —  P.  26,  v.  107,  porte,  1.  portes.  —  P.  27, 
V.  196,  Et  Loherainne  et  To  et  Nansi,  p.  ê.  Tolois.  —  P.  28,  v.  216,  ses  bours 
et  ses  mcsins,  qu'est-ce  que  mesin?  Je  lirais,  par  analogie  avec  d'autres  vers,  ses 
fours  et  SCS  molins  ;  v.  217,  Et  la  terre,  1.  Et  celé  terre;  v.  246,  M.  St.  n'a  pas 
osé  résoudre  l'abréviation  du  dernier  mot,  c'est  paresis  (cf.  v.  286)  ;  v.  249, 
manburni,  1.  manburnir;  v.  258,  d'une  empereris,  1.  a  unee.;  v.  263,  //  grant 
pris,  1.  si;  v.  290,  Que  il  fera  raison,  je  lirais,  ne  pouvant  admettre  ici  un 
alexandrin.  Qu'il  fera  droit.  —  P.  32,  v.  13,  achi  sonne,  1.  achisonne;  v.  14  (et 
de  m.  p.  34,  v.  32)  M.  St.  imprime  plus  (=  post)  :  le  ms.  doit  donner  puis.  — 
P.  34,  V.  7,  bue,  V.  24,  Bue,  1.  Buevon  et  Bueves;  pourquoi  au  v.  i  suppléer  un 
i  dans  ir{i)cs  et  laisser  au  v.  26  ires  tel  quel  ?  —  P.  36,  v.  101,  5^  ioucie  en 
cestp.  valee  n'a  aucun  sens,  1.  Se  jeu  dé.  —  P.  37,  le  v.  (77)  est  trop  court,  1.  i 
sont  pour  sont;  v.  (181)  La  mors  qui  tout  met  en  salmaire,  1.  en  s'almaire  (com- 
ment M.  St.  a-t-il  compris.?)  ;  v.  (203),  1.  estoit  au  lieu  à' est  pour  le  vers.  — 
P.  38,  v.  (267),  //  n'a,  1.  //  ni  a.  —  P,  44,  1,  17,  dor,  de  mirre  et  doucheus, 
1.  d'or,  de  mirre  et  d'enchens. 

G.  P. 

Ein  Katalanisches  Thierepos  von  Ramon  Lull.  Von  Konrad  Hofm.\nn. 
Munich,  1872,  in-4'',  70  p.  (Extrait  du  t.  XII,  3°  série,  des  Mémoires  de 
l'Académie  des  sciences,  i"  CL). 

La  Bibliothèque  de  Munich  possède  deux  exemplaires  manuscrits  d'un  des 
ouvrages  de  Ramon  Lull,  intitulé  Libre  de  Maravclles.  M.  Hofmann  en  a  extrait 
et  publié,  avec  toute  la  correction  qu'on  est  en  droit  d'attendre  de  lui,  un  long 
fragment  qui  contient  une  espèce  de  roman  animal  (le  nom  d'épopée  lui  convient 
peu).  Ce  curieux  morceau  appelle  des  observations  nombreuses  ;  l'éditeur  nous 
promet  le  commentaire  une  autre  fois.  Sa  publication  actuelle  comprend  une 
description  sommaire  des  mss.,  le  texte  catalan  et  une  analyse  qui  en  beaucoup 
d'endroits  est  une  traduction.  Elle  se  termine  par  les  lignes  suivantes,  qui  don- 
nent une  juste  idée  de  ce  que  le  savant  professeur  de  Munich  nous  a  offert  et  de 
ce  qu'il  nous  promet  :  «  Comme  j'ai  dépassé  déjà  l'espace  qui  m'était  assigné, 
je  dois  réserver  pour  une  autre  occasion  l'examen  détaillé  de  diverses  questions 
que  soulève  cet  ouvrage  du  célèbre  Franciscain.  C'est  d'abord  son  rapport  avec 
la  fable  indienne  [Pantschatantra,  etc.),  à   laquelle  il  a  sans  doute  emprunté 

I.  Les  12  premiers  folios  contiennent  un  fragment  du  Chevalier  au  Lion,  qui  n'a  pas 
été  reconnu  par  le  rédacteur  du  catalogue;  ce  ms.,  qui  se  rattache  au  groupe  des  mss.  de 
Paris,  paraît  y  occuper  une  place  à  part. 


I I 2  COMPTES-RENDUS 

ses  récits,  par  l'intermédiaire  de  l'arabe  qu'il  entendait  â  merveille,  en  sorte 
qu'il  est  un  des  premiers  Européens  qui  aient  traité  ce  sujet  dans  une  langue 
vulgaire.  Il  faudrait  ensuite  comparer  son  œuvre  à  l'épopée  animale  germano- 
romane,  qui  paraît  lui  avoir  été  tout  à  lait  étrangère,  comme  le  montre  déjà 
cette  circonstance,  qu'il  emploie  le  seul  nom  qu'il  lui  emprunte,  Rcnart,  comme 
féminin  (Nu  Rrcnarl).  Enfin  il  faut  examiner  dans  son  ensemble  le  Libre  de  Mara- 
vellcs  lui-même,  qui,  non-seulement  dans  le  septième  livre  que  je  viens  de  publier, 
mais  dans  son  entier,  se  compose  aussi  (comme  le  célèbre  roman  monastique  de 
Lull  Evast  et  Blanquerna)  d'une  histoire  qui  sert  de  cadre,  et  où  ne  sont  pas 
insérées  moins  de  trois  cent  soixante-cinq  autres  histoires  grandes  ou  petites.  » 
Ces  recherches  ajouteront  beaucoup  de  prix  à  la  présente  publication,  qui  a  déjà 
le  mérite  de  nous  offrir  un  texte  catalan  étendu  et  bien  édité. 


Beitrag  zur  Kunde  der  norditalienischen  Mundarten  im  XV.  Jarhrun- 
derte.  Von  Adolf  Muss.vfia.  Wien,  Geroid,  1873,  gr.  in-4*,  128  p.  (Extrait 
du  t.  XXII  des  Mémoires  de  l'Académie). 

Le  nouvel  ouvrage  de  notre  savant  collaborateur  comptera  comme  un  de  ses 
meilleurs  titres  scientifiques  et  peut  être  regardé  comme  un  des  travaux  les  plus 
remarquables  qui  aient  paru  dans  le  domaine  de  la  philologie  romane  depuis 
longtemps.  La  matière  en  a  été  fournie  par  des  glossaires  italiens-allemands, 
manuscrits  ou  imprimés,  du  XV"  siècle,  où  les  mots  et  les  formes  des  dialectes 
du  nord  envahissent  de  toutes  parts  le  toscan.  Rien  n'est  en  apparence  plus 
informe  et  plus  confus  que  la  langue  de  ces  documents,  et  pour  en  tirer  une 
grammaire  il  a  fallu  à  M.  Mussafia  beaucoup  de  patience,  et  encore  plus 
de  réserve  :  il  avoue  lui-même  qu'il  s'est  parfois  demandé  si  en  enregistrant 
telle  ou  telle  forme  il  ne  notait  pas  simplement  une  faute  de  copie  ou  d'im- 
pression. Il  a  cependant  recueilli,  grâce  à  son  excellente  méthode,  quelques 
faits  intéressants  de  phonétique  et  de  flexion.  Mais  la  partie  la  plus  considé- 
rable et  la  plus  importante  de  son  mémoire  est  le  glossaire,  où  sont  relevés 
tous  les  mots  notables  des  textes  utilisés,  et  où  ils  sont  expliqués,  comparés 
avec  les  patois  actuels,  l'italien,  les  autres  langues  romanes,  et  étudiés  étymolo- 
giquement.  On  sait  par  quelles  transformations  bizarres  les  mots  passent  à  la 
longue  dans  les  patois,  et  il  faut  songer  en  outre  aux  altérations  incroyables 
qu'ils  ont  subies  dans  les  textes  en  question.  Beaucoup  de  ces  mots  paraissent  à 
peine  romans,  la  plupart  ne  rappellent  au  premier  coup  d'œil  aucun  congénère. 
M.  M.  se  joue  de  difficultés  qui  auraient  empêché  plus  d'un  savant  d'entreprendre 
même  la  tâche  qu'il  mène  presque  toujours  à  bien  :  doué  d'une  force  d'attention 
et  d'une  pénétration  peu  communes,  muni  d'une  connaissance  sûre  et  étendue  de 
toutes  les  langues  romanes  et  d'une  lecture  très-vaste  dans  le  domaine  spécial 
qu'il  explorait,  imbu,  plus  qu'aucun  des  disciples  de  Diez,  de  la  méthode  à  la 
fois  hardie  et  circonspecte  du  maître,  il  a  ramené  d'une  main  habile  au  bercail 
étymologique,  à  travers  mille  détours,  ces  troupeaux  errants  et  assauvagis. 
Son  glossaire,  qui  enregistre  plus  de  mille  mots  et  en  explique  un  bien  plus 
grand  nombre,  fait  désormais  partie  intégrante  du  trésor  étymologique  roman  : 
on  comprend  que  sa  portée  dépasse  beaucoup  le  champ  restreint  où  il  a  fait  sa 


VON  Flugi,  die  Volkslieder  des  Engadin  1 1 5 

moisson,  et  qu'en  expliquant  les  mots  milanais  ou  bergamasques  il  explique  sans 
cesse  des  mots  italiens,  espagnols,  français,  provençaux  (je  note  bancal,  mal 
compris  par  Raynouard  et  P.  Meyer),  etc.  Je  n'ai  pasla  prétention  de  compléter 
ou  de  corriger  un  travail  fait  avec  autant  de  compétence,  de  maturité  et  de  cri- 
tique :  je  ne  puis  que  l'étudier,  et  je  pense  que  tous  les  romanistes  en  feront  autant 
et  y  profiteront  beaucoup.  Quelques  observations,  sans  importance  d'ailleurs, 
m'ont  été  suggérées  par  une  première  et  incomplète  lecture.  Sur  asprosordo ,  on 
aurait  pu  remarquer  que  ce  serpent  est  appelé  sourd  en  fr.  et  prov.  mod.,  sort  en 
V.  fr.  —  Sur  caligo,  qui  a  donné  des  mots  masculins  et  féminins,  on  peut  rappro- 
cher le  V.  fr.  chalin  et  chaline.  —  A  propos  de  galon  et  de  sa  nombreuse  famille, 
M.  M.  dit  en  note  :  «  A  ce  groupe  se  rattache  s.  d.  aussi  le  crémon.  ingherlit, 
délie  dita,  quando  per  soverchio  freddo  non  si  possono  distendere  ».  C'est  plu- 
tôt le  même  mot  que  le  syn.  français  onglée.  —  La  provenance  de  galoche  de 
calopia  pour  calopodia  me  paraît  bien  probable.  —  Sur  inclostro,  rappr.  le  v.  fr. 
encloistre.  —  A  propos  de  lasena,  il  est  bon  de  remarquer  que  le  v.  fr.  a  lasne 
(voy.  Rom.  Studien,  p.  437)  et  aussi  lasnetc.  —  Le  mot  mazeta,  «  bâton,  » 
(dim.  de  mazza)  ne  se  retrouverait-il  pas  dans  le  fr.  mazctlc,  «  mauvais  cheval?» 
cf.  bordone,  muleta  et  Brachet,  s.  v.  bourdon.  —  A  propos  de  stofegar,  je  note 
que  M.  Boucherie  a  relevé  des  formes  semblables  en  français  et  en  provençal  ; 
voy.  ci-dessous,  p.  117.  —  «  Veta  haubt  ;  »  M.  M.  lit  «  v.  haube  »  ;  ne  pour- 
rait-on pas  garder  haubt  en  comprenant  veta  comme  l'it.  vetta?  Cela  dépend  au 
reste  de  la  place  que  le  mot  occupe  dans  le  glossaire.  Quant  au  mot  oveta  que 
M.  M.  rapproche  de  veta,  sa  dérivation  de  l'ail,  haube  est  assurée  par  le  v.  fr. 
huvette,  dim.  de  huve  ==  haube. 

G.  P. 

Die  Volkslieder  des  Engadin.  Von  Alfons  von  Fluot.  Nebst  einem 
Anhange  engadinischer  Volkslieder  im  Original  u.  in  deutscher  Uebersetzung. 
Strassburg,  1873,  in-S",  85  p. 

Ce  petit  volume  sera  bien  accueilli  des  amis  de  la  poésie  populaire  :  on 
manquait  jusqu'ici  d'un  semblable  recueil.  Les  quarante-neuf  premières  pages, oii 
l'on  remarque  d'intéressants  fragments  de  chansons  épiques  conservés  par  Cam- 
pell,  sont  consacrées  à  l'histoire  de  la  poésie  populaire  dans  l'Engadine. 
Selon  M.  Alfonse  de  Flugi  les  chansons  qu'on  y  chante  aujourd'hui  remontent 
pour  la  plupart  au  XVIII*=  siècle,  où  le  pays  put  enfm  se  reposer  des  luttes  et 
secousses  de  la  réforme  religieuse.  Cette  opinion  aurait  besoin  d'être  appuyée  plus 
solidement,  et  elle  pourrait  l'être  assez  facilement.  En  recueillant,  les  chansons 
populaires  des  endroits  restés  catholiques,  on  verrait  ceux  qui  leur  appartien- 
nent et  ceux  qui  sont  la  propriété  de  l'Engadine.  La  Réforme  s'attaqua  aux  pro- 
ductions de  la  muse  populaire,  qu'elle  trouvait  trop  libres  et  sans  gêne,  et  tenta 
de  les  remplacer  par  d'ennuyeux  cantiques  et  psaumes  (p.  14).  Elle  a  fait  la  même 
chose  dans  une  autre  partie  de  la  Suisse  romane.  —  Parmi  les  pièces  citées, 
dont  quelques-unes  offrent  un  grand  intérêt,  il  y  en  a  une  que  je  regarde  comme 

tronquée,  c'est  : 

Ad  eira  un  pascheder  chi  giaiva  pasçhand, 
Ziava  la  riva  cha'l  giaiva  chantand  : 
Eviva  l'amur! 
Romania,  lll  8 


114  COMPTES-RENDUS 

Car  la  fin  ne  peut  être  celle  qu'elle  a  et  qui  est  hors  du  sujet,  malgré  l'appa- 
rence. Les  dou/c  chansons  qui  lorment  l'appendice  sont  des  pièces  choisies 
appartenant  toutes  û  la  poésie  erotique.  Dans  ces  créations  du  génie  populaire  il 
y  a,  comme  dit  fort  bien  Ascoli  de  la  langue  des  Grisons,  matière  romane  et 
esprit  allemand.  La  septième  a  de  l'analogie  avec  une  ronde  fribourgeoise,  où  il 
est  question  d'un  trousseau  aussi  singulier  que  la  dot  du  vieillard.  La  douzième 
a  le  même  sujet  que  la  charmante  chanson  populaire  que  F.  Mistral  a  fait  entrer 
avec  de  grands  changements  dans  le  poème  de  Mirallc,  ainsi  qu'on  l'a  déjà 
remarqué.  Voici  la  pièce  ladine,  qui  me  paraît  digne  d'être  comparée  à  l'aubade 
du  poète  de  la  Provence  : 


Chi  me  ais  que  famailg 
Chi's  leiva  usclia  manvailg 
Cun  la  staila  dal  sulailg.? 
Chi  me  ho'l  par  marusa.? 

L'ho  zuond  ùna  bella  matta; 
Ma  da  seis  bap  ho  ella  artô 
Bain  ùna  pitschna  dota  : 
Sulet  un  êr  chi  rœsas  ho  purtô. 

«  O  bella  matta,  voust  amder 
Una  bella  rœsa  da  tieu  êr? 

—  0  madinà,  cha  nu  farô, 
Cha  mieu  bap  m'ho  scumândô. 

—  Nu  voust  tu  ma  marusa  gnir.? 

—  Aunt  eu  quella  eu  dvanter, 

In  un  graunet  am  voelg  cunvertir, 
Ed  in  la  terra  am  voelg  zuper. 

—  Scha  tu  voust  gnir  un  bel  graunet, 
Ed  in  la  terra  at  voust  zuper, 

Voelg  eau  gnir  un  utscheet, 

Ed  our  dalla  terra  at  voelg  picler. 

— Un  utscheet  scha  tu  voust  gnir, 
Ed  our  dalla  terra  am  voust  picler. 


Voe'm  convertir  in  chiamuotschet 
Ed  in  la  cripla  am  voelg  risçher. 

—  Fùssast  tu  lin  chiamuotschet, 
Per  in  la  cripla  at  risçher, 
Voelg  esser  eu  un  chatschedret, 
Ed  our  dalla  sassa  at  voelg  claper. 

—  In  chatschedret  t'voust  convertir, 
Ed  our  d'ia  sassa  am  voust  claper  : 
Schi  voelg  eu  gnii  ùna  bella  rœsa, 
Ed  in  la  plazza  am  voelg  plazzer. 

—  Scha  tu  fùssast  ùna  rœsa 

Ed  in  la  plazza  at  voust  plazzer. 
Un  cumpredar  voelg  eu  gnir, 
Gio  dalla  plazza  t'acquister. 

—  Scu  cumpredar  voust  tu  gnir. 
Gio  dalla  plazza  am  voust  cumprer, 
Voelg  in  aunglet  am  cunvertir, 

Ed  aint  in  tschêl  am  voelg  retrer. 

—  In  un  aunglet  t'voust  cunvertir, 
Ed  aint  in  tschê!  voust  at  plazer, 
Schi  voelg  un  otr'  aunglet  eu  gnir, 
E  svess  intschêl  at  voe  brancler.  » 


Puisse  l'auteur  qui  vient  de  publier  cet  intéressant  travail  recueillir  aussi  les 
contes  et  les  légendes  populaires  de  l'Engadine!  Car  le  temps  marche  vite, 
emportant  dans  sa  course  ces  précieux  monuments  de  l'imagination  populaire. 

Jules  Cornu. 


PÉRIODIQUES. 


I. — Revue  des  langues  romanes.  IV,  4.  —  P.  481,  Montel,le  Mémorial  des 
nobles.  Le  cartulaire  connu  sous  ce  nom  est  le  joyau  des  archives  de  Montpellier. 
C'est  le  recueil  des  actes  relatifs  à  la  seigneurie  des  Guillems.  Il  y  en  a  environ 
600,  dont  un  sixième,  au  dire  de  M.  Montel,  est  en  langue  vulgaire.  Les  docu- 
ments qui  sont  dans  ce  cas  sont  en  général  des  serments  de  fidélité,  genre  d'acte 
qui,  dès  les  plus  anciens  spécimens  qu'on  en  possède,  a  été  rédigé  au  moins  par- 
tiellement en  langue  vulgaire.  Au  seul  point  de  vue  philologique  la  publication 
du  Mémorial  des  Nobles,  compilé  tout  au  commencement  du  XIII'  siècle  (vers 
1204)^  serait  d'un  grand  intérêt.  Aussi  peut-on  regretter  que  h  Société  archéolo- 
gique de  Montpellier,  à  qui  l'histoire  du  midi  de  la  France  doit  tant,  n'ait  pas 
encore  donné  suite  au  projet  qu'elle  avait  jadis  formé,  il  y  a  quarante  ans 
environ',  de  mettre  au  jour  ce  précieux  recueil.  En  attendant  que  cette  intention 
soit  réalisée,  M.  Montel  imprime  un  premier  choix  de  18  serments  tirés  du 
Mémorial.  Déjà  en  1861  feu  Cambouliu  avait  publié  dans  le  Jahrbuch  /.  rom. 
Lit.  (III,  3  59-60)  trois  des  serments  du  Mémorial,  mais  non  sans  commettre  ces 
fautes  de  lecture  dont  il  était  coutumier,  et  qui  rendent  presque  inintelligibles 
les  textes  joints  à  son  Essai  sur  la  littérature  catalane.  M.  M.,  qui  a  constaté  les 
fautes  de  son  devancier,  nous  donne  un  texte  plus  correct,  mais  pourtant  non 
exempt  d'erreurs,  si  j'en  juge  par  la  comparaison  avec  des  copies  que  j'ai  prises 
il  y  a  douze  ans,  à  Montpellier.  Ainsi  n"  III  :  «  ad  te  Guillelmum  supt-rscriptum 
sicut  sup^rscriptum  et  totum  tenebo  »,  lisez  :  suprascriptum  les  deux  fois,  et  est 
au  lieu  à'ct.  Il  va  sans  dire  qu'il  faut  ponctuer  en  conséquence  ;  No  V,  1. 1 0  du  bas, 
estabils,  lisez  cstablis;  1.  6  du  bas,  sabra'h,  Wsez  sabial  ;  1.  5  du  bas,  «  Guillelmsde 
Monpesler  quan  iofauz  lo  dons  anquara  trent'  anz  non  aura  »  ;  cela  n'a  aucun  sens, 
1.  faitz  et  avia.  Av.  dern.  1.  «  d'ai  bon  feu  »,  lisez  d'aitan,  etc. —  P.  502.  Alart, 
Documents  sur  la  langue  catalane  (suite).  —  P.  515.  Alart,  Certificat  délivré  par 
les  juratsde  Pau  (141 1).  —  P.  522.  Ch.  de  Tourtoulon,  De  quelques  formes  de 
l'ancienne  langue  d'oc.  Objections  à  quelques  brèves  remarques  imprimées 
ici  même,  t.  II,  p.  372.  M.  de  T.  continue  à  contester  l'origine  provençale 
du  chansonnier  Giraud.  Il  me  demande  sur  quoi  j'ai  fondé  cette  attribution. 
J'ai  donné  mes  raisons  dans  mon  mémoire  sur  ce  chansonnier,  et  les  tiens  pour 
suffisantes.  La  grande  objection  de  M.  de  T.,  c'est  que  ce  ms.  admet  los  au  cas 

1.  Voy.  la  notice  de  J.  Renouvier  sur  le  Mémorial  des  Nobles  et  sur  le  Petit  Thalamus, 
dans  le  Bulletin  de  la  Soc.  de  l'Hist.  de  France,  II,  560.  Les  renseignements  donnés  par 
Renouvier  ne  concordent  pas  toujours  avec  ceux  de  M.  Montel. 

2.  M.  Montel  sépare  toujours  l'article  à  la  façon  de  Raynouard,  système  qui  est  main- 
tenant abandonné  de  tout  le  monde. 


||6  PÉRIODIQUES 

sujet,  et  los  serait  «  antipathique  »  au  dialecte  de  la  Provence,  Je  n'ai  ni  le 
temps  ni  la  place  qu'il  faudrait  pour  discuter  en  détail  les  arguments  par  les- 
quels M.  de  T.  s'efforce  de  prouver  cette  antipathie.  Mais  d'ailleurs  on  peut 
négliger  les  raisonnements  théoriques,  lorsque  la  preuve  dont  on  a  besoin  est 
fournie  par  des  faits;  or  c'est  un  fait,  et  un  fait  indiscutable,  qu'une  fois  perdue 
la  distinction  du  cas  sujet  et  du  cas  régime,  vers  le  milieu  du  XIV  siècle,  on  a 
employé  en  Provence  comme  ailleurs,  le  cas  régime  los  au  lieu  du  cas  sujet  /(. 
M.  de  T.  récuse,  sans  bonne  raison,  les  textes  écrits  à  Tarascon  que  je  lui  ai 
cités.  11  dit  que  Tarascon  est  trop  près  du  Languedoc,  comme  si  l'art.  //  (lis 
devant  les  voyelles)  n'était  pas  employé  maintenant  non-seulement  à  Tarascon, 
mais  à  Beaucaire  et  tout  à  l'entour!  Mais  passons,  il  ne  manque  pas  d'autres 
textes  écrits  dans  les  Bouches-du-Rhône,  dans  le  Var,  dans  les  Basses-Alpes.  J'y 
trouve  constamment,  comme  dans  le  ms.  Giraud,  los  pour  l'art,  masc.  plur.  employé 
au  cas  sujet  :  aussi  bien  dans  le  mystère  de  saint  Jacques,  qui  est  de  Manosque, 
que  dans  les  règlements  de  police  de  La  Cadière  (Var)  ou  dans  les  compoids  de 
Toulon.  Si  donc  M.  de  T.  peut  me  montrer  dans  des  textes  antérieurs  à  la  fin 
du  XVI'  siècle  li  employé  comme  il  l'est  actuellement  en  prov.  mod.,  il  aura 
gagné  sa  cause.  A  lui  d'en  trouver.  J'ai  dit  queueimais  ne  pouvait  avoir,  chez  un 
poète  de  la  fin  du  XIII°  siècle,  le  sens  négatif.  M.  de  T.  me  répond  par  deux 
citations  de  Mireio!  Cette  façon  de  raisonner  me  surprend  peu,  car  j'ai  souvent 
l'occasion  de  la  constater  chez  certains  de  mes  élèves  qui,  originaires  du 
Midi,  croient  pouvoir  expliquer  les  troubadours  avec  l'aide  de  leur  patois.  Elle 
montre  combien  l'étude  historique  de  la  langue  a  de  peine  à  s'introduire.  —  [P. 
527-^57,  Boucherie,  Etymol.  franc,  et  patoises  K  Ce  travail  intéressant,  et  où 
l'auteur  se  montre  souvent  ingénieux,  manque  un  peu  trop  de  base  historique  et  de 
rigueur  phonétique.  M.B.a  en  outre  été  dominé  par  un  principe  qui,  tel  qu'il  le 
pose  (p.  546 1,  est  très-exagéré  :  «On  ne  doit,  dit-il,  recourir  au  grec  ou  à  l'allemand 
qu'avec  beaucoup  de  précautions,  quand  l'historique  du  mot  le  permet,  et  surtout 
quand  il  est  bien  avéré  qu'il  est  absolument  impossible  de  le  rattacher  au  latin.  » 
L'allemand  ne  doit  pas  être  assimilé  au  grec  :  il  a  eu  sur  le  vocabulaire  du  roman 
et  surtout  du  français  une  influence  bien  autrement  grande,  et  quand  il  offre  une 
étymologie  satisfaisante  il  faut  s'y  tenir  et  non  aller  chercher  dans  le  latin  une 
explication  forcée.  L'opinion  excessive  de  M.  B.  l'a  fait  tomber  dans  ce  travers, 
quand  il  a  voulu  tirer  blanc  de  lactus ,  blesser  de  '  lacdicare,  ctal  de  *staculam , 
guetter  de  *  vaditare,  licheor  de  [Jejlectatorem,  gratter  de*  raJitare,  grincer  de' rictare, 
grimer  de  rimare,  massacre  de  *  mactacrum  :  aucune  de  ces  fantaisies  ne  peut  se 
soutenir  un  moment.  Parmi  les  autres  propositions,  la  plupart,  tout  en  prouvant 
chez  l'auteur  une  aptitude  étymologique  réelle,  doivent  également  être  rejetées. 
*Adbadare  n'est  pas  nécessaire  pour  expliquer  les  formes  diverses  d'aboyer,  qui  se 
tirent  toutes  d'adbaubarc  {au=a  comme  dans  a(u)gustus,  etc.)  ;  afficher  ne  voulant 
jamais  dire  «  feindre  »  n'a  rien  à  faire  avec  *jffictare;  baille  de  vasculum  est 
aussi  impossible  que  les  prétendus  exemples  de  b  =  v,baud=validus  et  vitiare=: 
baiser  (11);  si  bramer  venait  de  *peramare,  il  ferait  braime  aux  formes  accentuées 
sur  le  radical;  *verutica,  donné  comme  origine  de  «  broche  »,  ressemble  trop 


1.  Tirage  à  part,  Montpellier,  Séguin. 


PÉRIODIQUES  117 

au  *fabanca  * {fab)aricotus,  origine  de  haricot  d'après  Ménage;  capoutié  ne  vient 
pas  de  capoclator,  mais,  comme  me  le  fait  remarquer  P.  Meyer,  est  l'ancien  mot 
provençal  capitolier;  correcier  est  une  forme  affaiblie  de  corroder  (cf.  doleros,  etc.) 
et  ne  vient  pas  de  correctiare  (d'après  l'auteur  «  un  homme  corrige  n'est  pas  loin 
d'être  courroucé  »)  ;  esbaïr  se  rattache  sans  doute  au  rad.  bad-  (cf.  baïf),  mais  ne 
peut  venir  à'expavescerc,  le  p  dans  ces  conditions  ne  devenant  par  b  et  le  sens  ne 
convenant  pas;  la  raison  donnée  par  Diez  contre  é/JiVr :=  *5/'(c^re  reste  bonne, 
M.  B.  ne  prouvant  pas  du  tout  que  spiare  spia  ne  soient  pas  anciens  en  italien; 
«  estourmir,estourbir,  mots  du  langage  populaire  signifiant  assommer,  étourdir»: 
le  premier  de  ces  mots  m'est  inconnu  dans  ce  sens  (vfr.  estormir=a.h.  aW.  storm- 
jan),\e  second  serait  plutôt  *a-;or/;(V/;V£  (ainsi  àouhleide  étourdir)  que  'exturbescere; 
SI  flatter  venait  de  flagitare,  le  v.  fr.  aurait  /laitier  {Alexis,  p.  79).  Des  objections 
moins  décfsives,  mais  graves,  et  le  manque  de  preuves  historiques,  rendent  très- 
douteuses  lesétymologies  de  boulanger  {'  pollinearius  ou  * polenticarius  déjà  admis 
par  Ménage',  broncher  Cperuncare),  bûche  {*bustica),  caillou  Ccaclulus),  coche 
('cudicare),  espinchà  pat.  (spcctare),  étaler  {"statare),  étouffer  {*stupefacere;  sur  esto- 
fcgicr,  cf.  ci-dessus,  p.  113),  flouer  (fraudarc),  grolle  {*corvula),  mâcher  {macîare), 
malingre  (*maHgnulus).  L'explication  de  manger  psir  *  mandicare  a  été  donnée 
déjà,  comme  M.  B.  le  note,  par  M.  Storm.  Une  seule  étymologie  me  paraît 
pouvoir  être  admise  dans   la  prochaine  édition  de   Brachet  :   c'est  érailler  de 

*  exradiculare.  —  M.  B.  veut  que  les  mots  comme  breviare  *  leviare  *fortiare  etc., 
viennent  du  comparatif  et  non  du  positif  de  brevis,  etc.;  mais  outre  que  cette 
dérivation   est   contraire  au   génie  de  la   langue,  qu'est-ce  que  des  comparatifs 

*  captior  "tentior  et  tant  d'autres?  —  Son  explication  de  noircir  durcir  etc., 
ne  diffère  pas  de  celle  de  Diez,  II,  406.  —  Ce  qu'il  dit  sur  mil  et  mille 
est  juste,  mais  n'est  pas  nouveau  :  voy.  Diez,  II,  180,  et  A.  Tobler  dans  le 
Jahrbuch,  IX,  116.  —  G,  P.]  —  P.  5^8,  A.  M.  et  L.  L. ,  Contes  et  petites 
compositions  populaires  (suite).  J'ai  dit  ci-dessus  (II,  572)  à  propos  d'une  partie 
antérieure  de  ce  travail  :  «  La  principale  des  pièces  contenues  dans  cet  article 
»  est  celle  que  M.  Damase  Arbaud  a  publiée  sous  le  titre  de  Scrcnados  avec  un 
))  commentaire  que  les  nouveaux  éditeurs  ont  reproduit  a  peu  près  en  entier  sans 
»  reconnaître  suffisamment  leur  emprunt.  «  En  réponse  à  cette  observation  MM.  M. 
et  L.  énumèrent  les  diverses  parties  de  leur  article  et  concluent  en  me  deman- 
dant où  j'ai  vu  ce  commentaire  qu'ils  ont  emprunté  presque  en  entier  à  M.  D. 
Arbaud?  Il  plaît  à  ces  messieurs  d'équivoquer  sur  le  mot  commentaire.  Ils  savent 
aussi  bien  que  moi  que  le  commentaire  en  question  se  trouve  dans  le  t.  I"  des 
Chants  popul.  de  la  Provence,  p.  224-5,  ^^  qu'ils  l'ont  transporté  avec  d'insigni- 
fiants changements  aux  pages  462  et  463  du  t.  IV  de  leur  Revue.  C'est  là  l'em- 
prunt que  je  leur  reproche  de  n'avoir  pas  suffisamment  reconnu.  —  P.  600. 
A.Espagne,  Proverbes  et  dictons  populaires  recueillis  à  Aspiran,  Ce  sont  principale- 
ment des  proverbes  météorologiques.  L'éditeur  s'est  efforcé  de  faire  la  biblio- 
graphie de  chaque  proverbe  et  d'en  citer,  d'après  divers  recueils,  les  variantes.  Je 
lui  signalerai  un  travail  analogue  au  sien  où  il  aurait  trouvé  matière  à  de  nom- 
breux rapprochements  :  Recueil  des  proverbes  météorologiques  et  agronomiques  des 
Cévennols,  suivi  des  pronostics  des  paysans  Languedociens  sur  les  changements  de 
temps,  par  M.  L.  A.  D.  V.,   dans  les  Annales  de  l'agriculture  française,  z'  série, 


Il8  PÉRIODIQUES 

t.  XIX  n822).  —  P.  654.  A.  Guiraud  Que  l'a  denàu?  —  P.  6^0.  Chabaneau, 
Grammaire  limousmc  (suite).  —  BibliOj;raphie  :  Barthès,  Glossaire  botam<juc 
languedocien  cl  français  de  l'arrondissement  de  Saint-Pons.  Compte-rendu  fort 
élogieux  qui,  assurément  à  l'insu  de  son  auteur,  donne  une  idée  peu  favorable 
de  cet  ouvrage.  Pour  apprécier  la  valeur  de  ce  nouveau  glossaire  botanique, 
il  eût  fallu  le  comparer  à  celui  que  M.  G.  Azais  a  publié  en  1871  (voy.  Homa- 
nia,  I,  269J.  —  P.  702.  Pcriodiqucs.  Rendant  compte  du  n"  6  de  la  Romania, 
M.  Boucherie  pense  que  dans  Blandin  de  Cornouailles,  v.  707  il  faut  lire  al  re, 
au  lieu  d'abre,  opinion  qui  me  paraît  fondée.  —  P.  707.  G.  Azais,  Notice 
nécrologique  sur  A.  Donnodevie.  P.  M. 

II.  —  RivisTA  Di  FiLOLOGiA  ROMANZA,  I,  j.— P.  i]<),  Pitre,  Nuovo  Saggio 
di  Fiabe  e  Novclle  popolari  siciliane  (suite,  voy.  Rom.  II,  373).  —  P.  Rajna, 
Due  Frammenti  di  romanzi  cavallereschi;  publication,  avec  une  très-bonne  intro- 
duction, de  deux  fragments  trouvés  à  l'Ambrosienne  et  appartenant  à  deux 
romans  en  prose  du  cycle  de  Charlemagne;  le  savant  éditeur  montre  qu'ils  por- 
tent les  marques  de  l'invention  italienne  et  du  dialecte  lombard.  —  P.  179, 
Th.  Braga,  Sobre  a  origcm  portugueza  do  Amadis  de  Gaula;  résumé  de  la  thèse 
soutenue  par  l'auteur  dans  son  livre  sur  Amadis,  dont  nous  rendrons  prochai- 
nement compte.  —  P.  188,  U.  A.  Canello,  Appendice  alla  storia  di  alcuni  par- 
ticipa (cf.  Rom.  II,  374);  l'auteur  discute  quelques  critiques  qui  lui  ont  été 
adressées,  et  ajoute  à  son  intéressante  liste  un  certain  nombre  de  mots;  le  fr. 
chérie  n'a  rien  à  faire  avec  ijuaerere  ;  lautus  (' lavitus)  vient  de  laverc  et  non  de 
lavare,  et  une  origine  analogue  peut  se  soupçonner  pour  d'autres  participes  du 
même  genre;  je  doute  fort  que  laetus  soit  identique  à  'lavitus,  mais  je  suis  bien 
sûr  que  le  fr.  lie,  esp.  lia,  vén.  lea,  etc.,  ne  vient  pas  de  laeta.  Au  reste,  l'idée 
émise  p.  190  sur  la  conservation  de  vieilles  formes  participiales  dans  le  latin 
populaire  est  ingénieuse  et  mérite  l'attention.  —  P.  192.  Varietà.  E.  Stengel, 
sul  Codice  Riccardiano  2943  contenente  un  nuovo  testa  del  Percheval  di  Chres- 
tien  de  Troyes  (j'ajouterai  qu'un  ms.  du  XIII^  siècle  de  ce  poème  a  été  acquis 
il  y  à  quelques  années  par  la  Bibliothèque  de  Clermont-Ferrand);  F.  A.Coelho, 
Nota  a  p.  122  (M.  C.  reconnaît  l'antériorité  de  M.  Mussafia  pour  l'explication 
du  V.  part,  ch'a;  cf.  Rom.  II,  374).  —  P.  194,  Rivista  bibliografica  :  Ascoli, 
Archivio  Glottologico  (Suchier)  ;  Bartoli,  /  primi  due  secoli  délia  Htteratura  italiana 
(E.  Monaci).  —  P.  201.  Pcriodici.  —  P.  205,  Notizie.  G.  P. 

III. — RoMANiscHE  STUDÎEN,  I,  3. — [P.  309-335.  Chanzuns  popularas  d'Enga- 
dina,  p,  p.  Alfons  vonFlugi.Enmême  temps  que  les  Volkslieder  des  Engadin  dont 
nous  avons  parlé  ci-dessus  p.  i  i3,M.  A.  de  Flugi  a  publié  ici  trente-six  chansons 
de  l'Engadine.  L'auteur  n'a  pas  fait  un  choix  comme  pour  le  petit  volume  qui  doit 
leur  servir  d'introduction.  A  côté  de  pièces  vraiment  populaires,  et  il  y  en  a  de 
fort  belles,nous  trouvons  d'autres  productions  dont  la  métrique  et  le  style  dénotent 
à  la  fois  une  origine  savante  et  une  poésie  artistique.  Parmi  celles-ci  je  compte, 
outre  Rœsetta,  mia  bain!  Da  tristczza  sum  plain  (6)  et  Eu  sum  ûna  giuvnctta  Chi 
am  da  ster  allegramaing  (12)  dont  on  connaît  les  auteurs,  Davart  dalla  prûma- 
vaira  Cun  dalet  no  lain  chantar  (2),  Nus  amis  dacumpagnia  Vulainsir  tuots  a  tram- 


PÉRIODIQUES  119 

elg  (4),  Parchc  valais  ch'  ûna  parsuma  chaunta  Chï  nun  ho  pu  siea  cour  in  liberted 
(5)',  Pastura  in  chamona  im  sta  a   lavant  (19),   Ils  teis  bels  celgs  nairs  Quels 
m'han  fat  inanmrar  (20),    Vus  prada   e   bella  pasçhura,   Ed  Is  aers  han  lur  frùtta 
madûra  (25).  Néanmoins  les  pièces  modernes  seront  accueillies  avec  plaisir  par  les 
personnes  désireuses  de  connaître  la  poésie  ladine  contemporaine. — J. Cornu.]  —  P. 
356.  Una  bclla  istoargia  dalg  prus  et  bio  Tobia,  poème  ladin,  que  M.  A.  de  FI.  fait 
remonter  au  XVI«  siècle,  et  qu'il  publie  d'après  un  ms.  exécuté  en  1678  par  un 
nommé  Planta    et    conservé  dans  la   bibliothèque  de  Coire.   Ce  poème,  sans 
valeur  littéraire,   est   intéressant  pour  le  philologue  :  on  aurait  voulu  quelques 
renseignements  sur  la  langue,  le  style  et  la  versification.  —  P.  358.  J.  Cornu, 
le  Ranz  des  vaches  de  la  Gruyère  et  la  chanson  de  Jean  delà  Bolli'eta  ;  ces  deux  pièces 
sont  réimprimées  ici  avec  un  grand  soin,  d'après  l'orthographe  phonétique  quelque 
peu  bizarre  de  M.  Bcehmer,  et  accompagnées  d'une  traduction  et  d'un  intéressant 
lexique.  —  P.  373.    Préceptes  de  morale  en  ancien  français,   d'un  intérêt   assez 
mince,  écrits  sur  le  dernier  feuillet  d'un  ms.  de  Hanovre  qui  contient  le  Merlin 
et  publiés  par  M.  Suchier.  —  P.  376.  Fragment  de  Girbert  de  Metz;  93  vers, 
de  la  fm  du  poème,   tirés   par  le   même  d'un  fragment   de   ms.   extrait  d'une 
reliure  de  la  même  bibliothèque.  —  P.  380.   E.  Stengel,  les  Manuscrits  de  chan- 
sons de  geste  des  biblioth'ccjues  d'Oxford,  triva'û  important  où  sont  décrits  plusieurs 
manuscrits  jusqu'à   présent   inconnus:    r  un   ms.  des  Lorrains,    à  l'occasion 
duquel  M.  St.  donne  la  liste  des  mss.  qu'il  connaît  de  cette  geste,  publie  les  26 
premiers  vers  avec  les  variantes  de  douze  mss.,  et  offre  un  commencement  de  clas- 
sification; 2°  un  ms.  d'Antioche  (qui  contient  aussi  la  branche  des  C^/7;/5)  ;  le  dé- 
but, curieux  d'ailleurs,  que  publie  M.  St.,  ne  prouve  pas  que  Baudride  Dol  ait 
composé  sur  la  croisade  un  po'cmc  français;  3°  un  fragment  de  319  vers  de  la 
chanson  de  Jérusalem,  comparé   par  M.   St.  avec  l'édition  de  M.  Hippeau,  et, 
pour  une  quarantaine  de  vers,  avec  les  six  mss.  de  Paris  et  celui  de  Berne,   ce 
qui  l'amène  à  proposer  une  classification  des  huit  textes  connus;  3°  un  court  et 
peu   intéressant  fragment   de  Garin  de  Monglane  ;  4°  un   fragment  (184  vers) 
d'une  chanson  du  XIII'  siècle  complètement  inconnue,  à  laquelle  M.  St.  donne 
avec  vraisemblance  le   nom  de  Syracon,  et  qu'il  compare  justement  à  Floovent, 
dont  le  héros  figure  d'ailleurs  ici.  Le  texte  offrait  des  difficultés  particulières,  que 
M.  St.  a  essayé  de  surmonter:  ses  restitutions  paraissent  en  général  plausibles; 
pourquoi  suppose-t-il   toujours  que  le  père  de   Floovent  s'appelle  Clodove}  il  faut 
Clodové  (il  est  vrai  que  l'éditeur,  système  commode  pour  lui  et  incommode  pour 
le  lecteur,  ne  marque  pas  d'accents,  mais  on  voit  par  le  mètre  des  vers  restitués 
qu'il  n'accentue  pas  la  dernière  syllabe);  v.  137,  M.  St.  a  l'air  de  prendre Len^i 
pour  une  ville:  il  s'agit  de  la  foire  de  Vendit,  plus  tard  landit  (indictum)  à  Saint- 
Denis.  Une  remarque  de  M.  St.  m'amène  à  faire  une  observation  d'un  intérêt  géné- 
ral, que  je  crois  avoir  déjà  exprimée  ailleurs,  mais  qui  a  évidemment  besoin  d'être 
répétée:  «  On  sera  frappé,  dit-il,  des  violations  graves  et  nombreuses  des  règles 
de  flexion,  d'autant  plus  qu'elles  paraissent   souvent...  confirmées  par  la  rime. 

I.  Cette  chanson,  qui  est  une  élégie,  se  chante  en  français  dans  le  pays  d'Enhaut  et  a 
sans  doute  été  composée  dans  cette  langue.  Voici  le  premier  couplet  :  Comment  veut-on 
qu'une  personne  chante  Quand  elle  n'a  pas  son  cœur  en  liberté  ?  Laissons  chanter  ceux  que 
l'amour  contente,  Et  laissez-moi  dans  mes  malheurs  pleurer. 


I20  PÉRIODIQUES 

Les  rimes  de  ce  genre  peuvent,  il  est  vrai,  être  regardées  comme  des  traces 
d'une  forme  du  poème  plus  ancienne,  plus  voisine  de  l'assonance,  dont  le  scribe, 
préoccupé  de  la  pureté  des  rimes,  aurait  effacé  extérieurement  les  traces.  J'ai 
partout  rétabli  la  forme  régulière.  »  Eh  bien!  M.  St.  a  eu  parfaitement  tort. 
Les  poètes,  et  cela  plus  anciennement  qu'on  ne  le  croit  d'habitude,  ont  commis, 
pour  la  rime,  l'infraction  aux  règles  de  la  dédmaison  qui  consiste  à  mettre  le 
cas-régime  pour  le  cas-sujet  (non  pas  l'inverse,  et  c'est  ce  qui  prouve  qu'en  cela 
ils  suivaient  le  courant  du  parler  populaire);  chez  les  poètes  normands  ces 
sortes  de  rimes  apparaissent  de  très-bonne  heure.  La  preuve  que  ces  formes 
sont  voulues  et  ne  sont  nullement  des  restes  d'assonance,  c'est  que  les  rimes 
de  ce  genre  sont  seules  de  leur  espèce:  on  trouve  bien  à  une  rime  en  é,  p.  ex. 
il  estait  arnés,  qu'il  faut  écrire  amé,  mais  non  pas  anus  au  rég.  plur.  ou  à  la 
2*  pers.  plur.  De  là,  et  d'autres  remarques  qu'ils  serait  trop  long  d'exposer  ici 
incidemment,  se  déduit  la  règle  suivante  :  toutes  les  fois  que,  dans  un  poème 
généralement  bien  rimé,  la  rime  et  la  déclinaison  sont  en  conflit,  c'est  la  décli- 
naison qu'il  faut  sacrifier.  —  P.  409.  La  confession  Renart,  p.  p.  E.  Martin. 
Dans  une  brochure  publiée  àBâleen  1872,  M.  M.  avait  indiqué  une  classification 
des  mss.  du  roman  de  Renart,  d'après  laquelle  il  compte  en  donner  une  édition 
critique.  Il  publie  ici  d'après  les  quinze  mss.  qui  la  contiennent  une  des  branches 
les  meilleures  et  les  plus  anciennes.  Il  me  paraît,  autant  que  permet  de  juger  un 
examen  trop  peu  approfondi,  avoir  parfaitement  prouvé  tout  ce  qu'il  voulait 
prouver  ;  il  donne  assurément  la  meilleure  idée  de  sa  méthode  et  de  son  sens 
critique,  et  il  augmente  l'impatience  de  voir  paraître  son  édition.  Au  v.  179 
il  fallait  garder  la  leçon  de  A,  qui,  ici  comme  en  d'autres  cas,  est  la  seule 
bonne.  La  branche  est  sûrement  du  XII'  siècle;  M.  M.  en  doute  parce  que 
l'i  du  nominatif  est  «  presque  régulièrement  »  omise.  C'est  singulièrement  exa- 
géré :  les  exemples  cités,  sauf  grcf  employé  comme  attribut,  sont  tous  ou  des 
noms  propres,  qui  ont  de  bonne  heure  préféré  la  forme  du  régime,  ou  des  mots 
comme  maton,  glouton,  qui,  ayant  laissé  tomber  la  forme  correspondante  au  nomi- 
natif "multo  "glutto,  n'ont  pas  encore  adjoint  au  cas-régime  \'s  qu'au  XII1<"  siècle 
ils  lui  auraient  sûrement  appliquée.  D'autre  part,  les  rimes  imparfaites  ne  prou- 
vent rien  non  plus,  d'autant  qu'il  est  tout  indiqué  d'écrire  159  apostoire,  324 
pertus,  367  estorte.  En  général,  je  ne  puis  qu'engager  M.  Martin  à  faire  attention 
aux  rimes  et  à  en  harmoniser  l'orthographe  :  v.  13  il  faut  tcsniere,  v.  109  redrechié 
(v.  37  sûrement  pooillier,  mais  lecasest  ici  différent);  de  m.  v.  345  il  faut  au 
moins  tovcil  et  s.  d.  toeil{d.S.  Thomas,  éd.  Hippeau,  v.  1213).  Il  y  auraitd'autres 
observations  à  faire  sur  l'orthographe,  que  je  voudrais  voir  plus  uniformisée  et 
choisie  avec  plus  de  réflexion.  J'avoue  que  je  n'approuve  pas  le  mode  d'impres- 
sion adopté  par  M.  Martin  :  l'accent  aigu  sur  Vé  final  et  la  cédille  sous  ça,  ça  me 
paraissent  au  moins  aussi  utiles  que  l'emploi  de  v  et  de  /,  et  beaucoup  plus 
nécessaires  que  celui  du  tréma.  La  publication  de  M.  Martin  s'adressera  aussi 
aux  lecteurs  français  (je  voudrais  que  son  commentaire  fût  écrit  dans  notre 
langue,  qu'il  manie  très-suffisamment,  comme  il  l'a  prouvé  dans  son  Examen 
critique),  et  il  est  à  souhaiter  qu'elle  ne  heurte  pas  trop  vivement  leurs  habitudes, 
qui  d'ailleurs  en  ce  cas  sont  parfaitement  justifiées.  —  P.  438-440.  Supplément, 
sorte  de  chronique.  M.  Bœhmer  la  termine  par  ces  quelques  mots,  qui  en  disent 


PÉRIODIQUES  121 

plus  qu'ils  ne  sont  gros  :  «  J'aurais  à  communiquer  quelques  observations  faites 
occasionnellement  (?)  sur  les  critiques  Schuchardt  et  Gaston  Paris,  mais  cela 
ne  presse  pas.  »  Voilà  un  noble  dédain.  Mais  n'y  a-t-il  pas  un  raffinement  de 
cruauté  à  laisser  deux  malheureuses  victimes  attendre  ainsi  pendant  on  ne  sait 
combien  de  mois  le  coup  qui  doit  les  frapper?  Je  ne  sais  comment  M.  Schu- 
chardt prend  cette  menace,  mais  elle  trouble  étrangement  mon  repos.  Seulement 
ce  qui  me  surprend  fort,  c'est  que  M.B.  ait  fait  ses  remarques  «  occasionnelles  s 
non  pas  sur  les  critiques  de  Schuchardt  et  Gaston  Paris,  mais  sur  eux-mêmes 
(ùber  die  Kritiker  Sch.  und  G.  P.)  Quelles  révélations  allons-nous  entendre?  Il  me 
semble  que  le  public  aimerait  mieux  connaître  la  réponse  du  savant  romaniste  de 
Strasbourg  à  nos  critiques  que  ses  observations  sur  nos  personnes. 

G.  P. 

IV.  —  Archivio  glottologico  iTALiANO,  diretto  da  G.  J.  AscoLi. 
Volume  primo  (Saggi  ladini).  Roma,  Torino,  1875,  Firenze,  in-8%  lvi-^56  p. 
—  Voici  le  premier  volume  d'une  publication  périodique  destinée  à  rendre  les 
plus  grands  services  non-seulement  à  l'étude  des  dialectes,  mais  à  la  philologie 
comparée  des  langues  romanes.  Dirigée  par  un  homme  comme  M.  Ascoli,  si  avanta- 
geusement connu  par  ses  remarquables  travaux  dans  le  domaine  de  la  grammaire 
comparée,  elle  sera  à  la  tête  des  études  dialectales  et  servira  désormais  de  guide 
à  ceux  qui  s'y  livrent.  L'usage  journalier  que  mes  occupations  présentes  m'amè- 
nent à  faire  des  Saggi  ladini  me  les  fait  regarder  après  les  travaux  de  Diez,  l'il- 
lustre maître  à  qui  ils  sont  dédiés,  comme  l'ouvrage  le  plus  important  sur  les 
idiomes  néo-latins.  Si  le  savant  professeur  allemand,  en  suivant  principalement 
les  traces  de  Grimm,  le  fondateur  de  la  grammaire  des  idiomes  germaniques,  a 
le  premier  exposé  les  lois  qui  ont  présidé  au  développement  des  langues  romanes 
littéraires,  M.  Ascoli,  en  prenant  pour  sujet  de  ses  recherches  sa  langue  maternelle 
et  les  idiomes  congénères,  a  ouvert  et  aplani  le  chemin  des  études  sur  les  dia- 
iecteS;,  dont  on  connaît  l'importance  pour  nous  révéler  les  procédés  que  la  nature 
a  mis  en  usage  dans  le  développement  des  langues  des  âges  précédents.  La  préface, 
dont  j'aimerais  voir  certains  passages  médités  par  des  gens  qui  ne  la  liront 
jamais,  les  pasteurs  et  les  maîtres  d'école  de  ma  patrie,  dont  les  efforts  constants 
tendent  à  en  faire  le  plus  monotone  et  le  plus  ennuyeux  des  mondes  possibles,  est 
dirigée  contre  les  principes  soutenus  récemment  par  le  Novo  vocabolario  italiano, 
qui  voudrait  voir  la  même  langue  s'établir  de  la  Calabre  aux  Alpes,  et  contient, 
leçon  excellente,  une  comparaison  de  l'unité  allemande  et  de  la  centralisation 
française'. 

L'ouvrage  est  conçu  dans  le  sens  le  plus  large,  qui  ne  pourra  même  être 
dépassé  dans  ceux  qui  le  suivront;  et  voici  comme  l'auteur,  dont  l'intention 
n'était  d'abord  que  de  fournir  un  modèle  qui  facilitât  les  nouveaux  travaux  au 
maître  et  aux  élèves,  s'exprime  sur  le  but  qu'il  se  propose  d'atteindre  dans  ses 
recherches  dialectales  :  «  Scoprire,  scernere  e  defmire,  a  larghi  ma  sicuri  tratti, 
gli  idiomi  e  quindi  i  popoli,  che  ben  soggiacquero  alla  potente  parola  di  Roma, 


I.  [Je  me  permettrai  de  recommander  de  mon  côté  à  la  méditation,  notamment  de  nos 
linguistes,  les  réflexions  excellentes  exprimées  dans  la  note  des  pp.  xxxv-x.xxvij.  Elles 
trouvent  en  France  une  application  au  moins  aussi  juste  qu'en  Italie.  —  G.  P.] 


122  PÉRIODtQUES 

ma  sempre  reagendo  sopra  di  lei  con  maggiore  o  minor  forza,  per  guisa  che 
ciascuno  di  loro  la  ritrangesse  in  diversa  maniera,  e  rivivesse,  in  qualche  modo, 
sotto  spoglie  romane;  rifar  la  storia  di  queste  nuove  persone  latine,  esplorarne 
la  gcnesi,  gl'  incrociamenli  e  le  propaggini;  risalir  cosi  dall'  una  parte  ai  fon- 
damenti  ante-romani,  e  scendere,  dall'  altra,  insino  a  ricomporre  e  correggere 
la  cronaca  di  quelle  età,  che  possiamoancora  dir  moderne;  raccogliere,  in  questo 
largo  c  cauto  lavoro,  tesori  infiniti  per  l'istoria  générale  del  linguaggio;  ecco 
ciô  che  puô  sin  d 'ora,  e  deve  volera,  la  dialettologia  romanza  in  générale  e  l'ita- 
liana  in  ispecie.  n  Quant  à  la  méthode  l'auteur  a  voulu  «  tenere  dall'  una 
parte  di  quella  lucidezza,  di  quella  sapienza  nell'  economia  e  nella  struttura  del 
lavoro  scientifico,  per  le  quali  sono  cosî  grandi  maestri  i  francesi;  ma  piegar, 
dair  altra,  queste  virtù,  sin  dove  occorre,  a  tutti  quegli  spedienti,  senza  i  qnali 
è  troppo  difficile,  e  moite  volte  impossibile,  conseguir  la  densità  e  la  potenza 
del  lavoro  tedesco.  »  Et,  je  n'hésite  pas  aie  reconnaître,  les  deux  qualités  que 
l'auteur  a  voulu  atteindre,  il  les  possède  au  plus  haut  degré,  ce  qui  rend  son 
travail,  si  riche  et  si  abondant,  néanmoins  très-tacile  à  manier.  Dès  l'abord  nous 
les  voyons  paraître  dans  les  transcriptions,  qui  sont  simples  et  dignes  d'être 
imitées,  sinon  suivies,  dans  ce  genre  de  travaux.  M.  Ascoli  n'en  a  fait  usage 
que  dans  ses  propres  recherches,  parce  qu'autrement  il  aurait  marché  trop  sou- 
vent dans  le  doute  et  l'incertitude.  Dans  les  recherches  phonétiques  qui  suivent 
chaque  phénomène  a  son  numéro  particulier  qui  reste  le  même  partout,  de 
façon  que  les  citations  et  les  renvois  sont  fort  simplifiés.  Les  idiomes  romans 
qui,  suivant  la  courbe  des  Alpes,  vont  des  sources  du  Rhin  antérieur  à  la  mer 
Adriatique  et  se  relient  les  uns  aux  autres  par  des  liens  qui  permettent  de  les 
reconnaître  comme  congénères,  sont  traités  plus  ou  moins  complètement,  selon 
l'abondance  des  matériaux  que  l'auteur  a  eus  à  sa  disposition.  Les  recherches 
phonétiques  qui,  à  première  vue,  pourraient  paraître  arides,  ne  le  sont  plus 
quand  on  voit  avec  quelle  habileté  elles  ont  été  conduites.  Nous  trouvons  sur- 
tout dans  les  notes  un  grand  nombre  d'explications  sur  la  genèse  des  formes  les 
plus  difficiles  dans  les  langues  romanes.  Un  des  problèmes  physiologiques  qui 
offre  le  plus  d'intérêt  est  celui  de  la  gutturale.  M.  Ascoli  l'a  résolu  avec  une  grande 
sagacité.  Plusieurs  de  ses  observations  contredisent  et  réfutent  l'illustre  maître 
auquel  sont  dédiés  les  Saggi  ladini. 

Le  volume  est  accompagné  d'une  carte  qui  permet  d'embrasser  d'un  coup 
d'œil  l'étendue  du  territoire  occupé  autrefois  par  la  zone  ladine  et  celui  qu'elle 
comprend  aujourd'hui.  Ces  importantes  recherches  ne  sont  que  la  première  des 
sept  parties  que  doit  embrasser  l'ouvrage  entier.  Les  autres,  que  la  première 
fait  attendre  avec  impatience,  ne  toucheront  pas  seulement  à  la  grammaire 
mais  auront  un  sujet  beaucoup  plus  vaste,  ainsi  que  l'annonce  le  plan  général  et 
les  titres  que  voici  des  chapitres  qui  suivront:  2.  Riassunti  fonctici.  3.  Spogli 
morfologici.   4.   Riassunti  morfologici   c  Saggi  sintattici.  5.  Appunti  lessicali.  6. 

Appunti  slorici,  critici,  bibliograpkici.  7.  Saggi  Utterarj. 

Jules  Cornu. 

V. —  Il  Propugnatore,  VI,  6.  —  P.  517-338,  V.  Imbriani,  XXXIII  Canti 
popolari  di  Mcrcogliano;  petites  pièces  amoureuses  purement  lyriques.  — P. 


PÉRIODIQUES  123 

339-380,  Gaiter,  i  Nomi  dellc  vie  di  Vcrona;  précédé  de  quelques  remar- 
ques philologiques.  —  P.  428-451,  Giuliari,  la  Littemtiira  veronese  al  cadere 
del  secolo  XV  (suite).  —  Dans  la  Bibliographie,  nous  remarquons  un  article 
sur  un  livre  de  M.  Papanti  qui  paraît  fort  intéressant  :  Dante  seconda  la  tradi- 
zionc  e  i  novellatori  (Livorno,  1873). 

VI. —  G-ERMANiA,  XVIII^  3 . — P.  310-353.  Bartsch^  Sprichwœrter  des  XI  Jahrun- 
derts.  M.  Bartsch  a  tiré  d'un  ms.  de  Cologne  un  recueil  de  proverbes  latins  écrit 
au  onzième  siècle  et  dédié  à  un  évêque  d'Utrecht,  mort  vers  1025.  Ce  recueil, 
qui  porte  le  titre  bizarre  de  Prora  et  Puppis,  se  compose  de  1007  vers  hexa- 
mètres. Jusqu'au  vers  595  chaque  proverbe  est  contenu  généralement  en  un  seul 
vers  :  à  partir  du  v.  596  deux  hexamètres  sont  employés  à  rendre  un  proverbe. 
Les  vers  sont  en  général  trop  mal  frappés  pour  avoir  pu  être  populaires  en  aucun 
temps,  même  dans  le  monde  spécial  des  écoles.  Mais  ils  fournissent  un  témoi- 
gnage ancien  de  l'existence  de  nombreux  proverbes  allemands  qui  n'étaient  con- 
nus que  par  des  textes  plus  récents.  Traduire  en  vers  latins  des  proverbes  vul- 
gaires a  été  au  moyen  âge  un  exercice  favori,  mais  bien  peu  des  nombreux 
spécimens  que  nous  possédons  en  ce  genre  peuvent  remonter  aussi  haut  que 
celui  dont  le  présent  n"  de  la  Germania  nous  apporte  le  texte.  M.  B.  a  joint  à 
sa  publication  un  commentaire  intéressant,  qui  consiste  à  rapprocher  de  ces 
vers  latins  les  proverbes  originaux.  Il  ne  lui  a  point  échappé  que  beaucoup  de 
ces  proverbes  sont  communs  au  français  et  à  l'allemand.  Mais  de  tous  les  an- 
ciens recueils  de  proverbes  français  qui  ont  été  mis  au  jour  il  ne  paraît  avoir 
connu  que  celui  de  Leyde,  publié  dans  la  Zeitschrift  de  M.  Haupt  par 
M.  Zacher.  C'est  bien  peu,  et  s'il  avait  au  moins  connu  le  grand  recueil  de 
Leroux  de  Lincy  (2«  éd.,  1859)  il  aurait  pu  enrichir  ses  commentaires  de  bien 
des  rapprochements.  Ainsi  (je  m'en  tiens  aux  premiers  vers),  v.  6  Ad  cujtis 
veniat  scit  cattus  lingere  barbam  est  le  proverbe  français  dont  on  a  tant  d'exem- 
ples :  «  Bien  sait  li  chaz   cui  barbe  il   lèche  »    (Le   Roux,  I,  156;  II,  487); 

—  V,  8,  Omne  bonum  pulcre  veniens  in  fine  heatum  semble  être  notre  «  Tout  est 
bien  qui  finit  bien  »  ;  —  v.  10  :  It  lupus  inter  oves  cum  sermo  ceditur  inde  rappelle 
notre  «  Quand  on  parle  du  loup  on  en  voit  la  queue  »  (voy.  Le  Roux,  I,  182)  ; 

—  les  V.  12-13  :  Sic  (corr.  H/c?)  ubi  tonct  amor  mirantur  lamina  formant, 
Crebra  manus  palpât  quo  membra  dolorc  cocjuiintur  sont  les  paraphrases  d'un  pro- 
verbe français  bien  connu  :  «  Main  u  dout,  oil  u  vout  »  (Bodl.  ms.  Digby  53, 
fol.  1 5  v",  dans  P.  Meyer,  Rapports,  p.  177)  :  —  le  v,  18,  Ante  novani  moriens 
procumbit  cornipes  herbam  rappelle  ce  prov.  :  «  Ne  meurs,  cheval,  herbe  te  vient  » 
(Le  Roux,  I,  162);  le  v.  28  Qui  fucrit  lenis  tamen  haud  bcnc  crcditur  amni  corres- 
pond à  un  proverbe  qui  se  rencontre  bien  anciennement  en  français:  «  Aiguë  coie 
ne  lacroye»  (Le  Roux,  I,  64,  cf.  Romania,  1, 161).  On  voit  qu'on  pourrait,  en  se 
plaçant  au  point  de  vue  français,  faire  un  énorme  supplément  au  commentaire 
de  M.  Bartsch.  Mais  tous  ces  rapprochements  n'empêchent  pas  que  les  vers 
latins  en  question  sont  imités  de  l'allemand.  La  question  qui  s'élève  est  donc  de 
savoir  où  ces  proverbes  communs  aux  deux  langues  ont  pris  naissance,  car  en 
faisant  la  part  aussi  large  que  possible  aux  sentences  ayant  une  origine  litté- 
raire, et  tirées  de  la  Bible  ou   de  la   tradition   antique,  il  restera  toujours  une 


124  PÉRIODIQUES 

quantité  énorme  de  proverbes  essentiellement  populaires  qui  ne  peuvent  pas 
avoir  été  inventés  à  la  fois  sur  les  deux  rives  du  Rhin.  C'est,  comme  on  voit, 
une  question  assez  analogue  à  celle  de  l'origine  des  romances  populaires,  avec 
cette  différence  pourtant  qu'en  ce  qui  concerne  les  proverbes  nous  avons  une 
tradition  écrite  qui  remonte  très-haut,  et  non  pas  seulement,  comme  pour  les 
romances,  une  tradition  orale  dont  il  est  difficile  d'apprécier  l'ancienneté. 

P.   M. 

VII. — Mi';MOinES  de  i-a  Société  de  linguistique  de  Paris  ,  II,  3.  — 
P.  218-221,  L.  Havet,  Observations  phonétiques  d'un  professeur  aveugle;  sur  la 
double  valeur  de  quelques  consonnes  françaises  ;  sur  quelques  articulations  employées 
eu  dehors  du  lapgage  proprement  dit;  notes  intéressantes.  —  P.  222-223, 
M.  Thévenin,  Chramna;  en  précisant,  à  propos  de  ce  mot,  le  sens  du  lat.  mérov. 
adchramirc,  M.  Th.  fixe  celui  du  v.-fr.  aramir.  —  P.  224-227,  R.  Mowat, 
Etymologie  du  nom  propre  Littré;  l'auteur  le  rapporte  à  une  famille  bretonne  de 
Littré,  qui  elle-même  tirait  sans  doute  son  nom  d'un  Listeriacum  gaulois.  — 
P.  228-231,  Kern,  Feodum,  fief;  le  savant  néerlandais  reconnaît,  avec  une  assez 
grande  apparence  de  raison,  dans  le  mot  allemand  type  du  français,  un  subs- 
tantif tiré  du  goth.  faihon,  signifiant  «  jouir»  :  feodum  ne  voudrait  originairement 
dire  autre  chose  que  «  usufruit  »,  et  serait  le  synonyme  de  l'ail,  urbar^  de 
l'angl.  sax.  nytt. 

VIII.  —  Revue  DE  Linguistique  et  DE  Philologie  comparée,  V,  5.  —  E. 
Picot,  Documents  pour  servir  à  l'étude  des  dialectes  roumains,  I  *.  Les  documents 
dont  il  s'agit  sont  un  conte  et  quelques  poésies  populaires,  recueillis  pour 
M.  Picot  par  un  jeune  homme  du  pays.  M.  P.  s'est  attaché  «  à  reproduire, 
avec  tout  le  soin  possible,  la  prononciation  vulgaire;  pas  un  mot  n'a  été 
changé  au  langage  des  paysans.  »  Ces  textes  ont  donc  une  réelle  valeur  linguis- 
tique; ils  sont  d'ailleurs  intéressants  en  eux-mêmes  ;  plusieurs  des  poésies  popu- 
aires  sont  gracieuses  (voici  une  petite  pièce  qui  a  quelque  chose  de  l'élégance 
grecque  :  Mais  aux  feuilles  en  l'air,  J'ai  baisé  les  yeux  de  celle  qui  t'a  planté;  A 
qui  t'a  planté  avec  quatre  bœufs,  Moi  j'ai  baisé  les  deux  yeux),  elle  conte,  le  Cordon 
d'or,  offre  une  curieuse  forme  du  récit  merveilleux  de  la  Belle  aux  cheveux  d'or.  M.  P. 
donne  sur  les  contes  et  chants  populaires  roumains  publiés  avant  lui  des  rensei- 
gnements utiles  et  complets.  —  Les  documents  sont  précédés  d'une  étude  où 
M.  P.,  en  utilisant  les  meilleurs  travaux  sur  le  roumain,  les  complète  en  ce  qui 
concerne  le  dialecte  du  Banat,  qu'il  connaît  particulièrement.  Dans  les  observations 
générales  qui  servent  d'introduction,  il  insiste  sur  deux  faits  fort  importants  :  l'un, 
c'est  que  les  variations  dialectales  sont  très-faibles  en  roumain  (cependant  le  ma- 
cédo-valaque  est  bien  distinct  de  la  langue  septentrionale),  l'autre,  c'est  que 
l'immixtion  dans  le  roumain  d'éléments  étrangers  est  beaucoup  moins  forte  qu'on 
ne  le  dit  d'ordinaire;  il  montre,  en  effet  (et les  documents  qu'il  publie  attestent) 
que  la  langue  du  peuple  est  restée  foncièrement  latine,  et  que  les  dictionnaires 
font   illusion,  en  enregistrant  sans  distinction  des  mots  slaves,  grecs,  turcs, 

I.  Tirage  à  part  en  vente  chez  Maisonneuve,  67  p.  in-S'. 


PÉRIODIQUES  125 

magyares,  allemands,  qui  ont  pénétré  plus  ou  moins  profondément  dans  tel  ou 
tel  canton  du  domaine  roumain,  mais  qui  n'y  existent  ensemble  nulle  part*.  Les 
détails  donnés  notamment  sur  les  termes  administratifs  sont  curieux,  —  M.  P. 
parle  un  peu  à  la  légère  de  ce  que  Diez  a  écrit  sur  le  roumain;  il  est  bon  de 
peser  mûrement  les  paroles  du  maître  avant  de  le  critiquer,  et  il  ne  faut  pas 
céder  au  plaisir  qu'on  peut  avoir  à  croire  le  prendre  en  faute.  A  propos  des 
dentales,  M,  P.  écrit  :  «  Nous  relèverons  en  passant  une  des  nombreuses 
erreurs  qui  ont  échappé  à  M.  Diez  au  sujet  du  roumain.  Le  0  grec  n'existe  que 
chez  les  Roumains  de  la  Macédoine.  Il  faut  donc  simplement  effacer  ces  mots 
(I,  p.  479)  :  TK  wird  mit  Aspiration  gesprochen  wie  im  neugriechischen,  etc. 
Le  6  des  vieux  livres  n'a  pas  d'autre  valeur  que  t.  »  Voici  le  passage  de  Diez  : 
«  TH  se  prononce  avec  aspiration  comme  en  grec  moderne,  mais  il  ne  se  ren- 
contre que  dans  des  noms  propres  empruntés  à  cette  langue,  comme  Tharsis  ; 
dans  le  val.  du  Sud,  il  existe  aussi  dans  des  noms  communs.  Le  th  non  aspiré 
doit  donc  s'écrire  /  ;  tema^  Uologie,  atena.  )>  On  ne  peut  pas  dire  plus  claire- 
ment que  le  th,  comme  son  national,  appartient  exclusivement  aux  Valaques  de 
la  Macédoine,  et  qu'une  orthographe  faussement  étymologiques  l'avait  seule 
maintenu  dans  des  mots  roumains  oii  il  n'a  que  la  valeur  de  t.  Que  veut  donc 
dire  l'observation  de  M.  Picot?  Conteste-t-il  que  Tharsis  et  autres  noms  propres 
grecs,  dans  la  prononciation  roumaine,  conservent  leur  9  grec?  Là-dessus,  comme 
il  n'a  personnellement  exploré  que  le  Banat,  il  lui  faut,  comme  Diez,  s'en  rap- 
porter à  des  livres,  et  je  ne  doute  pas  que  l'auteur  de  la  Grammaire  des  langues 
romanes  n'ait  de  bons  garants  de  son  assertion  2. 

IX. — Revista  Contimporaxa  ,  n°  9  (noembre  1873).  —  P.  784-794, 
A.  Sandu,  0  pagina  despre  Romdnia  dintr'o  Geografie  imprimata  la  Paris  in 
1 543  ;  il  aurait  été  intéressant  de  faire  connaître  en  détail  ce  qui  dans  ce  livre 
est  emprunté  à  d'autres  sources  et  ce  qui  est  original.  M.  S.  pense  avec  beau- 
coup de  vraisemblance  que  le  Recueil  de  diverses  histoires  touchant  les  situations  de 
toutes  régions  et  pays  contenuz  es  trois  parties  du  monde,  nouvellement  traduit  de 
latin  en  françois  (Paris,  i  ^5),  remonte  à  un  livre  du  xv°  siècle  :  il  aurait  fallu 
rechercher  ce  livre.  Quoi  qu'il  en  soit,  voici  les  passages  vraiment  curieux  du 
chapitre  sur  la  Valachie.  L'auteur,  suivant  ici,  à  ce  qu'assure  M.  S.,  Eneas  Sil- 
vius,  dit  que  ce  pays  «  est  appelé  Valache  du  nom  des  Placées,  qui  estoit  une 
lignée  en  Rome;  »  le  général  romain  Flaccus  ayant  conquis  le  pays,  les  Romains 
«envoyèrent gens  pour  y  habiter,  qui  commeiicerentà  appeller  ce  qu'ils  habitèrent 
Flaccie,  et  depuis  estant  le  langage  peu  à  peu  corrompu,  l'appellerent  Valachie; 
et  de  ce  en  fait  assez  tesmoignage  qu'encores  pour  le  présent  ilz  usent  du  langage 
romain  en  ceste  contrée,  combien  qu'il  soit  si  corrompu  qu'à  grand  peine  le  pevent 
les  Romains  mesmes  entendre.  Hz  ont  usage  de  lettres  romaines,  fors  qu'il   y  a 


1.  Il  y  a  cependant  quelque  exagération  dans  ce  que  dit  M.  Picot,  et  le  nombre  des 
noms  et  des  verbes  étrangers  naturalisés  en  roumain  est  plus  considérable  qu'il  ne  le 
donne  à  penser. 

2.  Dans  un  n°  d'octobre  1875,  la  République  française  a  donné  un  feuilleton  sur 
le  roumain,  que  je  crois  être  de  M.  Picot.  On  y  trouve,  à  côté  de  vues  intéressantes, 
quelques  témérités,  et  une  argumentation  qui  m'a  paru  peu  solide  contre  les  conclusions 
de  M.  Rœsler  relatives  à  l'ancienne  histoire  des  Roumains. 


126  PÉRIODIQUES 

quelques  lettres  changées Les  Valaches  s'adonnent  fort  au  labourage  et  au 

bestail,  en  quoy  ilz  montrent  dont  ilz  sont  descendu/.  » 

X.  —  AnfMuvio  STonico  Italuno  (Florence,  Vieusseux),  1873-74. — 
P.  1-23.  Libro  dclla  tavola  di  Riccomano  Jacopi  in  Firenze  dal  1272  al  1277, 
daU'onginalc  pressa  il  sign.  G.  Fr.  Gamurrini;  publication,  par  M.  C.  Vesme, 
de  ce  curieux  document,  qui  contient  les  comptes  de  la  tutelle  des  neveux  de 
Riccomano  Jacopi,  tenus  par  ce  marchand  florentin  et  son  associé.  La  langue 
frappe  surtout  par  les  faibles  différences  qu'elle  présente,  orthographe  à  part, 
avec  le  toscan  moderne.  Les  mots  terminés  aujourd'hui  par  une  voyelle  accen- 
tuée la  font  suivre  d'un  e  :  rascngnoe,  etc.;  Yi  prosthétique  figure  devant  Y  s 
impure  même  après  un  mot  terminé  par  une  voyelle  ;  sono  isscriti,  silgli  isspese, 
ierano  isspesi.  —  Au  §  4,  l'éditeur  imprime  c  da  dAndrca  ;  nous  écririons  plutôt 
e  dad  Andréa. 

XI. — Revue  des  Sociétés  savantes,  mai-juin  1873.  —  P.  410-20, 
P.  Meyer,  Rapport  sur  les  Mémoires  de  la  Société  archéologique  de  Montpel- 
lier, t.  V  dernière  livraison,  et  t.  VI  première  livraison.  Le  t.  V  de  ces  mémoires 
contient  une  importante  étude  de  M.  Germain  sur  Maguelone.  Parmi  les  pièces 
justificatives  de  cette  étude  figure  un  très-curieux  règlement  rédigé  en  133 1  pour 
les  chanoines  de  Maguelone.  Rédigé  en  latin,  ce  document  est  plein  de  mots  en 
langue  vulgaire,  à  peine  déguisés  par  une  terminaison  latine.  Pour  montrer 
l'utilité  que  la  lexicographie  provençale  pourrait  tirer  de  ce  texte,  le  rapporteur 
a  formé  (p.  41 5-418)  le  glossaire  du  premier  des  chapitres  dont  il  se  compose. 
Plusieurs  des  mots  relevés  dans  ce  morceau  manquent  à  Raynouard. 

Juillet-août  1873.  —  P.  93-8,  P.  Meyer,  Rapport  sur  le  projet  de  publica- 
tion du  poème  d'Ambroise  sur  la  troisième  croisade.  Un  extrait  de  ce  rapport 
a  été  publié  par  avance  dans  la  Romania,  II,  381-3.  —  P.  98-100.  Le  même, 
Rapport  sur  un  fragment  de  manuscrit  de  la  chanson  d'Alexandre.  Ce  fragment 
(deux  feuillets),  communiqué  par  l'archiviste  du  département  de  la  Manche,  ap- 
partient à  une  leçon  meilleure  que  celle  qu'a  suivie  M.  Michelant  dans  son  édition 
publiée  à  Stuttgart  en  1846. 

XII. —  Archives  des  Missions  scientifiques  et  littéraires,  3*  série,  I, 
2.  —  P.  247-91.  Bonnardot,  Rapport  sur  urjc  mission  littéraire  en  Lorraine.  L'oh']et 
de  la  mission  confiée  à  M.  Bonnardot  était  de  compléter  le  recueil  des  chartes 
messines  qu'il  est  chargé  de  publier  dans  la  collection  des  Documents  inédits  \ 
M.  B.  a  visité  dans  cette  intention  les  archives  de  Metz,  de  Nancy  et  d'Epinal. 
Il  donne  en  appendice  quelques-unes  des  chartes  les  plus  intéressantes  de  son 
recueil.  En  outre,  il  a  trouvé  par  lui-même,  ou  connu  grâce  à  des  communica- 
tions bénévoles,  un  certain  nombre  de  documents  lorrains  d'un  caractère  litté- 
raire, qu'il  publie  en  totalité  ou  en  extrait  à  la  suite  de  son  rapport;  à  savoir  : 
Appendice,  n°  VI,  le  début  d'un  ouvrage  en  latin  et  en  français  des  Vosges, 
conservé  à  la  bibliothèque  d'Epinal,  et  consistant  en  un  dialogue  de  l'âme  et  de 

i.  Voy.  Romania  II,  378. 


PÉRIODIQUES  127 

la  raison  mis  à  tort  sous  le  nom  de  saint  Ambroise.  Le  ms.  est  de  la  fin  du 
xii*  siècle.  Nous  avons  déjà  eu  occasion  de  dire  que  ce  texte  important  avait 
échappé  à  l'attention  de  l'auteur  du  catalogue  des  mss.  d'Epinal  (voy.  Romania, 
I,  484,  note  2).  N°  VII.  Extrait  d'un  registre  du  Chapitre  de  Metz,  des  pre- 
mières années  du  xiii"  siècle.  N°  VIII.  Fragment  tiré  d'une  ancienne  traduction 
d'une  somme  de  virtutibus  et  vitiis.  N°  IX.  Fragment  d'un  chansonnier  contenant 
10  chansons,  dont  plusieurs  sont  incomplètes  par  suite  de  l'état  matériel  du 
fragment.  Il  a  été  facile  de  retrouver  dans  nos  chansonniers  toutes  ces  chansons, 
sauf  la  première  dont  il  ne  reste  que  deux  couplets.  N°  X.  Fragment  d'un  ms. 
du  Livre  de  Sydrac.  N'  XI.  Fragment  de  la  chanson  de  Girbert  de  Metz,  feuillet 
trouvé  auxarchivesde  la  Marne.  Le  nombre  de  feuillets  isolés  provenant  de  mss. 
dépecés,  qu'on  rencontre  de  cette  chanson,  est  étonnant.  Nous  allons  encore 
en  faire  connaître  un  dans  notre  prochain  numéro.  Ce  rapport  est  fort  bien  fait 
et  de  toute  façon  très-intéressant  (tirage  à  part  déposé  chez  Durand). 

P.  M. 

XIII.  —  Revue  Critique  d'histoire  et  de  littérature.  Octobre-décem- 
bre 1873.  —  197.  Bastin,  les  nouvelles  Recherches  sur  la  langue  française.  — 
200.  Wolfram  d'Eschenbach,  Willehalm,  trad.  p.  San-Marte.  —  210.  Qhants 
populaires  de  l'Italie  méridionale,  p.  p.  Casetti  et  Imbriani.  —  220.  Von  Flugi, 
les  Chants  populaires  de  l'Engadine. 

XIV.  —  BiBLiOGRAPHiA  CRiTicA,  fasc.  IX-X.  —  Art.  43,  Beitraege  zur 
Texkritik  der  Lusiadas  des  Camoens,  par  Karl  von  Reinhardstoettner.  L'auteur 
(d'après  M.  Braga)  trace  dans  ce  travail  le  plan  d'une  édition  critique  des 
Lusiades,  il  devra  le  compléter  en  tenant  compte  de  deux  éditions  impor- 
tantes qu'il  n'a  pas  pu  utiliser.  Le  critique  propose  en  outre  une  série  de 
corrections  au  texte  de  Camoens.  —  49.  Antichi  usi  e  tradizioni  popolari  sici liane 
nelle  festa  di  s.  Giovanni  Battista,  Lettera  II  di  Giuseppe  Pitre.  —  50,  Romania, 
fasc.  V-VI.  M.  Coelho  relève  quelques  inadvertances  que  nous  avons  commises 
dans  notre  compte- rendu  du  Cancioneiro  e  romanceiro  gérai  de  M.  Braga  (voy. 
Romania,  II,  124).  Bruxa  qui  signifie  «  sorcière  »  n'a  en  effet  rien  à  faire  avec 
fada.  —  51,  Don  Juan  Ruiz  de  Alarcon  y  Mendoza,  par  Luis  Fernandez  Guerra 
y  Orbe.  Etude  intéressante  mais  pauvre  en  résultats  nouveaux  et  certains,  que 
le  critique  (M.  Braga)  apprécie,  à  notre  sens,  trop  favorablement.  Ce  dernier 
revient  incidemment  sur  l'identification  de  yaravi  et  aravia,  qui  lui  tient  au  cœur. 
Le  passage  du  père  Costa,  Historia  natural  y  moral  de  las  Indias,  sur  lequel  il 
s'appuie,  ne  prouve  absolument  rien. —  52,  Canti  antichi  portoghesi,  par  E.  Mo- 
naci  (2*  article).  M.  Coelho  relève  quelques  inconséquences  dans  l'orthographe 
employée  par  l'éditeur.  A.  M. -F. 

XV.  —  L1TERARISCHES  Centralblatt,  octobre-décembre  1873. —  41.  Wol- 
fram, Wilhelm  von  Orange,  ùbersetz  von  San-Marte. —  42.  Joannes  de  Alta  Silva, 
Dolopathos,  hgg.  von  Œsterley.  —  46.  Sforza,  Dante  e  i  Pisani{A.  Bu.;  ouvrage 
intéressant).  —  48.  Bibliographia  critica  portugueza.  —  51.  Cancionero  de  Lope 
de  Stuniga  (article  intéressant  de  M.  Mussafia). 


CHRONIQUE 


Dans  le  programme  de  l'Université  de  Genève  pour  les  deux  semestres  de 
l'année  1873-4,  nous  relevons  les  cours  suivants  :  HuMiiEnr,  Histoire  de  la  lit- 
térature française  depuis  ses  origines  jusqu'au  XVII*^  siècle  (sem.  d'hiver,  4  h. 
par  sem.)  ;  RrrriiR,  Histoire  de  la  langue  française  et  grammaire  historique 
(2  h.  par  semaine). 

—  M.  Alfred  Morel-Fatio  a  soutenu,  pour  obtenir  le  diplôme  d'archiviste- 
paléographe,  une  thèse  sur  le  Pocma  de  Alexandre.  Ce  mémoire,  revu  par  l'au- 
teur, sera  prochainement  publié  dans  la  Romania. 

—  M.  Grœber,  professeur  û  Zurich,  est  nommé,  à  dater  du  prochain 
semestre,  professeur  ordinaire  de  philologie  romane  à  l'Université  de  Breslau. 

—  M.  Mail,  auteur  d'une  édition  du  Comput  de  Philippe  de  Thaon  dont 
nous  rendrons  incessamment  un  compte  détaillé,  a  été  nommé  professeur  extraor- 
dinaire à  l'Académie  de  Munster. 

—  On  a  créé  à  l'Académie  littéraire  de  Milan  une  chaire  de  langues  et  litté- 
ratures romanes,  où  on  a  appelé  M.  Pio  Rajna.  «  C'est,  dit  la  Rivista  di  jilolo- 
giaromanza,  la  première  chaire  affectée  à  nos  études  en  Italie.  » 

—  On  annonce  la  publication  d'une  Crestomazia  italiana  par  M.  E.  Monaci 
(XII'' — XIV"  siècle).  Un  recueil  de  ce  genre  manque  jusqu'à  présent  aux  études 
et  sera  très-utile  pour  l'enseignement. 

—  M.  A.  Bonnardot  a  présenté  à  l'examen,  pour  obtenir  le  titre  d'élève 
diplômé  de  l'Ecole  des  Hautes-Etudes,  un  mémoire  sur  la  Langue  française  à 
Metz  au  XIII"  siècle. 

—  La  Bibliothèque  nationale  a  fait  récemment  l'acquisition  d'un  assez  grand 
nombre  de  fragments  de  mss.  en  ancien  français  des  genres  les  plus  divers.  Ces 
fragments  seront  l'objet  d'une  étude  de  M.  L.  Pannier  dans  la  Romania. 

—  M.  Bœhmer  annonce  la  publication  de  chants  populaires  catalans  qui, 
recueillis  par  feu  Cambouliu,  avaient  été  donnés  par  lui  à  M.  Bergmann,  alors 
son  collègue  à  la  Faculté  française,  aujourd'hui  collègue  de  M.  Bœhmer  à 
l'Université  allemande  de  Strasbourg. 


ERRATA  DU  N"  8. 

P.  4^4  1.  6  du  bas  (note  3)  viridarium,  1.  viridiarium.  » 

P.  458  1.  1,  après  il  =  u,  ajoutez  0  =  eh.  —  P.  440,  bohh  bouche,  1. 
hohh  bourse.  —  P.  441,  chêne  le  dà  1.  chené  lé  dû;  chënîré  espèce  de 
goufre,  1.  gaufre.  —  P.  443,  drô,  1.  dro.  —  P.  444,  fesé,  1.  fézé.  — 
P.  448,  odil',  1.  ôdil  ;  oui.  I.  oui.  —  P.  450,  pusat,  1.  pusat'.  —  P. 
454,  vijyi  pelle  à  four,  1.  vèyi-  pelle  à  feu  ;  vue  voir,  1.  vue  voix. 

P.  478  1.  20,  lisez  :  Quanto  al  gui  di  anguistara  da  a"grestarid. 

P.  485,  1.  16  Cecropee,  1.   Cecropie.   —  P.   489  Or.  und  Occ.  I,  1.  II. 

P.  505,  Kœlbring,  1.  Kœlbing. 

L'état  défectueux  du  ms.  de  Dijon  est  cause  qu'il  s'est  glissé  pp.  80-S1  une 
erreur  dans  l'indication  des  lacunes  ;  cette  erreur  sera  rectifiée  dans  le  pro- 
chain article  de  M.  Bonnardot. 


Nogent-le-Rotrou,  imprimerie  de  A.  Gouverneur. 


HISTORIA    DARETIS    FRIGII 


DE  ORIGINE  FRANCORUM. 


Le  morceau  que  je  publie  pour  la  première  fois  a  déjà  été  signalé  à 
plusieurs  reprises.  Il  se  trouve  intercalé  dans  les  trois  mss.  (Montpellier 
158,  Troyes  802,  Brit.  Mus.  Harl.  3771)  qui  contiennent  la  chronique 
de  Frédégaire  avec  les  deux  continuations  dont  la  dernière  va  jusqu'en 
768.  C'est  ce  qui  en  a  fait  donner  le  titre,  mais  seulement  le  titre,  d'abord 
par  Canisius',  puis  par  Dom  Bouquet 2,  et  enfin  par  M.  Pertz  dans  sa 
description  des  mss.  de  Frédégaire '.  Cette  interpolation  est  elle-même 
insérée  un  peu  avant  une  autre  interpolation  due  au  premier  auteur  de  la 
chronique  attribuée  ^  Frédégaire.  On  sait  qu'en  reproduisant  la  traduc- 
tion, faite  par  saint  Jérôme,  de  la  chronique  d'Eusèbe,  ce  chroniqueur 
du  vue  siècle  a  intercalé,  dans  les  quelques  lignes  consacrées  par  saint 
Jérôme  à  la  guerre  de  Troie,  un  morceau  d'une  page  environ,  publié  par 
D.  Bouquet,  et  contenant  la  fable  de  l'origine  troyenne  des  Francs 4.  — 
Le  second  continuateur  de  Frédégaire  lui-même,  ou  un  des  copistes  par 
l'intermédiaire  desquels  son  livre  nous  est  parvenu,  non  content  de  ce 
récit,  l'a  fait  précéder  des  quelques  pages  que  je  publie  ici. 

Cette  interpolation  se  divise  en  deux  parties,  bien  nettement  séparées 
dans  les  mss.  ;  je  reviendrai  tout  à  l'heure  sur  la  deuxième.  La  pre- 

1.  Anticjuae  Lectiones,  éd.  Basnage  (Anvers  1725),  t.  II,  p.  166. 

2.  Hist.  de  Fr.,  t.  II,  p.  461. 

3.  Archiv,  VII,  256.  —  M.  Thompson,  du  British  Muséum,  est  porté  à  croire 
que  le  :tis.  harléien  est  celui  de  Canisius.  Quant  au  nis.  exécuté  par  l'abbé 
Mannon,  il  a  été  récemment  retrouvé,  mais  non  encore  décrit   (vov.    Rev.   Crit. 

'873,  t-  II,  P-  255). 

4.  Voyez  sur  ce  point  la  dissertation  de  M.  Zarncke,  Ucbcr  die  Trojanersage  der 
Franken  (extrait  des  Mémoires  de  la  classe  phil.-hist.  de  la  Société  royale  saxonne 
des  sciences,  1866),  t.  II,  p.  261  ss.  M.  Zarncke  a  modifié  plus  tard  en  quelques 
points  importants  le  système  exposé  dans  cette  brochure  (voy.  Liter.  Centrallnatt, 
1869,  p.  581). 

Romania,lll  0 


I  JO  C.    PARIS 

mière  a  déj;^  attiré  l'attention  de  M.  Joly,  qui,  dans  son  étude  sur  le 
roman  de  Troie,  a  consacré  au  ms.  de  Montpellier  qui  la  contient  '  une 
note  assez  longue.  M.  Joly  a  très-bien  apprécié  le  récit  de  la  guerre  de 
Troie  qui  nous  est  offert  ici  comme  étant  «  un  résumé  fait,  à  ce  qy.'il 
semble,  de  mémoire,  et  par  une  mémoire  infidèle.  »  A  l'appui  de  son 
opinion,  il  cite  quelques-unes  des  méprises  de  l'auteur  :  <<  Ce  n'est  plus 
Folibètes  (lisez  Polypoetcs),  comme  dans  Darès,  ou  un  roi  inconnu 
comme  dans  Benoît,  c'est  Palamèdes  qu'Hector  s'apprêtait  à  dépouiller 
de  ses  armes  quand  il  est  tué  par  Achille.  Anténor  est  remplacé  par 
Olixis.  »  Il  est  facile  d'allonger  la  liste  de  ces  étranges  confusions. 
Ainsi  le  frère  d'Agamemnon,  le  mari  d'Hélène,  n'est  pas  Ménélas,  mais 
Memnon  2;  Pelias  et  son  neveu  Jason  figurent  parmi  les  Grecs  qui  vien- 
nent à  Troie;  Néoptolème  devient  Triptolème;  si  Palamède  a  remplacé 
Polypoetès,  il  a  été  à  son  tour  l'objet  d'une  comique  bévue  dont  je  dirai 
un  mot  tout  à  l'heure;  parmi  les  Grecs  figure  un  Polippus  absolument 
inconnu  >,  etc.  —  M.  Joly  remarque  encore  avec  raison  que  ce  morceau 
«  semble  l'œuvre  d'un  homme  plus  familier  avec  la  Vulgate  qu'avec  les 
auteurs  classiques;  le  rapport  du  style  est  frappant.  »  Il  en  cite 
quelques  exemples,  auxquels  on  peut  en  ajouter  d'autres,  comme  ces 
paroles  d'Achille  à  Hécube  :  «  Conglutinata  est  anima  mea  in  aspectu 
filiae  luae,  n  l'expression  «  C.XII.  milia  educentium  gladium,  »  le  discours 
de  Triptolème  :  «  Ecce  pater  meus  qui  mortuus  est  praecedebat  vos  in 
omni  certamine^  »  etc.  Il  faut  surtout  noter  la  remarque  faite  par  l'auteur 
sur  la  réunion  des  rois  grecs  dans  la  ville  de  Macédoine  (sic)  pour  sacrifier 
à  Jupiter,  «  sicut  Judaeis  mos  erat  Deo  sacrificare  in  Hierosolima.  « 

Ces  traits,  et  toute  l'allure  du  récit,  ne  permettent  pas  de  douter  que 
nous  n'ayons  là  l'œuvre  de  quelque  moine  du  vir-  ou  du  viii*^  siècle,  qui, 
ayant  lu  Darès  4,  et  étant  d'ailleurs  remarquablement  ignorants,  en  a 
écrit  de  mémoire  un  abrégé,  intercalé  ensuite  dans  la  compilation  de 
Frédégaire.  En  effet,  ce  n'est  pas  seulement  le  titre  qui  nous  montre 
que  ce  récit  est  emprunté  à  Darès;  il  est  d'accord  avec  lui  dans  tous 
les  points  essentiels.  Seulement  il  embrouille  étrangement  les  noms  et 
les  faits  qui  lui  sont  restés  dans  la  tête,  et  son  histoire  de  la  guerre  de 

1.  Mémoires  de  la  Société  des  Antiquaires  de  Normandie,  t.  XXVII,  p.  662,  n. 
—  M.  Joly  n'a  connu  que  le  ms.  de  Montpellier. 

2.  M.  Joly  dit  seulement  qu'il  fait  de  Memnon  un  frère  d'Agamemnon.  Le  nom 
de  Ménélas  figure  d'ailleurs  aussi  parmi  ceux  des  rois  grecs. 

5.  Je  ne  parle  pas  des  noms  estropiés  (voy.  ci-dessous). 

4.  Ayant  lu,  et  non  ayant  entenau  raconter.  Au  milieu  de  toutes  les  altéra- 
tions des  mss.,  il  y  a  dans  les  noms  propres,  d'une  orthographe  souvent  assez 
compliquée  [Hector,  Hccuba,  Agamcmnon,  Andromacha,  Simoes,  etc.),  une  certaine 
fidélité  qui  indique  que  l'auteur  les  avait  vus  écrits. 

5.  Le  fait  d'avoir  transporté  à  Ulysse  le  rôle  d' Anténor,  et  par  conséquent 
d'en  avoir  fait  un  Troyen,  suffit  à  mettre  cette  ignorance  dans  tout  son  jour. 


HISTORIA   DARETIS  FRIGIl  I^I 

Troie  ressemblerait  assez  à  celle  que  raconte  si  plaisamment  Trimalchion', 
si  ce  dernier,  dans  ses  bévues  même,  ne  déployait  pas  une  érudition  fort 
supérieure  à  celle  de  notre  abréviateur  de  Darès. 

Mais  une  question  assez  délicate  est  celle  de  savoir  quel  texte  cet 
abréviateur  a  résumé.  On  sait  que  les  travaux  de  MM.  Dunger  et  Joly 
ont  établi  que  Beneoit  de  Sainte-More,  suivi  par  tous  les  auteurs  de 
Destructions  de  Troie  du  moyen-âge,  avait  eu  sous  les  yeux,  non  pas, 
comme  on  le  croyait  jusqu'ici,  un  texte  de  Darès  plus  étendu  que  le 
texte  qui  nous  est  parvenu,  et  dont  celui-ci  serait  un  abrégé,  mais  notre 
Darès  lui-même  dans  toute  sa  misérable  sécheresse.  Toutefois  il  ne 
résulte  pas  de  là  qu'il  n'ait  jamais  existé  un  Darès  plus  complet  et  que  le 
nôtre  ne  soit  pas  un  abrégé.  Des  raisons  qui  me  paraissent  fort  bonnes  * 
font  au  contraire  regarder  le  Darès  qui  est  seul  arrivé  jusqu'à  nous  comme 
un  très-mauvais  abrégé,  écrit  sans  doute  au  v^  siècle,  d'un  ouvrage  plus 
étendu,  qui  pouvait  être  du  llI^  Le  résumé  intercalé  dans  Frédégaire  a- 
t-il  été  fait  sur  ce  texte  plus  complet  ou  sur  l'abrégé  que  nous  possédons  ? 
Voilà  la  question  qu'il  s'agit  de  résoudre. 

Elle  n'est  pas  facile  à  trancher,  à  cause  de  l'extrême  réduction  où 
l'ouvrage  est  arrivé  dans  la  forme  qui  nous  occupe.  Le  récit  atteint  à 
peine  ici  le  huitième  de  l'étendue  du  Darès  ordinaire;  il  paraît  donc  bien 
malaisé  de  discerner  dans  une  semblable  contraction  des  traces  d'une 
forme  plus  ample  que  ce  Darès  ordinaire  lui-même.  Toutefois,  si  le 
Darès  ordinaire  et  le  Darès  de  Frédégaire  sont  deux  abrégés  indépen- 
damment faits  sur  un  même  texte,  il  a  pu,  il  a  même  dû  arriver  une  fois 
ou  l'autre  que  l'abrégé  le  plus  court  a  recueilli  un  trait  que  Pautre  avait 
omis,  ou  a  conservé  plus  fidèlement  l'allure  de  la  rédaction  primitive. 
Seulement  ce  qui  vient  singulièrement,  dans  le  cas  présent,  compliquer 
la  question,  c'est  la  circonstance  que  notre  abréviateur  résumait  son 
histoire  de  mémoire.  Il  en  résulte  que  tout  son  récit  est  si  altéré,  s'écarte 
tellement  de  sa  source  quelle  qu'elle  soit,  et,  grâce  à  l'ineptie  du 
rédacteur  et  à  la  barbarie  de  son  style,  est  devenu  si  incohérent  et 
informe,  qu'il  est  fort  difficile  de  le  comparer  à  n'importe  quoi  et  de  le 
saisir  avec  précision.  Les  déductions  qu'on  tirerait  de  ce  récit  seul 
seraient  en  conséquence  bien  vagues;  mais  on  peut  espérer  trouver  un 
secours  dans  certains  rapprochements.  Si  en  effet  le  Darès  de  Frédégaire 
nous  offrait  des  traits  qui,  manquant  dans  le  Darès  ordinaire,  se  retrou- 
veraient dans  tel  ou  tel  auteur  de  l'antiquité,  nous  aurions  bien  des 
raisons  de  croire  que  l'abréviateur  les  avait  trouvés   dans  sa  source 

1.  «  Diomedes  et  Ganymedes  duo  fratres  fuerunt  :  horum  soror  erat  Heiena. 
Agamemnon  illam  rapuit  et  Dianae  cervam  subjecit,  »  etc. 

2.  J'ai  traité  rapidement  ce  sujet,  A  l'occasion  de  la  dernière  édition  de  Darès, 
dans  un  article  destiné  à  la  Revue  critique. 


IJ2  G.    PARIS 

plutôt  que  de  les  attribuer  soit  à  une  coïncidence  fortuite  extrêmement 
peu  probable,  soit  à  une  ingérence  de  cet  abréviateur,  que  sa  faiblesse 
d'esprit  et  son  ignorance  exceptionnelle  rendent  inadmissible.  Je  vais 
relever  les  traits  de  ce  genre  qui  me  paraissent  réellement  exister.  H  va 
sans  dire  que  je  passe  sous  silence  toutes  les  divergences  qui  ne  présen- 
tent pas  d'intérêt  pour  la  question.  Quelques-unes  de  ces  dernières  méri- 
teraient l'attention  ù  tel  ou  tel  point  de  vue,  mais  je  les  ai  volontairement 
laissées  de  côté. 

Le  début  de  notre  texte  semble  avoir  été  écrit  avec  l'idée  de  donner 
au  récit  plus  de  développement  qu'il  n'en  a  reçu  par  la  suite.  Toutefois 
je  ne  crois  pas  que  le  dialogue  entre  Pélias  et  Jason  qui  remplace  les 
sèches  mentions  du  Darès  ordinaire  remonte  en  quelque  façon  à  l'ori- 
ginal. L'auteur  commet  dans  tout  ce  récit  préliminaire  trop  d'erreurs, 
provenant  évidemment  de  souvenirs  très-incertains  ;  ainsi  ce  n'est  pas 
avec  un  vaisseau,  mais  avec  toute  une  ilone,  magno  apparatu  navium,  que 
Jason  va  conquérir  la  toison  d'or.  D'après  M.  Joly,  les  deux  premiers 
feuillets  présentent  des  traces  d'une  latinité  très-supérieure  à  celle  du 
Darès  ordinaire.  Cette  remarque  aurait  dû  amener  le  critique  à  regarder 
le  ms.  de  Montpellier  comme  provenant  d'un  Darès  plus  ancien  et 
meilleur  que  le  nôtre  :  mais  il  n'en  a  tiré  aucune  conclusion.  Au  reste, 
elle  ne  me  paraît  pas  fondée.  Les  deux  premiers  feuillets  me  semblent 
tout  aussi  barbares  que  les  autres  et  d'une  latinité  fort  inférieure  à  celle 
de  Darès  '.  —  Un  trait  qui  est  plus  important  est  celui-ci.  Darès  dit 
simplement  que  Jason  «  ubi  ad  Phrygiam  venitnavim  admovit  ad  portum 
Simoenta;  »  notre  texte  sait  que  les  Argonantes  «  vento  aquihne  contrario 
recesserunt  a  recto  itinere  et  venerunt  ad  Simoenta  portum,  ubi  Simoes 
fluvius  Trojanorum  mare  magnum  ingrediîur.  «  Or  ces  détails  sont  en 
parfait  accord  avec  d'autres  témoignages;  ils  contiennent  même  un  ren- 
seignement géographique  tout  à  fait  au-dessus  de  la  science  de  l'abré- 
viateur,  et  qui  n'a  pas  été  puisé  dans  le  Darès  ordinaire,  lequel  ne 
mentionne  nulle  part  le  fleuve  Simois.  On  sait  que  Darès  ne  raconte  pas 
l'expédition  des  Argonautes  ;  on  lit  seulement  dans  le  texte  ordinaire  : 
«  Colchos  profecti  sunt,  pellem  abstulerunt,  domum  reversi  sunt  ;  »  si 
quelqu^un  veut  en  savoir  plus  long,  «  Argonautas  légat.  »  Le  Darès  de 
Frédégaire  n'a  pas  trouvé  non  plus  dans  son  original  le  récit  de  cette 
expédition  :  on  le  voit  par  la  singulière  façon  dont  il  a  essayé  de  suppléer 
à  cette  lacune. 


I.  «  On  y  rencontre  aussi  un  mot  à  demi  grec,  tout  étonné  de  se  trouver 
là,  cum  Iritnbus.  »  Il  est  cependant  sûr  que  ce  mot  appartient  à  l'abréviateur, 
car  il  contient  précisément  la  mention  de  plusieurs  vaisseaux  donnés  à  Jason, 
contraire  à  Darès  aussi  bien  qu'à  toute  la  tradition  antique.  Tricns  n'est  pas  rare 
dans  les  auteurs  des  bas-temps  et  les  glossaires  du  moyen-âge. 


HISTORIA  DARETIS  FRIGII  I^^ 

Dans  le  récit  de  la  première  prise  de  Troie  le  rôle  d'Hercule  a  disparu 
de  notre  abrégé  ;  il  oublie  également  de  faire  tuer  dans  cette  affaire 
Laomédon,  dont  la  mort  n'est  rapportée  nulle  part.  Le  détail  donné  sur 
la  capture  d'Hésione,  «  in  praedio  regali  ...  Hesionam...  r-epperiunt,  » 
pourrait  seul  se  rattacher  à  un  original  plus  complet  que  notre 
Darès. 

L'enlèvement  d'Hélène  présente  ici  certaines  particularités  curieuses. 
Notre  texte  est  d'accord  avec  le  Darès  ordinaire  pour  faire  que  Paris 
enlève  la  reine  de  Sparte  à  Cythère  et  pour  ne  rien  dire  de  l'hospitalité 
accordée  au  Troyen  par  Ménélas.  Mais  tandis  que  Darès  raconte  que 
Ménélas  était  allé  à  ce  moment  voir  Nestor  à  Pylos,  notre  abrégé  nous 
dit  que  tous  les  rois  grecs  s'étaient  réunis  pour  offrir  un  sacrifice  à 
Jupiter.  Or  il  est  impossible  de  méconnaître  la  ressemblance  de  ce  récit 
avec  celui  de  divers  auteurs  anciens,  entre  autre  CoUuthos  et  Jean  Ma- 
lalas,  d'après  lesquels  Ménélas  était  allé  en  Crète  accomplir  un  sacrifice 
annuel,  et  surtout  avec  celui  de  Dictys,  qui  nous  montre  la  plupart  des 
rois  grecs  offrant  en  Crète,  dans  le  temple  d'Europe,  un  sacrifice 
solennel,  pendant  que  Paris  enlève  la  femme  de  Ménélas.  Ce  n'est  donc  pas 
par  hasard  que  notre  abréviateur  parle  de  celte  réunion  et  de  cette  fête  ; 
mais  il  est  étrange  que  l'auteur  du  Darès  ordinaire  ait  substitué  un 
voyage  de  Ménélas  à  Pylos  à  cette  assemblée  de  rois  qu'il  trouvait  sans 
doute  dans  son  original. 

Les  noms  des  principaux  Grecs  et  Troyens  n'offrent  matière  qu'à  une 
remarque,  mais  elle  me  semble  décisive  dans  la  question  qui  nous  occupe. 
Au  milieu  des  rois  grecs  figure  «Aléa',  qui  primus  tabularum  usum  rep- 
perit.  ))  Il  est  clair  qu'il  s'agit  ici  de  Palamède  (bien  que  son  nom  se 
trouve  déjà  dans  l'énumération),  et  que  l'inepte  abréviateur  a  pris 
aléa,  qui  figurait  dans  une  phrase  où  l'invention  des  jeux  de  hasard 
était  attribuée  à  Palamède,  pour  le  nom  d'un  héros  auquel  il  a  rapporté 
cette  invention.  Or  un  des  meilleurs  arguments  pour  montrer  que  le 
Darès  ordinaire  est  un  abrégé  mal  fait  s'appuie  précisément  sur  certains 
traits  relatifs  à  Palamède.  Quand  celui-ci  veut  enlever  à  Agamemnon 
l'hégémonie,  il  rappelle,  dans  Darès,  les  services  qu'il  a  rendus  à  l'armée, 
entre  autres  (f  castrorum  munitionem,  vigiliarum  circuitionem,  signi 
dationem,  librarum  ponderumque  dimensionem  (c.  XX;  éd.  Meister, 
p.  25).  ))  Mais  de  tous  ces  faits  on  ne  trouve  aucune  mention  antérieure 
dans  notre  texte  de  Darès,  tandis  que  tous  se  retrouvent  dans  divers 
écrivains  de  l'antiquité,  qui  y  ajoutent  encore,  comme  on  sait,  l'inven- 
tion des  jeux  de  dés  et  d'autres.   Il  est  donc  clair  que  ces  différents 

I.  Il  faut  remarquer  que  T  donne  Aide  et  L  Hclcj;  mais  Akd,  qui  est  dans 
M,  doit  bien  être  la  bonne  forme. 


1  Î4  C.    PARIS 

services  rendus  par  Falaméde  aux  Grecs,  —  fortification  du  camp, 
installation  des  gardes,  tixation  des  poids  et  des  mesures,  invention  des 
jeux,  —  étaient  racontés  dans  le  Darès  primitif  et  ont  laissé,  dans  nos 
deux  abrégés,  des  traces  différentes. 

Dans  le  récit  de  la  guerre  on  remarquera  surtout  la  mention,  après 
chaque  combat,  du  nombre  des  morts  tombés  des  deux  côtés.  Cette 
mention  manque  dans  le  Darès  ordinaire,  qui  ne  donne  qu'un  chiffre 
total,  mais  la  manière  même  dont  il  le  donne  indique  que  le  Darès 
primitif  devait  contenir  les  chiffres  respectifs  des  tués  après  chaque 
combat  :  <>  Ruerunt  ex  Argivis,  sicut  acta  diurna  indicant  quae  Dures 
descripsit,  hominum  milia  etc.  »  On  ne  s'étonnera  pas  que  l'addition 
des  chiffres  donnés  par  notre  abrégé  ne  comcide  pas  exactement  avec 
le  total  fourni  par  Darès;  ces  chiffres  varient  d'ailleurs  selon  les 
manuscrits. 

Darès  raconte  que  la  trahison  d'Anténor  et  d'Enée  ouvrit  aux  Grecs 
la  porte  Scée  «  ubi  extrinsecus  caput  equi  sculptum  est.  »  C'est  évidem- 
ment une  manière  d'expliquer  le  mythe  du  cheval  de  Troie,  conforme  à 
tout  l'esprit  de  ce  roman.  On  lit  dans  notre  abrégé  que  pour  donner  aux 
Grecs  le  signal  convenu,  «  signum...  in  similitudine  capitis  equi  supra 
murum  apparuit.  »  Je  serais  porté  à  regarder  cette  version  comme  plus 
ancienne  et  comme  répondant  mieux  au  désir  de  donner  de  la  fable  une 
interprétation  rationaliste,  si  Servius  (ad  Aen.  11,15)  "^  semblait  pas 
avoir  connu  une  version  très-semblable  à  celle  du  Darès  ordinaire. 

Voici  le  dernier  trait  où  je  crois  reconnaître  dans  notre  abrégé  un 
vestige  d'une  forme  plus  complète  de  Darès.  Le  texte  vulgaire  dit  sim- 
plement que  Néoptolème,  ayant  reçu  Polyxène  des  mains  d'Agamemnon, 
«  eam  ad  tumulum  patris  jugulât.  »  Nos  mss.  développent  ainsi  ce 
passage  :  «  Ille  duxit  eam  ad  tumulum  patris  ejus,  jugulavitque  eam  ibi 
et  ait  :  Recipe  puellam,  pater,  pro  qua  vita  caruisti  ;  in  futuro  uxorem 
posside  eam.  »  Je  doute  fort  que  l'idée  de  ce  petit  discours  ait  pu  venir 
au  moine  qui  a  composé  notre  abrégé  ;  elle  me  paraît  non-seulement  au- 
dessus  de  sa  portée,  mais  empreinte  d'un  caractère  véritablement  anti- 
que. Je  n'ai  pas  retrouvé  les  paroles  même  de  Néoptolème  dans  un  écrivain 
de  l'antiquité,  mais  la  pensée  qu'elles  expriment  est  indiquée  notamment 
dans  divers  passages  de  Sénèque,  où  Polyxène  est  appelée  Haemonio 
desponsa  rogo  [Agam.  674J,  desponsa  AchilUs  cineribus  {Troad.  203); 
Calchas  ordonne  que  Pyrrhus  parenti  conjugem  tradat  suo  {Troad.  573); 
à  vrai  dire,  cette  idée  forme  toute  l'inspiration  de  la  partie  des  Troyennes 
consacrée  à  Polyxène. 

L'hypothèse  que  je  viens  d'essayer  d'établir,  et  d'après  laquelle 
l'abrégé  de  Frédégaire  aurait  été  fait  d'après  un  Darès  plus  complet  que 


HISTORIA  DARETIS  FRIGII  IJ5 

celui  qui  nous  est  parvenu,  donne  à  ce  texte  son  principal  intérêt,  encore 
assez  mince,  il  faut  en  convenir.  J'espérais  que  la  seconde  partie  en 
aurait  offert  un  plus  réel  et  aurait  mieux  justifié  le  sous-titre  de  Origine 
Francorum  qui,  joint  à  VHistoria  Dareîis  Frigii,  avait  attiré  l'attention  des 
savants.  Peut-être,  en  effet,  cette  seconde  partie  prendrait-elle  une  place 
importante  dans  l'histoire  de  la  fable  des  origines  troyennes  des  Francs 
si  elle  nous  était  parvenue  en  entier,  mais,  par  une  malheureuse  coïnci- 
dence, le  morceau  qui  devait  contenir  précisément  cette  partie  manque 
dans  les  trois  manuscrits.  Le  manuscrit  de  Montpellier  est  le  seul  qui 
indique  une  lacune  ^  après  les  mots  habitaverunt  ibi,  qui  se  trouvent  tout 
en  haut  d'une  page,  il  laisse  tout  le  reste  de  la  page  en  blanc  '  et  reprend 
avec  les  mots  Famosissimus  gnarus,  etc.,  au  haut  de  la  page  suivante  ; 
les  deux  autres  mss.  continuent  sans  interruption. 

Cette  seconde  partie,  dont  le  commencement  nous  manque,  n'est  pas 
plus  complète  par  la  fm.  Nos  trois  manuscrits  s'arrêtent  évidemment 
bien  avant  le  dénoûment  du  récit  commencé,  soit  que  leur  auteur  com- 
mun fût  mutilé,  soit  que  le  compilateur  ait  renoncé  capricieusement  à 
compléter  son  interpolation.  Nous  devrions  évidemment  avoir,  jusqu'aux 
temps  où  commence  respectivement  l'histoire  authentique  des  deux 
peuples,  une  histoire  prétendue  des  Romains  et  des  Francs,  descendant 
les  uns  et  les  autres  des  Troyens.  Le  morceau  qui  nous  a  seul  été  con- 
servé est  presque  exclusivement  consacré  aux  Romains,  et  il  serait  sans 
doute  facile,  si  la  chose  en  valait  la  peine,  de  déterminer  la  source  où  a 
puisé  l'auteur.  Ce  qui  est  dit  des  Francs  se  borne  à  quelques  lignes;  mais 
elles  suffisent  à  indiquer  un  rapport  intime  entre  notre  texte  et  le  récit 
du  prétendu  Ethicus  :  celui-ci  est  en  effet  le  seul  qui  parle  de  Vassus, 
d'autres  noms  dans  le  cours  du  récit,  comme  Histria,  Dalmatia,  sont 
communs  aux  deux  textes.  Mais  Ethicus  ne  commence  à  parler  des  Francs 
qu'à  propos  de  la  guerre  entre  Romulus  d'une  part  et  Francus  et  Vassus 
de  l'autre,  tandis  que  notre  récit  s'arrête  avant  :  il  est  donc  difficile  de 
dire  si  le  texte  où  a  puisé  Ethicus  était  conforme  au  nôtre.  Ce  dernier 
présente  des  particularités  que  je  ne  retrouve  nulle  part  ailleurs,  comme 
le  Phérécide  auquel  nos  manuscrits  reviennent  sans  l'avoir  mentionné 
auparavant.  Ce  Phérécide  engendre  «  un  autre  Frigion ,  Frigion  le  jeune  » , 
père  à  son  tour  de  Francus  et  Vassus  ^.  Il  y  avait  donc  eu  un  premier 


1 .  Un  lecteur  du  XIII"  siècle  a  écrit  en  haut  de  cet  espace  blanc  la  note  sui- 

■C.  .C.  .XX. 

vante  :  «  Il  et  mort  des  Greys  devant  Troy  .v.  et  Ixvj  mille  .ij.  et  .iiij.  et  .j.; 
des  Troiens  .iij.  xxxj.  mile  .ix.  et  .Ij.  Some  partout:  .viij.  iiij.  et  .xviij.  mile 
.ij.  et  .xxxij.  »  Cette  addition  este.\acte  d'après  les  chiffres  du  ms.  de  Montpellier. 

2.  Ethicus  ne  nous  dit  pas  de  qui  ces  deux  héros  étaient  fils. 


I  ^6  G.    PARIS 

Frigion;  les  autres  textes  relatifs  à  l'origine  troyenne  des  Francs  ne  con- 
naissent ni  l'un  ni  l'autre  ^il  y  a  seulement  un  Friga  et  un  Francio  dans 
Frédégaire). 

Y  a-t-il  entre  les  deux  parties  dont  se  compose  notre  interpolation  un 
lien  intime  et  originaire?  Je  n'en  doute  pas.  Le  style,  si  on  peut  ainsi  parler, 
est,  dans  les  deux  morceaux,  d'une  frappante  uniformité  (remarquez 
seulement  cette  expression  navali  evcctione,  1.  22,  28,  78,  245).  Un  écri- 
vain des  temps  mérovingiens  a  eu  l'idée  de  fondre  le  roman  de  Darès  sur 
la  guerre  de  Troie  avec  une  histoire  fabuleuse  des  Romains  et  des  Francs. 

II  a  soumis  ces  deux  récits,  qu'il  conservait  sans  doute  dans  sa  mémoire, 
à  une  rédaction  très-abrégéc,  et  a  produit  ainsi  un  petit  livre  qu'il  a  dû 
intituler  Historia  Daretis  Frigil  de  origine  Francorum,  n'ayant  pas  compris 
que  Darès  se  donnait  comme  témoin  oculaire  de  la  guerre  de  Troie  et 
ne  pouvait  raconter  des  événements  sensiblement  postérieurs.  Cette 
histoire  fabuleuse  des  origines  des  Francs,  qu'avait  résumée  notre  com- 
pilateur, paraît  avoir  été  également  connue  du  faux  Ethicus,  qui  nous 
en  a  transmis  la  fm.  Quant  à  V Historia  Daretis,  elle  a  été  insérée  dans 
la  chronique  continuée  de  Frédégaire,  mais,  soit  que  l'auteur  de  cette 
interpolation  ait  eu  à  sa  disposition  un  te.xte  mutilé,  soit  que  la  mutila- 
tion remonte  à  l'auteur  commun  de  nos  trois  mss. ,  elle  nous  est  parvenue 
complète  dans  sa  première  partie,  fort  défectueuse  dans  la  seconde;  on 
ne  la  trouve  aujourd'hui  nulle  part  isolément.  Il  est  possible  qu'elle  ait 
été  connue  complète  par  le  rédacteur  d'une  compilation  du  xii«  siècle.  Cette 
compilation,  de  nature  surtout  juridique,  qui  est  contenue  dans  un  ms. 
de  Bonn,  et  sur  laquelle  on  peut  voir  un  long  article  dans  le  Rheinisches 
Muséum  fur  Jurisprudenz  (1827,  t.  1,  p.  102  ss.)  publié  par  Hasse,  con- 
tient un  chapitre  intitulé  Origo  Francorum,  qui  commence  ainsi  :  «  Des- 
tructa  urbe  Troja  [sic],  cum  omni  populo  Grecorum,  scilicet  octaginta 
milia  fortium  bellatorum,  Agamemnon  rex  contra  Priamum  regem  Tro- 
janorum  pugnavii  decem  annis,  et  occiderunt  de  Grecis  dcv  milia,  de 
Trojanis  lxv  milia.  Frigius  itaque  quidam  cognatam  Priami  régis accepit, 
unde  fuit  Trofimusquigenuit  Cassandram,  Cassandra  Ascanium,  Ascanius 
Ilium,  Ilius  Frigium,  Frigius  Francum  et  Bassum,  unde  et  Franci  appel- 
lati  sunt.  Et  de  Enea  Trojano  principe  Romulus  et  Remus,  a  quibus 
romanum  surrexit  imperium.  Annos  plurimos  pugnaverunt  contra  Fran- 
cum et  Bassum  parentes  sucs,  etc.  «  Le  reste  à  peu  près  comme  dans 
Ethicus  '.  On  voit  qu'il  y  a  ici  de  nouvelles  et  grossières  confusions  : 
mais  il  me  semble  reconnaître  entre  ce  morceau  et  le  nôtre  un  certain 
air  de  famille.  Il  serait  fastidieux  de  motiver  cette  opinion  :  je  me  bornerai 

I.  Roth  (Germania  I,  p.  3  5)  qualifie  ce  récit  de  «  !a  seule  tentative  connue  pour 
fondre  la  version  des  Gesta  Rtguni  Fiancorum  avec  celle  d'Ethicus.  »  Il  n'y  a 
trace  de  la  version  des  Gcsla  que  dans  la  seconde  partie. 


HISTORIA  DARETIS  FRIGII  I  ^J 

à   rapprocher   les   deux   Frigius  mentionnés  ici    des   deux    Frigio   de 
l'Historid. 

Les  trois  mss.  qui  contiennent  VHisîoria,  T  (Troyes),  M  (Montpellier) 
et  L  (Londres),  proviennent  évidemment  d'un  même  original'.  M  et  L 
représentent  en  outre  une  famille  à  part,  c'est-à-dire  qu'ils  dérivent  de 
la  même  copie  intermédiaire  ;  T  est  généralement  le  meilleur.  Je  n'ai 
connu  d'abord  que  M,  que  j'ai  copié  en  janvier  1874  (sauf  la  seconde 
partie,  dont  je  dois  la  copie  à  l'obligeance  de  M.  Boucherie).  M.  d'Arbois 
de  Jubainville  a  bien  voulu  collationner  pour  moi  le  ms.  de  Troyes,  et  j'ai 
eu  l'occasion  de  comparer  récemment  l'harléien  au  British  Muséum. 

J'ai  publié  ce  morceau  d'après  la  comparaison  critique  des  trois  ma- 
nuscrits en  ce  qui  regarde  les  leçons  ;  comme  ils  dérivent  tous  trois  d'un 
même  auteur,  il  ne  faut  pas  s'étonner  s'ils  ont  des  fautes  en  commun.  Je 
n^ai  proposé  entre  crochets  ou  parenthèses  que  de  rares  corrections  ou 
suppressions,  parce  que  l'auteur  lui-même  a  fort  bien  pu  écrire  une 
phrase  barbare  ou  obscure.  Deux  ou  trois  passages  me  sont  restés  inin- 
telligibles et  offrent  des  mots  visiblement  altérés  (p.  ex.l.  32,2^2,255). 
Je  donnerai,  dans  un  article  subséquent,  quelques  notes  grammaticales 
sur  ce  texte.  J'y  joindrai  des  observations  sur  l'orthographe  des  copistes. 
Pour  le  moment  je  me  bornerai  à  dire  que  j'ai  dû  substituer  aux  formes 
flottantes  et  contradictoires  de  chacun  des  trois  mss.  l'orthographe 
généralement  reçue,  sauf  pour  un  petit  nombre  de  mots  où  l'accord  des 
mss.  devait  me  faire  admettre,  soit  une  forme  absolument  fautive,  soit  la 
forme  habituelle  au  moyen-âge^.  Les  noms  propres  sont  en  particulier 
étrangement  défigurés,  et  offrent  des  variantes  chaque  fois  qu'ils  se 
reproduisent.  Mais  il  est  rare  que  la  bonne  forme  ne  se  présente  pas  une 
fois  ou  l'autre  :  elle  provient  donc  de  l'auteur,  et  je  l'ai  rétablie  partout. 
Quand  tous  les  mss.  sont  d'accord  pour  ne  donner  qu'une  forme  fautive, 
je  l'ai  maintenue  5. 

Au  reste,  mon  point  de  vue,  en  publiant  ce  triste  échantillon  de  la  litté- 
rature mérovingienne,  a  été  celui  de  l'histoire  littéraire  et  non  de  la  phi- 
lologie. J'ai  surtout  voulu  satisfaire  au  vœu  exprimé  par  M.  Zarncke: 
«  Il  est  très-regrettable  que  ce  morceau  n'ait  pas  encore  été  imprimé... 
On  ne  peut  que  désirer  vivement  de  connaître  ce  texte  de  plus  près.  » 
Je  n'oserais  dire  toutefois  qu'il  gagne  à  être  connu. 

1.  Cet  original,  comme  !e  montrent  diverses  fautes  propres  A  chacun  des  mss. 
ou  communes  à  tous  trois,  ne  séparait  pas  les  mots. 

2.  Ainsi  gigjns  125,  oblimus  i2y,  samnc  i^acc.)  147,  bmos  147,  maosolco  156 
(T  masoleo),  disponsioiie  158,  orfani  226. 

5.  Co/co.s- dans  M  L,  C/(o/fo.ç  dans '1' ;  Liodanon  partout,  excepté  26  L  :  la 
bonne  forme  est  tellement  isolée  qu'elle  est  sans  doute  une  faute  de  copiste;  Pol- 
lox  dans  T,  Piilox  dans  M  L;  Aichimacns  I.  196  T  M  Aichimadms  L,  I.  94  Achi- 
maiciis  T  M  Achimûsciis  L;  Polippu.'!  T  M  L  68,  126  PolippusT  L  Pohppiis  M; 
Polixina  T  M  L,  sauf  93  Poloxcna  M  L  Polixima  T;  Dcijobus  et  0/i.xii  partout. 


I  j8  G.    PARIS 

Eodem  itaque  tempore  apud  Graecorum  régna  quae  juxta  mare 
magnum  girata  vel  sita  sunt  regum  primus  et  maximus  Pelias  celeber 
habebatur,  omnesque  reges  Graecorum  quasi  imperio  subjacentes 
ejus  consilio  obedientes  gerebant.  Eratque  ei  proximus  ex  fratre 
5  genitus  jam  defuncto  superstes  neposque  illius  régis,  Jason  nomine, 
vir  egregius  atque  efficax,  strenuus  quippe  et  procerus,  utilis  valde 
consilio,  corde  etanimo  ferocissimo.  Cui  Pelias  rex  avusejus  invidia 
moliebatur  ob  industriam  ipsius,  et  circa  eum  corde  duplici  malum 
machinabatur,  eo  quod  de  stirpe  ejus  nullustam  sapiens  et  velocis- 

10  simus  ortus  fuisset.  Vocavitque  eum  et  ait  ei  :  «  Pellem  inauratam 
audio  mirae  magnitudinis,  opéra  inaudita  et  inenarrabili  pictam,  apud 
Cholcos;  quicumque  enim  de  semine  meo  inde  illam  mihi  quolibet 
ingenio  vel  qualibet  arte  déferre  potuerit,  ipse  post  me  regnum  eum 
obtinebit  atque  successor  existet.  »  Erant  itaque  Cholci  gens  valida, 

1 5  saevissime  durata,  arma  bellica  jugiter  ferentes.  Audiens  haec 
Jason  sic  respondisse  fertur  avo  :  «  Coacerva  mihi  bellatorum  exer- 
citum,  apparatum  armatorum.  Tu  enim  nosti  Cholcos  saevissimos 
atque  crudeles,  anime  feroci  procedentes  ad  proelium.  »  Congre- 
gavit  itaque  Pelias  cunctum  exercitum  suum,  ut  irent  eum  Jasone 

20  ad  belligerandum  adversus  Cholcos,  deditque  consilium  principibus 
suis  ut  Jason  primus  eum  suis  sodalibus  ad  bellum  procederet, 
donec  occumberet,  illi  vero  navali  evectione  recédèrent.  Sed  hos 
dolos  Jason,  ut  erat  versutissimus,  scire  potuit.  Nam  coadunato 
exercitu,  mare  magnum  eum  trieribus  magnoque  apparatu  navium 

2  5  ingressus,  vento  aquilone  contrario  recesserunt  a  recto  itinere,  et 

veneruntad  Simoenta  portum,  ubi  Simoes  tluvius  Trojanorum  mare 
magnum  ingreditur.  lUinc  egressi  de  navibus  castrametati  sunt 
juxta  mare  magnum.  Haec  audiens  Laodemon  pater  Priami,  rex 
Trojanorum,  advenisse  navali  evectione  Graecorum  exercitum  in 
30  terram  suam,  Priamum  regem  filium  suum  eum  hostili  apparatu 
contra  eos  perrexit.  Jason  vero  deprecabatur  regem  Trojanorum  ut 
iter  praeberet  eis,  absque  ulla  calumnia  vel  damnietate  Ci)  aut  con- 
flictu  hostium  suorum,  ire  in  Cholcos.  llle  autem  noluit  adquiescere, 
sed   eum  grandi  injuria  reppulit  eos.    Itemque  Jason   eum  grandi 

3  5  altercatione  recessit  de  via  recta,  iterum  navibus  ascendit;  reeuperato 

vento  meridiano,  iterato  cursu  navium  pervenit  ut  coeperat  in 
Cholcos,  illosque  imparatos  atque  inscios  :  Jason  matutina  vigilia  eum 
hostili  exercitu  super  eos  inruit.  Sed  [per]  principes  et  consiliarios 

i  T  om.  itaque,  juxta]  M  instar  L  inter  —  2  ML  regnum  T  regnavit,  T  et 
celeber  --4L  regebat  —  7  T  Qui  —  8  ML  om.  et  —  9  ML  om.  malum  — 
10  L  audivi  —  1 1  ML   illam  inde  —  1 5  M  dura,  L  ferens  —  19  T  om.  suum 

—  21  M  bella  —  24  T  in  mare —  32  L  damn...  (le  reste  illisible)  M  contrarietate 

—  33  TUli,  noluerunt—  34  TL  repulerunt,  M  eum,  M  Idemque  —  55  T  reces- 
serunt —  36  M  récupérât 


HISTORIA  DARETIS  FRIGII  1^9 

Peliae  avi  sui  ante  se  ad  pugnam  ire  conpulsus  est.  Cholci  vero 

40  prostrati  atque  devicti  in  manu  Jason  et  exercitui  ejus  corruerunt. 
Jason  quoque  victor  existens  civitates  eorum  cepit  atque  vastavit, 
pellemque  inauratam  invenit  avoque  suo  in  Graecia  cum  magna 
praeda  atque  spolia  multa  deportavit,  narravitque  avo  suo  injuria  - 
rum  suarum,  labores  atque  pericuia  quod  ei  in  itinere  contigerant, 

45  maxime  Trojanorum  insidia,  Laodemon  et  Priami  filii  sui,  quanta 
calumnia  apud  eorum  exercitu  in  itinere  perpessussii.  Peliasrex  haec 
audiensconvocans  /.convocaviticeterosregesGraecorum narravitque 
eis  omnia  per  ordinem,  pellemque  inauratam  ostendit,  et  injurias  Tro- 
janorum, qualiter  inrogavissent  contra  exercitum  suum  in  via,  cuncta 

50  disposuit.  Illi  quoque  haec  audientes  indignati  sunt  contra  regem 
Trojanorum.  Anno  insecuto,  commoto  exercitu  magno  Graecorum, 
navium  multitudine  coacervata,  finibus  Trojanorum,  illisque  igno- 
rantibus  atque  nescientibus,  fraudulenter  ex  utrisque  partibus  hos- 
tibus  circumdati[s],  Trojanos  ex  parte  depraedant.  In  praedio  regali 

S  ]  sororem  Priami  régis,  filiam  Laodemonis  régis,  Hesionam  nomine, 
pulchram  nimis,  elegantem  atque  decoram  valde  repperiunt,  ipsam- 
que  captivatam  cum  magna  praeda  et  multa  spolia  in  Graeciam  per- 
duxerunt.  Laodemon  nempe  et  Priamus  munera  multa  per  legatos 
miserunt  propîer  praefatam  puellam  :  sed  illi  renuentes  reddere 

60  noluerunt.  Nuntiis  quippe  revertentibus  qui  missi  fuerant,  haec 
omnia  Laodemon  et  Priamo  referentes  dixerunt.  Illi  vero  audientes 
moleste  acceperunt  indigne  ferentes.  Ineunte  anno,  sicut  mos  erat 
apud  reges  Graecorum,  in  unum  congregati  Macedoniam  urbem 
metropolim   diem  festum  Jovi  consecraverunt,   sicut  Judaeis  mos 

6)  erat  Deo  sacrificare  in  Hierosolima.  Hi  reges  magni  de  cunctis 
partibus  Graeciae  convenerunt  illuc  :  Pelias  et  Jason  nepos  ejus; 
Agamemnon  et  Memnon  frater  ejus  ;  Ajax  et  Palamedes  ;  Achilles 
et  Triptolemus;  Menelaus  atque  Polippus;  Castor  itaque  et  Pollox  ; 
Aléa  qui  primus  tabularum  usum  repperit  ;  et  ceteri  reges  minores 

70  ad  diem  festum  eorum  convenerunt  sacrificare  Jovi.  Audiens  haec 
Alexander  filius  Priami  a  Troja  egressus  hostium  multitudinem 
sumens  naves  magnas  ascendit,  et  per  mediterraneum  mare  ad 
Citeriam  insulam  régis  Memnon  palatium  peraccessit,  ubi  Helena 
regina  sua  deae  Minervae  diem  festum  exhibebat.  Alexander  autem 

75  filius  Priami  Helenam  reginam  speciosam  valde  ab  hostibus  cir- 
cumdans  cum  thesauris  suis  eam  rapuit,  ob  vindictam  amitae  suae 

45  L  maximae  T  maxima,  L  insidiac  M  insidie —  52  M  aj .  adeunt  avanl  Tro- 
janorum —  J7  M  magna  sp.  —  61    ML  enim  —  6j  TL  aj.  in  quibus  tivunt  i 
unum,  ces  mots  étaient  sans  doute  exponctucs  dans  l'original.  —  6j  L  om.  in  — 
71  T  mult.  hostt.,  —  72  ML  om .  et  —  73  M  om.  insulam  —  74  TL  dea 
Minerva,  T  om.  diem  iestum 


140  G.    PARIS 

Hesionae  quam  Graeci  captivatam  tenebant  et  nolebant  reverti; 
cum  (l.  et;  navali  evectione  cum  praefata  Helena  Trojam 
urbem    remeavit.    Quibus    compertis,    reges    Craecorum     nimis 

80  moleste  acceperunt  uxorem  régis  Memnon  inclitam  fuisse  a 
liberis  Priami  captam.  Tune  invicem  congregati  in  unum, 
consiiio  accepte,  ex  cunctis  partibus  Graeciae  omnia  régna  mutuo 
consentientes  congregant  ;  navium  copiam  coacervant,  arma  bellica 
infmita  sumentes,   mare  transfretantes,    usque  Trojanorum  fmibus 

85  occupaverunt,  rogantes  ut  Helenam  reginam  redderent.  At  illi 
renuentes  aiunt  :  "  Reddite  nobis  consanguineam  nostram  Hesionam, 
quam  indigne  ducentes  captivastis,  et  nos  reddemus  Helenam.  )> 
Illisque  indignantibus,  invicem  processerunt  ad  bellum,  et  decem 
annis  bella  gesserunt.  Erantque  filii  Priamo  régi  ex  matrona  nobili 

90  quadam  nomine  Hecuba:  primogenitus  Hector,  elegantissimusatque 
procerus,  ad  pugnandum  gnarus  atque  egregius^  uxorque  ejus 
nomine  Andromacha,  décora  atque  strenua;  secundus  filius  ejus 
Alexander  qui  Helenam  rapuit;  tertiusTroilus,  vir  fortissimus,  expe- 
ditus  ad  bellum  ;  quartus   Deifobus  ;  quintus  Aichimacus  decorus 

95  aspectu  et  corpore  aquilino.  Filiae  enim  illius  Polixena  senior 
nuncupata,  Cassandra  junior,  pulcherrimae  ita  ac  decorae.  Commis- 
soque  certamine  pugnatorum  (/.  pugnaverunt)  quindecim  reges  Crae- 
corum adversus  Priamum  regem  Trojae  et  filios  ejus  memoratos  ac 
populum  ejus.  Primo  die  in  primo  proelio  pugnavit  Hector  filius 
100  Priami  contra  Craecorum  exercitum  a  mane  usque  ad  vesperam, 
et  ceciderunt  de  Craecis  octaginta  quinque  milia,  de  Trojanis  tri- 
ginta  duo  milia.  Tune  in  crastinum  invicem  petierunt  ex  utrisque 
partibus  inducias  et  obsides  dederunt  mutuo  ut  facerent  exsequias 
et  plangerent  ac  sepelirent  mortuos  suos,  feceruntque  ita.  Denuo 
105  bellum  commissum  est,  pugnavitque  Hector  cum  agmine  Craecorum, 
direxerunt  aciem  et  pugnaverunt  a  mane  usque  solis  occasum,  et 
ceciderunt  ex  parte  Craecorum  quinquaginta  tria  milia,  de  Trojanis 
triginta  milia  CC.  XV.  Petierunt  demum  inducias  iterum  sepeiiendi 
eorum  mortuos.  Iterum  convenerunt  ad  bellum  Hector  cum  Troja- 
110  nis  contra  reges  et  populum  Craecorum.  In  ipso  certamine  corruit 
Ajax  rex  cum  tribus  principibus  regalibus  fortissimis  Craecorum. 
Corruerunt  itaque  in  ipsa  acie  ex  Craecis  centum  viginti  milia  CC. 
IIII.  quos  ipsi  recensuerunt;  de  Trojanis  sexaginta  duo  milia  CVII. 
Et  petierunt  inducias  uterque,  et  fecerunt  planctum  magnum  et 
1 1 5  fleverunt  Ajacem  principem  cum  reliquis  principibus  XXX  diebus  ; 

78  M  Trojana  —  80-81  L  fuisse  alibi  re^e  Priamo  captam,  M  inclinatam  fuisse 
et  cum  suis  rébus  ab  Alexandre  Priami  nlio  captam  —  86  ML  renunciantes  — 
95  T  Filia  ML  Filias  —  96  ML  pulcherrimas ,  M  décoras  L  decoratas  — 
104  T  om.  suos  —  107  M  de  p.  Cr.  —  108  ML  .ce. 


HISTORIA  DARETIS  FRIGII  I4I 

rursumque  reparatis  viribus,  Palamedes  rex  et  Achilles  contra 
Hectorem  et  Trojanos  :  Hector  Palamedem  occidit.  Habebat  autem 
memoratus  rex  Palamedes  auream  loricam  indutam  ;  cumque  incli- 
nasset  se  Hector  ut  ipsam  loricam  detraheret ,  Achilles  ex  adverso 

1  20  veniens  percussit  Hectorem  inclinatum  detrahentem  spolia  in  renibus 
suis  gladio  necopinatO;,  inruitque  in  eum  atque  occidit.  Et  surrexit 
tumultus  magnus  in  utrumque  populum,  et  petierunt  itemque  indu- 
cias,  et  sepelierunt  Graeci  Palamedem,  et  Trojani  Hectorem,  et 
planxerunt  eos  XXX  diebus.   Et  denique  commissum  est  bellum. 

125  Tune  induit  Troilus  loricam  fratris  Hectoris  sicutgigans,  ut  mortem 
fratris  ulcisceret,  et  pugnaverunt  tota  dieilla.  Et  cecidit  ibi  Polippus 
rex  Graecorum  obtimus,  cum  duobus  principibus,  in  manus  Troili  ; 
et  ceciderunt  in  illa  acie  de  exercitu  Graecorum  XLVIII  milia  et 
XXIII,  de  Trojanis  XXV  milia  XXVI.  Et  dederunt  invicem  mutuo 

1 30  obsides,  et  sepelierunt  mortuos  suos.  Tune  dédit  Agamemnon  rex 
consilium,  sapientior  ceteris,  ut  receptis  obsidibus  reverterentur  ad 
terram  suam.  Gui  respondit  Achilles  dicens  :  «  Ecce  parentes  et 
proximi  nostri  hic  tumulati  quiescunl,  qui  in  manibus  Trojanorum 
corruerunt;  et  nos  absque  Victoria  recedimus  .''  Alioquin  en  moriar 

1 3  5  donec  mortem  parentum  meorum  ulciscar  qui  interfecti  sunt.  » 
Iterum  cohortantur  ad  bellum,  Troilusque  cum  Trojanis  occurrit, 
illisque  magis  ac  magis  confligentibus  tribus  diebus  ac  tribus  nocti- 
bus,  in  seditionem  versi,  innumerabilis  multitudo  cecidit  ex  utraque 
parte  :  de  Graecis  CXL.  V.  milia  virorum  fortium,  de  Trojanis  C. 

140  XXIÎ.  milia  educentium  gladium.  Percussitque  Achilles  Troilum  in 
inguine  lancea,  et  corruit  mortuusque  est.  Levavit  autem  eum 
Achilles  ob  vindictam  percussorum  in  curru  suo,  trahensque  corpus 
ipsius  girabat  civitatem  Trojam.  Ascendit  itaque  Hecuba  mater  ejus 
super  murum  civitatis  cum  filiabus  suis  Polixena  et  Casandra  ;  con- 

145  jurata  est  Achillem,  dicens  :  «  Adjuro  te,  Achilles,  per  deos  deasque  ; 
ego  do  tibi  auri  talenta  ad  statuarium  instar  filio  meo  Troilo,  ut 
reddas  mihi  corpus  ejus,  nec  trahas  regale  semine  per  bivios  pla- 
tearum.  »  Ille  haec  audiens  dixit  :  «  Conglutinata  est  enim  anima 
mea  in  aspectu  filiae  tuae  Polixenae.   Da  mihi  illam  in  sponsione 

1 50  et  reddo  tibi  corpus  filii  tui,  et  faciam  tibi  ut  recédât  exercitus 
Graecorum  a  populo  isto  et  a  civitate  tua  hac,  »  At  illa  ait  : 
«  Ecce  sexta  die  deae  Dianae  sacrificare  disponimus.  Tu  vero  veni 
ad  consulendum  illuc  absque  viris  sanguinum  et  insidiatoribus  hos- 
tium.  Ego  vero  sciscitabor  deos  meos  et  dabo  tibi  eam  uxorem.  » 

1 5  j  At  ille  credidit  his  verbis  et  reddidit  cadaver  Troili  ;  et  sepelierunt 

121  T  non  opinato  —  125  MLfrater —  i  27  T  oni.  rex  ...  principibus,  L  Troilo 
—  1  28  L  om.   milia  et  cic  sdcpius,  L   de  Tr.   ixxv  —  136  L  Iterum  ergo  c.  — 

141  MT  om.  eum.  —  ip  ML  dixit  —   1^2  L   om.  deae  —   1  54  L  ad  u. 


142  0.    PARIS 

eum  in  regali  maosoleo;  fleveruntque  super  eum  fletu  magno. 
Hecuba  ergo  narravit  haec  omnia  quae  gesta  fuerant  eum  Achille 
pro  disponsione  filiae  suae  Priamo  viro  suo  et  Alexandre  filio 
suo.  Alexander  vero  dixit  palri  suo  et  matri  :  «   Ecce  in  concupis- 

160  centia  puellae  sororis  nostrae  exarsit  cor  Achilli.  Praeparemus  ei 
insidias  in  templo  Uianae  deae  nostrae.  »  Eratque  in  ipso  templo 
extra  portam  civitatis  pinna  solarii  in  latibulum  ad  consulendum 
seniores  templi.  Ibi  Alexander  ob  necem  fratrum  suorum  insidia- 
turus  eum  viris  fortissimis  armatis  dolos  praeparat  Achilli.  Veniens 

165  autem  Achillesad  placitum  diem  constitutum,  ut  praefatam  puellam 
uxorem  copularet,  templum  Dianae  ingressus,  puellam  ibidem 
repperit  :  inruit  in  faciem  ejus,  coepit  deosculare  eam,  ignorans 
insidias  Alexandri  fratris  ejus.  Alexander  quoque  —  non  ille  magnus 
Macedo,  qui  postea  ortus  fuit,  sedhicfilius  Priami  —  a tergo  veniens 

170  Achilli,  inruit  eum  sociis  super  eum  et  quasi  durissimum  lapidem  vix 
potuerunt  superare  et  incidere  corpus  ejus.  Tamen  omnibus  membris 
desectis  (arma)  gladium  ipsius  non  valebantabstrahere  de  manu  ejus. 
Illo  vero  mortuo,  illi  civitatem  ingressi  sunt.  Audiens  haec  Aga- 
memnon  rex,   quod  fortissimus  eorum  Achilles  deceptus  esset  ac 

1 7 5  mortuus,  clamore  magno  strepens  hortabatur  recedere  populum.  Cui 
resistens  Triptolemusfilius  Achillis  dicens  (/.dixit): «Ecce  pater  meus 
qui  mortuus  est  praecedebat  vos  in  omni  certamine  atque  victoria  : 
non  vultis  ut  vindicetur  sanguis  ejus  ?  Penitus  ego  vivens  hinc  non 
revertar  si  non  potuero  necem  illius  ulcisci.  »   Consenseruntque  ei 

180  viri  bellatores  et  parentes  ejus.  Sepelierunt  enim  Achillem  et  fleve- 
runt  eum  XXX  diebus,  itemque  circumdederunt  eum  tubis  et  strepitu 
magno  suburbana  civitatis.  Egressusque  est  Deifobus  filius  Priami 
ad  pugnandum  contra  eos.  Fuit  in  ipso  certamine  grandis  strages 
populi,   et  ceciderunt  de  Grecis  centum  quindecim  milia  et  LUI, 

185  de  Trojanis  ceciderunt  LXX  milia  inde,  ut  populus  recensuit.  Tune 
eum  paucis  qui  remanserant  vulneratus  ab  hostibus  Deifobus  ingres- 
sus est  civitatem;  ab  his  vulneribus  mortuus  est  praefatus  Deifobus, 
sepelieruntque  eum  parentes  sui  juxta  fratres  suos.  Tune  Aeneas  et 
Olixis,    Priami  domestici,  dixerunt  :   «  Eeee  nos  modo  superatos 

1 90  videmus  ;  filii  tui  magnitlci  viri  mortui  sunt.  Audi  consilium.  nostrum  : 
datis  obsidibus  et  mutuo  acceptis  loquam.ur  ad  Agamemnon  regem  et 
sapientes  Graecorum:  clemens  est  enim  ipse  rex;  demusque  eis  munera 
multaet  Helenam  reddamus,  et  recédant  a  nobis.  »  Audivit  itaque 
Priamus  consilium  eorum.  Quo  audito  Agamemnon  consensit  haec 

195  omnia.  At  illi  retulerunt  régi;  audiens  quoque  Alexander  ait  :  «Ante 

163  T  ubi  —  171- 172  M  om.  Tamen  ...  de  manu  ejus  —  17^  ML  stupens 
—  184  M  populorum,  M  et  .iij.  —  185  ML  om.  de  Trojanis  ...  inde  —  186-7 
L  ingressi  sunt  —  189  T  supetratos  —   192  L  om.  enim  —  '93  T   recèdent 


HISTORIA  DARETIS  FRIGIl  14^ 

moriar  quam  Helenam  reddam.  «  Aichimacus  quoque  dixit,  junior 
frater  :  «  Ecce  fratres  mei  viri  egregii,  qui  pugnaverunt  pro  vobis 
et  uxores  vestras  et  thesauros  vestros,  mortui  corruerunt.  et  vos 
hortarrsini  ad  pacem  ?  Nequaquam,  sed  recuperatis  viribus  iterum 

200  bellaturi  erimus.  »  Quibus  auditis  Olixis  et  Aeneas  indignati  sunt. 
Egressus  vero  Olixis  dixit  ad  regem  Grecorum  :  «  Non  consentiunt 
nobis  majores  civitatis,  sed  si  parcitis  nobis^  et  omnia  quae  ad 
nos  pertinere  videntur,  faciemus  ingenium  ut  patrata  Victoria  civitas 
tradatur  in  manus  vestras.  ;>  Quibus  auditis  promiserunt  foedus. 

205  Nocte  média,  fraude  facto  Olixis  et  Aeneae,  signum  inauditum  et 
excogitatum  in  similitudine  capitis  equi  super  murum  apparuit  ;  et 
apertas  portas  urbis,  inruerunt  super  Priamum  et  liberos  ejus,  nec 
pepercerunt  ullam  animam  ex  eis  ;  Helenam  namque  receperunt  ; 
Hectoris    enim   filii  per  aliam  portam  fugerunt   et  liberati    sunt. 

210  Aeneas  quoque  abscondit  in  turrem  urbis  Polixenam  et  Cassandram 
filias  Priami.  Triptolemus  autem  requisivit  Polixenam  pro  qua 
Achilles  pater  ejus  mortuus  fuerat.  Dixitque  Agamemnon  rex:«Ubi- 
namque  est  illa  puella  ?  »  Aeneas  ait  nescire  se.  Olixis  vero  invenit 
eam  et  adduxit  ad  regem.  Dixitque  ad  Aeneam  :  «  Quare  mentitus 

2 1 5  fuisti  pro  hac  puella  i  Recède  cum  omnia  quae  tua  sunt  ab  hac 
urbe.  Non  manebis  illic  amplius.  »  Polixenam  itaque  Triptolemo 
tradidit.  Ille  duxit  eam  ad  tumulum  patris  ejus,  jugulavitque  eam 
ibi,  était  :  «  Recipe  puellam,  pater,  pro  qua  vita  caruisti  :  in  futuro 
uxorem  possideas  eam.  »  Graeci  nempe  ceperunt  Trojam  urbem 

220  et  igné  succenderunt  eam  et  cum  multa  spolia  reversi  sunt.  Aeneas 
vero  curn  Cassandra  filia  Priami  et  omne  familia  sua  veniens  Alba- 
norum  fines,  habitaverunt  ibi 

.  .  .  Famosissimus  gnarus  namque  necnon  saevissimus  belligerator, 
nimirum  enim  superbus  ac  crudelis,  praesidium  Albanorum  ubinunc 

225  magna  Roma  urbs  est  posuit,  qui  tanta  impietate  exarsit  in  super- 
biam  ut  nuUius  proximi  parentis  aut  indigenae  vel  orfani  seu  viduae 
praeter  liberos  aut  crudelissimosconsiliarios  umquam  pepercerit,  qui 
obtantam  impietatem  a  Deo  percussus  interiit.  Julius  Proculus  pro- 
ximusejus  regni  sedem  suscepit,  fundavitque  Juliam  gentem  usque  in 

2  jo  aevum.  Adeo  ad  Pherecidis  indolem  [l.  soboleml  praepropere  reverta- 
mur.  Pherecides  genuit  alium  PYigionem.  Idem  Frigio  sollertissimus 
in  robore  armatoria  extitit,  annos  Lxiii  principatum  gentis  suae  rexit, 
belligerator  validissimus,  cum  vicinis  regionibus  dimicans    usque 


202  ML  a —  203  M  nobis — 206  ML  supra —  207  L  om.  super  —  2i9Mposside 
—  223  L  ignarus,  ML  necnon  et  s.  —  224  M  om.  enim  —  22^  T  posita —  226  M 
nullus  e  proximis  parentibus,  L  indigne  —  227  T  pepercit  —  228  T  interit,  M  apiis 
percussus  aj .  hicto  fulminis  —  230  L  praeponere  —  232  ML  Ixxiij,  T  rex 


144  ^^-    PARIS 

Dalmatiae  fines  procliando  vastavit.  Qui  P^igio  genuit  PYancum  et 

2^5  Vassum  eleganlissimos  pueros  atque  efficaces.  Defuncto  igitur  Fri- 
gione  juniore  genitore  eorum,  itidem  germani  tyrannidem  mutuo 
arripiunt,  arma  bellica  instanter  sumentes,  ad  aciem  saepissime 
nimia  agilitate  proruunt.  Dein  ad  Juliam  properemus  familiam. 
Aventinus  Silvius,  proximus  ejus,  regnum  atque  potentiam  sollerter 

240  suscepit,  regnavit  annos  xxviii.  Ipsebellum  contra  Savinas  instituit 
in  eo  monte  qui  nunc  pars  urbis  est  :  aeternum  loco  vocabulum  dédit, 
et  in  eodem  monte  victor  praevaluit,  et  ex  ea  die  Aventinus  est 
nuncupatus.  Procas  Silvius,  proximus  ejus,  ei  in  regnum  successit, 
et  regnavit  annos  xxiiii.  Face  in  circuitu  patrata,  tributa  ab  Histria 

245  sumpsit,  Cefalaniam  insulam  maris  magni  navali  evectione  proeliando 
vastavit,  et  nonnulla  spolia  detraxit.  Amulius  Silvius  proximus  illius 
successit  pro  eo  in  regnum  et  regnavit  annos  xLiiii.  Numitor,  frater 
ejus  major,  ab  eodem  Amulio  regno  pulsus,  in  agro  facultatis  suae 
solummodo   paterfamilias,    domus    suae   opulentissimae   contentus 

250  absque  regio  honore  extitit.  Filia  quoque  ejus,  a  pueritia  elegans 
valde  ac  décora,  virgo  vestalis  eligitur,  quae  in  incestu  ignominiae 
labefacta  stupri  leconistarum(?}apparuit  ab  imminent!  partu  gravida. 
Quae  cum  septimo  patrui  anno  regni  geminos  edidisset  infantes, 
juxta  legem,  judicante  patruo  rege,  in  terra  viva  defossa  est;  parvulis 

255  quoque  geminis  juxta  ripam  Tyberis  amnis  expositis  culnicis  more 
fiscellae  linitae  (?)  inibi  projecîis  judicio  régis.  Inventique  sunt  a 
Faustulo  pastore  régis  armentario,  qui  acceptis  parvulis  ad  Lauren- 
tinam  uxorem  suam  eos  detulit  :  quos  illa  cum  summa  diligentia 
enutrivit,  quasi  propriis  liberisablactatis  in  loco  filiorum  adoptavit  : 

260  quae  ipsa  Laurentina  propter  pulchritudinem  et  decorem  corporis 
sui  quaestuosi  a  vicinis  suis  lupa  appellabatur^  id  est  meretrix,  unde 
usque  nunc  ad  nostram  memoriam  meretricum  succubae  et  cryptulae 
lupanaria  dicuntur.  Pueri  vero  cum  crevissent  et  adolevissent, 
nimia  austeritate  expediti,  tam  ob  necem  matris  quam   ob  supplan- 

26^  tationem  avi,  collecta  latronum  et  pastorum  manu  nonnulla  magni- 
tudine  et  plurima  multitudine,  consurgentes  super  Amulium  apud 
Albam  interfecerunt. 

Gaston  Paris. 


237  T  sevissimse  —  238  T  proricant  L  proritant,  L  Deinde  —  240  ML 
xxvij  —  243  T  Procassilivus,  M  in  r.  ei  s.  —  244  M  parata  —  246  T  ejus 
—  250  TL  om.  extitit,  L  a  puritiaï  ligatis  —  251  L  décore,  T  vestides  — 
252  L  letonistarum  M  stuprile  comixtarum ,  ML  imminendi ,  T  pastus  M 
partus  —  254-^  T  parvulus,  geminus,  ML  parvulos,  geminos  —  255  ML  con- 
clicis  —  256  M  projecti  sunt  —  258  L  magna  —  262  M  sucube  L  suicube, 
T  ercriptuls  —  264  T  subpantationem  —  267  T  iter  fecerunt. 


ÉTYMOLOGIES 


FRANÇAISES     ET     ROMANES. 


On  s'apercevra  au  premier  coup  d'oeil  que  l'auteur  des  essais  qui 
suivent  n'est  nullement  romaniste.  C'est  en  étudiant  surtout  les  langues 
germaniques  et  le  latin  que  j'ai  fait  ces  remarques  étymologiques, 
dans  lesquelles  les  romanistes  trouveront  peut-être  çà  et  là  des  notions 
qui  leur  seront  utiles.  Mais  je  ne  saurais  suivre  les  mots  romans  à  travers 
tous  les  âges,  à  travers  les  variétés  des  patois,  ce  qu'il  eût  fallu  faire 
pour  traiter  les  questions  d'une  manière  vraiment  scientifique.  Je  ne 
saurais  davantage  indiquer  l'usage  des  mots  par  un  examen  personnel 
des  sources  littéraires  des  diverses  époques  et  des  divers  pays. 

C'est  donc  en  invoquant  l'indulgence  que  je  place  mes  faibles  essais 
sous  les  yeux  des  romanistes. 

BÉTON. 

Nom  vulgaire  du  lait  trouble  et  épais  contenu  dans  les  mamelles  au 
moment  de  l'accouchement.  Selon  Littré,  de  l'anc.  fr.  beter,  cailler,  que 
Diez  rattache  au  flam.  beeten,  haut-ail.  beizen,  faire  mordre,  exercer  une 
action  corrosive. 

Béton  vient,  peut-être,  d'une  forme  antérieure  *beston,  comp.  le  vieux 
haut-ail.  piost,  moy,  haut-ail.  biest  m.  «  colostra,  TcwxcYaXa  »  (voy. 
Grimm,  Deutsch.  Wôrterb.  Il,  5).  Quant  à  la  voyelle,  comp.  trh'e  =  vieux 
haut-ail.  triuwa.  Béton  pour  béton  comme  bétail  pour  bétail. 

BIDON. 

Peut-être  emprunté  au  norois.  L'island.  bidha{B\œrn  Haldorsson  écrit, 
à  tort,  byda),  f.,  signifie  :  «  vas  superne  adstrictum  «.  Comp.  bide,  n., 
baratte,  bidne,  n.  broc,  vaisseau,  dans  les  dialectes  norvégiens. 

BLÊME, 

Très-pâle.  De  là  blêmir  qui  signifiait  dans  l'ancienne  langue  frapper 
(proprement,  faire  des  taches  bleues),  léser,  blesser  et  aussi  salir.  Diez 

Romania,  III  1 0 


146  s.    BUGCE 

le  rattache  au  norois  bl.(mi,  couleur  bleue.  Ce  qui  prouve  que  cette  éty- 
mologic  est  la  vraie,  c'est  le  substantif  norois  bLiman,  fém.,  qui  signifie 
tache  bleue  due  à  un  coup,  à  une  contusion.  liUman  suppose  un  verbe 
blâma,  dont  le  sens,  comme  celui  de  l'anc.  fr.  bksmir,  a  été  :  faire  des 
taches  bleues,  frapper,  léser. 

CARCAN. 

Anciennement  aussi  charcliant,  cherchant,  néerl.  karkant.  Diez  l'a  rat- 
taché justement  au  vieux  haut-ail.  querca,  norois  kverk,  gosier.  Mais  il 
n'en  a  pas  expliqué  la  désinence  -an,  -ant.  J'y  vois  le  germanique  band, 
n.,  lien,  comp.  hau-bans,  ra-ban,  ru-ban.  Le  composé  kverkband  (jugu- 
laire, mentonnière),  se  trouve  en  effet  dans  la  littérature  ancienne  de 
l'Islande.  'Carquebant  ou  *carcbant  a  donc  passé  à  carcanl.  L'omission 
du  b  dans  viorne  =  lat.  viburnum,  nuage,  etc.,  n'est  pas  tout-à-fait 
analogue. 

CHOYER. 

Berry,  chouer,  chuer;  picard,  c/^uer,  parler  bas,  caresser,  c/jo^r,  gratter; 
vieux  fr.  suer^  chuer,  caresser,  flatter  (xiii"  siècle).  «  D'un  radical 
inconnu  »  Littré.  L'it.  soiare,  flatter,  soia,  flatterie,  lequel  a  été  com- 
paré, avec  raison,  par  Littré,  montre  que  suer  est  la  forme  française  la 
plus  antique,  d'où  chuer,  comme  vieux  fr.  chucre=  sucre,  Diez  Rom.  Gr. 
I,  462,  chufler,  chifler  =  sufler,  siflcr.  Le  mot  en  question  est.  ce  me 
semble,  d'origine  germanique.  Choyer,  chuer,  suer,  it.  soiare  est  identi- 
que au  got.  sfithjon,  chatouiller,  voy.  Timoth.  2,  chap.  4,  v.  3  :  suthjon- 
dans  hausein  y.vr/)5[ji.£Voi  xtjv  àxcr)v.  Comp.  bru  =  got.  bruths,  vieux  fr. 
goi  ■=  got.  guth,  Diez,  Gr.  I,  315. 

Dans  l'it.  soiare  le  th  germanique  a  été  traité  comme  le  d  du  lat.  gau- 
dium,  gaudia  dans  l'it.  gioia. 

Pour  le  got.  suthjon,  comp.  Diefenbach  Goth.  Worterb.  II,  p.  288. 

DÉGINGANDÉ. 

Part,  passé  de  dégingander,  donner  un  air  comme  disloqué  à  sa  taille, 
à  son  attitude,  à  sa  marche.  Génev.  degigandé,  Berry  degiguenandé , 
norm.  déguengandé  ;  on  trouve  le  verbe  dehingander  (avec  le  sens  de 
démembrer  ?)  dans  Rabelais.  Littré  rattache  le  mot  à  gigue,  jambe,  mais 
cela  n'explique  pas  assez  le  suffixe  and.  Je  hasarderai  une  autre  con- 
jecture. Le  verbe  dégingander,  norm.  déguengander,  appelle  un  primitif 
gingand,  guengand,  qui  me  semble  identique  avec  l'it.  gânghero,  prov. 
ganguil,  gond.  Le  sens  primitif  serait  donc  faire  sortir  des  gonds.  Dégin- 
gander, dégingandé  est  précisément  l'it.  sgangherare,  sgangherato,  qui  se 
dit  souvent  avec  le  sens  du  mot  français.  Le  d  de  dégingander  est  para- 


ÉTYMOLOGIES    FRANÇAISES  1  47 

gogique^  comp.  allemand,  normand,  Bertrand,  etc.  Vi  de  la  syllabe 
tonique  est  une  modification  d'un  ancien  ai,  a,  comme  il  arrive  souvent 
devant  une  nasale  :  grignon  pour  graignon,  fringale  pour  faimvalle,  chin- 
freneau  pour  chanfreneau,  rinceau  pour  rainceau  =  lat.  ramicellus,  etc. 
L'n  de  la  seconde  syllabe  y  est  entré  par  une  assimilation  ;  il  se  trouve 
aussi  dans  le  milan,  canchen  =  it.  ganghero,  d'où  le  à.vcnm\x(\{  cancanin, 
canchenin  et  le  verbe  scanchinà  =  it.  sgangherare.  L'initiale  gue  en  norm. 
est  plus  originaire  que  gi,  comp.  givre  pour  guirre,  gibelet  =  ancien  fr. 
guibelet,  girofle  =  lat.  caryophyllum. 

DRÊCHE. 

Résidu  de  l'orge  concassée  qui  a  servi  à  faire  de  la  bière,  vieux  fr. 
drasche.  La  forme  de  ce  mot  ne  nous  permet  pas  de  l'identifier  avec 
drague,  orge  cuite  qui  demeure  dans  le  bassin  après  qu'on  a  cuit  la 
bière  ■=  norois  dregg  ï.,  angl.  dregs,  ancien  pruss.  dragios).  Selon  Diez 
drêche  dérive  du  vieux  haut-ail.  drescan,  ail.  mod.  dreschen,  battre  le 
blé  en  grange.  Mais  en  allem.  on  ne  rencontre  aucun  dérivé  du  verbe 
dreschen  qui  ait  le  sens  du  fr.  drêche.  Dreschen  se  retrouve  en  vieux  fr. 
sous  la  forme  îrescher. 

Or  l'ail,  mod.  trester,  pi.,  peut  signifier  résidu  de  l'orge  concassée,  plus 
souvent  résidu  des  grappes  pressurées.  Cela  nous  explique  l'origine  du 
substantif  français.  Drêche  répond  régulièrement  à  un  mot  ail.  drastja, 
drestja  du  même  sens,  que  nous  retrouvons  dans  l'anglo-saxon  dsrsîe, 
f.,  «  faex  »  (comp.  dresten  «  faeces  »),  vieil  ang.  drastes,  pi.,  résidu  des 
grappes  pressurées,  vieux  haut-ail.  trestir,  ail.  mod.  trester,  moy.  haut- 
ail,  trest,  n.,  suiss.  tràst,  tràsch.  Fick  en  rapproche  avec  raison  le  vieux 
slav.  drosîija,  n.  pi.,  «  faex»  (voy.  Zeitschrift f .  vergl.  Sprachforsch.,  de 
Kuhn,  XXI,  4). 

FAGUENAS. 

Masc,  odeur  rebutante  qui  sort  d'un  corps  échauffé.  «Origine  incon- 
nue» Littré.  Je  conjecture  que  faguenas  est  une  metathèse  pour  fanegas, 
comp.  vieux  fr.  talevas  pour  tavelas;  omelette,  anciennement  amelette  selon 
Littré  pour  alemette  ;  étincelle  =  lat.  scintilla.  Le  primitif  est  probable- 
ment identique  au  vieux  haut-ail.  fnehan,  moy.  haul-aW.  phn  eh  en  «  anhe- 
lare  »,  bavar.  pfnechen,  d'où  pfnackeln  «  puer  »,  pfnàckl  u  odeur  rebu- 
tante. »  Les  Français  ne  pouvaient  prononcer  l'initiale  germanique  /)/ 
iphn),  et  c'est  pourquoi  ils  y  inséraient  un  a,  comp.  fr.  hanap  =  vieux 
haut-ail.  hnapf,  harangue  =  vieux  ail.  hring,  canif  =  ail.  mod.  kneif,  ca- 
napsa  =  alL  mod.  knapsack.  L'aspirée  h  est  remplacée  en  fr.  par  un  g 
comme  dans  agacer  =  vieux  haut-ail.  hazjan,  dans  le  popul.  agonir, 
injurier,  pour  ahonir. 


148  s.    BUGCE 

FRIME. 

«  Etymologie  inconnue  «  Scheler.  Le  mot  est  certainement  identique 
avec  le  lat.  forma  ;  frime  et  forme  sont  des  doublets.  L'ancienne  forme  de 
frime  est  frume.  Forma  est  devenu  frume  de  même  que  formosus  devenait 
en  valaque /rumo5.  Pour  la  métathèse  comp.  fromage,  Fréjus,  ancien  fr. 
fremer,  etc. 

Frimousse,  autrefois /nmou5«,  n'est  pas,  je  crois,  composé  de  frime  ei 
du  mot  vieilli  mouse,  face,  mais  vient  du  \at.formosa;  avec  le  même 
suffixe  sont  formés  les  substantifs  pelouse  =  lat.  pilosa,  ventouse  =  lat. 
ventosa. 

La  voyelle  irrégulière  u  est  due  à  l'influence  de  Vm.  Elle  appartenait, 
selon  M.  J.  Storm,  au  commencement  à  la  syllabe  non  tonique  de  *fru- 
mouse,  frimousse  ;  plus  tard  elle  se  glissa  aussi,  par  l'influence  de  l'ana- 
logie, dans  la  syllabe  tonique  de  frume,  frime. 

Quant  au  sens,  le  fr.  pour  la  frime  répond  à  l'it.  per  forma.  Déjà  en 
bas-lat.  forma  signifiait  faciès,  vultus  (voy.  Ducange),  de  même  que 
frime  est  synonyme  de  «  mine  »  et  que  frimousse  a  le  sens  de  «  visage.  ;> 
Frime  se  dit  aussi  d'une  grimace,  d'une  contorsion  du  visage  ;  or  le  grec 
a  d'une  manière  analogue  modifié  le  sens  de  ;j.scç-r,  :  -J;cr,[j,évo'.  Sést  ic  wv 
iv.eirq  [ko^^^olÇei  Ael.  «  les  grimaces  de  la  chouette.  «  Pour  le  rapport 
d'idée  entre  «  forme  »  et  «  semblant,  »  «  feinte  »,  dans  le  fr.  frime  on 
peut  comparer  le  moyen  grec  ixipçcov  «  simulator  »  (voy.  le  dictionnaire 
de  Sophocles;. 

FRIPER. 

Diez  le  tire  de  l'isl.  hripa,  «  tumultuarie  agere.  »  Cette  étymologie 
n'est  pas  assez  appuyée.  L'éminent  philologue  allemand  ne  pouvait  pour 
les  mots  de  la  langue  ancienne  Scandinave  profiter  d'autres  dictionnaires 
que  de  celui  de  Biœrn  Haldorsson,  lequel  contient  beaucoup  de  termes 
en  partie  exclusivement  néo-islandais,  en  partie  d'une  autorité  douteuse 
Selon  l'excellent  kelandic-English  dictionary,  publié  à  Oxford  par  M.  Vig- 
fusson,  hripa  n'est  que  néo-islandais  et  signifie  «  écrire  avec  grande 
hâte  '),  proprement  «  avoir  des  trous  par  où  l'eau  coule  abondamment.  » 
Le  primitif  en  est  hrip  sorte  de  corbeille,  d'où  la  locution  thadh  er  eins  og 
adh  ausa  vatni  i  hrip  «  c'est  tout  comme  si  on  verse  de  l'eau  dans  un  ton- 
neau percé,  »  fig.  d'une  action  trop  hâtée.  Il  n'y  a  donc  rien  de  commun 
entre  l'isl.  hripa  et  le  fr.  friper. 

Friper  et  foupir,  chiffonner^  dérivent  du  vieux  fr.  frepe,  ferpe,  felpe, 
feulpe,  feupe,  qui  veut  dire  chiffon  et  aussi  frange,  norm.  feupes,  mauvais 
vêtements. 

Frepe  est,  selon  moi,  identique  au  lat.  fîbra,  lambeau,  extrémité,  fibre, 


ÉTYMOLOGIES    FRANÇAISES  I49 

filament,  lequel  a  de  l'affinité  avec  fimbria,  frange.  Pour  le  passage  du 
sens  il  n'y  a  pas  de  difficulté.  Pour  la  métathèse  du  r  il  suffit  de  men- 
ùormer  frange  =  lat.  fimbria,  Brancas  =  Pancratius,  tremper  =  iemperare. 
P  au  lieu  du  lat.  b  se  trouve  aussi  dans  ensouple  =  insubulum. 

L'acception  originaire  de  friper  est  :  chiffonner;  de  là  gâter  par  usure, 
consumer;  enfin  manger  goulûment. 

L'it.  esp.  portug.  felpa,  dans  les  patois  pelpa,  pelfa,  felba,  sorte  de 
peluche,  semble  identique  au  vieux  fr.  felpe,  ferpe,  frepe,  chiffon,  frange  ; 
comp.  le  bourg,  poil  feulpin,  «  duvet,  première  barbe   » 

GALIPOT. 

Résine  qui  coule  du  pin.  «  Origine  inconnue  »  Littré,  Scheler.  Le 
mot  est  issu  de  l'ail,  klibe,  «  gummi,  lacrima  arborum,  »  qui  se  lit  dans 
un  glossaire  (imprimé  an  1 5 17)  de  mots  recueillis  en  Anhalt  et  à  Leipsick 
(voy.  Grimm-Hildebrand  Deutsch.  Wœrterb.,  V,  1157);  on  trouve  en 
même  sens  kliber,  bas-ail.  kl iwer  dans  la  Poméranie,  néerl.  klibber  n.  (V, 
1050).  La  source  de  ces  mots  est  le  moy.  haut-ail.  kliben  «  haerere.  « 
Pour  l'insertion  de  1'^  dans  galipot,  comp.  canifs  ganivet,  canapsa,  dau- 
phin, ei-calambrd,  esp.  calambre  {moy .  haut-ail.  klamphern),  it.  calabrone. 
Le  g  y  est  une  modification  du  k  de  même  que  dans  ganivet,  glouteron, 
gletteron  {souah.  kletter,  î.  Grimm-Hild.  Deutsch  IVtb.,  V,  1152),  etc.' 
Le  p  du  fr.  galipot  se  rapporte  à  une  forme  du  haut-allemand  ;  comp. 
bavar.  klspig,  kleppig  =  klebig  [Deutsch.  Wtb.,  V,  1042).  Quant  aux  con- 
sonnes l'autrich.  gleppe  Tpcur  klebe)  «  glouteron,  »  est  analogue  au  fr. 
galipot. 

GIBELET. 

Masc,  petit  foret;  ancien  guibelet,  guimbelet,  norm.  vimblet,  lanère. 
Des  mots  pareils  se  trouvent  dans  beaucoup  de  langues  :  bas-bret.  gwime 
let,  foret,  irl.  gimeleid,  angl.  gimlet,  gimblet  et  wimble  foret  (to  wimhle, 
forer)^  ancien  néerl.  wimpel.  A  quelle  langue  appartiennent  donc  origi- 
nairement ces  mots.?  M.  Mone  dans  VAnzeiger  fiir  Kundc  der  tcutschen 
Vorzeit,  1837,  p.  1^1-154,  a  publié  en  partie  un  glossaire  des  mots 
latins  expliqués  en  latin  ou  en  anglo-saxon  d'après  un  manuscrit  du 
ix«  siècle,  venu  de  l'abbaye  de  Moyen-Moutier  à  Epinal.  Ce  glossaire 
est  très-important  tant  pour  les  langues  néo-latines  que  pour  la  langue 
anglo-saxonne;  il  mérite  une  nouvelle  édition,  d'autant  plus  que  M.  Mone 
n'en  a  publié  que  les  parties  qui  touchent  les  mots  anglo-saxons.  Le 
n°  926  en  est  :  vimbrat,  borettit.  D'après  un  manuscrit  moins  correct  du 
ix«  siècle  à  Erfurt,  le  même  glossaire  a  été  publié  dans  les  Ncue  Jahrbii- 
cher  fiir  Philologie  und  Pddagogik,  1  jter  Supplementband  (1847).  La 
glosse  citée  y  est  ainsi  conçue  :  vibrât  et  dirigat,  boretit.  L'anglo-saxon 


150  s.    BUGGE 

borettan  signifie  forer;  pour  et  dirigat  il  faut  peut-être  corriger  terebrat. 
Ainsi  s'explique  facilement  l'origine  du  fr.  gibelet. 

Vimbrare  est  une  forme  nasalisée  du  lat,  vibrare,  comp.  fr.  Embrun  = 
Kburodunum,  prov.  senibeii  =  sabellinus,  etc.  (voy.  Diez,  Rom.  Gr.,  I, 
305).  Le  sens  <(  vibrer,  branler,  tourner,  »  du  lat.  vibrare  a  passé  à 
«  forer,  »  comme  en  ail.  drillen  signifie  tourner,  mais  aussi  forer,  et 
comme  en  grec  xéptîTsv  est  expliqué  par  Hésychius  erpoi^ev  et  aussi 
èxipvwcTî.  L'r  du  néo-lat.  vibrare  forer,  vimbrare  a  été  changée  en  /  ; 
'vimblare,  angl.  to  wimble.  Ce  verbe-ci  est  le  primitif  du  subst.  gibelet, 
guibelet,  guimbelet  de  même  que  forer  est  le  primitif  du  subst.  foret.  Pour 
le  changement  du  lat.  vi  en  gui,  gi,  comp.  par  ex.  givre,  guivre  =  vipera. 

GIFLE. 

Fém..,  anciennement  joue;  aujourd'hui  tape  sur  la  joue.  Grandga- 
gnage  l'a  rattaché  justement  à  l'ail,  kiefer,  mâchoire.  Des  formes  avec  / 
se  trouvent  aussi  en  allemand  :  kiefel,  kifel,  kiffel,  «  maxilla,  mala, 
(«  zusammengefallene  kùfel  «),  mentum,  gingiva,  branchia  n  (Grimm- 
Hildebrand,  Deutsch.  Worterb.,  V,  66^).  Les  formes  des  patois  français 
qui  ne  présentent  pas  d'/  dans  la  désinence  ^vallon,  chife,  joue,  Hai- 
naut  guife,  visage,  Nam.  gife,  gifle)  tiennent  à  la  forme  haut-ail.  mod. 
kiife,  f.  maxilla,  bas-ail   kiffe  [Deutsch.  Worterb.^  V,  66-^). 

GINGUET.   GRINGALET. 

Gringalet,  subst.  m.,  homme  faible  de  corps  et  grêle;  à  Genève  on 
l'emploie  adjectivement.  Dans  les  trouvères  guingalet  ou  gringalet  désigne 
surtout  un  petit  cheval,  guingalet  est  la  forme  la  plus  originaire;  comp. 
pour  l'r  parasite  fronde  =  lat.  funda,  fringale  pour  faimvalle,  vrille  autre- 
fois ville.  Guingalet  contient  évidemment,  comme  le  croit  Scheler,  le  même 
radical  qui  a  donné  ginguet  adj.  sans  force  (particulièrement  d'un  petit 
vin),  étroit,  mince.  Ménage  a  la  forme  guinguet  avec  la  même  initiale  que 
guingalet,  et  Littré  cite  gingealet  comme  forme  usitée  à  Genève  pour 
ginguet.  Après  cela  la  connexité  entre  gringalet  et  ginguet  ne  peut  être 
douteuse.  L'origine  du  radical  guing  n'est  pas  expliquée.  La  source  en 
est  probablement  germanique  :  got.  vainags  misérable,  vieux  haut-ail. 
wênag  misérable,  chétif,  mince,  petit,  moy.  ail.  wênig,  winig  petit,  ail. 
mod.  wenig,  dans  le  patois  de  Wetterau  wink. 

GUIDER. 

Prov,  guidar,  guizar,  guiar,  esp.  et  pg.  guiar,  it.  guidare.  Diez  le  rat- 
tache au  got.  ritan,  observer,  garder.  «  C'est  le  sens  surtout  qui  fait 
l'objection  »  Littré.  L'origine  germanique  est  garantie  par  le  fr.  guidon 
((  étendard,  banderole,  marque,  »  qui  répond  précisément  au  norois  viti 


ÉTYMOLOGIES    FRANÇAISES  1  5  1 

«  marque,  indice,  >>  d'où  vedhr-viti  girouette,  qui  indique  la  direction  du 
vent.  K/7/est  dérivé  du  verbe  vita  (==  got.  vitan)  dans  le  sens  de  signi- 
fier, présager,  indiquer.  Il  faut  supposer  la  même  acception  pour  d'autres 
langues  germaniques,  auxquelles  les  nations  néo-latines  ont  emprunté  le 
mot.  Ainsi  le  sens  primitif  de  guider  est  :  «  indiquer  (la  direction,  le 


chemin).  » 


GUILLEDOU. 


Usité  seulement  dans  la  locution  :  courir  le  guilledou,  aller  la  nuit  dans 
des  lieux  suspects.  Au  même  sens  s'est  dit  autrefois  courir  le  garou,  d'où 
garouage;  chez  Perrin  on  trouve  : 

Ce  coureur  de  garouage, 
Ce  trotteur  de  guilledou. 

Garou,  aujourd'hui  loup-garou,  est  l'anglo-saxon  wenvulf,  moy.  haut- 
ail,  werwolf,  ail.  mod.  wàfmvolf  et  signifiait  un  homme  qui  rôde  la  nuit 
transformé  en  loup,  littéralement  homme-loup.  Le  même  mot  ou,  ail. 
wolf,  norois  ùlfr,  loup,  se  trouve  également  dans  les  noms  propres  Rou, 
Marcou,  Thiou,  Raoul,  etc.  Il  faut  donc  expliquer  d'une  manière  analo- 
gue le  mot  guilledou.  C'est  un  terme  mythique  du  paganisme  germanique  : 
guilledou  répond  à  un  mot  norois  *kveldûlfr,  haut-ail.  "chwiiîiwolf,  "kiltwolf, 
c'est-à-dire  un  homme  qui  se  transforme  en  loup  depuis  le  coucher  du 
soleil.  Dans  cette  composition  entre  le  norois  kveld,  l'espace  de  temps 
depuis  le  déclin  du  jour  jusqu'à  minuit,  haut-ail.  kilt,  les  dernières  heures 
du  soir,  temps  de  la  nuit;  un  diplôme  de  l'an  817  nous  donne  le  com- 
posé chwiltiwerk  (Grimm-Hildebrand,  Deutsch.  Wœrierb.,  V,  704  s.). 

Du  mot  que  nous  supposons,  'kiltwolf,  *kveldùlfr,  loup-garou,  il  reste 
des  traces  aussi  chez  les  nations  germaniques.  Dans  le  conte  islandais 
Egils  saga  il  est  dit  d'un  Norvégien,  nommé  Ulfr,  Loup,  que  depuis  le 
décHn  du  jour  il  avait  sommeil  et  qu'il  était  alors  si  brusque,  que  per- 
sonne n'osait  lui  parler.  On  disait  qu'il  avait  le  don  de  se  transformer. 
Il  fut  nommé  Kveldùlfr,  c'est-à-dire  «  Loup-de-soir.  »  Il  est  évident  que 
l'ancien  auteur  se  représente  Kveldulf  comme  un  loup-garou. 

Dans  le  polyptyque  de  l'abbaye  de  St-Rémi  de  Reims  ^ix^  siècle},  pu- 
blié par  Guérard,  se  trouve  p.  44  le  nom  Quidulf  (je  le  cite  d'après 
M.  Fœrstemann).  Ne  serait-ce  pas  plutôt  Quildulf?  Werwolf  était  égale- 
ment usité  comme  nom  propre  chez  les  Allemands.  Guilledou  doit  donc 
être  emprunté  aux  Francs.  Pour  le  sens  figuré  de  ce  mot  il  est  bon  de 
remarquer  que  l'ail,  kilt  est  employé  aujourd'hui  surtout  quand  on 
parle  des  visites  nocturnes  rendues  par  les  jeunes  paysans  à  leurs  mai- 
tresses. 

\Jr\  gu  initial  au  lieu  d'un  k(kw)  germanique  paraît  aussi  dans  d'autres 
mots  français  :  guingois,  travers,  inégalité,  est  rattaché  par  Diez  au 


I  52  s.    BUCGE 

norois  kengr  «  curvatura.  »  Guilleri,  chant  du  moineau,  peut-être  pour 
guidderi  (à  peu  près  comme  Giles=-Aegidius;  cigale  =  cicada;  it.  ellera, 
prov.  elre  =  liederii),  comp.  suéd.  (ji/ittra  gazouiller,  dan.  kviddre,  écoss. 
quitter,  aussi  dans  les  patois  ail.,  voy.  Grimm-Hildebrand  Deutsch.  Wtb. 
V,  867;  Diefcnbach  Gotli.  Wtb.  II,  477. 

Il  y  a  une  prononciation  analogue  gwelt  pour  kilt  dans  un  patois  alsa- 
cien (Deu/^c/i.  Wtb.,  V,  705). 

Pour  l'c  épenthétique  de  guilledou,  comp.  guilledin  =  anglo-saxon 
gelding,  norois  geldingr.  Le  picard  guilledon  (=  guilledou)  est  peut-être 
un  changement  d'une  forme  antérieure  guilledol. 

CUILLER. 

Fermenter,  en  parlant  de  la  bière.  Scheler  croit  que  c'est  une  contrac- 
tion pour  guesiller;  Littré  invoque  le  bas-bret.  goel  fermenter.  Une  autre 
combinaison  parait  plus  évidente. 

Cuiller  est  emprunté  au  holl.  gijlen  fermenter,  de  la  bière.  Ce  mot  a 
dans  les  langues  germaniques  une  nombreuse  parenté,  dont  le  sens  est 
varié  et  l'apparition  ancienne.  Voilà  pourquoi  le  mot  hollandais  ne  peut 
être  emprunté  au  français.  Gijlen  signifie  aussi  figurativement  désirer 
ardemment.  De  la  même  racine  le  subst.  gijl  n.,  bière  non  fermentée, 
chyle;  l'adj.  gijl  non  fermenté;  dans  l'Angleterre  septentrionale  guilefat, 
tonneau  où  la  bière  guille.  Déjà  au  xiii"  siècle  le  substantif  gz7  se  trouve 
en  Norvège,  où  il  a  été  introduit  probablement  par  des  marchands  hol- 
landais. F^our  gijlbier  gijlkuip  se  trouvent  aussi  geilbier,  geilkuip  dans  les 
dictionn.  holl.  Diefenbach  {Goth.  Wœrterb.,  II,  580)  croit,  avec  raison, 
que  gijl  est  de  la  même  racine  que  le  holl.  et  ail.  geil,  «  lascif,  inconti- 
nent »  le  got.  gailjan  «  réjouir.  »  Comp.  le  moy,  haut-ail.  gîlen  «  être 
insolent,  railler  »  (voy.  Lexer,  I,  1015). 

Aussi  en  cambr.  on  rencontre  gil  fermentation  (comp.  Diefenbach, 
Goth.  Wœrterb.,  II,  382,  404);  mais  dans  le  bas-bret.  goel  l'initiale  est 
pour  w. 

HANCHE. 

H  aspirée,  it.  esp.  portug.  prov.  anca.  Selon  Diez  du  vieux  haut-ail. 
ancha  «.  occipitium  «  et  aussi  «  tibia,  crus.  0  II  regarde  le  fr.  anche, 
tuyau,  et  hanche  comme  originairement  identiques.  Cette  étymologie  est 
acceptée  par  MM.  Littré  et  Scheler  et  aussi  par  M.  Heyne  dans  le 
Deuîsches  Wôrterbuch.  Je  ne  partage  pas  l'avis  de  l'excellent  étymologiste 
allemand. 

Diez  remarque  lui-même  que  la  forme  aspirée  se  trouve  aussi  en  ger- 
manique :  fris,  hanche,  hencke  (dans  Kilian).  Je  citerai  aussi  l'ail,  mod. 
hanke,  hanche  d'un  cheval  (voy.  Grimm-Heyne,  Deutsch.  Worterb.,  IV, 


ÉTYMOLOGIES    FRANÇAISES  I  5  5 

2,  p.  455).  Kuhn  {Zeitschr.  fur  vergleich.  Sprachforsch.,  III,  451)  expli- 
que le  bas-ail.  hanke  par  «  der  obère  theil  ara  hinterfusse  des  pferdes.  » 
De  là  le  diminutif  tirol.  henkel,  cuisse  {Deutsch.  Wth.,  b.  c). 

L'identité  de  l'ail,  hanke  et  du  fr.  hanche  n'est  pas  douteuse.  Mais  ce 
mot  est  tout-à-fait  différent  du  vieux  haut-ail.  ancha,  fr.  anche.  Le  pri- 
mitif de  hanke  est,  comme  le  dit  M.  Kuhn,  le  moy.  haut-ail.  hinken, 
hank,  hunken,  boiter,  de  même  que  l'ail,  schenkel,  cuisse,  et  l'anglo-sax. 
sccinc  sont  dérivés  d'un  verbe  synonyme  'skinkan,  'skank. 

HOUPPELANDE. 

{H  aspirée.)  L'origine  du  mot  est  restée  jusqu'ici  obscure.  Huet  le 
tire  de  Upland,  province  suédoise.  Nous  pouvons  bien  excuser  cette 
explication  du  savant  évêque  d'Avranche,  comme  un  souvenir  de  son 
séjour  en  Suède,  mais  nous  ne  pouvons  y  voir  une  étymologie  vraiment 
scientifique. 

La  forme  houppelande  se  trouve  dès  le  xiv®  siècle  (voy.  Littré)  ;  on 
écrivait  aussi  houpelande,  hopebnde.  Entre  les  formes  bas-latines  don- 
nées par  Ducange  je  cite  surtout  opelanda  (^Annal.  Mediol.  ap.  Muratori, 
XVI,  col.  803),  oppellanda  (Cepitulum  générale  S.  Victoris  Massil.  ann. 

IJ78). 

Le  primitif  en  est  peut-être  le  lat.  palla.  La  palla  était,  comme  la 
houppelande,  un  vêtement  long,  non  ajusté  à  la  taille,  souvent  brodé, 
que  l'on  mettait  par-dessus  son  habit;  Martiale  nomme  la  palla  comme 
un  vêtement  des  Gaules. 

Je  suppose  un  verbe  dérivé  'oppallare,  qui  a  signifié  couvrir  d'une 
palla.  Je  n'ai  trouvé  ce  verbe  dans  aucun  écrivain  latin,  mais  il  est  assez 
assuré,  d'un  côté  par  des  verbes  tels  que  ohsignare,  obserarc,  obumbrare, 
oblaqneare  fTertull.),  obnubilare  (Aulu-Gelle,  Appui. j  et  surtout  opal- 
liare,  obnubilare,  Glossar.  ap.  Mai,  Class.  auct.,  VIII,  403,  de  l'autre 
côté  par  depallare  dans  Tertullien.  Du  verbe  "oppallare  aurait  été  dérivé 
le  substantif  néo-latin  "oppallanda,  comp.  fr.  guirlande,  offrande,  viande,  etc. 
(voy.  Diez,  Gr.  II,  378).  'oppallanda  est  le  fr.  houppelande. 

Quant  à  \'h  aspirée,  on  connaît  d'autres  mots  pourvus  d'une  h  aspirée 
contrairement  à  leur  étymologie  :  haut  (altus),  hérisson  (ericius),  huppe 
(upupa. ,  hulotte  (ulula),  hurler  ululare),  houlette  selon  Scheler  du  lat. 
agolum),  hanter  [st\on  Sc\\t\tï  ambitare).  C'est  peut-être  sous  l'influence 
du  mot  houppe,  que  l'on  a  aspiré  houppelande.  Pour  la  voyelle  ou  comp. 
oublier. 

L'espagn.  sopalanda  et  le  portug.  opalanda  tiennent,  sans  doute,  aufr. 
houppelande,  mais  1'^  initiale  du  mot  espagnol  fait  difficulté.  Doit- 
on  y  voir  le  préfixe  lat.  sub  t'  comp.  le  rapport  de  l'esp.  sombra  au  fr. 
ombre.  Il  n'y  a  aucune conne\\léemrekpon.  opalanda  ç\.opa[=fr.  aube). 


I  54  s.    BUGGE 

On  a  rattaché  le  fr.  houppelande  à  un  mot  ital.  pelanda  ou  pelando  ou 
palando.  Je  ne  connais  que  la  forme  pelanda,  synonyme  du  fr.  houppelande, 
dans  le  dictionnaire  milan,  de  Cherubini  ;  comp.  Mussafia,  Zur  Kundc  der 
nordit.  Mundartcn,  p.  86.  Le  mot  espagnol,  le  mot  portugais,  le  mot 
milanais,  sont-ils  empruntés  au  français?  Nous  ne  saurions  décider  ce 
point. 

Ducange  cite  un  mot  pellarda  fpaWu  seu  tunicae  species;  d'après  un 
Chron.  Placent,  ad  ann.  1 588  apud  Murât.  XVI,  col.  580  et  d'après  un 
Chron.  Bergorn.  ibid.,  col.  945.  Pellarda  semble  dérivé  de  p alla  à  l'aide 
du  suffixe  arda. 

Je  citerai  enfin  l'it.  palandra  «  vestito  d'uomo  con  molta  falda,  »  pa- 
landrana,  palandrano  «  veste  lunga  e  larga,  »  le  fr.  balandran,  balandras. 
Schuchardt  (voy.  Zeitschr.  fur  vergleichende  Sprachforsch.,  publ.  par  Kuhn, 
XX,  270]  les  tire  du  lat.  balatro,  it.  balandron,  balandrà  dans  les  patois, 
fripon,  fainéant,  vagabond.  Cela  me  semble  douteux. 

LANIÈRE. 

Courroie  longue  et  étroite.  D'après  Scheler,  de  lanarius,  qui  est  fait 
de  laine  (de  lana,  laine)  ;  le  sens  rend  cette  étymologie  peu  vraisem- 
blable. Littré  voudrait  rattacher  le  mot  en  question  à  laniare,  déchirer  ; 
mais,  comme  le  remarque  Scheler,  le  suffixe  y  fait  obstacle.  Le  primitif 
en  est  certainement  le  lat.  lacinia,  coin  d'une  robe,  languette,  lambeau, 
«  particula  resecta  et  separata.  «  D'un  prototype  lacïnïâria  provient 
régulièrement  lasniere,  comme  on  écrivait  au  xiii^  siècle,  enfin  lanière  '. 

MANDRIN. 

Maso.  «  Origine  inconnue  »  Littré,  Scheler.  Dans  Paulus,  l'abrévia- 
teur  de  Festus  (éd.  MùUer,  p.  132),  se  trouve  la  glosse  suivante  : 
Mamphur  appellaîur  loro  circumvolutum  mediocris  longitudinis  Ugnum  rotun- 
dum,  qnod  circumagunî  fabri  in  operibus  tornandis.  Selon  moi  mamphur  esl 
le  primitif  du  fr.  mandrin,  lequel  est  issu  d'un  prototype  *mamfurlnum  ou 
"manfurJnum.  De  la  même  manière  coussin  pour  "culcitlnum  a  remplacé 
son  primitif  lat.  culcita.  Manfrin,  manrin  a  régulièrement  passé  en  man- 
drin, comp.  poudre  pour /jo/'re,  polv're,  ladin  cusdrin  =  bas-lat.  cossofre- 
nus,  lat.  consohrinus. 

Le  sens  du  mot  français  est  essentiellement  le  même  que  celui  du  mot 
latin.  Comparez  parmi  les  nombreuses  acceptions  de  mandrin  surtout  celles 
que  je  citerai  ici  d'après  Littré  :  «  2°  Terme  de  tourneur.  Morceaux  de 
»  bois  de  différentes  formes,  entre  lesquels  on  fait  tenir  les  ouvrages 


1.  Sur  le  V.  fr.  lasnc  =  lacinia,  primitif  de  lasniere,  et  le  dimin.  lasnete,  voy. 
Remania,  III,  113. 


ÉTYMOLOGIES    FRANÇAISES  I  5  5 

»  délicats,  qui  ne  peuvent  être  tournés  entre  les  pointes.  ^°  Cylindre  de 
»  bois  sur  lequel  l'artificier  et  le  canonnier  roulent  le  papier  des  cartou- 
»  ches.  4"  Cylindre  de  fer  sur  lequel  on  contourne  une  ferrure.  7°  Outil 
»  qui  sert  à  tourner  certaines  pièces  d'horlogerie.  » 

L'origine  du  lat.  mamphur  est  douteuse.  Scaliger  le  dérive  du  grec 
(xavvoçopov^  conjecture  plus  ingénieuse  que  vraisen^.blable.  Je  hasarderai 
une  autre  étymologie.  La  signification  primaire  doit  être  :  outil  qui  sert 
à  tourner.  Mamphur  est  certainement  une  mauvaise  orthographe  pour 
mamfur,  comme  scropka,  sulphur  pour  scrofa,  sulfur.  Mamfur  me  semble 
dérivé  d'une  racine  mamf,  tnanf,  tourner  ;  comp.  pour  le  suffixe  fulgur. 
Matnf,  manf  est  peut-être  le  changement  d'une  forme  antérieure  mandh, 
de  même  que  inferus  est  issu  d'une  forme  originaire  andhara-s,  skr. 
adhara-s.  Cette  racine  se  retrouve  dans  le  skr.  manth,  math,  tourner, 
remuer;  gr.  [xc6o'jpaç*  xàç ).a6à(; xûv-y.wTïwv  Hésychius,  jj.cOoç,  lit.  men- 
taré,  battre  à  beurre;  vieux  slav.  meta,  TapâT-rw;  norois  mondull,  man- 
dull,  manubrium  quo  mola  circumagitur.  Voy.  Fick  Vergleichendes  Wôr- 
terb.  der  indogerm.  Sprachen,  p.  145. 

MARAUD. 

Homme  de  rien.  L'origine  de  ce  mot  n'est  pas  encore  établie  malgré 
les  efforts  de  beaucoup  d'excellents  étymologistes.  Au  xv^  siècle  on  trouve 
la  forme  marault.  Comme  chaud,  ancien  chault,  est  issu  du  lat.  caldus, 
ainsi  maraud,  marault  demande  une  forme  antérieure  maraUio.  Maraud 
est  donc  certainement,  comme  Diez  l'a  proposé  finalement,  formé  par  le 
suffixe  péjoratif  aldo. 

Maraud,  *maraldo  est,  selon  moi,  changé  par  dissimilation  d'une  forme 
intérieure  "malaUio,  dérivé  du  lat.  malus;  mal  se  trouve  plusieurs  fois  en 
français  sous  la  forme  mar  :  margouletîe,  popul.,  mâchoire;  ancien  fr. 
marvoyer,  et  ailleurs.  La  forme  avec  r  est  surtout  naturelle  quand  la  syl- 
labe suivante  a  un  /,  comp.  ancien  fr.  werpill  =  vulpecula;  mcrancolie 
(xiv''  et  XV*  s.);  esp.  escarpclo  =  scalpellum. 

Plusieurs  mots  formés  avec  le  suffixe  aldo,  aud  sont  dérivés  d'adjectifs  : 
it.  cortaldo,  prov.  ricaut,  fr.  richaud.  L'étymologie  que  j'ai  donnée  ici 
convient  très-bien  à  la  notion  de  maraud.  L'ancien  marault  signifiait  pau- 
vre gueux;  l'ail,  marode,  mot  évidemment  tiré  d'une  langne  romane,  a 
le  sens  de  fatigné,  de  las;  en  ladin  marodi  et  dans  le  dialecte  de  Côme 
maro  signifient  maladif.  Pour  «  maladif  »  les  langues  romanes  emploient 
plusieurs  mots  qui  se  rattachent  au  lat.  malus  :  it.  malito,  esp.  mahico,  etc. 
Pour  l'emploi  de  marodi,  marô  comme  adjectif,  comp.  fr.  nigaud,  ribaud, 
ancien  fr.  chipault,  prov.  ricaut,  etc. 

MATELOT. 

«  L'étymologie  la  plus  vraisemblable  est  le  holl.  maat,  compagnon, 


1^6  s.    BUGGE 

»  d'où,  par  une  dérivation  non  sans  difficulté,  matelot.  On  manque  de 
"  textes  qui  montrent  que  le  simple  ait  existé  en  français,  ce  qui  augmente 
))  le  doute  »  Littré. 

Il  est  donc  permis  de  proposer  une  autre  étymologie.  Matelot  vient 
peut-être  du  norois  mo/u/i^u/r,  matunautr,  compagnon  de  table  ^=rmoy. 
haut-ail.  maz-ficnôze),  lequel  est  synonyme  du  holl.  maat  et  qui  se  dit  le 
plus  souvent  de  l'équipage  d'un  navire.  Le  personnel  de  bord  se  formait 
en  plusieurs  môtuncyti  ou  compagnies  de  tables.  Selon  moi  il  faut  sup- 
poser une  forme  antérieure  maîenoîK  Comparez  pour  le  changement  du 
n  en  /,  gonfalon,  orphelin,  etc.  Dans  matelot  ce  changement  serait  dû  au 
m  du  mot,  de  même  que  dans  it.  meliaca  =  lat.  armeniaca,  témolo  = 
lat.  thy minus. 

PANARD. 

Adj.  masc,  cheval  panard,  chevaldont  les  pieds  de  devant  sont  tournés 
en  dehors.  «  Origine  inconnue  >>  Littré,  Scheler.  Le  mot  est  probable- 
ment dérivé  d'un  adjectif,  de  même  que  vieillard,  ancien  fr.  hlanchard, 
Bayard.  Je  rattache  panard  au  lat.  pandas,  qui  signifie  «  curvus,  incur- 
vus,  gy.îV/.cç,  »  espagn.  pando,  «  légèrement  courbé  vers  le  milieu.  » 
Panard  pour  pandard,  comp.  prenons  pour  prcndons^  vieux  fr.  cspanir  = 
lat.  expandere,  vieux  fr.  responent  pour  respondent  (Diez,  Gr.  I,  236). 

RAPATELLE. 

Toile  faite  de  queue  de  cheval.  «  Origine  inconnue  »  Littré.  Le  mot 
semble  être  emprunté  à  l'espagnol  ou  plutôt  au  portugais  et  semble  con- 
tenir rabo,  queue,  qui  se  dit  aussi  de  la  queue  du  cheval,  et  tela  toile. 
On  doit  peut-être  supposer  une  forme  portugaise  'rabitela,  d'où  *raba- 
tela  par  assimilation,  comp.  portug.  rabacoelha  =  rabicoelha,  capatâo, 
=  lat.  capito,  anafar  =  esp.  alijar.  A  cause  du  fr.  p  et  de  Va  de  la 
seconde  syllabe,  une  origine  espagnole  du  mot  a,  peut-être,  moins  de 
vraisemblance. 

RIBE. 

Fém.,  moulin  à  moule  conique  pour  broyer  le  chanvre.  C'est  évidem- 
ment un  mot  germanique.  Selon  Littré,  peut-être  de  l'ail.  reiben,îro\\QT. 
Comparez  plutôt  le  bas-ail.  repe,  fém.  brisoir,  broie  [Brem.Wôrterb.,  III, 
481  s.),  aussi  repel,  rcppel,  et  le  verbe  repen,  suéd.  repa,  fém.  brisoir, 
néerl.  repel,  haut-ail.  mod.  riffe,  riffel  et  le  verbe  riffeln,  ang.  to  ripple, 
ancien  angl.  rybbe  rupa,  rypelyng  avulsio. 

I .  [Au  moment  même  où  je  reçois  de  l'imprimerie  les  épreuves  de  cet  article, 
je  trouve  la  forme  mathenot,  employée  régulièrement  pour  matelot,  dans  un  des 
mss.  de  la  Passion  d'Arnoul  Gresban  que  j'imprime  avec  M.  Raynaud. —  G. P.] 


ÉTYMOLOGIES    FRANÇAISES  1  57 

RIBLETTE. 

Fém.,  tranche  mince  de  bœuf,  veau  ou  porc,  qu'on  sale,  qu'on  épice 
et  qu'on  fait  griller.  Scheler  le  tire,  àtort,  «  du  germ.  rib,  rip  (ail.  rippe), 
)>  côte,  nervure  (saillies  longitudinales  des  feuilles).  »  On  y  doit  com- 
parer le  suéd.  reppling  tranche  (de  viande,  de  fromage,  etc.),  le  norvég. 
ripel  ou  repel  long  et  étroit  morceau.  Le  primitif  est  le  suéd.  repa,  déchi- 
rer, arracher,  norvég.  ripa  ou  repa,  dépouiller,  angl.  to  rip. 

Le  fr.  rihe  que  je  viens  de  mentionner  et  probablement  aussi  riblon, 
petits  morceaux  de  fer  à  refondre,  sont  issus  de  la  même  racine. 

ROHART,  MORSE,  RORQUAL. 

Rohart,  autrefois  ivoire  des  morses.  Au  xv'^  siècle  on  trouve  une  forme 
rochal  ou  rohal.  Littré  y  voit  à  tort  la  corruption  de  rorqual.  Cela  ne 
convient  pas  au  sens.  Rohart,  rohal  est  plutôt  issu  d'une  forme  antérieure 
roshal:^  allem.  autrefois  rosswall,  russwall^,  du  norois  /^row/îv^/r,  littéra- 
lement cheval-baleine,  lequel  est  identique  avec  l'anglo-saxon  horshwd, 
morse.  Le  mot  norois  hrosshvalr  a  aussi  passé  dans  l'ancien  irlandais,  où 
l'on  trouve  rosaalt,  plus  tard  ruasuall  comme  nom  d'un  monstre  de  mer, 
voy.  M.  Stokes,  Revue  Celtique,  I,  2 $8. 

Littré  explique  le  franc,  mod.  rrjorse  par  «  cheval  de  mer,  «  du  dan. 
mar  mer  et  ros  cheval.  Mais  ni  en  danois  ni  ailleurs  on  ne  trouve  un 
sub&Xânûî  marhross  comme  nom  du  morse;  c'est  pourquoi  je  conjecture 
plutôt  que  morse  est  une  métathèse  pour  rosme,  du  danois  rosmer  ~  norois 
rosmdll,  rosmhvalr,  morse. 

Enfin  le  nom  rorqual  ne  vient  pas  du  suéd.  ror,  tuyau,  car  le  nom 
norois  du  rorqual  est  reydhr.  Le  primitif  en  est  raudhr  vougQ\  cette  espèce 
de  baleine  a  été  nommée  ainsi  à  cause  de  sa  couleur  rougeâtre. 

SALORGE. 

Amas  de  sel.  «  Etym.  lat.  sal,  avec  une  désinence  inexpliquée  «  Littré. 

Oudin,  Dict.  (pif  siècle)  traduit  salorge  par  «  magazzino  di  sale.  » 
Orge  est  le  lat.  horreum  qui  signifie  toute  espèce  de  magasin,  de  dépôt, 
non  pas  seulement  grenier.  Horreum  s'est  changé  en  orge,  de  même  que 
cereus  en  cierge,  sororius  en  ancien  fr.  serorge,  Tiberius  en  Tiberge,  voy. 
Diez,  Gr.,  I,  183. 

Ajoutons  encore,  d'après  une  communication  obligeante  de  M.  J.  Storm, 
que  le  mot  horreum  se  retrouve  dans  l'it.  or  san  Michèle,  nom  d'une 
église  à  Florence,  autrefois  une  grange. 

SEMELLE. 

«  Origine  inconnue  »   Littré.  Dans  un  glossaire  rom.-lat.  du  xv" 
1.  Sanders  (Deutsch.  Wôrterb.)  l'explique,  à  tort,  par  baleine  russe. 


1  58  s.    BUCCt 

siècle,  publié  par  Scheler,  le  mot  est  écrit  sommele.  Donc  la  forme  pri- 
maire doit  en  6tre  'sumella,  comp.  semondre  —  lat.  submonere,  secouer, 
secourir. 

'Sumella  est,  selon  moi,  pour  'subclla,  comme  samedi  pour  sabedi  — 
sabiati  dies;  *subella  me  semble  le  diminutif  du  lat.  suber,  liège.  D'après 
cela  la  notion  originaire  de  semelle  est  «  petit  morceau  de  liège.  » 

On  sait  que  déjà  les  Romains  et  les  Grecs  portaient  des  semelles  de 
liège,  pour  paraître  plus  grands,  ou,  dans  l'hiver,  pour  la  santé.  Plin., 
Natur.  hist.,  lib.  XVI,  cap.  8,  1 5,  dit  de  suber  :  «  usus  ejus  in  hiberno 
feminarum  calceatu.  »  Alexis,  le  poète  comique,  dans  Athénée,  13, 
p.  568  B  : 

Tu-f/iv£t  [xixpâ  Tiç  ouGOL  •  o€kkoç,  iv  Taî'ç  ^auy.taiv 
'EYy.ey.âTTUTau 

Le  lat.  suber  est  neutre,  mais  à  côté  de  ce  mot  un  féminin  suberies  se 
trouve  dans  Festus  (p.  294,  317,  éd.  Mùller;.  L'italien  a  non-seulement 
le  masculin  sughero,  mais  aussi  le  féminin  sughera,  liège.  La  forme 
vieillie  fr.  semel,  pi.  semeus  (Jahrbuch,  VI,  296;  a  le  genre  de  l'it. 
sughero. 

Un  mot  des  patois  de  l'Italie  du  nord,  pour  «  soulier  de  bois  »  : 
sœpell,  supiell,  zipello,  etc.  (voy.  Mussafia,  Zur  Kunde  der  nordital.  Mun- 
darten,  p.  47)  semble  tout  différent  du  fr.  semelle.  Il  en  est  de  même 
du  romagn.  stciafella,  pantoufle  l'Mussafia,  Romagn.  Mundart,  p.  4$). 

Enfin  semo,  masc,  lisière  de  drap,  pantoufle  de  lisières,  dans  la  Suisse 
romande  (Bridel)  ainsi  que  semossa,  fém.,  lisière,  appartiennent  à  l'it. 
cima,  d'où  cimozza,  lisière, 

SOBRIQUET. 

«  Le  sens  primitif  est  coup  sous  le  menton  ;  puis  le  sens  figuré  est 
propos  railleur,  bon  mot  et  surnom  «  Littré. 

Du  Gange.  V.  barba  :  Le  suppliant  donna  audit  M ichiel  deux  petits  coups, 
appelez  soubzbriquez,  des  dois  delà  main  soubz  le  menton  (xiV^  siècle).  Au 
xvi^  siècle  on  trouve  \es  ovihographes sotbriquet  et  soubricjuet.  Le  composé 
soubz-briquet,  so-briquet  est  analogue  au  fr.  sous-barbe,  coup  sous  le 
menton,  à  l'esp.  so-papo.  L'étymologie  du  mot  en  question  s'explique, 
peut-être,  par  un  synonyme  it.  sottobécco,  coup  sous  le  menton.  Un 
diminutif*50«ol?ÊCc/!e7/o  répondrait  complètement  au  fr.  soubzbriquet,  lequel 
me  semble  issu  d'une  forme  antérieure  *soubzbéquet,  proprement  :  petit 
coup  sous  le  bec.  Pour  l'insertion  de  l'r,  comp.  fanfreluche,  pimprenelle, 
vrille,  etc. 

L'orthographe  sotbriquet  est  due  à  un  faux  rapprochement  avec  sot. 

TILLE. 

Hachette  des  tonneliers,  des  couvreurs  et  d'autres  artisans.  «  Origine 


ÉTYMOLOGIES    FRANÇAISES  I  59 

inconnue  »  Littré,  Scheler.  C'est  un  mot  germanique  qui  signifie  dans 
les  dialectes  de  l'Allemagne  «  petite  hache,  erminette,  hache  des  tonne- 
liers »  ou  quelque  autre  instrument  pareil  :  dans  les  dialectes  norvég. 
et  suéd.  teksla,  patois  anglais  thixille,  holl.  dissei,  bas-ail.  dessel  [Brem. 
Wôrterb.,  I,  201),  vieux  haut-ail.  dehsala  (Graff,  V,  124;,  moy.  haut- 
ail,  mod.  dehsel,  dihsel,i.  (Lexer,I,  416;,  haut-ail.  moà.  dechsel  [Qx'xmm^ 
Deuîsch.  Wôrterb.,  II,  881). 

Tille  est  peut-être  modifié  pour  tîle  d'une  forme  antérieure  tisle. 

TROENE. 

Masc,  Ugustrum  vulgare.  Au  xiii«  siècle  un  coutel  troine  [de  troëne],  au 
xiv^  s.  une  tronne,  au  xvF  s.  troesne,  troinelle.  «  Bas-lat.  tronus  'xiii^  s.), 
dont  l'origine  est  inconnue  ;  picard  drinniau  ;  saintong.  troûgne  »  Littré. 

La  forme  originaire  doit  être  trûgïnu-s,  qui  me  semble  dérivé  d'un 
radical  trug  ou  plutôt  trugi  par  l'analogie  de  plusieurs  noms  d'arbre  for- 
més à  l'aide  du  suffixe  nus  [ï-nu-s)  :  quercinus,  chêne;  fraxinus,  frêne; 
carpinus,  charme. 

Le  radical  trugi  est,  selon  moi,  d'origine  germanique.  Vieux  haut-ail. 
hart-trugil  (hart,  dur)  «  sanguinarius  arbor,  »  mod.  haut-ail.  hartriegel, 
cornus  sanguinea,  aussi  Ugustrum  pulgare,  dans  les  patois  ail.  hartredel, 
hartreder,  hartrœder;  voy.  Grimm  Heyne,  Deutsch.  Wtb.,  IV,  2,  p.  518. 
Suéd.  try  masc,  lonicera  xylosteum,  aussi  Ugustrum  vulgare,  voy. 
Jenssen-Fusch,  Nordiske  Plantenavne,  p.  160,  dans  les  patois  suédois 
tryg,  îryd,  voy.  Rietz,  Svenskt  Dialekt-Lexikon,  p.  755,  où  l'auteur  y 
compare  le  mot  français,  le  mot  ail.  et  l'ang.  trouet;  ce  dernier  m'est 
inconnu. 

La  forme  originaire  germanique  est  probablement  ?n7^/-j,  d'où  le  dimi- 
nutif/n/gi/^-i.  Je  n'accepte  pas  l'étymologie  donnée  par  Weigand  pour 
harttrugil,  de  l'ail,  trog,  auge,  dira.  trugiUn.  Rietz  y  compare,  avec  plus 
de  vraisemblance,  le  grec  cpç. 

TrUgi  me  semble  issu  d'une  forme  pré-germanique  ^n7v/,comp.  anglo- 
sax.  hnîgan  =  got.  hneivan,  ail.  kragen,  cou,  collet  :  sanscr.  grlvl,  nu- 
que, cou,  pour  garvâ.  L'ail,  harttrugil,  hartriegel  est  proprement  u  petit 
chêne  dur,  »  nommé  ainsi  à  cause  de  la  dureté  du  bois.  Comp.  le  com- 
posé &uéd.  eknas,  u  cornus  sanguinea»,  qui  contient  ek,  chêne.  Le  thème 
trugi,  'drùbi  s'est  développé  d'un  thème  dru,  gr.  cpZ-ç.,  vieux  irland. 
daur  pour  daru,  corn,  dur  (gallois  dcriven],  à  peu  près  comme  le  norois 
syr,  thème  sûi,  du  thème  su,  gr.  j-;.  Le  diminutif  trugil  est  analogue  ù 
oipuXXoç  •  Y)  Spij;  [>-o  Maxsoivwv  Hésychius. 

VELTE. 

Mesure  de  capacité.  On  écrivait  aussi  verte,  verle,  vergue.  «  Origine 


l6o  s.    BUCGE 

inconnue  »  Littré,  Scheler.  Le  mot  me  semble  emprunté  à  l'ail,  viertel  ou 
viertn.,  holl.  viertel,  virtel,  mesure  de  capacité,  proprement  quart,  quar- 
taût.  Dans  varlope  du  holl.  voorloop  (si  l'on  doit  accepter  l'étymologie 
donnée  par  Scheler),  veuglaire,  nom  d'une  bouche  à  feu  du  xV^  siècle, 
du  flam.  voglieleer,  le  fr.  v  représente  également  un  v  germanique. 
Velte  est  aussi  un  instrument  qui  sert  à  jauger  les  tonneaux.  Trois  mots 
différents  sont  ici  peut-être  confondus  :  i"  verte  ou  velte,  mesure  de  capa- 
cité, de  l'ail,  viertel;  2°  veigue,  instrument  qui  sert  à  jauger  les  tonneaux 
=  lat.  virga,  fr.  vergue  antenne,  picard  vergue  petite  gaule,  d'où  3"  le 
diminutif  vcrle,  selon  Scheler  --=  lat.  virgula.  Mais  comment  expliquer  la 
forme  viole  (xvir-  s.),  sorte  de  jauge? 

VRILLE. 

Cirre  de  la  vigne,  foret.  Diez  le  tire  du  lat.  veru,  M.  Brachet  suppose 
également  un  prototype  vericula,  Scheler  le  rapporte  à  un  radical  ger- 
manique vrig,  vric,  ou  à  l'angl.  writhe.  Mais  ce  qui  écarte  toutes  ces  éty- 
mologies,  c'est  que  la  forme  primitive,  comme  le  dit  M.  Littré,  n'a  pas 
d'r.  On  écrivait  au  xiv^  siècle  viille,  visle,  villette,  veillette. 

Viille  répond  précisément  au  lat.  vJtLciila  (comp.  cheville  =  lat.  clavi- 
cula),  petite  vigne,  cirre  de  la  vigne,  diminutif  de  vitis,  it.  vite,  fr.  vis.  La 
même  épenthèse  plus  ou  moins  récente  paraît  dans  fronde  pour  fonde, 
comme  on  écrivait  encore  au  xvi'  siècle,  dans  fanfreluche  ancien  fanfelue 
{xuf  siècle),  dans  fringale  pour  faimvalle,  dans  gringalet,  au  xiie  siècle 
aussi  guingalct.  La  forme  vrille  avait  l'avantage  d'une  initiale  plus  expres- 
sive pour  un  mot  qui  signifie  chose  tournée,  tortue. 

Il  faut  donc  accepter  comme  la  signification  primaire  de  vrille  <(  cirre 
de  la  vigne.  « 

ANAFAR,  portUg. 

Lisser,  nettoyer.  Diez  rapporte  ce  mot  sans  aucune  explication.  Il  me 
semble  identique  àl'esp.  alifar  «  lisser,  aplanir,  polir.  »  Un  /est  souvent 
changé  en  n,  non  pas  seulement  lorsqu'un  autre  /  se  trouve  dans  le  mot  : 
portug.  mungir  :=  mulgir;  esp.  ailagaza,  portug.  negaça,  appeau,  selon 
Diez  peut-être  du  lat.  illex.  Va  non  tonique  de  la  seconde  syllabe  est 
vraisemblablement  dû  à  l'assimilation,  comp.  esp.  aranar  =  arunar ,  por- 
tug. capatâo  =  lat.  capito. 

L'esp.  alifar  est  le  lat.  allevare.  Esp.  /=  lat.  ë,  comp.  consigo  = 
secum,  ancien  esp.  venino  =  venenum;  f  •=  lat.  v,  comp.  ancien  esp. 
femencia  =  lat.  vehementia,  bas-lat.  referentia  des  chartes  esp.  =  lat. 
reverentia,  portug.  safo  du  lat.  salvus,  voy.  Romania  II,  p.  291. 

ARO,  esp. -portug. 

Cercle;  ancien  portug.  circuit  (d'une  ville,  d'un  village).   Diez  n'en 


ÉTYMOLOGIES    ROMANES  l6l 

donne  aucune  explication.  Aro  est  peut-être  l'ancien  lat.  anus,  voy. 
Varron,  L.  L.  VI,  8  :  magni  dicebantur  cirâtes  ani.  Le  mot  latin  a  été 
employé  par  Plaute,  Men.,  I,  f ,  9,  pour  un  anneau  de  fer  d'une  chaîne; 
il  se  trouve  aussi  dans  un  glossaire  du  ixe  siècle  :  anus,  anellus,  gloss. 
Erfurt,  p.  260a.  Pour  le  changement  de  n  en  r,  comp.  portug.  sarar  = 
lat.  sanare. 

Du  portug.  aneîe  on  ne  pourrait  pas  conclure  à  un  primitif  ^/^o,  car  ici 
un  /  est  peut-être  omis,  voy.  Diez,  Gr.  \,  205. 

ARGINE,  it. 

M.,  digue,  vénit.  drzare ;  esp.  drcen,  marge,  parapet.  Diez  a  rattaché 
ces  mots  au  lat.  agger  en  supposant  une  forme  arger  pour  agger.  Cette 
étymologie  ingénieuse  est  sûrement  la  vraie,  car  arger  est  en  effet  donné 
par  Priscien,  p.  35  =  5  ^9,  P.:  arger  quoque  dicebant  [antiqui) pro  agger . 

CALEFFARE,  it. 

Aussi  galeffare,  railler.  Diez  a  cherché  une  étymologie  germanique, 
mais  sans  pouvoir  se  satisfaire  lui-même.  Caleffare  me  semble  emprunté 
au  synonyme  grec  /Xsuàî^civ  :  le  y  passe  au  c  dans  les  langues  romanes  : 
it.  calare  =  yjxky^),  calamandréa=yaymap\jq,  etc.  Va  entre  le  c  et  1'/  est 
épenthétique  de  même  que  dans  calappio,  calabrone.  L'/y  est  un  endur- 
cissement de  V,  comp.  schifare  pour  scliivare  =  vieux  haut-ail.  scluhan  ; 
ancien  it.  dolfi  pour  dolvi  =  lat.  dolui  ;  biffera,  déjà  dans  un  glossaire 
latin  du  ix''  siècle  publié  par  M.  Thomas,  Munich  1868,  bifera  =  lat. 
bivira. 

FINO,  SINO,  ital. 

On  trouve,  avec  raison,  l'origine  de  la  particule  it.  fino,  infino  «  tenus,  » 
ancien  it.  fine,  prov.  fis,  prov.  mod.  catal.  fuis,  bearn.  fens,  sard.  finz-a, 
finz-as  dans  un  cas  oblique  du  hx.  finis.  Une  charte  italienne  de  l'an  849 
est  citée  par  Diez  comme  donnant  l'exemple  le  plus  ancien  de  l'usage  de 
la  particule  yîfié  dans  le  sens  du  lat,  tenus  :  fine  via  publica,  de  alia  fine 
fiumen. 

Mais  fini,  précédé  d'un  ablatif,  dans  le  sens  de  tenus  appartenait  déjà 
à  la  latinité  archaïque.  Plaute,  Men.  V,  2,  1 16  :  osse  fini  dedolabo  assu- 
latiin  viscera,  où  Ritschl  a  changé,  à  tort,  les  mots  donnés  par  les  ma- 
nuscrits ;  Caton,  R.  R.  28,  2  :  postea  opcrito  terra  radicibus  fini.  Comp. 
Aulu-Gelle,  I,  5,  16  :  quatenus  quaquc  fini  dari  amicitiae  venia  debeat  ;  I, 
3,  30  :  Itac  fini  âmes...,  hac  itidem  tenus  odcris.  Dans  les  auteurs  du  temps 
classique  ^«e  dans  ce  sens  est  précédé  ou  suivi  d'un  génitif.  Ovide,  Pont. 
I,  4,  28  :  Qui  vix  Tliessaliae  fine  timendus  erat,  Auctor  belli  Afric.  85  :  per 
mare  umbilici  fine  ingressi  terram  petebant,  etc. 

Romania.,  III  I  I 


l62  s.    BUGGE 

Diez  dérive  le  synonyme  it.  sino  'comp.  ladin  sin  la  fin)  du  lat.  signum. 
Cela  me  parait  peu  probable.  Diez  lui-môme  ne  rapporte  pas  un  seul 
exemple  où  un  gn  latin,  à  la  syllabe  tonique,  ait  été  changé  en  italien  en 
n,  voy.  Gr.  1,  272  ;  en  tout  cas,  un  tel  changement  ne  peut  être  fréquent. 
Le  lat.  signum  {signo,  insignum)  ne  s'emploie  jamais  dans  un  sens  ana- 
logue à  celui  de  fini  =  tenus.  Le  rapport  entre  sino  et  fino,  considérés 
respectivement  l'un  à  l'autre,  nous  conduit  à  une  autre  étymologie.  Ces 
particules  ont  le  même  sens;  les  combinaisons  et  les  relations  en  sont, 
pour  la  plupart,  les  mêmes  :  infino  et  insino  ;  fino  a,  sino  a;  fino  da, 
sino  da;  finchc,  sinqut.  Les  formes  en  sont  identiques,  excepté  les  lettres 
initiales.  Serait-il  donc  impossible  que  Vs  de  sino  provint  de  Vf  de  fino  ? 
Je  ne  le  crois  pas. 

F  ei  s  sont  des  fricatives  sourdes  formées  par  les  dents  de  dessus  ;  la 
seule  différence  entre  elles,  c'est  que  le  rétrécissement  du  tube  buccal  se 
fait  pour  /  par  les  lèvres  inférieures,  pour  s  par  la  langue.  La  proche 
parenté  de  ces  deux  sons  apparait  aussi  par  le  passage  de  l'un  à  l'autre 
que  présentent  plusieurs  langues. 

En  gallois  et  en  comique  s  suivi  d'un  r  a  passé  à  /  :  gall.  firwd 
«  stream,  torrent,  «  corn,  frot  «  alveus  «  =  irl.  sruth  «  rivus,  fluvius.  » 
En  irlandais,  au  contraire,  /  surtout  avant  un  r,  mais  aussi  avant  une 
voyelle,  a  passé  à  s  :  irl.  suist  =  gall.  ffust,  ht.fustis;  irl.  srian  =  gall. 
ffnvyn,  lat.  frenum.  Dans  les  patois  suédois  f  et  s  passent  l'un  à  l'autre 
surtout  avant  un  n.  Je  démontrerai  prochainement  ailleurs  que  le  passage 
à's  en  /  est  fréquent  dans  les  anciennes  langues  italiques,  surtout  dans 
l'ombrien. 

Ce  changement  phonétique  n'est  pas  étranger  aux  langues  romaries, 
mais  les  exemples  n'en  sont  en  général  que  sporadiques.  Le  fr.  senegré, 
catal.  sinigrec  dérive  de  faenum  graecum,  comme  l'it.  sinodefino;\e 
catalan  présente  aussi  sivella,  diminutif  du  lat.  fibula,  voy.  Diez,  Gr.  I, 
285.  Au  contraire  /  pour  s  dans  le  prov.  mod.  founfoni  pour  symfoni  (par 
assimilation,  et  dans  le  prov.  sofanar  =  ancien  espagn.  sosanar,  lat. 
subsannare  (par  dissimilation).  Mais  dans  le  patois  de  la  Suisse  romande, 
dont  Bridel  a  donné  un  glossaire,  le  changement  est  très-fréquent.  Le  plus 
souvent /pour  5  :  leinfiu  =leinzu,  leinça,\mceu\;  s'apetanfi  =  s'apetanci, 
manger  du  pain  en  proportion  de  sa  pitance  ;  puffa  =  pussa,  poussière  ; 
fegogna  =  segogna,  cigogne  ;  etc.  Plus  rarement  s  pour/  :  saizche  fém. 
pi.,  lies  de  vin  (Montreux),  comp.  \i.  féccia. 

L'excellente  publication  de  M.  Mussafia,  Beitrag  zur  Kunde  der  nordita- 
lienischen  Mundarîen  in  XV  Jahrhunderte,  nous  fournit  des  exemples  italiens. 
Dans  l'ile  d'Elbe  bolfido  pour  bolsido,  it.  bolso  du  lat.  pulsus;  dans  le 
dialecte  de  Trente  sbolfinà  =  sbolsinà,  tousser  (p.  56).  Aussi  s  pour  /  : 
vénitien  cerendégolo  l'an  1521,  sarandégola  (?)  dans  un  glossaire  du  xv« 


ÉTYMOLOGIES    ROMANES  165 

siècle  =  padouan  frandigolo,  fronde   p.  97).   Des  dictionnaires  anciens 
italiens  présentent  une  forme  bisolco  à  côté  de  bifôlco  du  lat.  bubulcus. 

Après  cela,  on  doit  admettre  que  les  sons  ne  s'opposent  pas  à  l'éty- 
mologie  que  je  viens  de  proposer  :  sino  àefino. 

LLECO,  esp. 

Adj,,  non  cultivé,  en  friche,  du  terrain.  «  Origine  inconnue  »  Diez. 
Lleco  est  changé  de  *  llueco,  comme  frente,  front,  defruente  ;  fleco,  frange, 
de  flueco  ;  estera,  natte  de  jonc,  de  esîuera  ;  brezo,  plante  de  bruyère,  de 
bruezo  ;  serba,  sorbe,  de  suerba. 

*  Llueco  pour  "flueco  est  issu  d'une  forme  originaire  *floco;  comp. 
llama  =  lat.  flamma,  ancien  esp.  .îo//^r  =  lat.  sufflare.  Le  mot  se  retrouve 
dans  l'ancien  français  floc,  friche,  lequel  est  cité  dans  Du  Gange,  v. 
FRAUSTUM,  d'après  Guill.  Guiart  : 

François  errent  tant  qu'il  viennent 
Es  fias  qui  lui  appartiennent. 

Une  forme  française  plus  fréquente  et,  peut-être,  plus  originaire  est 
froc  (frou),  bas-lat. /rocu5,  «  terra  inculta  »,  lequel  se  trouve  déjà  dans 
une  charte  de  1 107,  voy.  Du  Gange. 

Le  substantif /roco,  yZoco  est  devenu  adjectif  dans  l^esp,  lleco;  comp. 
hondo  s\ihst.  et  adj.,  puerco  subst.  et  adj,,  etc.;  voy.  Diez,  Gr.  II, 
288  c. 

STAMBERGA,  it, 

Fém.,  cabane,  misérable  maison.  La  finale  du  mot  indique  selon 
M.  Diez  qu'il  est  d'origine  germanique.  Mais  le  premier  radical  stam-  lui 
est  resté  inexplicable;  il  a  abandonné,  avec  raison,  la  pensée  du  gotique 
stains,  pierre,  comme  inconciliable  avec  le  sens. 

Stamberga  me  semble  plutôt  identique  à  l'ancien  fr.  estamperche,  perche 
dressée  (lat.  stans  pertica),  lequel  est  cité  par  Ducange  s.  v.  etarchartea 
d'après  une  charte  de  l'an  1458  :  Un  engin  ou  estoit  lié  une  estamperche. 
Le  développement  du  sens  n'est  que  naturel  :  stamberga,  perche 
dressée,  puis  ipars  pro  toto)  cabane  qui  ne  se  compose  que  de  perches 
dressées  let  par  exemple  appuyées  contre  un  rocher). 

Quoiqu'en  italien  pertica  non  composé  ait  gardé  la  forme  latine,  il 
semble  peu  surprenant  que  dans  la  composition,  l'origine  étant  oubliée, 
le  mot  se  soit  modifié.  Gette  modification  s'est  peut-être  effectuée  sous 
l'influence  du  mot  albergo.  L'italien  présente  souvent  /'  pour  le  p  du  lat. 
(bolso,  befania,  bottega,  etc.).  Littré  également  rattache  le  fr.  goberge  ù 
écoperche. 

SophuS  BUGGE. 

Christiania. 


LE    FONTI    DEL    NOVELLINO 


TESTO  GUALTERUZZl. 


NOVELLA  m. 


D'ii/2  savio  greco  che  uno  re  teneva  in  prigione  corne  giudico  d'  uno  des- 
iriero. 

Un  greco  giudica  che  un  cavallo  fu  nudrito  a  latte  d'asina  dal  vedergli 
tenere  le  orecchie  chiniite  :  che  una  pietra  prezioza  ha  un  verme  dentro 
perché  è  calda,  anzichè  fredda  corne  naturalmente  dovrebbe  essere,  e 
che  finalmente  il  re,al  quale  ha  dato  siffatte  prove  di  recondita  sapienza, 
è  figlio  di  un  panattiere,  perché  in  rimerito  gli  ha  dato  un  mezzo  pane 
per  giorno,  laddove  se  fosse  stato  vero  figlio  di  re,  avrebbegli  dovuto  dare 
in  dono  almeno  una  nobile  città. 

È  con  lievi  variazioni  la  ÎI  del  Testo  B.,  e,  molto  più  svolta,  la  X  del  P. 
Il  racconto  è  di  origine  orientale,  e  corne  osservo  già  il  Dunlop, 
Gesch.  d.  Prosadichî.  ûh.  v.  Liebrecht  (Berlin, Mùller,  185  i,p.2i2), 
si  ritrova  nella  Novella  dei  tre  figli  del  Sultano  di  Yemen,  e  meglio  in 
quella  dei  Treavventurieri  e  del  Sultano ,trâdona.  dallo  Scott  {Taies,  etc. 
transi  from  the  arab.  and  pers.].  Vedilo  anche  nella  traduzione  tedesca 
délie  Mille  e  una  notte  di  Habicht  e  Von  der  Hagen  (nott.  458^  e 
nelle  Mille  et  une  nuits  (ediz.  Loiseleur-Deslongchamps,  Paris, 
Panthéon  littér.,  1841,  p.  689-94).  Nella  Vita  di  Virgilio  di  Donato 
questo  aneddoto  é  appropriato  al  gran  poeta  latino  ;  ma  corne  osserva 
il  Prof.  C0MPARETTI  ÇVirgilio  nel  M.  Eve,  Livorno,  1872,  II,  141) 
non  trovasi  nei  manoscritti  di  Donato  anteriori  al  sec.  XV,  sicchè 
debbe  ritenersi  per  interpolazione  posteriore.  È  anche  nel  libro  spa- 
gnolo  de  los  enxemplos,  n°  CCXLVII  (in  Gayangos,  Escritores  en  prosa 
anter.  al  siglo  XV,  Madrid,  Rivadeneyra,  1860,  p.  5o8)che  l'editore 
aggiudica  al  secolo  decimoterzo.  Si  trova  anche  in  greco  moderno 
nella  Histoire  de  Ptocholéon,   publ.  par  E.  Legrand   (n°  19  délia 

1.  Voy.  Romania,  t.  II,  p.  285  ss. 


LE    FONTI    DEL    NOVELLINO  165 

Collection  des  monuments  pour  servir  à  l'étude  de  la  langue  néo-helleni- 
que).  Per  altri  raffronti,  vedi  Dunlop,  op.  cit.,  p.  487,  not.  282. 
È  la  terza  délie  Cinque  novelle  antiche  inédite,  pubbl.  da  G.  Papanti 
per  nozze  d'Ancona-Nissim  (Livorno_,  Vigo,  1851),  traendole  da 
prediche  anonime  del  sec.  XV. 

NOVELLA  IV. 

Corne  nno  giullare  si  compianse  dinanzi  ad  Alessandro  d'un  cavalière  al 
quale  elli  avea  donato,  per  intenzione  che  'l  cavalière  li  donerebbe  ciàche  Ales- 
sandro H  donasse. 

Un  povero  cavalière  andando  al  campo  di  Alessandro  che  assediava 
Gadre  (Cadres  =  Gaza)  trova  per  via  un  giocolare  bene  in  arnese,  e  riceve 
da  lui  armi  e  cavallo  col  patto  che  gli  darebbe  in  cambio  ciô  che  avesse 
dalla  liberalità  di  Alessandro.  Questi  gli  dà  il  possesso  délia  vinta  città; 
ma  il  cavalière  chiede  invece  oro,  argento  0  robe,  e  ottiene  due  miia 
marchi.  Il  giullare  si  richiama  di  lui  innanzi  Alessandro,  e  il  cavalière  si 
difende  dicendo  di  aver  chiesto  ciô  che  meglio  si  confaceva  alla  condi- 
zione  del  suo  creditore  :  e  Alessandro  e  i  baroni  lo  prosciolgono,  com- 
mendandolo  di  gran  sapienza. 

Con  leggere  varianti  è  la  III  B. 

H  Favre  (Recherches  sur  les  hist.  fabul.  d'Alexandre  in  Mélang. 
d'hist.  littér.  Genève,  1856,  II,  122)  dice  che  il  racconto  sembra 
esser  preso  dai  trovatori,  ma  realmente  il  fatto  trovasi  narrato  nel 
poema  francese  di  Lambert  le  Tort  e  Alexandre  de  Bernay 
(ediz.  Michelant,  Stuttgart,  1846,  p.  222),  salvochè  il  cavalière 
non  chiede  per  il  giullare,  ma  per  se,  rinunziando  al  dono  délia 
città  perché  gli  costerebbe  troppo  fatica  il  difenderla. 

NOVELLA  VI. 

Corne  a  David  re  venne  in  pensero  di  volere  sapere  quanti  fussero  i  sud- 
diti  suoi. 

A  Dio  spiace  quest'  atto  di  vanagloria  di  David,  e  gli  manda  l'angelo 
suo,  perché  in  pena  del  suo  peccato  scelga  0  di  stare  tre  anni  in  inferno, 
0  tre  mesi  nelle  mani  dei  suoi  nemici,  0  starsi  al  giudicio  del  Signore. 
Egli  sceglie  quest'  ultimo  partito,  e  Dio  manda  la  morîa  nel  popolo  d' 
Israele,  sicché  scema  il  gran  numéro  di  sudditi  onde  il  re  si  gloriù.  Un 
giorno  che  David  s'incontra  coll'  angelo  sterminatore,  prega  Dio  che 
colpisca  lui  solo  colpevole,  e  allora  il  Signore  gli  perdona. 

La  fonte  sarebbe  il  secondo  libro  dei  Re,  cap.  XXIV,  se  non  che 
ivi  invece  dell' angelo  é  il  Profeta  Gad  che  dû  a  David  la  scelta  fra 
sette  anni  di  carestia,  tre  mesi  di  fuga  alcospetto  degli  avversarj  che 
lo  inseguano,  e  tre  giorni  di  pestilcn/.a  :  ma  David  si  rimette  nelle 
mani  del  Signore,  che  manda  1'  ultimo  nagello.  Il  reste  concorda. 


i66  A.  d'ancona 

NOVELLA  Vil. 

Qui  conta  corne  VAngelo  parla  a  Salamone  e  disse  che  torrebbe  Domeneddio 
il  reame  al  figliuolo  per  li  suoi  peccati. 

Si  narra  corne  Dio  voile  punire  Salomone  togliendo  la  successione  a 
Roboamo,  e  corne  qucsli,  dopo  consigliato  otiimamenie  dai  seniori, 
seguisse  invece  il  consiglio  dei  giovani  incauti,  e  cosi  perdesse  la  più  gran 
parle  del  reame. 

Ciô  leggesi  nel  lib.  III  dei  Re,  cap.  XI-XII. 

NOVELLA   VllI. 

Conie  un  figliuolo  di  un  re  dono  a  un  re  di  Siria  scacciato. 
Un  giovane  principe  dà  tutto  il  suo  tesoro  a  un  re  di  Siria  il  quale  si 
aveva  saputo  fare  per  sua  follia  che  isudditil'avevano  scacciato.  Interro- 
gato  del  perché  ciô  avesse  fallo,  risponde  alpadre  che  doveva  gratitudine 
a  colui,  per  avergli  insegnato  tanto  che  i  futuri  sudditi  proprinon  cacce- 
ranno  lui. 

Con  poche  variazioni  è  la  VII.  B. 

Il  DuNLOP  'op.  cit.,  p.  2 1 2)  trova  da  raffrontare  questa  novella 
con  quella  dei  Gesta  Romanorum  (p.  82,  ediz.  Oesterley,,  ma  il 
LiEBRECHT  (nota  283)  a  ragione  non  vi trova nessuna  rassomiglianza. 
Piuttosto  potrebbe  dirsi  che  avesse  qualche  analogia  coU'  altra  dello 
stesso  Hbroalcap.  74  (ediz.  Keller;  ediz.  Swan,  I,  257;  ediz.  Mad- 
den,  p.  496;  Violier,  p.  182). 

NOVELLA  IX. 

Qaï  si  diîermina  una  quistione  e  sentenzia  che  fu  data  in  Alessandria. 
Un  poveretto  di  Alessandria  non  avendo  altro  cibo  che  un  pezzo  di 
pane,  lo  mette  sul  fume  che  esce  dalle  vivande  del  cuoco  Fabrac,  il 
quale  vorrebbe  fargli  pagare  ciô  che  gli  ha  preso.  Vanno  innanzi  al 
Soldano,  che  dopo  gran  disputa  fra  i  suoi  savj,  sentenzia  che  il  cuoco  si 
contenti  del  semplice  suono  di  una  moneta,  e  questo  riceva  in  paga- 
mento. 

Con  leggerissime  variazioni  è  la  VIII  B. 

Molti  raconti  si  trovano  simili  a  questo  ^  come  quello  délia  musica 
pagata  a  suon  di  parole  {Les  Avadânas,  Contes  et  apologues  indiens, 
trad.  St.  Julien,  Paris,  Duprat,  1859;  I,  108):  quello  del  prezzo 
accordato  alla  cortigiana  Tonide  contro  un  giovine  che  l'aveva 
goduta  in  sogno  (Plutarco,  ediz,  Reiske,  V,  49,  VI,  i$o,  VII, 
518,  etc.,  etc.).  Un  racconto  simile  al  nostro  trovasi  nel  Pauli, 
Schimpf  und  Ernst  (ediz.  Oesterley,  Stuttgart,  1866,  no  48),  e  aile 
abbondanti  citazioni  dell'editore  a  p.  478  aggiungasi  anche  la  cita- 
zione  di  Rabelais,  III,  cap.  ]6. 


LE  FONTI  DEL  NOVELLINO  167 

NOVELLA  X. 

Qui  conta  d'una  bella  sentenzia  che  die  lo  schiavo  di  Bari  tra  uno  borghese 
et  un  pellegrino. 

Un  barese  partendo  in  romeaggio,  lascia  trecento  bisanti  ad  un  amico, 
dicendogli  che  se  non  tornerà,  li  spenda  a  suo  modo,  ma  se  tornerà, 
gliene  darà  quello  che  vorrà.  Ritorna  infatti  e  chiede  il  suo  :  ma  l'altro 
gli  dà  solo  dieci  bisanti  e  ritiene  i  dugentonovanta.  Vanno  innanzi  allô 
schiavo  di  Bari  che  sentenzia  cosî  :  poichè  il  patto  fu  che  tu  rendessi 
ciô  che  vorrai,  e  tu  vuoi  ritenere  i  dugentonovanta  ducati,  questi  resti- 
tuirai,  e  avrai  per  te  i  dieci  che  non  volevi. 

Il  Prof.  Wesselofsky  Qntorno  ad  alcuni  testi  nei  dialetti  deW  alta 
Italia,  in  Propugnatore,  V  590)  vorrebbe  trovar  in  questo  racconto 
la  prima  e  più  sempHce  forma  di  una  narrazionedelciclo  salomonico, 
che  potrebbe  nominarsi  de  furîo,  la  quale  poi  ebbe  a  mischiarsi 
«  con  altro  ciclo  leggendario  di  indole  buddistica.  »  Egli  cita  in  propo- 
sito  le  notizie  raccolte  nel  proprio  libro  /  racconti  slavi  di  Salomone  e 
Centauro  e  le  leggende  Europee  intorno  a  Morolfo  e  Merlino  (Pietro- 
burgo,  1872,  in  russo,  p.  60-97),  nonchè  il  Panîschatantra  di  Ben- 
FEY,  I,  ^93-404.  Ma  realmente  ai  luoghi  citati  si  menzionano  novelle 
di  sentenze  e  giudizj  in  favore  del  debole  oppresso,  ma  non  vi  ha 
nuUa  che  proprio  ricordi  la  nostra  novella. 

NOVELLA    XII. 

Qui  conta  deW  onore  che  Aminadab  fece  al  Re  Da\id  suo  naiurale  signore. 
Aminadab  siniscalco  di  David  sta  per  prendere  una  città  dei  Filistei, 
ma   per  fare  onore  al  suo  re,  fingendo  che  il  campo  si  rubellasse,  lo 
manda  a  chiamare,  sicchè  sia  suo  tutto  1'  onore  délia  vittoria. 

La  fonte  è  la  Bibbia,  ma  anqhe  qui  citata  non  senza  errore  :  dacchè 
nel  II  deiRE  cap.  XII  si  legge il  fatto  appropriato  a  Joab  combattente 
contro  gli  Ammoniti. 

NOVELLA    XIV. 

Corne  uno  re  fece  nodrire  uno  suo  figUuolo  dieci  anni  in  luogo  tencbroso, 
e  poi  li  mostro  tutte  le  cose,  e  più  li  piacque  le  femmine. 

Un  principe  viene  fin  dalla  nascita  tenuto  riuchiuso  :  quando,  compiuti 
i  dieci  anni,  puô  uscire  e  gli  si  mostrano  tutte  le  cose  più  belle,  le  donne 
gli  piacciono  sopra  tutte,  quantunque  gli  si  dica  che  sono  demonj. 

Con  lieve  varianti  èla  XIII  B.  e  più  ampiamente  svoIta,laXIX  P. 
Ê  questo  il  notissimo  episodio  del  Romanzo  di  BarLuini  c  Josafat 
che  nella  versione  italianapubblicata  dal  Bottari  (Roma,  Mordacchini, 
1816)  leggesi  apag.  104.  Il  Du  Mkril  (Hist.  Pocs.Scandin.yp.  348) 
trova  una  rassomiglianza,non  disdetta  neppuredal  Liebrecht  (Fort/t 
del  Barlaam  e  Josafat,  in  D'  Ancona,  Sacre  rappresentazioni,  Firenze, 


i68  A.  d'ancona 

Le  Monnier,  1872,  II,  161)  tra  questo  racconto  e  un  episodio  del 
Ramayana.  Il  vero  è  che  ivi  il  romito  indiano  Riscyasringo  che  non 
ha  mai  visto  donne,  prende  quelle  che  vengono  a  sedurlo,  non  per 
demoni,  0  paperi,  corne  è  nel  Boccaccio  (Decam.,  Introd.  Giorn.  IV) 
ma  per  «  anacoreti  con  occhi  sfavillanti...  simili  a  cosa  sopraumana 
(trad.  GoRRESio,  Milano,  1869,  I.  55)".  La  novella  trovasi  anche 
nelle  Latin  Stories  di  Wright  (London,  1842,  ai  n''  ?,  e  78).  Aile 
citazioni  già  faite  in  questo  proposito  dallo  Schmidt  (Beitr.  z.  Gesch. 
d.  romant.  Pocs.,  Berlin,  1818,  p.  27),  dal  Dunlop-Liebrecht 
(oper.  cit.,  p.  230,  462;,  dal  Von  der  Hagen  (Gesammtahenl., 
Stuttgart,  1850,  II,  VII),  dal  Landau  (DieQuell.d.  Decamer., 'Wïen, 
Prandel,  1869,  p.  70),  aggiungansi  anche  quelle  del  Fior  di  Virtà 
(ne!  Zambrini,  Libro  di  Novelle,  Bologna,  Romagnoli,  1868,  p.  49), 
e  del  Libro  de  los  Enxemplos,  n°  CCXXXI.  Prima  del  La  Fontaine 
aveva  narrato  l'aneddoto  in  poesia  francese  Martin  Franc,  morto 
nel  1460  (v.  C.  d'I...  Bibliograph.  de  ramour,  des  femmes,  etc.,  Paris, 
Gay,  1864,  col.  97).  Stretta  affinità  con  questo  racconto  ha  ciô  che 
si  contiene  nel  cap.  CCXXXIII,  délie  VitedeiSS.  Padri,  p.  III. 

novella  XV. 

Corne  uno  rettore  di  terra  fece  cavare  un  occhio  a  se,  et  uno  al  figUuolo 
per  osser\'are  giustizia. 

Il  rettore  di  una  terra  ordina  che  si  cavino  gli  occhi  agli  adulteri. 
Cade  in  questo  peccato  il  figliuol  suo  :  il  popolo  grida  misericordia  pel 
delinquente  ;  il  rettore  volendo  insienie  esser  giusto  e  pietoso_,  orba  se  di 
un  occhio  e  dell'  altro  il  figlio. 

Con  lievi  varianti  è  la  XIV  B. 

L'aneddoto  è  narrato  in  Cicérone  {Deleg.,  11,6),  in  Eliano  {XIII, 
24),  in  Valerio  Massimo  (VI,  5),  donde  passô  ai  Gesta  Romanor.  'éd. 
Keller,  c.  50;  Swan,  I,  169;  Violier,  c.  XLIX).  Vi  accenna  anche 
il  Cessole  (Volgarizz.  del  Giuoco  degli  scacchi,  Milano_,  1829,  p.  ]0}. 
Vedi  le  annotazioni  dell'  Oesterley  ai  Gesta  (p.  720,  n°  50). 

novella   XVI. 

Quï  conta  délia  gran  misericordia  che  fece  S.  Paolino  yesco\o. 
S.  Paolino  nulla  potendo  dare  ad  una  madré  che  ha  prigione  il  figlio, 
si  costituisce  prigione  egli  stesso,  e  libéra  il  figlio  délia  povera  donna. 
Il  fatto  è  narrato  in  S.  Gregorio.  Dialog.,  III,  1.   Si  trova  anche 
in antico  francese  nel cod.  Bernenseanalizzato  dal  Prof.  ToBLER(J(îr//t. 
/.  roman,  liîerat.,  VII,  415). 

novella  XVII. 

Délia  grande  limosinâ  che  fece  uno  tavoliere  per  Dio. 


LE    FONTI    DEL    NOVELLINO  1 69 

Piero  tavoliere  dà  lutto  ai  poveri,  poi  vende  se  stesso  e  distribuisce  il 
prezzo  pur  ai  poveri. 

Il  fatto  di  questo  Piero,  telonario,  cioè  banchiere,  è  più  ampia- 
mente  narrato  neîle  Vite  dei  SS.  PP.,  libro  IV,  c  XIX.  Forma  anche 
il  soggetto  délia  LVI^  délie  Rime  genovesi  dei  sec.  XIU-XIV,  pubbl.  da 
Nice.  Lagomaggiore  (Archiv.  gloîtologico  Ital.  II,  239). 

NOVELLA  XXI. 

Corne  trc  maestri  di  nigromanzia  vennero  alla  corte  deW  imperador 
Federigo. 

Tre  negromanti  alla  corte  dell'  imperadore  Federigo  fanno  con  loro 
incantamenti  turbare  il  tempo  :  poi  chiedono  per  guiderdone  che  loro  si 
concéda  il  Conte  Bonifazio  per  ajutarli  contro  i  nemici.  Questi  va 
con  loro  :  viaggiano  gran  tempo,  combattono  aspra  guerra  :  egli  prende 
moglie,  ne  ha  figli,  ed  il  maggiore  ha  già  quarant'  anni  quando  i  negro- 
manti propongono  al  conte  di  tornare  a  vedere  l'imperadore.  Vanno,  e 
trovano  che  Federigo  e  i  suoi,  che  supponevano  invecchiatiomorti,sono 
al  medesimo  punto  dei  pranzo  di  quando  al  Conte  parve  partirsene  coi  ne- 
gromanti. 

Con  lievi  varianti  è  la  XX  B. 

L'avventura  rammenta  ciô  che  la  tradizione  musulmana  racconta 
dei  rapimento  di  Maometto  ai  sette  cieli,  al  Paradiso  ed  ail'  Infemo, 
quando  il  profeta  ebbe  novantamila  conferenze  col  Signore,  e  pur 
compi  tutto  questo  si  presto  che,  tornando  al  suo  letto,  lo  trovô 
ancor  caldo,  anzi  non  ancora  interamente  sparsa  l'acqua  di  un  vaso, 
versatasi  quando  Gabriello  lev6  seco  Maometto  ved.  Reinaud,  Monu- 
ments, etc.,  II,  851.  Un  incantesimo  simile  a  quello  qui  riferito  tro- 
vasi  nelle  Novelle  Turchc  tradotte  da  Petis  de  la  Croix  {Mille  et  un 
jours,  ed.  Loiseleur,  p.  306,  e  Quaranta  Visiri,  trad.  Bernauer, 
Leipzig,  1851,  p.  16),  col  titolo  di  5/or/a  ^^//o  Sc/j^//:  Schchabbeddin. 
Vedi  anche  il  cap.  XIII  dei  Condc  Lucanor  (ed.  Keller,  p.  861  ove 
gran  spazio  di  anni  sembra  volgersi  per  incantesimo,  nel  tempo  che 
realmente  corre  fra  l'apprestamento  e  la  cottura  di  due  pernici.  Si  puô 
qui  ricordare  anche  il  racconto  che  trovasi  nel  Mcshal  Ihi-Qadmoni 
(s.  1.  ma  di  Gersone  Soncino  ai  primi  dei  sec.  XVI,  p.  406-56I,  di 
ISACCO  figlio  di  Salomone  Ibn  Sahula  (n.  1204?  m.  1259  0  1268) 
tradotto  dallo  Steinschneider  nella  Manna  (Berlin,  Rosenberg, 
1847,  p.  20  e  segg.l.  Un  giovane  di  Gerusalemme,  già  addottrinato 
in  varie  scienze,  s'accende  dei  desiderio  d'imparar  lamagia.  Recatosi 
a  questo  fme  in  Egitto,  riceve  ospitalitù  da  un  vecchio  dei  paese,  cui 
fa  manifeste  le  sue  intenzioni.  Questi  gli  si  offre  maestro,  ma  il  giovane 
non  sa  prestargli  intera  fede,  e  per  coprire  la  sua  incredulità  dice  di 


170  A.    D'aNCONA 

voler  rivolgersi  ad  un  giovane,  e  cosi  scemar  fatica  a  lui  grave  di 
anni.  L'altro,  volcndo  correggerlo  délia  sua  incredulità,  gli  dà  da  bere 
e  lo  licenzia.  Il  giovane  va  fuori  e  cade  in  una  cisterna  donde  non 
puô  uscire  che  al  mattino  di  poi,  entra  in  un  bel  giardino,  passa  un 
ponte,  trova  una  città,  dà  agli  abitanti  varie  prove  del  suo  sapere,  e 
da  ciô  viene  in  tanta  estimazione,  che  gli  è  data  in  sposa  la  figlia  del 
re.  Ne  ha  un  figlio  che  un  giorno  cade  in  una  cisterna  anche  egli,  e 
mentre  ei  ne  va  in  cerca,  gli  riapparisce  il  vecchio  a  chiarirlo  che 
tutti  i  casi  occorsigli  sono  effetti  di  magica  illusione,  e  il  lungo  spazio 
di  tempo  esser  stato  un  solo  istante.  Confronta  anche  la  storia  di  Kandu 
tradotta  dall'  indiano  nel  Journal  asiatiq.  I,  ?.  Altre  versioni  di  questo 
tema  sono  indicate  dal  Puymaigre,  Les  vieux aut.  castill.  Paris,  Didier, 
1862,  II,  36),  dal  Keller  lEinleit.  a\  Roman  des  Sept  Sages,]).  CLVIl, 
e  dal  DuNLOP-LiEBRECHT  p.  545  che  riferisce  la  leggenda  di  un 
abbate  Fulgenzio  il  quale  mentre  meditava  il  senso  délie  parole  del  salmo 
89  :  Mille  anni  ante  oculos  tiios  tanicjuam  dies  hesterna  quae  praetcriit  fu 
tratto  in  una  selva  vicina  dal  canto  di  un  uccello,  e  credè  di  starvi 
pochi  istanti,  ma  poi  si  avvide  che  erano  passati  ben  trecento  anni. 
Vedi  anche  un  artic.  del  Kôhler  nella  Germania  di  Pfeiffer  'II,  432), 
e  Hertz  (Deutsch.  Sage  in  Elsass,  Stuttgart,  Kroner,  1872,  p.  263 
e  segg.),  che  sono  ricchissimi  in  indicazioni  di  leggende  e  novelle  popo- 
lari,  ove  gli  anni  scorrono  corne  minutieviceversa.  Giovanni  daPrato 
amplificô  nel  suo  romanzo  questo  racconto  del  Novellino  •  v.  //  Paradiso 
degli  Alberti,  éd.  Wesselofsky,  Bologna,  Romagnoli,  vol.  I,  part.  II, 
pag.  263,  e  vol.  II,  p.  180). 

NOVELLA   XXIV. 

Corne  lo  Imperadore  Federigo  fece  una  quistione  a  due  savj  e  corne  li  gui- 
dardonà. 

L'imperatore  stando  fra  mezzo  ai  giureconsulti  Bolgaroe  M.  (Martino) 
dimanda  loro  se  ei  puô  tôrre  ad  un  suddito  suo  per  dare  a  un  altro,  e  se 
la  legge  ammette  che  ciô  che  place  al  signore  debba  essere  osservato  dai 
sudditi.  L'  uno  risponde  che  si,  l'altro  lo  nega,  e  vuol  la  legge  superiore 
alla  volontà  del  principe.  Al  primo,  Federigo  dona  cappello  scarlatto  e 
bianco  palafreno,  ail'  altro  potestà  di  fare  una  legge.  Quistionandosi  chi 
fosse  stato  meglio  rimunerato,  si  conchiude  che  il  primo  fu  trattato  come 
un  giullare,  l'altro  come  uomo  giusto. 

Quîpajono  confusi  due  fatti,  due  dimande  che  la  tradizione  assevera 
fatte  da  Federigo  ai  dottori  italiani.  Ottavio  Morena  [Hist.  Liuden. 
in  R.  Ital.  Script.  VI,  1118)  racconta  che  l'imperatore  dimandô  a 
Bolgaro  e  Martino  se  fosse  padrone  del  mondo,  e  poichè  il  primo 
ebbe  il  premio  di  un  cavallo  per  aver  risposto  che  si,  Bolgaro  disse  : 


LE    FONTl    DEL   NOVELLINO  I7I 

Amisi  equum  quia  dixi  aeqiium,  quod  non  fuit  aequum,  0  corne  vuole  il 
Saliceto  {In  cod.,  L.  3,  VII,  37)  :  Bulgarus  dixit  aequum,  sed  Martinus 
habuit  equum.  Il  Bellapertica  (In  cod.,  1.  3,  345)  concorda  quanto 
al  donato  e  al  non  donato  col  Novellino  e  col  Morena.  L'  aneddoto 
è  raccontato  anche  da  Odofredo  (in  Dig.  vet.,  1.  3,  H,  i),  ma  a  pro- 
posito  dell'  altra  dimanda,  a  chi,  cioè,  appartenesse  il  merum  impe- 
rium,  e  fa  che  gli  interrogati  sieno  Lotario  che  risponde  :  a  voi  solo, 
e  Azo  che  risponde  :  a  voi  e  ai  giudici,  sicchè  il  primo  ebbe  in  dono  un 
cavallo  :  e  a  ciô  alludendo  Azo  dice  {Summ.  codicis,  tit.  de  jurisdict., 
III,  13):  licet  ab  hoc  amiserim  equum,  sed  non  fuit  aequum.  Il  Savigny 
(St.  del  diritto  romano  nel  M.  Evo,  Firenze,  Batelli,  1844,  vol.  II, 
part.  II,  p.  47),  da  cui  togliamo  queste  notizie,  non  ricorda  punto 
il  dritto  concesso  di  fare  una  legge  dato  ail'  uno  dei  dottori,  ne  la 
questione  su  chi  fosse  meglio  rimunerato  dei  due. 

NOVELLA    XXV. 

Corne  il  Soldano  dono  ad  uno  dugento  marchi,  e  corne  il  tesoriere  li  scrisse, 

veggente  lui,  ad  uscita. 

Raccontasi  nell'  ultima  parte  di  questa  novella  corne  il  Saladino  si 

scandalezzasse  veggendo  che  nel  campo  cristiano  i  poveri,  amici  del  Si- 

gnore,  mangiassero  umilmente  in  terra. 

Con  qualche  maggiore  svolgimento  è  la  XXIV  B. 
Questo  stesso  fatto  irovasinella  Cronica  di  Turpino,  cap.  14,  appro- 
priato  ad  Agolante  (v.  Dunlop,  op.  cit.,  p.  1 17  e  476,,  e  G.  Paris, 
Hist.  poèt.  de  Charlem.,  Paris,  Franck,,  1865,  p.  501),  e  nel  Poema 
di  Anseïs  de  Carthagea  Marsilio  (v.  Gautier,  Epop.  franc.,  II,  475). 
S.  PiER  Damianû  (XI,  I ,  lo  appropria  a  un  re  Saraceno  prigione  di 
Carlomagno  (v.  Paris,  op.  cit.,  p.  291).  Nelle  Enfances  Godefroi  {w° 
4830  e  seg.)  il  re  Cornumarano  rifiuta  di  farsi  battezzare  osservando, 
tra  le  altre  cose  meno  rette,  che  i  cristiani  danno  ai  poveri  i  rilievi 
che  meglio  dovrebbero  gettarsi  ai  cani  {Hist.  litt.  de  la  Fr. ,  XXV,  518). 
Lo  racconta  anche  il  Sacchetti  nelle  Novclle,  CXXV,  e  nei  Sermoni 
evangelici  (riprodotto  anche  in  Zambrini,  Libro  di  Novelle,  n<^  LXXX). 
Il  Parenti  nelle  sue  annotazioni  ricorda  opportunamentea  proposito 
di  questa  novella  il  cap.  II,  v.  2-6,  dell'  Epistola  cattolica  di  S.  Ja- 
copû.  Sulla  venuta  di  Saladino  in  Europa  per  osservare  i  cosiumi 
dei  Cristiani,  vedi  Boccaccio,  X,  9,  Conde  Lucanor,  c.  12,  1'  His- 
toire de  Jehan  d'A\ennes  (in  Mél.  d'une  grande  bibl.  E.,  p.  2i3),e 
VAvvcnturoso  Ciciliano  (ediz.  Nott,  p.  350).  V.  anche  la  Lcttcra  II 
del  Lami  xiQW  Appendice  a\  Manni  (Milano,  1820,  p.  14  e  seg.). 

NOVELLA  XXVIII. 

Qui  conta  délia  costuma  che  era  nello  reamc  di  Francia. 


172  A.    D'aNCONA 

Era  vitupero  in  Francia  a  chi  andasse  in  sul  carro;  ma  dal  giorno  che 
Lancillotto,  forsennato  per  amor  di  Ginevra,  si  fece  tirare  sul  carro  per 
molti  luoglii,  ciô  non  fu  più  tenuto  ad  obbrobrio.  Se  l'esempio  di  Lan- 
cillotto valse  a  mutare  un  inveterato  costume,  perché  l'esempio  di  Cesù 
Cristo  non  dovrebbe  valere  a  perdonare  le  offese  ? 
Con  diversa  moralità  è  la  XXVII  B. 

Si  direbbe  che  la  novella,  specialmente  per  la  moralità,  che  le  è 
aggiunta,  fosse  iratta  dal  un  qualche  libro  di  esempj  ascetici,  simiie 
ai  Gesta  Romanorum.  Del  resto,  sull'  avventura  di  Lancellotto,  vedi 
il  poema  di  Cristiano  di  Troyes,  Lancelot  ou  la  Charette{edh.  Tarbé 
ne'  Poct.  champen.,  Reims,  1849,  e  ediz.  Jonckbloet,  La  Haye, 
1850),  nonchè  Keller^  Romvart  (Mannheim,  Bassermann,  1844, 
P-  453-$>2). 

NOVELLA    XXXI. 

Qm  conta  d'  uno  novellatore  di  Messer  Azzolino. 

Il  favolatore  di  Ezelino  non  avendo  vogiia  di  novellare,  ma  di  dormire, 
e  pur  dovendo  obbedire  al  suo  signore,  racconta  come  un  contadino 
andô  a  mercato  a  comprare  pécore,  e  tornandosene  a  casa  trovô  gonfio 
un  fiume,  che  non  potevasi  passare  sopra  piccola  barchetta  se  non  con 
una  pecora  alla  volta.  Il  novellatore  qui  si  ferma,  perché  a  far  passare 
a  quel  modo  tutte  le  pécore  ci  vuole  almeno  un  anno,  e  frattanto  puô 
a  tutt'  agio  dormire. 

Con  lievissime  varianti  è  la  XXX  B. 

L'avventura  trovasi  già  raccontata  da  Pietro  Alfonso  nella 
Disciplina  clericalis  (ediz.  Schmidt,  p.  50  e  128;  ediz.  Labouderie, 
p.  70;  Castoiement  d'un  père  à  son  fils,  ediz.  des  Bibliophiles,  1824, 
p.  58;  ediz.  Barbazan-Méon,  Paris,  Crapelet,  1808,  II,  89;  Le 
Grand  d'Aussy,  Fabliaux,  Renouard,  1829,  I,  269).  Piij  tardi  la 
riferî  anche  Cervantes  nel  Don  Quixote,  I,  20,  e  prima  di  lui  1' 
autore  del  Libro  de  los  enxenplos,  n'^  LXXXV  (ediz.  cit.,  p.  467).  Per 
altri  raffronti  con  versioni  letterarie  e  popolari  vedi  Grimm,  K.  u.  H. 
M^Vc/k  (Gôttingen,  1856,111,  14$),  Me\er,  Deutsche  Volksmàrch.  ans 
Schwaben  (Stuttgart,  Schober),  n»  90,  e  Frischbier,  Prussisch. 
Volksreime  (BerYm,  Enslin,  1870,  p.  SS]. 

NOVELLA   XLII. 

Qui  conta  bellissima  novella  di  Guglielmo  di  Bergdam  diProvenza. 

Accusato  di  dir  maie  délie  donne,  Guglielmo  è  circuito  dalla  regina  e 
dalle  sue  dame,  e  minacciato  di  mala  morte  con  colpi  di  bastone.  Fin- 
gendo  di  rassegnarsi  al  suo  destino,  chiede  una  grazia,  ed  essendogli 
concesso  di  dimandarla,  prega  che  la  prima  a  dargli  sia  la  più  disonesta. 
Le  donne  si  guardano  l'una  coU'altra,  ed  egli  salva  la  vita  con  questa  astuzia. 


LE    FONTI    DEL    NOVELLINO  ly^ 

Il  fatto  è  appropriato,  oltrecheal  Berguedam(ved.  Lieder  Guillelms 
von  Berguedam,  hgg.  von  A.  Keller,  1849,  p.  4;  Mila  y  Fontanals, 
De  los  Trovador.  en  Espana,  p.  283),  anche  ad  altri,  corne  a  Giovanni 
di  Meung  'Fauchet,  II,  126),  al  Gonnella  (Facezie  del  Gonnella, 
ediz.  Passano,  Genova,  1868,  p.  17;,  al  Marot  'Contes  du  sieur  d'Ou- 
ville),  a  Bertoldo,  ecc,  corne  nota  anche  il  Dunlop  (op.  cit. 
p.  213).  Trovasi  anche  nel  Livre  du  Chevalier  de  la  Tour  Landry 
(ediz.  Montaiglon,  Paris,  Jannet,  1854,  cap.  XXIV).  Nel  Lai 
d'Ignaurès,  il  cavalière  di  questo  nome,  minacciato  da  parecchie 
donne,  chiede  di  essere  ucciso  da  quella  che  più  l'abbia  amato 
(Le  Grand  d'Aussy,  Fabl.  IV,  162). 

NOVELLA   XLVI. 

Qui  conta  corne  Narcis  s'innamord  deW  ombra  sua. 

È  la  nota  favola  di  Narciso  al  fonte. 

Con  lievi  varianti  è  la  XLIII  B.  e  ampiamente  svolta,  la  XI  P. 

È  superfluo  rinviare  aile  fonti  classiche.  Puô  perô  notarsi  che  il 
carattere  cavalleresco,  questa  mitologica  narrazione  1'  ha  già  nel 
Lai  de  Narcisse  (Le  Grand,  Fabl.  I,  258  :  Barbazan-Méon,  IV,  145), 
e  nelle  tre  versioni  italiane  del  Novellino,  in  quella  pubblicata  dal 
Papanti  in  aggiunta  al  Cat.  del  Novellieri  (Livorno,  Vigo,  1871, 
p.  XXIj  più  che  nelle  altre  due. 

NOVELLA    XLVIII 

Qui  conta  del  re  Currado  padre  di  Curradino. 

Il  re  Currado  è  allevato  con  dodici  giovani  suoi  coetanei,  e  i  maestri, 
quando  egli  commette  qualche  fallo,  battono  non  lui  mai  compagni,ond' 
egli  per  pietà  di  loro  si  guarda  dal  cadere  in  errore. 
Con  lievissime  varianti  è  la  XLV  B. 

Senza  il  nome  di  Currado  questa  novella  si  trova  nell'  Ysopet  primo, 
pubblicato  dal  Robert  {Fables  inédites,  Paris,  Cabin,  182^,  11,492) 
che  cita  anche  il  Fedro  del  Perotto  in"  XI),  il  Romolo  (n^  LI),  il 
Galfredo  (n"LI).  In  italiano  trovasi  nell'  Esopo  pubblicato  dal  Ghi- 
vizzani  (Bol.  Romagnoli,  1866,  II,  p.  1241. 

novella  li. 

Qui  conta  d'  una  guasca  corne  si  richiamo  allô  re  di  Cipri. 
Una  donna  che  non  sa  come  sopportare  un  torto  che  le  è  fatto,  va  al 
Re,   uso  a  sopportare  dieci  mila  disonori  senza  risentirsene,  acciocchè 
egli  le  apprenda  come  portar  pazienza  del  suo.   Il  Re,  vergognandosi, 
comincia  a  vendicarsi  de'  suoi  offensori. 

È  taie  quale  la  XLVIII  B.  e  con  lievi  varietà,  la  XXXIII  P. 
Ripeterà  qui  la  nota  che  apposi   alla  Novella    XIX   di  Giovanni 


174  A.  d'ancona 

Sf.rcambi  (Bologna,  Romagnoli,  1871,  p.  290).  È  il  racconto  che 
irovasi  anche  nel  Boccaccio  (Giorn.  I,  nov.  9).  Nel  Sercambi  trat- 
tasi  ciel  F-le  Sparaleone  di  Poriogallo  ;  il  Novellino  e  il  Boccaccio 
concordano  fra  loro. 

NOVELLA    LU. 

D'  ma  campana  che  si  ordino  al  tempo  del  re  Giovanni. 
Il  re  Giovanni  di  Atri  ordina  che  sia  messa  un  campana,  la  quale 
potesse  esser  suonata  da  chi  gli  chiedesse  ragione  di  torti  ricevuti  ;  la 
fune  dopo  qualche  tempo  si  logora,  ed  è  sostituita  da  una  vitalba.  Un 
vecchio  cavallo  è  cacciato  dall'  ingrato  padrone,  che  non  vuol  più  man- 
tenerlo.  Avendo  famé  e  giungendo  alla  campana,  mangia  la  vitalba  e  la 
campana  suona.  Si  aduna  il  consiglio  del  re,  e  ritenuto  che  il  vecchio 
destriero  chieda  ragione  contra  l'avaro  signore,  si  condanna  costui  a 
pascerlo,  in  rimerito  dei  servigi  resigli  da  giovane. 

Con  varianti  lievissime  è  la  XLIX  B.  e  con  maggiori  svolgimenti, 
la  XVII  P. 

Un  fatto  consimile  è  raccontato  di  Carlo  Magno  :  ma  chi  suona  la 
campana  è  una  vipera,  nel  cui  nido  e  suUe  cui  uova  si  è  posto  un 
rospo.  Vedilo  narrato  in  Grimm,  Deutsche  Sagen  (trad.  franc,  del 
Du  Theil,  II,  155),  in  Von  der  Hagen,  Gesammtab.  (II,  655,  III, 
CLXIII-V)  e  nei  Gesîa  Romanor.  (ediz.  Grasse,  p.  ^4$  ;  ed.  Oester- 
ley,  c.  105  ;  vedi  quest'  ultimo  a  p.  728  per  le  fonti;. 

NOVELLA   LUI. 

Qui  conta  d'  una  grazia  che  lo  imperadore  fece  a  un  suo  harone. 
Un  imperadore  concède  a  un  suo  barone  di  far  pagare  un  danaro  a 
qualunque  uomo  magagnato  passasse  da  una  sua  terra.  Si  présenta  un 
zoppo  che  nega  di  pagare,  e  si  azzuffa  col  gabelliere  :  ma  levando  le 
mani,  scopre  di  esser  monco  ;  sicchè  è  richiesto  di  due  danari.  Segue  a 
negare  e  contrastare,  ma  cadendogli  intanto  la  berretta  di  capo,  fa 
conoscere  di  essere  orbo,  onde  è  richiesto  di  tre  danari.  Si  accapiglia 
col  gabelliere,  e  mostra  di  esser  tignoso,  onde  è  costretto  di  pagare 
quattro  danari,  quando  con  un  solo  avrebbe  potuto  passar  oltre. 
È  anche  la  L  del  B. 

La  novella  è  nella  Disciplina  Clericalis  fediz.  Schmidt,  p.  45  ;  ediz. 
La  Bouderie,  p.  49;  Castoiement,  ediz.  Biblioph.  franc.,  p.  39; 
ediz.  Barbazan-Méon,  II,  75,  Le  Grand,  Fabl.  III,  223).  È  nei 
Gesta  Romanor.  ^cap.  157),  ma  manca  al  Violier.  Per  altre  indica- 
zioni,  vedi  lo  Schmidt,  p.  121,  aile  quali  si  aggiunga  il  Libro  de  los 
enxempL,  n°  XIII,  nonchè  gli  altri  citati  dall'OESTgRLEY,  p.  738. 

NOVELLA   LIV. 

Qui  conta  come  il  piovano  Porcellino  fu  accusato. 


LE    FONTl    DEL    NOVELLINO  ly^ 

Il  piovano  Porcellino  è  accusato  dal  vescovo  Mangiadori  di  lasciarsi 
sedurre  dalle  donne  :  ma  sul  punto  di  esser  gastigato,  sa  che  il  vescovo 
deve  ricevere  in  caméra  una  amica.  Si  appiatta  sotto  il  letto,  e  a  un  date 
momento,  esce  fuori  ;  il  vescovo  gli  perdona  per  forza. 

Cfr.  col  Fabliau  francese  intitolato  da  Le  Grand  Fabl.  III,  126)  : 
De  l'évêque  qui  bénit  sa  maîtresse,  e  da  Wright  {Anecdot.  Uteraria, 
London,  1844)  ;  The  Bisliop  and  the  priest,  e  analizzato  dal  Le  Clerc 
nella  Hist.  liîter.  de  la  France,  XXIII,  135. 

novella  lix. 

Qui  conta  d'  uno  gentiluomo  che  lo  imperadore  fece  impendere. 

È  la  LVI  B. 

È  la  notissima  novella  délia  Matrona  d'Ejeso  (Petron.  Satyr.  XXV), 
che  sebbene  abbia  qualche  rassomiglianza  colla  novella  chinese  di 
Tchou-ang-îseu  e  la  matrona  di  Soung  (ved.  Mille  et  un  jours,  ediz.  Loi- 
seleur-Deslong.,  p.  695),  è  pero  ritenuta  di  greca  origine  :  anzi  il 
Rémusat  {Contes  chinois,  III,  14^)  traducendola  dal  Chinese,  la 
crede  imitata  dalle  favole  efesie,  penetrate  forse  fmo  in  Cina,  e  aile 
quali  probabilmente  ebbe  ricorso  anche  Petronio,  seconde  opina  il 
Dacier  {Examen  de  Phist.  de  la  matr.  d'Eph.  in  Mémoires  de  TAcad.  des 
Inscript.,  XLI).  Altri  ritengono  più  probabile  l'origine  orientale,  fra' 
quali  è  da  riporsi  anche  il  dottissimo  Benfey  (Pantschaî.  I,  460). 
Nel  Medio  Evo  la  troviamo  nel  Policrati-cus  di  Giovanni  Salisbu- 
riense  (VII,  II),  non  che  nelle  coUezioni  di  favole  esopiane 
(Phaedr.,  ediz.  Jannelli,  I,  14;  Romulus,  ediz.  Oesterley,  p.  69), 
e  nelle  varie  versioni  délia  Hist.  Septem  Sapientum  (vedi  Mussafia, 
Beitr.  z.  literat.  d.  sieb.  weis.  meist.,  p,  90;  Loiseleur-Deslong., 
Essai,  etc.,  Techener,  1838,  p.  161;  Keller,  Roman  des  Sept 
Sages,  Einleit,,  Tùbing.,  1836,  p.  CLIX,  e  Pyocletianus  Leben,  Qued- 
linb..  1841,  p.  49).  Di  qui  passô  aile  varie  traduzioni  del  Romanzo 
dei  Sette  Savj  (vedi  pel  Francese  il  Romanzo  in  prosa,  Paris,  Teche- 
ner,  1838,  p,  80;  e  quello  in  versi,  ediz.  Keller,  p.  143;  per  Tin- 
glese,  la  cit.  Introduz.  del  Keller,  p.  LXXXIX;  pel  tedesco,  la 
ediz.  di  Marbach,  p.  85  ;  per  l'armeno,  la  nov.  XIV).  In  Italiano  si 
trova  a  pag.  66,  del  Libro  dei  Sette  Savj  da  me  pubblicato  (Pisa, 
Nistri,  1864,  p.  34),  nel  testo  pubblicato  dal  Cappelli  (Bologna, 
Romagnoli,  p.  34),  e  nella  Sioria  d'una  crudcl  matrigna  (Bologna, 
Romagnoli,  pag.  41).  Independentemente  dal  libro  dei  Sette  Savj,  si 
trova  in  latino,  nelle  Latin  stories  di  Wright  (p,  1 56,  297)  :  in  ebraico, 
nelle  Parabolae  vulpium  Rabbi  Barachiae  NiRDANi(Pragae,  MDCLXI, 
p.  293);  in  tedesco,  nei  Beispiele  di  Boner,  p.  59  ;  in  francese,  oltre 
che  in  Saint-Evremond  (I,   236)  e  in  Lafontaine,    in  Marie  de 


176  A.  d'ancona 

France  (éd.  Roquefort,  1820,  II,  171),  in  Eustace  Deschamps, 
nell'  YsoPET  (Robert,  Fabl.  inédit.,  Paris,  Cabin,  1825,  H,  4J1), 
e  nei  Fabliaux  di  Harbazan-Méon,  III,  462.  Per  altre  indicazioni, 
vedi  il  Robert  (loco  cit.),  e  il  Dunlop  'p.  41,  522).  In  Italiano 
trovasi  nell'  Esopo  senese,  n'^  XLIX,  nel  Riccardiano,  n'^  XXXI,  nel 
lucchese,  n»  XXXI,  e  in  quello  del  Ghivizzani,  n'^  XLIII,  non  che 
nell'  Accio  Zucco,  n"  49,  e  nei  Tuppo,  n"  49.  Corne  novella  trovasi 
in  quelle  del  Sercambi  (Bologna,  Romagnoli,  1871,  p.  136,,  e  in 
quelle  degli  Incogniti,  nov.  II.  Per  altre  versioni  in  verso  0  in  prosa, 
vedi  Passano,  Novellieri  in  prosa,  p.  263,  Novellieri  in  versi,  p.  4, 
273.  H  Dott.  KoHLER  in  un  artic.  de\  Jahrb.  f.  Rom.  literat.  (XIII, 
407)  ricorda  anche  un'  altra  versione  ebraica  del  liuch  Kidduscim 
(Giessen,  1817,  p.  104),  e  una  popolare  russa  narrata  dal  Lerch 
neir  Orienta.  Occid.,  II,  373. 

novella  lx. 

Qui  conta  corne  Carlo  d'Angiô  amo  per  amore. 

Con  lievi  variazioni  è  la  LVII  B. 

Senza  darne  il  sunto,  ne  indicarne  le  fonti,  notiamo  soltanto  a 
proposito  délia  smania  pei  tornei  qui  attribuita  a  Carlo,  e  délia  con- 
trarietà  del  re  per  simili  ludi,  corne  Tolomeo  da  Lucca,  fra  le  cause 
per  le  quali  S.  Luigi  acconsentî  aile  proposte  pontificie  di  investire 
il  fratello  del  reame  di  Napoli,  pone  anche  qaies  sui  regni  quod  pertur- 
babat  Carolus  in  torneamenîis  [Rer.  Ital.  SS.  XI,  1 1 54). 

novella  LXl. 

Qui  conta  di  Socrate  filosofo,  corne  rispose  a'  Greci. 

Il  Soldano  de'  Greci  manda  ambasciadori  a  Roma  per  essere  assolto 
dal  pagar  tributo.  I  romani  rimettono  la  risposta  in  Socrate  filosofo 
romano.  Vanno  a  lui  gli  ambasciadori,  e  trovandolo  occupato  in  lavorar 
la  terra  ed  essendo  da  lui  banchettati  assai  miserainente,  credono  di 
poterlo  corrompere  con  danari.  Ma  Socrate,  rifiutando  i  doni,  sentenzia 
che  i  greci  seguitino  ad  esser  soggetti  a  Roma  nell'  avère  e  nelle  per- 
sone. 

Con  lievi  differenze  è  la  LVIII  B.  e  con  maggiori  assai,  appro- 

priata  al  re  di  Francia  e  a  Seneca,  è  la  VI II  P. 

Il  Parenti  osserva  con  ragione  che  questa  novella,  in  cui  sono 
malamente  scambiati  i  luoghi,  i  tempi  e  le  persone,  si  potrebbe  rife- 
rire  al  fatto  di  Curio  narrato  dagli  storici,  e  ricordato  in  brève  da 
Cicérone  (De  Senect.  n.  5  5.)  :  Curio  ad  focum  sedenti  magnum  auri 
pondus  Samnites  cum  attulissent,  repudiati  ab  eo  sunt.  Non  enim  aurum 
habere  pracclaruni  sibi  dixit,  sed  iis  qui  haberent  aurum  imperare.  Alla 
leggenda  di  Socrate  appartiene  anche  il  cap.  LXI  dei  Gesta  Roma- 


LE    FONTI    DEL    NOVELLINO  1 77 

norum  (ediz.  Keller;  ediz.  Swan,  I,  213  ;  Violier  deshist.  rom.,  cap. 
$9)- 

NOVELLA    LXII. 

Qui  conta  nna  novella  di  Messer  Roberto. 

La  Contessa   di   Ariminimonte  in  Brettagna  giacesi  con  un  portière, 
del  quale  già  le  sue  ancelle  avevano  provato  le  forze.  Il  conte  lo  sa  : 
ammazza  il  villano,  e  del  cuore  fa  una  torta  che  le  donne  mangiano  e 
trovano  buona.  Il  conte  allora  scuopre  loro  di  che  è  fatta,  e  la  contessa 
e  le  sue  donne  si  fanno  monache  in  un  monastero  da  esse  fondato.  Nel 
quale  rimase  il  costume  che  ogni  cavaliero  vi   capitasse,  fosse  di  tutto 
punto  fornito.  ma  alla  mattina  di  poi  dovesse  aile  tre  voUe  mettere  un 
fil  di  seta  nelia  cruna  di  un  ago,  sotto  pena  di  perdere  ogni  suo  arnese. 
Quest'  ultima  parte,  con  notevoli  differenze,  forma  la  XVIII  P. 
Il  cuore  dell'  amatore  dato  in  pasto  ail'  amata  dal  marito  geloso, 
trovasi  primamente  in  quel  laio  di  Gulron  accennato  nel  poema  di 
Tristano  (ediz.  Michel,  III,  39,  95  ;  Wolf,  Ueb.  die  Lais,  p.  52)  : 
quindi  nel  Lai  d'Ignaurès,  ove  non  una  sola  ma  dodici  dame  se  ne 
pascono,  e  poi  si  lasciano  morir  d'inedia    v.  Le  Grand,  FabL  IV, 
162;  Hist.  littér.  de  la  Fr.,  XVIII,  776  .  Su  questo  stampo  sono 
condotti  il  Romanzo  délia  Dama  di  Fayel  (v.  Le  Roman  du  Chastelain 
de  Coucy  et  de  la  dame  du  Fayel,  ediz.  Crapelet,  Paris,    1829;  Hist. 
littér.  de  la  Fr.,  XVII,  664)  che  dopo  l'orribile  pasto  ammannitole 
dal  marito  si  lascia  morire  di  famé  ;  e  la  novella  délia  moglie  di  Gu- 
glielmo  Rossiglione  che,  mangiato  il  cuore  del  drudo  suo  Guardas- 
tagno,  si  getta  da  una  finestra,  come  racconta  il  Boccaccio  «  se- 
conde che  narrano  i  provenzali  »  [Decam.,  IV,  9^.  Aggiungasi  la 
leggenda  tedesca  del  cavalière  Brennberger  riferita  dai  Grimm  nelle 
Deutsche  Sagen  (trad.  franc,  II,  252J.   Per  altre  versioni  antiche  e 
moderne  del  cuore  mangiato,  vedi  Von    der  Hagen  (Gesammt.,  I, 
CXVI),  e  per  l'uso  letterario  e  il  significato  simbolico  che  gli  sidiede 
nell'  antica  poesia,  vedi  la  mia  annotazione  alla  Vita  A'uora  di  Dante 
(Pisa,   Nistri,   1873,  p.   6).  Délia  leggenda  del  cuor  mangiato  ha 
scritto  Rochholz  nel  Zeitsch.  f.  deutsch.   Philol.,    1868,  nonchè  il 
Graesse,  Literârg.  III,  1120. 

novella  lxv. 

Qiù  conta  délia  Rcina  Isotta  e  di  Messer  Tristano  di  Lconis. 

Tristano  avea  questo  contrassegno  colla  Reina  Isotta,  che  venisse  a 
favellargli  d'amore  ogni  qualvolta  fosse  torbida  l'acqua  di  un  rigagnolo 
che  passava  per  il  palazzo  reale.  Un  giardiniere  si  avvide  délia  cosa,  e 
ne  fece  avvertito  il  re  Marco,  che  si  appiattô  sopra  un  pino  soprastante 
alla  fontana.  Venne  Tristano  e  fece  il  segno,  e  Isotta  si  mosse  per  andare 
Komania,lll  12 


178  A.  d'ancoma 

al  convegno,  ma  alzando  gli  occhi  al  pino  vide  l'ombra  sua  più  spessa. 
Sospettando  del  vero,  Isotta  vitupéra  Tristano  accusandolo  di  parlar 
maie  e  bugiardamente  di  lei,  e  Tristano,  fmgendosi  pentito,  giura  di 
partire  il  di  appresso  per  non  più  tornare.  Il  re  è  contenio  dell'  onestà 
délia  moglie,  e  trattiene  a  corte  il  nipoie  che  la  mattina  appresso  faceva 
fmta  di  partirsi. 

Con  lievi  varianti  è  la  LXII.  B. 

Vedi  il  poema  di  Tristano  (ediz.  Michel,  I,  1-18),  e  la  Tavola 
Rotonda  (Bologna,  Romagnoli,  p.  232  e  segg.).  Il  Keller  (Rom.  des 
Sept  Sages,  Einl.  CLXXVIIy  cita  anche  Gottfr.  von  Strassburg, 
Wcrke  ediz.  Von  der  Hagen,  II,  245)  e  il  Bucli  der  liebe  (éd.  Bùs- 
ching  e  von  der  Hagen,  I,  49). 

NOVELLA    LXVl. 

Qui  conta  d'uno  filosofo  lo  quale  era  chiamato  Diogene. 

È  la  nota  novella  di  Diogene  al  sole  e  di  Alessandro  Magno. 

Quasi  identica  è  la  LXIIl  B. 

Vedi  Valer.  Mass.  (IV,  5).  Si  trova  anche  nella  Discipl.  Cleri- 
calis  (ediz.  Schmidt,  p.  78;  ediz.  Labouderie,  p.  179;  Barbazan- 
Méon,  Fabl.  II.  171  ;  Le  Grand,  Fabl.  I,  365)  :  ma  ivi  è  attribuita 
a  Socrate,  sicchè  questa  non  puô  esser  la  fonte  diretta  del  Novd- 
lino.  Per  gli  autori  antichi  e  medievali  che  riportano  l'aneddoto, 
vedi  le  annotazioni  dello  Schmidt  {op.  cit.,  p.  162}. 

novella  LXVII. 

Qui  conta  di  Papirio  corne  il  padre  lo  mena  a  consiglio. 
Papirio  fanciullo  romano  viene  dal  padre  condotto  in  senato  un  giorno 
di  seduta  segreta.  La  madré  vorrebbe  saper  da  lui  che  cosa  si  è  trattato  ; 
ed  egli,  per  liberarsi  dalla  molestia,  dîce  €ssersi  consigliato  se  siapiij  pro- 
ficuo  alla  Repubblica  che  gli  uomini  abbian  due  mogli  0  le  donne  due 
mariti.  La  madré  dice  la  cosa  ad  altre  donne,  la  novella  si  sparge,  e  ne 
nasce  un  tumulto  délie  romane  innanzi  al  senato.  La  prudenza  di  Papirio 
è  lodata,  ma  si  approva  che  d'ora  innanzi  niun  fanciullo  sia  introdotto  in 
Senato. 

Con  lievi  varianti  è  la  LXIV.  B. 

Vedi  in  proposito  Aulo  Gellio,  I,  23;  Macrobio,  I,  6,  20; 
PoLiB.,  III,  20.  Moite  indicazioni  sulle  successive  versioni  di  questa 
novella  trovansi  nelle  note  di  Oesterley  alla  novella  392  del  Pauli 
[Schimpf  und  Ernst)  e  in  quelle  dello  stesso  Oesterley  al  cap.  126 
dei  Gesta  (p.  7 3 2;.  In  italiano  trovasi  nel  Volgarizzamento  del  Giuoco 
degli  Scacchi  (Milano,  Ferrario,  1829,  e  Zambrini,  Libro  di  Novelle, 
Bologna,  Romagnoli,  1868,  p,  ly,  nel  Fra  Paolino,  Trattato  de  Régi- 


LE    FONTl    DEL    NOVELLINO  I79 

mine  Rectoris  (ediz.  Mussafla,  Vienna,  1868,  p.  LUI,  44),  e  ndFiore 
di  Filosofi  ediz.  Cappelli,  Bologna,  Romagnoli,  p.  16,  einNANNUcci, 
Manuale,  Barhèra,  1858,  II,  305).  L'aneddoto  è  menzionato,  ma,  a 
quel  che  pare,  senza  atiribuirlo  al  fanciullo  Papirio,  anche  in  un  antico 
predicatore  francese,  citato  da  Lecoy  de  la  Marche,  La  chaire  franc, 
au  moyen-âge  (Paris,  Didier,  i868,  p,  404). 

NOVELLA    LXIX. 

Qui  conta  dello  gran  giustizia  di  Trajano  Imperadore. 

Con  lievi  varianti,  e  senza  l'ultima  parte,  è  la  LXVII  B. 

È  la  notissima  istoria  dell'  Imperatore  Trajano  e  délia  vedovella 
riferita  anche  da  Dante  [Purg.  X,ParadisoXX).  Vedila  in  Giovanni 
DiACONO  (II,  44),  Paul  Diacon.  (17),  Giov.  Damascen.  [De  Us  qui 
in  fid.  dorm.  I,  16],  Sigebert.  Chron.  ann.  $91,  citati  in  Gregoro- 
vius.  St.  délia  città  di  Rama,  III,  3,2,  nonchè  nella  Legenda  aurea 
(éd.  Grasse,  p,  196K  Quantitàditesti,  cosî  sopra  Trajano  e  la  vedova, 
comesullaliberazione  dell' anima  di  Trajano  per  opéra  di  S.  Gregorio, 
sono  raccolti  dal  Massmann,  Kaiserchronik  iIII,  752  e  segg.).  La 
sola  prima  parte  délia  novella  trovasi  anche  nel  Dolopathos  (in  Loise- 
leur,  Essai,  etc.,  p.  131;  ediz.  Montaiglon,  p.  265;.  Tutti  gli 
antichi  commentatori  danteschi  ne  fanno  menzione,  pères.  I'Anonimo 
Riccardiano  (ediz.  Fanfani,  Bol.,  Romagnoli,  II,  17),  I'Ottimo  (éd. 
Torri,  Pisa,  II,  161],  il  Della  Lana  ediz.  Scarabelli,  Bol.,  Rom., 
II,  116),  il  BuTi  (ediz.  Giannini,  Pisa,  Nistri,  1860.  II,  235;.  Notisi 
che  seconde  questi  due  ultimi  è  la  lingua  stesso  di  Trajano,  trovata 
ancor  fresca,  che  parla  allô  scongiuro  fattole  dal  Pontefice,  e  dice  a 
chi  appart^nne.  Trovasi  questo  racconto  anche  nel  Fiore  di  Filosofi 
(ediz.  Cappelli,  p.  58,  e  Nannucci,  Manuale,  II,  315).  In  proposito 
della  liberazione  di  Trajano  vedi  il  libro  intitolato  :  Istoria  del 
M.  A. -F.  Alfonso  Giaccone  nclla  quale  si  traita  esser  vera  la  libe- 
razione dell'  anima  di  Trajano  imperatore  dalle  pêne  dell'  Inferno  per  le 
preghiere  di  S.  Gregorio  papa,  fatta  rolgare  ed  aggiuntane  alcuna  cosa 
dal  P.  M.  D.  F.  PiFFERi_,  camaldol.  iSiena,  Bonetto,  1 595).  Latradi- 
zione  invece  è  riprovata  dal  Baronio  ^t.  VIII},  e  dal  Bellarmino 
{Depurgat.,  II,  8). 

NOVELLA    LXXIII. 

Corne  'il  Soldano  avendo  bisogno  di  moneta  voile  coglier  cagione  a  un 
giudco. 

Per  poter  trarre  moneta  da  un  giudeo,  il  soldano  gli  dimanda  quai  sia 
la  vera  fede  :  perché  se  egli  dira  che  sia  la  propria,  ingiurierù  quella  dei 
saraceni.  e  se  dira  che  sia  questa,  non  dovrebbe  osservarne  un'  altra.  Il 
giudeo  risponde  col  noto  apologo  dei  tre  anelli  simili  lasciati  da  un  padre 


i8o  A.  d'ancona 

morente  a  tre  figli,  ma  dei  quali  uno  solo  è  veramente  prezioso,  e  il  padre 

solo  il  conosce. 

Con  lievi  varianti  è  la  LXXII  B. 

L'origine  giudaica  o  maomettana  di  questa  novella  è  évidente, 
sebbene  il  libro  ebraico  del  Scebet  Jcliudà  che  la  contiene  non  sia  che 
del  secolo  XV  (vedi  Landau,  DieQ.d.Decam.,p.6/[:.  il  testo  ebraico 
trovasi  tradotto  in  italiano  dal  Levi,  Crisîiani  e  Ebrei  (Firenze,  Le 
Monnier,  1866,  p.  41 1,  e  su  di  esso  è  da  vedere  quel  che  dice  il 
Nicolas,  Essais  de  philos,  et  d'hist.  religieuse  (Paris,  Lévy,  p.  ?2  5). 
È  noto  corne  questa  novella,  délia  quale  si  è  giovato  il  Lessing  nel 
suo  Nathan  der  weise,  si  trovi,  oltre  che  nel  nostro  libro,  anche  nel 
Decamerone  (I,  5)  e  nell'  Avventnroso  Ciciliano  di  Boson  da  Gobbio 
(III,  347,  riportato  in  Zambrini,  Libro  di  Noielle,  p.  60  .  Questa 
stessa  narrazione,  ma  animata  da  spirito  assolutamente  diverso,  e 
per  provare  la  preminenza  délia  fede  cristiana,  trovasi  nei  Gesta  Ro- 
manorum  (ediz.  Keller,  cap.  89;  ediz.  Swan  I,  41  ;  Violier,  p.  224) 
enel  Dis  dou  vrai  aniel  analizzato  nella  Hist.  litt.  delà  Fr.  (XXII,  2  59), 
e  pubblicato  dal  Prof.  Tobler  Leipzig,  1871).  Vedi  altri  raffronti 
nelle  note  dell'  Oesterley  ai  Gesta,  p.  726.  Il  sig'  Salvatore 
Marino  [Baronessa  di  Carini,  Palermo,  Pedone,  1875,  p.  20  dice 
che  la  novella  è  popolare  in  Siciha. 

novella  lxxiv. 

Qui  conta  una  novella  d'un  fedele  e  d'uno  signore. 
Un  villano  sapendo  che  a  un  signore  piacciono  molto  i  fichi,  gliene 
porta  una  soma,  ma  quando  già  se  ne  trovavan  tanti  che  si  davan  anche 
ai  porci.  Il  signore  credendosi  scornato  da  questo  dono^  ordina  che  il 
villano  sia  legato,  e  i  fichi  gli  sieno  l'uno  dopo  l'altro  gettati  in  volto. 
Ogni  fico  che  gli  capita  presso  ail'  occhio,  il  villano  ringrazia  Dio.  Inter- 
rogato  del  perché,  risponde  :  perché  se  avessi  seguito  un  pensiero  che 
ebbi  di  portar  pesche,  a  quest'  ora  sarei  cieco.  Il  signore  ride,  perdona, 
e  lo  ricompensa  largamente. 
È  la  LXXIII  B. 

Trovasi  nel  Talmud  [Medrasch  Rabà,  Levitico,  parte  VI,  p.  172), 
riferita  ail'  Imperatore  Adriano,  ed  è  tradotta  dal  Levi,  Parabole, 
leggende  e  pensieri  race,  dai  libri  talmudici  ^^ Firenze,  Le  Monnier, 
1861,  p.  213),  edall'  HuRViTZ,  D/e  Sag^rt  ^.  He^raer  (Leipzig,  1826, 
p.  69).  Anche  questa  novella  è  secondo  il  Sig'  Salomone  Marino 
(op.  cit.,  p.  20],  popolare  in  Sicilia. 

novella  lxxv. 
Qui  conta  corne  Domencddio  si  accompagna  con  uno  giullare. 


LE    FONTl    DEL    NOVELLINO  l8l 

Domeneddio  e  un  giullare  si  accompagnano  insieme  :  un  giorno  il  secondo 
va  a  nozze  e  l'altro  ad  un  mortorio.  Avendo  risuscitato  il  morto,  Dome- 
neddio ne  ha  gran  ricompensa,  e  con  una  parte  dei  danari,  il  giullare 
compra  un  capretto,  lo  arrostisce,  ma  ne  prende  per  se  gli  arnioni.  Il 
compagno  dimanda  gli  arnioni,  e  l'altro  risponde  che  in  quel  paese  i 
capretti  non  ne  hanno.  Un'  altra  volta,  Domeneddio  va  a  un  par  di 
nozze,  e  il  giullare  a  un  mortorio,  ma  non  gli  riesce  di  risuscitare  il 
morto,  onde  è  tenuto  per  beffatore  e  condannato  alla  força.  Domeneddio 
vorebbe  saper  chi  mangiô  gli  arnioni ,  ma  l'altro  persiste  nella  sua  ris- 
posta  :  purtuttavia  è  liberato,  perché  il  morto  è  risuscitato  da  Dome- 
neddio. Questi  perô  dichiara  di  volersi  partire  dalla  società,  e  fa  tre  parti 
dei  danari,  una  per  se,  l'altra  pel  giullare,  e  la  terza  per  chi  mangiô 
gli  arnioni.  Allora  il  giullare  confessa  per  ingordigia  ciô  che  fmo  allora 
aveva  ripetutamente  negato. 

Più  brève,  e  cangiato  il  Signore  in  un  mago,  è  la  LXXV  dei  cod. 
Marciano,  stampata  dal  Tessier  per  nozze  délia  Volpe-Zambrini, 
Venezia,  1868,  p.  1 3. 

VHist.  littér.  de  la  France  (XXIIl,  93)  dà  alla  novella  una 
origine  francese,  ma  senza  arrecarne  nessuna  prova.  Le  ver- 
sioni  tedesche  notate  dai  Grimm  {K.  u.  H.  m.,  III,  109)  a  pro- 
posito  dei  racconto  popolare  Brader  Lustig  (n"  81  j  sono  tutte 
più  recenti  délia  nostra.  Altre  versioni  popolari,  più  0  meno 
compiute,  si  leggono  in  Glinski,  Bajarz  Polski  (Wilna,  1862, 
II,  220)  ;  in  ScHÔNWERT,  Sitten  iind  Sagen  (Augsburg,  Rieger, 
1869,  III,  302);  in  Strackerjan,  Aberglaiibe  11.  Sagen  aus  dcm 
Herzog.  Oldenburg  fOldenb.,  Stalling,  II,  301)  ;  in  Peter,  Volkst- 
hiïmliches  ans  osterr.  Schlesien  (Troppau,  1867,  II,  1 36^  ;  in  Wenzig, 
Westslawischer  Màrchenschatz  (Leipzig,  Lorck,  1857,  p.  88).  V.  un 
art.  dei  D''  Kôhler  su!  libro  dei  Peter  nei  Gott.  gel.  Anzeig. 
(1868,  p.  1377).  Ne\h  Zeitschr.  d.  deiitsch.  morgenlând.  Gesellsch. 
(XIV,  280),  trovasi  un  testo  persiano  pubblicato  e  tradotto  da 
RÙCKERT,  contenente  questa  novella,  alla  quale  si  aggiunge  anche 
l'altra  délia  quale  diremo  più  sotto  al  n°  LXXXIII,  ambedue  appro- 
priate,  corne  nel  nostro  libro,  aGesù.  Upoeta  persiano  Farîdat-Dîn- 
'Attar  che  ne  è  autore,  mori  nella  prima  meta  dei  sec.  XIII.  La 
prima  parte  di  questa  novella,  fmo  cioè  alla  condanna  dei  compagno, 
e  senza  l'episodio  degli  arnioni,  trovasi  in  un  racconto  popolare 
toscano,  riferito  dal  De  Gubernatis,  Novelline  diS.  Stefano  (Torino, 
1869,  n"  33  :  Gesà  e  Pipetta). 

novella   LXXVl. 
Qui  conta  dclla  grande  uccisione  che  fece  il  re  Ricciardo. 


i82  A.  d'ancona 

Il  Soldano  manda,  sotto  specie  di  cortesia,  un  destriero  al  re  Riccardo, 
sceso  in  Palestina  senza  cavallo.  Ma  il  re  vi  fa  montar  su  un  suo  sou- 
dière :  il  cavallo  lo  conduce  al  padiglione  del  Soldano,  che  aveva  tentalo 
con  tal  strattagemma,  di  impadronirsi  del  nemico. 
Con  leggiere  varianti  è  la  LXXV  B. 

L'Hist.  littcr.  de  la  France  (XXllI,  162^  dice  :  L'anecdote,  arrangée 
en  fabliau,  peut  fort  bien  venir  de  nos  rimeurs;  nous  ne  l'avons  point 
retrouvée  dans  leurs  manuscrits. 

NOVELLA    LXXXIl. 

Qui  conta  corne  la  Damigella  di  Scalot  mori  pcr  amore  di  Lancialotto  de 
Lac. 

Questa  damigella  spregiata  nell'  amor  suo,  morendo  disperata,  ordina 
che  il  suo  corpo  sia  messo  in  una  navicella,  nobilmente  arredata,  e  in 
una  borsa  alla  sua  cintura  si  ponga  una  lettera  che  dia  ragione  délia  sua 
morte.  La  navicella  giunge  a  Camalot,  e  tutta  la  cortedel  Re  Artù  legge 
la  lettera. 

Con  lievi  varianti  è  la  LXXXI  B. 

Vedi  La  morte  Arthur  (edid.  Furnival,  London,  1864,  vv.  1048- 
1095'),  La  mort  d'Artlnirc...  compiled  by  sir  Th.  Malory  (edid. 
Wright,  Lond.  1866;  e  edid.  Sîrachey,  Lond.  1868,  cap.  IX,  XIX, 
XX). 

NOVELLA    LXXXill. 

Corne  Cristo  andando  un  giorno  co'  discepoli  suoi  per  un  foresto  luogo, 
vider 0  molto  grande  tesoro. 

Cristo  passa  co'  discepoli  da  un  luogo  ove  è  molt'  oro  e  consiglia  di 
lasciarlo  stare,  corne  quello  che  è  cagione  che  le  anime  si  perdano. 
Giungono  dopo  di  essi  due  compagni  che  deliberano  di  dividersi  il  tesoro; 
uno  va  alla  città  a  prendere  un  mulo  per  caricar  la  preda  :  l'altro  resta 
a  guardia.  Ma  quegli  riporta  un  pane  attossicato  che  dà  da  mangiare  al 
compagno,  e  questi,  volendo  rimaner  solo  possessore  del  tesoro,  uccide 
l'altro  a  tradimento.  Poi  è  colto  dalla  morte,  e  i  due  corpi  giacciono 
accanto  ail'  intatto  tesoro.  Cristo  ripassa  coi  discepoli,  e  mostra  loro  la 
verità  délia  sua  sentenza. 

Più  svolta  e  cangiato  Cristo  in  un  romito,  è  la  LXXXIl  B.  e  la 
XVI  P. 

Negli  Avadânas  (trad.  Julien,  I,  60,  II,  89)  raccontasi  che  il 
Budda  un  giorno,  viaggiando  con  un  compagno,  scopri  un  mucchio 
d'oro  e  di  cose  preziose  :  ed  ecco,  gli  grido,  un  serpente  velenoso. 
Ma  un  uomo  che  li  seguiva  raccolse  il  tesoro  e  lo  porto  a  casa,  e 
fece  tante  spese  e  si  mise  in  tanto  lusso,  che  eccitô  la  cupidigia  del 
re,  e  venne  spogliato  ed  ucciso,  mentre  ricordando  le  parole  di  Budda, 


LE    FONTI  ^DEL    NOVELLINO  -  185 

esclamô  :  è  un  serpente  velenoso.  Il  Liebrecht  [Orient  u.  Occid.,  I, 
654)  assevera  che  il  racconto  ha  origine  orientale,  e  rimanda  al  Fa- 
BRiTius,  Codex  Apocr.  Nov.  Test.  [lU,  395),  e  aile  Mille  e  una  Noîte, 
(trad.  tedesca^,  Breslau,  1856,  XIV,  91).  L^avventura  è  entrata  a  far 
parte  della  Rappresentazione  di  S.  Antonio  [Rappres.  Sacre,  Le  Mon- 
nier,  1872,  II,  33)  aggiungendosi  alla  primitiva  leggenda  che  nonne 
ha  traccia.  In  Francese  trovasi  nei  Ci-nous-dit,  raccolta  inedita  di 
novelle  ricordata  da  P.  Paris  [Les  Mss.  franc.,  IV,  83).  In  tedesco 
è  fra  le  opère  di  Hans  Sachs  (ediz.  Godeke,  I,  225 1.  Dal  Novellino  il 
racconto  è  passato  al  Morlini  (nov.  XLII,  ediz.  Jannet^  p.  84)  e  al 
Chaucer  (Pardoner's  Taie).  Per  la  versione  orale  popolare^  vedi 
KuHN,  Westfal.  Sagen  (Leipzig,  1859,  I,  p.  76,  245)  e  Zingerle, 
K.  u.  H.  m.  'Regensb.,  p.  104).       -, 

NOVELLA    XC, 

Qui  conta  corne  lo  imperadore  Federigo  accise  un  suo  falcone. 
Un  giorno  a  caccia,  l'imperadore  lascia  andareilsuo  falcone  prediletto 
dietro  una  grue  :  questa  fugge,  e  il  falcone  si  rifà  sopra  un  aquila  gio- 
vane.  Federigo,  accortosi  della  preda,  gli  taglia  il  capo,  perché  il  falcone 
uccise  fellonescamente  il  suo  signore. 

Il  Dott.  Kohler  m'  avverte  che  l'avventura  trovasi  anche  col  titolo  : 
Der  junge  Kœnig  und  sein  Falke  nella  raccolta  di  novelle  ebraiche  di 
Tendlau,  Fellmeiers  Abende  iFranckfurt,  1856,  p.  25),  pero  senza 
alcuna  citazione  di  fonti. 

NOVELLA   XCl. 

Corne  une  si  confessa  da  un  frate. 

Uno  si  confessa  a  un  frate  di  aver  avuto  intenzione  di  rubare,  ma  non 
esser  riuscito.  Il  frate  non  vuol  dargli  l'assoluzione,  perch'  egli  ha  peccato 
corne  se  avesse  recato  ad  atto  il  suo  divisamento,  se  non  gli  porta  i 
danari  che  da  lui  saran  dati  in  elemosina.  Un  altro  giorno  il  peccatore 
promette  di  mandare  al  frate  uno  storione  :  non  lo  fa  e  l'altro  aspetta 
invano.  Redarguito,  risponde  che,  poichè  aveva  avuto  l'intenzione  di 
mandarglielo,  faccia  conto  di  averlo  avuto  in  realtà. 

Si  trova  anche  in  Pauli  ^ediz.  Oesterley,  n°  298)  e  a  pag.  507, 
l'editore  ricorda  per  racconto  consimile  :  Scherz  u.  Warhcyt,  80, 
MEMEL,77,p.49,  e  Lustigmachcr,  86,146.  Trovasi  anche  in  Waldis, 
Fsopus  (éd.  Kurz,  IV,  14I,  salvo  che  il  peccato  è  l'aver  desiderato  la 
moglie  altrui.  Tanto  I'Oesterley  quanto  il  Kurz  nelle  loronote  raf- 
frontano  questa  novella  con  l'altra  che  vedemmo  sopra  al  n"  IX.  Il 
Kohler  m'  indica  anche  Nicolas  de  Troyes,  Le  Grand  Parangon 
des  nouvelles,  n°  28.    - 


184  A.    D'aNCONA 

NOVELLA  XCIV. 

Qui  conta  délia  volpe  e  de!  niulo. 

La  volpe  vedendo  un  mulo  ne  ha  paura,  e  corre  al  lupo  raccontan- 
dogli  quai  nuova  bestia  ha  incontrato.  Vanno  tutti  e  due,  e  il  mulo  dice 
loro  che  ha  scritto  il  suo  nome  nel  piè  dritto  che  al/.a.  La  volpe  si  scusa 
di  non  saper  leggere;  il  lupo  va  sotto,  ed  è  ammazzato  con  un  calcio. 
La  volpe  conclude  che  ogni  uomo  che  sa  Jettera  non  è  savio. 
Con  lievi  varianti  è  la  XCI  B. 

Sulle  antiche  raccolte  di  favole  che  contengono  anche  questa, 
vedi  Robert,  Fabl.  inéd.  \\,  3651,  Schmidt  \Beitrage,  etc.,  p.  i8ij 
e  DuMÉRiL  \Poes.  inéd.  du  moy.-âge,  p.  19^).  Fa  parte  anche  de! 
poema  di  Rcnardo  w.  Robert,  id.),  ed  è  anche  nella  traduzione 
neogreca  pubblicata  dal  Grimm  (p.  XLVIlIi,  e  dal  Gidel,  Etud.  sur 
la  littér.  grecq.  moderne  (Paris,  1866,  p.  341;.  Trovasi  anche  nei 
Proverbi  di  Cintio  di  Fabrizi,  n°  III  (v.  Liebrecht  in  Jahrbuch  f. 
roman,  liter.,  I,  43 3I.  Per  narrazioni  orali  e  popolari,  vedi  Kuhn, 
MiCrk.  Sagen  (Der  dumme  Vv^olf}  e  Haupt  und  Schmaler,  Wendlsch. 
Volksl.  (II,  1611. 

NOVELLA   C. 

Came  lo  impcradore  Federigo  ando  alla  montagna  del  Veglio. 
Vi  si  racconta  in  primo  luogo,  come  Federigo  imperadore  andô  una 
volta  alla  montagna  del  Veglio,   e  come  questi  per  mostrargli  quanto 
fosse  temuto  e  obbedito,  con  un  solo  cenno  fece  che  due  assassini  che 
erano  su  una  torre  si  gettassero  giù,  morendo  incontanente. 

Questa  favola,  nota  1'Amari,S/.  dei  Musulmani  di  Sicilia  (III,  649, 
Firenze,  Le  Monnier,  18521,  era  stata  già  raccontata  più  volte  in 
tempi  diversi  mutando  sempre  i  personaggi  :  nel  IX  e  X  secolo  fu 
attribuita  agli  Ismaeliani  di  Persia,  nel  XII,  a  que'  di  Siria  quando 
Saladino  andôatrovare  Sinan.  Il  Defremery,  Nouv.  recherches  sur  les 
Ismaéliens,  plus  connus  sous  le  nom  d'Assassins  (in  Journ.  Asiatiq., 
1854],  dice  che  il  fatto  fu  attribuito  prima  al  fondatore  délia  setta 
degli  ismaeliani  di  Persia,  Haçan  Ibn  Sabbah  icfr.  Elmakin,  Hist. 
saracenor.,  sub  a.  4831,  e  si  racconta  pure  del  famosocapo  deiCarmati 
Abou-Jhâhir-Soleiman  Icfr.  Herbelot,  Bibl.  orient,  sub  Carmathe, 
1776,  p.  3261.  Gli  autori  occidentali  hanno  pur  essi  avuto  contezza 
di  questa  leggenda  :  il  continuatore  di  Guglielmo  di  Tiro  ^in  Mi- 
chaud,  Bibliot.  des  Croisades,  I,  372'  e  Marin  Sanudo,  De  secretis 
fidel.crucis  (p.  201I,  nefanno  menzioneanch'  essi,  ma  sotto  una  data 
posteriore  di  qualche  anno  alla  morte  di  Sinân.  In  questi  autori  (v. 
anche  nella  Collection  des  histor.  occident,  des  Croisades,  II,  286,  230, 
231),  il  cavalier  cristiano  è  Enrico  conte  di  Sciampagna  cui  le  No- 


LE    FONTI    DEL    NOVELLINO  185 

relie  antiche  sostituiscono  Federigo,  e  I'Amari  crede  originata  tal 
sostituzione  dalla  voce  falta  correre  che  Federigo  facesse  per  suo 
conto  pugnalare  il  Duca  di  Baviera  dagli  Assassini,  a'cuiambasciadori 
diede  un  convito  in  Melfi  nel   1252. 

La  seconda  parte  délia  novella  dice  corne  l'Imperatore  conoscesse 
di  esser  tradito  dalla  moglie,  perché  andando  a  lei,  essa  gli  dice 
che  vi  fu  pur  testé.  E  la  XCVIII  B.  Trovasi  ,già  un  simil  racconto, 
passato  poi  al  Decamerone  igior.  III,  n.  2),  nel  Calila  e  Dimna  araho 
Itraduz.  ingl.  di  Windham  Knatchbull,  p.  i6çi,  e  nell'  Auwari-Sohaïli 
0  Libro  dci  Liimi,  p.  167.  Vedilo  tradotto  da  Galland  e  Cardonne 
nei  Mille  et  un  jours  lediz.  Loiseleur-Deslong.  p.  472I.  Leggesi 
anche  nella  versione  spagnuola  del  Cailla  è  Dymna  (in  Gayangos, 
Escritor.  en  prosa  anîer.  al  s.  XV,  Madrid,  Rivadeneyra,  p.  36I  In 
Francese  trovasi  nel  Roman  de  Trubert  i'Méon,  Nour.  Recueil,  I,  2131. 

TESTO  BORGHINI. 

NOVELLA  VI. 

Corne  un  fabbro  si  riscosse  d'una  <juistione. 

Un  fabbro  accusato  presso  ail'  Imperadore  Federigo  di  lavorare  anche 
le  feste,  si  scusa  col  dire  che  ogni  giorno  deve  guadagnare  quattro  soldi 
e  non  più  :  dei  quali  una  parte  ne  rende,  l'altra  ne  dà,  la  terza  getta,  la 
quarta  adopera.  Invitato  a  meglio  spiegarsi,  dice  che  colla  prima  man- 
tiene  il  padre,  colla  seconda  fa  lemosine,  colla  terza  alimenta  la  moglie, 
e  1'  ultima  spende  pel  suo  sostentamento.  L'  Imperatore  gli  comanda  di 
non  spiegare  a  nessuno  questo  mistero,  se  prima  non  abbia  cento  volte 
veduto  la  sua  faccia,  e  chiamati  i  Savj  propone  loro  la  questione  dei 
quattro  soldi,  spesi  in  quei  quattro  modi.  I  Savj  non  sapendo  corne 
risolverla,  vanno  al  fabbro  che  promette  di  parlarese  gli  si  portino  cento 
bisanti  d'oro.  Cosi  i  Savj  sciolgono  la  questione  proposta;  ma  l'Impera- 
tore si  adira  col  fabbro^  che  venuto  alla  presenza  di  lui  si  difende  col 
dire  di  aver  cento  volte  visto  la  sua  faccia  sui  bisanti  d'oro. 
Con  non   moite  difîerenze  è  la  VI   P. 

Vedi  nei  Gesia  Romanor.  'c.  57,  ediz.  Keller;  Swan,  I,  189; 
Madden,  X,  25,6  part.  II,  3,  279;  Violicr,  p.  128).  Ma  nelle 
diverse  redazioni  dei  Gesîa  manca  la  seconda  parte  délia  novella.  E 
la  sola  prima  parte  di  essa  trovasi  anche  nel  W.-C.  Smyth,  The 
pcrsian  moonshec  (London,  1840,  n"  2  1).  Intera,  e  come  racconto 
popolare  trovasi  in  Simrock,  Deutsche  Màrch.  (n"  8^  e  nelle  Sicilian, 
Mdrch.  délia  Gonzenbach  (n°  (^o).  La  sola  parte  seconda  trovasi 
in  racconti  popolari  dei  Brandeburgo  (v.   Engelien,  D.   Volksm. 


i86  A.  d'ancona 

in  d.  Mark,  lir.,  1,  116)  e  del  Tirolo  (Zingerle,  K.  u.  H.  A/.,  p. 
I2ij.  Per  altrl  riscontri,  vedi  Kohlek  nelle  annotazioni  aile  Sied. 
Mardi.   (II,  2^4)  e  Oesterley,  Gesta  Romanor.  [c.  57,  p.  722;. 

NOVELLA   LI. 

Corne  il  Saladino  si  fece  cavalière,  e  il  modo  clie  tenne  Messer  Ugo  di  Ta- 

baria  infarlo. 

Si  narra  corne  il  Saladino  desiderasse  esser  fatto  cavalière,  e  con 

quai  cerimoniale  procedesse  in  farlo  il  suo  prigioniere  Messer  Ugo  di  Ta- 

baria. 

È  il  poemetto  De  Vordene  de  chevalerie,  analiz/.ato  nell'  Hist.  Hier, 
de  la  France  (XVIII,  755  e  segg.)  e  in  Legrand  d'Aussy,  Fabl. 
(I,  208),  e  pubblicato  per  intero  in  Barbazan-Méon,  Fabl.  I,  59. 
Trovasi  anche  nel  Roman  de  Jean  d'Avesnes  i'Dinaux,  Trouv.  du 
Nord  de  la  Fr.,  IV,  426),  e  in  Chastelain,  Instruct.  d'un  jeune  prince, 
(Mélang.  d'une  grande  bibl.  D.,  297).  Antiche  versioni  tedesche  e 
fiamminghe  sono  notate  ne!  Brunet,  Manuel  flll,  235,  V,  1514). 
Posteriore  a  questa  del  Novellino,  checchè  ne  dica  in  contrario  i! 
Lami,  Appendice  al  Manni  /"Milano,  Pirotta,  i82i,p.  12),  è,  secondo 
noi,  la  narrazione  che  si  trova  nel  lib.  III,  c.  13,  dell'  Avventuroso 
Ciciliano  di  Mess.  Bosone  da  Gobbio  'Firenze,  ediz.  Nott,  p.  3 10)  : 
Corne  Messer  Ulivo  di  Fontanafece  cavalière  il  Soldano  di  Rambilonia. 
Ê  anche  narrata  dal  Doni  nella  Libreria  II,  donde  passô  aile  raccolte 
di  sue  novelle  (Novelle  di  M,  A.  F.  Doni,  Lucca,  Fontana^  1852, 
p.  148). 

NOVELLA   LIV. 

Qui  conta  come  una  vedova  con  un  sottilc  avvedimento  si  rimarito. 

Essendo  in  Roma  proibito  aile  vedove  di  rimaritarsi,  ed  una,  ancor 
giovane,  avendone  voglia,  ordinô  ai  suoi  famigliari  che  menassero  perla 
citlà  un  cavallo  scorticato.  Pel  primo  giorno  se  ne  discorse  molto  per 
tutta  Roma,  poi  via  via  il  ruraore  si  acchetô,  e  in  brève  non  se  ne  parlo 
più,  per  quanto  lo  spettacolo  siprotraesse.  Da  ciô  la  vedova  presecorag- 
gio,  e  si  rimarito,  mostrando  ai  congiunticome  délie  cose  nuove  ed  inusi- 
tate  si  discorre  qualche  tempo,  poi  la  gente  se  ne  ristucca  e  pensa  ad 
altro. 

Con  varianti  di  dettato  soltanto^,  è  la  IX  P. 

Trovasi  anche  fra  le  Novellette,  Esempj  morali  e  Apologhidi  S.  Ber- 
NARDiNO  DA  SiENA  (Boi.  Romagnoli,  1868,  p.  27),  e  nell'  Esopus 
di  Waldis  (ediz.  Kurz,  Leipzig,  Weber,  1862,  III,  6  :  Von  einer 
Witwen  und  einem  griinen  Escl).  Il  D'  Kôhler  a  proposito  di  questa 
novella  in  un  artic.  dei  Gœtting.  gelehr.  Anzeig.  (10  novembre  1869) 
rimanda  a  Boner,   Edelstein  (n°    50),  Abstemius,  Fab.  n°  80  :  de 


LE    FONTI    DEL    NOVELLINO  1 87 

vidua  et  asino  viridi^  e  a  Gellert.  V.  anche  le  note  del  Kurz,  II, 

114. 

novella  lxv. 

Qui  conta  dl  due  ciecfii  che  contendcano  insieme. 
Durante  la  guerra  del  re  di  Francia  col  Conte  di  Fiandra  due  ciechi 
contendono  insieme  di  chi  avrà  vittoria,  ed  uno  sostiene  le  parti  del  re, 
V  altro  dice  :  sarà  chc  Dio  vorrà.  Il  re  di  ciô  avvertito  fa  cuocere  due 
pani,  in  uno  dei  quali  fa  mettere  dieci  bisanti  d'  oro  e  questo  dareal  cieco 
che  tiene  dalla  sua.  I  due  ciechi  tornano  a  casa,  e  quelloche  dice  :  sarà 
che  Dio  vorrà,  mangia  il  pane  colla  sua  donna,  mentre  l'altro  si  ciba  di 
altro  pane  accattato,  e  délibéra  di  vendere  quello  avuto  dal  re.  Il  com- 
pagno,  a  cui  il  pane  del  re  parve  assai  buono,  si  offre  compratore  dell' 
altro,  e  vi  trova  dentro  il  danaro.  La  mattina  di  poi  conta  la  cosa  al 
compagno,  il  quale  conviene  anch'  egli  che  le  cose  di  questo  mondo 
sono  in  mano  di  Dio,  e  la  cosaviene  agliorecchi  del  re,  chêne  resta  pur 
esso  convinto. 

Con  qualche  variante  è  la  XIV  P. 

Trovasi,  a  quel  che  dice  il  Robert,  Fabl.  ined.  (l,  CXLIXÎ,  anche 
nel  Renart  le  contrefait.  Qualche  cosa  di  simile  a  questa  novella, 
ritrovano  il  Dunlop  !'op.  cit.,  p.  250)  e  il  Simrock,  Quellen  des 
Shaksp.  (II,  246),  nella  novella  I,  giorn.  X,  del  Decameronc,  nel 
Barlaam  e  Josafat,  e  nei  Gesta  Romanor.  (c.  109).  La  forma  primitiva, 
senza  menzione  délia  guerra,  ma  colla  sola  disputa  se  più  giovi 
l'ajuto  di  Dio  0  quello  di  Cesare,  è  probabilmente  quella  che  si  trova 
nelle  Latin  stories  n°  CIV,  e  nel  Pauli  in"  526J,  e  vedi  a  pag. 
510  le  annotazioni  dell'  Oesterley,  nonchè  quelle  dello  stesso  a 
pag.  729  pel  cap.  109  dei  Gesta. 

NOVELLA    LXVIII. 

Qai  conta  corne  fu  salvato  un  innocente  dalla  malizia  de'  suoi  nemici. 

I  cortigiani  di  un  re,  invidiosi  di  un  donzello  venuto  di  récente  a 
corte,  gli  dicono  che  il  Re  è  assai  ofîeso  del  suofiato,  eche,  parlandogli, 
torca  la  bocca  0  volga  la  faccia  altrove.  Il  re  si  maraviglia  di  questo 
contegno  del  giovane^  e  i  cortigiani  glielo  spiegano  col  dire  che  il  don- 
zello ha  detto  che  non  puô  sostenere  il  fiato  puzzolente  délia  bocca  del 
re.  Questi  adirato  scrive  ad  un  fornaciajo  che  faccia  gran  fuoco,  e  metta 
nella  fornace  la  persona  che  a  lui  mandera  per  prima.  Dà  una  lettera  al 
giovane  pel  fornaciajo  :  ma  essendo  ora  di  messa,  il  donzello  indugia 
alquanto,  e  frattanto  un  cortigiano  va  al  fornaciajo  per  sapere  se  avesse 
bruciato  l'invidiato  rivale.  Giungendo  per  primo,  è  messo  lui  nel  fuoco  : 
e  il  giovane  torna  libero  a  corte  ;  il  Re  mandando  a  morte  tutti  i  suoi 
nemici,  lo  innalza  di  grado  e  di  onoranza. 


i88  A.  d'ancona 

Seconde  il  Liebrecht  la  prima  parte  diquesta  novellaènel  Soma- 
deva,  cap.  20  'trad.  Brockhaus,  II,  62  .  Il  Keller,  Dyoclet.  leben  (p. 
44,  Einleit.),  dice  ch'essa  ricorda  l'avventura  del  giovane  Ahmed  nei 
Seîte  Viziri  (trad.  ingl.  Scott,  X,  p.  531,  che  è  riferita  dal  Loise- 
leur-Deslongchami'S  nel  suo  Essai  p.  1 32^.  Cristianizzata,  diventa 
questa  novella  il  racconto  du  roi  qui  voulut  faire  brûler  le  fils  de  son 
sénéchal  (Le  Grand  d'Aussy,  Fabl.  V,  56;  Méon,  Nouv.  Rec,  II, 
336),  e  il  capitolo  89  dei  Gesia  Romanor.  'in  inglese,  ediz.  Swan  I, 
CIV,  éd.  Oesterley,  283).  In  italiano  è  divenuta  la  Novella  VIII,  6 
degli  Ecatommiti,  e  qualche  cosa  se  ne  trova  nel  poemetto  popolare 
di  Florindoe  Chiarastclla.  Per  altri  raffronti  vedi  Dunlop  [op.  cit., 
p.  487,1,  la  cit.  Introduzione  del  Keller,  e  le  note  dell'  Oesterley, 
p.  749.  Altre  versioni  oltre  le  qui  notate,  si  ricordano  dall'  Hertz, 
Deutsche  Sage  in  Elsass  (Stuttg.  1872,  p.  279-93). 

novella    LXXIV. 

Qui  conta  di  certi  che  per  cercare  del  meglio  perderono  il  bene. 
Neir  ultima  parte  délia  novella,  0  per  dir  meglio  nella  terza  novel- 
letta  che  qui  si  contiene,  ritrovasi  il  racconto  di  colui  che  non  poteva  ri- 
avere  un  deposito  fatto  in  buona  fede  ad  un  falso  amico.  Una  vecchia  lo 
consiglia  di  far  si  che  altri  proponga  ail'  amico  infedele  un  deposito  di 
gran  valore,  e  costui  temendo  che  l'ingannato  non  sveli  la  frode,  gli  ri- 
manda  i  suoi  scrigni,  e  ne  riceve  in  cambio  altri  vuoti. 

La  novella  è  di  origine  orientale,  e  trovasi  in  Cardonne,  Mélang. 
de  littcrat.  orient.,  II,  62,  e  nelle  Mille  et  un  jours  (éd.  Loiseleur, 
p.  652),  trattadalP  Agiaïb-Elmcaser.  Vedila  anche  nella  Discip.  cleric. 
(éd.  Schmidt,  p.  1 37  ;  éd.  La  Bouderie,  p.  91  ;  éd.  Biblioph.  franc, 
p.  88;  éd.  Barbazan-Méon,  II,  107  ;  Le  Grand  d'Aussy,  Fabliaux, 
III,  248].  Vedila  anche  nei  Gesîa  Romanorum  [eà.  Grasse  ed  Oester- 
ley, n°  CXVIII,  e  le  note  dell'  Oesterley,  p.  730),  e  nel  Libro  de 
los  enxcmplos  (n"  XCII).  Parecchi  critici  \Hist.  littér.  de  la  France, 
XIX,  829  ;  Du  MÉRiL,  Hist.  poés.  scandin.,  3  56,  Landau,  Die  Quell. 
des  Decamer.,S2\  Dunlop,  p.  247),  trovano  in  questa  novella  l'ori- 
gine délia  X  dell'  VIII  Giornata  del  Decamerone. 

novella  xcii. 

Qui  conta  d'iino  nobile  romano  che  conquise  un  suo  nimko  in  campo. 

È  il  fatto  di  Tito  Manlio  Torquato  tolto  da  Tito  Livio  iprima  deçà, 

libr.  VII,  §  IX-X),  colle  parole  delP  antico  volgarizzamento  italiano  [La 

primadecadi  T.  Livio....  per  cura  del  Prof.  G.  Dalmazzo.  Torino,  stam- 

peria  Reale,  1846,  II,  163). 

novella  xcix. 

Corne  un  rc  per  mal  consiglia  délia  moglie  uccise  i  vccchi  di  suo  reame. 


LE    FONTI    DEL    NOVELLINO  189 

Un  giovane  re  ha  moglie  giovane,  invidiosa  e  gelosa  di  un  vecchio 
precettore  del  marito.  Ottiene  da  lui  che  si  uccidano  tutti  i  vecchi  de!  reame. 
Più  tardi  il  re  si  fa  uno  strano  sogno,  ma  i  suoi  consiglieri,  tutti  giovani 
anch'  essi,  si  scusano  per  l'età  loro  di  non  saperlo  dichiarare,  ed  egli 
manda  perciô  ai  savi  vecchi  di  un  re  vicino.  Gli  rispondono  che  saprà 
decifrargli  il  sogno  chi  venga  a  lui  menando  seco  l'amico,  il  nemico  e  il 
giullare.  Un  giovane  quando  venne  l'ordine  di  uccidere  i  vecchi,  aveva 
salvato  il  padre  nascondendolo  senza  saputa  délia  moglie,  ma  non  senza 
che  questa  se  n'  avvedesse.  Quando  andô  in  volta  il  nuovo  bando  reale,  il 
vecchio  superstite  consiglia  il  figlio  a  presentarsi  al  re  col  cane,  la  moglie 
e  un  figlioletto.  Ei  va,  ed  afferma  che  il  cane  è  il  suo  migliore  amico, 
perché  anche  percosso  gli  è  fedele,  il  figliuoletto  è  il  giullare  che  lo 
Sûllazza,  e  la  moglie  è  il  peggior  nemico.  Questa  si  adira,  e  scuopre  al 
re  che  il  marito  ha  disubbidito  ai  suoi  voleri,  salvando  da  morte  il  padre. 
Il  re,  accordando  perdono,  manda  a  cavar  fuori  dal  nascondiglio  il  vec- 
chio, che  gli  dichiara  il  senso  del  sogno. 

Questo  racconto  già  dal  sec.  X  trovasi  in  un  sermone  di  Raterio 
vescovo  di  Verona  (v.  D'Achery,  Spicileg.,  I,  395;  Mussafia,  Ueb. 
eine  altfranzosisch.  handsch.  cl.  Universit.  biblioth.  zuPavia,  p.  58): 
vi  manca  soltanto  il  fanciullo  presentato  come  giullare,  che  trovasi 
invece  nella  Scala  cœli  di  Joannes  Junior  (Mussafia,  id.,  idj  e  nel 
Dolopathos  (v.  Loiseleur,  Essai,  p.  125,  291  ;  ediz.  Montaiglon, 
Paris,  Jannet,  p.  225).  Infinité  sono  le  version!  più  0  meno  com- 
piute  di  questo  racconto.  Ricorderemo  soltanto  quelle  dei  Gesta  Roma- 
norum  (ed.  Keller,  124;  Swan,  II,  164;  Violicr,  p.  422)  e  del 
Schimpf  II.  Ernstde\PAUL\:ed.  Oesterley,  n°42  3),  ovesono  davedere 
le  note  dell' editore  a  pag.  732  dell'  un  libro,  e  521  dell'  altro, 
nonchè  la  citata  dissertazione  del  Mussafia  ad  illustrazione  di  un 
favolello  francese  di  tal  argomento  :  si  aggiungano  le  notizie  raccolte 
dal  Kohler  in  una  rassegna  sul  lavoro  del  Mussafia,  inserita  nei 
Gœtting.  gel.  Anz.  (25  jan.  187I;.  Per  la  forma  orale  e  popolare  di 
questa  novella,  vedansi  oltre  i  due  scritti  citati  del  Mussafia  e  del 
KôHLER,  anche  le  annotazioni  (III,  170)  alla  novella  94  délie  K.  uiul 
Hausin.  dei  Grimm. 

TESTO  PAPANTI. 

NOVELLA  I. 

Corne  uno  filosafo  isputà  in  hocca  al  figlio  del  re  per  lo  più  yilc  luogo 
délia  casa. 

Un  figliuolo  di  un  re  conduce  un  filosofo  a  vedere  la  sua  casa,  e  come 
questa  era  lutta  a  oro,  e  il  filosofo  aveva  bisogno  di  sputare,  quando  il 


190  A.  d'ancona 

giovane  aprî  bocca,  l'altro  vi  sputô  dentro,  considerando  quello  il  più  vil 

luogo  di  lutta  la  casa. 

L'ancddoto  ô  in  Diockne  Lafcrzio  (II,  75)  appropriato  ad  Aris- 
tippo  e  a  Simo  tesoriere  di  Uionigi  il  tiranno.  Di  qui  pass6  al  libro 
di  Salomone  e  Marcolfo,  donde  probabilmente  venne  al  nostro  Ber- 
îoldo.  Trovasi  anche  nel  Pauli  (n"475),  e  vedi  a  pag.  528  le  anno- 
tazioni  dell'  Oesterley.  In  italiano,  trovasi  nell'  Avventuroso  Cici- 
liano  (eà.  cit.  p.  :;46)  riferito  a  Gian  di  Berri  e  al  Saladino;  nel 
Rosaio  délia  Vita  del  Corsini  ediz.  Polidori,  Firenze,  1845,  p.  78), 
è  riferito  a  Diogene  ed  Alessandro  ;  nel  Bandello  (III,  42)  corne 
accaduto  ail'  ambasciator  di  Spagna  in  casa  délia  cortigiana  Im- 
peria. 

NOVELLA  II. 

Raccontasi  qui  di  un  Signore  che  aveva  comprato  uno  schiavo  il 
quale  intendeva  la  lingua  degli  uccelli.  Questi  gli  predice  moite  sventure 
che  poi  si  avverano,  sicchè  il  padrone  lo  licenza  dicendo  di  voler  star  al 
piacer  di  Dio,  ne  voler  pi\i  sapere  le  cose  prima  che  avvengano. 

Non  trovo  l'origine  précisa  di  questa  novella,  ma  il  prof.  Teza, 
La  tradizione  dei  Sette  Savj  nelle  novelline  magiire  'Bologna,  1864, 
p.  24),  a  proposito  di  quel  racconto  che  forma  il  poemetto  popolare 
intitolalo  :  //  compassioncvole  caso  e  lieto  fine  di  Ermogene  figlio  di  un 
mercanîe  alessandrino,  ricorda  alcuni  libri  e  racconti  orientali  ove 
trovasi  menzione  dell'  intendere  il  linguaggio  degli  uccelli  ;  di  ciô  si 
vanta  Salomone  nel  Corano  (XXVII,  1 6),  e  dialoghi  di  lui  cogli  uccelli 
si  riferiscono  nel //T^ro  (rfei  A'L  Visiri  (ediz.  Bernhauer,  p.  96l;nella 
redazione  turca  del  libro  del  Papagallo  (Rosen,  I,  238)  il  re  indiano 
dimanda  d'intendere  gli  animali  ecc.  Vedi  per  maggiori  indicazioni  la 
nota  dello  Schmidt,  Die  Mardi,  des  Straparola  Berlin,  181 7,  p.  523), 
alla  Novella  3  délia  notte  IV.  Anche  nell'  Introduzione  aile  Mille  e 
una  notte  (ed.  Loiseleur,  p.  12)  trovasi  narrato  di  uno  che  intende 
il  linguaggio  degli  animali,  e  l'editore  fa  osservare  che  già  lo  Schle- 
G^Ly  Journal  Asiat.,  1836  (p.  599)  aveva  notato  l'origine 'délia  no- 
vella dal  Ramayana,  aggiungendo  che  si  trova  anche  nell'  Harivansa 
(trad.  Langlois,  I,  108}. 

NOVELLA   XII. 

Un  cavalière  era  felice  tanto  a  questo  mondo  che  di  lui  solea  dirsi  : 
non  gli  manca  altro  che  /'  ira  di  Dio.  Sentendoselo  sempre  ripetere,  gli 
vien  voglia  di  sapere  che  sarebbe  questa  ira  di  Dio,  e  si  parte  con  un 
servo  per  cercarla.  Un  giorno  si  abbattono  in  due  serpenti  che  fra  loro 
combattono  :  l'uno  spicca  ail'  altro  il  capo,  ma  poi  subito  corre  a  cogliere 
una  certa  erba,  epostala  fra  il  capo  e  il  corpo  del  compagno  questi  torna 


LE    FONTl    DEL    NOVELLINO  I9I 

sano  e  intiero.  Al  Cavalière  viene  curiosità  di  tentar  la  prova  su  di  se, 
e  si  fa  spiccare  il  capo  dal  servo,  ma  gli  è  poi  rappiccato  alquanto  torto. 
Il  servo  vorrebbe  ricominciare  per  far  meglio  le  cose,  ma  1'  altro  si 
rifiuta,  e  ricordandosi  dell'  ira  di  Dio,  conclude  col  dire  che  tanto  1'  è 
ita  cercando  che  1'  ha  trovata  e  avuta. 

Nelle  novelle  popolari  troviamo  chi  va  cercando  la  paura  e  non  ci 
riesce  :  v.  Grimm,  K.  u.  H.  Mardi,  (n»  4  e  le  note,  III,  9  segg.)e 
ScHNELLER,  Màrcli.  U.  Sagen  aus  Wàlschtirol  (Innsbruck,  Wagner, 
1 867)  :  e  altro  che  cerca  la  morte  e  trovatala  ne  esce  malconcio, 
corne  il  cavalière  délia  nostra  novella  :  v.  Wolf,  Deutsche  Màrch.  u. 
S^^e«  (Leipzig,  Brockhaus,  1845,  no  10).  La  serpe  che  riattacca  il 
capo  colF  erba,  e  cosi  insegna  a  far  rivivere  le  persone  uccise,  è 
nel  Pentamerone  1, 7,  e  nelle  Fiabe  e  Leggende  slciliane  del  Pitre  1,95. 

NOVELLA   XXI. 

Masser  Dianese  cavalier  trevigiano  consuma  tutto  il  suo  in  gentilezze 
e  magnificenze.  Si  annunzia  che  il  re  di  Cornovaglia  bandisce  una  giostra, 
e  darà  la  figliuola  al  vincitore.  Gliamici  di  Dianese  lo  (ornisconodi  tutto 
punto,  ed  egli  si  avvia  alla  giostra.  Dopo  qualche  tempo,  nota  come  la 
gente  lascia  la  via  diretta  per  un  sentiero  stretto^  e  sa  che  ciô  avviene  da 
che  in  quella  giace  insepolto  un  cavalière  morto  indebitato,  ed  è  usanza 
del  paese  non  seppellire  coloro  che  muojono  in  tal  condizione.  Egli  si 
offre  di  pagare  pel  defunto,  e  lo  fa  seppellire  a  grande  onore,  tanto  che 
consuma  tutto  il  suo,  e  non  gli  resta  che  un  cavallo.  Quando  si  ripone  in 
viaggio  è  raggiunto  da  un  mercatante,  che  gli  si  offre  compagno  e  lo 
fornisce  di  moneta,  a  patto  che  divideranno  a  meta  tutto  ciô  che  guada- 
gneranno.  Arrivano  in  Cornovaglia  ;  Messer  Dianese  vince  la  giostra, 
e  ha  in  moglie  la  figlia  del  re.  Dopo  qualche  tempo,  i  due  compagni 
risolvono  di  tornare  a  casa  loro,  e  sono  riccamente  donati  dal  Re.  Giunti 
vicino  a  casa,  il  mercatante  ricorda  al  cavalière  la  sua  promessa,  e  fa 
due  parti  :  l'una  di  tutto  il  tesoro,  l'altra  délia  donna.  Messer  Dianese 
sceglie  questa,  e  1'  altro  va  per  la  sua  strada  :  ma  poi  !o  raggiunge,  e 
rendendogli  ogni  cosa,  gli  dichiara  di  essere  colui  di  cui  ebbe  pietà, 
pagandone  i  debiti,  e  seppellendone  il  corpo.  Indi  sparisce,  e  va  in  pa- 
radiso. 

È  questa  la  novella  del  morto  riconoscente  délia  quale  sarebbe 
troppo  lungo  arrecare  tutte  le  versioni  letterarie  e  popolari.  Riman- 
diamo  adunque  per  maggiori  notizie  al  libro  del  Simrock,  Der  gute 
Gerhard  und  die  dankbaren  Todtcn  (Bonn,  i80j,  ed  aile  giunte  e 
osservazioni  del  Kôhler  nella  Germa/î/'ii  dello  Pfeiffer  (III,  199, 
XII,  55^,  nell'  Orienta.  Occ.  (II,  322),  e  nelle  Sicilian.  Màrch.  (II, 
248;,  del  LiEBRECHT  negli  Heidelberg.  Jabrb.  d.  litcrat.  (iSbS,  m'  29;, 


192  A.    d'aNCONA 

dello  ScHiEFNER  ncll'  Orient  u.  Ou.  (Il,  174),  e  del  Benfey,  Pant- 
schat.  (I,  2iç)j.  Solo  aile  versioni  popolari  ricordate  più  speciaimente 
dal  KôHLER  nelle  noie  aile  novelle  siciliane,  aggiungeremo  la  men- 
zione  dei  Quentos populars  catalans  collecion.  por  J.  Maspons  y  Labrôs 
(II,  p.  34.  Barcellona,  Verdaguer,  1872).  L'  origine  del  racconto 
non  è  ben  determinata.  Benfey  inclina  ad  ammettere  una  origine 
orientale,  notando  che  alcuni  particolari  rinvengonsi  in  racconti  in- 
diani,  e  opinando  che  la  versione  russa  possa  esser  l'anello  di  con- 
giunzione  e  di  trapasso  dall'  Asia  ail'  Europa.  Invece  il  Simrock 
crede  che  la  patria  e  la  vera  sede  del  racconto  sia  la  Germania,  e 
risolutamente  lo  connette  colla  mitologia  tedesca  Deutsch.  Mythol., 
p.  478;.  U  Prof.  CoMPARETTi  Prcfazione  alla  Novella  di  Messer  Dia- 
nese,  ecc,  Fisa,  Nistri,  i86s)  opina  che  l'idea  fondamentale  del 
morto  riconoscente  trovisi  già  in  un  passo  di  Cicérone,  De  divin. 
(I,  27,  cfr.  Val.  Mass.,  I>  7.  yj,  citato  anche  da  altri  [German.,  III, 
209J.  L'  episodio  del  morto  riconoscente  trovasi  anche  nel  Richars 
H  Bians,  romanzo  francese  del  sec.  XIII,  analizzato  da  C.  Casati 
(Paris,  PYanck,  1868,  p.  27  .  In  italiano  abbiamo  questa  novella 
con  maggiori  0  minori  differenze  e  modificazioni,  nello  Straparola 
(Nott.  XI,  nov.  2),  e  nel  poemetto  popolare  :  Istoria  bellissima  di 
Stellante  Costantina  figliaola  del  gran  turco,  la  quale  fu  rubata  da  certi 
cristiani  che  teneva  in  corte  suo  padre  e  Ju  vcnduta  a  un  mercante  di 
Vicenza  presso  Salerno,  con  molti  interyalli  e  successi,  composta  da  Gio- 
vanni Orazio  Brunetto. 

novella  xxii, 

La  moglie  di  un  cieco,  geloso  tanto  che  da  quella  mai  non  si  partiva, 

dà  la  posta  ail'  amico  sopra  un  albero  di  père.  Al  marito  che  è  rimasto 

sotto,  stringendo  il  pédale  perché  altri  non  vi  monti,  cadono  addosso  le 

père,  e  chiestone  ragione  alla  donna,  ella  gli  risponde  che  non  v'  è  altro 

modo  per  coglierle.  San  Pietro  che  vede  dal  cielo  lo  scorno  e  la  beffa 

del  povero  marito,  chiede  a  Dio  che  gli  sia  reso  il  vedere.  Aile  parole 

irose  del  marito,  la  donna  risponde  che  s'  ella  non  avesse  fatto  cosî,  egli 

non  avrebbe  mai  più  veduto  lume,  e  quegli  ne  rimane  quieto  e  contento. 

La  novella  trovasi  taie  quale  nelle  Latin  stories  di  Wright  -  n»  78) 

e  fra  le   favole  metriche   di  Adolfus  (in  Append.   aile  Lat.  stor. 

p.  174,  einLEYSER,  Histor.  poetar.  med.  aev.,  p.  2008).  In  tedesco, 

secondo  avverte  Kôhler  nei  Gott.  gel.  Anz.  (1869,  p.  774)  trovasi 

anche   in    Keller,    Erzàhlung.    aus    altdeutsch.    Handschriften    (p. 

298     e   fu   imitata   da  Wieland  (Oheron  VI,    80  e  segg.).  Ram- 

menta,  solo  in  parte,  la  nota  novella  dell'  albero  délie  père  del 

Decamerone  (VII,  9;,  che  trovasi  nel  Baiiar-Danusch  \Qd.   Scott,   II, 


LE    FONTl    DEL    NOVELLINO  I95 

64),  e  che  fu  imitata  da  Chaucer  [The  Marchaundes  Taie  in  Canterb. 
Taies  vy.  9089;  vedila  analizzata  in  Pecchio,  St.  critic.  délia  poes. 
inglese,  Lugano,  Ruggia,  185?,  II,  197;,  da  Pope  [January  and  May) , 
e  da  Lafontaine  (La  gageure  des  trois  commères,  II,  7).    ■ 

NOVELLA  XXIII. 

Quattro  figli  di  un  Re  vanno  a  cercar  loro  ventura.  Il  primo  va  a 
Parigi  e  vi  apprende  tutte  le  scienze  :  il  secondo  in  Cicilia  e  vi  diviene 
balestriere  :  il  terzo  in  Catalogna  e  v'  impara  ad  esser  ladro  :  il  quarto 
a  Genova  e  diventa  esperto  in  far  navi.  Tornati  a  casa,  vanno  tutti  e 
quattro  a  liberare  una  donzella  e  ad  acquistare  un  gran  tesoro  custodito 
in  un  isola  da  un  drago,  e  menano  a  buon  fine  l'impresa. 

La  novella  è  quà  e  là  mutila,  e  manca  délia  fine,  nella  quale  si 
dovrebbe  disputare  chi  abbia  avuto  maggior  parte  alla  liberazione 
délia  fanciuUa,  e  meriti  averla  insieme  col  tesoro. 

Il  racconto  trovasi  nel  Tùti-Nâmêh  (novella  IV  del  Pappagallo;,  e 
nel  Siddikiir  :nov.  I,  éd.  Jûlg,  Leipzig,  1867).  Lo  stesso  motivo, 
alquanto  variato  e  con  esito  diverso,  trovasi  nella  novella  délie  Mille 
e  una  notte  intitolata  Storia  di  Achmed  e  délia  fata  Peiri-Barun  (éd.  Loi- 
seleur,  p.  610-41;,  nel  libro  persiano  del  Trono  incantato  (trad.  Les- 
callier,  I,  p.  200;,  e  altrove  con  maggiori  0  minori  differenze  (v. 
Benfey,  Pantsch.,  I,  §  104,.  Per  le  versioni  popolari  tedesche, 
ungheresi,  russe,  e  perfino  dei  Negri  e  del  Madagascar,  v.  Grimm, 
annotaz.  al  n^  129  (III,  212;,  Schneller,  Màrch.  aus  Wàlscht. 
!n°  14),  e  Wesselofsky,  //  Paradiso  degli  Alberti  Bologna, 
Romagnoli,  1867,  vol.  I,  part.  II,  p.  2^8  e  seg.).  Trovasi  anche 
nel  Pentamerone  (giorn.  V,  tratt.  7  ,e  nello  Straparola  (Nott.  VII, 
fav.  V),  nonchè  nel  Morlini  (n^  80,  Paris,  Jannet,  p.  155).  Una 
redazione  popolare  italiana  fu  pubblicata  nel  Jahrb.  f.  rom.  liîer. 
(VII,  50-36)  :  un'  altra  siciliana  è  nella  raccolta  délia  Gonzenbach 

novella  XXVll. 

Un  imperatore  scorgendo  simiglianza  fra  se  e  un  pellegrino,  domanda 
a  costui  se  sua  madré  fu  mai  in  Roma.  L'altro  gli  risponde  che  non  la 
madré,  ma  il  padre  suo  fu  in  Roma  spesse  volte. 

Trovasi  già,  secondo  avverte  I'Oesterley  (nota  al  n"  502  del 
Pauli),  in  Plinio  7,  12,  io,§(  55),  Solino  (1,83;,  Val.  Massimo  (9, 
14,  3  ,  Macrob.,  Saturn.  1,  4,  21,,  ecc.  Altri  autori  cita  il  Lie- 
BRECHT  nei  Gotting.  gel.  Anz.  il 872,  stiick  17  in  un  art.  sopra  le 
Novelle  Anticlie  del  Papanti. 

novella  XXXI. 

Un  pellegrino  commette  un  delitto  ed  è  perciô  condannato  0  a  pagare 

Romania,  III  I  3 


ic)4  A,  d'ancona 

mille  lire  o  a  perder  gli  occhi.  Non  avendo  di  che  pagare,  è  condotto  ben- 
dato,  alla  giustizia.  Per  via  lo  vede  una  donna  ricca  ma  brutta,  e  si 
offre  a  pagar  per  lui,  purchè  la  sposi.  Quando  gli  è  tolta  la  benda,  vista 
la  brutta  donna  che  doveva  sposare,  comincia  agridare  :  Ribende  rilende, 
che  meglio  è  non  veder  mai  che  veder  sempre  cosa  che  gli  spiaccia.  Il  Signor 
délia  terra,  saputa  la  cosa,  lo  lascia  libero. 

Cfr.  colla  fav.  69,  lib.  IV,  dell'  Esopus  di  Waldis.  In  nota,  il 
KURZ  (p.  170)  rimanda  fra  gli  altri  a  Hans  Sachs  (IV,  5,13,  cfr. 
con  Pauli,  Anhang,  n"  4)  ma  il  paragone  non  ci  sembra  esatto.  Nei 
Proverhj  di  Cintio  dei  Fabrizj  (n'^  37^  si  trova  narrato  l'identico 
falto,  col  motto  di  :  Rehindemini.  Il  Prof.  Lemcke  {Cintio  dei  Fabrizj, 
m  Jahrbuch.  f.  roman,  literat.,  I,  ^18)  darebbe  alla  novella  e  alla 
parola  una  origine  arabica  :  a  noi  pare  che  venga  senz'  altro  da  benda, 
bendare.  Il  Liebkecht  nei  G ôtt.  gel.  An zeig.  (1872,  stiick  17)  riferisce 
in  questo  proposito  un  passo  dei  Zeloso  di  Don  Alfonso  Uz  de 
Velasco. 

Alessandro  d'Ancona. 


ESSAI  DE  CLASSEMENT 

DES  MANUSCRITS  DES  LOHERAINS 

SUIVI  d'un 
NOUVEAU   FRAGMENT  DE  GIRBERT  DE  METZ. 


«  Je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  un  monument  aussi  hardi,  aussi  surpre- 
nant dans  aucune  autre  littérature.  »  C'est  ainsi  que  M.  Paulin  Paris 
termine  l'avant-propos  de  son  édition  en  prose  de  Garin  '.  Sans  accep- 
ter absolument  ce  brevet  d'excellence  que  chaque  éditeur  est  toujours 
tenté  de  décerner  à  l'œuvre  qu'il  met  en  lumière,  il  est  cependant  incon- 
testable que  la  geste  des  Loherains  est  un  poème  d'une  grande  valeur, 
une  production  épique  au  suprême  degré  et  du  plus  haut  intérêt  pour 
l'histoire  et  la  littérature  nationales.  Considéré  en  soi,  il  offre  le  tableau 
le  plus  fidèle  et  à  coup  sûr  le  plus  saisissant  des  mœurs  et  des  institu- 
tions de  la  société  féodale  dans  sa  période  la  plus  reculée.  Comparé  aux 
autres  épopées,  le  poème  des  Loherains  apparaît  comme  l'une  des  plus 
populaires.  Le  nombre  des  manuscrits  qui  nous  ont  conservé  cette  geste 
en  tout  ou  en  partie  est  plus  considérable  que  pour  nulle  autre  chanson. 
S'il  convient  de  juger  le  mérite  d'une  œuvre  littéraire,  ou  du  moins  de 
mesurer  la  faveur  dont  elle  a  joui,  au  nombre  des  reproductions  qui  en 
ont  été  faites,  assurément  la  geste  des  Loherains  a  droit  d'être  placée  au 
premier  rang  avec  ses  branches  de  Garin  et  de  Girbert  de  Metz.  Cette 
prédilection  de  nos  aïeux  s'explique  d'elle-même  par  l'esprit  profondé- 
ment national  de  i'œuvre_,  par  la  fidélité  avec  laquelle  sont  tracées  les 
grandes  lignes  historiques,  par  la  précision  et  l'exactitude  des  données 
géographiques  en  ce  qui  concerne  la  région  orientale  de  notre  pays  et 
principalement  la  Lorraine  et  les  environs  de  Metz,  patrie  présumée  et 
vraisemblable  du  poëme  original. 

1.  Garin  le  Loherain,  chanson  de  geste...   mise  en   nouveau   langage  par  A. 
Paulin  Paris.  Paris,  1862,  in- 12. 


196  V.    BONNARDOT 

Ce  poëme  original,  quel  est-il  et  où  est-il  ?  Ces  deux  questions, 
je  n'ai  pas  la  prétention  de  les  résoudre;  il  me  suffit  ici  d'apporter  mon 
contingent  de  recherches  pour  une  étude  ardue  et  délicate.  L'abon- 
dance même  des  manuscrits  est  une  difficulté  de  plus,  tellement  les 
leçons  sont  divergentes  ou  mêlées.  A  cette  première  difficulté  vient 
s'ajouter  celle  qui  résulte  du  nombre  des  fragments  découverts  un  peu 
partout,  en  France,  en  Belgique,  en  Allemagne,  en  Autriche.  Je 
donne  la  liste  de  tous  ces  mss.  ou  fragments  parvenus  à  ma  connais- 
sance, en  m'aidantde  celle  que  M.  E.  Stengel  vient  de  publier'.  Malgré 
l'inconvénient  qu'il  peut  y  avoir  à  ne  pas  reproduire  les  signes  conven- 
tionnels adoptés  par  le  premier  éditeur,  je  me  suis  décidé  à  suivre  un 
autre  ordre  et  à  adopter  d'autres  signes  que  M.  St.,  pour  les  raisons 
suivantes  :  M.  St.  a  lui-même  apporté  quelques  modifications  à  son 
catalogue  (p.  408^  ;  le  nombre  des  mss.  ou  fragments  que  je  cite  est 
augmenté;  l'usage  provisoire  des  chiffres  me  permet  de  ranger  succes- 
sivement et  par  ordre  les  mss.,  fragments  et  rédactions  en  prose  qui  se 
trouvent  soit  à  Paris,  soit  en  province,  soit  à  l'étranger.  Cette  disposi- 
tion préalable  m'a  paru  faciliter  l'étude  des  mss.;  après  quoi,  et  comme 
résultat  définitif  de  ce  travail,  je  donnerai  le  groupement  des  mss.  en 
diverses  familles.  Dans  cette  première  liste  je  fais  suivre,  quand  il  y  a 
lieu,  le  numéro  provisoire  de  chaque  manuscrit  de  la  lettre  qui  lui  est 
affectée  p.  ^86-7  des  Roman.  Studien  : 

MANUSCRITS. 

/  P.  Paris,  Bibl.  nat.  fr.  1442  (anc.  75  3  0- 
2  G.         —  —       1443  (  —  7533^'-,  Colbert  1  $60). 

^D.        —  —      1461  (—   7H25-5,      —      5172)"- 

4F.        —  —      1582  (  —   7608). 

5       I (.  .  .  f°5  1-176. 

(m   —  —     i622!(—  7628^  de  la  Mare  282). 

5^      ] ( .  .  .  f°s  177  et  ss. 

6'X.         —  —      2179  (—   79915,      —  227). 

7  S.         —  —      4988  (—   96545-?a). 

8  E.        —  —    19160  ( —    Saint-Germain  1 244;  ;  une  copie 

à  Épinal  sous  le  n°  165. 

9  G.         —  —    19161  (  —  2041). 

1.  Die  Chanson  de  geste-Handschriftender  Oxforder  bibliotheken,  dans  ]es  Roma- 
nische  Studien,  pp.  580-408;  le  catalogue  p.  386-7  et  note  additionnelle  p.  408. 

2.  M.  Stengel  dédouble  ce  ms.  en  D  et  Da,  sans  doute  parce  qu'il  est  écrit 
de  deux  mains.  Mais  comme  il  n'est,  pour  ainsi  dire,  aucun  de  nos  mss.  dans 
lequel  cet  accident  ne  se  soit  produit  avec  des  proportions  plus  larges  encore, 
il  me  semble  plus  rationnel  de  dédoubler  les  seuls  mss.  comportant  dans  leur 
ensemble  des  leçons  différentes,  que  l'écriture  reste  ou  non  la  même.  Tel  est  le 
cas  p.  ex.  du  ms.  1622  =  5  et  ^a. 


LES  MANUSCRITS  DES  Loherains  197 

10  L.  Paris,  Bibl.  nat.  fr,  24377  f^^nc.  La  Vallière  60;  n"  2728  du  Ca- 
talogue . 
//  A.         — Arsenal,  B-L.F.  180 

12  N.        —      —         —       i8i(-  Collège  de  Navarre  A54j. 

j3  I.  Dijon,  300-'. 

14.  Montpellier  243. 

i5  R.?  Jadis  dans  la  bibliothèque  de  Roquefort. 

16  B.  Berne,  fr.  113. 

i/Q_.  Bruxelles  9630  ('anc.  28 ij. 

/<y  V.  Ashburnham  place. 

ig  U.  Cheltenham  2937,  bibl.  de  Sir  Thomas  Philipps. 

20  W.       -  3628,  '    — 

2/0.  Oxford,  Bodléienne,  Rawlinson  Poetry  160. 

22  T.  Turin;,  fr.  36. 

FRAGMENTS. 

23  Y.  De  Thoré. 

24  Z.  De  Carpentras,  ms.  401 

25  Z'.  Des  archives  de  l'Aube. 

26  Z2,  Des  archives  de  la  Marne. 

27.  De  Paris,  ms.  1461. 

28.  De  Paris,  communiqué  par  M.  Léon  Gautier. 
2p  H.  De  Hanovre,  ms.  576. 

3o  K.  D'un  couvent  d'Autriche. 

RÉDACTION   EN    PROSE. 

On  connaît  trois  versions  du  poème  en  prose.  L'une  existe  à  l'Arsenal 
sous  la  cote  B~L.  F.  218''  ;  le  ms.,  exécuté  au  xv  siècle,  est  à  deux 
colonnes.  La  langue  présente  les  caractères  du  dialecte  lorrain  '.  Avant 
de  passer  dans  la  bibliothèque  de  Paulmy,  il  a  appartenu  à  Guyon  de 
Sardière.  Le  «  Romans  de  Garens  Loherens  »  est  suivi  de  «  Vieilles 
Chroniques  d'Angleterre  «  également  en  prose.  Une  note,  due  au  biblio- 
thécaire de  Paulmy,  attribue  pour  source  à  ces  chroniques  celles  de 
Telezin  et  Melkin,  d'où  Wace  a  pris  le  sujet  de  son  roman  du  Brut. 

La  seconde  version,  œuvre  de  David  Aubert,  est  conservée  à  Bru- 
xelles dans  la  bibl.  de  Bourgogne.  Des  quatre  énormes  volumes  exécutés 
pour  Philippe-le-Bon,  le  premier  et  le  commencement  du  deuxième  con- 
tiennent Gérard  de  Roucillon,  la  fm  du  deuxième  et  le  troisième  le  Lolierain 
Giieri/i  et  Fromont  de  Lens  ;  le  quatrième  est  rempli  par  le  récit  des 
guerres  de  Lorraine  et  autres  contrées.  La  date  de  cette  traduction  est 


1.  L'Hist.  Int.  dit  (XXII,  641)  nue  le  ms.  de  l'Arsenal  contient  le  commen- 
cement de  la  traduction  de  Vigneulles.  Il  ne  faut  point  entendre  par  lA  que  ce 
soit  une  copie  de  la  traduction  messine,  laquelle  est  postérieure  d  au  moins  un 
demi-siècle  à  la  date  du  ms.  218.1. 


198  F.    BONNARDOT 

fournie  par  la  note  suivante  :  «  Ont  esté/,  par  David  Aubert  escripts  en 
))  la  fourme  et  manière  qui  s'ensieut  en  la  ville  de  Brouxelles  l'an  de 
))  l'Incarnation  Nostre  Saulveur  Jhesu  Christ  mille  cccc.  soixante 
»  cincq.  »  '. 

La  troisième  version  est  de  Philippe  de  Vigneulles,  le  fécond  chroni- 
queur et  conteur  messin.  Des  deux  exemplaires  qui  la  reproduisent, 
l'original  est  à  la  bibl.  de  Metz;  une  copie  très-soignée  et  ornée  de 
miniatures  était  au  xvii'=  siècle  en  la  possession  de  Ferry,  qui  l'avait 
acquise  en  1644  par  échange  avec  la  bibl.  de  Sedan;  elle  entra  plus  tard 
dans  la  collection  du  comte  Emmery  de  Metz,  d'où  elle  passa  en  1 849 
dans  celle  de  M.  le  comte  d'Hunolstein  *.  La  minute  de  Ph.  de  Vigneulles 
porte  le  n"  97  du  Catalogue  de  M.  Clercx  (maintenant  847)3.  Il  avait 
des  lacunes  qui  ont  été  comblées  dans  ces  derniers  temps  par  M.  Aug. 
Prost  à  l'aide  du  ms.  Emmery.  Ces  mutilations  et  la  restauration  du  texte 
sont  signalées  dans  une  note  en  forme  d'avertissement  qui  comprend  la 
copie,  faite  par  M.  Prost,  des  arguments  des  167  chapitres  d'Hervis. 
Voici  quelques-uns  de  ces  arguments  dont  on  peut  rapprocher  ceux  du 
ms.  de  Turin  (ci-dessous  22)  : 

Chap.  I".  —  En  celluy  temps  advint  que  en  la  noble  cité  de  Metz  avoit  ung 
duc  de  grant  autorité,  nommé  Pierre,  lequel  estoit  duc  et  seigneur  de  toute 
Estrasie... 

Chap.  2.  —  Comment  le  duc  Pierre  mandait  le  conte  de  Bar  et  plusieurs 
aultres  ses  parens,  et  du  conseil  que  luy  fut  doneis  touchant  le  mariage  de 
Aeilis  sa  fille. 

Chap.  5.  —  Comment  l'enfant  Hervix  fut  neiz. 

Chap.  31.  —  Comment  li  Lhorrain  Guerrin  et  Baigue  de  Bellin  son  frère 
furent  engendreis  et  neiz. 

L'œuvre  se  termine  au  fol,  32$  par  ce  résumé  intéressant  à  divers 
titres  : 

Ici  fine  l'istoire  c'on  dit  a  Metz  le  Lorrain  Guerrin,  c'est  assavoir  de  toute  la 
lignie  qui  saillit  du  duc  Piere  de  Lhoraine,  et  du  noble  duc  Hervey  de  Metz, 
de  toutes  leurs  filles  et  filz,  et  de  tous  ceulx  qui  en  descendirent,  comme  cy 
devant  avais  oys  ;  pareillement  de  la  lignie  du  conte  Herdré  de  Lans  en  Lainoy, 
de  Froment  et  de  Fromondin  son  filz.  Lesquelles  deux  lignies  se  menèrent 
durant  leurs  vies  une  si  forte  et  mortelle  guerre  qu'ilz  en  furent  tous  déshéritez 
et  destruits,  et  moururent  tellement  par  glaive  en  ceste  mortelle  guerre  que  de 
tous  les  plus  grans  n'en  eschapa  que  le  roy  Gerin,  qui  s'en  alla  rendre  hermite 

1.  Barrois,  Bibl.  prolypographique,  n"  1596,  1749-52. 

2.  A.  Prost,  Etudes  sur  l'Histoire  de  Metz,  les  Légendes,  p,i400,  note. 

5.  Catalogue  des  manuscrits  relatifs  à  l'histoire  de  Met:  et  de  la  Lorraine,  Metz, 
1856,  p.  7^-6.  La  notice  de  ce  ms.  donnée  par  M  Clercx  est  reproduite  dans 
le  Catalogue  des  mss.  des  Bibl.  des  départements.  Metz,  t.  V,  p.  ^07.  —  Je  suis 
redevable  à  l'obligeance  de  M.  Richard,  archiviste-adjoint  à  Metz,  des  détails 
qu'on  va  lire  sur  l'état  et  le  contenu  de  ce  ms. 


LES  MANUSCRITS  DES  Loheraîns  199 

au  boix  comme  il  a  ci-devant  esté  dit.  Laquelle  histoire  je  Phi.  de  Vigneulie 
cy  devant  nommez  l'a  retraict,  mis  par  chappilre  et  reccuellis  de  plusieurs  livres 
et  rime  ancienne,  comme  vous  avés  oys  :  si  vous  prie  au  nom  de  Dieu  que 
prenez  en  grey  l'euvre^  car  je  vous  advertis  qu'elle  n'est  pas  mise  en  cy  beaulx 
termes  comme  elle  deult  estre,  mais  y  ait  beaucopt  faillis  parce  que  je  n'ay  pas 
l'art  ne  la  science,  et  aussy  je  ne  l'a  faict  sinon  pour  mon  passe  temps  et 
plaisir  ;  néant  moins  je  l'ay  mis  au  plus  près  de  la  vérité  sellon  que  ez  anciennes 
rimes  j'ay  trouvés  en  escript.  Et  pour  ce  plaise  vous  a  courrigier  les  faultes  que 
y  trouvères,  et  je  vous  en  sçaveray  bon  greys  et  dirai  grant  mercy,  et  pour 
toutes  conclusions  nous  prierons  ou  Rédempteur  qui  nous  doient  part  en  son 
sainct  paradis.  Amen. 

Ce  fut  la  première  production  du  fécond  chaussetier  messin,  et  sans 
doute  son  œuvre  de  prédilection,  Philippe  de  Vigneulles  y  revient  dans 
ses  différents  ouvrages  : 

Aussi  y  ai  escript  la  vie  en  briet  du  noble  duc  Hervey,  duc  de  Metz  et  sei- 
gneur de  toutte  Austrasie,  qui  maintenant  est  appelée  Lorraine,  de  la  belle 
Beatrix  sa  femme,  et  du  Loherains  Guerrin  leur  filz,  duquel  le  corps  gist  a 
présent  tout  enthier  en  la  grande  église  d'icelle  cité  de  Metz  '. 

En  celle  dite  année  mil.  v.  c.  et  xv.  je  Philippe  de  Vigneulie  compouseur  de 
ceste  présente  cronique  translatis  et  mis  de  ancienne  rime  en  prouse  le  livre  de 
la  belle  Biautris  et  celui  du  Lourain  Guérin,  et  fis  pareillement  ung  livre  conte- 
nant cent  nowelles  ou  contes  joieulx  2. 

Ainsi  c'est  en  1515  que  Vigneulles  fit  sa  traduction  de  l'épopée  lor- 
raine. Il  s'est  servi  de  deux  ms.,  dont  l'un  ne  contenait  que  la  branche 
à'Hervis.  C'est  ce  qui  résulte  de  l'expression  «  le  livre  de  la  belle  Biau- 
tris et  celui  du  Lourain  Guérin  »  :  ce  n'est  pas  faire  injure  à  sa  critique 
littéraire  que  de  croire  qu'elle  eût  été  incapable  de  discerner  les  différentes 
branches  d'un  même  poème  si  elles  avaient  été  réunies  en  un  seul  tout. 
Parmi  les  ms.  qui  nous  sont  parvenus,  il  en  est  deux  (cV  et  14)  qui  ont 
pu  être  la  source  de  la  mise  en  prose  :  tous  deux  étaient  à  Metz  au 
moyen-âge  ;  tous  deux  présentent  les  caractères  du  dialecte  lorrain,  le 
premier  toutefois  à  un  bien  plus  haut  degré.  En  outre  <S'  est  le  seul  ms. 
(le  ms.  l 'j  étant  ici  tout  à  fait  hors  de  cause!  qui  possède  la  branche 
à'Hervis,  laquelle  branche  constituait  d'abord  un  ms.  à  elle  seule  et  ne 
fut  réunie  aux  deux  suivantes  que  plus  tard,  à  l'époque  de  la  première 
reliure  du  ms.  actuel  (voy.  sous  ^). 

MANUSCRITS    PERDUS. 

Divers  témoignages  attestent  l'existence  de  plusieurs  manuscrits  non 
représentés  par  les  précédents  : 

1.  Dans  ses  Chronicjius  publiées  par  Huguenin,  p.  2,  col.  2.  —  Voyez  aussi 
les  Légendes  de  Met:,  par  M.  A.  Prost,  p.  545  et  p.  490-9  le  fragment  de  la 
chronique  de  Vigneulles  relatif  à  la  légende  d'Hcrvis. 

2.  Mémoires  de  Ph.  de  V.,  édition  Michelant,  p.  283.  Stuttgart,  18^2. 


200  F.   BONNARDOT 

1  celui  de  Charles  V,  mentionné  dans  le  catalogue  de  la  librairie  du 
Louvre  dressé  par  Gilles  Mallet,  en  1 573  :  Des  Wandrez  qui  vindrent  en 
France,  du  Loherans  Garin,  du  bègue  de  Belin;  rymé  en  petit  volume*. 

2  et  3)  jadis  dans  la  librairie  des  ducs  de  Bourgogne  ^Du  Méril,  Mort 
de  Garin,  p.  Ixvij). 

Le  ms  de  Bruxelles  ne  représente  ni  l'un  ni  l'autre  de  ces  mss.,  qui 
n'auraient,  semble-t-il,  disparu  qu'à  une  date  assez  récente,  puisqu'ils 
sont  mentionnés  par  Saunderus  {BibUothec£  belgic£  mst£.  catalogus,  pars 
IP)  sous  les  no"  225  «  Laurens  Garin,  »  et  760  «  Lothar  Enguerin,  en 
rithme.  »  Du  Méril  donne  le  premier  et  dernier  vers  de  l'un  et  l'autre 
d'après  un  ancien  inventaire  dont  il  n'indique  pas  la  source./ 

4)  à  Eudes  de  Bourgogne,  comte  de  Nevers  (mort  à  Acre  en  1266). 
«  Li  dui  grant  romanz  et  li  Chançoners  por  xxxi''.  Ce  fu  li  romanz  des 
Loheranz  et  li  romanz  de  la  terre  d'Outre  mer,  et  li  Chançoners  »  (Inven- 
taire et  comptes  de  la  succession  d'Eudes,  dans  les  Mémoires  de  la  Société 
des  anticjuaires  de  France,  t.  XXXII,  p.  188). 

5)  dans  la  librairie  des  comtes  de  Hainaut.  En  1323,  le  romandes 
Loherains  était  compté  pour  16  livres  5  sols  dans  l'inventaire  des  bijoux 
et  joyaux  achetés  à  Paris  pour  Marguerite  et  Jeanne  de  Hainaut,  filles 
de  Guillaume  F', publié  par  M.  de  Ménilglaise  dansVAnnuaire-Bulletin  de 
la  société  d'Histoire  de  France,  pour  1868,  2''  partie,  p.  129.  (Ibid. 
p.  188,  note  I.) 

ÉDITIONS    PARTIELLES. 

Un  certain  nombre  d'extraits  ont  été  publiés,  quelques-uns  traduits  en 
prose.  Voici  par  ordre  de  publication  le  titre  des  ouvrages  où  !a  geste 
des  Loherains  a  été  l'objet  d'une  transcription  ou  d'une  analyse. 

1745.  Histoire  de  Lorraine  par  dom  Calmet,  nouvelle  édition,  t.  I, 
Preuves:  col.  ccxlj-cclxxxj,  une  partie  de  Hervis,  et  du  prologue  de 
Garin,  col.  cclxxxij-iv.  D.  Calmet  a  transcrit  le  ms.  igiiw  (anc.  Saint- 
Germain  1244)  soit  directement,  soit  indirectement  d'après  une  copie 
assez  peu  soignée  :  ainsi  au  v.  11  de  Garin  l'abréviation  chrs=  «cheva- 
liers »  est  rendue  par  chrestiens,  au  v.  22  péris  est  une  faute  pour  peW,  etc. 

Quand  la  leçon  varie  quelque  peu  entre  les  trois  mss.  qu'on  verra 
désignés  sous  le  nom  de  «  lorrains  » ,  l'édition  suit  celle  du  ms.  /  9  /  6" o .  Dans 
l'énumération  finale  du  poème,  ce  dernier  ms.  et  l'édition  sont  d'accord 
contre  le  ms.  1442,  qui  donnent  au  vers  10  «norris»  et  celui-ci  «ocis»; 
de  même  pour  le  vers  14  on  a  d'une  part:  «  Sous  qui  aidoient  »  et 
d'autre  part:  «  Cent  q,  a.  ».  Enfin  l'énumération  se  termine  par  ces 
deux  vers  adressés  par  le  jongleur  à  son  auditoire  : 

1.  Bibl.  nat.,  ms.  fr.  2700,  !«  xix  v°.  Ce  ms.  porte  le  n"  41 1  de  l'édition  du 
catalogue  publié  par  M.  Léopold  Delisle  dans  le  t.  II  du  Cabinet  des  manus- 
crits, actuellement  sous  presse. 


LES  MANUSCRITS  DES  Loherdins  201 

Des  Loherans  ne  poeis  plus  oir, 
S'on  ne  le  vuet  controveir  et  mentir 

qui  ne  se  trouvent  que  dans  le  ms.  de  Saint-Germain.  C'est  d'ail- 
leurs le  seul  qui  possède  la  branche  d'Hervis.  —  Une  copie  de  ce  ms. 
existe  à  la  bibliothèque  d'Epinal;  elle  provient  de  l'abbaye  de  Senones. 
Quoiqu'il  y  ait  toute  apparence  que  cette  copie  ait  été  faite  pour  dom 
Calmet,  abbé  du  même  lieu,  ce  n'est  point  celle  dont  il  s'est  servi  puis- 
que VHistoire  de  Lorraine  a  été  publiée  plus  de  dix  ans  avant  que  cette 
copie  ait  été  exécutée  (1757). 

Dom  Calmet  a  aussi  publié  dans  le  même  ouvrage  (col.  cxxii  et  ss.'i 
un  extrait  de  la  Chronique  rimée  qui  se  rapporte  à  la  légende  du  duc 
Hervis  '. 

183 5-? 5.  Li  romans  de  Garin  le  Loherain  p.  p.  P.  Paris,  vol.  II  et  III 
de  la  Collection  des  Romans  des  Douze  Pairs  de  France.  Le  premier 
volume  s'arrête  au  commencement  de  la  22'^  laisse  à  l'annonce  du  mariage 
de  Garin  avec  Blancheflor;  le  second  se  termine  avec  les  funérailles  de 
Bègue  de  Belin.  La  leçon  ne  reproduit  pas  le  texte  de  tel  ou  tel  ms., 
l'éditeur  a  fait  un  choix  parmi  les  variantes  de  tous  les  mss.  Cependant 
une  note  au  feuillet  de  garde  du  ms.  4  donne  à  penser  que  la  leçon  du 
ms.  146 1  a  été  suivie  de  préférence. 

1855.  Analyse  critique  et  littéraire  du  roman  de  Garin  par  Le  Roux  de 
Lincy.  Compte-rendu  de  l'ouvrage  précédent.  L'épisode  de  la  mort  de 
Bégon  y  est  traduit  presque  complètement. 

1836.  Chronique  rimée  de  Philippe  Mouskes,  édition  Reiffenberg  iBru- 
xelles).  Mousket  fait  entrer  dans  sa  compilation  des  éléments  empruntés 
à  la  geste  lorraine  :  t.  I  v.  2080-2125,  récit  de  la  mort  de  Bégon  ; 
v,  2126-2145,  résumé  rapide  des  événements  accomplis  jusqu'au 
mariage  de  Girbert  avec  la  fille  d'Aimery  de  Narbonne.  En  outre  il  y 
fait  allusion  en  divers  endroits,  sur  lesquels  voyez  la  dissertation  du 
baron  de  Reiffenberg  (II,  cclxiij  et  ss.j. 

1835-8.  Chanson  de  la  mort  de  Bègues  de  Belin  réduite  en  prose  par 
Edward  Le  Glay,  dans  les  Fragments  d^ épopées  romanes  du  xi^'  siklc^. 
Pour  sa  publication  l'auteur  s'est  servi  d'un  ms.  jusqu'alors  inconnu,  et 

1.  Les  mss.  de  cette  chronique,  que  M.  Prost  fait  remonter  )usqu'i  la  fin  du 
-xiv*  siècle,  sont  fort  nombreux,  voy.  A.  Prost,  1.  I.,  p.  102-6  et  Chabert.  La 
première  édition  parut  en  1698  (Metz,  veuve  Bouchard),  sous  ce  titre  :  Les 
Chroniques  de  la  ville  et  cité  de  Met:,  in-12,  97  p.,  réimprimée  dans  le  même 
format,   par   M.    Chabert,   avec  une  notice  bibliographique,   Metz,    185^,    et 

Ëubliée  en  partie  dans  la  revue  VAustriisie,   1855-6.  Le  fragment  publie  par 
'.  Calmet  comprend  20  quatrains  (p.  65-7);   il  a  été  reproduit  par  Du  Méril 
(Mort  de  Garin,  p.  XXII-IV). 

2.  Fragments...,  p.  93-158.  Paris,  Techener,  1838,  325  ex.  Hollande;  et 
antérieurement  dans  les  Archives  hisloriaiies  du  Nord  de  la  France,  IV',  i9;-23i, 
tiré  à  part  à  50  ex.,  in-8'  de  43  p.  Valencicnnes,   1835. 


202  F.    BONNARDOT 

qui  figure  actuellement  dans  la  bibliothèque  du  comte  d'Ashburnham 
(ci-dessous  /^). 

1844-5.  De  ce  même  ms.,  alors  dans  le  cabinet  de  M.  d'Herbigny, 
M.  E.  Le  Giay  a  publié  un  extrait  considérable  dans  le  yowrncî/^wi^îi/^/i/s 
de  Normandie,  1844  pp.  849-858;  la  publication  a  été  interrompue,  le 
Journal  n'ayant  plus  continué  la  sienne.  Cet  extrait  se  rapporte  au  com- 
mencement de  la  chanson  de  Girbert  ('voy.  ci-dessous  /fV;. 

1845.  La  Mort  de  Carin  p.  p.  Edelestand  du  Méril  pour  faire  suite  à 
l'édition  de  M.  P.  Paris;  l'éditeur  a  reproduit  de  préférence  le  texte 
de  J. 

1852.  Hist.  lin.  de  France,  t.  XXII  :  Notice  sur  les  Loherains,  par 
M.  P.  Paris. 

1862.  Garin  le  Loherain  ...  mis  en  nouveau  langage  par  M.  Paulin 
Paris.  La  branche  de  Garin  comprend  les  pp.  1-54°»  l'analyse  des  bran- 
ches suivantes  et  la  liste  des  mss.  les  pp.  ^41-369. 

1863.  Etude  sur  les  Chansons  de  geste  et  sur  Garin  le  Loherain.,  dans  le 
Correspondant,  par  M.  P.  Paris. 

186$.  Les  Foires  de  Champagne,  par  F.  Bourquelot,  contiennent  des 
extraits  de  Hervis  (t.  XXII  des  Mémoires  de  divers  savants,  Académie  des 
Inscriptions  et  Relies-Lettres,  pp.  1 14-128)  tirés  du  ms.  A\ 

Enfin,  pour  ce  qui  concerne  les  citations  ou  analyses  de  notre  poème 
antérieures  à  Don  Calmet,  je  renvoie  à  l'ouvrage  de  M.  Prost  qui  a 
étudié  avec  un  soin  particulier  la  source  et  la  portée  des  ouvrages  de 
Hugues  de  Toul,  de  Jacques  de  Guyse,  de  Symphorien  Champier,  de 
Wassebourg,  de  Meurisse  ...,  entant  qu'ils  ont  trait  à  la  partie  légen- 
daire de  la  geste. 

Presque  toutes  ces  publications  ont  pour  sujet  la  chanson  de  Garin; 
par  contre,  les  fragments  publiés  appartiennent  tous  au  Girbert,  sauf  3o . 
Des  nouveaux  fragments  dont  la  description  est  donnée  plus  bas,  deux 
sont  de  Girbert,  le  ]^  (27)  est  pour  moitié  de  Garin  et  pour  moitié  de 
Girbert.  J'indique  pour  chaque  morceau  la  famille  et  le  groupe  auxquels 
il  se  rattache. 

23.  —  360  vers,  les  premiers  reproduits  dans  la  Revue  des  sociétés 
savantes,  4''  série,  t.  V,  p.  442  ;  le  fragment  entier  dans  le  Cabinet  histo- 
rique de  M.  Louis  Paris,  1867,  et  tiré  à  part. 

Il  commence  au  4*^  vers  de  la  seconde  laisse  de  Girbert.  Lems.  auquel 
ce  fragment  a  appartenu  comptait  2  col.  par  page  et  45  vers  à  la  col. 
Sa  langue  est  du  picard  entaché  de  wallon  ;  sous  ce  rapport  il  est  voisin 
du  ms.  7.  Pour  la  leçon  il  ne  diffère  pas  essentiellement  des  mss.  de  la 
Bibi.  nat.  Je  relève  seulement  quelques  divergences  dont  un  certain 
nombre  sont  assurément  du  fait  de  l'éditeur.   V.  5  s'aucuns  sospir  {sic} 


LES  MANUSCRITS  DES  Loherains  20^ 

chaitis  en  autre  terre  ;  ms.  sovent  qui  est  la  bonne  leçon,  sospire.  —  V.  n 
commence  la  seconde  laisse  en  a...e.  Je  remarque  que  dans  plusieurs  ms. 
tels  que  i-S-j-S,  les  deux  ou  trois  premiers  vers  de  cette  laisse  sont 
réunis  à  la  laisse  précédente  en  e...e  :  les  assonances  Pasques,  charge, 
Bordeile  la  large  sont  remplacées  par  feste  (gieste  7)  germe,  Bordelle,  en 
sorte  que  cette  laisse  commence  seulement  au  v.  13  ou  14,  au  milieu 
d'une  phrase,  par  A  l'aleor  de  l'ancien  estage  corrompu  dans  4  :  Et  a  la 
loi.  —  V.  20  guienage  esl  sans  doute  altéré  de  gaaignage  ;  ce  mot  est 
isolé  ;  les  mss.  donnent  treuage  segnorage  passage.  —  24  grelles  corr. 
grailles.  —  V.  42  manque  à  tous  les  ms.  —  V.  63  escrire  corr.  escrit, 
l'assonance  étant  en  /.  —  V.  72  Par  haute  mer  se  nagierent  ichil;  la  bonne 
leçon  est  se  nagent  a  I  cri.  —  V.  76  sir,  lis.  issir.  —  V.  82  si  lis.  ansi. 
—  V.  92  dreciés  lis.  drecies,  assonance  i...e.  — V.  147  voelent  lis.  soelent 
etc.  etc.  L^éditeur  n'a  pas  toujours  respecté  l'ordonnance  des  laisses  :  la 
seconde  ne  fait  qu'un  avec  la  première  sous  deux  assonances,  par  contre 
la  dernière  est  divisée  en  deux.  Les  traductions  données  en  note  ne  sont 
pas  toujours  justes  :  au  v.  142  cadiel  est  expliqué  par  «  manoir  »  qui 
est  contredit  non-seulement  par  le  sens  mais  par  la  construction  même 
de  la  phrase  : 

Gironviie  est  fremée  en  un  vaucel 
Sor  une  roche  qui  fu  del  tans  Abyel, 
Cayns  le  fist  et  si  autre  cadiel. 

Il  semble  que  les  copistes  aient  été  embarrassés  pour  ce  mot  qui  est 
chandel  3,  cael  4,  kaiiel  7,  tandis  que  les  ms.  lorrains  :-5-rS^  le  suppri- 
ment :  et  ses  f reires  Abels. 

24.  —  140  vers  en  deux  feuillets  non  consécutifs,  reliés  à  la  fin  du 
ms.  Carpentras  401;  les  premiers  vers  de  chaque  fragment  dans  la  Revue 
des  soc.  sav.,  ibid  ,  p.  443.  J'en  ai  la  copie  que  je  tiens  de  l'obligeance 
de  M.  Barès,  bibliothécaire  de  Carpentras.  Par  une  heureuse  rencontre 
le  premier  de  ces  fragments  se  rapporte  au  passage  conservé  par  -jj, 
publié  plus  loin  ;  il  commence  et  finit  avec  les  vers  41-108  de  notre 
fragment.  Le  second  feuillet  débute  par  le  14»^  vers  de  la  laisse 
Vait  s'en  Gerberz  li  prouz  et  li  guerriers  (f"  1 3  <,d  de  3) 

et  finit  70  vers  plus  loin  par  la  réclame 

Vait  s'en  li  conte, 

initiale  d'une  laisse.  Ce  ms.  est  picard  par  la  langue,  par  la  leçon  il 
appartient  au  même  groupe  que  S-4  et  Montpellier.  Voici  quelques  obser- 
vations sur  le  texte  rapproché  de  celui  de  .V  .■  v.  5  manque  dans  S-4  et 
les  mss.  lorrains  /o-A'.  —  V.  1 3  difière  dans  les  deux  mss.  —  V.  1 5 
Car  a  mon  oel  Paverai  jou  plus  chier  corr.  a  mon  ocs,  qui  est  la  leçon  de  7  ; 
a  mon  eus;  le  texte  de  J  est  obscur  :  a  ucs  {aves  j')  moi,  les  trois  premières 


204  ^-    BONNARDOT 

lettres  surmontées  chacune  d'un  apex  ;.  les  autres  mss.  donnent  avoc 
avoec  moi.  — V.  21  Par  vostre  guerre  on  mes  pères  ochis,  corr.  on  en/u 
d'après  les  mss.  —  V.  26  diffère  dans  tous  les  mss.  sauf .?  et  4.  — 
V.  46-50  sont  intervertis  en  regard  des  mss.  J-4  qui  font  suivre  ainsi  : 
49,  46,  $0,  47,  48  ;  c'est  un  dénombrement,  l'accident  est  de  peu. 

Ce  feuillet  termine  un  cahier,  ainsi  que  le  montre  la  réclame.  Entre  ces 
deux  fragments  du  même  ms.  on  compte  1012  v.  d'après  le  ms.  J,  mais 
d'après  la  justification  du  fragment  lui-même  101  $  v.,  soit  29  col.  par 
^5  V.  chacune.  Et  comme  ce  ms.  n'est  pas  divisé  en  colonnes,  la  lacune 
est  donc  de  29  pages  entre  les  deux  feuillets  :  cela  étant  le  premier 
feuillet  =  fol.  32  et  le  second  =  fol.  61  de  Girbert  tel  qu'il  se  compor- 
tait dans  le  ms.  complet,  écrit  au  commencement  du  xiv"  siècle.  Les 
fragments  sont  reliés  à  la  fm  du  ms.  401  de  la  bibl.  d'Inguimbert  à  Car- 
pentras,  lequel  provient  du  cabinet  de  M.  de  Mazaugues. 

25.  —  173  vers  contenus  dans  la  moitié  d'un  feuillet  double,  rogné 
dans  le  sens  de  sa  longueur;  les  quatre  colonnes  restantes  sont  celles  de 
gauche  au  recto  et  de  droite  au  verso.  Publié  dans  la  même  Revue  (4"= 
sér.  t.  VIII,  p.  274-280),  et  rapproché  par  M.  P.  Meyer  de  nos  mss. 
5^-y-i  I . 

L'éditeur  a  remarqué  que  la  leçon  de  ces  5  mss.  est  sensiblement  dif- 
férente de  celle  du  fragment  ;  il  n'a  pu  savoir  que  cette  dernière  est 
suivie  par  tout  un  groupe  de  mss.  Par  le  texte  non  moins  que  par  la 
langue,  le  fragment  est  lorrain  ;  il  est  plus  voisin  de  /  que  de  8.  La 
col.  I  commence  dans  /  au  fol.  25 1",  dans  8  au  fol  cccxxxix^  Je  relève 
en  passant  quelques  corrections  et  variantes  :  v.  6  trous  cor.  trons.  — 
V.  16  est  différent  de  tous  les  mss.  —  V.  24  est  isolé  en  regard  des 
autres  mss.  —  La  col.  II,  séparée  de  la  précédente  par  une  lacune  de 
86  vers  (Rev.  des  Soc.  sav.  p.  274  et  276),  a  son  premier  vers  incom- 
plet du  commencement.  Ce  vers  manque  dans  tous  les  mss.,  sauf  dans  i 
qui  porte  : 

[Tanrement  ploure  des  biax  eus  de  son  vis 
Que  la  cleirje  iaue  li  cort  aval  le  vis. 

Cette  partie  du  fragment  ayant  été  conférée  par  M.  Meyer  avec  les 
mss.  sus-indiqués,  le  lecteur  pourra  se  rendre  compte  de  la  différence 
des  leçons  entre  ces  mss.  et  le  groupe  lorrain,  notamment  pour  les 
V.  6-9.  J'aime  mieux  faire  observer  la  sagacité  avec  laquelle  le  critique 
a  su  restituer  les  mots  enlevés  par  le  mauvais  état  du  parchemin,  bien 
qu'il  n'eût  à  sa  disposition  qu'un  moyen  de  contrôle  peu  sûr.  Les  quel- 
ques variantes  entre  son  texte  et  la  leçon  purement  lorraine  qu'on  pour- 
rait relever  sont  en  elles-mêmes  insignifiantes  :  v.  2  Tant  lis.  Trop.  — 
V.  8  Ou  1.  Ne.  —  V.  24  Par  1.  Por.  —  V.  2$  Ses  escuiers,  1.  Li.  — 


LES  MANUSCRITS  DES  Loherains  205 

V.  29  vint  arrier,  1.  reîorna,  etc.  Au  v.  59  ses  mss.  ne  lui  fournissant 
rien  d'utile,  il  a  laissé  une  lacune  qui  doit  être  comblée  ainsi  :  por 
Pa[mor  de]Jesu.  —  Au  v.  22  il  faut  supprimer  Et,  et  au  v.  26  corr. 
monta  en  monte.  Cette  faute  existe  dans  tous  les  mss.  qui  écrivent  soit  : 
Fromondins  monta  en  faussant  la  mesure,  soit  Fromons  monta  en  faussant 
l'histoire,  Fromont  étant  mort  depuis  longtemps  déjà.  Seul  le  ms.  7,  qui 
offre  parfois  de  bonnes  variantes,  donne  une  leçon  satisfaisante  :  Fro- 
mond.  monte. 

On  nous  pardonnera  d'entrer  dans  ces  minutieux  détails,  en  considé- 
ration de  leur  utilité  pour  établir  la  valeur  respective  des  mss.  dans 
l'intérieur  d'une  famille  ou  d'un  groupe.  C'est  ainsi  qu'en  confrontant 
successivement  /  et  S  entre  eux  et  avec  le  fragment,  le  premier  de  ces 
mss.  apparaît  préférable  au  second  dans  les  vers  I  34,  Il  27,  28,  III  6, 
'V  5>  7>  9;  st  qu'au  contraire  celui-ci  l'emporte  sur  celui-là  dans  I  16, 
18,  20,  30,  35,  II  5,  15,  16,  22,  23,  III  15,  31,  IV  2,  15.  Enfin  les 
deux  mss.  sont  d'accord  contre  le  fragment  dans  I  39  bis  'c.-à-d.  qui 
manque  au  fragment),  II  13  bis,  31-32  réunis  en  un  seul,  III  18  manque, 
40  bis,  IV  19,  24,  40  bis.  Mais  encore  une  fois  ces  variantes  et  ces 
lacunes  ne  sont  rien  auprès  de  la  divergence  du  fragment  avec  les  mss. 
autres  que  ceux  du  groupe  lorrain.  La  seule  particularité  du  nouveau 
membre  de  ce  groupe  consiste  en  ce  qu'il  ne  reproduit  pas  la  justifica- 
tion de  30  lignes  à  la  colonne,  identique  pour  les  mss.  i-5-8  et  le  frag- 
ment 28  qui  reproduit,  lui  aussi,  la  même  leçon.  Quant  à  notre  fragment 
il  ne  compte  pas  moins  de  45  vers  par  colonne,  dont  les  deux  derniers 
manquent  en  l'état  actuel  du  feuillet.  Chacune  des  4  col.  restantes  cor- 
respond dans  les  mss.  ainsi  qu'il  suit  : 

Col.       I  ms.  /  fol.  251-1     ms.  A'  fol.  cccxxxix^ 

—  II  —  252a  —  CCCXL" 

—  III  —  252*^  —  CCCXLC 

—  IV  —  253c  —  CCCXLI<^ 

Pour  le  ms.  rh'22,  le  passage  répond  au  fol.  250,  où  la  leçon  suivie 
n'est  plus  celle  des  mss.  lorrains  :  il  faut  donc  le  mettre  à  l'écart. 

26. —  200  vers  en  un  feuillet;  publiés  à  la  suite  de  mon  rapport  dans 
les  Archives  des  missions,  3''  série,  t.  I"'"',  pp.  286-291  et  pp.  42-47  du 
tiré  à  part.  J'en  avais  rapproché  la  leçon  de  celle  du  ms.  1622,  sans 
remarquer  que,  par  un  cas  peu  ordinaire,  ce  ms.  reproduit  successive- 
ment la  leçon  de  deux  familles  différentes,  et  que  la  succession  de  la 
leçon  «française»  à  la  leçon  "lorraine»  s'opère  précisément  au  v.  88  de 
notre  fragment.  C'est  en  ce  sens  qu'il  faut  entendre  la  note  i  de  la 
p.  83  ci-dessus,  où  je  dis  que  Châlons  n'appartient  pas  à  la  même 
famille  que  le  ms.  1622.  Cette  rectification  ne  vise  que  les  87  premiers 
vers,  tandis  que  les  vers  88-200  se  rapprochent  sensiblement  du  texte 


:  >■ 


2o6  F.    BONNARDOT 

de  ce  même  ms.  C'est  ce  que  démontre  le  tableau  suivant  où  j'ai  groupé 
les  différences  saillantes  de  l'économie  des  deux  textes  : 

a)  —  1622  lorrain,  fol.  lyôb-d  =  Châlons  v.  1-87. 

Compte  en  plus  les  vers  4  bis,   1 5  bis,  1 5  ter,   37  bis,)  ^  n   \ 

45  bis,  46  bis,  81  bis,  87  bis.)  ""'  diff.  19 

—  moins    —  22,  28,  29,  50-56,  82.  =11  ) 

b)  —  1622  français,  fol.  i77a-d  —  Châlons,  v.  88-200. 

plus  1  22  bis,   192  bis. 

moins  123,        147. 

Ainsi,  dans  la  première  manière,  l'écart  en  plus  ou  en  moins  est  de  19 
vers  sur  87,  tandis  que  dans  la  seconde  manière  il  n'est  plus  que  de  4 
sur  I  1 3  ;  soit,  en  moyenne,  ici  i  sur  28  et  là  i  sur  5  environ.  Bien 
qu'il  ne  faille  pas  appliquer  à  l'examen  des  œuvres  de  littérature  la 
rigueur  de  la  méthode  mathématique,  il  m'a  paru  que  le  présent  cas  en 
supportait  l'application.  Et  je  regrette  moins  à  présent  d'avoir  conféré 
de  prime  abord  mon  fragment  avec  il'rj-j,  puisque  cela  m'a  permis  de 
faire  ressortir  d'une  manière  sensible  la  divergence  entre  l'une  et  l'autre 
leçon,  au  moins  en  ce  qui  concerne  Chulons. 

27.  —  2  fragments  reliés  dans  le  ms.  1461.  Ils  forment  ensemble  un 
demi-cahier  de  4  fol.  paginé  113-116.  Non-seulement  les  feuillets  ne  se 
suivent  pas,  mais  ils  n'appartiennent  ni  au  même  cahier  ni  à  la  même 
branche  de  la  Geste.  Ce  sont^  deux  fragments  complètement  distincts 
dont  l'un  se  rapporte  à  Girberîet  l'autre  à  Garin. 

Ils  proviennent  l'un  et  l'autre  d'un  ms.  unique,  comptant  2  colonnes  à 
la  page  et  30  vers  à  la  colonne.  C'est  la  justification  même  du  ms. 
146 1  ;  et  c'est  ce  qui  explique  tout  à  la  fois  comment  ces  feuillets  ont 
pu  être  reliés  à  la  suite  d'une  lacune  de  ce  ms.,  et  comment  l'auteur  de 
la  note  qui  figure  en  bas  du  fol.  112  a  pu  prendre  ces  feuillets  115-116 
pour  la  continuation  du  Garin.  Avec  le  fol.  1 1 2  se  termine  le  xvii^  cahier, 
d'un  autre  côté  le  fol.  1 16  porte  la  réclame  xxvii  ;  et  les  exemples  sont 
assez  nombreux  de  mss.  écrits  de  plusieurs  mains  pour  que  la  différence 
dans  la  forme  de  l'écriture  et  la  couleur  de  l'encre  n'ait  pas  arrêté 
l'annotateur  constatant  une  lacune  de  «  10  cahiers,  80  feuillets  »  entre 
les  fol.  actuels  1 12  et  113.  Obligé  d'y  regarder  de  plus  près,  il  ne  m'a 
pas  été  difficile  de  reconnaître  :  d'abord  que  la  quotité  de  cette  lacune 
est  exagérée  pour  le  point  du  récit  où  s'arrête  le  fol.  1 12  (=  réellement 
fol.  1 36)  ;  ensuite  que  les  fol  113-116  n'appartiennent  point  à  la  der- 
nière partie  de  Garin.  Il  fut  moins  aisé  de  déterminer  le  rapport  des 
4  feuillets  l'un  avec  l'autre  ;  j'en  dirai  plus  bas  le  motif. 

Le  premier  fragment,  par  ordre  de  pagination,  comprend  les  deux  fol, 
113  et  116,  soient  le  premier  et  le  dernier  fol.  d'un  cahier  numéroté 
xxvii  dans  l'ensemble  du  ms.  dont  il  faisait  partie.  C'est  dire  qu'il  appar- 


LES  MANUSCRITS  DES  Lohera'ms  207 

tient  à  la  branche  de  Girberî.  Et  en  effet,  dans  la  suite  de  mon  examen 
du  ms.  1461 ,  je  rencontrai  le  même  passage  au  fol.  171 ,  de  telle  façon 
que  le  vers  initial  du  fol.  11?  • 

Par  ces  ostex  cil  autre  chevalier 
répond  au  1 5e  vers  du  fol.  171^,  et  qu'il  est  en  même  temps  le  1 3''  vers 
de  la  laisse 

Granz  fu  la  feste  que  li  cuens  Fromons  tient 

dédoublée  dans  le  ms'.  Le  dernier  vers  du  fol.  1 1 3  =  14*^  de  172^: 

Et  çaint  l'espee  don  li  ponz  fu  d'or  fin. 
Entre  le  fol.  1 1 3  et  le  fol.  1 16  (celui-ci  formant  la  seconde  moitié  du 
premier  feuillet  double],  il  y  a  lacune  des  6  feuillets  intérieurs  (=720 
vers,  mais  727  dans  le  ms.),  en  sorte  que  le  fol.  1 16  débute  par 

Que  fu  es  Landes  l'orgoillox  Fromondins 

vers  correspondant  au  v.  21  du  fol.  l78^  Il  se  termine  par 

Bien  les  connut  quant  les  ci  parler 
et  la  réclame  <(  xxvii  »  pour  le  cahier  et,  pour  le  texte  : 

Ovri  les  iaiz 
qui  correspond  au  v.  20  de  179". 

Les  deux  mss.,  similaires  par  la  forme,  le  sont  aussi  par  le  fond  :  la 
leçon  du  fragment  est  sensiblement  identique  à  celle  du  ms.  dans  lequel 
il  est  relié.  La  légère  différence  signalée  dans  le  contenu  respectif  tient 
sans  doute  au  dédoublement  d'un  certain  nombre  de  vers  écrits  sur  deux 
lignes. 

En  ce  qui  concerne  le  second  fragment  =  fol.  114-115,  une  confron- 
tation analogue  n'a  pas  été  possible,  attendu  que  le  passage  correspon- 
dant manque  dans  le  ms.  Pour  plus  de  facilité,  je  l'ai  conféré  avec  le 
ms.  ry  dont  la  justification  est  la  même.  Ce  fragment  appartient  au 
début  de  Garin,  pour  mieux  dire  au  prologue  de  la  chanson.  L'ensemble 
du  récit  contenu  entre  les  vers  extrêmes  du  fragment  a  trait  à  la  lutte 
suprême  du  duc  de  Metz  Hervis  contre  les  barbares,  à  son  trépas  sous 
les  murs  de  sa  capitale  et  aux  mesures  prises  par  son  fils  Garin  pour 
remédier  aux  suites  de  ce  funeste  événement.  Mais  il  s'en  faut  que  le 
récit  soit  continu.  Les  fol.  114  et  115  n'occupant  point  le  cœur  du 
cahier  dont  ils  faisaient  primitivement  partie  (ce  cahier  était  le  II"  du 
ms.),  les  faces  intérieures  du  feuillet  ne  sont  pas  d'une  seule  teneur,  le 
premier  vers  du  second  feuillet  ne  fait  pas  suite  au  dernier  vers  du  feuil- 
let précédent.  En  outre  il  y  a  eu  interversion  lors  de  la  reliure  ;  le  feuil- 
let double  a  été  plié  en  sens  inverse,  d'où  il  suit  que  1 1 5  était  le  2"  du 
cahier,  tandis  que  le  fol.  1 14  était  le  7"'  du  même  cahier.  Voici  le  début 

1.  Pour  le  détail  de  cette  particularité,  cf.  ci-dessous  la  description  de  ce 
ms.  sous  3. 


208  F.  BONNARDOT 

et  la  fin  de  chacun  de  ces  feuillets  conférés  avec  le  ms.  désigné  plus 
haut  : 

(f*  110  Moi  et  mon  frère  Garin  que  )e  voi  ci. 
Ainz  que  manjast  h  riches  rois  Pépins 

va  dans  le  ms.  y  du  v.  27  du  fol.  S'^  à  v.  27  de  9*-. 

(f»  1 14)  Les  messagiers  a  Garins  apelez. 

Lors  commença  W  diax  :  graindre  ne  vi. 

correspond  du  v.  25  de  1  i,b  au  v.  20  de  14t. 

Entre  la  ligne  finale  du  premier  feuillet  et  la  ligne  initiale  du  second 
s'étend  une  lacune  qui  varie  suivant  les  mss.,  mais  qui  ne  peut  être  ni 
inférieure  ni  supérieure  au  contenu  de  16  colonnes  4  feuillets  du  cahier 
de  notre  fragment),  soient  480  vers'  en  admettant  que  chaque  vers 
n'occupât  pas  plus  d'une  ligne. 

En  résumé,  les  fol.  numérotés  113-116  dans  le  ms.  3  ne  font  pas 
suite  à  1 12.  ils  se  dédoublent  eux-mêmes  en  deux  groupes  :  l'un,  com- 
posé des  fol.  115  et  116,  représente  le  premier  et  le  dernier  feuillet  du 
cahier  coté  xxvii  dans  l'état  intégral  du  ms.  ;  l'autre,  composé  des  fol. 
115  et  114,  représente  les  feuillets  2  et  7  du  second  cahier  du  même 
ms.  Si  ce  ms.  nous  était  parvenu  intact  et  qu'il  fût  paginé,  chacun  de 
nos  feuillets  prendrait  le  rang  suivant  : 

-  \io\.  iM=fol.  10        .  Ifol.  115=  fol.   209 

r^  fragment.  -  ,  ,  .  ,         2^  fragment.! .  ,        .         .  ,        :, 

^  /fol.  114  =  fol.  17  ^  (fol.  116  =  fol.  216 

Quoique  la  disposition  par  2  colonnes  et  par  50  vers  soit  assez  com- 
mun (c'est  celle  qu'ont  adoptée  7  de  nos  ms.,,  cependant  aucun  des 
nombreux  fragments  signalés  jusqu'ici  ne  comporte  cette  même  justifi- 
cation 2.  Il  suit  de  là  que  chaque  fragment  représente  autant  de  mss. 
perdus.  Que  si  aux  mss.  dont  l'existence  n'est  plus  attestée  que  par  ces 
débris  'dont  la  série  n'est  sans  doute  pas  close)  l'on  ajoute  ceux  qui  ont 
péri  sans  laisser  aucune  trace,  on  pourra  se  rendre  compte  du  nombre 
considérable  de  copies  qui  ont  été  faites  de  notre  geste,  et  partant  de  la 
faveur  dont  elle  a  joui  chez  nos  aieux.  Mais  en  revanche  combien  notre 
tâche  est  laborieuse  avec  tant  et  de  si  grandes  solutions  dans  la  succes- 
sion des  mss.  intermédiaires.  En  pareille  matière  quod  abundai  vitiat. 

1.  491  vers  dans  le  ms.  4;  48^  v.  dans  ^-2-5-<S' ;  430  v.  dans  7  qui  a  ici  une 
leçon  passablement  divergente  ;  enfin  462  v.  dans  9  avec  lequel  est  conféré  le 
fragment,  c'est  seulement  15  colonnes  au  lieu  de  16,  le  copiste  ayant  çà  et  l;\ 
dédoublé  quelques  vers  et  sauté  un  passage  tout  entier  au  f"  1317. 

2.  Il  faut  toutefois  faire  exception  pour  le  fragment  de  Hanovre,  qui  est 
d'ailleurs  par  sa  langue  indépendante  de  tous  les  autres  fragments.  Les  extraits 
publiés  par  Mené  (ci-dessous,  parag.  50),  reproduisent  cette  même  justification  ; 
malheureusement  ils  sont  tellement  mutilés  qu'on  ne  peut  guère  en  tirer  parti 
pour  les  identifier  avec  tel  ou  tel  autre  fragment. 


LES  MANUSCRITS  DES  Loherains  209 

28. —  296  vers  en  un  feuillet  double  ;  publiés  ci-dessous  avec  le  rap- 
prochement de  tous  les  ms.  de  Girbert  que  j'ai  eus  à  ma  disposition. 

2g. —  95  vers,  fragment  d'un  feuillet  à  deux  colonnes  et  mutilé  dans 
les  conditions  que  j'exposerai  tout  à  l'heure.  Ce  fragment,  publié  dans 
les  Rom.  Sîud.,  pp.  377-9,  faisait  partie  d'un  ms.  appartenant  au  même 
groupe  que  /  et  (S'  (dont  se  rapprochent  fort  5  et  6).  C'est  un  point 
sur  lequel  je  reviendrai  plus  bas.  Quant  à  i-H-28.,  ils  se  reproduisent  l'un 
l'autre  avec  la  plus  exacte  fidélité.  C'est  même  texte  et,  on  le  verra  bien- 
tôt, même  justification.  L'unité  de  source  ressort  surtout  du  rapproche- 
ment de  2<Ç  avec  8\  le  seul  vers  56  réunit  28  tX  i: 

Dedans  Nerbone  entrèrent  en  la  cit 
contre  8  :  la  fort  cit; 

aux  v.  17  et  26  la  répétition  en  assonance  de  chair  et  croisir  au  lieu  de 
morir  et  desartir  n'est  que  l'effet  d'une  négligence  passagère.  L'exécution 
de  8  est  plus  soignée  que  celle  de  /  (voy.  ce  qui  vient  d'être  dit  à  ce 
sujet  sous  25).  En  outre  ce  dernier  ms,  laisse  échapper  de  temps  à  autre 
un  vers,  et  sa  leçon  varie  quelque  peu  vers  la  fin.  C'est  donc  le  ms.  8 
qui  nous  servira  de  type. 

Le  fragment  de  Hanovre  présente  cette  particularité  qu'après  les  vers 
23,  46  et  69,  c'est-à-dire  après  chaque  série  de  23  vers,  il  y  a  une 
lacune  de  7  vers  après  les  deux  premières  séries  et  de  6  après  la  troi- 
sième. Nous  pouvons  ajouter  dès  à  présent  qu'il  y  a  une  égale  lacune  de 
6  vers  avant  le  v.  i  de  l'édition,  et  qu'il  manque  aussi  un  vers  après 
le  v.  93  et  dernier  en  l'état  du  feuillet.  Au  total  manquent  27  vers.  Ces 
lacunes  ont  été  reconnues  et  comblées  avec  l'aide  de  8. 

Quant  au  texte,  voici  les  rares  variantes  que  j'ai  relevées;  encore 
sont-elles  presque  toutes  purement  orthographiques  :  on  verra  d'après 
cela  combien  les  trois  copies  ont  respecté  la  leçon  commune.  Quand 
il  n'y  a  qu'une  variante,  elle  représente  les  deux  mss.;  s'il  y  en  a  deux 
la  seconde  appartient  à  /  : 

V.  5,  ///  rois,  le  vers  est  faux;  mss.  ////;  —  1 1  ferh  vehtih  corr.  enfer 
vestis,  mss.  fers  vestis;  —  12  voy.  5;  —  13  ains,  éd.  au[s]  qu'il  faut  pro- 
bablement lire  an;  —  17  chair,  morir  de  /  est  la  bonne  leçon; 
dans  I  (J160  chair  a  été  attiré  par  le  vers  suivant  où  ce  mot  figure  en 
rime;  —  21  comme  11,  manque  dans  /;  —  après  23  s'ouvre  la 
première  lacune  qui  comprend  les  sept  vers  suivants  : 

23  Gib«r5  s'elaise,  si  a  l'espié  brandi,  iH'2  Girb. 

[Si  fiert  A.  roi  devant  enmi  le  vis, 
Desor  la  bocle  li  a  l'escu  maulmis 
Et  le  haubert  derout  et  desarti  ; 
Le  bon  espié  li  met  p^rmi  le  pis, 
Mort  le  trébuche  dou  destrier  ou  il  cist.  d.  arrabi 

Romania,in  I4 


2  10  F.    BONNARDOT 

Voit  le  Corsubles,  a  pou  n'enrage  vis, 
Le  chevaul  broche  des  espérons  massis]. 
24  Et  va  ferir  le  scnichaul  Gcrin. 

26  croisir  dessartir  même  négligence  que  pour  1 7  ;  —  35  coffe,  coife 
—  39  Han.:  La  gent,  Par.:  sa  gens  gent  —  40  Gibers  comme  25  et  plus 
bas  47,  60,  85,  89,  tandis  que  1442  a  toujours  Girbers —  45  corr.  voint 
en  voient  —  après  46  vient  la  seconde  lacune  : 

45  Quant  paien  voient  lor  sires  est  ocis 

En  fuie  tornent  por  lor  vies  garir 

[Gib«r5  après  entre  lui  et  Gerin  1442  Girb. 

Et  avoc  aus  le  vallet  Mauvoisin 

Et  de  lor  gens  trovercnt  .xv.  mil.  Et  avoc  aus 

Cil  de  Nerbonne  virent  paien  venir, 

Tantost  se  courent  armeir  et  fervestir, 

De  la  ville  issent  et  furent  bien  garni. 

Paiens  encontrent,  lor  cors  ont  envais.] 
47  Et  d'autre  part  G\htrs  li  fis  Qmn 

Sore  lor  courent 

47  le  point  qui  se  trouve  après  Garin  doit  être  enlevé.  Ce  vers  manque 
dans  144-2.  —  48  sonn;  f  ici  et  ailleurs  doit  être  résolu  en  p^r  plutôt 
que  par  comme  l'a  fait  l'éditeur:  la  première  notation  est  plus  congruente 
avec  le  dialecte  que  la  seconde.  —  $  $  c'en  retorne,  retornerent;—^6  Han. 
et  1442  entrèrent  en  la  cit,i(ji6o  ent.  lafortcit; —  57  on,  el;  —  59  onques 
telle  ne  vi,  ains  ci  belle  ne  vi; — Gosallue  Gib,  salluie Girb .\  — 61,  62  corr. 
vus  en  vos  écrit  ainsi  en  toutes  lettres  à  80;  —  62  vostre  doit  être  corrigé 
en  .v.c.  (cinq  cents).  On  voit  ici  une  nouvelle  preuve  de  l'identité  de 
Han.  avec  igiôo  :  ce  dernier  ms.  présente  l'abréviation  ainsi  disposée 
v;  le  c  suscrit  a  été  pris  pour  un  e,  d'où  la  lecture  «  vostre  »  qui  n'aurait 
pas  été  possible  avec  la  disposition  de  1442  qui  est  telle  :  V.  C;  — 
66  icest,  icel;  —  6j  jusqu'au;  —  69  Rainmon  mieux  que  Raimmon, 
filluel;  ici  se  présente  la  troisième  lacune  qui  ne  compte  cette  fois  que  6 
vers  au  lieu  de  7  : 

69  Rainmon  le  conte  et  le  filluel  Gerin.  i442 

[En  fait  Gib^rz  aporteir  devant  li,  ai  f.  Girb. 

Puis  les  ai  fait  richement  sevelir  :  moût  bien  mccvdir 
Si  sont  covert  de  .ii.  pales  porprins.     sunt  couvert,  pailes  macis 

Et  l'ondemain  quant  il  dut  esclarcir,  ajornir 

Vont  au  moustfiV  por  le  servise  oir;  mosteir,  cervise 
Après  la  messe  sont  dou  moust«ir  p^rti,       A.  l.  m.  font  les  mors 

70  Puis  remontèrent]  on  pallais  signori.  [enfoir 

70  enlever  le  point  après  signori;  —  71.  VII  arcevesques,  Han.  VI 
réduits,  on  ne  sait  pourquoi,  à  ./.  par  l'éditeur,  quoique  le  verbe  soit  au 
pluriel  :  «  .i.  arcevesques  qui  molt  sont  de  haut  pris  »;  le  5  final  de  arce- 


LES  MANUSCRITS  DES  Loheraitis  21  I 

ves(]ues,  qui  est  en  effet  fautif,  ne  peut  infirmer  l'emploi  du  verbe  au 
pluriel.  On  remarquera  que  le  ms.  de  Hanovre  a  toujours  gratté  17  final 
des  nombres  romains,  ainsi  «  vi  )>  pour  «  vu  «  et  plus  haut  «  m  j)  pour 
«  Mil  «  aux  vers  5  et  12  où  cette  prétendue  correction  fausse  la  mesure; 
—  74  tôt,  tout;  —  77  sera,  cerai;  —  78  Han.  Genns  est  fautif  pour 
Giberz,  Girberz;  —  79  //  en  apelle,  Il  apelai;  —  80  cuisins;  —  81  Ger. 
il  rois  a  dit,  Ger.  li  respondit;  —  82  manque  à  1442  ; —  85  Gib.,  Girb.; 
tous  j.  moût  /.;  —  89  Ens  el  p allais  s'estut,  sus  el.  p.  esîut;  —  90  que  il 
pout  tantameir,  que  il  out  amenei.  —  91  mouî,  tant;  —  92  cui  Deus  puisse 
sauveir,  cui  Deus  croisse  bontei;  —  95  prennent,  prirent. 

Nous  pouvons  maintenant  restituer  l'état  civil  du  fragment  de  Ha- 
novre : 

Avec  les  lacunes  comblées,  il  compte  120  vers,  par  2  colonnes  à  la 
page  et  30  vers  à  la  colonne.  Le  feuillet  a  été  coupé  à  ses  deux  extré- 
mités supérieure  et  inférieure;  le  ciseau  a  enlevé  six  vers  en  haut  et  un 
vers  en  bas  de  chaque  colonne.  A  la  seconde  colonne  du  verso,  le  ciseau 
s'est  légèrement  relevé  et  a  respecté  la  fm  du  septième  vers  après  en 
avoir  emporté  le  commencement.  C'est  pourquoi  la  lacune  ouverte  après 
le  v.  69  ne  s'étend  que  sur  six  vers  ou  plus  exactement  six  vers  et  demi 
au  lieu  de  sept.  Dans  son  état  intégral  le  feuillet  commençait  donc,  ainsi 
que  dans  igiGo  et  1442.,  par  les  six  vers  suivants  : 

[Mort  le  trébuche  del  destrier  sejornei,  iiî2 

La  lance  brise,  si  trait  le  branc  letrei,  //  Irons  en  est  vollcis 

Si  fiert  .i.  autre  sor  son  hiaume  germei.  elme 

Paien  le  voknt,  si  en  sont  efraiei,  en  sunt  mont  efraci 

Dist  l'uns  a  l'autre:  «  Ptr  Mahomet  mon  dei, 

«  A.  c.  diaubles  soient  tuit  conmandei!  »]  diaubk 

Et  la  suite,  de  sorte  que  le  v.  i  est  en  réalité  le  v.  7  ;  de  même  24 
doit  être  numéroté  37,  47  tombe  sur  67,  et  70  sur  96,  si  94  existait  il 
compterait  pour  120. 

L'idlntité  des  trois  mss.  est  donc  assurée;  ils  sont  issus  tous  trois 
d'une  source  commune  et  représentant  la  rédaction  dialectale  lorraine  et 
messine  et  non  pas  le  dialecte  «  bourguignon  fortement  imprégné  de 
français  »  (.'')  comme  l'avance  l'éditeur  p.  376.  On  pourrait  même 
aller  un  degré  plus  avant  et  conclure,  pour  Hanovre,  à  la  transcription 
d'un  ms.  messin  faite  par  un  copiste  wallon  :  tout  au  moins  l'ortho- 
graphe de  «  fer//  ve/iti/i  »  aux  v.  11  et  21  accuse  une  influence  wal- 
lonne dans  la  substitution  de  h  à  s.  On  sait  que  cette  notation  de  i  en 
position  est  propre  au  dialecte  de  Liège. 

Les  deux  mss.  içfiGo  et  1442,  quoique  présentant  la  même  leçon 
et  la  même  justification,  n'ont  pas  le  même  contenu.  Outre  les  branches 
de  Garin  et  de  Girbert,  le  premier  contient  celle  d'Hervis  qui  remplit  ses 


2  I  2  F.    nONNARDOT 

88  premiers  folios.  Il  suit  de  là  que  le  passage  correspondant  de  Hano- 
vre se  trouve  dans  l'un  au  fol.  345  et  dans  l'autre  au  fol.  257.  Le  ms. 
de  Hanovre  reproduit  spécialement  la  leçon  de  /  i  (ftio  ;  on  peut  croire 
qu'il  contenait  aussi  Hervis;  tout  doute  à  ce  sujet  serait  levé  si  la  pagina- 
tion du  feuillet  avait  été  conservée. 

3o.  —  Dans  Mone,  Anzeiger  18^8,  408-41 1;  provient  d'un  couvent 
d'Autrichk  non  désigné.  Ce  fragment  en  assez  mauvais  état,  comme  il 
apparaît  par  les  lacunes  et  les  blancs  de  l'édition,  se  compose  de  trois 
feuillets  de  parchemin  enlevés  à  un  ms.  qui  comptait  30  vers  à  la  col. 
et  2  col.  à  la  page.  Il  a  trait  aux  hostilités  qui  ont  suivi  la  mort  de 
Bégon.  La  leçon  participe  de  celle  des  mss.  -2  et  3  =  1443  f*  92c 
et  1461  f"  lojtj,  auquel  se  rattache  étroitement  le  ms.  4  =  1682  f° 
95a.  Voici  quelques  corrections  à  ce  texte,  conféré  avec  les  ms.  dont  il 
vient  d'être  question:  v.  3  Gautier  deno,  mauv.  leçon  déjà  corrigée  par 
Mone  en  «  d'Hénaut  «  ne  se  trouve  que  dans  2  et  3  ;  les  autres  portent 
«  d'Anjou  ))  4,  10  «  del  mont  »  1-5-8  <f  del  Mans  »  6.  La  faute 
«  deno  ))  dérive  de  la  même  source  que  celle  de  2  «  del  no  »;  —  5 
Mes  corr.  mes  ;  —  9  Car  il  i  metent  lor  pooir  a  devis  de  3  ne  s'accorde 
pas  avec  le  fragment  et  les  autres  mss.  C  ./.  /  m.  et  lecuer  et  lepiz;  man- 
que 2;  —  1  ?  Miles  et  Gantiers  3,  bonne  leçon  ;  2  =  Hue  et  G.;  —  16 
=  2  contre  3'y  —  17  //  rois  de  France  3  concorde;  //  rois  Pépins  2; 

—  18  Disî  la  roine  :  «/o/  que  doi  s.  Denis  »  est  remplacé  partout  par: 
D.  l.  r.  par  le  cors  s.  D.  — 19  =  J;  —  après  22,  j  intercale  :  Et  de  sa  famé 
la  franche  empereiz,  non  suivi  par  les  autres  mss.  —  25^=2;  —  26=^; 

—  28  tous  les  mss.  ont  «xxxvi»  au  lieu  de  «  xxxv  «  ;  —  32  se  fust  Huon 
2  ;  se  li  cuens  Hues  3\  —  i^et  lui  et  si  ami  2,  et  il  3;  —  53  Hues  de 
Lavardin  ;  Huon  2-5  Miles  3  et  tous  les  ms.  sauf  10  Jofroi;  —  40  a 
mis;  mss.  a  pris;  —  41  si  li  di,  biax  amis  2  et  mss.,  ce  dist  li  dus  Garins 
3\  —  44  De  son  chier  frère  li  doit  il  sovenir  2  et  mss.,  remplacé  par  : 
Soviegne  vos  de  Huon  le  hardi  3;  —  46  je  dirai  vo  plesir  3;  g' i  ferai  ton  p. 
2  ;  —  49  An  sont  entré  0  chastel  de  Baugi  3  et  mss.,  Par  force  en  entrent 
el  c.  de  Bugi  2  ;  — 51  Sauves  lor  vies  2 ,  Salve  l.  vie  3;  —  $  j  [C]ovent  lo[r 
tint  c 'jonques  [ne  lor  menti'}  2  ;  Covent  lor  a  tenu  qu'il  lor  a  dit  3,  est  isolé 

—  Manquent  ici  dans  le  fragment  5  vers  complètement  effacés  —  54 
Lip(aisant  cil)  qui  sont  del  pais  2-5;  ierent  6\  furent  4-10;  qi  furent  0 
pais  3  —  55  C(il  de  Ver)dun  et  de  Bia{ne  aut)resi  ne  se  rencontre  qu'avec 
4\  Dijon  Biaune  2-3-1 0;  Verselai  Biaune  5,  mal  transcrit  par  cV  Verselai 
Slaves,  plus  défiguré  dans  6"  De  vers  Soloil  et  de  vers  Blave  aci,  et  surtout 
dans  I  de  Satenai  et  des  autres  auci^  —  56  corr.  // en ///ec  pour  la  mesure 

—  56  un  restitué  par  Mone  doit  être  remplacé  par  li  (marcheant). 

I.  On  voit  ici,  dans  le  concert  défectueux  des  ms.  du  groupe  /-5-6-^,  l'un  des 


LES  MANUSCRITS  DES  Loherains  21 5 

Je  poursuis  la  référence  du  fragment  avec  les  divers  mss.  Mone  n'est 
entré  dans  aucun  détail  sur  la  condition  extérieure  et  l'état  des  trois 
feuillets  dont  il  publie  le  texte.  Celui-ci  est  d'ailleurs  si  mutilé  et  présente 
tant  de  lacunes  qu'il  faut  y  regarder  de  très-près  pour  pouvoir  se  rendre 
compte  de  ce  qu'était  le  ms.  et  de  la  place  respective  qu'y  occupait 
chaque  fragment. 

Au  v.  58  commence  ce  que  Mone  appelle  «  fol.  2  ».  J'indiquerai  tout 
à  l'heure  de  quelle  manière  doit  être  entendue  cette  dénomination  de 
«  folio  ».  Je  rappelle  seulement  que  le  v.  58  de  Mone  est  réellement  le 
v.  61  du  fragment,  et  que  c'est  le  vers  initial  d'une  nouvelle  colonne,  la 
3^  Dans  ce  qui  suit,  je  m'attacherai  principalement  à  faire  ressortir  la 
divergence  des  mss.  du  groupe  lorrain  avec  les  autres  mss.,  au  point  de 
vue  surtout  des  données  géographiques. 
58  Qui  achetèrent  et  le  vair  et  le  gris  =  3-4-j-g  et  le  pain  et  le  vin  2-6  — 

Verdun  7,  faute  grossière. 
jc)-6o=  2-g:,  au  lieu  de  vuidie  6  donne  viandes. 

61  Ces  sales  ardent  dont  i  ot  grant  péril,  telle  est  la  leçon  de  6,  seul 
contre  les  autres  mss.  ;  mauvaise  leçon. 

62  Mason  (Mone)  Mascon  mss.  —  Chaumont  i ,  Caumont  5,  Hatmont  6~, 
Hautmont  8. 

65  =  dans  6  :  Garins  chevalche  qui  a  cheval  se  cit,  mauv.  leçon. 

70  Puis  passa  (sic)  Issere,  si  ne  dota  Garin;  —  mss.  puis[et)  passa  Ise 
[Ise,  Isse). 

71  R/u/25  est  altéré  de  Rivier  2,  Riviers  3-y  et  i-5-S,  manque  6  — 
Nevers  dans  4-g. 

73  bis.  Je  désigne  ainsi  un  vers  manquant  chez  Mone,  et  que  je  ne 
signale  d'ailleurs  que  parce  qu'il  contient  un  nom  géographique  rendu 
par  Valenson  i-5-8,  mais  Valence  2-3-4-6-g\  la  leçon  de  6Mden- 
tique  à  celle  de  2.  —  A  partir  d'ici  le  ms.  6  abrège  le  récit  :  il  saute 
d'un  coup  les  vers  73-100. 

77  parsis  corr.  pansis. 

78  a  Piere  Late=^  mss.  —  Piere  Lete  /-cV,  P.  Lee  5.  —  Par  je  ne  sais 
quelle  négligence,  3  donne  :  a  grant  mervoille. 

79  Riuns-Riviers  comme  à  71  ;  par  inattention  les  mss.  lorrains  répètent 
Piere  Leie  i  Lee  5  Leite  S. 

Manquent  ici  quatre  vers  dans  le  fragment. 
81  gaagne  corr.  gaaing  gaang. 

cas  où  les  noms  géographiques  ont  été  défigurés  dans  la  rédaction  de  Jehan  de 
Flagy.  C'est  un  point  important  pour  l'étude  du  texte  et  sa  reconstitution  défi- 
nitive; nous  ne  pouvons  le  traiter  ici,  mais  peut-être  y  reviendrons-nous  prochai- 
nement. Il  ne  peut  être  question  aujourd'hui  que  clos  divergences  constatées  à 
l'cccasion  de  notre  fragment. 


2  14  ^-    BONNARDOT 

8i  bis  existe  seulement  dans  4-7,  celui-ci  avec  une  leçon  altérée, 

82  en  ces  chevestres  —  en  ces  longes  4. 

8^  jà  h'icrt  li  chastiax  pris  3-4-y-f/  —  manque  2. 

84  Li  chastiax  4,  répétition  fautive. 

87  varie  dans  tous  les  mss.  :  Que  cil  dedanz  ne  la  parent  tenir  2  ;  —  Qui 

sont  dcfon  cjiie  ncs  p.  t.  3,  —  Q.  s.  d.  qui  ne  pooit  t.  4,—  Connos  p. 

t.  y,  —  Qui  est  dejors  qu'il  ne  porent  t.  (). 
ç)o  feii,  corr.  [le]  Jeu. 

92  Mason  iMone)  Mascon  mss.  —  Maiscon  1 ,  Mascons  5,  Auvignon  8. 

93  Mais  ilec  =2  —  Devant  la  vile  =  3-4- y -g. 

94  à  97  reproduisent  assez  fidèlement  les  mss.  2-4  ;  —  ils  manquent 
dans  7. 

98  les  bordiax  ^  -3-4-^  —  l'estandart  et  le  pont  torneiz  2  -  manque  7. 

99  F//  =  mss.;  VIII  =  2. 

100  =  4. 

Après  le  v.  102,  nouvelle  lacune  de  3  vers, 
104  et  105  =  6. 

106  =  4-7-g  contre  2-3-6. 

107  =  2-3-4-y. 

108  =  3-4-'j-g  contre  2-6. 

Avec  le  vers  108  (en  réalité  1 181,  se  termine  le  «  fol.  2  »  du  frag- 
ment ',  lequel  est  immédiatement  suivi  du  «  fol.  3  »  sans  indication  de 
lacune.  Et  en  etîet  l'assonance  se  retrouve  être  la  même,  sans  quoi  la 
lacune  se  serait  dénoncée  d'elle-même.  Il  en  existe  cependant  une  consi- 
dérable entre  les  vers  numérotés  108  et  109  :  elle  varie,  suivant  les  mss., 
de  220  vers  à  272.  Comme  elle  porte  nécessairement  sur  un  nombre 
pair  de  colonnes  dans  le  fragment,  elle  ne  peut  compter  ni  plus  ni  moins 
que  8  colonnes,  soient  2  feuillets  ou  240  vers,  chiffre  égal  à  celui  du 
ms.  2  (242  vers).  Cette  rencontre  confirme  l'attribution  indiquée  dès  le 
commencement  de  cet  examen  comparatif  2. 


1.  Il  doit  y  avoir  ici  une  nouvelle  lacune  de  2  vers,  à  moins  que  le  ms.  n'ait 
développé  quelques  vers  sur  deux  lignes. 

2.  Dans  ce  passage  la  leçon  de  5  est  sensiblement  abrégée  avec  220  v.  seule- 
ment; elle  est  au  contraire  plus  étendue  dans  les  autres  mss.  :  256  v.  dans  9, 
270  et  272  dans  4  et  7.  Cette  parenté  formelle  du  fragment  avec  le  ms.  2  ne 
veut  pas  absolument  dire  que  l'un  et  l'autre  soient  membres  de  la  même  famille. 
De  cela  je  ne  sais  rien,  ni  personne  ne  le  saura  jamais.  La  similitude  entre  ce 
fragment  et  2  (et  //-/2  et  i3)  n'est  sûre  que  pour  les  passages  parvenus  jusqu'à 
nous,  mais  on  ne  peut  rien  inférer  pour  le  ms.  complet.  On  verra  en  effet  que  les 
mss.  que  je  viens  de  citer  appartiennent  à  une  famille  fort  différente  des  autres 
mss.,  desquels  ils  divergent  en  plusieurs  points.  Le  hasard  a  voulu  que,  préci- 
sément pour  le  passage  en  question,  ils  ne  s'écartent  pas  de  la  leçon  commune. 
La  similitude  avec  2  ne  vaut  donc  que  pour  ce  passage.  —  Montpellier  offre  un 
cas  analogue. 


LES  MANUSCRITS  DES  Loherains  21 5 

La  lacune  en  cet  endroit  ou,  pour  mieux  dire,  la  perte  de  ces  feuillets 
est  d'autant  plus  regrettable  qu'elle  porte  sur  un  passage  fort  intéressant 
à  établir  de  près.  Les  noms  géographiques  abondent  dans  ces  deux 
feuillets.  En  attendant  qu'un  spécialiste  dresse  la  carte  des  chansons  de 
geste  [ei  celle  des  Loherains  est  fort  riche  en  indications  de  ce  genre) , 
j'ai  relevé  les  mentions  géographiques  dont  la  divergence  accuse  chez 
les  divers  mss.  soit  une  rédaction  particulière,  soit  un  remaniement  par- 
tiel, soit  simplement  des  fautes  de  copiste.  Je  place  la  bonne  leçon  en 
tète  ' . 

Meuse  2-7,  1-5-8-6;  Moselle  3-4-9. 
Prissi  PresciPrinsi  3-7-9,  1-5;  Prisny  àf\  après  lui  2;  après  ce  que  je  di 

8;  manque  6. 

Vient  ensuite  l'énumération  des  seigneurs  composant  la  suite  de  Garin  ; 
je  remarque  que  3  est  ici  seul  contre  les  autres  mss.  Puis  : 
Le  mostier  S.  Martin  de  Chalons  2-4-7,   5-^-8;  S.  Seurin  4,    S.  Servin 

[Seruin]  i  ;  S.  Denis  9. 
Lagni  Leigni  mss.  ;  Laingni  5  ;  Ligni  1-8. 
Rebez  Resbi  mss.  ;  Rebois  i-$-8  ;  Retes  7  ;  manque  6. 
Colomiers  mss.  ;  Miaus  i-$-8. 
S.  Michiel  S.  Millier  mss.  ;  Verdun  3. 
Ais  mss.  ;  Han  3 . 

Loon  4-7,  1-5-8  ;  Lions  (=  Loon  ?j  2-3-9  >  Orliens  6. 
F  ère  mss..  Serre  6-8. 
Hem  Ham  Hans  Hain  mss.  Len  4. 

Revenant  au  fragment,  le  v.  109,  avec  la  restitution  de  l'éditeur  : 
terre  [a  je]  puisse  gésir,  présente  la  même  leçon  que  7  ;  mais  il  faut  rem- 
placer les  mots  entre  crochets  par  ceux  de  [ou  mort]  donnés  par  2-4-9 
qui  ont  la  bonne  leçon  «  gésir  »  ;  tandis  que  4  =  ou  je  puisse  tenir  et  6 
=  ou  me  couchasse  vis. 

I  1 1  est  isolé.  Parmi  les  mss.,  6  offre  seul  un  sens  satisfaisant  avec  : 
Ne  ou  ester  por  mon  cors  garantir.  J'avoue  ne  pas  comprendre  le  commen- 
cement des  vers  dans  les  autres  mss.:  Ne  vis  ester  por  mon  repos  tenir; 
9  manque. 
113  =  2;  comme  chetis  3-9  ;  v^  corn  atre  chatis  6  ;  juit  corn  hon  qu'est 

eschis  4-7. 
114-116=6;  —  117=  2-6. 

Après  quoi  vient  une  lacune  de  17  vers  non  indiquée  par  l'éditeur. 
118  =  2-3-4-7,  et  cors  et  oUfans  6,  et  cil  cor  d'olifant  9. 

I.  Ce  passage  prend  au  f'  93c  dans  le  ms.  2,  f"  104^  dans  5,  f"  ^6a  dans  4, 
f°  78c  dans  7,  f°  124^  dans  .9;  dans  les  mss.  lorrains  au  f"  122/'  pour  1-ti  et 
210/'  pour  8,  enfin  dans  6  au  f"  461/.  Sauf  indication  contraire  ce  dernier  ms. 
représente  le  groupe  lorrain. 


2l6  F.  BONNARDOT 

1 19  no  issoiz  corr.  n'oissoiz,  n^oist  on  7. 
122  et  124  =  2-4-7  et  6,  contre  5-9. 
125  et  126  =  2-3-9  ^t  ^^  contre  4-7. 
127  =  2  et  6,  contre  les  autres  mss. 
Ici  s'ouvre  une  lacune  de  19  vers. 

129  neuon  corr.  nevou;  cousin  6-9. 

130  =  2-4-9,  ^• 

131  et  132  Gerins,  Girberz.  mss. 

Après  1 3 1   nouvelle  lacune  de  2  vers  réduits  en  un  seul  par  6  ;  de 
même  pour  1 38  et  159  suivis  d'une  seconde  lacune  de  19  vers. 
142  =  2,  6. 
147=2-4-7,6. 
144  Roie  =  mss.,  altéré  en  Troies  par  8  ;  —  le  seul  ms.  6  donne  Boves, 

par  réminiscence  du  v.  134  qui  a  Boves. 

148  Vos  le  prendroiz,  le  les  ai  tôt  di  fi,  corr.  d'après  3  ce  le  sai  t.  d.  /.; 
que  je  le  s.  2-4-7-9  \  ^'  '^  janra  que  le  sai  bien  de  fi  6. 

149  =  ^_4_y_c)j  Vos  iroiz  la  et  ge  remeindrai  ci  2,  je  m'an  irai  et  vos 
remainrez  ci  6. 

1  so  Ge  irai  sires,  l jes  Gerins  dit,  corr.  lenfes  Girbers  a  dit  d'après 

tous  les  mss.,  à  l'exception  de  6  qui  manque. 

Ici  s'arrêtent  les  fragments  publiés  dans  VAnzeiger.  Il  est  regrettable 
qu'il  soit  si  mutilé  que  la  plus  grande  partie  de  son  contenu  n'ait  pu  être 
déchiffrée  par  l'éditeur.  Par  la  leçon  il  est  plus  voisin  de  2  que  des  autres 
mss.,  sous  la  réserve  mentionnée  page  214  note  2.  J'espère  que 
le  lecteur  pardonnera  à  l'aridité  nécessaire  d'une  pareille  démonstration, 
en  faveur  du  résultat  acquis  dès  lors  en  ce  qui  concerne  la  géographie. 
Les  ms.  lorrains^  très-fidèles  et  fort  précis  en  général,  quand  le  théâtre 
des  faits  est  circonscrit  dans  la  région  nord-orientale  de  la  France, 
s'abandonnent  à  la  fantaisie  la  plus  large  dès  que  la  scène  est  transportée 
au-delà  de  la  Marne  et  de  la  Saône.  Cette  observation  s'applique  aussi 
au  ms.  4.  Or  ces  mss.  sont  précisément  ceux  qui  nous  ont  transmis  la 
rédaction  de  Jean  de  Flagy.  Il  suit  de  là  que  cette  rédaction  est  néces- 
sairement postérieure,  remaniée  et  altérée  de  l'original.  En  toute  justice, 
il  faut  donc  retirer  à  Jean  de  Flagy  les  éloges  mérités  que  VHisî.  littér.  et 
les  éditeurs  de  Garin  adressent  à  l'auteur  inconnu  qui  a  doté  notre  litté- 
rature nationale  de  cette  production  remarquable  à  tant  de  titres. 

Il  est  temps  maintenant  de  reconstituer  l'état  réel  de  ce  fragment. 
Les  indications  de  l'éditeur,  telles  qu'elles  résultent  de  la  disposition  du 
texte,  se  réduisent  à  ceci  :  1 50  vers  pour  3  feuillets;  les  deux  premiers 
sont  indiqués  comme  étant  à  deux  colonnes  ;  le  nombre  de  vers  man- 
quants (c'est-à-dire  illisibles]  est  indiqué,  mais  sans  que  le  numérotage 
en  tienne  compte.  Pour  le  3"^  feuillet,  mention  n'est  faite  ni  de  la  division 


LES  MANUSCRITS  DES  Loheraïns  217 

en  colonne,  ni  de  l'étendue  des  lacunes.  Cela  étant,  on  reconnaît  d'abord 
que  les  feuillets  i  et  2  se  suivent  sans  interruption,  mais  qu'il  n'en  est 
pas  de  même  du  fol.  3,  séparé  du  précédent  par  deux  feuillets  perdus. 
Chaque  colonne  compte  30  vers.  Les  lacunes  intérieures  du  v.  1  au 
V.  1 50  s'élèvent  à  67  vers,  dont  3  pour  le  i^"^  fol,,  7  pour  le  2*,  et 
57  pour  le  3°.  Chaque  fol.  comprend  donc  respectivement  les  vers 
î-57,  58-108  celui-ci  avec  58  vers  seulement  y  compris  les  7  vers  man- 
quants; enfin  le  fol.  3  va  de  109  à  1  $0,  soient  42  vers.  Si  à  ce  nombre 
l'on  ajoute  celui  de  57,  résultant  des  lacunes  signalées,  on  obtient  le 
chiffre  99,  ce  qui  signifie  que  les  vers  91-99  appartiennent  à  la  4*  col. 
du  feuillet  ;  cette  colonne  est  donc  incomplète  des  2 1  derniers  vers.  Et' 
le  fol.  3  doit  être  ainsi  reconstitué  : 


ire  col. 

v. 

109-1  17    —       9  V. 

3e  col.  lacune 

—       I  V. 

3^ 

lacune         1 7 

V.  132-139 

—     8 

2«  col. 

v. 

V. 

118-121  —    4 

30  V. 

122-127  —     7  V. 
lacune         1 9 

lacune 
V.  140-141 

—  '9 

—  2 

30  V. 

n  admettant  que 

vers 
jpe   pas  plus    d 

V. 

129-131  —     3 

4^ 

col.  142-1 50 

=     9v. 

\ê     Sr 

lacune          1 

ÎO  V. 

lacune 

—  21 
ÎO  v. 

ïque 
e  ligne 

Quant  aux  deux  premiers  fol.,  comme  ils  ne  comportent  chacun  que 
2  col.,  sans  interruption  de  l'une  à  l'autre,  il  faut  en  conclure  que  ce  sont 
les  deux  faces  internes  d'un  feuillet  double  occupant  le  cœur  du  cahier  et 
dont  les  faces  externes,  devenues  illisibles,  auront  été  regardées  comme 
non  avenues  par  l'éditeur  :  d'où  cette  mention  de  2  col.  seulement  par  fol. 

Avant  de  passer  à  la  description  des  mss.,  il  ne  sera  pas  inutile  de 
donner  la  récapitulation  des  fragments,  disposés  dans  l'ordre  du  récit. 
Ce  tableau  permettra  au  lecteur  de  se  rendre  compte  du  lien  des  divers 
fragments  entre  eux  et  avec  le  ms.  1622,  duquel  ils  sont  rapprochés 
pour  l'enchaînement  du  récit.  Le  nombre  des  vers  de  chaque  fragment 
est  celui  qu'il  aurait  s'il  était  complet,  sans  tenir  compte  des  lacunes 
intérieures. 

1.  1622.  Nombre  de  vers. 

120 


120 
60 
60 


Branche. 

Fragments. 

Correspondance  avec 

(f°  115.., 

,     f"        lod  —  l\d 

Garin 

^27    1 

'      .,4... 

—     \<,d  —  i6d 

— 

^^4  m  :::::: 

.     —    1 2  WJ  —  \22a 
.      —    1241!  —    [2^d 

F.    BONNARDOT 

—  I47</  —  1  51Û 360 

—  1  56^  —   1  58c 296 

—  1  56c  —    I  57c 70 

—  165^  —    165c 70 

—  176^  —   '77^ 200 

—  20  \  ii  —  202d 120 

—  2081/  —  209^ 120 

—  249e   —  249^/ 43 

—  250c  —  2516 86 

—  252(3  —  2526 43 

—  255^ —  256^ 120 


1888 


J'arrive  maintenant  aux  manuscrits  proprement  dits,  dont  je  donne  le 
contenu  et,  quand  il  y  a  lieu,  l'énumération  des  lacunes. 

i).  Ms.  1442.  Il  présente  la  même  rédaction  que  le  ms.  «Ç;  on  vient 
de  voir  à  l'article  du  fragment  de  Hanovre  avec  quelle  fidélité  ces  deux 
mss.  se  correspondent.  L'un  et  l'autre  sont  à  deux  colonnes  comptant 
chacune  30  vers.  Un  troisième  ms.  identique  par  le  texte  et  la  justifica- 
tion est  1622  que  je  désigne  par  5.  La  même  leçon,  mais  abrégée,  se 
retrouve  dans  2iyg  (=  6)  qui  compte  seulement  28  vers  par  colonne. 

L'examen  comparé  de  ces  quatre  mss.  donne  lieu  à  diverses  observa- 
tions. Mettant  d'abord  à  part  le  ms.  6,  écourté  et  incomplet  du  com- 
mencement et  de  la  fin,  on  reconnaît  facilement  la  concordance  plus 
intime  de  i  ei  S  entre  eux  qu'avec  5.  La  seule  différence  entre  les  deux 
premiers  consiste  en  ce  que  cV  renferme  de  plus  que  /  (et  que  tous  les 
autres  mss.  de  la  Bibl.  nat.)  la  branche  d'Hervis,  qui  remplit  les  88  pre- 
miers feuillets.  Il  a  donc  en  tout  349  fol.  tandis  que  i  n'en  a  que  261. 
L'un  de  ces  deux  chiffres  est  aussi  le  total  des  fol.  du  m.s.  de  Hanovre  ; 
malheureusement  la  mutilation  du  feuillet  empêche  de  savoir  lequel  il 
représente  de  tV  ou  de  / .  Ce  même  total  de  260  feuillets  devrait  être 
pareillement  celui  du  ms.  5,  qui  jusqu'au  fol.  176  concorde  de  tout  point 
avec  /.  Mais  à  partir  du  fol.  177,  la  main  change  et  avec  elle  changent 
non-seulement  l'écriture  et  la  langue,  mais  aussi  la  leçon  et  la  justifica- 
tion des  feuillets.  La  seconde  moitié  de  ce  ms.  n'appartient  pas  à  la  même 
famille  que  la  première.  Cette  modification  se  manifeste  dès  le  premier 
vers  de  la  nouvelle  leçon  :  le  fol.  176,  qui  termine  le  cahier  xxij  porte 
en  réclame  les  mots  :  Et  cort  plus  tost,  qui  est  la  leçon  suivie  par  /  et 
(?;  mais  cette  réclame  n'est  pas  reproduite  au  vers  initial  du  f"  177 
qui  débute  ainsi  :  Et  va  plus  tost.  Dès  lors  aussi  le  ms.  ne  compte  plus 
toujours  30  vers  à  la  col.,  comme  il  avait  fait  jusqu'alors  en  compagnie 
de  /  et  6';  sa  justification  change  de  cahier  en  cahier  jusqu'au  moment 


LES  MANUSCRITS  DES  Loherains  219 

où  elle  reviendra  au  chiffre  normal.  Ainsi  le  cahier  xxiij  compte  ]2  vers 
par  colonne,  soit  une  avance  de  8  vers  par  feuillet  et  de  64  vers  par 
cahier  de  8  feuillets;  mais  en  réalité  cette  avance  est  réduite  à  53  vers, 
la  nouvelle  leçon  suivie  par  5a  étant  ici  un  peu  plus  longue  que  celle 
des  ms.  /  et  6\  Le  cahier  xxiv  compte  31  vers  par  colonne;  enfin  avec 
le  cahier  xxv  et  suivants  le  ms.  rentre  en  possession  de  sa  première  jus- 
tification de  30  vers.  Pour  donner  une  idée  de  la  divergence  de  la  leçon 
nouvelle  de  5  a  avec  celle  de  /  (et  8),  voici  le  tableau  de  la  concor- 
dance du  premier  vers  de  chaque  cahier  respectivement  dans  nos  deux 
mss.  Suivant  que  la  nouvelle  leçon  est  amplifiée  ou  écourtée,  chacun  des 
mss.  se  trouve  tour  à  tour  en  avance  ou  en  retard  sur  l'autre. 

5a  (1622).  I  (1442). 

Le  V.  initial  du  24^  cahier  f°  18$  =  f"  185*^,  avec  une  avance  de  66  v. 
2f  193  =      193S  —  66 

26®  201  =      2oib,  —  47 

27^  209  =      209a,  —  26 

28^  217=      217a,  —  10 

Avec  la  col.  218^,  la  leçon  retombe  en  ligne  dans  les  2  mss.,  de  sorte 
que  218^  commence  ici  et  là  par  le  même  vers.  Mais  cet  accord  ne  dure 
pas;  un  nouvel  écart  se  produit,  en  sens  inverse  cette  fois;  c'est  à  son 
tour  /  (et  8)  qui  prend  l'avance  sur  5a  : 

29«  fo  225  =  224^^  avec  un  retard  de  1 1  vers, 

puis  nouvelle  interversion  : 

30"  cahier  f°  233  =  f»  233*^  avec  une  avance  de  77  v, 
31''  240'=      241b  —  53 

32«  248  =      249^^  —  78 

33*'  256=      257C  —  70 

Enfin  la  chanson  de  Girhert  se  termine  dans  /  avec  261b,  dernier 
feuillet  du  ms.,  tandis  que  dans  5  cette  branche  est  suivie  au  fol.  259/' 
d'une  nouvelle  branche  qui  ne  se  trouve,  à  ma  connaissance,  que  là  et 
qui  n'a  pas  encore  été  signalée. 

Comme  conclusion  de  ces  rapprochements,  il  faut  dédoubler  le  ms.  5 
et  n'attribuer  que  la  première  partie  (f"^  1-176)  à  la  famille  qui  comprend 
les  mss.  /-6"-(Ç  et  les  fragments  25-29.  Dans  cette  famille  je  groupe 
ensemble  /-<V;  la  leçon  de  6,  plus  voisine  des  précédents  que  celle  de 
5,  est  malheureusement  infirmée  par  de  nombreuses  lacunes. 

Le  premier  feuillet  de  notre  ms.  a  été  ajouté  à  une  date  postérieure  au 
xiV  siècle.  Il  y  a  quelques  différences  entre  ce  feuillet  et  son  correspon- 
dant dans  5-(V;  je  les  relève  en  les  soulignant  : 


I.  Le  dernier  fol.  du  cahier  x.x.x  manque  dans.^;  par  suite  le  cahier  .xx.\i  a 
été  paginé  240  au  lieu  de  241,  et  de  même  pour  les  cahiers  suivants,  248,  256. 


2  20  F.    BONNARDOT 

a).     V.  j   Sy  comme  ly  Wambre  vindrent/ort  en  cest  paiis. 
5  Les  hommes  mors  et  ars  tout  par  le  pais. 

12  Oncques  nulz  hons  vers  eulz  coup  ne  ferit. 

14  Karles  Martiaux  ne  le  pot  plus  souffryr. 

22  Mes  moinnez  noyrs  que  S.  Beneoys  fist. 

24  Nen  avoit  terre  ne  scz  filles  ne  filz. 
b).  3  Se  Dame  [Dciis]  consel  ne  y  meist. 

4  Qu'elle  en  deust  venue  estre  a  déclin. 

5  A  i'apostoille  ed  avoit  il  jor  prins. 

18  Arce  ont  ma  terre  et  destruit  tout  mon  paiis. 
c).  I   Que  il  se  puissent  sauveyr  et  garantyr. 

2  Aussy  se  non  je  vous  rent  le  paiis.     > 
j  Je  m'en  yrai  comme  un  aultre  chetifs. 
d)  4  Nous  prierons  Dieu  pour  tous  nos  ancmys. 

7  Toutes  droitures  commentés  a  tenir. 
12  Tort  en  avés,  archevesques  Henry. 

17  Chascun  y  mette  du  sien  .i.  bien  petit. 

De  toutes  ces  variantes  une  seule  doit  être  acceptée  pour  la  bonne 
leçon,  c'est  du:  Tort  en  avés,  au  lieu  de  «  droit  »  que  portent  les  mss. 
5  et  (?.  Cette  leçon  est  celle  de  4,  de  3  qui  est  refait  lui  aussi  à  cet 
endroit,  de  7  sous  une  autre  forme;  les  autres  mss.  manquent.  Cepen- 
dant ce  n'est  pas  d'après  4  que  notre  feuillet  a  été  transcrit  :  le  vers  i  ] 
Et  la  merveille  qui  la  porroit  oir 

manque  dans  4,  et  plusieurs  rimes  sont  différentes. 
Le  V,  a  19  : 

Ne  povoit  mye  faire  tout  son  plaisir 

manque  dans  tous  les  mss.  Les  vers  I?  9-10  sont  intervertis.  L'intro- 
duction de  ces  variantes  fausse  les  vers  a  3,  /?  18,  ^  4.  Enfin  un  certain 
nombre  de  vers  comptent  12  syllabes  au  lieu  de  10,  tels  sont  : 

a).       10  Et  en  sa  compaygnie  des  chevaliers  .vij.m. 

1 1  Et  par  le  doulz  Jhesus  y  furent  vrai  martyr. 

18  A  l'oure  avoit  il  grant  paour  de  morir. 
c).       17  Que  nos  y  meissiens  .ii.  deniers  monnoiez. 

En  définitive  cette  transcription  a  été  faite  sur  un  ms.  du  même 
groupe  que  5  et  S;  la  justification  est  la  même  pour  le  recto  du  feuillet, 
27  vers  sur  30  lignes  à  la  première  colonne;  en  outre  l'orthographe 
conserve  des  traces  du  dialecte  lorrain,  témoin  dans  c  la  désinence  ei  de 
l'infinitif  du  part,  passé  et  2^  p.  pi.  assonant  avec  é:  levé,  apellé,  dormeis, 
mettes,  armeiz,  leveiz,  penseir,  etc. 

Dans  notre  ms.  et  dans  tous  ceux  de  la  même  famille  la  fin  de  Garin 
est  marquée  par  la  mention  suivante  : 

Ci  faut  li  chans  de  Jehan  de  Flagi. 

Après  quoi  Girbert  commence  immédiatement  par  une  lettre  ornée. 


LES  MANUSCRITS  DES  Lo/zerams  221 

2).  1443.  Ce  ms.  compte  191  feuillets  à  2  colonnes  et  40  vers  par 
colonne.  Au  point  de  vue  de  la  classification,  il  ne  se  laisse  rappro- 
cher d'aucun  ms.  de  Paris,  si  ce  n'est  Arsenal  180. 

On  verra  par  les  variantes  du  fragment  l'-V  publié  ci-dessous  à  quel 
point  la  leçon  de  2  est  divergente  non-seulement  pour  le  texte,  mais  pour 
l'esprit.  Cette  divergence  s'accuse,  d'une  manière  plus  sensible  que  tout 
ce  que  je  pourrais  dire,  par  la  simple  constatation  suivante  :  sur  les  7^ 
premiers  vers  du  fragment  conférés  avec  tous  les  mss.  de  Paris,  le  ms.  2 
ne  se  rencontre  avec  notre  texte  et  la  majorité  des  mss.  que  deux  fois 
(vers  7,  8);  —  au  v.  17  sa  variante  coïncide  avec  celle  de  trois  mss.; 
—  sa  leçon  lui  est  propre  aux  v.  i,  2,  ?,  9,  16,  53,  54,  oii  il  est  isolé, 
tout  en  reproduisant  encore  l'esprit,  sinon  la  lettre,  de  la  leçon 
commune  ;  —  enfin  les  64  autres  vers  ou  bien  manquent  ou  bien  leur 
place  est  tenue  par  une  leçon  toute  différente. 

Le  ms.  2  n'a  donc  qu'un  rapport  éloigné  avec  les  autres  mss.  de  la 
Bibl.  nat.  Ceux-ci  se  peuvent  ranger  sous  deux  groupes  représentés  par 
les  mss.  I  ex  3\  quant  à  2,  ses  congénères  sont  plutôt  les  ms.  de  I'Ar- 
SENAL  et  de  Dijon.  En  outre  il  est  fort  incorrect^,  et  Ars.  iS'o  lui  est  de 
beaucoup  supérieur,  ne  fût-ce  que  par  la  date.  Ce  n'est  pas  d'aujour- 
d'hui que  sa  leçon  est  suspectée  :  une  note  consignée  de  longue  date  sur 
le  feuillet  de  garde  en  fait  foi.  On  ne  peut  trop  regretter  que  ce  soit  pré- 
cisément de  cet  exemplaire  que  Du  Cange  ait  extrait  celles  des  citations 
de  son  Glossaire  qui  visent  notre  poème. 

Une  particularité  de  ce  ms.,  qui  n'a  d'analogue  que  dans  ceux 
que  je  viens  d'indiquer  comme  ses  congénères,  est  le  dédoublement  d'une 
branche  unique  en  plusieurs  chansons,  la  coupe  arbitraire  et  la  réparti- 
tion sans  fondement  des  divers  rameaux  du  tronc.  Un  épisode  impor- 
tant est  séparé  de  l'ensemble  du  poème,  pour  former  une  branche  à 
part.  La  démarcation  est  marquée  par  la  formule  usuelle  «  explicit, 
ci  faut  l'istoire  »_,  et,  si  l'exécution  du  ms.  le  comporte,  par  l'illus- 
tration en  miniature  ou  en  couleur  de  la  lettre  initiale.  Ainsi  est  traité 
l'épisode  de  la  mort  de  Bégon  dans  Ars.  181  et  Dijon,  ainsi  le  ma- 
riage de  Girbert  dans  notre  ms.  C'est  au  fol.  167*^,  en  fin  de  la  laisse 

Par  le  conseil  Gen«  le  bon  guerrier 
A  fet  Qtvbers  sa  gent  apareill/fr, 

que  se  lit  l'explicit 

Ici  faut  i'estoire  des  Loorens 
Tresq'a  la  mort  de  Fromondin, 

corr.  en  «  Fromont  ». 

Après  quoi  le  récit  reprend  au  bas  du  fol.  i68d  (i67ii  et  le  haut  de 
168  restant  en  blanc)  par  la  laisse  : 


2  22  F.    BONNARDOT 

François  entendent  Saradin  et  Escler 
Et  la  grant  noisse  que  il  font  démener. 
Li  dus  Gir.  a  Ger.  apelé  : 
<<  Sires  cosins,  a  moi  an  entendez  ; 
168A  «  Oiez  la  gent  que  Dieu  puist  mal  doner.  » 

La  lettre  initiale  de  cette  laisse  encadre  une  miniature,  comme  si  elle 
commençait  authentiquement  une  des  branches  de  la  Geste.  —  On  verra 
plus  loin  (sous  5a)  que  dans  cette  dernière  partie  du  Girbert  notre  ras. 
se  rencontre  avec  le  groupe  1-6-S'  contre  le  groupe  3-4-5 a. 

3).  1461 .  Ce  ms.  est  uni  avec  le  suivant  par  une  communauté  d'ori- 
gine incontestable.  Sa  leçon  est  reproduite  avec  une  grande  fidélité  par 
le  fragment  de  Carpentras  et  par  celui  qu'on  lira  ci-dessous.  En  outre  le 
manuscrit  7,  d'une  date  plus  moderne,  présente  souvent  des  variantes 
utiles  qui  ne  permettent  pas  de  douter  qu'il  n'ait  été  transcrit  sur  un 
exemplaire  dont  la  leçon,  très-correcte  en  général,  remonte  à  la  même 
source  que  celle  des  ms.  3  et  4. 

Rapprochés  de  notre  fragment  ces  deux  derniers  ms.  n'offrent  qu'un 
fort  petit  nombre  de  divergences  soit  entre  eux  soit  avec  le  fragment 
lui-même.  Toutefois  j'accorde  la  préférence  à  3  sur  4.  On  doit  d'autant 
plus  regretter  que  le  ms.  3  compte  tant  et  de  si  importantes  lacunes. 
Elles  lui  enlèvent  une  bonne  part  de  son  prix  et  de  la  faveur  qu'il  mérite 
par  son  exécution  soignée  et  sa  leçon  correcte.  Voici  le  relevé  de  ces 
lacunes,  pour  la  reconnaissance  et  l'évaluation  desquelles  j'ai  recours  au 
texte  de  son  congénère  4. 

à).  Les  deux  premiers  cahiers  manquent,  soit  (à  2  colonnes  par 
page  et  30  vers  par  colonne)  un  déficit  de  1920  vers.  Le  premier  vers 
du  fol.  paginé  1,  mais  qui  en  réalité  porterait  le  n"  17  si  le  ms.  était 
complet,  répond  au  2  r  vers  du  fol.  1 3^  du  ms.  4. 

b).  Après  le  fol.  actuel  16  qui  est  le  dernier  du  second  cahier  (ancien 
iv),  je  constate  la  perte  du  cahier  v  :  ce  qui  donne  un  déficit  de  960 
vers  s'étendant  dans  4  du  vers  38  du  fol.  25»  au  vers  38  du  fol.  3 1^. 

c).  Énorme  lacune  après  le  fol.  112,  dernier  feuillet  du  cahier  anc. 
xvij.  Elle  commence  dans  4  au  v.  16  du  fol.  loid  pour  durer  jusqu'à 
la  fin  du  poème  de  Garin,  fol.  ii6a;  elle  compte  environ  2050  vers 
d'après  cette  dernière  leçon.  C'est  à  peu  de  chose  près  le  contenu  de 
18  feuillets,  2  cahiers  et  2  feuillets,  en  admettant  que  la  leçon  des  deux 
ms.  se  corresponde  toujours  exactement,  ce  qui  n'est  pas  absolument 
vrai,  la  leçon  de  4  étant  parfois  allongée.  Pour  évaluer  la  quotité  de 
cette  lacune  il  ne  sert  de  rien  d'avoir  constaté  que  Girbert  commence 
avec  un  cahier,  ce  qui  nous  forcerait  de  donner  un  nombre  plein  pour 
les  cahiers  manquants,  ou  2  ou  3 .  En  effet,  dans  notre  ms. ,  Girbert  est  d'une 


LES  MANUSCRITS  DES  Loherains  223 

autre  main  que  Garin;  et  en  outre  les  cahiers  ne  sont  plus  numérotés 
en  bas  de  leur  dernier  feuillet.  Les  deux  branches  ont  été  copiées  séparé- 
ment et  raccordées  Fune  avec  l'autre  lors  de  la  reliure  du  ms. 

Si  j'insiste  sur  le  nombre  des  cahiers  perdus  en  ce  cas  particulier, 
c'est  que  la  plus  rigoureuse  précison  est  de  nécessité  en  pareille  matière. 
De  prime  abord  j'avais  été  induit  en  erreur  par  une  mention  qui  figure 
au  bas  du  fol.  112.  Cette  mention  est  telle  :  «  Lacune  de  10  cahiers  ou  80 
feuillets.  »  L'auteur  de  cette  note  ne  s'était  pas  avisé  de  rapprocher  son 
texte  de  celui  d'aucun  autre  manuscrit,  sans  quoi  il  eût  bien  vite  reconnu 
qu'à  ce  point  du  récit,  la  chanson  de  Garin  touche  presque  à  sa  fin.  Le 
calcul  est  donc  évidemment  exagéré.  Il  repose  uniquement  sur  la  juxta- 
position, due  à  une  erreur  de  reliure,  de  4  feuillets  interpolés  après  le 
fol.  1 12  (anc.  cahier  xvij)  sous  les  numéros  1 1 5-1 16,  ce  dernier  termi- 
nant un  cahier  numéroté  xxvij  dans  le  ms.  auquel  il  appartenait.  En  fait 
le  déficit  est  celui  que  j'ai  dit  :  il  porte  sur  deux  cahiers  et  quart  seule- 
ment. 

C'est  qu'en  effet  pour  l'évaluation  du  déficit,  il  n'y  a  pas  à  tenir 
compte  des  feuillets  1 1 3-1  16;  la  raison  en  a  été  donnée  plus  haut  (27). 
Ces  feuillets  sont  adventices  ;  ce  sont  deux  fragments  distincts  d'un  ms. 
perdu  qui,  se  trouvant  ès-mains  d'un  possesseur  de  notre  ms.,  auront  été 
ajoutés  à  Garin.  soit  par  mégarde,  soit  plutôt  dans  l'intention  de  combler 
en  partie  une  lacune  évidente.  Et  ainsi  reliés,  ils  sont  arrivés  jusqu'à  nous, 
comme  faisant  partie  intégrante  du  xxvij"  cahier  de  Garin.  L'erreur  était 
d'autant  plus  facile  que  la  justification  est  la  même  pour  le  manus- 
crit et  pour  les  fragments, que  l'écriture  n'est  pas  sensiblement  différente, 
si  ce  n'est  la  couleur  de  l'encre  un  peu  plus  noire  et  les  lettres  un  peu 
plus  grosses.  On  sait  que  la  leçon  de  ces  fragments  est  très-proche  voi- 
sine de  celle  du  ms.  lui-même.  Je  pose  donc  comme  assurée  l'existence 
d'un  ms.  jusqu'ici  non  signalé,  appartenant  à  la  même  famille  que  3'  et  4. 

d).  Revenant  au  ms.  3,  j'ai  déjà  dit  que  Girbert  commence  avec  un 
cahier  au  fol.  117.  La  justification  est  la  même  que  précédemment, 
à  savoir  2  colonnes  à  la  page  et  30  vers  par  colonne  ;  mais  l'écriture 
est  d'une  autre  main  et  désormais  les  cahiers  ne  portent  plus  que  la 
réclame  sans  numéro  d'ordre.  Les  quatre  premiers  cahiers  font  suivre 
sans  encombre  leurs  32  feuillets  =  117-148.  Le  ^^  cahier  n'est  en 
réalité  qu'un  demi-cahier,  il  compte  seulement  les  4  feuillets  149-1 52. 
Puis  les  lacunes  recommencent  avec  le  cahier  6  dont  le  premier  et  le 
dernier  feuillet  ont  été  enlevés ,  de  sorte  que  le  cahier  ne  se  com- 
pose actuellement  que  des  6  feuillets  1^3-158.  En  comparant  comme 
ci-dessus  les  deux  mss.  3  et  4^  on  constate  que  la  lacune  initiale  s'étend, 
dans  le  dernier,  du  vers  4  de  142^  au  vers  10  de  142^,  soit  126  vers 
au  lieu  de  120  qui  est  la  contenance  de  chaque  feuillet  de  3. 


2  24  ''•    BONNARDOT 

e).  Pareille  lacune  de  120  vers  est  celle  que  le  fol.  8  du  même  cahier 
devrait  combler.  Il  m'est  impossible  de  déterminer  le  vers  extrême  infé- 
rieur de  cette  lacune,  attendu  que  le  premier  folio  du  cahier  17  man- 
que. Il  y  a  donc  déficit  de  deux  feuillets  consécutifs  mais  apparte- 
nant :\  deux  cahiers  différents,  soit  en  tout  240  vers.  Les  limites  de 
cette  lacune  sont  marquées  dans  le  ms.  4  par  le  vers  12  de  147^  d'une 
part,  et  d'autre  par  le  v.  7  de  148^;  elles  comprennent  235  vers,  avec 
un  écart  de  5  v.  en  moins.  Le  cahier  7,  fol.  159-165,  est  donc  incom- 
plet du  premier  feuillet. 

J).  Le  8'^  cahier  offre  une  particularité  intéressante.  Pour  être  irré- 
gulière en  soi  et  défectueuse  au  point  de  vue  de  la  pure  transcription  de 
l'original,  elle  n'en  dénote  pas  moins  chez  son  auteur  une  culture  intel- 
lectuelle supérieure  à  celle  de  la  moyenne  de  ses  confrères  en  copie.  En 
même  temps  elle  accuse  la  connaissance  de  la  façon  dont  se  «fabriquaient» 
à  son  époque  les  chansons  de  geste  remaniées  et  coulées  dans  un  moule 
à  peu  près  uniforme;  elle  témoigne  d'une  liberté  d'allure  dont  le  copiste 
a  d'ailleurs  fort  bien  fait  de  restreindre  les  mouvements.  Il  ne  s'agit  de 
rien  moins  que  d'une  modification  d'assonance,  et  cela  à  deux  reprises 
presque  coup  sur  coup.  Il  est  vrai,  pour  la  décharge  du  coupable,  que 
sa  tentative  porte  les  deux  fois  sur  la  même  assonance  qu^il  s'imaginait 
sans  doute  devoir  être  de  meilleure  composition  que  toute  autre.  Mais  ni  au 
f°  ijodet  171a  ni  au  fol.  173^,  il  n'a  pu  réussir  dans  son  essai  de  rem- 
placer l'assonance  ie  par  /.  Notre  homme  ne  tarda  pas  à  se  convaincre  de 
l'inanité  de  ses  efforts.  Copiste  fidèle  et  respectueux,  il  recula  devant  les 
distorsions  fréquentes  qu'il  aurait  dû  infliger  à  la  leçon  du  ms.  qu'il  avait 
sous  les  yeux.  Et  après  avoir  réduit  nbries-»  en  ^^bris»,  mécontent  à  bon 
droit  des  résultats  qu'il  entrevit  dans  l'application  de  son  procédé,  il  re- 
nonça bravement  et  intelligemment  à  son  entreprise.  Usant  à  propos  du 
procédé  de  la  «répétition»  ou  «énumération»,  si  cher  à  nos  trouvères  et 
jougleurs,  dès  le  cinquième  ou  le  sixième  vers  il  continue  la  laisse  comme 
il  aurait  dû  la  commencer, avec  l'assonance  originelle.  De  la  sorte,  il  y  a 
une  petite  laisse  d'une  demi-douzaine  de  vers,  précédant  la  grande  avec 
laquelle  elle  doit  se  confondre.  Pour  permettre  au  lecteur  de  mieux 
juger  tout  ceci,  je  mets  en  regard  la  leçon  des  deux  manuscrits. 

Assonance  impure.  Assonance  pure. 

Granz  fut  la  feste  que  il  cuens  Fromons  tint;  tient 

Vait  i  hernaus  et  sa  moill;£rs  gentis,  et  il  et  sa  moilkr 

Doz  li  venerres  et  ses  filz  Ma.uvoisins,  (manque) 

Ansamble  0  lui  d'Orlenois  Htrnais,  (id.) 

Et  d'une  chose  ne  fist  Bcrnaus  que  bris  le  fist  H.  mo/t  bien 

C'o  lui  mena  jusqu'à  .c.  fers  vestis.  .c.  chevaliers' 

Après  quoi  la  laisse  reprend  en  ie{n): 


LES  MANUSCRITS  DES  Loheraifis  22J 

Vait  s'en  Hernaus  li  preuz  et  li  legier, 
Ansamble  o  lui  jusqu'à  .c.  chevalier. 
Tuit  conreé  d'armes  appareillier; 
Ce  fu  la  chose  qui  puis  li  ol  mestier. 
Hernaus  descend  chiés  son  oste  Garni^r, 
Un  borjois  riche  qui  mo/t  fist  a  pnsier. 
Doz  li  ve«nerres,  Harnais  li  pnsiez 
En  l'autre  ostel  sont  aprh  h^rbergié, 
Et  Mauvoisins  se  herberja  el  tierz; 
Par  ces  ostex  cil  autre  chevalier...'' 

Un  peu  plus  loin,  même  tentative,   même  résistance  de  l'assonance  à 

l'adaptation  de  ie  en  /,  même  échec  et  même  retour  pour  masquer  la  défaite. 

A  la  rescose  ou  li  cuens  Tieris  vint  vient 

Fu  Fromondins  correciez  et  marris  ;  c.  et  iriez 

Ferant  les  moinent  la  ou  la  gelde  tint  tient 

Puis  se  retraient  li  chevalier  eentil;  \ ,  ., 

^,  ,  ,.  ,  .,      .'  \( manquent) 

D  aier  avant  n  i  ot  nul  consoil  pris.  ' 

La  bonne  leçon  iriez  peut  être  changée  sans  grand  inconvénient  en  mar- 
ris; dans  //  chevalier  gentil,  il  n'y  a  besoin  que  d'intervertir  l'ordre  du 
substantif  et  de  l'adjectif  pour  obtenir  une  assonance  parfaite  dans  l'un 
et  l'autre  cas  ;  le  vers  suivant  peut,  à  défaut  de  leçon  expresse,  se  laisser 
restituer  ainsi  : 

D'aler  avant  n'i  ot  nul  conseiller. 

Mais  il  n'y  a  pas  moyen  de  faire  passer  «  anchaucier  »,  qui  vient  après, 
dans  la  4*^  conjugaison  pour  l'adapter  au  système;  aussi  l'auteur  y 
renonce-t-il  avec  une  abnégation  qui  fait  honneur  à  la  fidélité  du  copiste. 
La  laisse  continue  en  ié  comme  si  de  rien  n'était  : 

Hernauz  retorne,  pas  ne  vost  enchaucier 

Et  Fromondins  repaire  toz  iriez. 


Ces  deux  petites  laisses  provignées  sur  la  laisse  de  l'original  ne  se 
retrouvent  dans  aucun  autre  ms.  C'est  donc  bien  là  une  production  per- 
sonnelle, une  tentative  de  copiste  intelligent  dans  sa  faute  même,  et  à 
qui  il  faut  savoir  gré  moins  de  son  talent  pour  l'avoir  essayée  que  de  sa 
probité  pour  ne  l'avoir  pas  continuée..  Cette  retenue  n'a  pas  été  observée 
par  tous  nos  mss.,  notamment  par  10. 

g).  Le  ms.  i56'2  avec  lequel  a  été  jusqu'ici  conféré  le  texte  de  1461 
s'arrête  au  fol.  199^  de  ce  dernier  ms.  Dorénavant  c'est  du  ms.  1622 
(seconde  leçon)  que  je  rapprocherai  le  ms.  dont  je  poursuis  l'examen. 
Du  reste,  à  partir  du  fol.  159,  il  n'y  a  plus  de  lacune  à  signaler;  le  texte 
se  comporte  sans  interruption  jusqu'au  fol.  229  et  dernier.  La  réclame 
du  cahier  suivant  : 

1 .  A  ce  vers  correspond  le  premier  du  fragment  27,  relié  dans  notre  ms.  et 
paginé  113. 

Remania,  III  I  5 


226  F.    BONNARDOT 

a  J'oi  les  barons  qui  sont  ceianz  entré  »  * 

correspond  au  v.  2  du  fol.  258^  de  i  ly^'j.  Le  ms.  s'arrête  ici,  au  milieu 
du  récit  du  meurtre  de  Fromondin  par  Girbert;  il  a  perdu  le  feuillet 
final  avec  lequel  se  terminait  la  chanson  de  Girbert.  D'après  1 1)22,  cette 
dernière  lacune  serait  de  80  vers  environ. 

En  résumé,  le  ms.  141')  i  est  d'une  bonne  langue;  sa  leçon  est  très- 
sensiblement  identique  avec  celle  de  1 5S2.  Mais  il  est  déparé  par  des 
lacunes  nombreuses  qui,  pour  Cann,  portent  sur  plus  de  40  feuillets  et 
environ  5000  vers;  pour  G/r!;er/ le  déficit  est  de  beaucoup  moindre:  440 
à  450  vers. 

4).  —  i5S'2.  Voy.  l'art,  précédent.  Sur  ce  ms.  qu'il  désigne  par  F, 
M.  Stengel  remarque  (p.  ^89)  que  sa  leçon  est  celle  qu'a  adoptée  de 
préférence  M.  P.  Paris.  Les  26  vers  qui  forment  le  début  de  Garin  ne 
présentent  de  divergence  avec  le  texte  imprimé  qu'aux  v.  9,  10,  19, 
26.  Cette  conjecture  est  confirmée  par  la  var.  «  bailli  »  du  v,  5  qui  ne 
se  retrouve  que  dans  4  et  dans  l'édition  de  M.  Paris'.  Ce  ms.  ne  con- 
tient pas  Girbert  tout  entier:  le  copiste  a  arrêté  sa  transcription  au  fol. 
179,  après  le  récit  du  mariage  de  Girbert.  Selon  le  texte  des  mss.  3  et 
5a  qui  approchent  le  plus  près  de  notre  ms.,  la  lacune  est  d'environ 
3700  vers,  matière  de  23  feuillets  à  40  vers  par  col.  et  4  col.  au  feuillet. 
C'est  de  parti  pris  que  le  copiste  a  posé  la  plume  à  cet  endroit,  après 
avoir  écrit  cet  «  explicit  »  : 

Ci  fenist  lai  chançons 

De  Girbert  le  fil  Garin 

Etd'Ernaut  et  de  Gerin. 

On  a  déjà  vu  à  l'art.  2  et  l'on  verra  tout  à  l'heure  (art.  6,  12  t\  i3) 
d'autres  exemples  de  la  répartition  arbitraire  des  diverses  branches  de 
la  geste.  L'examen  et  la  discussion  de  ce  fait  entraîneraient  trop  loin  ; 
pour  le  moment  je  me  borne  à  le  constater.  Je  relève  de  même,  sans  y 
insister  autrement,  une  autre  particularité  intéressante  de  ce  ms.,  à 
savoir  l'emploi  partiel  du  vers  de  12  syllabes  au  lieu  de  10,  Cet  essai 
d'adaptation  du  mètre  antique  et  consacré  au  mètre  qui  sera  désormais 
celui  de  la  poésie  épique,  implique  forcément  la  date  supérieure  de  la 
transcription  de  notre  ms.  ou  même  peut-être  de  son  original.  En  tout 
cas  c'est  certainement  l'un  des  exemples  les  plus  anciens  de  la  substitu- 
tion du  mètre  de  VAlexandre  au  mètre  jusqu'alors  exclusivement  adopté. 
En  même  temps  c'est  une  preuve  de  la  faveur  avec  laquelle  l'  «  alexan- 
drin ))  fut  accueilli  dès  son  apparition,  puis  qu'on  tentait  de  l'introduire 

1.  «  Baillis  »  est  aussi  la  leçon  de  i8  (Ashburnham);  mais  ce  ms.  ayant 
été  inconnu  à  l'éditeur,  il  ne  reste  toujours  que  i  pour  avoir  fourni  la  leçon. 
Cependant  une  note  inscrite  sur  le  feuillet  de  garde  signale  l'édition  comme  faite 
d'après  le  ms.  3. 


LES  MANUSCRITS  DES  Lohera'ins  227 

dans  le  cadre  des  productions  antérieures  au  risque  de  le  faire  éclater.  Il 
est  juste  de  reconnaître  que  le  copiste  (s'il  faut  continuer  de  l'appeler  de 
ce  nom)  s'est  maintenu  dans  les  bornes  d'une  sage  liberté,  et  que,  en 
dépit  de  son  appareil  nouveau,  la  leçon  n'est  pas  sensiblement  modifiée 
quant  à  la  forme,  mais  elle  y  perd  en  mouvement  et  en  énergie.  Voici 
les  premiers  vers  d'un  passage  modernisé;  je  souligne  les  modifications 
introduites  au  texte  de  3  [f°  i6c)  : 

(f°  25  a)  «  Honte  II  fêtes  grant  qui  gastez  son  pais,  Texte  de  3. 

I)  Par  vostre  orgoil  avez  son  home  lige  ocis  ; 
»  Flandres  vos  retodra  et  s'en  serez  fors  mis.  »  F.  aura 

«  Amis,  »  ce  dit  li  quens,  «  folie  avez  requis;  Et  d.  1.  c. 

5  »  Ainçois  que  Fenperercs  soit  de  Flandres  sesiz  Ainz  que  Pépins 

»  Ne  pris  Us  fermetez  que  sont  delà  le  Lis  Des  f. 

»  Ainz  morront  maint  proadome  qui  encore  sont  vif.  »  En  morra  tex 
A  vrai  dire,  ce  ms.  n'est  pas  le  seul  à  faire  usage  du  vers  de  12  syl- 
labes; j'en  ai  rencontré  ailleurs  quelques  exemples  épars,  notamment 
dans  le  ms.  3.  Mais  ils  y  sont  à  l'état  sporadique,  et  c'est  seulement 
dans  4  que  l'innovation  tend  à  devenir  systématique  en  s'appli- 
quant,  à  diverses  reprises,  à  un  nombre  de  vers  plus  ou  moins  considé- 
rable, entre  autres  aux  f°s  8c,  9a,  iid,  12a...  et  surtout  aux  f^^  25^-28^ 
sur  une  série  de  508  v. 

Il  est  un  point  sur  lequel  notre  ms.  se  sépare  de  tous  les  autres  quant 
à  l'exécution  matérielle.  Je  veux  parler  de  l'épisode  de  la  mort  de  Bégon 
qui,  partout  ailleurs,  constitue  un  épisode  à  part  distinct  de  ce  qui 
précède,  et  qui  même  a  été  regardé  par  certains  mss.  (6",  12  et  i3) 
comme  le  début  d'une  branche  de  la  geste.  Dans  tous  les  mss.  le  vers  initial 

Un  jor  fu  Bègues  au  chaste!  de  Belin 
est  orné  d'une  grosse  majuscule  historiée;  le  ms.  4  est  le  seul  qui 
manque  à  cette  convention  :  il  rattache  purement  et  simplement  (f°  60) 
ce  vers  et  les  suivants  à  la  laisse  précédente 

«  Laz  !  »  dist  From.  «  que  porrai  devenir  ?  » 
preuve  péremptoire  contre  les  mss.  cités  plus  haut  que  les  deux  épisodes 
de  la  mort  de  Bégon  et  de  son  père  terminent  la  branche  de  Garin  au 
lieu  de  commencer  celle  de  Girbert. 

On  sait  que  ce  ms.  ne  comprend  pas  la  fm  de  Girbert;  le  copiste 
s'arrête  brusquement  (fo  179)  à  l'annonce  du  mariage  de  Girbert  avec 
la  fille  du  comte  de  Narbonne  : 

Li  rois  Girb.  a  Es  si  se  sejorne. 
Si  corn  il  jure  Jhesu  qui  fist  le  monde 
Ja  n'aura  pes  si  aura  Terascone  ; 
Il  la  conquist,  si  com  la  geste  conte, 
Puis  ot  la  fille  Naimeri  de  Nerbonne. 
Après  ce  vers,  qui  termine  la  laisse  dans  tous  les   mss.,  le  copiste 

ajoute  celui-ci,  en  guise  d'explicit  : 

El  cul  me  tort  qui  mes  me  querra  honte. 


228  F.    BONNARDOT 

5  et  5a).  —  i6-jj.  Voy.  ce  qui  en  est  dit  sous  /.  J'ajoute  seulement 
ici  que,  pour  la  seconde  partie  {5a  qui  va  du  fol.  177  au  fol.  259^),  ce 
ms.  appartient  à  la  même  famille  que  les  deux  mss.  précédents. 

C'est  de  ce  ms.  que  j'ai  rapproché  le  fragment  de  Châlons.  Alors  je  ne 
m'étais  pas  encore  rendu  compte  de  la  particularité  qui  le  distingue,  et 
qui  justement  se  révèle  dans  le  passage  correspondant  à  ce  fragment.  Le 
vers  initial  du  fol.  177  (v.  88  de  Chàlons)  commence  avec  la  leçon  «va» 
au  lieu  de  «  cort  n  qui  est  propre  à  la  rédaction  du  groupe  lorrain  ''cf. 
sous  /).  Il  arrive  ainsi  que  notre  fragment  se  partage  presque  par  égale 
moitié  entre  les  deux  «  manières  )>  du  ms.  16 2 2  (voy.  sous  26). 

La  nouvelle  rédaction  porte  à  peu  près  sur  les  trois  quarts  de  Girbert. 
La  chanson  commence  au  fol.  147^  et  suit  la  leçon  lorraine  jusqu'au  fol. 
176  qui  termine  le  22*-'  cahier.  La  main  change  en  cet  endroit  et  encore 
plus  loin  au  fol.  257  (^33''  cahier),  mais  la  justification  reste  partout  la 
même,  et  aussi  la  langue.  D'où  il  faut  conclure  que  le  ms.  a  été  copié 
tout  entier  en  Lorraine,  et  la  seconde  leçon  mise  en  harmonie  avec  la 
première  quant  aux  formes  du  langage.  Pour  le  fond  de  la  leçon,  elle 
paraît  légèrement  abrégée  sur  celle  de  3.  Les  deux  mss.  conférés  l'un 
avec  l'autre,  à  l'occasion  d'une  lacune  d'un  feuillet  dans  5a,  donnent 
celui-là  128  v.  contre  celui-ci  120.  La  lacune  s'ouvre  au  fol.  2:59,  après 
le  9*^  vers  de  la  laisse  : 

Annadas  fut  an  sainz  fons  beneis. 


Le  roi  Gir.  en  apelle  Ger., 

Lo  sien  fillueil  si  l'ait  a  raison  mis. 


lequel  vers  correspond  au  v.  11  du  fol.  loSd  dans  3;  et  le  vers  suivant 
(c'est-à-dire  le  121'']: 

Et  elle  l'ait  a  Jhesu  commandei, 
ne  répond  qu'au  18'=  vers  du  fol.  209^  dans  le  ms.  qui  nous  sert  de 
point  de  comparaison.  C'est  du  reste  la  seule  lacune  du  ms.  1622.  Si 
maintenant  l'on  compare  la  leçon  3-4-5 a  avec  la  leçon  i-6-8,  on 
reconnaîtra  que  ces  deux  groupes  procèdent  d'une  source  sensiblement 
commune  et  qu'ils  sont  entre  eux  dans  un  rapport  beaucoup  plus  immé- 
diat qu'avec  le  ms.  144.3  et  ceux  de  V Arsenal  par  exemple.  Il  est 
cependant  un  point  oii  la  divergence  s'accentue  entre  les  deux  représen- 
tants des  deux  premiers  goupes  :  c'est  dans  notre  ms.,  à  partir  du  fol. 
229^,  après  la  laisse  : 

François  antandenf  Sarrazin  et  Escler 

Et  la  grant  noixe  que  il  font  démener. 

Li  dus  Girb.  ait  Gerin  apelez...' 


Les  laisses  suivantes  donnent,  dans  3-4-5a,  le  détail  des  réjouissances 

I.  On  sait  qu'au   ms.  ili3  cette  laisse  sert  de  début  au  tronçon  de  chanson 
découpé  dans  Girbert  (voy.  plus  haut  sous  2). 


LES  MANUSCRITS  DES  Loherains  22c) 

qui  ont  accompagné  le  mariage  de  Girbert  '.  Ce  détail  n'est  pas  exposé 
avec  autant  d'étendue  dans  les  mss.  du  groupe  lorrain,  et  en  outre  il  y 
est  précédé  de  la  description  d'une  bataille  contre  les  païens,  qui  occupe 
un  feuillet  et  demi  —  soit  environ  1 80  vers  —  et  qui  manque  absolument 
dans  les  mss.  de  l'autre  groupe.  Cet  épisode  fait  également  défaut  au 
manuscrit  4g88,  tandis  qu'il  est  reproduit  par  le  ms.  1448  (fol.  168  , 
si  différent  par  ailleurs  de  l'un  et  l'autre  groupe.  Nouvel  exemple  de 
la  pénétration  réciproque  des  leçons,  et  qui  n'est  pas  fait,  on  l'avouera, 
pour  faciliter  notre  travail. 

Au  fol.  259®  s'arrête  Girbert^,  immédiatement  suivi  d'une  nouvelle 
chanson  ou  branche,  qui  n'existe  que  dans  ce  ms.  et  que  j'appellerai  du 
nom  d'Yon  fils  de  Girbert.  Voici  le  début  de  ce  poème  qui  se  termine 
à  la  mort  de  Girbert.  Il  comprend  les  fol.  259^-3 1  ^b  et  compte  6700 
vers.  Les  événements  qui  constituent  le  fonds  du  récit  ont  été  repris  par 
les  continuateurs  d'Anseïs  sous  une  forme  abrégée  et  toute  différente  : 
dans  le  ms. -^^t?c?  la  partie  correspondante  s'arrête  au  fol.  168  avec 
moins  de  900  vers.  Dans  le  ms.  243yy  elle  comprend  les  sept  premiers 
feuillets,  soit  environ  800  vers;  enfin  dans  Arsenal  180  elle  occupe  les 
fol.  1 3  9^- 148c  avec  plus  de  2800  vers  : 

Oi  avez,  seingnor,  de  Fromondin 

Commant  l'ocist  li  riches  rois  Gerins 

En  l'ermitaige  del  Gros  Bordon  fresnin, 

Por  ce  qu'il  volt  Girbert  mètre  a  sa  fin, 

Gen«  meismes  et  le  preu  Mauvo/^m, 

D'un  grant  coûte!  tranchant  et  acerin  : 

Grant  joie  an  firent  ansanble  li  coisin. 

Vers  lor  pais  s'en  vinrent  au  chamin  ;  • 

A  Ais  remest  Glrberz  li  filz  Garin, 

Et  a  Saint  Gile  le  conte  Maui'0i5/>!, 

Et  li  fix  Bègue  le  seingnor  de  Belin 

Vint  a  Coloigne  et  descent  soz  .i.  pin. 

Ainz  qu'il  montast  en  son  palais  marbrin, 
(f*  2^9c)  Vint  la  roine  qui  l'ama  de  cuer  fin 

Et  vers  lui  ot  son  corage  anterin  : 

Souef  la  baise  li  cortois  palazin. 
Li  rois  Otrins  molt  anvoisieemant 

Baisa  s'amie  la  roine  au  cors  gent. 

La  fin  annonce  la  vengeance  que  les  fils  de  Girbert,  Yon  et  Garin  de 
Monglane,  prennent  de  ses  meurtriers,  en  mettant  à  mort  leurs  cousins, 
fils  d'Hernaut  et  de  Ludie,  derniers  descendants  de  la  lignée  de  Hardré 
et  de  Fromont. 

1 .  C'est  à  cet  endroit  que  s'arrête  le  ms.  /.%'2. 

2.  Girbert  commence  (comme  dans  /)  au  fol.  147./  après  la  mention:  Ci  [dut 
Il  cha:is  de  Jehan  de  FU}o,ior,  qui  par  sa  syllabe  finale  semble  faire  partie,  dans 
l'esprit  du  copiste,  de  la  laisse  précédente. 


2J0  F.    BONNARDOT 

Yons  fut  prous  et  chevaliers  manbrez, 
Bien  tint  sa  terre  an  viron  et  an  lez  ; 
Vers  les  prodommes  fut  paisible  et  souez, 
Vers  les  félons  fiers  corn  lyons  crestez  ; 
Mais  de  son  père  ne  fut  pas  oubliez  : 
Puis  fut  per  lui  li  filz  Hcrnaut  matez. 
Grant  fut  la  guerre,  jamais  tel  ne  vairez. 
Garins  ses  frères  l'aidait,  c'est  veritez. 
Moult  s'antramerent  li  dui  frère  senez. 
(f"  315)  Li  rois  prist  famé  de  molt  grant  richetez; 
Garins  meismes  fut  après  oiserez, 
Li  rois  d'Espaigne  qui  riches  iert  assez 
Sa  belle  fille  li  donna  de  ses  grez, 
Monglanne  tint  qui  est  riche  citez 


Vient  ensuite  l'énumération  ou  dénombrement  des  héros  de  la  geste 
(ci-dessous  p.  259).  On  remarquera  que  la  geste  des  Loherains  y  est 
rattachée  aux  gestes  postérieures  d'Aimery  de  Narbonne,  de  Roland, 
de  Girard  de  Viane,  de  Garin  de  Monglane...  considérées  comme  autant 
de  rameaux  successivement  issus  de  l'antique  souche  lorraine. 

6).  —  -iJO'-,  appartient  au  groupe  lorrain  1-5-6-8.  C'est  même 
de  tous  les  ms.  de  ce  groupe  celui  qui  a  la  physionomie  dialectale  la 
plus  prononcée;  il  présente  les  caractères  de  la  langue  de  Metz,  j'entends 
par  là  lin  renforcement  de  la  caractéristique  dialectale  lorraine.  Ce  ms. 
ne  renferme  que  Girberî  (incomplet)  et  la  dernière  partie  de  Garin  ;  il 
s'ouvre  par  l'épisode  de  la  mort  de  Bégon.  Toutefois  ce  n'est  pas, 
co.mme  on  pourrait  le-croire,  le  débris  d'un  ms.  qui  aurait  contenu  Garin 
tout  entier  :  les  cahiers  sont  numérotés  I,  II,  III...  C'est  donc  bien  le 
commencement  d'une  branche  que  le  copiste  greffe  sur  la  laisse  : 

Un  jor  fu  Bègues  au  chastel  de  Belin. 
Par  là  notre  ms.  appartient  à  l'école  qui  encadre  les  trois  épisodes  de 
la  mort  de  Bégon,  des  représailles  des  Lorrains,  et  de  la  mort  de  Garin 
dans  la  branche  que  nous  appelons  du  titre  de  Girbert.  Cette  répartition 
est  suivie  par  les  mss.  i2-i3  (voy.  sous  ce  dernier  numéro).  Seul  dans 
les  deux  groupes  de  la  famille  opposée,  le  ms.  6  représente  cette  tra- 
dition. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  particularité,  notre  ms.  appartient  incontes- 
tablement à  la  rédaction  lorraine.  Dans  son  état  actuel  il  compte  122 
fol.  par  2  col.  à  la  p.  et  28  vers  à  la  col. 

La  leçon  est  bonne  (voy.  ci-dessus  /);  mais  les  lacunes  sont  nom- 
breuses. Voici  le  relevé  de  ces  lacunes  et  des  autres  particularités  de 
notre  texte  d'après  les  ms.  /-5;  on  remarquera  que  la  leçon  de  6  est 
un  peu  abrégée. 

a).  F**  I  mutilé  de  ses  colonnes  b-c  presque  entièrement  et  en  partie 


LES  MANUSCRITS  DES  Loherains  231 

pour^-^;  ce  premier  feuillet  correspond  à  75^  des  mss.  auxquels  je  le 
confère;  il  compte  109  vers  pour  1 1 3  de  i-5. 

b).  Après  le  fol.  1,  s'ouvre  une  lacune  de  2  fol.  soit  224  vers,  entre 
Sire  a  ce!  vis  et  a  ce!  cors  traitis 

et 

A  luemant  de  barons  chivaliers, 

fol.  •j6d-']Sd  des  mss.  i-5. 

c).  Avec  le  fol.  5  se  termine  le  premier  cahier  dans  l'état  actuel,  mais 
il  y  manque  le  fol.  8;  112  vers  contre  118  dans  les  deux  mss.  entre 

Ne  fuiera,  si  vanra  a  Paris  (f°  82c) 
et 

Et  faites  dire  vostre  prevost  Oudin  (f*  83^) 

d).  Le  cahier  suivant  6-1 3  est  sans  lacune;  le  rapport  des  mss.  p  aux 
mss.  1-5,  fol.  83^^-913  est  de  896  à  914.  — Le  cahier  suivant  n'est 
composé  que  des  4  feuilles  14-17;  il  porte  en  réclame  le  premier  vers 
d'une  tirade  en  forme  de  prologue  ou  d'annonce  qui  ne  se  rencontre 
que  dans  ce  seul  ms.: 

(fol.  i8<i)  Grans  fuit  la  guerre  que  jai  nepanra  fin. 

Tez  est  an  estre  qui  an  mora  sovin, 

Com  vos  porez  an  la  chanson  oir. 

Or  ancommance  Tystoire  a  venir. 

Après  la  mort  duc  Begon  de  Belin 

La  rancomance  Rigaus  li  fis  Hervin. 

En  Bordelois  ait  fait  sa  gent  tenir 

Et  ci  guerroie  ces  mortez  enemins... 

Les  autres  mss.  commencent  le  récit  de  cette  nouvelle  phase  de  la 
lutte  par  la  formule  usuelle  : 

Hui  mais  devons  a  Rigaut  revertir. 

En  Bordelois (f»  95^). 

Le  4^  cahier,   sans  lacune,  se  compose  seulement  des  6  fol.  18-25 
avec  672  vers  contre  680,  fol.  9  5^1-1 00c.  Il  porte  en  réclame: 
Forz  s'an  isirent  armei  sur  le  destrier. 
Le  Ç  cahier  comprend  les  huit  feuillets  24-32,  avec  la  réclame: 
Et  fait  iluec  sa  mainie  venir; 
il  correspond  aux  fol.    looc-ioSb  et  compte  896  vers  contre  908.  Au 
bas  du  fol.  30,  se  trouvent  deux  lignes  de  langue  allemande  écrites  en 
caractères  romains  assez  effacés.  Ce  détail  semble  démontrer  que  notre 
ms.  a  séjourné  sur  les  bords  du  Rhin. 

Le  6*=  cahier  fol.  33-40  ne  compte  que  874  vers  dans  les  mss.  /-.^ 
du  fol.  loSl^aufol.  ii^c.  La  différence  de  22  vers  sur  sa  justification 
ordinaire  tient  à  ce  qu'un  certain  nombre  de  vers  occupent  deux  lignes. 
Il  a  pour  réclame  : 

Trestoz  sanglans  gisoit  anmi  le  prei. 

Le  7'"  cahier  de  6  feuill.  seulement  (40-4^),  se  termine  en  réclame  par 
De  son  nevout  le  borguignon  Aubri 


2  52  F,    BONNARDOT 

=  fol.  \i<^c-\2\b;  on  a  d'une  part  672  vers  et  69^  d'autre   part. 

Le  8"  cahier  (fol.  46-5  5)  correspond  aux  fol.  1 2  ifc-i  29^  dans  la  pro- 
portion de  880  V.  contre  967  ;  une  partie  de  l'écart  doit  être  attribuée 
au  dédoublement  d'un  certain  nombre  de  vers. 

Le  9''  cahier  (fol.  54-61)  de  : 

Li  dus  Girbers  an  vint  a  S.  Michiel 

à 

L'erme  s'en  va  et  li  cors  s'estandit 

=  872  vers  pour  918a  cause  des  dédoublements  ;  il  va  de  1 2C)b  à  1 37a. 
Le  10"  cahier,  fol.  62-69,  va  jusqu'à  : 

Et  ci  i  est  li  borguignons  Aubris 
de  1 37a  à  144c  par  870  vers  environ  contre  920  v.  Le  fol.  6Sb-c  est 
mutilé. 

Le  I  r  cahier,  fol.  70-77,  va  jusqu'à  : 

Dou  doz  li  traient  le  blanc  habert  trelix 

=  fol.  1 44c- 1 53c,  par  878  V.  contre  10023  v.  Cette  différence  con- 
sidérable s'explique,  en  outre  de  la  réduction  habituelle,  par  la  lacune 
de  la  dernière  laisse  de  Garin  : 

Gironville  est  fermée  en  .i.  regort. 
Le  12"  cahier,  fol.  78-85,  se  comporte  jusqu'à  la  laisse  : 
Vont  s'an  li  niés,  s'ont  fait  a  roi  grant  honte" 
avec  878  vers  (==  fol.  1 53C-161C)  contre  976. 
13®  cahier,  fol.  86-93  : 

A  Monlouon  herbegeret  le  soir 

=  fol.  lôid-i-joa,  avec  885  vers  contre  1018. 
14'' cahier,  fol.  94-101  : 

Gerin  a  fait  la  soie  gent  venir 

=  fol.  170(2-1 78c,  avec  887  vers  contre  996. 
Le  i  j'^  cahier,  fol.  102-109,  porte  en  réclame 
Fromondin  sire 

=  fol.  178C-186C,  avec  872  vers  contre  965. 

Le  16"  cahier,  privé  de  son  premier  feuillet,  va  du  fol.  1 10  au  fol.  1 16. 

La  leçon  en  était  identique  à  celle  du  ms.  1442  puisque  la  lacune  porte 

sur  1 1 2  vers,  nombre  égal  au  chiffre  contenu  dans  un  feuillet  de  notre 

ms.  Dans  son  état  actuel  le  1 6e  cahier  correspond  aux  fol.  187C-194C, 

entre 

Mal  connisiez  Fromont  le  posteis 

et 

Se  sont  andui  si  duremant  hurtei. 

Le  rapport  est  de  773  vers  contre  842. 

Le  17'  et  dernier  cahier,  fol.  1 17-122,  n'a  que  6  feuillets  ;  manquent  le 

6*  et  le  8«.  La  lacune  s'ouvre  après  le  63^^  vers  de  la  laisse 


I.  Ms.  grant  honte  a  roi. 


LES  MANUSCRITS  DES  Loherains  2^3 

Li  Galios  sont  de  Gofre  tornez 


Et  dist  Fromons  :  J'ai  n'orez  veritei  ; 
et  le  texte  reprend  par  : 

Tes  os  condure  et  ton  règne  tenir. 

Les  cinq  prem.  fol.  de  ce  cahier  correspondent  à  194c- 199  dans  le  rap- 
port de  546  vers  contre  601.  La  lacune  s'étend  de  199c  à  200c,  sur 
1 10  V,  pour  1 18.  Enfin  le  ms.  se  termine  au  septième  feuillet  du  cahier 

par: 

A  Gironvile  on  mandei  Fromondin 

=  V.  16  du  fol.  20 1^.  Tout  le  reste  de  la  chanson  manque,  soit  les 
folios  201^-261^  comprenant  7200  vers,  c'est-à-dire  plus  de  la  moitié 
du  poème. 

7)  —  Ms.  4g8H.  Il  contient  les  trois  branches  de  Garïn,  Girbert  et 
Anseis.  Le  rapport  de  cette  dernière  chanson  avec  le  ms.  10  sera  indi- 
qué plus  bas  ;  pour  les  deux  premières,  la  leçon  est  en  général  celle  des 
ms.  3-4,  quoique  avec  quelques  variantes  et  lacunes  '.  Pour  plus  d'une 
de  ces  lacunes  et  variantes,  il  arrive  que  notre  ms.  se  rencontre  avec  2 
(voy.  le  fragm.  de  Girbert  publié  plus  loin)  ;  toutefois  il  s'en  écarte  dans 
tous  les  passages  où  celui-ci  possède  en  propre  une  leçon  divergente. 
D'où  la  conclusion  que  la  leçon  représentée  par  la  famille  2-1  i-i2-i3 
est  foncièrement  altérée  et  remaniée  presque  d'un  bout  à  l'autre. 

Le  ms.  est  à  2  col.  par  page  et  47  vers  par  col.  Chaque  cahier  compte 
12  feuillets,  à  l'exception  du  6^  qui  n'en  compte  que  10  {f°^  60-70)  sans 
lacune  d'ailleurs,  du  14^  et  dernier  cahier  de  Girbert  qui  n'a  que  les  9 
fos  155-16^,  et  du  cahier  final  qui  se  termine  avec  le  8^  feuillet  des 
fol.  284  à  291 .  Que  le  cahier  qui  termine  Girbert  soit  incomplet  du  der- 
nier tiers  de  ses  feuillets,  cela  seul  suffit  à  démontrer  que  le  ms.  n'était 
primitivement  constitué  que  par  les  deux  premières  chansons  de  la 
geste.  Aussi  bien  Anséis,  quoique  écrit  de  la  même  main  et  au  même 
temps  que  Gariri  et  Girbert,  se  comporte  comme  un  ms.  à  part  pour  le 

numérotage  de  ses  cahiers  qui  recommencent  la  série  I,  II  X.  Puis 

ces  deux  ms.,  exécutés  l'un  et  l'autre  au  xiv^-  siècle,  ont  été  reliés 
ensemble,  comme  il  est  arrivé  pour  3  et  comme  on  va  le  voir  pour  (S*. 

Quant  à  l'état  matériel  du  ms.,  j'ai  remarqué  seulement  les  deux  par- 
ticularités suivantes:  i°)  une  interversion  des  feuillets  entre  122  et 
127  ;  pour  la  suite  du  récit,  il  faut  ordonner  les  folios  selon  l'ordre  122- 
124-1 23-1 26-1 2 5-1 27.  —  2")  La  seconde  moitié  du  f"  \6']b  et  le  verso 
sont  restés  en  blanc,  en  sorte  qu'il  manque  la  laisse  finale  de  Girbert  : 

I .  Outre  les  lacunes  proprement  dites  dans  le  récit,  le  copiste  a  laissé  en 
blanc  çà  et  là  un  certain  nombre  de  vers  qu'il  n'aura  sans  doute  pas  pu  lire  dans 
son  original.  Quelques-uns  de  ces  blancs  ont  été  remplis  pas  une  main  moderne 
avec  l'aide  des  autres  mss. 


2)4  P-  BONNARDOT 

De  Panpelune  est  Girberz  départis, 
soit  environ  40  vers. 

'^).  —  i()i(to.  Ce  beau  ms.  peut  être  considéré  comme  le  type  du 
groupe  lorrain;  pour  la  partie  commune  aux  ms.  7-5-6",  voy.  ci-dessus 
à  l'art.  /.  Seul  des  mss.  de  Paris  avec  Ars.iSi ,  il  possède  la  première 
branche  de  la  geste,  Hervis  de  Metz,  ainsi  appelée  du  nom  du  père  de 
Garin.  Le  ms.  de  Turin  contient  aussi  cette  branche  dans  des  conditions 
particulières  sur  lesquelles  je  reviendrai.  On  sait  que,  bien  que  placée  en 
tête  du  poème,  la  branche  d'Hervis  est  postérieure  aux  autres.  La  date 
de  sa  composition  ne  peut  remonter  au-delà  de  la  seconde  moitié  du 
XII*"  siècle,  en  admettant  qu'il  ne  faille  pas  la  faire  descendre  au  xiii«. 
M.  Auguste  Prost,  qui  a  étudié  de  très-près  les  origines  et  les  dévelop- 
pements de  cette  conception,  n'hésite  pas  à  y  reconnaître  le  tableau 
fidèle  des  mœurs  et  des  institutions  sociales  de  la  république  messine  à 
l'époque  qui  vient  d'être  indiquée.  Pour  l'étude  de  cette  légende,  de  son 
esprit  particulier,  de  la  tendance  peu  commune  qu'elle  affecte  au  point  de 
pouvoir  à  peine  mériter  le  titre  de  chanson  de  geste,  mais  bien  plutôt  celui 
,de  composition  romanesque,  je  ne  saurais  mieux  faire  que  de  renvoyer 
le  lecteur  à  l'intéressante  analyse  de  la  geste  des  Loherains  et  spéciale- 
ment de  la  légende  d'Hervis  que  M.  A.  Prost  a  donnée  dans  ses  Légendes 
de  Metz  (pp.  340-402).  Je  rappellerai  seulement  ici  que  la  branche  d'Her- 
vis est  la  mise  en  œuvre  du  prologue  de  la  chanson  de  Garin.  Ce  pro- 
logue contient  environ  1 200  vers  et  raconte  les  exploits  du  duc  Hervis 
contre  les  Barbares,  les  défaites  successives  qu'il  leur  fait  essuyer,  ses 
démêlés  avec  le  roi  de  France  dont  il  refuse  de  subir  plus  longtemps  la 
suzeraineté,  enfin  son  glorieux  trépas  dans  une  bataille  livrée  aux  envi- 
rons de  Metz  contre  les  envahisseurs  du  duché  de  Lorraine'.  Cette  ver- 
sion, vraiment  héroïque  de  souffle  et  de  ton,  forme  le  fond  ou,  pour 
mieux  le  dire,  le  prétexte  de  la  branche  d'Hervis.  Remaniée,  amplifiée, 
délayée,  noyée  au  milieu  d'éléments  nouveaux  et  discordants  avec  la 
conception  primitive,  elle  ne  présente  plus,  sous  sa  seconde  forme,  qu'un 
intérêt  local,  assurément  considérable  et  digne  en  soi  de  fixer  l'attention, 
mais  qui  n'est  pas  en  harmonie  avec  la  donnée  générale  des  composi- 
tions épiques,  non  plus  qu'avec  celle  des  autres  branches  de  la  geste. 
Et  même  le  remaniement  modifie  la  version  primitive  en  deux  points 

I.  Les  mss.  sont  peu  explicites  sur  le  lieu  du  combat.  Une  tradition  locale 
recueillie  exclusivement  par  le  ms.  4  (f°  16^)  place  le  champ  de  bataille  à  Ancer- 
villCj  distant  de  quatre  lieues  de  Metz  environ,  sur  la  rivière  de  Nied  française  : 

Anseis  fet  ses  Chartres  seeler. 

Son  ost  venir  quanqu'en  poet  assembler, 

A  Anservile  venir  et  auner  ; 

Sor  l'eve  (de)  Mez  tendent  loges  et  très, 

leçon  suivie  par  M.  P.  Paris  dans  son  édition  de  Garin. 


LES  MANUSCRITS  DES  Loherains  235 

principaux  :  le  mariage  de  Hervis  et  sa  mort.  En  ce  qui  concerne  ce 
dernier  fait  surtout,  la  version  moderne  est  bien  mal  venue  à  faire  du 
duc  de  Metz  un  croisé  qui  va  combattre  les  Sarrazins  en  Terre-Sainte 
et  trouver  la  mort  à  Acre  «  oii  l'on  voit  encore  son  tombeau.  «  Mieux 
inspirée  et  plus  fidèle  à  l'esprit  de  l'œuvre,  la  première  version  le  fait 
mourir  et  inhumer  devant  Metz,  en  l'abbaye  de  Saint-Arnould,  non  loin 
du  «  Grand  Moutier  »  (la  cathédrale)  où  reposaient  les  cendres  de  son 
fils  Garin.  Cette  antique  tradition  était  encore  vivante  au  xvi^  siècle  ; 
Philippe  de  Vigneulles  en  fait  foi  dans  sa  Chronique,  laquelle  contient 
une  analyse  de  notre  chanson. 

Une  autre  preuve  frappante  de  la  divergence  constitutionnelle  des 
deux  versions  a  été  relevée  et  mise  en  complète  lumière  par  M.  A.  Prost' . 
Dans  la  branche  (seconde  version)  qui  porte  son  nom,  Hervis  est  pré- 
senté comme  étant  d'extraction  bourgeoise,  et  cette  donnée  joue  un  rôle 
essentiel  dans  l'ouvrage  2,  tandis  qu'on  ne  voit  rien  de  pareil  dans  le 
prologue  de  Garin  première  version).  Et  si  la  qualification  de  «  vilain» 
apparaît  attribuée  à  Hervis  dans  la  chanson  même  de  Garin,  elle  ne  se 
rencontre  que  dans  les  trois  mss.  /-5-cV  constitutifs  du  groupe  lorrain, 
issus  d'une  source  commune.  Selon  toute  vraisemblance,  ces  mss.  ont  été 
exécutés  à  Metz  sous  l'influence  de  la  légende  exclusivement  locale  qui 
venait  de  prendre  corps  dans  la  branche  d'Hervis.  Tant  il  y  a  qu'aucun 
autre  ms.  ne  reproduit  la  leçon  du  groupe  lorrain  : 

.     .     .     li  Loherans  Garin 

Li  dus  de  Mes,  fils  au  vilain  Hervis 

Ils  remplacent  tous  «  vilain  »  par  «  duc  »  ou  k  vassal  »5. 

A  l'appui  de  cette  argumentation,  j'ajouterai  que  la  même  particularité 
se  retrouve  dans  l'énumération  finale  des  personnages  de  la  geste.  Des  9 
mss.  dont  je  reproduis  ci-dessous  l'«explicit  »  récapitulatif,  six  ne  men- 
tionnent pas  Hervis;  les  trois  autres  mss.  [i-S'-io)  qui  rappellent  l'ex- 
traction bourgeoise  d'Hervis  : 

Ci  faut  l'estcire  dou  Loherant  Garin, 

Et  dou  villain  qui  eut  a  non  Hervi, 


1.  Légendes  de  Metz,  p,  580  et  note. 

2.  Voici  entre  autres  quelques  rubriques  de  la  branche  à'Her%'is  dans  le  ms. 
de  Turin  (ci-dessous  n°  22)  : 

«  Ensi  comme  Hervis  achata  Biatris  a  la  foire  a  Laingni  as  escuiers  qui 
l'avoient  reubé. 

>>  Ensi  comme  Hervis  vendi  le  drap  en  la  cité  de  Tirs  au  roi  Witace  et  au 
roi  Flore  son  fil. 

»  Ensi  que  Hervis  revint  de  Tirs  de  vendre  le  drap...» 

5.  On  m'objectera  peut-être  que  l'un  des  héros  de  la  geste,  Rigaud,  est  sou- 
vent dit  «  filz  au  vilain  Hervis.  »  Mais,  outre  que  ce  dernier  nom  se  trouve 
fréquemment  écrit  «  Hervil,  Hervin  »,  il  ne  peut  être  ici  question  du  duc  de  Metz 
qui  n'avait  que  deux  fils  :  Bégon  et  Garin. 


2^6  y.     BONNARDOT 

se  réduisent  en  réalité  à  deux,  puisque  les  deux  premiers  ne  comptent 
que  pour  un.  Quant  à  ro,  qui  contient  seulement  la  branche  d'Anseis, 
il  faut  admettre  qu'il  reproduit  la  dernière  partie  d'un  ms.  qui  possé- 
dait les  quatre  branches,  Hervls  compris.  Si  Anseïs  avait  existé  dans  l'un  des 
ms.  /-rV,  il  est  bien  probable  que  l'identité  entre  ce  ms.  et  lo  se  pour- 
suivrait à  travers  la  leçon  et  s'affirmerait  d'une  manière  évidente.  Dès 
lors  il  n'y  a  plus  qu'une  seule  mention  de  la  roture  originelle  d'Hervis, 
mention  appartenant  exclusivement  aux  mss.  qui  contiennent  la  branche 
d'Hervis  ou  qui  ont  été  copiés  sur  un  original  qui  la  possédait.  Dès  lors 
aussi  est  démontré  ce  que  le  lecteur  a  sans  doute  pressenti  :  la  présence 
de  «  villain,  »  soit  dans  Garin  soit  dans  le  dénombrement  final,  est  due  à 
une  interpolation  de  la  première  branche  dans  les  autres. 

Pour  terminer  cette  discussion  et,  en  même  temps,  pour  donner  un 
nouvel  exemple  de  la  pénétration  mutuelle  des  leçons  et  de  leur  influence 
réciproque,  il  est  curieux  de  voir  le  ms.  de  Turin  traiter  de  menson- 
gère la  tradition  d'après  laquelle  Hervis  serait  issu  d'une  lignée  bour- 
geoise. On  vient  de  voir  les  preuves  à  l'appui  de  la  roture,  extraites  du 
même  ms.;  mais  précédemment  il  avait  soutenu  la  thèse  contraire  en 
l'exagérant  jusqu'à  assigner  une  origine  princière  et  même  sacrée  à  son 
héros  : 

Aucun  vous  chantent  dou  Loherent  Garin 

Et  de  Begon  le  vassal  de  Belin, 

Que  point  ne  sevent  a  dire  dont  il  vint  ; 

Aiiçois  vous  dient  por  l'enchaçon  tenir. 

De  vilounie  fu  li  frans  dus  norris. 

Chil  qui  le  di(en)t,  sachiés,  il  se  menti  : 

Il  son[t]  estrais  de  sains  de  paradis, 

De  dus,  de  princes,  de  rois,  d'empereis. 

La  prime  geste  dou  Loherenc  gentil 

Fu  Floriens,  .i.  rois  qui  Roume  tint 

Et  l'autre  geste  de  son  fil  S.  Seurin 


Et  l'autre  geste  dou  très  bon  duc  Hervi. 


Assurément  cette  généalogie  imaginaire  n'a  pas  d'autre  mérite  que  de 
protester  en  faveur  du  véritable  état  civil  d'Hervis,  ou  tenu  pour  tel  par 
la  légende  à  défaut  de  preuves  historiques;  mais  c'est  néanmoins  un 
mérite  assez  grand.  Elle  témoigne  du  peu  de  crédit  qu'avaient  rencontré 
les  invraisemblances  romanesques  de  l'auteur  de  la  seconde  version, 
et  par  contre  de  la  faveur  qui  restait  attachée  aux  autres  branches  de  la 
Geste.  Nécessairement  postérieure  à  la  chanson  de  Hervis  dont  elle  vise 
à  rectifier  la  donnée  fausse,  cependant  elle  la  précède  dans  le  ms.  comme 
pour  prévenir  le  lecteur  de  se  tenir  sur  ses  gardes.  Cette  sorte  d'avant- 
propos  est  lui-même  suivi  d'un  prologue  qui  n'existent  l'un  et  l'autre 
que  dans  le  ms.  de  Turin. 


LES  MANUSCRITS  DES  Loherains  237 

Quant  au  ms.  igiGo  la  chanson  de  Hervis  remplit  ses  88  premiers 
fol.;,  après  quoi  viennent  les  branches  de  Garin  (fol.  89-2 3  ^^i)  et  de 
Girbert  (fol.  235^-349/^).  Hervis  compte  10560  vers,  les  deux  autres 
chansons  ont  le  même  nombre  de  vers  que  dans  i,  c'est-à-dire  l'une 
17640  vers,  l'autre  1 3680  en  chiffres  ronds.  Le  ms.  entier  compte  donc 
41880  vers. 

g).  —  iqiôi .  Non  paginé,  142  fol.  à  2  col.  par  page  et  30  vers  à 
la  col.  Le  premier  feuillet  a  été  enlevé;  le  ms.  débute  par  ce  vers  de 
la  harangue  du  pape  à  Charles  Martel  : 

Et  si  vos  prest  les  dîmes,  sire  fis, 
qui  correspond  au  3e  v.  du  fol.  \d  dans  le  ms.  4.  Sauf  cette  lacune,  les 
cahiers  se  suivent  régulièrement  de  i  à  xviij,  lequel  se  termine  par 
Conques  Girbers  te!  plait  ne  me  requist 

correspondant  au  21^  vers  de  1 11".  Le  déficit  pour  Garin  est  donc  de 
780  vers  suivant  la  leçon  de  4  qui  se  rapporte  de  près  avec  celle  de 
notre  ms.  Comme  la  reliure  du  ms.  est  moderne,  on  ne  peut  affirmer  a 
priori  que  celui-ci  contînt  Girbert;  toutefois  cela  est  probable,  aucun 
ms.  ne  donnant  la  première  de  ces  branches  sans  la  seconde  (voy.  cepen- 
dant 3  in  fine) . 

10). —  243yj.  Cems.  est  dans  un  parfait  état  de  conservation.  Il  pro- 
vient de  la  bibl.  du  duc  de  La  VaUière;  le  catalogue  de  de  Bure  (II,  204) 
nous  apprend  qu'il  a  été  vendu  20  livres.  On  sait  déjà  qu'il  ne  contient  que 
la  4'-  branche.  Les  trois  mss.  de  Paris  {y-io-i'j)  qui  renferment  cette 
branche  '  présentent  cette  singularité  qu'aucun  ne  concorde  avec  les  deux 
autres  pour  le  nombre  et  la  succession  des  laisses.  Le  début  est  diffé- 
rent dans  les  trois  mss.,  et  alors  même  qu'ils  sont  arrivés  à  tomber  d'ac- 
cord ils  sont  loin  de  toujours  procéder  de  concert.  Je  relève  les  points 
communs  de  10  avec  7  seulement,  la  leçon  de  12  étant  par  trop  diffé- 
rente comme  pour  les  branches  précédentes.  J'avertis  qu'il  faut  entendre 
ici  la  signification  du  mot  «  rapprochement  »  dans  son  acception  la  plus 
large,  c'est-à-dire  que  je  regarde  comme  correspondante  l'une  à  l'autre 
toute  laisse  dérivant  ici  et  là  d'une  leçon  commune,  soit  par  la  forme  soit 
seulement  par  le  sens. 

24377  ï'id  Crans  fu  li  guerres  ki  onques  ne  prist  fin.  4988  f»  164Û 

4e  Dist  Manesiers  :  «  Dame,  par  Deu  merci.  i66b 

4e  Don,  dist  la  dame,  tu  m'es,  or  vous  hastés.  i66b 

5c  Huimais  commence  cançons  a  enforcier.  1G6J 

1 .  On  sait  que  le  ms.  5a  contient,  sous  une  forme  beaucoup  plus  développée, 
le  début  de  cette  chanson. 


2^8  F.    BONNARDOT 

Les  deux  mss,  marchent  de  concert  jusqu'après  la  mort  de  Girbert  et  la 

laisse 

Sb  Hernaus  apiele  le  prou  vallet  Segin.  \6ç)a 

après  laquelle  ils  se  séparent,  pour  reprendre  ensemble 

9c  Dist  Ludias  la  dame  0  le  cler  vis.  \6<)c 

lo/'Grans  fu  l'ester  et  merveillos  il  cris.  170c 

Nouvelle  bifurcation  portant  sur  cinq  feuillets  jusqu'à  : 

1 5c  Fors  fu  l'estors  et  ruiste  l'envaie.  174J 

i6tFors  fu  li  caples  et  grans  li  ferreis.  174c 

ijd  Desus  la  rive  se  sont  tout  aresté.  i-j'^d 

et  la  suite.  Le  fol.  2od  est  resté  en  blanc  attendant  la  fin  de  la  laisse 
commencée  à  la  col.  précédente.  Il  y  a  accord  entre  les  mss.  jusqu'au 
fol.  ^d  =  189^.  La  laisse 

3  ^(^  Si  com  il  orent  fait  lor  gent  arester  189^ 

est  beaucoup  plus  allongée  dans  le  premier  que  dans  le  second. 

Ici  nouveau  désaccord,  causé,  je  pense,  par  une  interversion  des 
cahiers' 

40c  Guires  s'en  torne  et  Hernaus  li  marcis  190/' 

et  la  suite  jusqu'au  fol.  ^éd  ^=  ic)/[d  où  la  laisse 

46^  Giometrie  li  aprist  par  vigor 

manque  dans  le  second  ms.  A  part  cette  lacune,  l'accord  se  continue 
pendant  ]]  feuillets  jusqu'à  88c  =  225c.  A  ce  point  apparaît  une  nou- 
velle cause  de  divergence  ou  de  défectuosité.  Sans  vouloir  décider 
laquelle  des  deux  leçons  est  préférable,  je  les  prends  telles  qu'elles  se 
présentent;  de  leur  comparaison  résulte  ceci  :  que  l'une  des  leçons  est 
en  cet  endroit  considérablement  abrégée  sur  l'autre.  Ce  résultat  est 
obtenu  par  le  changement  de  certaines  assonances 2,  ce  qui  permet  de 
réduire  le  nombre  des  laisses  en  en  fondant  plusieurs  dans  une  seule 
sous  une  assonance  unique.  C'est  dans  le  ms.  243- -j  qu'a  lieu  cette 
réduction,  dont  voici  les  exemples  : 
Les  deux  laisses  consécutives 

Quant  il  en  orent  les  haus  homes  sevrés 


La  tierce  eskiele  reconduira  quens  Guis.  225c 

n'en  forment  qu'une  dans  88c  sous  l'assonance  é.    De  même  le  fol. 
%%c-d  n'est  pas  identique  à  22  5c-2  36^.  Tandis  qu'il  y  a  ici  cinq  laisses 

1 .  Il  est  bon  d'avertir  que  le  ms.  24577  n'étant  numéroté  ni  par  feuillets  ni 
par  cahiers,  la  constitution  divergente  de  sa  leçon  rend  plus  difficile  la  constata- 
tion de  pareilles  erreurs. 

2.  J'ai  signalé  à  l'art.  S  un  essai  de  tentative  quelque  peu  analogue,  heureu- 
sement non  suivie  d'effet. 


LES  MANUSCRITS  DES  Loheraïns  239 

assenées  in  ee  en  i  ié,  là  elles  sont  réduites  à  deux  :  i  en;  ainsi  condensée, 
la  leçon  de  70  est  notablement  plus  courte  que  celle  de  '^. 

Le  parallélisme  reprend  avec  la  laisse  suivante 

Sç)d  Si  corn  Hernaus  ot  dit  tôt  son  penser  226a 

pour  se  poursuivre  jusqu'au  bas  du  fol.  121^  =  i^od. 

A  cet  endroit  existe  une  lacune  après  le  1 3e  vers  de  la  laisse 

\2\d  Sï  comme  Bauce  ot  sa  gent  ordenee  250/» 

Cette  lacune  qui  se  clôt  290  vers  plus  loin  au  fol.  i^ib  est  le  fait 
d'une  interpolation  qui  a  transposé  les  fol.  2  et  5  du  xvj«  cahier  en  fol 
6  et  7  du  xviie  cahier.  Si  le  ms.  était  paginé,  ils  seraient  numérotés 
134  et  135  au  heu  de  122  et  123.  L'ordre  régulier  étant  rétabli,  on 
voit  que  nos  deux  mss.  continuent  à  marcher  de  conserve.  Par  contre 
huit  feuillets  plus  loin  c'est  le  ms.  7  qui  se  trouve  en  défaut  à  son  tour  • 
en  effet  les  deux  premiers  vers  de  son  fol.  258  appartiennent  à  deux 
laisses  différentes  : 

Jamais  meschine  n'i  vaura  ne  pastiaus. 
Lors  traist  l'espee  dont  bien  trence  li  brans  ; 
ils  se  trouvent  dans  /o  :  le  premier  au  fol.iiqb,  le  second  au  fol.  129c 
30  vers  plus  loin.   Le  copiste  de  7  aura  sauté  ces  30  vers  par  inatten- 
tion. 

En  voilà  assez  sur  la  constitution  comparée  de  la  leçon  des  deux 
mss.  Ce  qui  précède  suffit  pour  attirer  l'attention  de  qui  voudra  entrer 
dans  le  détail.  J'arrête  donc  ici  la  référence  réciproque  des  mss.  d'au- 
tant plus  que  la  fm  du  poème  m'a  paru  être  sensiblement  convergente 
Je  terminerai  ce  qui  regarde  le  ms.  10  par  quelques  observations  qui 
lui  sont  propres. 

Je  viens  de  dire  que  c'est  après  le  fol.  1 3  3  que  viennent  les  deux  fol 
interpolés,  de  sorte  que  le  fol.  1 36  devra  réellement  porter  le  n°  1 34 

Le  fol.  26d  renferme  un  anachronisme  dont  il  convient  de  laisser  la 
responsabilité  au  copiste  :  il  ne  se  rencontre  en  effet  que  dans  ce  seul 
ms.  11  est  curieux  à  relever  en  ce  qu'il  montre  l'influence  exercée  par 
une  chanson  sur  une  autre  de  date  et  d'intérêt  différents.  Dans  l'espèce 
Il  s'agit  de  la  chanson  de  Roland  et  de  la  défaite  de  Roncevaux  Parmi 
les  seigneurs  de  la  cour  figure  Pieron  d'Artois  dont  la  sagesse  était  fort 
prisée  dans  les  conseils  du  roi.  Afin  sans  doute  de  justifier  cette  estime 
le  copiste  n'hésite  pas  à  donner  à  Pieron  une  longévité  hors  de  toute 
proportion  : 

Il  avoit  plus  de  .ce.  ans  et  dis 

De  Rainscevaus  escapa  il  jadis 

De  le  bataille  u  Rolans  fu  trais; 

Si  fu  od  Karle  quant  l'Espagne  conquist  : 

Or  est  si  viols  a  poine  puet  seir. 


240  F.    BONNARDOT 

Les  invraisemblances  de  tout  genre  accumulées  dans  ces  quelques 
vers  sautent  aux  yeux;  elles  ne  méritent  pas  l'honneur  d'une  réfutation. 
Ainsi  d'ailleurs  que  le  fait  remarquer  une  note  inscrite  au  bas  du  fol.,  ce 
n'est  là  qu'  «une  bévue  de  copiste  qui,  comme  cela  arrivait  souvent,  aura 
écrit  de  mémoire  et  confondu  ensemble  plusieurs  chansons  de  geste.  )> 
Encore  aurait-il  pu  respecter  le  texte  auquel  il  empruntait  sa  digression 
intempestive. 

L'intérêt  de  cet  anachronisme  est  dans  son  rapprochement  d'une 
autre  mention  de  ce  genre,  rapportée  au  ms.  1622  et  s'appliquant  non 
plus  à  un  personnage  secondaire  mais  à  l'un  des  principaux  héros  de  la 
geste,  à  Gerin,  cousin  de  Girbert  : 

Après  Hernaut  lo  conte  palazin, 
Gerin  vesquit,  ce  truis  en  perchamin. 
Tant  qu'en  Espaigne  ala  li  fiz  Pépin; 
En  Ronceval  0  Reliant  le  meschin 
Fut  li  frans  rois  ocis  d'un  Sarrasin. 

Cette  réminiscence  se  trouve  tout  à  la  fm  du  ms.  dans  l'énumération 
des  héros  du  poème,  sur  l'esprit  de  laquelle  voy.  5  in  fine. 

Enfm  une  autre  concordance  est  celle  qui  relie  notre  ms.  à  ceux  du 
groupe  lorrain  par  la  qualification  de  «  vilain  »  accolée  au  nom  de 
Hervis  fvoy.  sous  tS',  p.  l'^'^-G). 

Le  ms.  243^ y  est  d'une  très-belle  exécution;  il  est  à  deux  col., 
comptant  chacune  36  vers.  Le  poème  débute  au  verso  du  fol.  i;  la  pre- 
mière colonne  de  ce  verso  est  remplie  par  quatre  miniatures  superposées 
l'une  à  l'autre;  la  seconde  col.  commence  par  la  lettre  ornée  G  enca- 
drant une  miniature;  une  autre  miniature  se  trouve  au  bas  du  fol.  19^ 
en  marge  inférieure.  Avant  d'entrer  dans  la  bibl.  du  duc  de  La  Vallière, 
le  ms.  avait  appartenu,  aux  xvi<=  et  xvii^  siècles,  aux  personnages  dont 
les  noms  se  lisent  sur  le  feuillet  de  garde  :  «  A  madamoi'<^  Anne  de 
Graville,  v^  xxi  »  «  A  monseigneur  d'Urfé.  « 

//).  —  Arsenal  180.  Ce  ms.  est  de  la  même  famille  que  2-1 2-1 3; 
néanmoins  sa  leçon  est  souvent  indépendante.  Tantôt  abrégée,  plus  sou- 
vent amplifiée,  au  total  elle  est  plus  étendue  que  dans  aucun  autre  ms. 

11  compte  30  vers  par  col.,  et  2  col.  à  la  page.  Garln  y  remplit  les  fol. 
1-159!?  avec   19000  vers;  Girbert   va   de    159^  à  261^  avec  environ 

1 2  300  vers.  Ce  manuscrit  présente  différentes  particularités  d'écriture  sur 
lesquelles  je  reviendrai  tout  à  l'heure.  Il  est  dans  un  bon  état  de  conser- 
vation; les  fol.  I  et  2,  jadis  mutilés  en  tête  et  en  marge,  ont  été  refaits 
au  xiv*^  siècle.  Le  24^  cahier  se  compose  de  7  feuillets  seulement  (185- 
191),  sans  lacune. 

Ce  ms.,  l'un  des  plus  anciens  de  la  Geste,  a  successivement  appartenu 


LES  MANUSCRITS  DES  Loherains  241 

dans  le  xviiie  siècle  au  maréchal  d'Isenghien,  au  duc  de  la  Vallière,  au 
marquis  de  Paulmy  dont  les  livres  et  mss.  constituent  le  fonds  princi- 
pal de  la  bibliothèque  actuelle  de  l'Arsenal.  Il  n'a  jamais  été  en  la  pos- 
session de  Barbazan,  comme  le  pense  M.  Stengel  (p.  408).  Ce  qui  a  pu 
Pinduire  en  erreur,  c'est  l'annotation  marginale  qui  figure  à  la  page  389 
du  ms.  839  H.   F.   de  la  même  bibliothèque,  intitulé  «  Catalogue  de 
Manuscrits.  ;>  Dressé  par  Barbazan,  ce  catalogue  contient  à  cette  page 
l'mventaire  des  mss.  de  «  M.  le  duc  de  la  Vallière  «  au  second  rang  des- 
quels se  présente  le  «  Roman  de  Garin  le   Loheran,  en  vers  francois, 
13e   siècle,  venant  du   Maréchal  d'Isenghien,  4°.  «  Puis  en  marge: 
«  Ces  trois  mss.  ■  ont   passé  dans  ma  bibliothèque,  aux  f°  «  ;  c'est-à- 
dire  dans  la  bibliothèque  de  Paulmy,  auteur  de  la  note.  Barbazan  n'a 
donc  jamais  été  possesseur  du  ms.  actuel  180,  il  en  a  seulement  signalé 
l'existence  chez  le  duc  de  la  Valhère;  et  Paulmy,  après  s'être  r'endu 
acquéreur  du  catalogue  et  du  ms.,  constate  sur  le  premier  l'entrée  du 
second  dans  sa  bibliothèques  Cette  note  a  d'ailleurs  servi  à  M.  Stengel 
pour  rectifier  sa  propre  liste  des  mss.  des  Loherains,  en  identifiant''^ 
(Arsenal  180)  avec  /  (Isenghien). 

De  ce  ms.  Isenghien,  Mone  a  donné  une  analyse  succincte  et  cité 
quelques  vers  3.  M.  Stengel  a  déjà  remarqué  qu'un  grand  nombre  des 
feuillets  de  ce  ms.  sont  d'une  autre  main,  par  exemple  les  fol.    16,  24, 
39,  4o>  46,  56,  GG,  68,  69,  70,  178,    181,    192  bis,  197,  219/220', 
223,  225,  228.  Ces  feuillets  d'une  écriture  différente,  appelés  à  combler 
des  lacunes  existant  anciennement  dans  le  ms.  180,  ont-ils  été  copiés 
sur  l'original .?  Présement-ils  la  même  leçon  que  les  feuillets  perdus  et 
remplacés  par  eux.?  C'est  ce  qu'il  est  impossible  d'affirmer  sans  avoir 
au  préalable  fait  une  étude  minutieuse  du  ms.,  mais  déjà  nous  pouvons 
dire   que   les   divergences   qui    seront  constatées  tout  à  l'heure  entre 
la  leçon  de   /o  et  celle  de  12  et  de  i3  ne  portent  sur  aucun  des  fol 
désignés  ci-dessus.   Dès  lors,  il  ne  semble  pas  qu'il  faille  (non  plus  ici 
que  dans  les  autres  ms.  copiés  de  différentes  mains)    réunir  ces  fol. 
isolés  en  une  collection  qui  prendrait  le  rang  de  loa.   Il  suffit  de  signa- 
ler l'accident,  la  mention  a  étant  réservée  pour  le  cas  où  non-seulement 
la  mam,  mais  aussi  la  leçon,  vient  à  changer:  tels  5  et  5a. 

12).  —  Arsenal  181.  De  tous  les  ms.   des  Loherains  c'est  le  seul 


prose^'"°^'  ''''"•  '°   ^^Destruction  de  Troye;  2' Garin-   y  \t  Saint-Craal  en 

2  Cette  attribution  est  confirmée  par  la  mention  suivante  qui  figure  au  bas  du 
feu.net  de  garde  de  notre  ms.:  «  M.  de  Barbazan  qui  a  connï  ce  ms.  qui  a  passé 
fAïèdet  '^^''"ë'^''"  ^  ^-  '^  °"^  ^'  '^  Vallie?e,  dit  que  l'écriture  en  eSdu 

3.  Mené  :  Anzeiger  fur  Kunde  des  deutschen  Mittelalters,  IV  (1835),  341. 
Romania,  III  ^  (^ 


242  F.    BONNARDOT 

qui  contienne  les  quatre  branches  de  la  geste.  Sa  valeur,  qui  sera  tou- 
jours très-grande,  serait  inestimable  n'étaient  les  conditions  de  date 
et  de  rédaction  qui  lui  enlèvent  une  part  de  son  prix.  Transcrit  au 
\i\^  siècle,  il  porte  en  maints  endroits  la  marque  de  cette  époque  et  de 
la  manière  dont  on  comprenait  alors  1'  «  adaptation  »  des  anciennes  chan- 
sons à  la  langue  et  aux  idées  présentes  (voy.  ci-dessus  -j  et  6").  Par 
exemple  il  fait  commencer  Girbert,  comme  6  et  i3,  au  départ  de  Bégon 
pour  la  chasse  ;  en  outre  il  prolonge  cette  même  branche  jusqu'à  la  mort  de 
son  héros,  c'est-à-dire  assez  avant  dans  Anseïs.  De  cette  façon  Girbert 
devient  la  branche  la  plus  considérable  de  la  geste,  tandis  que,  ramenée 
à  ses  véritables  proportions,  elle  en  est  la  plus  petite.  Je  signale  cette 
répartition  spéciale  pour  bien  marquer  le  caractère  propre  de  notre  ms. 
en  cela  proche  voisin  de  2.  La  constatation  faite,  je  reviens  au  mode 
naturel  de  division  du  poème  pour  indiquer  suivant  quelle  proportion  le 
ms.  répartit  ses  56,250  vers  (nombre  rondj  entre  les  quatre  branches 
dont  il  se  compose.  De  dimension  in-fol.,  chaque  feuillet  est  séparé  en 
5  col.  sur  chacune  de  ses  faces,  et  chaque  col.  compte  5 1  vers.  Hervis 
remplit  les  fol.  1-44^  avec  1 3 160  vers,  Garin  les  fol.  44^-97^^  =  161 50 
vers,  Girbert  les  fol.  97/-1 39^  =  12070  vers,  Anseïs  les  fol.  1 39^-1 88^ 
=  14850  vers. 

On  sait  déjà  que  ce  ms.  est  de  tous  celui  qui  se  rapproche  le  plus  du 
ms.  nouvellement  découvert  à  Dijon'.  J'ai  montré  précédemment  que 
pour  la  leçon  celui-ci  l'emporte  sur  celui-là.  Néanmoins,  parce  qu'il 
réunit  la  geste  dans  une  seule  teneur,  le  ms.  de  I'Ars.  doit  être  regardé 
comme  le  type  de  la  famille  2-10-12-13.  Il  en  est  le  représentant  le 
plus  accentué,  le  plus  défectueux  si  l'on  veut,  mais  au  demeurant  le  seul 
complet.  L'indépendance  de  sa  leçon  est  accusée  de  la  façon  la  plus 
nette  possible,  pour  les  trois  premières  branches,  vis-à-vis  des  groupes 
1-5-6-8  d'une  part  et  3-4-5a-'j-g  de  l'autre;  et  pour  la  quatrième 
vis-à-vis  de  j-io  que  l'on  vient  de  voir  assez  divergents  l'un  de  l'autre. 
Cette  dernière  branche  n'existe  malheureusement  pas  dans  le  groupe  lor- 
rain, l'isolement  de  /o  ne  permettant  pas  de  l'y  rattacher  ^  pr/on  quoique 
la  mention  du  c<  vilain  Hervis  «  pèse  d'un  certain  poids  en  faveur  de 
cette  attribution  (voy.  ci-dessus  p.  240). 

Au  contraire  des  ms.  i-5-8  qui,  par  inadvertance  du  copiste,    ont 
fait  passer  cette  appellation  dans  le  passage  de  Garin  cité  plus  haut  (p. 
235),  Ars.  a  maintenu  l'esprit  de  la  première  version,  la  bonne  : 
Li  dus  de  Mes,  li  fils  au  duc  Hervi 

L'énumération  finale  ne  fait  pas  davantage  mention  de  Hervis,  non  plus 

I .  Voy.  ci-dessus,  p.  78  et  ss. 


LES  MANUSCRITS  DES  Loùrains  243 

que  les  mss.  qui  ne  contiennent  pas  la  branche  de  ce  nom.  Sous  ce  rap- 
port il  concorde  avec  7  contre  10. 

La  chanson  de  Hervis  ne  contient  au  fol.  i  recto  que  36  vers  par  col. 
au  lieu  de  51  ;  le  chef  de  la  page  est  occupé  par  une  miniature,  et  l'en- 
tête de  chaque  col.  par  une  lettre  historiée.  Avec  deux  autres  lettres  du 
même  genre  dont  il  sera  question  plus  loin,  c'est  là  toute  l'ornementation 
du  ms. 

La  lettre  initiale  de  Garin  (fol.  44^)  ne  se  distingue  en  rien  des  lettres 
mitiales  des  laisses  précédentes  et  suiv.  Le  fol.  77^  se  termine  par  la 
mention,  que  j'ai  déjà  relevée,  du  nom  du  copiste  et  du  lieu  où  la  copie 
fut  exécutée  ;  elle  assone  avec  la  laisse  : 

Ciz  romans  est  a  Jaques  de  Paris. 
Haut  soit  pendus  qui  l'enblera  en  fin! 
Sachiés  qu'il  fut  escris  a  S.  Quentin 
En  chiés  Robert  Dardane  Houdebin. 

Certes,  une  pareille  mention  est  bien  ^équivalent  d'un  «  explicit  » 
Pour  l'avoir  insérée  à  cette  place,  il  faut  que  le  copiste  ait  eu  sous  les 
yeux  un  ms.  qui  terminait  à  cet  endroit  même  la  chanson  de  Garin  :  or 
on  verra  que  le  ms.  de  Dijon  est  dans  cette  condition,  seul  de  tous  ceux 
qm  nous  sont  parvenus.  Et  comme  par  ailleurs  la  leçon  concorde,  celte 
rencontre  danslacoupe  — défectueuse.?  je n^examine  pas  ce  point -de  la 
chanson  est  un  nouvel  et  puissant  argument  en  faveur  de  la  communauté 
d'origine  assignée  aux  deux  mss.  dans  mon  précédent  article. 

Aussi  bien  la  laisse  qui  vient  immédiatement  après  cette  note  commence 
par  une  lettre  historiée,  qui  reçoit  de  la  condition  générale  du  ms.,  assez 
peu  soigné  en  somme,  et  de  l'absence  totale  d'ornememation  intérieure, 
une  valeur  intrinsèque  considérable.  Encore  une  fois,  pour  le  copiste  de 
notre  ms.  et  pour  son  original  (celui-ci  dérivé  d'un  original  premier  par 
combien  d'intermédiaires  et  quels.?  je  ne  sais,  et  ce  serait  là  le  point 
qu'il  importerait  de  savoir;,  la  laisse 

Un  jour  fu  Bègues  au  chaste!  de  Belin 

forme   le  début  d'une  chanson   nouvelle.   On  a  vu  tout  à  l'heure  le 
ms.  6  en  fournir  une  preuve  matérielle. 

11  va  de  soi  que  dans  les  mss.  de  cet  ordre,  le  début  réel  de  Girbert 
ne  se  distingue  pas  extérieurement  de  la  laisse  précédente  ni  de  h.  sui- 
vante. Le  ms.  12  renchérit  encore  sur  cette  donnée  logique.  Il  s'est 
dit,  non  sans  raison,  que  ces  vers  si  solennels  dans  leur  simplicité,  si 
beaux,  si  pleins,  et  d'un  souffle  véritablement  épique  dans  leur  retour 
cadencé  : 

Granz  fu  la  guerre  qui  ja  ne  panra  fin  ; 

Après  les  morz  l'encommencent  ii  vif, 

Après  les  pères  la  reprennent  li  fil, 


244  ^-  BONNARDOT 

Après  la  mort  au  Loheranc  Garin 

La  rencommance  li  dux  Girberz  ses  filz*, 

il  s'est  dit  que  ces  vers,  que  la  laisse  tout  entière  n'étant  autre  chose 
que  l'exposition  du  drame,  sa  place  était  en  tête  et  non  à  l'intérieur  de 
la  chanson.  Et  comme,  suivant  son  calcul,  la  chanson  de  Girbert  comp- 
tait déjà  8000  vers  et  plus  (fol.  77^-97/),  il  a  purement  et  simplement 
supprimé  cette  laisse  initiale  et  une  partie  de  la  suivante,  comme  entra- 
vant la  marche  du  récit  commencé.  C'est  ainsi  que  Girbert  est  relié  à 
Garin  sans  transition,  brusquement  et  comme  par  un  ressaut  de  mémoire. 
Le  vice  de  composition  est  patent  dans  ces  vers,  dont  les  quatre  premiers 
(bien  qu'altérés;  appartiennent  à  la  seconde  laisse  de  Girbert,  et  dont  les 
suivants  sont  de  la  façon  du  copiste  qui  se  raccroche  tant  bien  que 
mal  à  la  leçon  primitive  : 

Ce  fu  en  mai  qu'il  fet  chaut  et  seri, 
Cil  oisel  chantent  doucement  au  matin, 
Et  ses  pucelies  por  amor  nos  amis 
Demainent  joie,  et  varlet  et  meschin. 
En  ceste  istoire  avez  arier  oi 
Mors  fu  a  tort  li  Loherens  Garin. 
Gibers  n'a  perez,  ne  Hernaus  ne  Gerins  ; 
Mais  chascun  jor,  les  blanz  haubers  vestiz. 
Vont  guerroier  Fromont  et  Fromondin. 
Biax  sires  Dex,  pères  de  paradis, 
Fu  ains  mais  guerre  qui  ne  traist  a  fin 
Ne  mes  icelle  du  Loherent  Garin. 
Aprez  la  mort  au  franc  duc  palazin 
La  recommence  et  Giberz  et  Gerins, 
Li  preus  Hernaus  et  li  preus  Mauvoisins, 
Contre  la  geste  Fromont  le  posteis. 

Hâtons-nous  d'ajouter  que  cette  leçon  n'a  pas  fait  école;  elle  est  isolée 
et  à  juste  titre. 

Dans  ce  ms.  le  commencement  du  fragment  publié  à  la  fm  de  ce  tra- 
vail se  rapporte  au  fol.  99^.  J'ai  déjà  dit  que  les  deux  mss.  de  l'Arsenal 
suivent  de  tout  point  la  leçon  du  ms.  2  ;  pour  la  correspondance  de 
cette  leçon  avec  celle  du  fragment  et  des  autres  mss.  voy.  les  variantes 
qui  accompagnent  la  publication  de  ce  même  fragment. 

Le  verso  du  fol.  135  est  resté  en  blanc  ainsi  que  la  majeure  partie  de 
la  ^^  col.  du  recto. 

Le  milieu  du  fol.  1 39^  correspond  à  la  fm  de  Girbert  dans  les  autres 
mss.,  avec  la  laisse  fmale  : 

De  Panpelune  s'est  Gibers  depertis 


1.  Ms.  1461,  f»  11 7^. 


LES  MANUSCRITS  DES  Lofierains  245 

fin  :  Et  a  S.  Gille  s'en  ala  Mauvoisin, 

A  Gironville  Hernaus  li  palazins. 

Li  rois  Gibers  est  demorés  ainsi. 
Mais  notre  ms.  ne  l'entend  pas  de  cette  façon.  Non  content  d'avoir 
annexé  à  Girbert  la  dernière  partie  de  Garin,  il  pousse  la  ramification  de 
cette  branche  jusqu'en  plein  cœur  d'Anseïs.  Ainsi  constituée,  du  départ 
de  Bégon  pour  la  partie  de  chasse  où  il  devait  trouver  la  mort  jusqu'au 
propre  trépas  et  funérailles  de  Girbert  assassiné  par  ses  neveux,  la  chan- 
son s'étend  du  fol.  77c  au  fol.  148^,  comptant  près  de  22,000  vers, 
nombre  presque  double  de  l'étendue  réelle  de  la  chanson. 

Pour  étonnante  qu'elle  paraisse,  cette  extension  ne  peut  être  révoquée 
en  doute.  Nous  retrouvons  ici  l'application  du  même  procédé  signalé  au 
début  de  Girbert  (fol.  97/);  le  procédé  s'est  même  perfectionné.  Au 
moins  s'il  était  greffé  sur  Garin,  Girbert  débutait  par  une  laisse  indépen- 
dante :  cette  satisfaction  est  refusée  à  Anseïs,  dont  le  début  est  englobé 
dans  la  laisse  finale  de  la  chanson  précédente,  une  de  ces  laisses  en  i 
interminables,  comme  les  Loherains  en  comptent  tant. 

Après  les  vers  qu'on  vient  de  lire  et  qui  terminent  Girbert,  le  ms.  con- 
tinue sans  autre  avis  : 

Mais  de  sa  mort  ne  de  son  grant  péril 

Ne  se  prent  garde  Gibers  li  filz  Garin. 

Du  filz  Hernaut  qui  estoit  son  cousin 

Cil  prist  la  guerre  et  commença  l'estrif. 

Huimais  commence  la  chançons  a  venir. 


La  col.  suivante  commence  toujours  avec  la  même  assonance  et  par 
conséquent  dans  la  même  laisse,  par  le  vers  : 

Enz  en  la  voie  de  S.  Jaque  en  Galis 
correspondant  au  début  d'Anseïs  dans  le  ms.  7  qui  est  tel  : 
f°  164e  Huimais  orrés  une  bonne  cançon, 

Boin  sont  li  vier  et  boin  en  sont  li  ton. 
Ch'est  après  Paskes  en  une  rouvoison 
Que  a  S.  Jake  alerent  li  baron. 


Mais  cette  laisse,  qui  ouvre  le  récit,  y  est  elle-même  précédée  d'un  pro- 
logue récapitulatif,  qui  donne  le  dénombrement  des  deux  gestes  enne- 
mies et  rappelle  rapidement  la  succession  des  faits  jusqu'au  point  oii 
l'action  nouvelle  va  s'engager.  J 'ai  déjà  fait  observer  (sous  70)  que  le  récit 
de  cette  nouvelle  branche  ne  concorde  point  avec  celui  des  deux  autres 
mss.,  déjà  eux-mêmes  passablement  divergents.  Il  n'y  aurait  aucun 
intérêt  à  donner  ici  la  succession  des  laisses  comme  je  l'ai  fait  plus  haut, 
puisqu'il  n'y  a  point  de  rapport  comparatif  à  établir  dans  le  cas  présent. 
Je  me  bornerai  à  dire  qu'avec  la  i  ^^  laisse  à  partir  du  fol.  1 59  verso, 
et  dont  voici  le  premier  vers  : 


246  F.    BONNARDOT 

Granz  fu  l'estorz,  la  nosse  et  li  hutins  (fol.  148c) 
se  termine  dans  notre  ms.  l'appendice  à  la  chanson  de  Girbert,  qui 
s'annexe  ainsi  la  y  partie  du  ms.  .S^.  Toute  cette  partie,  jusqu'à  la  des- 
cription des  funérailles  du  héros,  compte  un  peu  plus  de  2800  vers; 
j'ai  indiqué  sous  5  l'étendue  de  ce  même  récit  dans  les  autres  mss.  de 
Anseïs. 

Puis  la  laisse  suivante  commence  par  une  lettre  historiée  dans  le  genre 
de  celle  qui  figure  au  fol.  77c  : 

Un  jor  fu  Bègues 

L'une  et  l'autre  annoncent  le  commencement  d'une  nouvelle  branche. 
Anseïs ,  mutilé  de  plus  de  2500  vers  par  l'attribution  de  sa  première 
partie  à  Girbert,  se  poursuit  désormais  jusqu'à  la  fm  du  ms.,  fol.  188. 

Le  feuillet  de  garde  du  commencement  et  de  la  fm  du  ms.  contient 
une  analyse  succincte  du  poème  en  prose,  qui  remonte,  d'après  le  ca- 
ractère de  l'écriture,  à  la  première  moitié  du  xV^  siècle. 

En  résumé  le  caractère  distinctif  du  ms.  /2,  et  qui  lui  assigne  une 
place  distincte  entre  les  mss.  mêmes  de  sa  famille,  c'est  l'importance 
numérique  qu'il  donne  à  la  branche  de  Girbert^  considérablement  accrue 
au  détriment  des  branches  de  Garin  et  d'Anseïs.  Pour  le  fond  de  la  leçon 
il  doit  désormais  céder  le  premier  rang  au  ms.  de  Dijon,  mais  il  n'en 
conservera  pas  moins  une  valeur  incontestable  et  hors  ligne,  grâce  à  la 
réunion  des  quatre  branches  de  la  Geste,  dont  la  première  et  la  dernière 
ne  se  retrouvent  chacune  que  dans  deux  autres  mss. 

i3).  —  Dijon  3oo-K  J'ai  donné  une  description  détaillée  de  ce  ms. 
pp.  78  et  ss.  Mais  une  particularité  m'avait  échappé  durant  l'examen 
sommaire  que  j'en  avais  fait  lors  de  mon  passage  à  Dijon.  L'existence 
de  cette  particularité  resserre  la  connexion  de  ce  ms.  avec  Ars.  180, 
connexion  établie  alors  d'après  la  seule  comparaison  des  leçons.  On  sait 
que  je  veux  parler  du  dédoublement  de  Garin,  et  de  l'attribution  de  sa 
dernière  partie  à  Girbert,  répartition  qui  ne  se  reproduit  que  dans  ces 
deux  ms.  (voy.  sous  12).  Ce  partage  est  encore  plus  nettement  marqué 
dans  Dijon  que  dans  Ars.  L'explicit  est  formel  et  complet: 

De  ceste  guerre  faiçons  ci  bone  fin. 
Dex  vos  garisse  qui  en  la  croiz  fu  mis, 
Et  Dex  garisse  celi  qui  l'ai  escri  ! 

Amen.  Amen.  Amen, 
Ci  faut  la  première  perde  des  Lorans. 
Explicit. 

Ainsi  se  termine  le  î°  xlviij  ' .  En  présence  d'une  affirmation  aussi 

I .  J'emploierai  exclusivement  les  chiffres  romains  du  foliotement  primitif,  à 
peu  près  contemporain  du  ms.  et  par  conséquent  antérieur  aux  mutilations  subies 
par  ce  volume. 


LES  MANUSCRITS  DES  Loherains  247 

absolue,  ignorant  que  cette  coupe  est  le  caractère  distinctif  d'une  famille 
de  mss. ,  et  d'ailleurs  dénué  de  tout  moyen  de  contrôle,  j'ai  dû  m'en  tenir  à 
une  indication  aussi  précise  que  celle-là,  et  la  prendre  pour  base  de  mes 
calculs.  Je  m'y  suis  confié  avec  d'autant  plus  de  sécurité  que  cette  men- 
tion termine  à  la  fois  un  feuillet  et  un  cahier.  Pour  comble,  le  feuillet 
suivant,  dont  le  début  aurait  pu  m'éclairer  : 

Un  jor  fu  Bègues  au  chaste!  de  Belin, 
fait  précisément  défaut. 

De  tout  ceci  il  résulte  que  j'ai  donné  le  feuillet  xlix  (manquant)  comme 
contenant  le  début  de  Girbert,  assertion  vraie  au  regard  du  ms.  de  VAr- 
senal,  similaire  de  Dijon,  mais  fausse  au  regard  de  tous  les  autres  mss., 
à  l'exception  de  6  qui  est  un  ms.  fragmentaire.  Comme  cette  division, 
spéciale  à  un  groupe  d'une  famille  particulière,  ne  peut  être  admise  et 
que  je  l'ai  déjà  rejetée  à  l'art,  précédent,  il  convient  de  rectifier  ici  ce 
qui  est  dit  fpp.  80-81)  du  contenu  des  deux  branches  du  ms.  de  Dijon 
et  des  lacunes  y  afférentes. 

Donc  Girbert,  au  lieu  de  commencer  au  f  xlix,  immédiatement  après 
r  «  expHcit  ))  qu'on  vient  de  lire,  commence  réellement  au  f"  Ixxvj/;, 
avec  le  début  consacré,  reconnaissable  sous  cette  forme  : 

Granz  fu  la  guerre,  jemais  n'i  mastrai  fin. 

Après  les  pères  les  repanront  11  fiz; 

Lai  recommance  11  cuens  Giberz  ses  fiz. 


dont  la  lettre  initiale  ne  se  distingue  extérieurement  par  rien  qui  puisse 
la  faire  prendre  pour  le  début  d'une  chanson.  Il  en  est  de  même  dans 
181 ,  avec  cette  aggravation  que  la  leçon  a  été  profondément  modifiée, 
et  qu'ici  la  copie  ne  respecte  en  aucune  façon  le  texte  original. 

Ainsi  ramené  au  cadre  des  autres  mss.,  Garin  compte  environ  1 5,800 
vers  pour  les  f°M-lxxvj-',  et  Girbert  environ  11700  pour  les  f"^Mxxvi/'- 
cxxx  '.  Ces  chiffres  concordent  avec  ceux  du  ms.  /<V/  qui  donne  d'un 
côté  161 50  V.  et  de  l'autre  12070  environ  :  on  sait  que  la  leçon  de  ce 
ms.  est  un  peu  plus  développée  que  celle  de  Dijon. 

Au  surplus,  voici  la  correspondance  d'un  certain  nombre  de  vers  dans 
les  trois  mss.  de  Dijon  et  de  V Arsenal.  Outre  le  premier  vers  de  chaque 
cahier  ^,  j'en  donne  quelques  autres  tirés  des  passages  cités  dans  mon 
précédent  article. 

1.  Dans  ce  nombre  cxxx  sont  compris  les  quatre  feuillets  qui  manquent  à  la 
fin  du  ms.  et  que  je  lui  restitue  d'après  le  rapport  du  te.xte  de  Dijon  avec  celui 
à'Ars.181.  Ici  encore  je  donne  à  la  chanson  1  étendue  normale  qu'elle  a  d;nis  tous 
les  manuscrits  sauf  /<S7.  Il  importe  peu  de  savoir  si  Dijon  comportait  ou  non 
les  développements  de  ce  dernier  ms.  pour  Girbert;  le  problème  est  insoluble,  le 
ms.  s'arrêtant  au  f"  cxxvj. 

2.  M.  Ph.  Guignard,  bibliothécaire  de  Dijon,  a  bien  voulu  me  copier  le 
premier  vers  de  chaque  cahier  à  partir  du  4'. 


248  F,    BONNARDOT 

Dijon                                Arsenal  181  180 

Cahier  2    f*  XIII  :  Ce  poise  moi,  dist  Car...  52a  i  ^d 

—  2        XIV  :  A  .1.  baron  qui  ma  terre  traist  j2e  iSa 

—  3          XV:  Que  vos  seist  la  pucelle  au  cor  gent  5  je  20a 

—  4      XXV  :  Je  ne  suis  mie  li  Alemanz  Orris  61b  40a 

—  5  XXXIII  :  A  .IIlI.Mt.  qu'a  des  autres  savrez  66/  ^-jb 

—  6       XLI  :  N'est  eust  droiz  que  li  donast  Paris  ■j\d  74c 

—  6  XLVIIL^  :  (Explicita  fin  de  la  première  branche)         776  85e 

—  7    [XLIX  :  Un  jor  fu  Bègues  au  chastel  de  Belin]  77c                  856 

—  7            L  :  L'oste  fu  saiges,  cortois  et  bien  apris.  78a                  86^ 

—  8        LIX  :  Dolanz  en  fu  quant  il  dire  l'oit  8}/                102a 

—  9     LXVI  :  Il  dessandirent  en  .i.  bruillat  foilli  90^  1  lafin  deCûW/j 

—  10  LXXIII  ;  Il  et  Guillaume  l'orgolloux  de  Monclin  ç)-jd'  ne  corr.  pas 

—  10  LXXVIè  :  Granz  fu  la  guerre  jemais  n'i  mastrai  fin 

(Début  de  Girbert)  97/  1 59^ 

10  LXXVIIIa  :  Ce  fu  en  mai  que  florissent  li  pins  99^/  164c 

—  1 1  LXXXII  :  Enz  en  la  chambre  une  pucelle  fu               104c  174^  .  leçon 
II  LXXXV^  :  En  cel  agait  que  li  viauz  Fromonz  fit       loja  iSoai  difî. 

—  12        XC  :  Trait  ai  l'espee,  celé  part  est  alez  i  loc  190c 

—  13  XCVIII  :  Et  dan  Bernart  le  conte  de  Nasil  '  ii6a  203^ 

—  14       CVI  :  Li  suens  tressor  sempres  enfondrez  fu  121e  218c 

—  16  CXXIII  :  Deci  ez  danz  l'a  fandu  et  partiz  133e  250a 
16  CXXVI  fin  :  Puis  trait  l'epee  qui  li  pant  au  costé  136;^  253  c 

Le  reste  manque.  Girbert  se  termine  au  fol.  i}C)d  iGxd 

En  même  temps  que  ce  tableau  donne,  dans  un  coup  d'œil  ensemble, 
l'état  et  l'importance  des  lacunes  du  ms.  de  Dijon,  il  fait  ressortir  la  cor- 
rélation intime  qui  unit  ce  ms.  à  181,  issus  tous  deux  d'un  origmal 
commun,  contre  180  dont  la  leçon  est  parfois  fort  divergente.  Cette 
divergence  s'accuse  en  plusieurs  endroits  dans  ce  tableau  dressé  au 
hasard  de  la  succession  des  cahiers,  et  notamment  à  la  fin  du  Garin  et 
dans  le  passage  correspondant  au  fragment  publié  ci-dessus  pp.  83-87. 
Parfois  écourtée,  mais  bien  plus  souvent  amplifiée,  la  leçon  du  ms.  180 
lui  assigne  une  place  à  part  dans  la  famille  à  laquelle  appartiennent  181 
et  Dijon.  Son  plus  proche  parent  est  le  ms.  2. 

14).  —  Montpellier  243  '.  «  Petit  in-4°  vélin.  Le  roman  de  Garin  le 
Loherins  (par  Hugues  Metellus,  chanoine  de  Saint-Léon  de  Toul)  — 
xiii^  siècle.  —  De  l'oratoire  de  Troyes  à  qui  le  président  de  Corberon 
l'avait  donné.  Il  avait  appartenu  à  Perrin  Roucels,  échevin  de  Metz  au 
xiye  siècle.  «  Cette  notice  est  empruntée  au  Catalogue  des  mss  des  Bibl. 
des  départements  (I,  377).  Pour  être  succincte,  elle  avait  néanmoins  suffi 
à  m'inspirer  quelque  doute  relativement  à  l'assertion  de  M.  Stengel 
(p.  408)  que  le  ms.  de  Montpellier  est  une  version  en  prose.  A  elle 

I .  Je  dois  à  l'obligeance  de  M.  Boucherie  les  renseignements  qui  m'ont  permis 
de  décrire  ce  ms. 


LES  MANUSCRITS  DES  Loherains  249 

seule,  la  date  du  «  xiii^  siècle  n  est  un  argument  puissant  contre 
l'existence  d'une  réduction  en  prose.  Et  en  effet  le  ms.  de  Montpellier 
est  bien  en  vers,  et  il  tient  un  bon  rang  tant  pour  la  date  que  pour  la 
leçon. 

Il  contient  260  feuillets  sans  lacune,  2  colonnes  à  la  page  et  30  vers 
par  colonne.  Quoique  dérivé  de  la  même  source  que  /o,  il  n'a  pas  suivi 
la  leçon  divergente  de  ce  dernier  ms.  et  ne  présente  pas  le  même  déve- 
loppement :  dans  l'un  Garin  se  termine  au  f°  147a  avec  17,520  vers, 
dans  l'autre  il  se  prolonge  jusqu'au  f°  1 59^  avec  environ  1 500  vers  en 
plus.  Tous  les  deux  cependant  remontent  à  un  original  commun  ainsi  que 
l'atteste  la  communauté  de  leur  formule  d'  «  explicit  »  (ci-dessous, 
p.  256-7).  Dès  le  début  du  poème,  la  substitution  des  «  Hongres»  aux 
«  Wandres  «  ^v.  3)  n'a  lieu  que  dans  les  ms.  de  cette  famille,  et  au 
V.  7  la  mention  de  la  ville  de  «  Saint-Denis,  »  propre  à  Montpellier, 
n'a  d'analogue  que  celle  de  «  Saint-Remis  »  dans  /cVo,  interprétation 
plus  fautive  encore  d'une  leçon  mal  lue  ou  altérée  dans  l'original  commun. 
J'ai  déjà  eu  occasion  de  dire  que  /-Vo  s'est  développé  à  part;  sa 
rédaction  amplifiée,  moins  sobre  d'incidents  et  d'un  ton  moins  bref, 
abonde  en  dialogues  étendus;  elle  vise  à  la  recherche  de  l'effet  et  à 
l'agencement  dramatique.  Parmi  les  ms.  de  Paris  et  de  la  province,  les 
deux  seuls  qui  s'en  rapprochent  sont  Arsenal  181  et  Dijon  et  surtout 
1443.  Encore  les  deux  premiers  ne  s'en  rapprochent-ils  que  de  loin, 
et  tel  passage,  celui  p.  ex.  qui  est  reproduit  p.  83-87  ci-dessus,  n'admet 
qu'une  confrontation  par  la  tangente;  à  peine  y  trouverait-on  trois  ou 
quatre  points  de  contact  entre  les  deux  leçons,  après  lesquels  la  diver- 
gence s'accentue  avec  d'autant  plus  d'énergie  que  le  contact  a  été  plus 
intime  et  plus  prolongé. 

Les  représentants  de  cette  rédaction  forment  ainsi  deux  groupes 
bien  distincts,  composés  :  l'un  des  mss.  iSo  et  1443,  l'autre  des  mss. 
iSi  tt  Dijon,  celui-ci  suivant  de  plus  près  la  leçon  des  autres  mss., 
commune  aussi  à  Montpellier.  Ce  fait  que  Montpellier,  issu  du  même 
original  que  180,  est  cependant  bien  différent  de  ce  dernier  ms., 
témoigne  contre  la  famille  Arsenal-Dijon,  dont  la  rédaction  a  été  refaite 
et  altérée  comme  il  vient  d'être  dit. 

i5).  —  Ms.  jadis  dans  la  bibliothèque  de  Roquefort  et  dont  il  s'est 
servi  concurremment  avec  un  autre  ms.  (La  Vallière  2727)  pour  les 
citations  de  son  Glossaire.  Ce  ms.  ne  m'est  connu  que  par  les  premiers 
vers  rapportés  par  Roquefort  (Glossaire  II,  777)  : 

Vielle  chanson  voir[e]  plest  vos  oir? 

De  bone  estoire  vos  dirai  sanz  mentir, 

Si  con  li  Vendre  par  merveillous  air 

Vindrent  en  France  crestiens  envair. 


250  F.    BONNARDOT 

Ces  deux  derniers  vers  présentent  une  leçon  isolée,  indépendante  de 
tous  les  autres  mss. 

Oij  est  passé  ce  ms.  ?  D'après  les  renseignements  donnés  par  Roque- 
fort, il  avait  successivement  appartenu  à  Grosley,  puis  au  président  de 
Corberon,  qui  en  fit  présent  au  collège  de  l'Oratoire  de  Troyes.  On  sait 
que  lesms.  de  cet  établissement  ont  été  répartis,  lors  de  la  Révolution, 
à  la  Bibl.  nat.  et  à  l'Ecole  de  médecine  de  Montpellier.  Je  me  suis  assuré 
que  le  ms.  de  Montpellier  (qui  provient  aussi  de  l'Oratoire  de  Troyes 
par  le  président  de  Corberon)  n'est  pas  le  ms.  de  Roquefort.  Comme  il 
n'est  pas  probable  que  ce  ms.  ait  disparu  depuis  le  commencement  de 
notre  siècle,  il  y  a  des  chances  pour  qu'il  se  retrouve  dans  l'un  des  deux 
mss.  actuellement  en  possession  de  sir  Thomas  Philipps  (voy.  ci-dessous 
19-20). 

Sur  les  mss.  de  Berne,  Bruxelles,  Ashburnham-place,  Cheltenham  (2 
mss.),  Oxford  et  Turin,  j'ai  peu  ou  point  de  renseignements  particuliers. 
Des  notices  sommaires  et  quelques  extraits  de  ces  mss.  se  trouvent 
dans  les  ouvrages  suivants  : 

16).  —  Berne  /  i3.  Catal.  des  mss.  de  la  bibliothèque  de  Berne  par 
Sinner,  t.  III  (1772),  p.  344-6;  —  Extraits  de  quelques  poésies  des  XII^, 
X 111"  et  XIV^  siècles,  par  le  même,  Lausanne  1759,  6j  vers  du  Garin  en 
plusieurs  fragments,  pp.  21-26.  Autant  qu'on  peut  en  juger  d'après  des 
éléments  de  comparaison  si  peu  nombreux,  il  m'a  semblé  que  le  texte 
de  Berne  suit  la  leçon  de  1443  de  plus  près  que  celle  de  tout  autre  ms. 
Il  compte  29000  v.  pour  86  f%  3  col.  à  la  page  et  5$  vers  à  la  col. 

77).  —  Bruxelles  Cf63o  (anc.  281],  analysé  par  Mone  dans  ses 
Untersuchungen  zur  Geschichte  derteuschen  Heldensage,  1836,  pp.  192-281. 
Ce  ms.  contient  environ  32000  vers;  il  est  composé  de  25  cahiers; 
chaque  page  est  partagée  en  2  colonnes;  chaque  colonne  renferme 
40  vers.  Il  est  incomplet  de  la  fm;  une  partie  seulement  de  la  lacune 
porte  sur  le  chapitre  correspondant  au  fragment  de  Hanovre.  Ce  frag- 
ment ne  peut  donc  être  rapporté  au  ms.  de  Bruxelles  {Romanische  Stu- 
dien  p.  377),  alors  même  que  ni  la  langue  ni  la  justification  du  feuillet 
de  Hanovre  ne  s'opposeraient  à  cette  identification  (voy.  ci-dessus  28^. 

La  lacune  existe  de  longue  date,  puisqu'elle  est  constatée  dès  le 
xvie  siècle  par  une  note  de  l'un  des  possesseurs  du  ms.,  Charles  de 
Croy,  comte  de  Chimay  (cf.  ci-dessus  même  art.).  Mone  a  donné  de  ce 
ms.  de  nombreux  extraits,  parmi  lesquels  deux  passages  étendus  :  l'un  de 
Garin  p.  224-23$,  c'est  l'épisode  de  la  mort  de  Bégon  qui  comprend 
les  vers  9234-9814  du  ms.  ;  l'autre  de  Girbert  p.  253-264,  v.  20422- 
20975,  se  rapporte  à  la  campagne  de  Girbert  contre  les  Saisnes  pour  le 
compte  du  roi  Anseis  de  Cologne. 


LES  MANUSCRITS  DES  Loherains  251 

Un  passage  de  Bruxelles  rappelle,  au  moins  par  J'esprit,  celui  du 
prologue  du  ms.  de  Turin.  L'un  et  l'autre  s'élèvent  vigoureusement 
contre  l'imposture  des  jougleurs  qui  osent  prétendre  que  la  noble  geste 
des  Loherains  est  issue  de  «vilounie»,  et  qui  substituent  aux  témoignages 
historiques  leurs  inventions  controuvées  (ci-dessus  p.  236)  : 

Huimais  conmence  la  chançons  a  venir 
Grans  et  pleniere  qui  bien  fait  a  oir 
Cil  jougleour  qui  vont  par  le  pais 
N'en  sevent  riens,  certains  en  sui  et  fins. 
L'estoire  en  ont  corrouté  des  biaus  dis 
•Et  lor  mençoigne  [ont]  ajousté  et  mis'. 

Ce  passage  annonce  la  reprise  des  hostilités  par  les  Loherains  impa- 
tients de  venger  la  mort  de  Bégon.  Les  quatre  derniers  vers  ne  se 
retrouvent  dans  aucun  autre  mss.,  non  plus  que  les  six  vers  suivants 
où  Bruxelles  rapporte  que  1'  «  estoire  »  était  écrite  sur  un  rouleau  de 
parchemin  conservé  dans  le  trésor  de  la  cathédrale  de  Cologne.  Tous 
nos  manuscrits  ignorent  ces  dix  vers  et  ordonnent  ce  passage  de  la 
façon  suivante  ; 

Huimais  conmence  la  cançon  a  venir, 

Crans  et  pleniere  ki  bien  fait  a  oir, 

De  la  grant  guerre  c'onkes  puis  ne  prist  fin, 

Que  d'hoir  en  hoir  le  covint  rafrescir; 

Après  les  pères  le  reprissent  li  fil. 

Telle  est  la  leçon  de  4()S(9  fo  jjd,  la  plus  voisine  de  Bruxelles.  Les 
autres  manuscrits  ou  modifient  le  5^  vers,  ou  le  suppriment  ainsi  que  le 
4"  et  quelques-uns  même  le  5'';  mais  aucun  ne  reproduit  ni  la  source 
prétendue  de  la  chanson  ni  la  réfutation  de  l'assertion  injurieuse  que 
Bruxelles  et  Turin  sont  seuls  à  repousser  et  par  conséquent  à  con- 
naître. 

ft^).  —  AsHBURNHAM-PLACE.  Conservé  anciennement  dans  Pabbaye 
de  Saint-Valery-sur-Somme,  ce  ms.  a  passé  dans  la  bibliothèque  de 
d'Herbigny,  puis  dans  celle  de  Barrois  d'oià  il  entra  dans  la  collection  du 
comte  d'Ashburnham.  Il  se  compose  de  226  feuillets  in-4°,  2  col.  à  la  page, 
le  nombre  des  vers  variant  de  32  à  36  par  colonne.  Les  5  derniers 
feuillets  (382  vers)  sont  différents  des  précédents  ;  ils  paraissent  avoir 
été  refaits  à  une  époque  moderne  2.  Cette  restitution  commence  avec  les 
vers  : 


1.  Dans  Mone  (1858),  193,  v.  1776. 

2.  Je  dois  une  partie  de  ces  renseignements,  ainsi  que  la  connaissance  du 
début  de  dvin,  à  M.  Paul  Meyer.  Voy.  CaLilogiu  of  ihc  rruuiuscripts  at  Ashburn- 
ham  place,  part  the  second,  comprising  a  collection  formed  by  Mons.  J.  Barrois, 
n°  XXV. 


2<,2  F.    BONNARDOT 

Sire  cousin,  par  Dieu  qui  ne  menti 
Tout  vostre  [bon]  vos  sera  acompli. 

Sus  el  palais  s'estut  Girbers  li  ber. 

L'examen  comparatif  du  résumé  final  de  chaque  ms.  (voy.  ci-dessous) 
démontre  que  le  ms.  d'après  lequelles  feuillets  en  question  ont  été  refaits 
est  celui  d'Isenghien,  auj.  Arsenal  iS'o. 

C'est  de  ce  ms. ,  alors  à  d*Herbigny,  que  s'est  aidé  M .  Edward  Le  Glay 
pour  sa  publication  de  la  Chanson  de  la  mort  de  Bègues  de  Belin,  réduite  en 
prose'.  En  outre  le  Journal  des  savants  de  Normandie  (1844,  pp.  ^49" 
858}  contient  un  extrait  de  G/rl'm,  publié  par  M.  E.  Le  Glay,  et  qui  porte 
sur  les  aventures  des  fils  de  Garin  chez  le  roi  Anséis.  Le  Journal  ayant 
cessé  de  paraître^  la  publication  de  ce  morceau  a  été  forcément  inter- 
rompue. En  l'état  elle  compte  288  vers  qui  vont  dans  le  ms.  3  du 
f""  ni/'  au  f"  1 33c/,  et  dans  le  ms.  5  du  f°  161^  au  f°  164a.  La  langue 
est  conforme  à  celle  du  premier  de  ces  mss.  La  leçon  s'y  rattache  d'assez 
près  aussi  ;  néanmoins  la  rédaction  dite  «  lorraine  »  fournit  çà  et  là  des 
mots  et  même  des  vers  entiers  contre  3.  Quant  à  l'autre  famille  repré- 
sentée par  2,  le  passage  en  question  tombe  précisément  dans  un  endroit 
oh  ce  ms.  diffère  profondément  de  la  leçon  commune. 

De  tout  cela  ne  pourrait-on  conclure  que  le  ms.  de  Saint- Valéry,  qui 
présente  un  caractère  d'ancienneté  assez  prononcé,  a  été  copié  sur  un 
exemplaire  contenant  la  leçon  primitive  avant  sa  bifurcation  dans  les  deux 
rédactions  lorraine  et  française  ^ 

Comme  particularité  propre  au  passage  publié  de  ce  ms.,  je  remarque 

qu'il  est  seul  à  contenir  les  4  vers  soulignés  dans  l'extrait  suivant.  Il 

s'agit  d'une  tentative  de  séduction   de  Girbert  par  la  reine,  femme 

d'Anséis  : 

Li  dus  la  baise,  elle  l'a  embracié 


Elle  eust  bien  conquis  quan  qu'elle  quiert 
Et  de  Girbert  eue  l'amistié  : 
Jamais  li  dus  ne  s'en  feist  prier. 
Mal  de  la  biische  qui  ens  ou  fu  se  sic! 
Quant  on  la  soufle,  se  ele  n'esprenî  nient  ! 
Tôt  por  le  duc  vos  ai  ice  traitié 
Eschaufés  fu,  s'a  coraige  changiè. 
Quant  Biatris  au  gent  cors  afaitié, 
Sa  bêle  fille,  estoit  en  I  vergier. 


I.  P.  93-158  de  ses  Fragments  des  épopées  romanes  du  XII*  siècle.  Publiés 
d'abord  dans  les  Archives  historiques  du  nord  de  la  France,  les  extraits  de  Raoul 
de  Cambrai  et  de  Garin  ont  été  tirés  à  part  à  3  2  s  exemplaires,  papier  de  Hollande. 
Paris,  Techener,  1858. —  La  date  de  cette  publication  montre  cju'il  faut  corriger 
celle  de  1845  (Stengel,  p.  386  V)  en  1835.  C'est  d'ailleurs  la  date  indiquée  par 
Mone  dans  son  Anzeiger  IV  (1835)  341,  où  il  est  dit  quelques  mots  de  notre  ms. 


LES  MANUSCRITS  DES  Lolieruins  255 

Si  vit  le  duc  a  sa  mère  baisier. 

A  haute  voix  commença  a  huichier  : 


ip  et  20).  —  Cheltenham,  bibliothèque  de  sir  Thomas  Philipps.  D'où 
proviennent  ces  deux  mss.  ?  Représentent-ils  l'anc.  La  Vallière  2727 
et  celui  qu'a  possédé  Roquefort  ?  Les  premiers  vers  de  l'un  et  de  l'autre 
sont  cités  parmi  les  sources  oti  Roquefort  a  puisé  pour  son  Glossaire. 
J'ai  donné  en  sa  place  le  début  du  ms.  /5;  voici  d'après  Roquefort 
celui  du  ms.  La  Vallière  : 

Vieille  chanson  voyre  vueillez  oyr 

De  grant  ystoire  et  merveillous  pris, 

Sy  com  ly  Wambre  vindret  en  cest  pays. 


fin  :  Proies  por  iaus,  Dix  lor  face  mercis 

Dites  amen,  que  Damediex  l'otrit*. 

21  et  22.  Oxford  {Bodléienne ,  Rawlinson,  Poetry  i5o)  et  Turin 
{mss.  fr.  36)  ont  été  décrits  par  M.  Stengel  :  le  premier  dans  les  Roma- 
nische  Studien  p.  385-^90,  les  26  vers  du  début  de  ce  ms.  publiés  p, 
387-9  avec  les  variantes  des  autres  mss.  ;  — lesecond  dans  ses  Mitthei- 
lungen  aus  franzœzischen  Handschrijten  der  Turiner  UniversiWs-Bibliothek, 
p.  1 1  et  ss.  C'est  l'un  des  3  mss.  qui  contiennent  la  branche  de  Hervis. 
J'ai  indiqué  plus  haut  les  particularités  qui  distinguent  ce  ms.,  telles  que 
le  prologue  et  l'avant-propos  à  la  chanson.  Une  notice  succincte  de 
ce  ms.  avait  été  précédemment  donnée  par  M.  Auguste  Prost  ^. 


ÊNUMÉRATION   FINALE. 

Chaque  manuscrit  se  termine  par  l'énumération  des  personnages  qui 
ont  figuré  dans  ces  longues  et  sanglantes  luttes  3.  Ce  dénombrement 
varie  selon  le  texte  de  la  leçon  et  plus  encore  selon  le  rang  qu'occupe 
dans  l'ensemble  de  la  liste  la  branche  à  la  fin  de  laquelle  il  vient.  Prise  en 
soi,  la  récapitulation  des  héros  et  de  leurs  exploits  ne  peut  être  d'une 
grande  utilité  pour  la  distinction  des  familles.  J'avais  espéré  y  trouver 
un  élément  sérieux  de  classement,  mais  la  comparaison  démontre  qu'à 
part  le  début,  chaque  mss.  possède  sa  liste  propre  oij  les  noms  et  les 

1.  Glossaire  de  la  langue  romane,  II,  777.  Roquefort  donne  au  ms.  La  Val- 
lière le  n°  2728,  mais  c'est  une  erreur  manifeste  puisque  ce  dernier  ms.  existe 
à  la  Bibl.  nat.  =^  24,577  ^^  9"''  "^  contient  pas  Garin  (voy.  ci-dessus  10). 
L'Histoire  littéraire,  XVIII,  747  a  endossé  l'erreur  de  Roquefort. 

2.  Dans  la  Revue  de  l'Est,  Metz,  1864,  I,  1-9.  Voy.  aussi  du  même  les 
Légendes  de  Metz,  chapitre  sixième  :  Hervis. 

;.  Il  faut  naturellement  faire  exception  par  les  mss.  suivants  qui  sont  incom- 
plets de  la  fin  :  1461,  1  ^82,  2179,  19161 . 


2  54  ^-    BONNARDOT 

faits  sont  rangés  dans  un  ordre  particulier  qui  ne  se  reproduit  pas  ail- 
leurs. 

Le  seul  groupe  lorrain  fait  exception  :  i()i6o  et  1442  reproduisent 
les  mêmes  noms  dans  le  même  ordre.  Tous  les  autres  mss.  varient  comme 
je  l'ai  dit,  au  gré  de  la  leçon  et  de  leur  contenu. 

Il  m'a  paru  opportun  de  donner  ici  ces  résumés  énumératifs.  Outre 
l'intérêt  particulier  qui  s'y  attache,  leur  comparaison  avec  ceux  des 
mss.  que  je  n^ai  pu  étudier  pourra  peut-être  provoquer  des  rapproche- 
ments plus  intimes  entre  divers  mss.  issus  d'un  même  original,  les  uns  et 
les  autres  par  des  intermédiaires  plus  ou  moins  nombreux.  L'identité  de 
cette  récapitulation  entraîne ,  pour  les  mss.  qui  la  présentent ,  une 
origine  commune.  C'est  le  cas  du  groupe  lorrain  par  exemple.  —  Là 
oi;i,  le  fond  restant  le  même,  les  détails  et  l'ordre  varient,  il  faut  néces- 
sairement admettre  l'existence  d'un  ou  de  plusieurs  intermédiaires  per- 
dus. —  Tel  détail,  spécial  à  une  rédaction  dont  les  deux  ou  trois  pre- 
mières branches  seulement  nous  sont  parvenues,  se  retrouve  dans  un 
manuscrit  qui  ne  renferme,  lui,  qu'une  seule  branche,  étrangère  aux  pré- 
cédentes. Il  en  résulte  que  ce  dernier  manuscrit  remonte,  plus  ou  moins 
immédiatement,  à  un  original  qui  possédait  les  quatre  branches  dissémi- 
nées en  divers  ms.  C'est  ainsi  que  la  qualification  de  «  vilain  »  donnée 
au  duc  Hervis  ne  se  rencontre  que  dans  le  groupe  lorrain  après  Cirbert 
et  dans  243- y  après  Anseïs. 

On  remarque  encore  dans  ces  résumés  des  indications  d'une  autre 
nature,  notamment  celles  qui  tendent,  au  moyen  de  généalogies  plus  ou 
moins  authentiques,  à  relier  la  geste  des  Loherains  avec  les  autres  gestes 
de  France.  C'est  dans  le  ms.  1622  qu'on  verra  l'exemple  le  plus  frap- 
pant de  cette  préoccupation  de  relier  toutes  les  gestes  isolées  en  un 
vaste  cycle  national,  qui  renfermerait  d'une  seule  teneur  la  succession 
des  «  Annales  de  France  »  '.  Le  ms.  de  Turin  exagère  encore  cette  ten- 
dance cyclique  :  au  moyen  d'un  préambule  qui  sert  de  transition  entre 
la  chanson  des  Loherains  et  celle  de  Vespasien,  il  relie  la  geste  de  France 
à  celle  de  Rome  : 

Chi  commence  l'estore  des  Loherens  ensi  que  s.  Seurins  qui  fu  père  le  duc 
Piere  qui  fut  taions  au  Loherenc  Hervis  chachierent  les  Sarrasins  après  la  ven- 
ganche  Nostre  Signour. 

I  Oi  avés  de  Vespasianus 
Et  de  son  fil  le  bon  vasal  Titus. 


10  Or  vous  dirai  de  leur  frère  Seurin 
Toute  sa  vie  coument  il  se  contint. 

160  Espousa  famé  li  gentis  rois  Seurins. 


I.  Ces  mots  «  Annales  de  France  »  servent  de  titre  relié  au  ms.  4988. 


LES  MANUSCRITS  DES  Loheraifis  Éj  j 

Chedaire  ot  non  la  bêle  o  le  cler  vis, 
Et  de  Chedaire  ot  Seurins  .iii.  biaus  fis. 


192  Li  autres  fis  au  baron  s.  Seurin 
Il  eut  a  non  li  dus  Pieres  l'anti 
Qui  tint  Grandpré  et  Blanmont  et  Chini, 

195  Tout  le  Baroi  et  tout  le  Bassegni, 
Et  Loherainne  et  To  et  Nansi, 
Mies  fist  fonder  el  pendant  d'un  lairis 
Entre  .ii.  iaues  que'je  noumerai  chi 
Seille  et  Mouselle 


Une  pareille  préoccupation  porte  sa  date  et  sa  valeur  avec  elle  :  elle 
ne  peut  être  que  l'effet  de  la  prétention  d'un  copiste  à  faire  étalage  de  sa 
science,  et  elle  ne  peut  se  manifester  qu'après  la  période  héroïque  des 
chansons  de  geste,  alors  qu'elles  entraient  dans  leur  déclin  pour  tomber 
bientôt  dans  l'oubli  ou,  sort  plus  indigne  encore,  pour  fmir  à  n'être  plus 
regardées  que  comme  une  banale  matière  à  déclamation. 

Pour  mettre  un  ordre  au  moins  idéalement  chronologique  entre  les 
diverses  leçons  du  résumé  que  je  vais  produire,  je  les  classe  suivant  le 
rang  qu'occupe,  dans  la  geste  entière,  la  branche  particulière  que  ce 
résumé  termine.  C'est  du  reste  à  cette  dernière  branche  que  se  rapporte 
le  plus  grand  nombre  des  personnages  cités. 

1.  RÉDACTION  PRIMITIVE  s'arrêtant  AVEC  G'irbert. 

i)  Ms.  1442,  f°  261t. 

Si  faut  ristoire  dou  Loherant  Garin, 

Et  de  Begon  qui  au  bois  fut  ocis. 

Et  de  Rigaut  le  bon  vassal  hardi, 

Et  d'Ernaïs,  de  Jofroy  l'Angevin, 
S  Et  de  Huon  qui  fut  de  Cambrisis, 

Et  dou  bon  dus  qui  out  a  non  Aubri, 

Et  dou  villain  qui  out  a  non  Hervi, 

De  son  afant  Tyon  et  Morandin, 

De  l'allemant  qui  out  a  non  Ouri, 
10  Et  de  Douon  qu'a  Bordiax  fut  ocis. 

Et  de  Gautier  qui  out  non  Orphenins, 

Et  de  Gerin  le  bon  vassaul  hardi. 

Et  de  Rainmon  qu'ocirent  Sarrazin  : 

Gent  qui  aidoient  a  Girbt//  le  gentil  ; 
1 5  Et  de  Fromont  qui  ai  Deu  relanqui. 

Et  de  Guillaume  l'orguillous  de  Monclin, 

(Et)  de  Fromondin,  qui  as  bois  fut  ocis 

1 .  Extrait  des  Miitheilungen  aus  franzœsischen  Hatidschriften  der  Turiner  Univcr- 
sitats-Bibliotek,  de  M.  Edm.  Stengel,  p.  25  et  suiv.  Voy.  aussi  ibid  p.  12,15. 


256  F.    BONNARDOT 

Lai  ou  devoit  Nostre  Signour  cervir, 
Qui  vout  Girbert  le  Loherant  murdrir. 
20  Aies  vous  en,  ii  roumans  est  finis. 

Explicit  ii  roumans  dou  Louherant  Garm. 

2)  Ms  iQi6(),  f°  '^i\c)  b.  Même  leçon,  si  ce  n'est  qu'au  vers  10  il  rem- 
place la  bonne  leçon  «  ocis  »  par  «  norris  »,  et  au  v.  \^  t<  gent  (qui 
aidoient)  »  par  «  sous  q.  a.  »  Après  le  v.  20  il  ajoute  les  deux  suivants  : 

Des  Lofierans  ne  poeis  plus  oir, 
S'on  ne  le  vuet  controveir  et  mentir. 

De  décider  si  dans  ces  deux  vers  on  ne  doit  voir  qu'une  formule  finale 
toute  faite,  un  «  cliché  »  à  l'usage  de  toutes  les  chansons,  mutandis  mu- 
tatis ,  ou  si  au  contraire  c'est  une  indication  précise  et  sérieuse  par 
laquelle  le  copiste  a  voulu  mettre  ses  lecteurs  en  garde  contre  les  pro- 
duits de  l'industrie  des  renouveleurs,  et  les  avertir  que  l'œuvre  originale, 
telle  qu'elle  est  sortie  du  cerveau  de  son  auteur,  se  termine  avec  la  mort 
de  Fromondin  et  la  chanson  de  Girbert  :  c'est  ce  que  je  laisse  à  de  plus 
habiles  que  moi.  Toutefois  j'incline  vers  la  seconde  explication  ;  l'éten- 
due déjà  considérable  des  deux  chansons  de  Garin  et  de  Girbert,  et  sur- 
tout le  nombre  si  restreint  des  mss.  qui  possèdent  les  autres  branches, 
sont  de  puissants  motifs  de  croire  que  l'œuvre  originale  s'arrête  à  la 
vengeance  tirée  par  le  fils  de  Garin  sur  le  meurtrier  de  son  père.  Les 
branches  d'Anseïs,  à'Yon  sont  des  ramifications  postérieures  au  même 
titre  que  celle  de  Hervis,  l'une  ayant  été  mise  en  chef  et  les  autres  en 
queue  du  poème  primitif. 

Dans  tous  les  autres  mss.  où  l'énumération  termine  le  poème  de  Gir- 
bert, elle  est  considérablement  diminuée  et  restreinte  aux  seuls  noms  des 
chefs  de  l'une  et  l'autre  geste  : 

3).  Ms.  1443,  f°  \ç)\d. 

Si  faut  l'estoire  del  Loherant  Garin, 
Et  de  Fromont  qui  et  Dieu  relanqui. 
Et  de  Guillaume  l'orguellex  de  Monclin, 
Del  conte  Hernaut,  et  del  vasal  Gerin, 
5  Et  del  vasal  qui  et  non  Malvoisin, 
Del  filz  Fromont  l'orguellex  Fromondm, 
Et  de  Girbert  le  roi  poesteif 
Qui  tante  terre  0  s'espee  conquist. 
Cil  deffaut  l'estoire  des  Lohorans.  Explicit. 

4).  Ms.  Arsenal  iSo,  f°  291c.  Il  s'est  inspiré  de  la  même  leçon  dans 
sa  disposition  générale.  Cependant  comme  il  y  a  d'une  part  deux  vers 
en  moins  et  d'autre  part  deux  vers  en  plus,  j'en  donne  ici  le  texte  : 

Ci  faut  l'estoire  du  Loherenc  Garin 
Et  de  Fromont  qui  Dieu  ot  relenqui, 
Et  de  Guillaume  l'orguillox  de  Monclin, 


LES  MANUSCRITS  DES  Lohera'ins  257 

Du  fil  Fromont  l'orguillox  Fromondin  : 
5  Par  son  outrage  avoit  esté  ocis. 
Du  roi  Gerbert  noz  ferons  fin  ici 
Qui  tantes  terres  0  l'espee  conquist. 
N'en  i  a  plus  si  com  l'estoire  le  dist. 
Explicit  des  Loherenz. 

5)  Ashburnham-place  25,  f"  226d;  identique  à  la  précédente  énuméra- 
tion  (cf.  plus  haut  p.  252).  C'est  de  ce  ms.  que  Mone  a  donné  l'analyse 
succincte  avec  quelques  extraits  dans  IMnze/ggr...  i8j^,  341. 

6)  Montpellier p  259  b,  est  encore  plus  écourté  : 

Ci  faut  l'estoire  au  Loherant  Garin, 
Et  de  Fromont  qui  ot  Deu  relenqui,. 
Et  de  son  fil  l'orguillox  Fromondin, 
Et  de  Girbert  le  roi  poëstei 
Qui  Tarascone  a  l'espee  conquist. 
Explicit  la  mort  de  Fromondin. 

II.  —   RÉDACTION    AMPLIFIÉE    COMPRENANT    Anseïs. 

i)  Ms.  4qiS8,  f°  291^.  —  Le  premier  vers  est  de  douze  pieds. 

Ychi  fine  l'estoire  del  Loherenc  Garin, 
Et  de  Beghon  ki  ou  bos  fu  ochis 
Desous  le  tramble  la  u  li  pors  fu  pris, 
Et  de  Gerbert,  de  son  fil  Anseys, 
Et  de  Fromon  et  de  chiaus  de  son  lin. 
Si  ke  bien  aient  tout  chil  ki  l'ont  oy 
Et  ki  premiers  le  raconta  et  dist. 
Si  prions  tout  Jhesu  de  Paradis 
Qu'il  nous  amaint  trestous  a  boine  fin. 
Amen.  Explicit. 

2)  Ms.  Arsenal  181,  fo  iSyf.  —  U  reproduit  fidèlement  le  type  ci- 
dessus,  qu'il  fait  précéder,  ainsi  que  deux  autres  mss.  (7  et  /o;,  de 
rénumération  de  la  lignée  issue  du  mariage  du  roi  Pépin  avec  Berthe  au 

grand  pied. 

Ci  faut  l'estoire  du  Loherant  Garin, 
Et  de  Begon  qui  ou  bos  fut  ocis 
Desous  le  tremble  ou  li  pors  fut  repris. 
Et  de  Gibert,  de  son  filz  Anseys, 
Et  de  Fromont  et  de  ceux  de  son  lin. 
Beneoit  soient  tuit  cil  qui  l'ont  oi, 
Et  qui  les  vers  (n)en  ont  conté  et  dit, 
Et  trestous  ceuls  qui  le  livre  ont  escrit; 
Et  si  prions  Jhesu  de  Paradis 
Qui  nous  laist  toz  a  bonne  fin  venir. 
Amen. 
Explixit  li  romans  des  Loherans. 

Romania,IU  '7 


258  F.  BONNARDOT 

?)  Ms.  243"" ^  f"  174c.  Ce  ms.  ne  contient  que  la  branche  d'Anseïs. 
Néanmoins  l'énumération  finale  dénombre  les  héros  des  branches  de 
Garin,  de  Girbert  et  même  de  Hervis.  On  retrouve  ici  un  écho  de  la  tradi- 
tion vivante  dans  les  mss.  qui  nous  ont  conservé  cette  dernière  branche. 
En  outre,  à  l'opposé  des  deux  mss.  précédents  qui  se  bornent  à  citer  les 
chefs  de  chaque  geste,  notre  ms.  24577  énumère  longuement  tous  les 
personnages  qui  figurent  dans  Anseïs.  Cette  double  particularité  lui  assi- 
gne une  place  à  part.  Pour  expliquer  cette  mention  de  Hervis,  ne  pour- 
rait-on pas  admettre  que  notre  ms.  représente  la  dernière  partie  d'un 
original  qui  déroulait  successivement  l'un  après  l'autre  les  quatre  chan- 
sons dont  l'ensemble  constitue  la  Geste  des  Loherains  ?(Voy.  à  A',  p.  236.) 

Du  reste  voici  cet  exposé  final,  dans  lequel  les  noms  sont  jetés  confu- 
sément et  comme  au  hasard  de  la  mémoire  : 

Ci  faut  l'estoire  dou  Loherenc  Garin^ 
Et  de  Begon  le  chevalier  hardi, 
De  Moriane  l'empereor  Tieri, 
Et  de  Huon  celui  de  Cambresis, 
Et  de  Gérant,  del  alemant  Ouri, 
Et  dou  vilain  qui  et  a  non  Hervis, 
Et  de  son  fill  le  vaillant  Rigaudin, 
Et  de  Thion,  et  dou  preu  Morandin, 
Et  de  Gerbert,  d'Ernaut  et  de  Gerin, 
Et  d'Anseis  fil  Gerbert  le  marcis 
Et  de  Borgoigne  le  bon  duc  Amauri, 
Et  de  Fromont  qui  tant  fu  poestis. 
Et  dou  FJamenc  le  comte  Bauduin, 
De  l'orgellous  Guillaume  de  Monclin, 
L'autre  Guillaume  celui  as  Poitevins, 
Le  tierc  Guillaume  de  Blanceflor  la  cit, 
Et  de  Bordele  duc  Aimmon  le  hardi, 
Et  de  Bernant  le  segnor  de  Naisil. 
Et  de  Leskieres  et  Boucart  et  Baudri, 
Et  de  Boloigne  dant  Ysoré  le  Gris 
Qui  pères  [futl  Berengiers  le  marcis. 
Et  de  Beraut,  de  Fouquier  le  petit. 
Et  del  preu  Bauce  dont  bien  avés  oit 
Comment  il  fu  en  la  forest  mordris. 
Proies  por  iaus  Dex  lor  face  mercis. 
Dites  amen,  que  Damedex  l'otrit. 

IIL  Autre  rédaction  comprenant  la  branche  de  Yon. 

Ms.  1622,  p  31$^.  Ce  ms.  est  le  seul  qui  possède  la  branche  de 
Yon.  Sa  récapitulation  finale  est  très-curieuse  :  elle  montre  comme  étant 
accompli  le  travail  systématique  d'agencement  et  de  cohésion,  grâce 


LES  MANUSCRITS  DES  Loherains  259 

auquel  toutes  les  gestes  particulières  se  sont  fondues  dans  un  cycle 
unique'.  Rien  de  plus  naturel  à  l'esprit  humain  que  de  rechercher  la 
raison  secrète  des  choses,  l'enchaînement  des  faits  qui  l'ont  frappé  da- 
vantage à  diverses  époques.  A  défaut  de  souvenirs  précis,  de  témoignages 
historiquement  assurés,  la  légende  intervient  pour  renouer  la  succession 
interrompue  et  rattacher  l'un  à  l'autre  les  anneaux  épars.  Un  événement 
considérable  qui  sera  resté  gravé  dans  la  mémoire  d'un  peuple,  et  qui  aura 
donné  naissance  à  une  œuvre  poétique,  ne  tarde  pas  à  être  regardé 
comme  le  noyau  central  autour  duquel  doivent  graviter  toutes  les  pro- 
ductions postérieures  dans  une  orbite  plus  ou  moins  rapprochée.  Ce  travail 
de  gravitation,  de  synthèse,  s'accomplira  d'autant  plus  vite  que  l'événe- 
ment et  le  poème  se  rapprochent  davantage  de  la  période  juvénile  et 
impressionnable  de  ce  peuple.  Posî  hoc,  ergo  propter  hoc.  L'importance 
du  sujet  grossit  par  l'éloignement.  L'une  et  l'autre  condition  se  rencon- 
trent dans  notre  Geste  :  elle  est  la  première  en  date  pour  le  fonds  même 
de  son  sujet  dont  l'intérêt  éminemment  et  étroitement  national  ne  saurait 
être  contesté.  Le  poème  raconte  la  lutte  pour  la  suprématie  et  même 
pour  l'existence  de  l'une  des  deux  races  ennemies  qui  se  partagent  le 
sol  de  la  patrie:  est-il  un  cadre  plus  approprié  pour  embrasser  tout 
ce  travail  de  synthèse,  de  condensation,  reliant  par  des  transitions  telles 
quelles  (mais  qui  ne  sont  pas  en  cause  ici)  les  dates,  les  faits,  les  lieux, 
les  noms  les  plus  importants  du  passé  national,  pour  en  faire  un  édi- 
fice imposant  et  complet  de  tous  sens,  sans  solution  de  continuité  ni 
lacunes  ?  C'est  ce  qu'a  senti  l'auteur  de  la  branche  dont  il  nous  reste  à 
donner  le  résumé  final  en  laissant  à  de  plus  habiles  que  nous  le  soin  d'y 
reconnaître  la  part  de  la  vérité  historique  et  celle  de  l'invention  poé- 
tique. 

Signor  baron,  antandez  a  mes  diz. 

Grant  pièce  après  ot  Gmns  .iiii.  fiz  : 

Li  ainsnez  fut  Hernaut,  ce  m'est  avis, 

Et  tint  Biaulende  et  trestot  le  pais; 

De  cestui  fut  li  frans  quens  Aymeris 

Qui  tant  ot  guerre  contre  les  Arrabis. 

Rayniers  li  prous  ot  nom  li  secons  fis. 

Père  Ollivier  et  Aude,  ce  m'est  vis, 

Fuit,  et  tint  Jennes,  por  voir  vos  le  plevis. 

Milles  de  Puille  ot  non  li  tiers  des  fis. 

Girars  fut  quars,  ce  fut  li  plus  petis. 

Cil  tint  Vianne,  prodons  fut  et  gentis. 

De  ces  gens  fut  li  lignaiges  anplis 

Qui  durerat  jusqu'au  jor  du  )uis. 

Mais  ja  par  moi  n'en  iert  mos  avant  dis. 

I .  J'en  ai  signalé  une  trace  dans  le  ms.  24577,  ci-dessus  10. 


200  F.    BONNARDOT 

Après  Hernaul,  lo  conte  palazin, 
Gerin  vesquit,  ce  truis  en  perchamin, 
Tant  qu'en  Kspaigne  ala  li  filz  Pcpin  ; 
En  Ronceval  o  Rollant  le  meschin 
Fut  li  frans  rois  ocis  d'un  sarrazin. 
Ci  faut  l'estoire  dou  Loherant  Garin 
Et  del  quens  Bègues  li  signor  de  Belin, 
Del  conte  Hernaut  et  del  prout  Mauvoisin, 
Et  del  lignage  qui  tant  fut  antierin  ; 
Del  vielz  Fromont,  de  son  fil  Fromondm, 
Et  de  GuWlaume  l'orguillox  de  Monclin, 
Del  quens  Doon,  del  Flament  Baudoin, 
D'Udon  son  fil,  del  fellon  Lancelin, 
Et  del  lignage  qui  tant  fut  de  put  lin. 
Explicit. 

RÉPARTITION    DES    DIVERSES    BRANCHES    DE    LA   GESTE    DANS   CHAQUE 

MANUSCRIT  '. 

Hervis. 
Ms.   1 9160  ;  du  f"  I  au  fol.  89  inclus.,  4  col.  au  f",  50  vers  à  la  col.  — 
10560  vers. 
181  ;  f°  1-44^,  6  col.  au  f°,  5 1  vers  à  la  col.  —  1 3160  vers. 

Garin. 
Ms.   1442  ;  fol.  1-147^,  4  col.  30  V.  —  17640  vers. 

—  1443  ;  fol.  i-i  iib,  4  col.  40  V.  —  17680  vers. 

—  i46i;fol.  1-112,4  col.  ^0  V. —  1 3 440 vers  ;  incomplet. 

—  1582;  fol.  i-i  16^,  4  col.  40  V. —  18440  vers. 

—  1622;  fol.  1-147^,400!.  30  V. —  17640  vers. 

—  2179;  fol.  1-7 3a,  4  col.  28  V.  —  8090  vers,  la  dernière  partie  seu- 

lement. 

—  4988;  fol.  1-94C  ;  4  col.,  47  V.  —  17600  vers. 

—  191 60;  fol.  89-235^,  4  col.  30  V.  —  17640  vers. 

—  19161,  fol.   1-142,  4  col.    30  V.  —   17040  vers;  incomplet  du 

commencement  et  de  la  fin. 

—  180;  fol.  i-i  59^,  4  col.  30  V.  —  19000  vers. 

—  181  ;  fol.  44^-97/,  6  col.  51  V.  —  161  $0  vers. 

—  Dijon  ;  fol.  1 3-76^,  4  col.  $  3  v.  —  1 3 100  vers  ;  lacunes. 

—  Montpellier;  fol.  1-146,  4  col.  30  v.  —  17500  vers. 

Girberî. 
Ms.   1442;  fol.  147^-261^,  4  col.  30  V.  —   13680  vers. 


1 .  Pour  le  nombre  et  la  portée  des  lacunes,  cf.  l'article  descriptif  de  chaque 
ms. 


LES  MANUSCRITS  DES  Loherains  261 

—  1445;  fol.  1 1 1^  (pour  les  5  premiers  vers)  -191^,  4  col.,  40  vers 

—  12880  vers. 

—  1461  ;  fol.  1 17-229,  4  col.  30  V.  —  1 3  $00  vers  ;  incomplet, 

—  1582;  fol.  ii6a-i-jç)a,  4  col.  40  v.  —  1 0240  vers,  incomplet  de  la 

fin. 

—  1622  ;  fol.  i4'jd'2<^c)h,  4  col.  30  V.  —  13400  vers. 

—  2179;  fol.  73^-122^,  4  col.    28  V.  —   5800  vers;  écourté  et 

incomplet. 

—  4988;  fol.  94c- 16 5^;  4  col.  47  V.  —  12900  vers;  incomplet  de  la 

fin. 

—  19160;  fol.  235^-349/7,  4  col.  30  V.  —  13680  vers. 

—  180;  fol.  1 59^-261.^,  4  col.  30  V.  —  12300  vers. 

—  181  ;  fol.  97/- 1 39^,  6  col.  5 1  V.  —  12070  vers. 

—  Dijon  ;  fol.  j6b-i  26,  4  col.  $  3  v.  —  moins  de  1 0000  vers  ;  lacunes. 

—  Montpellier;  fol.  147^-259^,  4  col.  30  v. —  13600  vers. 

Anseïs. 
Ms.  4988;  fol.  164^-291^,  4  col.  47  V.  —  24060  vers. 

—  24377  ;  fol.  i-i74c,4col.  36  V.  —  24980  vers. 

—  181  ;  fol.  1 39^-i88a,  6  col.  5 1  v.  —  14850  vers. 

Yon. 
Ms.   1622;  fol.  259^-31 5 î»,  4  col.  30  V. — 67 10  vers. 

D'après  ce  qui  précède,  et  en  escomptant  le  résultat  fourni  par 
l'appareil  des  variantes  comparées  dans  le  fragment  qui  sera  publié  dans 
un  prochain  numéro,  il  est  possible  de  dresser  le  tableau  des  mss.  par 
familles.  On  doit  reconnaître  deux  familles,  subdivisées  elles-mêmes  cha- 
cune en  deux  groupes.  Les  fragments  sont  rattachés  à  tel  groupe  qu'il 
convient;  je  les  désigne  par  leur  initiale  en  minuscule. 


FAMILLE 


Groupe  1 . 


1461  == 

1582  = 
1622  (f°'  i77etss.)  =  C 

4978  = 
19161  = 
Montpellier  -^ 
Carpentras  == 
Châlons  = 
Couventd'Autriche 
Paris  (Léon  Gautier)  =  g 
Paris  (1461)  =  p 

Thoré  =  th 


Groupe  2. 

(Rédact.  lorraine.) 
1442    -=  G 

i622(f'"i-i76)-=H 
19160  —  I 

2 179  (écourté)  =-- J 

24377  (/l/!5t/i)=K 

Hanovre  =  /; 

Troyes  =  t 


FAMILLE  II. 


Groupe  1 , 


'443  ■-  L 

i8o(Arsen.)-0 


Groupe  2. 

Dijon     =  D 

181  (Arsenal) -^N 


202  F.    BONNARDOT 

Cette  division  générale  porte  sur  l'ensemble  de  la  leçon  dans  chaque 
ms.,  ce  qui  n'exclut  pas  la  concordance  fortuite  de  tel  membre  de  la 
première  famille  avec  tel  membre  de  la  seconde,  et  réciproquement,  à 
l'exclusion  des  autres  mss.  de  son  propre  groupe.  C'est  par  exemple  le 
cas  de  E  et  J,  qui  se  rencontrent  parfois  avec  L  soit  pour  l'esprit  de  la 
leçon  contre  les  autres  mss.,  soit  même  pour  l'absence  de  certains  vers 
retenus  par  les  mss.  de  leur  groupe  respectif.  J'ai  déjà  dit  que  M  se 
rencontre  avec  0  pour  le  début  et  l'énumération  fmale,  mais  qu'il  s'en 
écarte  là  où  ce  dernier  mss.  remanie  et  amplifie  la  leçon  originale.  En 
un  mot  le  tableau  est  dressé  :  quant  aux  familles,  suivant  les  différences 
spécifiques  dans  l'esprit  et  le  texte  de  la  chanson  primitive;  quant  aux 
groupes,  suivant  les  variantes  intérieures  d'une  même  leçon  identique 
ou  sensiblement  commune.  A  qui  serait  désireux  d'entrer  dans  le  détail, 
il  serait  loisible  de  constituer  des  sous-groupes  tels  que  A  C  M  t\  B  F 
d'une  part,  de  l'autre  G  I,  qui  se  rapprochent  plus  l'un  de  l'autre  que  du 
reste  de  leur  parenté.  D'un  autre  côté  L"l'emporte  sur  0  et  D  sur  N. 

Restent  encore  les  mss.  qui  contiennent  la  branche  à'Anseïs,  soit 
complète  E  K  N,  soit  restreinte  à  son  premier  épisode  (mort  de  Girbert)  C. 
On  a  vu  qu'aucun  de  ces  mss.  ne  concorde  avec  l'autre  pour  la  première 
partie  de  la  chanson,  laquelle  est  beaucoup  plus  développée  dans  C  que 
dans  E  K  N.  J'ai  dû  les  ranger  dans  le  groupe  auquel  ils  appartiennent 
par  ailleurs;  l'attribution  de  K  (lequel  ne  contient  que  cette  seule 
branche)  au  groupe  lorrain,  est  fondée  sur  la  dénomination  de  «  villain  » 
donnée  à  Hervis,  quahfication  exclusivement  propre  aux  mss.  de  ce 
groupe. 

Pour  les  mss.  étrangers  ou  dont  on  ne  connaît  que  quelques  vers,  je 
ne  puis  mieux  faire  que  d'accepter  l'attribution  proposée  par  M.  Stengel 
(p.  389)  qui  groupe  ensemble  Arsenal  iSo  (ou  1448^  et  Berne,  Roque- 
fort et  1443,  Bruxelles  et  4g88,  Turin  et  Arsenal  iSi  (et  Dijon). 

François  Bonnardot. 


ROMANCES   SACROS 

ORAÇÔES  E   ENSALMOS   POPULARES  DO  MINHO. 


A  provincia  do  Minho  nào  è  tâo  pobre  de  cantos  populares,  como  se 
poderia  suppôr  pelo  Cancioneiro  e  romanceiro  gérai  portuguez  ;  mas  a 
gente  do  povo,  mais  desconfiada  aqui  que  a  da  Beira  e  d'outras  provincias, 
mais  difficilmente  dicta  ao  collector  curioso  que  a  interroga  os  cantos  e 
tradiçôes  conservados  na  sua  memoria.  De  duas  mulheres  d'Ourilhe 
(concelho  de  Celorico  de  Basto),  Anna  Alves  Leite  e  uma  sua  sobrinha, 
consegui  eu,  depois  de  termos  certa  familiaridade,  que  me  dictassem  um 
bom  numéro  de  cantos  e  todos  os  romances,  oraçôes  e  ensalmos  'excep- 
to  os  quelevam  indicaçâo  d'outra  fonte)  que  agora  publico,  alem  de  ver- 
sées de  doze  dos  romances  publicados  por  Theophilo  Braga.  No  Minho, 
como  nas  outras  provincias,  assiste-se  ao  phenomeno  triste,  mas  curioso, 
da  dissoluçào  de  antigos  romances  em  narrativas  em  prosa.  Alguns  dos 
episodios  dos  romances  de  Clara-Unda,  do  Conde  d^Allemanha,  da  Silvana 
[Conde  Alberto)  ouvi  eu  da  bocca  de  Anna  em  prosa  ampliativa,  em  quanto 
G  resto  era  em  verso.  Na  minha  colleçâo  de  contos  populares  portu- 
guezes,  que  em  brève  verâoa  luz  publica,  incluo  um  intitulado  D.  Ale- 
xandra  e  uma  Loenda  de  Santo  Aleixo,  ambos  do  Minho,  que  representam 
muito  evidentemente  antigos  romances. 


ROMANCES  SACROS 

i .    0  Nascimento  do  Senhor 

Valha-me  nossa  Senhora  Eram  da  virgem  sagrada  ; 

Valha-me  o  seu  redemptor.  Os  pannos  que  alimpavam 

<(  Que  pariu  nossa  Senhora  ?  Eram  da  fma  hollanda. 

—  Bento  filho  sem  dolor.  Pois  o  sol  esprandeceste, 

—  0'  filho  para  que  nasceste  Estrellas  e  lua  cercaste, 
Se  havias  de  padecer  !  »  Là  no  dia  da  ascensâo 
Os  peites  que  leite  davam  Para  o  ceo  assubirâo  ; 


264 

Lc1  verao  os  santos  padres 
Que  de  hoiro  (?)  sangue  sào. 
Por  aquelle  verde  pendào 
Vae  una  cordeiro  sagrado  ; 
Sua  lanceta  que  leva 
Vae  no  seu  santo  costado. 
Sangue  que  d'elle  cai'a 
No  seu  santo  calix  ia  : 
Quem  este  sangue  beber 
Victorioso  se  acharia. 

Quem  esta  oraçâo  disser 
Dm  anno  e  um  dia 
Poderâ  ter  a  certeza 


A.    COELHO 

Que  nossa  Senhora  ihe  apparecerâ 

Très  dias  antes  de  sua  partida 

E  Ihe  dird  :  filho  ou  filha  confessa-te, 

Que  eu  sou  a  virgem  sagrada 

Que  te  venho  buscar; 

Os  peccados  que  tu  tens 

Eu  t'os  venho  alembrar. 

Vou  pedir  a  meu  filho 

Que  te  haja  de  salvar  ; 

Que  elle  \à  te  assente 

No  seu  livro  de  rezar, 

Onde  tua  aima  nâo  pesé 

Nem  va  ter  a  mâo  logar. 


Sua  santa  humanidade 
Que  correu  toda  a  cidade 
Co  grande  peso  da  cruz. 
As  pedras  acalentavam 
E  os  caminhos  davam  luz. 
0  filho  de  Deus  morria 
Morria  por  nos  salvar. 
Se  0  nâo  podeis  crer 
Assubi  â  quelle  oiteiro  ; 
Vereis  as  ruas  regadas 
Do  seu  sangue  verdadeiro. 
0'  mysterio  tâo  profundo 
Que  alumeia  a  todo  0  mundo  ! 
Jâ  là  vae  a  Magdalena 
Jâ  là  vae  a  enterrar  ; 


Sâo  José  e  mais  Maria 

Sào  Juaquim  e  Sant'Anna, 

0  nosso  mestre,  Senhora, 

Começou  a  quarantena. 

Subindo  a  cruz  ao  alto 

De  golpe  vos  deixaram  cair 

Nem  em  lençoes  vos  embrulharam  ! 

Postes  descido  da  cruz 

Posto  em  braços  de  Maria. 

«  Que  gritos  vâo  no  Calvario  ! 


A  subida  do  Calvario. 

.     .     .      Enterra-me  a  mim  com  eila 
.     .     Que  ambas  morremos  d'um  mal. 
<(  Ora  escuita,  Maria,  escuita; 
Sâo  José  esta  no  lado 
E  Jésus  esta  na  cruz 
Ouvindo  com  tanta  dor. 
0'  meu  Deus,  ô  meu  Jésus, 
Que  as  costas  levaes  abertas 
Do  madeiro  tâo  pesado 
Qiae  nem  sete  0  levavam. 

—  Ajudae-me  aqui,  Simâo. 

—  Eu  ajudarei,  Senhor, 
De  todo  0  meu  coracâo  ; 
Mas  haveil-a  de  levar 
Quinta  feira  d'endoenças 
Para  se  todo  0  mundo  salvar.  » 

Amen. 

A  ressureiçâo. 

—  Magdalena,  que  séria  .'' 
E'  Jésus  crucificado 
Sâo  ais  da  virgem  Maria.  » 
Magdalena  nâo  dormia 
E  mal-as  suas  amigas. 
0'  que  bella  madrugada 
Tiveram  as  très  Marias  ! 
Foram  juntas  ao  sepulchro, 
Mas  jâ  era  sol  nascido. 
Viraram-se  para  0  sepulchro 


5- 


Todas  cheias  de  terror  ; 
Viraram-se  para  trâs 
Todas  cheias  de  resplendor. 
Veiu  um  anjo  e  Ihe  disse  : 
<f  Vos,  mulheres,  nâo  temaes, 
Que  eu  vos  darei  boas  novas 

A.  Romance  daalma. 


ROMANCES    SACROS 

D'esse  homen  que  buscaes. 


265 


Esse  homen  é  Jésus, 
E'  Jésus  crucificado. 
Vedes  ahi  0  sepulchro, 
Mas  jâ  é  ressuscitado.  « 


Aima  vae  a  Santiago, 

Vae  comprir  a  romaria  ; 

A  companhia  que  levava 

Era  a  virgem  Maria. 

0  peccado  ia  atrâs 

A  ver  se  a  tentaria. 

«  Vae-te  d'ahi,  6  demonio, 

Deixa-me  a  aima  que  é  minha. 

Que  me  deram  de  alviçaras 

Por  um  filho  que  eu  tinha.  » 

Chegou  mais  adeante, 
Caiu  a  um  poço  sem  fundo 
D'onde  sair  nâo  podia, 
Todos  osgritos  que  dava 
Todos  0  Senhor  ouvia. 
Do  palacio  d'onde  estava 
De  \é.  Ihe  respondia  : 


«  Se  es  cousa  minha  ajudar-te-hei, 
Se  es  cousa  ma  esconjurar-te-hei. 

—  Senhor,  eu  cousa  ruim  nâo  sou  : 
Sou  uma  aima  peccadora 

Que  d'esse  sangue  se  gerou. 

— •  Apega-te  aos  rosarios  que  rezaste , 

Aos  jejuns  que  jejuaste. 

—  Eu  jejuar  nâo  podia  ; 
Apego-me  aos  rosarios 
Que  rezava  cada  dia.  « 

Estava  outra  aima  da  banda 
Que  Ihe  disse  :  «  Eu  m'apejo 
A  sete  quarentenas  que  jejuei  ; 
Uma  por  si  offerecerei  ; 
Encostado  â  columna 
Uma  vêla  t'accenderei.  » 


II 


ORAÇOES 

^    Ave  Maria. 


Ave  Maria,  ave  sem  fatsa, 
Ave  que  subiu  tâo  alta, 
E  que  fez  0  assento 
Là  ao  pé  da  bella  cruz 
Para  dar  ao  mundo  luz. 
Ella  para  nos  dar  0  gosto 
Nos  livrou  de  tanto  perigo. 
0  gosto  que  eu  queria, 
Benedita  Maria 
Era  ir  morar  ao  céo, 
Onde  v6s,  Senhora,  moraes, 
Que  todos  alumeaes, 
Lci  no  ceo  e  cd  na  terra, 
Até  os  que  andam  na  guerra. 
Bem  se  vos  pode  chamar 


Madré  de  Deus,  com  razâo  : 
De  vosso  ventre  saiu 
Um  cordeiro  innocente, 
Para  remedio  da  gente. 
Deus  vos  salve,  clara  luz. 
Solde  commigo,  Jésus. 
Esta  aima  que  m'a  deste, 
Nâo  na  deixeis  morrer  triste  ; 
Vos  nas  terra  m'a  creastes 
E  no  ceo  m'a  apresentastes. 

Quem  esta  oraçâo  disser 
Todos  os  dias  da  santa  quarentena 
Tirard  quatro  aimas  de  culpa  e  pena. 
A  primeira  serd  sua, 


266 

A  segunda  de  seu  pae. 
A  terceira  de  sua  mâe, 
Aquarta  do  maior  amigo 
Ou  amiga  que  tiver; 


COELHO 

Quem  a  ouve  nao  a  aprende, 
Quem  a  sabe  nâo  a  à'u. 
No  dia  de  juizo 


Verds  o  que  ella  prétende. 
6.  Oraçào  do  peregrino  '. 
Oraçào  do  pelingrino  (sic)  :  Para  que  o  diabo  me  nào  osqueça, 


Quando  Deus  era  menino, 
Sete  livrinhos  a  1er, 
Sete  candieiro  a  arder. 
0  Senhor  é  meu  padrinho, 
A  Senhora  é  minha  madrinha. 
Para  que  me  poz  a  cruz  na  testa  ? 


Nem  de  noite,  nem  de  dia, 
Nem  ao  pino  do  meio  dia. 
Ganta  o  gallo,  abre  a  luz  ; 
Là  vem  o  anjo  da  cruz  ; 
Minha  aima  v&  com  elle 
Para  sempre.  Amen,  Jésus. 


«  0'  padre  nosso  saboroso, 
0'  triste  desconsoloso, 
O'  meu  Deus,  6  meu  Senhor, 
Nâo  vos  lembreis  que  eu  errei. 
Que  eu  confesso  que  pequei, 
Bendito  rei  da  verdade. 
—  Levanta-te,  peccador, 


Salve  rainha 
Rosa  divina, 
Cravo  d'amor, 
Mâe  do  Senhor. 


Padre  nosso. 

Chega-te  ao  confessor. 

Olha  bem  christâo  que  es  terno, 

Olha  bem  que  has  de  morrer; 

Nâo  caias  na  atentacâo, 

Como  a  calma  na  geada. 

Que  te  andam  atentando 

Os  très  inimigos  de  aima.  » 

8  Salve  rainha  - 

Dae-me  memoria 
E  entendimento 
Para  receber 


0  santissimo  sacramento. 
9.  Oraçào  a  Christo. 
«  O'meu  Senhor,  Jésus  Christo,         0  meu  cabello  banhado  em  sangue 


Para  onde  caminhaes  ? 
—  Caminho  para  Jérusalem. 
Nâo  sei  0  que  là  me  quer, 
Nem  0  que  me  quererâo. 
Uma  coroa  de  espinhos 
Na  minha  cabeça  porâo. 
Outra  de  junços  marinhos. 


Por  elle  me  arrastarâo. 
Quem  esta  oraçào  disser 
Très  vezes  na  procissâo, 
Tirarâ  duzentas  aimas 
Do  purgatorio 
E  alcancarâ  trezentos 
Mil  annos  de  perdâo. 


10.  Oraçào  à  Virgem  Maria. 

0'  Maria  suavissima,  0'  Maria  suavissima, 

Livrae-me  de  todo  0  mal,  0'  estrella  resplandecente 

Assim  como  forte  livre  Permitti  que  nâo  me  engane 

Do  peccado  original.  Aquella  infernal  serpente. 

1.  Cfr.  Cancloneiro  popular  p.  172. 

2.  Cancloneiro  popular,  publ.  por  Théophile  Braga,  p.  171. 


ROMANCES   SACROS  267 

0'  Maria  suavissima ,  0'  Maria  suavissima, 

Virgem  pura  e  màe  amavel,  Tende  cuidado  em  mim. 

Fazei  que  todos  sejamos  Eu  me  lanço  em  vossos  braços 

Do  vosso  filho  agradavel.  Para  nunca  ter  mâo  fim. 

1 1 .  Exhortaçâo  ao  peccador. 


Converte-te,  peccador, 
Que  se  acaba  à  tua  vida  ; 
Se  te  agora  nâo  convertes 
Nunca  mais  seras  ouvido. 
Peccador  adormecido, 

Chagas  do  Sen.hor, 
D'aquellas  mais  lastimosas  ; 
0'  coraçào  trespassado, 
Digno  de  ser  reverenciado; 


12. 


Que  assim  vives  esquecido, 
Nâo  te  deites  a  dormir 
Nem  uma  hora  descansado. 
Dormindo  acordards 
E  apparecerâs  condemnado. 

0'  sangue  derramado 

De  nosso  Senhor  Jésus  Christo, 

Valei-me  agora 

E  na  hora  da  minha  morte. 


Os  sete  sacramentos. 


Os  sacramentos  do  baptismo 
Confesso  que  sete  sào. 
Oprimeiro  é  0  baptismo, 
Que  é  0  signal  do  christâo. 

0  segundo  confirmaçâo 
Que  sô  os  bispos  a  dâo  ; 
Ficam  as  aimas  alegres 
Corn  toda  a  liberacâo. 

Terceiro  é  communhâo, 
E'  Jésus  sacramentado  ; 
Quem  confessa  a  sua  culpa 
Tem  perdào  do  seu  peccado. 

Quarto  é  penitencia  : 
Todos  devomol-a  ter  ; 


14- 


Gracas  a  Deus 
Que  jâ  me  deitei  ; 
Com  sete  anjos 
Me  encontrei  ; 
Très  aos  pés 
Quatro  à  cabeceira, 
E  nossa  senhora 
Na  deanteira, 


Quem  amara  Jésus  Christo 
Nâo  se  ha  de  arrepender. 

Quinto  extrema-uncçào. 
Serve  para  a  hora  da  morte  ; 
Quem  a  receber  em  graça. 
Nâo  pode  ter  melhor  sorte. 

O  sexto  é  a  ordem 
Que  se  dâ  aos  sacerdotes 
Para  consagrar  a  hostia 
Com  toda  a  liberacâo. 

Setimo  matrimonio, 
Que  sedâ  aos  bem  casados  ; 
Se  elles  se  derem  bem 
De  Deus  serâo  ajudados. 

Oraçào  ao  deitar. 

E  ella  me  disse  : 

—  «  Durme  e  repousa  ; 

Nâo  te  temas 

De  nenhuma  cousa.  » 

Persina-se  e  persino-m'eu. 

Benta  é  a  hora 

Em  que  Christo  nasceu, 

Bento  0  altar, 


268  A.    COELHO 

Benta  a  hora  A  Virgem  a  adora. 

Que  me  eu  fôr  deitar.  Ditosa  a  aima 

Tange  a  hora  ;  Que  se  deita 

O  Christo  a  tange ,  N'esta  hora. 

1 5 .  Responso  por  pessoa  ausente. 
Quando  uma  pessoa  vae  para  fora  de  casa  diz-se  o  seguinte  : 

Fulano  (o  nome  da  pessoa)  foi  para  fora  : 

Annel  de  Santa  Helena 

Levou  por  gloria  ; 

O  manto  de  nosso  Senhor  Jésus  Christo 

Levou  coberto. 

Fulano,  Deus  te  crie  e  Deus  te  salve 

E  îe  livre  de  teus  inimigos, 

Mortes  e  vivos. 

Olhes  tenham  e  nào  te  vejam; 

Bocas  tenham  e  nào  te  fallem  , 

Màos  tenham  e  nào  te  offendam. 

Pés  tenham  e  nào  te  alcancem. 

Fulano,  tu  faça  la  ida  que  fez 

0  filho  da  virgem  Maria 

Da  santa  casa  de  Belem 

Para  a  de  Jérusalem. 

i6.  Oraçào  ao  anjo  da  guarda. 
Anjo  de  minha  guarda,  Peço-vos,  anjo  bendito, 

Semelhança  do  Senhor,  Pela  graça  e  poder 

Que  de  Deus  fostes  creado  Que  do  laço  do  demonio 

Para  meu  guardador,  Me  ajudeis  a  defender. 

17.  Sào  Christovâo. 

Sào  Christovâo  se  vestiu  e  calçou,     —  Ora  vae,  Christovâo,  vae. 

E  na  sua  cajatinha  pegou,  Bota-os  ao  monte  balhinho  ■ , 

E  ao  caminho  se  botou  Onde  nào  haja  pào   nem  vinho, 

Jésus  Christo  encontrou.  Nem  ramo  de  figueira, 

«  Tu,  Christovâo,  onde  vaes  ?  Nem  bafo  de  menino, 

—  Vou  talhar  estes  trovôes  ;  Nem  nada  que  faça  mal,  )> 

Sobre  nos  andam  armados.  Amen  Jésus. 

18.  Sanîo  Antonio^. 

Santo  Antonio  se  vestiu  e  calçou        Jésus  Christo  encontrou; 
E  suas  santas  màos  lavou,  0  Senhor  Ihe  preguntou  : 

E  ao  caminho  se  botou.  «  Tu,  Antonio,  onde  vaes  ? 


1.  Balhinho  ou  balinho,  corrupçào  de  maninho,  esteril. 

2.  Cfr.  Cantos  do  archipclago  açoriano,  publ.  por  Théophile  Braga,  p.  148. 


ROMANCES   SACROS  269 

—  Senhor,  eu  vou  para  o  céo.  Todas  tu  depararâs  ; 

—  Tu  ao  céo  nàô  iras.  Quantas  missas  se  disser 
Tu  na  terra  ficarâs;  Todas  tu  ajudarâs.  « 
Quantas  cousas  se  perder 

19. 

Finards,  nâo  morrerâs  ;  Commigo  parte  nem  quinhâo  terâs. 

Pelo  campo  de  Judaphas  '  Eu  em  dla  da  Sanîa-Cruz 

Passards;  Cem  vezes  disse  ye5U5 , 

0  inimigo  d'alma  encontraris  E  cem  vezes  me  persinei 

E  tu  Ihe  diras  :  E  cem  vezes  0  châo  beijei.  » 
<(  Arreda  de  mim,  Satanaz, 

20.  Oraçàô  de  S.  Bartolomeu  ^. 

Sâo  Bertolameo  [sic)  me  disse  Nem  à  unha  revoltada. 

Que  me  deitasse  e  dormisse  ;  Se  o  diabo  viesse 

Que  nâo  tivesse  medo  à  onda,  Para  m'atentar 

Nem  â  bomba,  As  areias  do  mar 

Nem  a  cousa  de  ma  sombra,  Lhe  mandaria  contar. 
Nem  à  mâo  furada, 

III 

ENSALMOS. 

Reservando  para  um  trabalho  especial  sobre  o  maravilhoso  popular 
portuguez  o  tractar  in  extenso  dos  usos  populares  relativos  as  doenças  e 
sua  cura,  nâo  posso  todavia,  publicando  aqui  algumas  das  formulas  em- 
pregadas  n'essas  curas,  deixar  de  indicar  as  praticas  que  as  acompa- 
nham. 

Essas  formulas  comparam-se  facilmente  ao  que  conhecemos  de  simi- 
Ihante  d'outros  povos  ;  o  mesmo  se  dâ  corn  as  praticas  que  as  acompa- 
nham  5  ;  mas  na  maior  parte  dos  casos  as  coincidencias  a  indicar  sâo 
d'um  caracter  gérai,  ainda  que  nâo  seja  difficil  encontrar  algumas  formu- 
las portuguezas  que  sâo  simples  variantes  de  formulas  d'outros  povos. 
Entre  as  que  publicamos  a  oraçâo  de  S.  Custodio,  por  exemplo,  est.i 
n'este  caso. 

Algumas  das  oraçoes  précédentes  e  particularmente  os  n"'  1 7  e  1 8 
eram,  segundo  toda  a  evidencia,  antigos  ensalmos  que  perderam  0  seu 

1 .  Josaphat. 

2.  Cfr.  Cantos  do  archipclac,o  açoriano,  publ.  por  Thcophilo  Braga,  p.  1 57. 

3.  Vid.  Grimm,  Dmtschc  Mythologie  capp.  XXXVl,  XXXVIl  e  XXXVIII  ; 
idtm  ùkr  Marallus  Burdigaknsis  {Kldnerc  Scliriftcn  \l,  114-151);  Rud.  Rotli, 
LitercHiir  unJ  Gcschichtc  des  Veda  (1846)  p.  12,  57-4S  ;  idem,  Indischc  Sprùchc, 
A.  K.uhn  und  W.  Schwartz,  Noradcutschc  Sage,  elc,  p.  431-444;  K.uhn,  Sagen, 
etc.,  aus  WestfaUn,  II,  191-215,  etc.,  etc. 


270  A.    COELHO 

uso;  essas  duas  oraçôes  pertencem  ^is  formulas  de  (!,enero  varrativo  ''vid. 
Jacob  Grimm,  Deutsche  Mythologie 'i  1195  s.),  assim  como  outras  que 
aqui  publico. 

Devo  fazer  uma  observaçâo  prévia  sobre  a  palavra  talhar,  como  ella 
se  acha  empregada  n'essas  formulas.  A  antiga  crença  que  um  grande 
numéro  de  doenças  em  produzido  per  vermes  inieriores,  serpentes 
mesmo  introduzidas  na  economia  ',  ou  pela  influencia  de  animaes  (prin- 
cipalmente  reptis)  que  tinham  passado  por  cima  dos  doentes,  etc., 
crença  que  vemos  achar  écho  em  muitos  dosantigos  medicos,  deu  logar 
a  olhar  como  remedio  para  as  doenças  a  que  se  attribuia  aquella  causa 
uma  pratica  que  tivesse  como  resultado  cortar,  îalhar  a  cabeça  ao  verme, 
ao  reptil  ;  d'ahia  palavra  passou  entre  0  povo  portuguez  a  designar  0  cu- 
rativo,  por  meio  de  formulas  e  praticas  supersticiosas,  de  doenças  a  que 
nâo  se  attribuia  aquella  causa,  como  0  ar  mdo,  0  quebranto,  etc. 

2 1 .  Oraçâo  de  S.  Custodio. 

Diabo.  Custodio,  amigo  meu. 

Pénitente.  Custodio  sim,  amigo  nâo. 

Diab.  Dize-me  as  santas  palavras, 

Dize  m'as  ditas  e  retornadas. 

Pen.  Eu  te  digo  duas,  \ 

È  a  tabua  de  Moysés  / 

Onde  Jésus  Christo  poz  os  pés  l 

E  morreu  por  nés.  Amen.  ) 

Diab.  Custodio,  etc. 

Pen.  Custodio,  etc. 

Diab.  Dize-me,  etc. 

Pen.  Eu  te  digo  très, 

Sâo  as  très  pessoas  da  Trindade. 

(Repete-se  i.) 


Diab. 

Custodio,  etc. 

Pen. 

Custodio,  etc. 

Diab. 

Dize-me,  etc. 

Pen. 

Eu  te  digo  quatre, 

Sâo  os  quatro  evangelistas 

(Repete-se  i  e  2.) 

Diab. 

Custodio,  etc. 

Pen. 

Custodio,  etc. 

Diab. 

Dize-me,  etc. 

Os  exemples  poder-se-hiam  appresentar  em  grande  numéro. 


ROMANCES    SACROS  27 I 


Pen. 

Eu  te  digo  cinco, 

Sâo  as  cinco  chagas. 

(Répète  i,  2  e  ].) 

Diab. 

Custodio,  etc. 

Pen. 

Custodio,  etc. 

Diab. 

Dize-me,  etc. 

Pen. 

Eu  te  digo  seis, 

Sâo  os  seis  cirios  bentos. 

.^Répète  i,  2,  3  e  4.J 

Diab. 

Custodio,  etc. 

Pen. 

Custodio,  etc. 

Diab. 

Dize-me,  etc. 

Pen. 

Eu  te  digo  sete 

Sâo  os  sete  sacramentos. 

(Répète  i,  2,  3,  4  e  $■) 

Diab. 

Custodio,  etc. 

Pen. 

Custodio,  etc. 

Diab. 

Dize-me,  etc. 

Pen. 

Eu  te  digo  oito, 

Sâo  as  oito  bem-aventurancas. 
(Répète  i,  2,  3,  4,  5  e  6.) 


Diab.  Custodio,  etc. 

Pen.  Custodio,  etc. 

Diab.  Dize-me,  etc. 

Pen.  Eu  te  digo  nove 


Sâo  os  nove  mezes  que  nossa  Senhora       » 
trouxe  0  seu  amado  filho  no  ventre.        1 
(Répète  i,  2,  3,  4,  5,  6  e  7.) 


Diab.  Custodio,  etc. 

Pen.  Custodio,  etc. 

Diab.  Dize-me.  etc. 

Pen.  Eu  te  digo  dez. 


Sâo  os  dez  mandamentos. 
(Répète  1,2,  ?,  4,  S-  6,  7  e  8.) 


Diab. 

Custodio,  etc. 

Pen. 

Custodio,  etc. 

Diab. 

Dize-me,  etc. 

Pen. 

Eu  te  digo  onze. 

Sâo  as  onze  mil  virgens 

272  A.    COELHO 

(Répète  1 ,  2,  ?,  4,  ^,  6,  7,  8  e  9.) 

Diab.  Custodio,  etc. 

Pen.  Custodio,  etc. 

Diab.  Dize-me,  etc. 

Pen.  Eu  te  digo  doze; 

Doze  raios  tem  0  sol 

Doze  raios  tem  a  lua; 

Rebenta  d'ahi,  diabo, 

Que  esta  aima  nào  é  tua. 

Esta  oraçâo,  cujo  thema  é  bem  conhecido  f6ra  de  Portugal  ',  é  muito 
usual  n'este  paiz  ;  em  logar  de  um  Custodio  figura  n'outras  versôes  /"por 
exemplo,  n'uma  da  Beira  que  recolhemos  incompleta)  um  Cypriano  e 
entâo  chama  se  Ihe  Oraçâo  de  S.  Cypriano.  Conta  0  povo  que  aquelle 
dialogo  se  travou  entre  um  S.  Custodio  ou  S.  Cypriano  e  0  diabo  que  Ihe 
queria  ganhar  a  aima  ;  se  0  santo  errasse  na  série  de  palavras  estava 
perdido.  A  versâo  que  acaba  de  ser  lida  e  nos  foi  fornecida  por  Anna 
Alves  Leite  é  incompleta  ;  falta-lhe  a  primeira  palavra,  e  alem  d'isso  a 
segunda  palavra  (aqui  a  primeira)  é  uma  tabaa  de  Moysés  em  vez  das 
duas  tabuas  ;  nas  versôes  complétas  a  primeira  palavra  é  Nosso  Senhor 
Jésus  Christo.  N'uma  versâo  da  Beira,  publicada  no  Almanach  de  lembran- 
ças  para  1869  p.  285-286,  a  oraçâo  nâo  tem  a  forma  de  dialogo. 
Reproduzimol-a  : 

1 .  E'  nosso  Senhor  Jesu  Christo 

2.  Sâo  as  duas  tabuas  de  Moysés. 

(Repete-se  i). 
^.  Sâo  as  très  pessoas  da  Santissima  Trindade. 
(Répète  1-2). 

4.  Sâo  os  quatre  evangelistas. 

(Répète  1-3). 

5.  Sâo  as  cinco  chagas. 

(Répète  1-4). 

6.  Sâo  os  seis  cirios  bentos. 

(Répète  1-5). 

7.  Sâo  os  sete  sacramentos. 

(Répète  1-6). 

8.  Sâo  os  oito  coros  d'anjos. 

(Répète  1-7). 

9.  Sâo  os  nove  templos. 

(Répète  1-8). 
10.  Sâo  os  dez  mandamentos. 

1.  Vid.  Romania  I,  223. 


ROMANCES   SACROS  273 

f  Répète  1-9). 

1 1 .  Sâo  os  onze  mil  virgens. 

(Répète  i-io  . 

12.  Sào  os  doze  Apostolos 

(Répète  i-i  i). 

«  Estas  palavras  ditas  e  repetidas  sejam  em  louvor  de  S.  Custodio. 

))  Sete  raios  leva  0  sol  ! 

))  Sete  raios  leva  a  lua  ! 

))  Arrebenta  para  ahi  nabo, 

»  Que  esta  aima  nào  é  tua.  » 

0  collecter  d'esta  versâo  da  Beira  diz  :  «  A  oracào  de  S.  Custodio,  se 
assim  é  que  se  pôde  chamar,  é  uma  lengalenga,  que  esta  pobre  gente 
costuma  rezar  à  noite  para  evitaros  maleficios  e  tentaçôes  do  espirito  das 
trevas.  »  Mas  nào  é  este  0  unico  fim  da  oracào  :  attribue-se-lhe  grande 
poder  na  cura  das  doenças  e  para  usar  d'ella  corn  este  fim  0  curandeiro 
assume  0  papel  de  diabo  e  0  doente  responde  como  Custodio.  Este  uso, 
que  ainda  hoje  se  observa,  podemol-o  ver  em  vigor  no  seculo  XVII.  0 
ms.  n°  $60  da  Bibliotheca  da  Universidade  de  Coimbra  contém  a 
sentença  proferida  contra  Anna  Martins,  benzedeira  e  feiticeira,  pela 
Inquisiçào  de  Lisboa  ',  em  que  se  acham  muitos  ensalmos  de  que  essa 
pobre  mulher,  relaxada  -k  justiça  secular  isto  é,  condemenada  â  fogueira) 
fazia  uso  nas  suas  curas  ;  lê-se  ali  que  Anna  Martins  confessara  que 
usara  «  tambem  da  reza  do  Anjo  Custodio,  por  ser  muito  efficaz  para 
lançar  fdra  todos  os  achaques  e  espiritos  malignos,  que  ella  lançava  dos 
corpos  obsessos,  e  dizia  na  forma  seguinte  : 

«  Custodio  queres  ser  solto  ?  » 

«  Elle  respondia  : 

»  Em  graça  de  Deus  quero.  )> 

«  Dize-me  um  que,  é  sô  Deus,  amen  ; 

))  Dize-me  deus,  que  sâo  as  tabuinhas  de  Moysés; 

»  Dize-me  très  ;  as  très  sâo  os  très  patriarchas  de  Jacob  ; 

»  Dize-me  quatro,  que  sâo  os  quatro  Evangelistas  Lucas,  Marcos  e 
Matheus  (ainda  que  sejam  quatro  nâo  se  noméiam  mais  de  très)  : 

»  Dize-me  cinco,  que  sâo  as  cinco  chagas  de  N.  S.  J.  Christo  ; 

))  Dize-me  seis,  que  sâo  os  seis  cirios  bentos, 

»  Que  a  virgem  accendeu 

»  Quando  seu  bento  filho  nasceu  ; 

»  Dize-me  sete,  sâo  os  sete  goivos  que  goivaram  a  Virgem  Maria  ; 

»  Dize-me  oito,  que  sào  os  oito  corpos  dos  Santos  ou  os  oito  corpos 
christâos  que  estâo  em  Massarelos  ; 

1.  Essa  sentença,  que  lemos  no  ms.,  foi  publicada  no  Institulo  de  Coimbrii  \'ol. 
IX,  379  ss. 

Romania,  III  I  o 


274  '^-    COELHO 

»  Dize-me  nove,  que  sâo  os  nove  anjos  ; 

»  Dize-me  dez,  que  sâo  os  dez  mandamentos  ; 

«  Dize-me  onze,  que  sâo  as  onze  mil  virgens  ; 

»  Dize-me  doze,  que  sâo  os  doze  Apostolos  ; 

j)  Dize-me  treze,  que  sâo 

»  As  treze  varinhas  do  sol, 

))  Que  arrebatam  '  ao  diabo, 

»  Do  pequeno  até  ao  maior. 

»  E  que,  repetindo  très  vezes  esta  oraçâo  saiam  os  espiritos  das  pes- 
soas,  que  os  tinham,  sem  demora  alguma,  porque  haviam  de  sair  ou 
arrebentar  ;  da  quai  oraçâo  ella  usava  sempre  corn  bom  successo,  nâo  sô 
para  este  effeito,  mas  tambem  para  curar  todo  o  achaque.  « 

22.  Para  îalhar  as  bichas  (lombrigas)  as  creanças. 

Em  nome  de  Deus,  amen, 

Jésus,  Maria,  José, 

E  i  virtude  do  santo  Inofre^, 

Que  te  livre 5  das  bichas, 

Que  te  comem  o  coraçâo. 
Pela  misericordia  divina 
Se  convertam  em  agua. 
Amen,  Jésus,  Maria,  José. 

Fazem-se  très  cruzes  na  testa,  bocca  e  barriga  da  creança,  repetindo 
a  formula  très  vezes. 

23.  Para  îalhar  0  fogo  louro. 

Chama-se  fo go  louro  no  Minho  a  uma  certa  erupçâo  cutanea  localisada 
no  pescoço  ;  é  crença  que  é  um  bicho  e  que  se  rodea  0  pescoço  todo,  se 
se  une  a  cabeca  com  a  cauda  do  bicho,  0  doente  morre  irremediavel- 
mente.  Para  îalhar  0  fogo  louro,  toma-se  esparto  d'um  archote  queimado 
e  palhas  d'alhos,  tambem  queimados  e  cortam-se  miudamente  com  uma 

tesoira  dizendo  : 

Eu  te  corto  a  cabeca, 
Eu  te  corto  0  corpo. 
Eu  te  corto  0  rabo. 
Eu  te  corto  todo. 

Depois  deita-se  isso  sobre  0  pescoço  do  doente  dizendo  : 

Eu  0  Tejo  e  0  Douro 
E  0  Minho  passei  ; 
Fogo  louro 
Talhei. 

1.  Deve-se  muito  provanelmente  corrigir  em  arrebentam. 

2.  Onofre. 

3.  0  nome  da  creança.  , 


ROMANCES    SACROS  275 

24.  Para  talhar  a  impigem. 

Impigem,  rabigem,  Assim  como  eu  fallo  verdade, 

Sae-te  d'aqui,  Assim  tu  medresaqui. 

Que  eu  jà  hoje  comi,  Impigem,  rabigem, 

E  jâ  bebi  ;  Sae-te  d'aqui, 

Jâ  passei  a  ponte  Que  a  cinza  do  lar 

De  Mondim.  Corre  atrâs  de  ti. 

Esta  formula  diz-se  emjejum,  deitando  cinza  do  lar  sobre  a  impigem. 

N'algumas  partes  (em  Vizeu,  por  exemple,   deita-se  saliva  em  cruz 

sobre  a  impigem  e  a  formula  reduz-se,  como  me  communica  um  amigo, 

ao  seguinte  : 

Impigem,  rabigem, 
Sae-te  d'aqui  ; 
Assim  como  eu  hoJe 
Comi  e  bebi, 
Assim  tu  medres  aqui. 

2  5 .  Para  as  queimaduras  e  escaldaduras. 

Santa  Iria  Ardente  vivia. 

Très  filhas  tinha  ;  Encontrou  Nossa  Senhora, 

Uma  urdia,  E  ella  Ihe  disse  que  talharia, 

Outra  tecia.  Que  Ihe  cospisse  e  talhasse 

Outra  em  fogo  Très  vezes  ao  dia. 

Um  amigo  forrece-me  a  seguinte  variante  usadaem  Guimaràes,  Porto 
e  Vizeu  : 

Santa  Iria  (ou  Santo  Elias)  tinha       E  Ihe  perguntou 

Uma  foi  a  fonte,  [très  filhas  ;     Que  remedio  Ihe  faria  ; 

Outra  foi  ao  rio,  Nossa  Senhora  Ihe  respondeu  : 

Outra  em  fogo  ardia.  «  Cuspe-lhe,  cuspe-lhe  », 

Encontrou  Nossa  Senhora,  Que  ella  Ihe  sararia. 

Cospe-se  très  vezes  sobre  a  queimadura  durante  très  dias. 

Na  Sentença  da  Inquisiçâo,  acimacitada,  encontra-se  outra  variante  : 
Santa  Sophia  très  filhas  tinha  ;  Que  Ihe  faria 

Uma  mandou-a  a  fonte,  Santa  Sophia  ? 

E  a   outra  pela   lenha    ao  monte,     Cuspa-lhe,  sopre-lhe 
E  a  outra  por  lume  à  villa.  Très  vezes  ao  dia, 

A  que  foi  por  lume  à  villa  Que  mais  nâo  lavraria. 

Em  fogo  ardia  ; 

26.  Para  talhar  a  erysipela. 

a  «  Pedro  Paulo  que  vae  là  ? 

Pedro  Paulo  foi  a  Roma,  —  Muito  mal  e  erysipela. 

Pedro  Paulo  foi  e  veiu,  —  Pedro  Paulo  torna  \A  ; 

E  0  Senhor  Ihe  perguntou  :  Dd-lhe  com  sal  do  mar, 


276  A.    COELHO 

Agua  da  fonte,  De  nosso  Senhor. 

E  herva  do  monte,  Deus  te  torne  a  teu  estado, 

Que  a  Senhora  permittirj  Como  foste  nado  e  creado. 
Que  este  mal  abrandanî.  c 

h  Indo  eu  pela  Serra  da  Guia  [Maria 

Que  faria  a  rosa  vermelha  '  Encontre!  corn  0    filho  da  Virgem 
Que  aqui  corne,  arde,  doe  e  proe  ?     E  elle  me  perguntou  0  que  tinha, 

—  Dd-lhe  com  sal  do  mar,  E  disse-lhe  que  tinha  um  bicho 

E  herva  do  monte  ;  Que  me  comia  e  ardia, 

Dd-lhe  com  tudo  defronte  ;  E  elle  me  disse  que  talharia 

Que  a  Senhora  permittirâ  Com  très  folhinhas  d\ir  da  Guia 

Que  este  mal  abrandard.  E  très  pinguinhas  d'agua  fria. 

Assim  venha  este  mal  Deixa  fulano  (0  nomeda  pessoaj, 

A  bem  e  a  amor.  Que  é  pobre,  nâo  tem  que  te  dar  ; 

Assim  como  vieram  as  chagas  Vae  para  as  ondas  e  areias  do  mar. 

Qualquer  d'estas  très  formas  diz-se  applicando  gotas  d'agua ,  um 
pouco  de  sal  e  certas  hervas.  Na  formula  c  0  ar  da  Guia  séria  para  mim 
um  enigma  indecifravel,  visto  que  Anna  Alves  Leite  que  m'a  dictou 
nâo  sabia  0  que  era  e  me  declarou  que  dizia  assim  por  que  assim  Ih'o 
tinham  ensinado,  séria  para  mim  um  enigma  se  nâo  tivesse  encontrado 
uma  formula  muito  similhante  na  Sentença  de  Anna  Martins  em  que  se 
tracta  da  folha  da  ardegaria  (nome  de  planta)  ^.  Eis  essa  formula  e  as 
palavras  que  a  precedem  e  indicam  0  seu  uso  :  «  E  que  tambem  curava 
as  pessoas  que  tinham  cambras  ou  bichos  nos  corpos,  e  0  fazia  tom.ando 
très  folhas  de  silva,  uma  por  cada  vez,  e,  benzendo  a  pessoa  enferma, 
dizia  as  palavras  seguintes  : 

<(  indo  eu  pela  Serra  d'Albergarria 

)>  Encontrei  com  a  Virgem  Maria 

»  E  Ihe  perguntei  0  que  faria 

»  A  esta  pessoa,  que  d'ansansere  >  me  morria; 

»  Que  Ihe  picava, 

»  Lembrava, 

»  Mordia, 

i .  Cfr.  para  esta  designaçao  da  erysipela  0  allemâo  rose. 

2.  A  palavra  ardegaria  falta  em  todos  os  diccionarios  portuguezes  ;  mas  vê-se 
claramente  que  é  um  antigo  nome  de  planta  que  parece  hoje  perdido.  Como 
no  seculo  XVII  a  benzedeira  empregava  os  rarrios  da  silva  e  nâo  a  adergaria,  na 
sua  cura^  é  muito  de  crêr  que  ella  nâo  sabia  jâ  0  que  designava  a  palavra. 
Ardegaria  dériva  talvez  d'ardcgo.  No  Brasii,  uma  planta  é  designada  com  0  nome 
de  ardentia,  accepçâo  ignorada  dos  diccionarios. 

5.  Ansansere  désigna  uma  doença  de  caracter  mysterioso,  uma  doença  causada 
por  um  maleficio.  Falta  tambem  nos  diccionarios  portuguezes  estas  palavra  que 
muitas  vezes  tenh  ouvido  na  bocca  do  povo.  A  palavra  parece  derivar  d'um 
modo  irregular  de  aso,  asar  ;  cfr.  a:ara  por  aso,  colligido  por  Moraes,  Dicc. 
port. 


ROMANCES    SACROS  2  77 

»  E  pruia 

)>  E  todo  0  mal  Ihe  fazia  : 
»  Que  Ihe  farei,  Virgem  Maria? 
—  Borrifa-a  très  vezes  ao  dia 
»  Com  a  folha  da  ardegaria 
»  E  com  aguasinha  fria, 
»  Que  mais  nâo  lavraria, 
»  Comeria 
»  Nem  mal  faria, 

')  Com  0  nome  de  Jésus  e  Virgem  Maria; 

»  E  entào  molhava  a  folha  da  silva  com  agua  da  fonte  e  borrifava  a 
parte  lésa.  » 

27.  Para  îalhar  a  farfola. 

No  Minho  e  Douro  chama-se  farfola  ou  farfalho  as  aphtas  que  nascem 
as  creanças  de  leite  ;  para  a  talhar  pousa-se  a  creança  attacada  per 
cina  da  pia  dos  porcos  e  diz-se  : 

Farfola,  vae-te  d'agui, 

Que  porcos  e  porcas 

Comem  aqui. 

•    28.  Para  a  inflamaçào  dos  seios  da  mullier. 

O  Senhor  pediu  pousada  ; 

Bom  homem  ihe  deu  pousada, 

E  ma  mulher  Ihe  fez  a  cama, 

N'uma  grade  sobre  lama. 

Sara  peito,  sara  mamma. 
Anna  Alves  Leite  contou-me  :  <c  Quando  Deus  andava  pelo  mundo  foi 
dormir  a  uma  casa  ;  o  dono  d'ella  era  muito  bom  e  a  mulher  muito 
ruim.  A  mulher  fez-lhe  a  cama  sobre  uma  grade  e  por  baixo  estava 
lama,  edepois  de  noite  começou  a  doer  muito  um  peito  â  mulher  que 
tinha  leite  ;  ella  estava  muito  mal  e  o  homem  perguntou  se  elle 
(0  Senhor),  como  andava  por  muita  terra,  se  Ihe  saberia  dar  um  remedio 
à  mulher  ;  e  o  Senhor  disse-lhe  :  «  Olha,  faze-lhe  très  cruzes  e  diz  : 

O  Senhor  pediu  pousada,  etc. 
«  Diz-lheisto  très  vezes  e  faze-lhe  très  cruzes,  que  ella  sarâ.  »  Desde 
entào  aquellas  palavras  ficaram  servindo  para  a  cura  das  dores  do  peito 
com  as  très  cruzes.  »  Eis  uma  formula  que  se  baseia  sobre  uma  lenda, 
a  nâo  ser  que  a  lenda  venha  explicar  a  formula. 

29.  Para  talhar  o  ar  mdo. 

0  povo  do  Minho  e  Douro  crê  muito  que  certas  doenças,  principal- 
mente  das  creanças,  sâo  produzidas  per  ar  mâo,  isto  é,  ar  em  que  havia 
algum  maleficio  ou  tinha  estado  algum  espirito  malefico.  Para  livrar  a 
creança  do  ar  mâo  ha  muitas  praticas  e  formulas.  Conhecemos  très. 


278  A,    COELHO 

a. 
Faz-se  um  bolo  de  pào  e  dâ-se  d  creança  que  tem  0  ar  mâo  e  0  que 
a  creança  niio  corner  deita  se  a  um  ciio  e  uma  noite  de  luar  a  creança 
deve  dizer  : 

Lua,  luar 

Dâ-me  a  minha  côr, 
Dou-te  0  teu  ar. 
b 
Leva-se  simplemente  a  creança  d  rua  n'uma  noite  de  luar  e  a  màe 

d'ella  diz  : 

Lua,  luar, 

Toma  0  teu  andar  ; 
Deixa  0  meu  filho 
Que  0  quero  crear. 
c 
Vae-se  d  fonte  por  um  caminho  e  vem-se  por  outre  com  a  creança  nos 
braços  ;  ao  afastar-se  da  fonte  diz-se  : 
Eu  0  ceo  vejo,  Eu  ar  vejo  ; 

Eu  estrellas  vejo,  0  mal  que  esta  creança  tem 

Eu  terra  vejo,  Pela  minha  màoo  despejo. 

E  deita-se  para  tras  das  costas  uma  mâo  cheia  d'agua,  sem  olhar  para 
traz.  A  formula  a  foi-me  communicada  por  um  amigo  do  Minho  \  b  t  c 
por  Anna  Alves  Leite. 

50.  Para  talhar  a  asia. 

A  pessoa  que  tem  asia  sobe  acima  d'uma  pedra  e  diz-se-lhe  : 
Corto-te  a  asia^  Salta  burrinha 

E  corto-te  a  atrela  ;  ,    Abaixo  da  pedra. 

F. -A.  COELHO. 

Porto,  dezembro  de  1875. 


MÉLANGES, 


PHONÉTIQUE  FRANÇAISE. 

I.  Oi,  ui  =  0+  i,  u+l. 

La  répartition  de  oi  et  ui  en  français  moderne  qui  tire  celui-là  de 
u  et  celui-ci  de  o  a  paru  capricieuse  à  M.  G.  Paris,  Alex.  p.  7$.  M.  C. 
Chabaneau  dans  la  Revue  des  langues  romanes  III,  541  ss.,  et  M.  E. 
Mail  dans  son  édition  méritoire  du  Comput  de  Philippe  de  Thaun, 
p.  60  ss.,  ont  essayé  de  débrouiller  l'histoire  de  ces  deux  diphthongues, 
mais  ne  sont  pas  arrivés  à  un  résultat  satisfaisant.  Je  crois  que  cette  his- 
toire n'offre  pas  de  difficulté  particulière  à  celui  qui,  ainsi  que  cela 
devrait  toujours  se  faire  dans  la  phonétique  romane,  part  du  latin  vul- 
gaire. Se  servir  du  latin  vulgaire  dans  un  ou  deux  cas  seulement  est  plus 
préjudiciable  qu'utile.  M.  Chabaneau  pour  expliquer  pluie  et  puits  s'au- 
torise d'un  lat.  vulg.  plôvia  et  pôtius  (p.  ^^6  s.);  mais  à  la  place  de 
cette  difficulté  écartée  s'en  présente  une  plus  grande:  comment  expliquer 
que  le  latin  vulg.  crôce  ne  se  soit  pas  changé  en  cruix,  etc.?  Je  me  réserve 
de  soumettre  quelque  jour  cette  question  à  une  étude  plus  détaillée,  dans 
laquelle  je  tiendrai  compte  non-seulement  des  anciens  dialectes,  mais 
aussi  des  nouveaux;  pour  le  moment  je  me  contente  d'établir  de  ces  «  ca- 
tégories a  priori  »  dont  M.  Mail  parle  avec  trop  de  dédain. 

Oi  (en  tant  qu'il  n'est  pas  sorti  de  ei  ou  de  ai)  et  ui  ont  primitivement 
chacun  à  la  syllabe  accentuée  une  double  forme  : 

1.  Lat.  vulg.  ô-\-i  :  v.  fr.  ôi  (écrit  oi  et  ui)  :  fr.  mod.  ouà  ou  ouc 
(écrit  oi) . 

Lat.  vulg.  ô  répond  régulièrement  : 

à)  au  classique  //  : 
dans  une  syllabe  ouverte  :  criicem,  crôce,  croiz  {cruiz),  croix  ; 

câncum,  cônio,  coin  (cuin),  coin. 
dans  une  syllabe  fermée  :  angustia,ang6stia,  angoisse  (anguisse),  angoisse; 

junctum,  jôncto  ',  joint  {juint),  joint. 


I .  Comme  il  y  a  latin  vulgaire  et  latin  vulgaire,  nous  observerons  qu'il  s'agit 


28o  MÉLANGES 

b)  au  classique  n  dans  une  syllabe  ouverte  : 

donet,  dônet,  doinst  'duinst,, 
vôcem,  voce,  voit  'vuizj.  voix. 

Il  répond  exceptionnellement  : 

a)  au  classique  u  dans  une  syllabe  fermée  : 

cùgnoscere,  conôscere(Vok.  II,  124  s.),  conoutre 
(conuistre),  connoître  ; 

b)  au  classique  ô  dans  une  syllabe  fermée  : 

longe,  longe'  {Vok.  II,  1  17),  loin  Quin),  loin; 

c)  au  classique  ô  dans  une  syllabe  ouverte  : 

canônicum,   canbnico  ''comp.    Vok.   Il,    157), 
canoine  (assonne  en  d),  chanoine. 

II.  Lat.  vulg.  à-{-i:  v.  fr.  ai  écrit  ai,  non  pas  m';,  fr.  mod.  ouà  'écrit 
oi). 

Lat.  vulg.  6  répond  régulièrement  : 

au  classique  au  : 

gaudia,  godia,  joie,  joie; 

claustrum,  clostro,  cloistre,  cloître. 
Il  répond  exceptionnellement  : 
au  classique  0  et  0  devant  r  : 

memôria,  memoria,  mémoire,  mémoire  \ 
glôria,  gloria  fainsi  dans  la  prononciation  ital.i, 
gloire,  gloire. 
Comparez  la  catégorie  suivante. 

Le  fait  que  6i  et  ai  ont  donné  une  forme  unique  en  français  moderne  ne 
doit  pas  étonner;  l'avancement  de  l'accent  sur  la  seconde  voyelle  a  fait 
disparaître  la  différence  entre  ô  et  0;  les  deux  0  se  sont  transformés 
en  ou  bref.  M.  Mail  (p.  Gi)  n'a  pas  bien  tiré  au  clair  la  nature  de 
la  diphthongue  oi  du  français  moderne;  de  ce  que  le  v.  fr.  ô  devient  en 
général  ou  en  fr.  mod.,  il  semble  s'attendre  à  trouver  à  la  place  du  v. 
fr.  ôi  un  fr.  moderne  oui.  D'après  lui  un  semblable  oui  se  trouverait 
dans  grenouille,  dépouille,  etc.,  où  «  1'/  après  avoir  opéré  le  mouillement 
de  VI  aurait  à  peine  été  en  état  de  former  avec  ou  une  véritable  diph- 
thongue »  (.''). 

III.  Lat.  vulgaire  Oi-|-/:  anc.  roman  uoi:  prov.  uèi:  v.  fr.,  fr.  mod. 
ui.  Nous  avons  en  lat.  vulgaire  un  son  quelqjue  peu  hypothétique,  un 


dans  le  tableau  ci-dessus  spécialement  du  latin  de  la  Gaule.  Le  latin  vulgaire  de 
l'Espagne  favorise  en  général  l'u  en  position,  mais  celui  de  l'Italie,  tandis  qu'il 
change  Vu  dans  ce  cas  la  plupart  du  temps,  conserve  cette  voyelle  devant  une 
nasale  gutturale. 

I .  En  lat.  vulg.  de  l'Italie  lange.  Longe  est  à  lange  tout-à-fait  ce  que  jâncto 
est  à  jurdo.  Au  reste  le  français  a  de  ce  mot  deu.x  formes;  l'une  où  i  =  g  a  été 
attiré,  l'autre  où  Vn  a  été  mouillée. 


PHONÉTIQUE    française:    01,    u'i  28 1 

0  qui  certainement  se  prononçait  ouvert  mais  qui  cependant  a  dû  être 
différent  de  Vo  qui  vient  d'être  cité,  car  il  a  une  autre  origine  et  un 
autre  résultat.  Peut-être  que  l'un  a  été  prononcé  très-ouvert  et  très- 
allongé  et  que  l'autre,  que  je  désigne  avec  ô,,  l'a  été  à  demi  ouvert 
et  à  demi  allongé.  Le  lat.  vulg.  o,  dont  s'est  tout  d'abord  développée, 
dans  presque  tout  le  domaine  roman,  la  diphthongue  uo,  répond  réguliè- 
rement au  classique  ô  : 

a)  dans  une  syllabe  ouverte  : 

môdium,  niàdio,  muoi,  maei,  mai  (muid)\ 
côcjuere,  cocre,  moire,  cueire,  cuire; 

b)  dans  une  syllabe  fermée  (ici  la  diphthongue  n'a  pu  se  développer 
que  lorsque  Vo  a  été  écarté  de  la  position  par  1'/  qui  s'est  uni  à  lui)  : 

nôcte,  nocte,  nàite,  nuoiî,  nueit,  nuit; 
pôst,  pas,  pois,  puois,  pueis,  puis. 

En  lat.  vulg.  ô  se  trouve  exceptionnellement  au  lieu  d'd  ==  classique  û  : 

pliivia,  plôvia,  plovia  (it.  piàggia,  piovej,  pluoia, 
plueia,  pluie. 

Il  est  impossible  d'expliquer  autrement  ui  =  classique  ô-\-i;  car  si 
ailleurs  oi  et  ui  se  produisent  de  la  même  manière  aussi  bien  à  la  syllabe 
accentuée  qu'à  la  syllabe  atone,  cela  n'a  pas  lieu  dans  ce  cas.  A  la  syl- 
labe accentuée  ô-\-i  devient  ui,  à  l'atone  oi  :  foyer =fÔcarium,  moyeu  = 
môdiolum  (dans  des  dérivés  nouveaux  ou  dans  des  dérivés  anciens  dont 
le  rapport  avec  le  mot  primitif  est  resté  clair,  nous  trouvons  il  est  vrai 
ui  aussi  à  la  syllabe  atone  :  appuyer  à  côté  de  puy,  nuisible  à  côté  de 
nuire).  Il  doit  donc  s'agir  ici  d'un  son  qui  ne  s'est  produit  qu'à  la  syl- 
labe accentuée;  parmi  tous  les  sons  qui  entrent  en  considération,  cela 
n'a  lieu  que  pour  un  seul,  la  diphthongue  de  o  :  uà,  uè. 

Ui^=  uè/ n'a  rien  de  surprenant,  et  nous  trouvons  aussi  en  provençal 
hui  à  côté  de  huei,  nuit  à  côté  de  nueit,  puis  à  côté  de  pueis,  etc.,  et  la 
succession  des  formes  iu  =  ièu  =  eu  qui  se  présente  en  provençal  et  en 
roumanche  est  tout  à  fait  analogue  à  celle  que  j'ai  établie  :  ui  =  uci 
(ou  peut  être  aussi  immédiatement  =  uài)  =  ô/  '. 

Quand  donc  on  voit  en  v.  fr.  l'une  à  côté  de  l'autre  les  formes  hoi  et 
hui,  noit  et  nuit,  il  ne  faut  pas  voir  là  le  même  rapport  qu'entre  croiz  et 
cruiz,  loin  et  luin,  etc.,  mais  ces  formes  sont  dans  la  même  relation  que 
prov.  oi  et  uei,  noit  et  nueit^  etc.  Le  fait  que  dans  l'union  avec  /  la  voyelle 
simple  se  présente  à  côté  de  la  diphthongue  ne  peut  étonner,  car  cela  a 
lieu  en  dehors  de  cette  union,  par  ex.  dol  et  duel,  pot  et  puet.  Lorsque  je 
lis  dans  le  Roland  d'Oxford  trois  à  côté  de  truis  je  n'y  vois  pas  autre 

I.  Ud  ou  uo  —  di  n'est  pas  absolument  inconnu  au  v.  français.  Au  reste  u 
devant  ;7  signifie  sans  doute  souvent  la  diphthongue  uc,  comme  dans  fitil,  viiil, 
cuiknt  à  côté  defuetl,  niai,  cucillaU. 


282  MÉLANGES 

chose  que   lorsque  dans  le  même  texte  je  lis  trovent  à  côté  de  troevent. 
IV.  Lat.  vulg.  u-)-/ :  v.  fr.,  fr.  mod.  m. 
Lat.  vulg.  a  répond  régulièrement  au  classique  u  : 

a)  dans  une  syllabe  ouverte  : 

diicere,  ducre,  duire  ; 
jùnium,  junio,  juin; 

b)  dans  une  syllabe  fermée  : 

friictum,  fructo,  fruit. 

Il  répond  exceptionnellement  : 

a)  au  classique  û  :        /"g'^  /"^'^  Z"'^- 

Le  lat.  vulg. /ug/f  est  donné  par  l'it.  fuc,ge,  etc.;  1'/ a-t-il  protégé 
Vu  suivant?  Au  reste /o/r  à  côté  de  fuir  (Burguy  1,  340)  renvoie  à  une 
forme  secondaire  du  lat.  vulg.  :  fogire  (comp.  refogium   Vok.  III,  214). 

h)  au  classique  0  :  ôstium  {Vok.  II,  127),  ustio  (ibid.),  huis.  Mais 
huître  =  ostrea  appartient  à  la  troisième  catégorie,  comp.  it.  àstrica,  esp. 
ostra,  etc.  angl.  oysler. 

Je  ne  nie  pas  du  tout  que  diverses  formes  telles  que  puits  =^  lat.  vulg. 
pôtio  I  it.  pôzzoï  ^^  class.  piiteum,  v.  fr.  loi  à  côté  de  lui,  etc.  n'aient  encore 
besoin  d'être  expliquées.  M.  G.  Paris  regarde  tuit  comme  équivalent  à 
tait,  mais  cette  forme  se  présente  aussi  là  où  l'orthographe  u  =  6  n'est  pas 
usitée.  Le  paradigme  de  ce  pronom  est  en  latin  vulgaire  de  la  Gaule 

tôttos     tôtta 
îôtto      totta 
tutti       [tôtte] 
tôttos    tôttas. 

Tt  pour  /  se  montre  aussi  dans  l'it.  tutto  ;  de  tota  lefr.  aurait  fait  'toue, 
comme  roue  de  rota.  Tutti  est  assuré  pour  la  France  par  les  glosses  de 
Cassel.  C'est  à  l'influence  de  ïi  qu'on  doit  le  passage  de  l'o  (qui  persiste 
dans  les  autres  formes)  à  u.  Je  compte  étudier  prochainement  dans  la  Ro- 
mania  cette  influence  de  Vi  d'une  manière  plus  complète.  Je  demande 
pour  le  moment  qu'on  compare  le  v.  fr.  cil  =  lat.  vulg.  ecce-llli  (nom. 
sing.  et  plur.)  et  cel,  cels  =  lat.  vulg.  ecce-illo,  ecce-illos,  d'autre  part 
port,  puz  =  lat.  vulg.  posi  ==  class.  posuT  et  poz  =  lat.  vulg.  poset  = 
class.  posuït. 

J'ai  tout  à  fait  laissé  de  côté  ici  l'origine  de  1'/  avec  lequel  s'unissent 
0  et  u.  Un  /  parasite  s'introduit  volontiers  devant  s  (M.  Chabaneau 
explique  par  ex.  puis  par  pojs,  pocs,  pots,  postV)  mais  d'où  vient  1'/ 
devant  /5,  par  ex.  dans  croiz  ? 

II.  CH. 

Le  c  latin  persiste  en  français  sous  trois  formes  :  sous  la  forme  pri- 
mitive de  k  devant  0,  u,  sous  celle  de  c  devant  a,  sous  celle  de  ç  devant 
e,  i.  Pourquoi  a-t-on  créé  pour  c  une  notation  spéciale  tandis  qu'on 


PHONÉTIQUE    FRANÇAISE  :    ch  28? 

ne  l'a  pas  fait  pour  ç?  Dans  l'ancienne  langue  on  écrivait  en  fait  ca 
pour  ca  (camp  =  champ,  quar  =  car,  orthographe  analogue  à  ciel,  qui); 
mais  la  syllabe  ca  s'était  dans  beaucoup  de  mots  changée  en  ce  et  pour 
distinguer  ce  ce  de  ce  on  a  eu  besoin  d'un  signe  spécial  (tout  à  fait 
comme  pour  ç  devant  a,  o,  u).  Le  signe  que  l'on  employa  fut  plus  tard 
introduit  aussi  pour  c  devant  a;  c'est  CH. 

Ce  CH  n'est  pas  germanique,  comme  le  croit  M.  G.  Paris,  Alex.  p.  87; 
mais  roman,  aussi  bien  que  le  son  lui-même,  dont  on  cherchait  autrefois 
aussi  à  expliquer  la  formation  avec  l'aide  de  l'allemand.  Dans  le  roman  de 
l'ouest  H,  après  une  consonne,  exprime  /  palatal  ou  y  (Diez,  Gramm.'^  I, 
381.  405  s.,  ').  En  conséquence  CH  signifie  primitivement  ky.  Si  l'on 
écrivait  en  v.  franc,  pâlie  \>onr  palye,  on  ne  pouvait  pas  écrire  pareillement 
c/e/pour  kyef,  car  cette  forme  aurait  été  considérée  comme  équivalant  à 
çief.  Cette  signification  du  signe  CH  concorde  avec  l'histoire  du  son  c. 
Nous  connaissons  comme  valeurs  successives  de  ca:  kya^,  tya,  tya  {y  — 
ch  allemand  dans  ichj,  tcha,  cha.  On  objectera  peut-être  qu'on  a  écrit  de 
bonne  heure  déjà  pour  CH  :  IH  et  /,  écritures  qui  ne  sont  pas  facilement 
conciliables  avec  la  prononciation  ky.  En  ce  qui  concerne  IH  on  cite 
tout  d'abord  le  mot  iholî  du  Frag.  de  Valenciennes.  Or,  comme  CH  est 
d'ailleurs  toujours  employé  dans  ce  texte,  iholt  doit  avoir  sa  cause  parti- 
culière. Nous  le  trouvons  deux  fois.  Grann'/zo/r  s'expliquerait  par  gw;?/  y  oit 
pour  grant  tyolt,  si  nous  admettons  qu'alors  ca  n'avait  pas  encore  dépassé 
le  degré  tya.  IH  serait  un  double  essai  de  représentation  du  son,  ni  /  ni  H  ne 
pouvant  seuls  rendre  le  son  y.  Au  second  passage  on  a  lu  grances  iholt,  mais 
on  ne  sait  que  faire  de  grances  et  je  suis  convaincu  qu'on  a  mal  lu  ;  le  fac- 
similé  de  Génin  présente,  entre  s  et  /,  un  grand  intervalle  qui  est 
rempli  par  un  trait.  Il  vaut  mieux,  jusqu'à  ce  qu'on  ait  trouvé  la  leçon 
correcte,  ne  pas  tenir  compte  de  ce  passage.  Dans  le  fragment  de 
l'Alexandre  nous  trouvons  iausir  et  ianget.  Mais  ce  texte  est  sur  la  limite 
des  deux  langues.  On  cite  enfin  iose  tiré  des  lois  de  Guillaume  le  Con- 
quérant, mais  les  leçons  manuscrites  de  ce  texte  sont  tellement  corrom- 
pues qu'on  ne  doit  pas  accorder  à  cette  forme  trop  de  portée. 

1.  C'est  sans  doute  aussi  de  cette  manière  qu'il  faut  voir  l'équivalent  du 
catalan  tj,  pat.  des  Gris,  tg,  dans  th  que  Diez  considère  comme  une  inter- 
version de  ht. 

2.  A  propos  d'un  kya  qui  persiste  encore  aujourd'hui  dans  le  domaine 
français  je  me  permets  de  renvoyer  à  une  source  quelque  peu  étrangère  au 
linguiste.  Durand,  Les  origines  animales  de  l'homme  éclairées  par  la  physiologie  et 
l'anatomie,  Paris  1871,  dit  :  «  Cette  forme  de  transition  entre  la  prononciation 
CA  et  la  prononciation  CH  c'est  KJA  (kia)  :  généralement  disparu  et  ne  formant 
plus  de  bande  continue,  ce  type  intermédiaire  s'est  conservé  sur  quelques  points 
épars,  forts  rares  et  fort  restreints.  Il  m'a  été  signalé  dans  la  prononciation 
propre  à  un  faubourg  de  la  ville  de  Saint-P'Iour  habité  par  quelques  très-anciennes 
lamilles  de  bouchers  et  de  tanneurs  chez  qui  le  patois  local  se  transmettait  dans 
ses  formes  les  plus  archaïques  »  (p.  159). 


284  MÉLANGES 

J'ai  déjà  dit  plus  haut  que  de  ca  est  souvent  sorti  u\  mais  le  passage 
de  fl  à  e  ne  pourrait-il  pas  aussi  être  plus  ancien  que  celui  de  c  à  c  ?  cher  = 
ker  =  carum  ne  pourrait-il  pas  coïncider  avec  champ  =:campum,  comme 
dans  le  dialecte  de  l'Engadine  chdr-=.kdrz=conum  avec  champ  ou  comme 
en  français  même  échine  =  germ.  skina  avec  champ  ^  Les  deux  transfor- 
mations de  sons  e=a^  ca  =  ca  s'étaient  opérées  longtemps  avant  qu'on  en 
trouve  des  traces  dans  les  textes.  Aux  vu*'  et  vin"  siècles  on  écrit  toujours 
a,  jamais  e,  ainsi  dans  la  correspondance  satirique  de  Frodebert  et  d'Im- 
portun', dans  les  glosses  de  Cassel,  dans  celles  de  Reichenau;  et  même 
les  Serments  ne  connaissent  que  fradre,  salvar,  returnar,  Christian  et 
cadhuna,  cosa.  Toutefois  si  l'on  considère  attentivement  la  propagation 
géographique  des  deux  phénomènes  phoniques  on  se  sentira  porté  à 
admettre  qu'en  français  e=  a  n'est  pas  plus  ancien  que  ca:=ca.  Chose 
=  causa  montre  que  ca  est  plus  ancien  que  0  =  au,  et  l'orthographe 
témoigne  de  cette  transformation  bien  plus  tôt  que  de  celle  de  e  =  a;  elle 
se  trouve  non-seulement  dans  les  Serments,  mais  aussi  dans  les  glosses  de 
Reichenau  plus  anciennes  d'un  demi-siècle  au  moins  ^Diez,  Altrom.  gloss., 
p.  66),  tandis  que  les  glosses  de  Cassel  présentent  au  même  dans  les 
mots  tout  à  fait  romans  aucas,  auciun. 

Mais  ca  est  postérieur  à  ce,  ci.  Même  en  laissant  tout  à  fait  de  côté  le 
fait  que  ce,  ci  sont  communs  à  tout  le  domaine  roman  et  qu'on  en  trouve 
de  bonne  heure  des  exemples  dans  les  textes,  cette  postériorité  résulte 
de  la  comparaison  des  développements  historiques  de  ç  el  c  : 

c  :  —  ky,  ty,  tch,  ch. 
C  devant  a  et  c  devant  e,  i  se  développent  dès  le  principe  d'une  manière 
tout  à  fait  semblable;  si  le  changement  avait  commencé  dans  les  deux 
cas  à  la  même  époque,  il  n'aurait  pas  manqué  à  une  époque  quelconque 
d'atteindre  le  même  degré.  On  s'étonnera  de  ce  que  dans  le  premier 
développement  de  tch  soit  sorti  îs  et  non  ch  comme  dans  le  second. 
En  fait  cependant  nous  avons  ch  comme  forme  parallèle  de  ts  =  ç 
(comme  l'inverse  :  ts  à  côté  de  ch  =.  c]  et  nous  allons  tout  à  l'heure 
parler  de  ce  ch.  Cette  préférence  accordée  à  ts=zç  est  due  à  une  influence 
renouvelée  de  la  voyelle  palatale  suivante,  préférence  qui  ne  s'exerce 
plus  à  l'égard  de  tche  =  ce,  c'est-à-dire  à  une  époque  de  beaucoup 
postérieure. 

Il  existe  une  classe  de  mots  dans  lesquels  c  et  ç  ont  commencé  en 

I .  Dans  cet  intéressant  texte  se  présente  un  mot  roman  que  Boucherie  et  moi 
avons  méconnu.  V,  15,  humilc  facit  cjptadura  ne  signifie  pas  plus:  «  chatte 
méchiintc,  il  se  fait  humble  »  que  «  (7  fait  une  vile  capture  «,  mais  «  (7  fait  une 
figure  humble  «  (esp.  catadura  [et.  roum.  cautatura,  regard,  coup  d'œil  —  Réd.], 
mot  qui,  il  est  vrai,  n'a  pas  encore  été  trouvé  en  provençal  ni  en  français;  voy. 
Dkz  Et.  Wb.'l,  118). 


PHONÉTIQUE  française:  Iz,  nz  285 

même  temps  et  ont  eu  aussi  par  là  le  même  résultat.  Ce  sont  les  mots 
germaniques.  De  skina  est  venu  échine,  comme  de  skankjo,  échanson,  et 
comme  cet  échanson  concorde  à  son  tour  avec  échelle  =  scala,  nous 
pouvons  sans  doute  admettre  que  ca  =  ca  ne  s'est  produit  qu'après  les 
invasions  germaniques  mais  pas  beaucoup  plus  tard.  Dans  un  dialecte 
français  le  c  devant  a  ne  s'est  pas  changé  et  le  ç.  se  trouve  à  quelques 
degrés  en  arrière  [camp,  cherfi.  C'est  le  picard.  Mais  comme  ce  dialecte  a 
pris  part  au  changement  de  a  en  e,  ke  s'est  très-souvent  introduit  et  l'e  a 
encore  développé  ici  son  action  assimilatrice  :  picard  kien,  kier  =  canem, 
carum,  aujourd'hui  en  rouchi  tien,  lier.  Nous  voyons  ainsi  çe=.  ke  avoir 
trois  points  de  départ  chronologiques  et  donner  par  là  trois  résultats  :  i  ;  ce 
à  l'époque  romaine — se;  2]  ce  après  les  invasions  germaniques  —  che;  ^) 
ce  quelques  siècles  plus  tard  —  tie.  Je  ne  puis  donc  être  d'accord  avec 
M.  G.  Paris,  lorsqu'il  dit  {Alex.,  p.  79,  note  5)  :  «  Ce  n'est  pas  le  son 
chuintant  de  ch  qui  amène  1'/,  c'est  la  gutturale  comme  telle.  Le  picard, 
qui  remplace  le  ch  par  k,  qii,  n'en  insère  pas  moins  1'/:  cerkier,  pecjuié.  « 
Ce  qui  est  commun  à  toutes  ces  consonnes  qui  changent  sans  plus 
ou  sous  certaines  conditions  e  =  a  en  ie,  c'est  précisément  leur 
étroite  parenté  avec  /;  mais  comment  des  gutturales  pourraient-elles 
exercer  une  semblable  influence  ?  A  côté  de  cerch-ier  on  a  cerki-er  ' .  En 
picard  ce,  ci  avaient  le  même  son  que  che,  chi;  on  n'avait  pas  besoin  du 
signe  CH,  qui  s'est  cependant  peu  à  peu  introduit  du  sud  et  a  causé 
quelque  désordre  'comp.  A.  Tobler,  Li  dis  dou  vrai  aniel,  p.  xxi). 

III.  Lz,  nz. 

M.  G.  Paris,  Alex.,  pp.  99,  loi,  constate  le  fait  que  les  noms  qui  se 
terminent  par  une  /  mouillée  reçoivent  comme  signe  de  flexion  z  à  la 
place  de  1'^;  mais  je  tirerais  de  ce  fait  la  conclusion  opposée  à  celle  qu'il 
en  tire,  à  savoir  non  pas  que  le  z  marque  la  prononciation  mouillée  de  1'/, 
mais  qu'il  marque  bien  plutôt  la  suppression  du  mouillement. 

Z,  lorsque  la  finale  reste  invariable,  ne  prend  la  place  de  Vs  qu'après 
deux  consonnes,  /  et  n.  Nous  trouvons  ahanz  à  côté  d'ahans,  rniilz  à  côté 
de  mais.  La  cause  en  est  simple  :  Is,  ns  sont  phonétiquement  identiques 
à  nz,  lz;  la  langue,  en  se  portant  du  lieu  d'articulation  de  /  ou  de  //  à 
celui  de  s,  produit  une  dentale.  Mais  après  une  /  ou  une  n  mouillée  s 
n'a  plus  le  même  son  que  z.  Si  donc  l'on  trouve  écrit  z  après  une  /  ou 
une  n  primitivement  mouillée,  cela  prouve  que  ces  consonnes  ne  sont 
plus  mouillées.  Je  considère  amiralz,  orthographe  régulière  du  nom. 
sing.  à'amiraill  dans  k^Roland  d'Oxford,  comme  concordant  parfaite- 


I.  Ou,  si  l'on  veut  être  rigoureux  :   à  coté  de  caky-ur  =   caky-ar  :  cerky-cr 
=  cerk-er. 


286  MÉLANGES 

ment  avec  la  prononciation.  On  trouve  il  est  vrai  plus  souvent  devant 
!'/  Vi  qui  marque  le  mouillement  et  qui  semble  donc  être  en  contradiction 
directe  avec  le  -.  Mais  on  conserva  l'orthographe  habituelle  du  mot 
tel  qu'il  se  présentait  sans  signe  de  flexion,  et  l'on  préféra  mar- 
quer le  changement  de  prononciation  par  la  lettre  de  flexion.  Si  l'on 
avait  supprimé  1'/,  on  n'aurait  pas  eu  besoin  du  z  :  génois  ou  genoilz.  Si 
z  avait  possédé  la  fonction  que  lui  attribue  M.  G.  Paris,  il  n'aurait  été  néces- 
saire qu'après  un  petit  nombre  de  mots  (chez  lesquels,  du  reste,  comme 
dans  péril,  le  mouillement  n'est  pas  même  exprimé  dans  la  forme  sans  s); 
on  aurait  aussi  évité  d'écrire  fideilz  à  côté  de  fideils,  pour  le  séparer  de 
soleilz  et  d'autres  mots  analogues,  car  dans  fideilz  on  ne  peut  pas, 
comme  le  fait  M.  G.  Paris,  voir  une  /  mouillée.  Le  fait  que  lys  s'est 
réduit  à  /-5  est  naturel ,  les  sons  mouillés  demandant  à  être  placés  à  la 
finale  ou  devant  des  voyelles;  nous  avons  donc  aussi  /  =  ///  devant 
le  t  de  la  troisième  personne  du  subjonctif  de  la  première  conjugaison  : 
merveilt,  îravalt,  conselt  consent.  Les  formes  modernes  igenouUj — genoux, 
œil — yeux,  travail — travaux  renvoient  clairement  aux  formes  anciennes 
genoil — génois,  oil — ois,  travail — travals.  Ce  qui  est  vrai  pour  /  l'est 
aussi  pour  Vn  :  je  regarde  donc  compainz  par  ex.,  comme  identique 
à  compans ,  car  je  ne  pense  pas  que  ce  mot  ait  la  diphthongue  ai, 
comme  le  croit  M.  G.  Paris,  Romania,  II,  265,  note  5.  Il  existe, 
il  est  vrai,  des  mots  dans  lesquels  une  /  mouillée  suit  une  diphthongue 
avec  /  :  conseill  par  ex.,  qui  dans  le  Roland  assonne  en  ei,  se  prononce 
donc  conseily.  Mais  a-t-on  aussi  prononcé  compainy?  Si  le  scribe  du 
Roland  prononçait  compainy-s,  pourquoi  le  régulier  cumpaign  n'a-t-il 
qu'une  seule  fois  la  flexion  cumpaignz  et  vingt-quatre  fois  cumpainz? 

Janvier  18V4  H.  Schuchardt. 

II. 

REMARQUES  SUR  LE  VOCALISME   DES  SERMENTS 
DE  STRASBOURG. 

Avant  d'examiner  ces  textes  vénérables,  il  faut  considérer  ;  1°  Qu'au 
IX'  siècle  c'était  encore  une  chose  toute  nouvelle  que  d'écrire  en  langue 
vulgaire;  on  était  enchaîné  par  l'orthographe  traditionnelle  du  latin 
classique  et  par  l'orthographe  confuse  du  bas-latin,  et  on  ne  pouvait  pas 
arriver  tout  d'un  coup  à  des  notations  plus  précises  ;  2"  Qu'à  cette  époque 
l'état  phonétique  de  la  langue  d'oïl  était  moins  éloigné  du  type  franco- 
provençal  qu'au  xi"  siècle.  Plusieurs  sons,  plus  tard  décidément  déve- 
loppés sur  tout  le  domaine  du  nord,  ont  pu  être  encore  à  l'état  de 
germe. 


LE  VOCALISME  DES  SERMENTS  DE  STRASBOURG  287 

Nithard  avait  probablement  copié  les  Serments  sur  un  texte  écrit.  En 
tout  cas  le  scribe  du  ms.  renonce  ici  à  l'orthographe  régulière  qu'il  suit 
dans  le  texte  latin  :  tantôt  il  se  sert  de  notations  usuelles  en  bas-latin, 
tantôt  de  l'orthographe  latine  classique,  tantôt  enfin  il  suit  la  pronon- 
ciation du  temps. 

Partant  de  ces  points  de  vue,  je  vais  considérer  plus  spécialement  les 
notations  de  la  série  a-i  des  voyelles  accentuées  (cf.  Rom.,  1,318  ss.i  Je 
choisis  ce  groupe  de  sons  parce  qu'il  renferme  les  formes  du  texte  les 
plus  difficiles. 

I.   Notation  a. 

1.  Pour  les  cas  de  position  forte  ^  Karlus,  part,  il  n'est  pas  douteux 
que  a  n'ait  le  son  latin  encore  conservé  dans  Charles,  part. 

2.  Pour  les  a  hors  de  position  forte  :  salvar,  returnar,  fradre,  cela  me 
semble  au  contraire  fort  problématique,  surtout  quand  on  considère  les 
formes  de  la  cantilène  de  sainte  Eulahe,  texte  postérieur  d'un  demi- 
siècle  à  peine  :  spede,  presentede,  virginitet,  honestet,  getterent.  Faut-il  pro- 
noncer ici  spéde  comme  au  xi»  siècle  ?  et  même  dans  les  serments  salvér, 
frédre?  Mais  alors  le  scribe  aurait  certainement  choisi  la  notation  e.  Je 
suppose  que  le  son  de  a  était  modifié  dans  le  sens  de  t',  mais  pas  assez 
pour  être  noté  e.  Je  propose  donc  de  prononcer  dans  les  serments  un 
son  intermédiaire  entre  a  tl  è:  salvar,  fradre,  à  peu  près  comme  le  a 
bref  anglais  dans  hat,  back.  La  notation  £  aurait  été  la  plus  naturelle, 
mais  elle  était  à  peu  près  tombée  en  désuétude  :  £  était  devenu  e  qu'on 
confondait  avec  e.  Pareillement  en  ancien  anglais  on  se  servit  de  a 
après  que  le  £  anglo-saxon  fut  devenu  hors  d'usage;  cet^  =  4;'  est 
devenu  maintenant  é  long  [ê)  dans  les  syllabes  ouvertes,  mais  l'anglais 
retient  toujours  la  notation  a  :  haïe,  hake.  —  Dans  Eulalie  j'incline  à  pro- 
noncer spede  plutôt  que  spéde.  Quand  a  latin  est  devenu  é  en  français, 
nous  ne  le  savons  pas  au  juste,  mais  qu'il  soit  arrivé  à  é  d'un  saut,  ce 
serait  contre  la  nature  des  choses  :  il  faut  nécessairement  qu'il  ait  passé  par 
les  phases  intermédiaires.  On  peut  suivre  ces  mêmes  développements  à 
travers  les  dialectes  émiliens  :  pa/er  devient  en  plaisantin  pj:dar,  en  reggien 
pcder,  en  faentin  pédar;  dans  le  bolonais  on  prononce  pxder,  mais  on 
écrit  le  plus  souvent  pader  :  encore  une   analogie  avec  l'orthographe 


I.  Je  sais  que  M.  Ellis,  O.t  Early  Pronunciation,  croit  avoir  prouvé  qu'aux 
XIV-XVI'  siècles  on  prononçait  a  pur,  p.  ex.  nature  comme  nâtur,  mais  les  rimes 
et  les  témoignages  des  grammairiens  qu'apporte  M.  E.  ne  me  paraissent  pas 
concluants.  Et  même  si  M.  E.  a  raison,  \\i  pur  ne  serait  qu'un  développement 
partiel,  amené  probablement  par  l'influence  française  sur  la  prononciation  des 
hautes  classes.  Il  est  impossible  de  ne  pas  voir  la  continuité  de  Vu  bret  anglo- 
saxon  avec  le  é  (écrit  a)  anglais.  Déjà  dans  l'ancienne  langue  à  était  rare  :  on 
disait  bac  (angl.  back),  bœccrc  (a  baker)  mais  bacan  (to  bake).  Le  son.ra  fini  par 
prévaloir  :  bacan  est  devenu  btekcn  (écrit  bakcn),  puis  bëk  (écrit  bakc). 


288  MÉLANGES 

des  serments.  —  Mais  alors  comment  se  distinguait,  dans  Eulalie, 
(=  j  lat.  de  e  ■-=  c  lat.?  Par  la  seule  position  du  dernier  cas,  il 
est  plus  probable  que  le  premier  e  a  été  moins  ouvert  que  le  second 
sans  cesser  d'être  ouvert,  à  peu  près  comme,  dans  le  faentin,  ê  '«■  suono 
stretto  ))i  =  a  latin  est  plus  fermé  que  é  («  suono  semiaperto  »)  =  e 
latin,  sans  être  Ve  le  plus  fermé  du  dialecte,  voy.  Mussafia  Rmg.  g  14 
ss.  —  Cependant  déjà  Saint  Léger  semble  avoir  constamment  é  et  non  c, 
voy.  Rom.  I,  279.  Pourrait-on  ici  supposer  deux  nuances  du  son  ouvert? 
et  pourrait-on  voir  une  trace  d'une  prononciation  plus  ouverte  dans  l'as- 
sonance irrégulière  cruels:  crever  s\t.  26?  [Rom.,  I,  279  cf.  demanded: 
envers  Passion  str.  35. 

Dans  xpïan  on  a  également  conservé  l'orthographe  traditionnelle  = 
Christian,  mais  on  prononçait  probablement  crestian  'crestiain?' ,  ou  cres- 
tiian,  cf.  xpiien  Eul.  14.  —  La  forme   sjanit  m'est  obscure. 

Notation  e. 

1 .  Le  son  é  est  probable  dans  eo  à  côté  de  io  (et  dans  deus,  deo,  écrit 
d^s,  dô\. 

2.  Le  son  l  dans  la  position  forte  :  conservât,  sagrament,  sendra.  Quant 
au  dernier  mot,  je  ne  comprends  pas  qu'il  ait  pu  devenir  plus  tard  sire. 
M.  Diez  l'explique  par  l'analogie  de  térin,  tarin,  dont  la  dérivation  du 
picard  tere=  tendre  semble  elle-même  douteuse.  Et  si  sire  est  picard, 
comment  a-t-il  pu  supplanter  d'emblée  les  autres  formes?  Il  me  semble 
qu'il  faut  voir  ici  deux  formes  indépendantes  l'une  de  l'autre.  Sendra, 
c'est-à-dire  sendre  est  identique  au  prov.  sénher,  au  roumanche  sénger 
(Ascoli,  p.  25,  47).  Dans  sire  au  contraire  je  suppose  le  produit  d'une 
forme  'se'ior  ['se're)  avec  l'élision  de  n  qui  n'est  pas  douteuse  dans  sieur 
en  ital.  fam.  et  dans  les  dialectes  sior,  sor.  Cet  allégement  anormal  de 
la  forme  a  été  amené  par  la  proclise  du  titre  devant  les  noms,  laquelle 
a  produit  aussi  les  abréviations  prov.  En,  Na,  esp.  Ustéd,  Usla,  etc., 
sire  de  se'ior  comme  pire  de  pejor,  roumanche  p/r,  pijr  'Ascoli,  37);  y 
disparu  comme  dans  aiie,  aiudlia,  Diez,  Sprachd.,  8  '. 

lU.  Notation  /. 

1.  Le  son  i  est  figuré  dans  di  (dies),  //(illi),  etc. 

2.  Dans  savir,  podir,  on  pourrait  voir  un  changement  flexionnel  comme 
dans  fleurir  de  florëre,  etc.  Cependant  comme  ces  deux  verbes  (et  beau- 
coup d'autres)  n'offrent  nulle  part  en  français  la  forme  -ir  ^Diez,  Sprachd., 
8),  il  sera  permis  de  prononcer  savér,  podér,  suivant  l'usage  du  moyen- 
âge,  fréquent  surtout  dans  les  chartes  franques,  de  noter  par  i  le  son 
é,  voy.  Schuchardt,  I,  226  ss.  Quand  même  on  trouverait  savir,  poir 

I.  [Voy.  une  explication  analogue,  Romania^  II,  p.  311.  —  Red.} 


LE  VOCALISME  DES  SERMENTS  DE  STRASBOURG  289 

dans  !e  picard  du  xiii''  siècle,  ce  ne  serait  pas  une  raison  pour  accep- 
ter ces  formes  dans  les  Serments,  texte  dont  le  caractère  général  s'ac- 
corde avec  le  français  proprement  dit.  Dans  savér  la  voyelle  est  encore 
à  l'état  roman,  cf.  prov.  esp.  sabér,  it.  sapére.  Il  est  possible  aussi 
qu'un  faible  son  d'/  ait  commencé  à  se  faire  entendre  après  é  :  saveur, 
précisément  comme  dans  le  roumanche  plazer,  c'est-à-dire  plajér  «  on 
entend  pour  ainsi  dire  en  germe  la  diphthongue  ei  »  Asc.  242.  En  tout 
cas  dans  les  Serments  ce  son  se  distinguait  encore  de  ei  ' dan&  dreit] ,  diph- 
thongue franco-provençale  et  partant  plus  ancienne,  à  laquelle  il  fut 
bientôt  après  assimilé,  cf.  concreidre,  Eul.  2 1 .  Au  savir  des  Serments  il 
faut  comparer  le  savier  de  Saint  Léger  {Rom.,  I,  283),  où  le  scribe  a 
peut-être  voulu  exprimer  par  ie  un  son  intermédiaire  entre  é  et  ei.  Pour 
l'existence  d'un  tel  son  comp.  encore  à  l'anglais  â  prononcé  é'.  Je  pro- 
nonce de  même  sit  comme  sét  {sé'î},  qui  est  devenu  plus  tard  seit. 

3.  Dans  int  je  vois  l'orthographe  latine  et  je  prononce  ent,  forme 
qui  se  trouve  dans  Eulalie;  cf.  in  (dans  in  avant]  que  le  scribe  avait 
d'abord  écrit  en  conformément  à  la  prononciation;  puis  il  lui  a  substitué 
la  forme  latine  conservée  partout  ailleurs  in  se  trouve  six  fois).  Cette 
correction  de  la  main  du  scribe  est  un  précieux  témoignage  de  la  pro- 
nonciation du  temps.  —  De  même  il  faut  probablement  prononcer  ist, 
cist^  (cas  régime)  comme  est,  cest.  Au  xi"  siècle  cet  e  était  ouvert: 
l'était-il  déjà  au  ix*^  ?  L'orthographe  int,  in  (en),  ist,  cist  semble  indi- 
quer un  son  fermé,  é  ou  /.^  Ainsi  on  distinguerait  encore  /  lat.  de  e  dans 
la  position,  comme  en  italien  on  dit  quésio  et  non  qucsto.  Mais  dans  prindrai 
de  "prindre  c'est  le  son  è  qui  doit  être  exprimé  (ital.  prèndere).  —  Pour 
dist  je  suppose  la  prononciation  indiquée  par  l'orthographe,  mais  je  ne 
puis  accepter  la  dérivation  de  débet  donnée  par  Diez,  Gramm.i,  235, 
Sprachd.  9.  Prust  iprobet),  cité  à  l'appui,  est  bien  postérieur;  dans 
rist  (ridet)  et  Ust  (legit)  s  est  d'une  origine  différente.  Dans  dist  je  vois  le 
latin  dëcet^,  conservé  comme  mot  populaire  dans  le  roumanche  descha 
Asc.  15,  et  dans  les  dialectes  italiens  (Rom.,  II,  117);  en  ancien  ital.: 


i.  Peut-être  quand  c  =  a  est  devenu  è,  c  =  i  lat.  est  devenu  ci.  Dans  ce  cas 
il  faudrait  prononcer  spéde  déjà  dans  Eulalie. 

2.  Pour  le  nomirfatif  je  conserve  naturellement  la  prononciation  cist.  J'explique 
avec  M.  Mussafia  (cité  par  Diez,  Gram.  11^  1021  cist  au  nom.  pi.  par  *cisti,  cil 
de  *cilli;  l'existence  de  cet  i  final  se  prouve  directement  par  /('  (nom.  plur.  de 
l'article),  cf.  tuit  de  tutti  {Gloss.  Cass.),  tui  Alex.  85  b,  Jui  ibid.  9  d.  Dans  les 
pronoms  le  nom.  sing.  masc.  suit  ordinairement  l'analogie  du  nom.  plur.,  c'est 
pourquoi  on  a  cist,  cil  aux  nominatifs  des  deux  nombres.  De  i7  (pron.  pers., 
nom.  sing.  masc.)  et  de  li  (article,  même  cas)  on  peut  reconstruire  un  ancien 
*illi,  qu'il  faut  comparer  à  l'italien  égli,  quégli,  anc.  esp.  clli,  anc.  port,  cli, 
voy.  Diez,  Gram.  IP  83. 

3.  J'apprends  que  M.  G.  Paris  a  bien  avant  moi  expliqué  dist  par  dccet  dans 
son  cours  de  la  Sorbonne. 

Romania,  III  1 9 


290  MÉLANGES 

non  dece  spada  a  femmina   fra  Jacoponci.  Dist  de  decet  comme  diz  ''dix) 

de  decem,  cf.  i^ist  de  jacet  par  l'intermédiaire  de  ^ésir.  Il  est  vrai  qu'on  ne 

retrouve  point  ce  dist  =  decet]  mais  à  cette  époque  bon  nombre  de  mots 

vivaient  encore  qui  ont  disparu  de  l'usage.  Je  prononce  cjuid  comme  qued. 

Cette  forme  se  trouve  devant  les  voyelles,  que  devant  les  consonnes  :  in 

0  quid  //  mi  altrcsi  fazel ,  =  sagrament  que  son  fradre  karlo  jurât  cf.  anc. 

ital.  ched  è,  encore  p.  ex.  dans  le  dialecte  romain  (Belli,  Sonnetti,  p.  68|. 

Ces  formes  avec  l'ital.  ché,  l'espagnol  que,  prouvent  qu'il  faut  dériver  le 

français  que  (relatif  et  conjonctioni  de  quid  et  non  de  quod  [d.  G.  Paris, 

Alexis,  p.  97,  I  17,). 

J.  Storm. 

III. 

LES   ASSONANCES  DU  ROLAND. 

M.  G.  Paris  a  donné  ici  (II,  265-4^  un  tableau  des  assonances  du 
Roland  d'après  l'édition  Bœhmer.  Dans  ce  tableau  se  sont  glissées 
diverses  erreurs  et  omissions  qu'il  est  utile  de  corriger.  La  meilleure 
façon  de  le  faire  m'a  paru  être  de  publier  le  tableau  rectificatif  suivant, 
qui  a  été  dressé  à  l'occasion  d'un  travail  de  la  conférence  des  langues 
romanes  à  l'Ecole  des  hautes  Etudes,  et  qui  a  été  contrôlé  par  M.  Paris. 

a  57.  71.  87.  95.    155.  1 58.  2:58.     a.  e  I  ^  20.  28.  52.  58.  60.  86^. 
247. 


an  19.  22.  24.  30.  42.  47.  63 
69.  76.  85.  90.  100.  109.  112 
121.  123.  128.  1 33.  137.  143 
164.  173.  179-  183.  191.  195 
201 .  216.  219.  225.  229.  239 
242.  250.  253.  289. 

en  confondu  avec  an. 

é  5.   9.  M.  27.   33.  40.    54.  72 
81.  84.  91.  146.  148.  1 59.  163 
178.  182,  188.  198.  203.  21 1. 
227.  284. 

ié  3.  8.  18.  26.  36.  41.  51.  59. 
64.  89.  102.  114.  126.  131. 
140.  I  $3.  160.  162.  176.  180. 
184.  192.  199.  280.  282. 


96.  104. 

12^.     129. 

147. 

■.68. 

202.   213. 

218.    226. 

246. 

248. 

251.   279. 

281.    287. 

.     an.  e  i.  67. 

73.  86a. 

138. 

171. 

207.  224. 

261.  267. 

290. 

en.  e    108. 

120.   134. 

215. 

259. 

273.  285. 

■     é.  e    34.  55 

.  106.  1 1  I 

197. 

2^- 

257.  268. 

ié.  e  217.  243. 


è46.  107.  167.  232.  269.  277. 


99. 


118. 


e   4.  25.  53.  6j.  75 

127.  1 56.  166.  181.  189.  208 

221.  236.  244.  270. 


LES  ASSONANCES  DU  Roland  291 

ei  6    38.  43.  79.  196.  235.  245.     ei.  e  78. 

249.  256.  271.  274.  283. 
i  10.   12.  31.  35.  49.  88.  94.  loi .     -i.  e    7.  14.  21.    37.   39.  44,   56. 

139.  150.  152.  157.  17$.  205.         77.  122.  124.   130.   142.   172. 

212.  230.  240.  2')2.  2-]6.  187.  194.  209.  222.  241.  254. 

265.  291. 
6  45.  83.  92.  116.  13$.  144.  169.     ô.  e  119. 

210.  231. 
oe  23.  262. 
6   15.  17.  32.  48.  61.  66.  68.  70.     ô.  e    2.  29.  50.  74.  98.  113.  132. 

80.  93.  97.  10$.  1 10.  1 1 5.  1 36.  149.  186.  190.  214.  223.  233. 

141.  161.  165.   177.  185.  193.         255,  258.  263. 

204.  206.  220.  228.  234.  266. 

272.  275. 
u    16.  62.   82.    117.    145.    151.     u.  e  103.  170.  264. 

154.  174.  200.  260.  286.  288. 


Gaston  Raynaud. 


IV. 


FRAMMENTO 

Dl    UNA    RaCCOLTA    DI    FaVOLE    IN    PROVENZALE. 

Al  codice  magliabechiano  Cl.  VII,  103  5,  che  contiene  l'unico  esem- 
plare  compiuto  del  poemetto  Pintelligenza,  vanne  uniti  alcuni  brani  di 
altri  manoscritti  periti  0  dispersi.  Ultime  di  tutti  è  un  foglietto  membra- 
naceo,  in  cui  si  legge  il  frammento  che  qui  mi  faccio  a  pubblicare.  La 
scrittura  è  accurata  ;  le  iniziali  dei  versi  sono  attraversate  per  erdinario 
da  una  linea  rossa,  miniate  là  dove  cade  una  divisione  d'importanza. 
Striscie  rosse  serpeggianti  tolgono  il  vano  che  resterebbe  in  ogni  riga 
dopo  la  scrittura;  solo  la  parte  inferiere  del  r"  (  <)  versi  i  manca  di 
questo  complemento.  Il  v"  è  ornato  di  una  miniatura;  essa  rappresenta 
un  uemo  a  cavallo  ad  un  mulo  ed  è  preposta  alla  narrazione  corrispon- 
dente.  în  cape  al  r"  si  vede  a  meta  délia  larghezza  il  numéro  xxx,  dello 
stesso  carattere  che  s'ha  nel  reste;  il  feglio  era  dunque  trentesimo  nel 
codice  originarie. 

Questo  pevero  avanzo  apparteneva  ad  una  raccolta  di  favole  ridolte 
in  versi  provenzali.  Esso  ci  dà  la  fine  délia  favola  notissima  del  corvo 
che  si  riveste  délie  penne  del  pavone,  colla  rispettiva  morale  ;  poi  il 
principie  di  un  altra  mené  nota,  che  sarebbe  da  intitolare  la  mosca  c  la 
inula.  Che  i  ventinove  fogli  che  precedevano  al  nestro  spettassero  tutti 
alla  medesima  opéra,  nessuno  potrebbe  asserire  con  certezza  ;  ma  non  è 
improbabile;  e  in  tal  case  la  parte  anteriore  al  frammento  doveva  contare, 
se  si  tien  calcolo  dello  spazio  occupato  presumibilmente  dalle  miniature, 


292  MÉLANGES 

più  che  milledugento  versi.  Si  aggiunga  quanto  si  è  perdulo  dal  frammento 
in  avanti,  e  sarà  da  conchiudere  che  questi  42  versi,  scampati  soli  alla 
rovina,  stanno  probabilmente  a  rappresentarci  un  testo  di  mole  conside- 
revole.  Condizioni  infelici  délia  letteratura  provençale  !  dappertutto 
lacune,  dappertutto  macerie!  E  ancora  ci  dobbiamo  stimare  fortunati 
quando  se  non  altro  ci  riesce  di  mettere  allô  scoperto  qualche  rudero, 
che  almeno  attesti  l'esistenza  dell'  edificio,  se  anche  non  ci  da  modo  di 
ricostruircelo  in  qualche  maniera  nella  mente  '. 


I .  [La  découverte  de  M.  Rajna  est  d'autant  plus  intéressante  que  le  genre 
de  la  table  ésopique,  si  riche  dans  l'ancienne  Httérature  française,  n'était  jusqu'ici 
représenté  par  aucun  texte  provençal.  Cependant  on  pouvait  être  assuré  a  priori 
qu'il  n'avait  pas  été  inconnu  à  la  langue  d'oc.  Il  y  a  dans  les  Le)s  d'amors  (III, 
256)  deux  vers  qui  semblent  être  le  début  d'une  fable  : 

La  volps  ei  lops  si  son  trobat, 
E  portan  se  gran  amistat. 

Ailleurs,  traitant  de  la  prosopopée,  les  Leys  s'expriment  ainsi  (III,  ji6): 
u  D'aquestas  figuras  uzec  aquel  que  fe  \'I:op  el  Tandord,  quar  fenhic  que  las 
bestias,  et  autras  causas  a  las  quais  naturalment  non  es  donatz  parlars,  parlesso 
entre  lor.  >>  Nous  ne  savons  ce  que  signifie  Tandord,  mais  on  voit  qu'il  s'agit 
évidemment  d'un  recueil  de  fables,  peut-être  de  celui-là  même  dont  M.  Rajna 
vient  de  retrouver  un  fragment. 

Le  recueil  dont  ce  fragment  nous  est  seul  parvenu  devait  contenir,  d'après 
l'estimation  de  M.  Rajna,  environ  1200  vers  avant  la  page  sauvée.  C'est  à  peu 
près  ce  qu'il  en  faut  pour  représenter  les  34  premières  fables  de  l'Anonyme  de 
Névelet  (à  55  vers  en  moyenne  par  fable).  C'est  en  effet  ce  recueil ,  si  populaire 
au  moyen-âge  sous  le  nom  A'Acsopus  ou  plutôt  Ysopus,  qui  paraît  avoir  été 
traduit  en  provençal,  comme  il  l'a  été  en  français,  en  italien,  en  allemand,  etc. 
On  sait  que  V  Ysopus,  composé  au  XII"  siècle  (voy.  Oesterley,  Romuliis,  p.  xxiv), 
est  la  paraphrase  en  vers  elégiaques  des  trois  premiers  livres  de  Romulus.  Dans 
VYsopus  comme  dans  Romulus  les  deux  fables  dont  nous  avons  ici  des  fragments 
se  suivent  immédiatement  (Romulus,  II,  16  et  17;  Ysop.  35  et  36),  et  on 
pourrait  par  conséquent  vouloir  rapporter  l'imitation  provençale  directement  à 
Romulus.  Mais  les  modifications  assez  importantes  faites  par  l'auteur  des  fables 
elégiaques  à  son  original  se  retrouvent  ici.  Dans  Romulus,  par  exemple,  comme 
dans  Phèdre  (I,  3),  ce  sont  plusieurs  paons  qui  dépouillent  le  malencontreux 
oiseau  paré  de  leurs  plumes  :  ici,  comme  dans  Ysopus,  il  ne  s'agit  que  d'un 
seul  paon. —  Dans  la  seconde  fable,  nous  voyons  dans  Romulus  et  dans  Phèdre 
(III,  6)  la  mouche  se  poser  sur  le  timon  et  menacer  la  mule,  tandis  que  dans 
Ysopus,  comme  ici,  elle  la  pique  dès  l'abord. 

Les  deux  fables  dont  nous  devons  ces  fragments  à  M.  Rajna  répondent  donc 
aux  fables  35  et  36  d'Ysopus,  de  Graculo  d  Pavonc,  et  de  Musca  et  Mulione.  Il 
ne  faut  pas  s'étonner  de  voir  un  corp  dans  la  première  fable  au  lieu  d'un  geai. 
Plusieurs  traductions  de  cette  fable,  par  exemple  la  française  (Robert,  I,  251)  et 
l'italienne  [Volgarïzzamento  di  Galjredo,  éd.  Ghivizzani,  Bologna  1866,  p.  87), 
rendent  ainsi  le  graculus  du  latin,  et  ce  n'est  pas  précisément  un  contre-sens, 
puisque  le  fr.  grôle  vient  de  gracula.  Ce  serait  une  erreur  de  vouloir  pour 
'"  cela    rapporter  cette  fable  à  la  version  oij    figure  une  corneille,  version  sensible- 

ment différente,  que  nous  avons  dans  l'Esope  grec,  à  laquelle  Horace  fait  allusion 
dans  des  vers  connus  {Epp.  I,  m,  18-19),  et  qui  se  retrouve  fréquemment  aussi 
au  moyen-âge,  p.  ex.  dans  la  37'  des  Narrationts  d'Eude  de  Cerington  [Jahrb., 
IX,  149;  cf.  Oesterley  sur  Kirchhof,  VII,  52).  —  Rèd.] 


FRAMMENTI    DI    FAVOLE    PROVENZALI  295 

«  Et  aitant  quant  vos  n'aves  fag 
Compreres  o  car  atresag.  » 
E  va  li  tolre  mantenent 
La  pluma  e  lo  vestiment, 
5   El  corp  remas  aqui  tôt  nus, 
Fort  menassat  e  fort  batutz. 
Ab  tant  venon  per  lo  boscatge 
Ganren  de  corbs  de  son  lignage  ; 
Viron  lo  despul[l]at  e  nut  ; 
10  E  l'uns,  que  saup  con  es  agut^ 

Dis  li  :  «  Nous  quai  aver  vergoigna  :         (ms.  non  vos) 
))  Fols  es  qui  de  sos  pars  si  lueigna, 
»  Ni  vol  mudar  per  bella  pluma 
»  Son  usage  ni  sa  costuma. 
1 5   »  Mas  con  que  aias  faig  vostr'  afar, 
))  Nos  nous  podem  desamparar.  » 

Lo  proverbi  fag  per  semblant 
Dis  e  mostra  per  azenant, 
Que  neguns  homs  de  bas  afar 
20  Non  deuria  trop  aut  puiar. 
Ni  penre  luec  que  non  1'  escas, 
C'om  dis  :  qui  aut  pueia  bas  cas. 
Ben  es  doncs  fols  qui  vol  aver 
Mais  d'onor  e  mais  de  poder 
2  5  Que  non  li  porta  sa  natura 
Ni  [non]  li  consent  sa  ventura  : 
Ben  es  doncs  razons  que  mescap 
Aquo  pauc  que  dir  ni  far  sap.  (m5.  saup) 

E  cel  que  nos  ten  per  pagat 
30  Del  don  que  Dieu  li  a  donat, 
Lo  deu  ben  perdre  per  razon 


Si  con  lo  corp  fes,  que  perdet 
Las  plumas  qu'ai  paon  emblet. 

3  5  Uns  mulatiers  .j.  vegada 
Menava  corrent  per  l'estrada 
Una  mula  que  destregnia 
Tant  fort  que  esteigner  la  volia. 
El  mosca  vi  la  mula  corre 

40  E  venc  al  mulatier  acorre, 
Mot  fort  menassant  he  brugent, 


(ms.  qi) 


294  MÉLANGES 

R  trais  son  agullon  pognent, 
F,  pois  fort  la  mula  detras. 


Pic  Rajna. 


LES  JOURS   D'EMPRUNT. 

Fr.  Mistral  fait  allusion  dans  Mireille  '  à  une  croyance  populaire  qu'il 
fait  connaître  dans  les  termes  suivants  : 

Les  paysans  du  Midi  ont  remarqué  que  les  trois  derniers  jours  de  février  et 
les  trois  premiers  de  mars  amènent  presque  toujours  une  recrudescence  de  froid, 
et  voici  comme  leur  imagination  poétique  explique  cela  : 

Une  vieille  gardait  une  fois  ses  brebis.  C'était  à  la  fm  du  mois  de  lévrier,  qui, 
cette  année  là,   n'avait  pas  été  rigoureux.  La  Vieille,  se  croyant  échappée  à 
l'hiver,  se  permit  de  narguer  Février  de  la  manière  suivante  : 
Adieu,  Febriê  !  'mé  ta  fcbrerado 
M'as  fait  ni  phi  ni  pdado  ! 
«  Adieu,  F'évrier  !  Avec  ta  gelée  tu  ne  m'as  fait  ni  peau  ni  pelée  !  « 
La  raillerie  de  la  Vieille  courrouce  Février,  qui  va  trouver  Mars  :  «   Mars  ! 
»  rends-moi  un  service!  —  Deux,  s'il  le  faut!   »  répond  l'obligeant  voisin.  — 
«  Prête-moi  trois  jours,  et  trois  que  j'en  ai,  je  lui  ferai  peaux  et  pelées  !  » 
Prcsto-me  lèii  très  jour,  et  très  que  n'ai, 
Peu  e  pelado  ie  farai. 
Aussitôt  se  leva  un  temps  affreux  :  le  verglas  tua  l'herbe  des  champs  ;  toutes 
les  brebis  de  la  Vieille  moururent,  et  la  Vieille,  disent  les  paysans,  regimbait, 
reguignavo.  Depuis  lors,  cette  période  tempétueuse  porte  le  nom  de  Reguignado 
de  ta  Viéio,  ruade  de  la  Vieille.  (Notes  du  ch.  VI.) 

Quand  la  Vieille  eut  perdu  son  troupeau  de  brebis^  elle  acheta  des  vaches  ;  et 
arrivée  sans  encombre  à  la  fin  du  mois  de  mars,  elle  dit  imprudemment  : 
En  cscapant  de  Mars  e  de  Marseu 
Ai  escapa  mi  vaco  e  mi  vedeu. 
Mars,  blessé  du  propos,  va  sur-le-champ  trouver  Avril  : 

Abrieuj  n'ai  plus  ijue  très  jour  :  presto-me  n'en  quatre, 
Li  vaco  de  la  Viéio  faren  batre  ! 
Avril  consentit  au  prêt...  ;  une  tardive  et  terrible  gelée  brouït  toute  végéta- 
tion, et  la  pauvre  Vieille  perdit  encore  son  troupeau.  {Notes  du  ch.  VII.) 

Par  suite,  les  trois  derniers  jours  de  mars  et  les  quatre  premiers  d'avril 
sont  appelés  «  les  jours  de  la  Vache,  «  li  Vaqueiriéu.  J'ignore  si  ce  récit 
populaire  a  été  l'objet  d'aucune  recherche.  Je  laisse  aux  savants  le  soin 

I .  Eiça  quand  la  Vièio  encagnado 

Mando  à  Febrié  sa  reguignado. 

(Ch.  VI  ;  3«  édit.,  p.  244.) 
E  li  jour  nègre  de  la  Vaco. 

(Ch.  VII;  p.  288.) 


LES   JOURS    d'emprunt  295 

de  déterminer  sa  valeur  mythologique,  et  je  me  contente  de  réunir  ici 
les  versions  diverses  que  le  hasard  de  mes  lectures  m'a  fait  rencontrer. 
Tout  d'abord  je  donnerai  place  à  un  récit  que  je  n'ai  point  trouvé  par 
hasard,  mais  qui  m'a  été  envoyé  par  notre  collaborateur  M.  Cornu.  Voici 
ce  que  m'écrit  M.  Cornu  à  la  date  du  25  février  dernier  : 

u  ...  Je  viens  de  trouver  à  Montbovon  (Fribourg)  la  superstition  dont  vous  me 
parlez.  J'ai  lu  à  mon  retour  de  la  Gruyère  les  passages  de  Mireio  que  vous 
m'avez  indiqués,  et,  si  j'ai  bonne  souvenance,  ma  version  renferme  quelques 
divergences.  La  voici  comme  je  l'ai  entendue  de  la  bouche  des  paysans. 

Lei  y  avey  una  vîlië  që  11  eçey  a  non  Rùlldn.  Ll  avey  una  txîvra  e  on 
tsëvry.  Ll  eçey  û  mey  de  ma.  La  vîllë  n'avey  ren  mê  de  fen.  Fajey  bî 
ten  :  l'erba  crexey.  La  vîllë  11  a  de  û  mey  de  ma  :  «  A  !  A  !  Ma,  ma 
»  txîvra  e  mon  tsëvri  xon  envernâ  !  »  Ma  ley  rexpôn  : 

Trë  dza  de  ma  e  trë  dza  d'avri 
Faran  creva  ta  txîvra  e  ton  tsëvri. 

Xù  xen  Uë  vûnù  le  pë  ten  e  la  ney  që  la  pûra  ville  lei  y  a  fallu  alâ 
per  le  bû  tsertxî  dû  de  e  dû  tëri  por  pûyey  xôvâ  xa  txîvra  e  xon  tsëvri  ' . 

Quand  le  printemps  est  mauvais,  et  qu'il  y  a  disette  de  loin,  on  dit  prover- 
bialement :  Le  dza  a  la  vîllë  xon  pd  oncô  paxd  (les  jours  de  la  vieille  ne  sont  pas 
encore  passés).  » 

En  Provence,  d'après  le  récit  que  nous  a  fourni  l'auteur  de  Mireille 
la  mésaventure  de  la  vieille  se  reproduit  deux  fois,  en  mars  et  en  avril.  Ici 
elle  n'a  lieu  qu'une  fois.  Pour  le  reste  le  fonds  est  le  même.  Même  fonds 
encore  dans  la  rédaction  andalouse  que  j'emprunte  aux  Cuentos  y  poesias 
populares  andaliices  de  Fernan  Caballero  ^  ;  seulement  l'histoire  a  été  un 
peu  dramatisée  :  c'est  un  pâtre  et  non  plus  une  vieille  ;  et  comme  les 
troupeaux  jouent  un  rôle  dans  le  récit,  cette  substitution  a  dû  se  pré- 
senter naturellement.  Puis  ce  pâtre  avait  promis  un  agneau  [horrego]  à 
Mars,  et  c'est  pour  le  punir  d'avoir  manqué  à  sa  promesse,  que  Mars 
emprunte  quatre  jours  à  Avril   Tout  cela  paraît  asser.  arrangé. 

Un   pastor  le  dijo  a  Marzo  que  si  se  portaba  bien,  le  regalaria  un  borrego. 

i.  Traduction  :  Il  y  avait  une  fois  une  vieille  femme  qui  s'appelait  Rullion. 
Elle  avait  une  chèvre  et  un  chevreau.  C'était  au  mois  de  Mars.  La  vieille  n'avait 
plus  de  foin.  Il  faisait  beau  temps  :  l'herbe  croissait.  Elle  a  dit  au  mois  de  Mars  : 
«  Ah  !  ah  !  Mars,  ma  chèvre  et  mon  chevreau  n'ont  plus  à  craindre  l'hiver.  » 
Mars  lui  répond  :  «  Trois  jours  de  mars  et  trois  jours  d'avril  feront  crever  ta 
chèvre  et  ton  chevreau.  »  Là-dessus  est  venu  le  mauvais  temps  et  la  neige,  de 
façon  que  la  pauvre  vieille  a  dû  aller  par  les  bois  chercher  des  branches  de  sapin 
et  du  lierre,  afin  de  pouvoir  sauver  sa  chèvre  et  son  chevreau. 

2.  Le  même  récit  est  rapporté  par  le  baron  de  Reinsberg-Dùringsfeld  (mais  sans 
indication  de  provenance)  dans  son  opuscule  intitulé  :  Das  Wdtcr  in  Spriclurort 
(Leipzig,  1864)  p.  97. 


296  MÉLANGES 

Marzo  le  prometiô  hacerlo,  y  cumpliô  portândose  grandemente.  Cuando  ya  se 
iba  saliendo,  le  pidiô  el  prometido  borrego  al  pastor  ;  pero  las  ovejasy  borregos 
estaban  tan  hermosos  que  el  pastor,  considerando  que  solo  quedaban  très  dias 
de  reinado  a  Marzo,  se  rechiflô  y  no  se  le  quiso  dar.  —  ^No  quieres  P  le  di|o 
Marzo,  pues  no  tengas  cuidado  : 

Con  très  dias  que  me  quedan 

Y  très  que  me  preste  mi  compadre  Abri!, 

He  de  poner  tus  ovejas  al  parir. 

E  hiz6  por  sels  dias  tan  crudo  temporal  de  agua  y  frio  que  se  murieron  todos 
los  borregos  y  las  ovejas  todas. 

Enfin,  notre  conte  a  trouvé  sa  route  jusqu'en  Ecosse.  J'en  trouve  la 
preuve  dans  un  ouvrage  peu  connu  sur  le  continent,  même  des  diplo- 
matistes,  à  qui  il  s'adresse  :  le  Medu<£vi  Kalendarium  de  Hampson  '.  T.  I, 
p.  210-1,  j'y  lis  ce  qui  suit  : 

Les  trois  derniers  jours  de  Mars  (ancien  style)  ont  été  appelés  jours  d'emprunt 
(Borrowing  Days  or  Borrowed  Days).  Comme  ils  sont  d'ordinaire  tempétueux, 
nos  ancêtres  crurent  trouver  l'explication  de  ce  fait,  en  supposant  que  Mars 
empruntait  à  Avril,  afin  d'allonger  son  règne  d'autant  : 

Mars  emprunta  à  Avril 

Trois  jours  et  ils  étaient  mauvais*. 

Les  gens  superstitieux  s'abstiennent  d'emprunter  ou  de  prêter  en  aucun  de 
ces  jours  ;  et  si  une  personne  voulait  leur  emprunter  à  cette  date,  ils  suppose- 
raient à  cette  personne  l'intention  d'employer  l'objet  emprunté  pour  quelque 
sortilège  contre  le  prêteur.  Le  D''  Jamieson  cite  à  ce  propos  ces  curieux  vers  : 

«  Mars  dit  à  Avril  :  —  je  vois  trois  agneaux  sur  une  hauteur  ;  —  mais  prê- 
»  tez-moi  vos  trois  premiers  jours,  —  et  je  m'engage  à  les  faire  mourir.  —  Le 
»  premier  jour  il  y  aura  vent  et  pluie  ;  —  le  second  jour,  neige  et  grésil  ;  —  le 
»  troisième  il  y  aura  une  telle  gelée,  —  que  les  oiseaux  en  seront  collés  aux 
I)  arbres.  —  Mais  quand  les  trois  jours  empruntés  furent  écoulés,  les  trois  stu- 
»  pides  agneaux  rentrèrent  à  la  maison  boiteux  ".  » 

1.  Voici  le  titre  complet:  Medii  avi  Kalendarium,  or  dates,  charters  and 
customs  of  the  Middle  Ages,  with  Kaletidars  from  the  tenth  to  the  fifteenth 
century,  and  an  alphabetical  digest  of  obsolète  names  of  days  :  forming  a  glos- 
sary  of  the  dates  of  the  Middle  Ages;  with  tables  and  other  aids  for  ascertaining 
dates.  By  R.  T.  Hampson.  London,  Henry  Kent  Causton.  S.  d.  [1841], 
2  vol.  in-8°. 

2.  Dans  le  texte,  deux  vers  écossais  : 

March  borrowit  fra  Averill 
Three  days,  and  they  were  ill. 
5.  Voici  le  texte  : 

March  said  to  Aperill  : 

I  see  three  hogs  upon  a  hill  ; 

But  lend  your  three  first  days  to  me, 

And  ni  be  bound  to  gar  them  die. 

The  first,  it  sali  be  wind  and  weet; 

The  next,  it  sali  be  snav/  and  sleet; 


LES   JOURS    d'emprunt  297 

Parmi  les  habitants  des  Highiands,  la  même  idée  des  jours  d'emprunt  est 
communément  admise,  avec  cette  différence  que  les  jours  sont  considérablement 
anti-dates.  Cfiez  eux  les  Faiolteach,  ou  trois  premiers  jours  de  février,  servent  à 
beaucoup  d'objets  pratiques.  On  dit  que  Février  les  emprunta  de  Janvier,  après 
l'avoir  corrompu  par  le  présent  de  trois  jeunes  moutons.  Ces  trois  jours,  selon 
le  calcul  des  Highiands,  prennent  place  entre  le  1 1  et  le  m  février,  et  on  con- 
sidère que  c'est  un  excellent  pronostic  pour  le  reste  de  l'année  s'ils  sont  aussi 
tempétueux  que  possible.  S'ils  sont  beaux,  on  n'espère  plus  aucun  beau  temps 
pendant  le  printemps*. 

P.   M. 

P.  S.  —  Ce  qui  précède  était  à  l'imprimerie,  lorsque  j'ai  eu  connais- 
sance d'une  récente  publication  anglaise  qui  a  beaucoup  d'analogie  avec 
l'ouvrage  de  M.  de  Reinsberg-Dûringsfeld  cité  ci-dessus  en  note.  Dans 
le  Handbook  of  Weather  Folk-Lpre  du  Rév.  C.  Sv^rainson  -  sont  rapportés 
quelques  uns  des  récits  dont  il  a  été  question  plus  haut,  à  savoir  ceux 
de  l'Ecosse  (p.  51  aux  12,  13,  14  Février,  et  p.  65  aux  29,  30, 
3 1  Mars),  et  celui  de  l'Andalousie,  qui  est  donné  d'après  M,  de  Reins- 
berg-Dûringsfeld. J'y  trouve  encore  ces  lignes  béarnaises  : 

Un  homme  riche  dit  le  30  mars  : 

Mars  et  Marsilloun  que  passât, 

Ni  braou  '  ni  baque  non  m'en  a  constat. 

Mars  dit  alors  à  Avril  : 

Abnou,  preste  m'en  un,  preste  m'en  dus,  preste  m'en  très;  e  un  qu'en  é  que  haran 
qnouate;  toutos  lac  haram  espernobate. 

M.  Swainson  attribue  ce  dicton  aux  Hautes-Pyrénées.  Il  le  fait  suivre 
d'une  traduction  française  dont  il  n'indique  pas  la  provenance,  et  qui  se 
termine  ainsi  :  «  Et  un  que  j'en  ai  ça  fera  quatre,  et  nous  mettrons  tout 
son  bétail  aux  abois.  )>  Je  soupçonne  que  le  dernier  mot  du  texte  est 
fautif. 

Enfin  je  trouve  encore  dans  le  même  recueil  (p.  ^4)  ce  dicton 
milanais  qui  peut  bien,  comme  le  suppose  M.  Swainson,  avoir  quelque 
rapport  avec  les  jours  d'emprunt  : 

Marx  l'a  comprà  el  tabar  a  sa  papa, 
E  dopo  tri  di  el  ghe  l'a  impegna. 

«  Mars  acheta  un  manteau  à  son  père,  et  trois  jours  après  le  mit  en  gage.  » 

The  third,  it  sali  be  sic  a  freeze, 
Sali  gar  the  birds  stick  to  the  trees. 
But  when  the  borrowed  days  were  gane, 
The  three  silly  hogs  came  hirplin  hame. 

1.  Grant,  Superstitions  of  the  Highlandcrs,  11,  217;  Jamieson,  Suppl.,  art. 
Borrowing  Days. 

2.  Swainson,  A  Handbook  of  Wcathcr  Folk-Lorc,  being  a  Collection  of  Pro- 
verbial Sayings  in  vanous  Languages,  relaling  to  the  Weather.  Edinburgh  and 
London,  Blackwood,  1875.  —  In-i2,x-275  p. 

3.  Taureau. 


CORRECTIONS 


LES  LETTRES  SATIRIQUES   DE  DIEGO   HURTADO 
DE  MENDOZA. 

Le  célèbre  ambassadeur  de  Charles-Quint,  l'auteur  de  la  Guerre  de 
Grenade  et  du  Lazarillo  de  Tormes,  a  écrit,  sous  le  pseudonyme  de  : 
El  bachiller  de  Arcadia,  deux  lettres  qui  peuvent  passer  pour  ce  que 
l'Espagne  a  produit  de  plus  heureux  dans  le  genre  de  la  satire  littéraire. 
L'auteur  s'adresse  à  Pedro  de  Salazar  et  persifle  un  commentaire  de  ce 
dernier  sur  la  déroute  que  Charles-Quint  fit  éprouver  aux  Saxons.  Les 
traducteurs  espagnols  de  Ticknor  (Ticknor-Julius,  II,  759)  ont  montré 
que  ce  commentaire  n'est  pas  la  Historia  de  la  guerra  que  Carlos  V... 
moviô  contra  las  principes  y  ciudades  reheldes  del  regno  de  Alemania,  im- 
primé à  Naples,  1 548,  f",  et  l'on  n'a  pas  retrouvé  jusqu'ici  le  livre  de 
Salazar  qui  a  été  le  but  des  railleries  de  Mendoza.  Mais  cela  n'empêche 
pas  de  goûter  la  satire  en  elle-même,  car  son  auteur  s'attaque  non  pas 
tant  à  la  personne  de  Salazar  qu'à  sa  manière  d'écrire  et  de  raconter 
qui  était  celle  de  beaucoup  d'écrivains  de  son  époque.  La  première  lettre 
de  Mendoza  a  été  publiée  :  1°  dans  le  tome  XXIV  du  Semanario  erudito 
de  1789;  2°  dans  la  Bibl.  de  aut.  esp.  de  Rivadeneyra,  t.  XXXVI,  par 
Adolfo  de  Castro;  5°  dans  la  Bib.  de  escrit.  granadinos,  t.  I.  Ces  trois 
éditions  proviennent  certainement  d'un  seul  ms.  M.  Mussafia  (Ueher  eine 
spanische  Handschrift  der  Wiener  Hofbibliotek,  Wien  1 867)  a  en  outre 
donné  quelques  variantes  à  ce  texte,  tirées  du  ms.  de  Vienne,  n'^'  ^,941 . 
Mais  une  œuvre  de  ce  genre,  dont  le  charme  réside  presque  autant  dans 
l'expression  que  dans  les  idées,  ne  saurait  être  vraiment  appréciée  que 
si  le  texte  en  est  parfaitement  correct  :  or,  il  reste  à  le  purger  de  cer- 
taines fautes  qui  le  déparent  ;  aussi  avons-nous  pensé  qu'il  ne  serait  pas 
sans  intérêt  de  donner  ici  les  variantes  les  plus  importantes  d'une  copie 
de  cette  lettre  contenue  dans  le  ms.  de  la  Bibl.  nat.  esp.,  258,  f"  235- 
249t.  Ce  ms.  d'une  belle  écriture  du  xviii*^  siècle  contient,  outre 
plusieurs  lettres  en  prose  de  Mendoza,  un  certain  nombre  de  poésies 
inédites  que  nous  publierons  prochainement.  Nous  comparons  le  ms.  de 


SUR  LES  LETTRES  SATIRIQUES  DE  MENDOZA  299 

Paris  (P)  au  texte  de  Adolfo  de  Castro  (C)  en  tenant   compte  des  va- 
riantes du  ms.  de  Vienne  (M). 

2.  C  lafama  recuerdo  gênerai  del  mundo  ha  llegado  a  esta  corte,  cargada 
de  las  victorias,  etc.  —  P  intercale  de  Roma  après  corte. 

].  C  y  pensando  (la  Renomée)  pasarlo  como  doblon  de  plomo,  vino  tam- 
bien  cargada  con  un  libro  vuestro,  etc.  —  P  v  pensando  pasallo  embuelto 
entre  ellas  (les  victoires)  como  doblon  de  plomo,  etc.,  ce  qui  est  beaucoup 
plus  clair. 

15.  C  se  lian  metido  (les  critiques)  igualmente  en  las  necedades  de  otros, 
hablando  con  perdon  de  vuestra  merced,  etc.  —  P  an  metido  la  lengua... 
y,  hablando  con  perdon,  en  las  de  Vm.  Il  faut  évidemment  en  las,  car 
sans  cela  Mendoza  n'aurait  pas  eu  à  s'excuser. 

91.  P  est  d'accord  avec  C  pour  ne  pas  donner  le  second  membre  de 
phrase  qui  se  trouve  dans  M  :  y  si  veia  lo  que  hacian  delante  à  viva 
fuerza,  etc. 

100.  El  Emperador  es  jiisto  principe  y  hombre  de  conciencia,  porqué  os 
habia  de  negar  un  espaldarazo,  etc.  —  P  après  conciencia  intercale  :  y  si 
dignus  est  mercenarius  mercede  sua. 

103.  P  mas  menester  avec  M  au  lieu  de  :  merecido  mas  que  donne  C. 

125.  Cuanto  mas  vos,  que,  demas  de  ser  quien  sois,  estais  encarnizado 
en  higadillos  de  tudescos,  que  deben  saber  0  sacar  tonadas  de  cômo  todo  lo 
componen  d  estocadas  ;  mas  quien  no  fuera  entonces  valiente,  etc.  .''  —  Les 
moX%  sacar  tonadas  r[^or\x.  aucun  sens;  la  leçon  de  P  est  assurément  la 
bonne  :  que  deven  de  saveros  à  carbonadas  con  vino;  mas  quien,  etc. 

i<f'i.  Salgan,  cuerpo  demi,  estos  petracristas  y  estos  coronistas,  etc.  — 
P  intercale  après  petracristas  i petrarquistas')  :  estos  boscanistas. 

159.  C  â  riesgo  de  que  os  cargasen  de  sâtiras.  —  P  est  d'accord  avec 
M  pour  donner  :  à  riesgo  de  que  os  cargasen  de  lena  como  le  cargaron  a  el, 
mais  il  lui  manque  :  como  el  asno  de  Isopo,  et  il  a  comme  C  :  nuestro 
amo  p.  vuestro  a. 

170-172.  Juvejas...  juveja  n'est  pas  un  mol  castillan;  il  faut  lire  avec 
P  javejas...  javeja,  grand  filet. 

191.  Peor  hizo  el  conde  don  JuUan  que  vendiô  â  su  patria.  P  san  Julian 
que  mata  a  su  padre  y  a  su  madré  avec  M. 

195.  Porque,  es  gran  cosa  vivir  los  hombres  de  industria.  il  faut,  si 
l'on  veut  garder  cette  leçon,  mettre  un  point  d'interrogation.  On  peut 
aussi  lire  avec  P  que  no  es  cosa  nueva  vivir,  etc. 

21^.  «  Si  Salazar  no  vale  un  maravedi  para  trompeta  del  Duque,  valdrd 
para  cronista  extravagante.  »  P  ajoute  :  o  para  dobladura  como  haca  de 
cavallo  ligero. 

260.  Y  sera  menester  que  si  la  excelentisima  Duquesa  quisiere,  por  descn- 
fadarse,  leer  en  vuestro  libro,  tcnga  un  Calepino  delante  que  lo  construya  6 


JOO  CORRECTIONS 

interprète  y  déclare.  —  P.  ajoute  :  pues  Vm.,  scnor,  no  sois  ahora  de  los 
soldados  viejos,  digo  como  las  espadas  del  Cornadillo. 

i6j[.  Casa.  —  P  M  cava,  qui  est  la  seule  leçon  possible,  comme  l'a 
montré  M.  Mussafia. 

266.  Mendoza  reproche  à  Salazar  l'emploi  de  mots  italiens  :  Para  (jué 
decis...  el  caz  y  no  el  vado.  Je  ne  sais  s'il  y  a  en  italien  un  mot  caz  signi- 
fiant :  gué.  Dans  le  doute  je  préfère  lire  avec  P  :  esguaço  sguazzo)  y  no 
vado. 

3^0.  Pareçeos  amigo...  que  sabria  decir  «  la  razon  de  la  razon  que  tan 
sin  razon  por  razon  tengo  »  para  alabar  vuestro  libro.  —  P  por  raçon  de  ser 
vuestro  tengo,  para  alabar  vuestro  libro  et  il  ajoute  :  mife,hermano  Salazar, 
todo  esta  em  bentura;  a  fa  que  te  dica  bono,  ->  dizen  aqui,  qu'es  lengua  de 
mi  îierra,  como  si  dixesemos  :  mas  vale  buena  bentura  que  mala  ganancia. 

358.  Veis  alii  el  obispo  de  Mondohedo...  que  no  hay  quien  no  le  célèbre, 
etc.  —  P  que  no  ay  perro  que  [no]  llegue  à  olerle  et  il  ajoute  :  veis  a 
Feliciano  de  Silva  que  en  toda  su  yida  [no\  salio  mas  lejos  que  de  Ciudad 
Rodrigo  a  Valladolid,  criado  siempre  entre  Darida  y  Garaya,  metido  en  la 
torre  del  universo  adonde  estuvo  encantado,  segun  que  dize  su  libro,  diez  y 
siete  anos.  A  '  Dios  padre,  que  tuvieron  de  comer  y  aun  de  cenar  y  vos  que 

aveis  andado no  teneis  ni  aun  de  almorçar  y  es  menester  que  os  andeis  d 

inmortaliçar  los  hombres...  pero  «  estate  de  bona  voila  »_,  que  quiere  decir,  ne 
se  os  dé  dos  cagajones,  parque  para  Vm.,  etc. 

358.  Su  magestad  os  quiere  dar  el  habita  de  Santiago,  sin  que  tomeis  el 
trabajo  de probanzas,  en  recompensa  de  lo  que  haveis  servida.  —  P  ajoute: 
y  para  enmienda  del  dano  que  recibistes  quando  os  pusistes  la  cruz  de  San 
Juan,  pues  es  verdad  que  parecera  mal  el  umilladera  sabre  el  monte  de  brocado 
que  soleis  traher,  casa  séria  de  ver,  que  quanda  le  dia  lareynacatholica,  etc. 

391.  No  hay  habita  tan  mala  ni  tan  peligrosa  opilacion  coma  la  de  las 
donaires,  las  cuales  tienen  estrecho  parentesca  con  ciertos  desahagos  de  la 
naturaleza,  etc.  —  P  v  en  esta  tienen  estrecho  parentesco  con  los  pedos, 
salva  la  barba  de  Vm.,  los  quales  en  quiriendo  salir,  etc. 

La  seconde  lettre  de  Mendoza  qui  se  présente  comme  une  réponse  de 
Salazar  à  son  critique  {Respuesta  del  capitan  Salazar  al  Bachiller  de  Arca- 
dia),  est  également  contenue  dans  P,  f"  24Ç)b-26^b.  M.  Mussafia  l'a  pu- 
bliée d'après  le  même  ms.  de  Vienne  (1.  c,  p.  i  lo  ss.)  en  donnant  les 
variantes  du  ms.  de  Madrid,  Bibl.  nac,  G  139.  Le  savant  éditeur  qui 
n'avait  que  ces  deux  copies  assez  incorrectes  à  sa  disposition  n'a  pas  pu 
arriver  partout  à  la  bonne  leçon.  Nous  remarquons  tout  d'abord,  pour 
ne  pas  multiplier  les  citations,  que  P  est  en  général  d'accord  avec  le  ms. 
de  Madrid  (G)  contre  M. 

9.  Y  si  quisiere parfiar  con  sus  agudezas,  camo  suele,  que  por  ser  vencido 


SUR  LES  LETTRES  SATIRIQUES  DE  MENDOZA  ^1 

merece  mas  que  por  ser  vencidor,  etc.  —  P  intercale  avec  raison  après 
como  suele  :  y  si  dixere  que  antes  por  ser,  etc. 

30.  Estamos  buenos  de  ducientos  coronistas...  que  no  tenemos  un  pan  que 
corner.  —  P  mieux  :  bonicos  duzientos,  etc. 

56.  M  habia  y  a  comenzado  d  escribir...  y  un  traîo  dello  de  las  causas  — 
—  G  un  tradillo  de  las  cosas.  —  P  seul  a  la  bonne  leçon  :  îratadillo. 

164.  Conociendo  claramente  que  de  pura  envidia  no  liabian  de  decir, 
viendo  mi  libro  ni  del  de  otros,  etc.,  n'a  aucun  sens.  —  P  que  se  conoce 
claramente  que  d.  p.  e.  nunca  diran  bien  de  mi  libro,  etc. 

18^.  Trampa,  lisez  avec  P  trompa. 

1 87.  Pero  si  no  es  verdad  no  es  mas  fria  que  las  leyes  de  Platon  ya  quere. 
Replicar  tantas  vezes  al  emperador...  que  gravedad  tiene,  etc.  —  Les  mots 
ya  quere  ne  donnent  pas  de  sens,  il  faut  rétablir  avec  P  :  y  aquel  repli 
car,  etc. 

194.  Aceîibar.  —  P  mieux  :  agetibar. 

197.  Les  mots  qui  manquent  dans  M  G  sont  d'après  P  :  passar  ade- 
lante  sobre  esto. 

229.  M  Veis  aqui  aniquilados  y  escurecidos  todos  los  silogismos  de  mis 
contrarios.  —  G  Veis  aqui  cazados.  —  La  vraie  leçon  est  donnée  par 
P  :  cagados. 

243  [el  Cid)  despues  se  muerto.  —  Lisez  :  de  muerto  avec  P. 

259.  Lite.  Lisez  :  litera  avec  P. 

287.  Abjones.  Lisez  de  même  abejones. 

Le  troisième  texte  en  prose  de  notre  ms.  est  la  Carta  de  D.  D°  de  los 
cata-riveras  (f°  iGi^b-i-j'èb)  qui  est  également  contenue  dans  le  ms.  de 
Vienne  (voy.  Mussafia,  p.  io2j  avec  le  titre  plus  explicite  de  :  Carta 
sobre  lo  que  pasan  los  catarriberas  y  otras  personas  pretendientes  oficios  en 
cories.  Cette  satire,  longtemps  attribuée  à  Mendoza,  a  été  restituée  par 
Gallardo  (dans  son  Criticon,  1835,  n"  3)  à  son  véritable  auteur,  c'est- 
à-dire  Eugenio  de  Salazar,  le  fils  de  Pedro  de  Salazar,  l'adversaire  de 
Mendoza.  Les  lettres  de  Eugenio  de  Salazar  ont  été  publiées  récemment 
par  M.  de  Gayangos  {Carias  de  Eugenio  de  Salazar...  escritas  à  muy  par- 
ticalares  amigos  suyos,  etc.  Madrid,  Rivadeneyra,  1866.  Voy.  Revue  cri- 
tique, 1866,  art.  163J  d'après  le  ms.  autographe;  il  n'y  a  donc  pas 
d'intérêt  à  noter  les  variantes  de  notre  ms.;  nous  remarquerons  seule- 
ment que  P  concorde  avec  M  dans  la  manière  dont  il  développe  la  fin 
delà  lettre.  Voici  le  passage  (cf.  Mussafia,  p.  103)  :  Hecha  tengo  mi 
cuentd  que  si  la  moneda  llega  a  podernic  sustentar  otro  mes,  esperarla  lie, 
pero  si  passa  de  alli,  con  el  quai  se  cumpliran  seis  de  mi  asistençia  en  esta 
corte  sin  ser  empleado,  determinado  estoy  de  bolberme  a  mi  casa,  porque  me 
pareçe  que  rasîara  ser  medio  ano  necio  y  ya  que  en  este  îicmpo  no  fuere 


^02  CORRECTIONS 

proveydo,    sera   J   lo   menos  cosa   averiguada  cjue  Itiré  bien  despachado. 
No  nuis. 

On  lit  au  f"  zjSb-zSo  :  la  Carta  de  D.  Diego  al  cardcnal  Spinosa  qui 
a  été  publiée  par  les  traducteurs  espagnols  de  Ticknor  (voy.  Ticknor- 
Julius,  H,  756  ss.).  Cette  lettre  fut  écrite  par  Mendoza  à  l'occasion  d'une 
scène  violente  qui  se  passa  à  la  cour  de  Philippe  II.  Mendoza,  insulté 
par  un  gentilhomme,  lui  avait  arraché  son  poignard  et  l'avait  assez 
malmené;  dans  cette  lettre  il  s'excuse  en  invoquant  un  grand  nombre  de 
précédents.  La  version  de  notre  ms.  est  par  endroits  si  abrégée  qu'elle 
rend  très-difficile  l'intelligence  du  texte,  qui  est  clair  et  correct  dans 
Ticknor.  Le  ms.  2  5  8  se  termine  enfm  par  une  lettre  politique  de  Mendoza 
adressée  à  Philippe  II  (f"  280/^-283/0. 

Les  lettres  officielles  ou  politiques  de  Mendoza,  dont  il  existe  des  col- 
lections importantes  aux  bibliothèques  nationale  et  de  l'Académie  de 
l'histoire  de  Madrid,  n'ont  point  encore,  à  notre  connaissance,  trouvé 
d'éditeur.  Leur  importance  n'a  pas  échappé  à  M.  Ranke  qui,  dans  son 
histoire  de  Paul  III  [Dicrdmischen  Pàpste,  I,  p.  1 56  ss.),  a  utilisé  une 
partie  de  la  correspondance  diplomatique  de  notre  auteur.  Au  point  de 
vue  littéraire,  s'il  faut  en  juger  par  la  lettre  de  notre  ms.  et  par  une  sorte 
de  mémorial  adressé  à  Charles-Quint  (publié  par  Adolfo  de  Castro,  El 
Buscapié  de  Cervantes  tercera  éd.  Cadix,  1850,  p.  52),  cette  partie  de 
l'œuvre  de  Mendoça  ne  pourra  rien  enlever  à  sa  réputation  d'écrivain 
de  premier  ordre  ' . 

Alfred  Morel-Fatio. 


1.  Le  ms.  de  la  Bibl.  nat.  fr.  ^107  contenait  autrefois  (f°  1327)  un  «Extrait 
d'un  recueil  de  lettres  escrites  à  l'empereur  Charles  V  par  dom  Diego  de  Men- 
doza, son  ambassadeur  à  Rome,  durant  le  pontificat  de  Paul  III,  1 547,  1 548  »; 
mais  il  ne  reste  plus  aujourd'hui  de  ce  texte  que  le  premier  feuillet  qui  porte  le 
titre  que  nous  avons  transcrit,  les  autres  ont  été  coupés. 


COMPTES-RENDUS 


Gedichte  der  Troubadours,  in  provenzalischer  Sprache.  Zum  ersten  Mahl 
und  treu  nach  den  Handschriften  herausgegeben,  und  mit  kritischen  Anmer- 
kungen   versehen,    von  C.  A.  F.  Mahx,  D'.   Berlin,  Duemmler.  Petit  in-8'. 

—  I,  i8$6,  vi-240  p.  —  II,  1856,  1857,  1862,  viii-240  p.  (cinq  livraisons). 

—  III,  1865-4,  iv-240  p.  (trois  livraisons).  —   IV,    1865-73,   viij-280  p. 
(trois  livrais. )- 

M.  le  D""  Mahn  a  publié  il  y  a  quelques  mois  le  troisième  et  dernier  fas- 
cicule du  t.  IV  de  ses  Gedichte  der  Troubadours.  Est-ce  la  fin  du  recueil?  On  peut 
le  croire  :  toutefois  rien  ne  l'assure.  Dans  les  publications  de  M.  Mahn  tout  est 
en  dehors  des  règles  ordinaires.  La  dernière  page  pourrait  aussi  bien  être  la 
première,  et  réciproquement,  sans  que  le  plan  de  l'auteur  en  parût  modifié  : 
l'ordre  même  selon  lequel  se  succèdent  les  volumes  est  indépendant  de  leur 
tomaison;  tout  enfin  dans  ce  recueil  échappe  aux  prévisions. 

Le  recueil  lui-même  a  jusqu'à  présent  échappé  au  contrôle.  Du  moins  n'en 
ai-je  jamais  vu  nulle  part  aucun  compte-rendu.  Est-ce  embarras  d'aborder  une 
publication  qu'on  ne  sait  par  quel  bout  prendre?  Est-ce  dédain?  Je  ne  sais  ; 
peut-être  est-ce  aussi  le  désagrément  d'avoir  affaire  à  un  auteur  qui  dans  l'une 
de  ses  préfaces  Scelle  du  tome  II  des  Gedichte)  s'exprime  ainsi  :  «  Les  notes 
»  paraîtront  en  volumes  séparés  après  l'achèvement  de  l'édition  ou  peut-être 
))  avant.  Jusque-là  je  prie  instamment  messieurs  les  critiques  de  s'abstenir  de 
t)  toutes  remarques  ou  conjectures  sur  les  textes,  car  je  sais  ce  qu'ils  ont  à 
»  me  dire  aussi  bien,  et  dans  beaucoup  de  cas  mieux  encore  peut-être  et 
)>  plus  complètement  qu'eux-mêmes.  S'ils  ne  peuvent  résister  à  une  déman- 
«  geaison  de  produire  des  critiques  inopportunes,  et  si  faciles  en  beaucoup  de 
»  cas  à  réduire  au  silence,  c'est  à  eux  seuls  qu'ils  doivent  s'en  prendre  si  je  ne 
»  lis  pas  leurs  critiques,  etc.,  etc.  » 

Si  M.  Mahn  sait  tout  ce  que  les  critiques  ont  à  lui  dire,  il  en  sait  long;  et 
s'il  en  sait  si  long,  pourquoi  le  laisse-t-il  si  peu  voir?  Puis  M.  M.  se  gendarme 
un  peu  tôt  contre  la  prétention  qu'on  pourrait  avoir  de  lui  en  remontrer.  Il  est 
dominé  par  cette  illusion  singulière  que  la  critique  n'aurait  d'autre  but  que  de 
l'éclairer.  Éclairer  M.  M.  serait  certainement  un  objet  désirable,  mais  éclairer 
le  lecteur  est  aussi  un  but  qu'il  n'est  pas  défendu  à  la  critique  de  se  proposer. 
C'est  celui  auquel  tend  le  présent  compte-rendu,  qui  n'aspire  aucunement  à 
l'honneur  d'être  lu  par  M.  Mahn, 

Mais  tout  d'abord  il  convient  de  donner  au  lecteur  une  idée  des  publications 
provençales  de  M.  M.  et  de  leur  succession.  Ce  n'est  pas  chose  facile,  et  les 
commis  de  librairie  qui  savent  trouver  l'arrangement  de  tous  ces  petits  cahiers 
ont  là  une  spécialité  rare,  sinon  bien  utile. 

Les  publications  dont  s'agit  se  divisent  essentiellement  en  deux  séries,  qui  se 
subdivisent  à  leur  tour.  Ces  deux  séries  sont  les  Werke  der  Troubadours  et   les 


^04  COMPTES-RENDUS 

Gedichte  dcr  Troubadours.  On  y  peut  joindre  deux  fascicules  indépendants  publiés 
l'un  en  1853  :  Du  Btographiecn  dcr  Troubadours  (iv-^8  p.),  l'autre  en  1871  : 
Commcntar  und  Glossar  zu  den  Werkm  und  Gedichten  dtr  Troubadours  {]i  p.). 
C'est  l'explication  mot  à  mot  d'un  petit  nombre  de  biographies  et  de  poésies 
de  troubadours;  quelque  chose  de  comparable  aux  traductions  interlinéaires 
dont  font  trop  souvent  usage  les  aspirants  au  baccalauréat. 

La  série  des  Wtrkc  s'est  formée  ainsi  qu'il  suit. 

En  1846  M.  Mahn  en  publia  un  premier  volume  contenant  la  réimpression 
des  poésies  (déjà  publiées  par  Raynouard  ou  Rochegude)  de  20  des  plus  anciens 
troubadours.  L'ordre  adopté  était  conforme  à  la  succession  chronologique  des 
poètes  telle  qu'elle  est  présentée  dans  les  Lcbcn  und  Wcrkt  dtr  Troubadours  de 
Diez.  C'était  assez  intelligent.  —  En  1853  M.  Mahn  publia  un  quatrième 
volume  contenant  les  poésies  à  très-peu  de  chose  près  complètes  de  l'un  des 
plus  récents  troubadours,  de  Guiraut  Riquier.  L'édition,  assez  bonne  pour  le 
temps  où  elle  parut,  avait  été  préparée  par  le  D''  Pfaff,  qui,  croyons-nous,  n'a 
fait  aucune  autre  publication  provençale.  M.  Mahn  ne  mit  rien  de  lui  dans  cette 
édition,  sinon  une  courte  préface.  C'était  fort  intelligent.  —  De  1855  à  i86j 
ont  paru  quatre  fascicules  formant  le  tome  II  des  Wcrkc,  et  contenant  les  poé- 
sies de  Peirol,  de  Guill.  de  Saint-Didier,  du  moine  de  Montaudon,  d'Arnaut 
Daniel,  de  Gaucelm  Faidit,  de  Raimon  de  Miraval,  de  Blacatz,  de  Savari  de 
Mauléon,  d'Ugo  de  Saint-Cire,  d'Aimeric  de  Pegulhan,  de  P.  Cardinal  et 
de  Sordel.  Cette  fois  les  pièces  ne  sont  point  publiées  uniquement  d'après  les 
éditions  antérieures  comme  dans  le  premier  volume,  ni  uniquement  d'après  les  mss. 
comme  dans  le  quatrième,  mais  d'après  les  éditions  et  les  mss.  C'est  du  moins 
ce  qu'annonce  le  titre  :  j'avoue  que  je  ne  me  suis  jamais  bien  rendu  compte  de  la 
méthode  selon  laquelle  l'éditeur  avait  combiné,  pour  ce  second  volume,  les  éditions 
et  les  manuscrits.  Nous  avons  donc  jusqu'à  présent  des  Werke  les  tomes  I,  II 
et  IVj  chaque  volume  étant  composé  selon  un  plan  particulier. 

Aux  Werke  der  Troubadours  se  rattache,  avec  une  tomaison  à  part,  l'édition 
de  G'irart  de  Roussillon  dont  M.  C.  Hofmann  a  publié  les  trois  premières  livraisons 
en  1855  et  1857.  Le  titre  est  toujours  Die  Werke  d.  Troub.;  le  sous  titre  est 
ainsi  conçu  :  Epischc  Abtheilung,  Girartz  de  Rossilho.  Le  premier  volume  de  cette 
«  division  épique  »  n'est  pas  complet,  puisque  l'introduction,  les  notes  et  le 
glossaire  annoncés  par  M.  Hofmann,  n'ont  pas  encore  paru.  Paraîtront-ils  jamais? 
Il  faut  dire  que  la  publication  tardive  de  ces  compléments  de  l'édition  n'aurait  plus 
maintenant  qu'un  faible  intérêt.  L'édition  de  M.  Hofmann  est  la  reproduction 
du  ms.  de  Paris;  or  il  est,  je  crois,  maintenant  établi  que  ce  ms.  contient  une 
leçon  remaniée,  la  leçon  la  plus  pure  étant  celle  du  ms.  d'Oxford.  D'autre  part, 
même  comme  reproduction  pure  et  simple  du  ms.  de  Paris,  cette  édition,  bien 
que  très-supérieure  à  celle  de  M.  Fr.  Michel,  n'est  cependant  pas  toujours  exacte. 
Les  fautes  de  lecture  n'y  sont  pas  rares^  et  les  corrections  faites  à  la  leçon 
du  ms.  ne  sont  pas  toutes  heureuses^ 

I.  Ce  qui  est  singulier  c'est  qu'en  certains  endroits  (par  ex.  p.  s  s  à  diverses  reprises) 
l'éditeur  a  fait  évidemment  usage  du  manuscrit  de  Londres.  Sans  doute  M.  Hofmann  se 
serait  expliqué  à  cet  égard  dans  ses  notes,  s'il  les  avait  publiées,  mais  il  aurait  eu  bien  de 
la  peine  à  justifier  l'emploi  tout  à  fait  arbitraire  et  accidentel  qu'il  a  fait  de  ce  ms. 


MAHN,  Gedichte  der  Troubadours  305 

Pénétrons  dans  les  Gedichte  der  Troubadours. 

Si  nous  voulions  chicaner,  nous  pourrions  discuter  la  propriété  de  ces  deux 
titres  appliqués  à  la  même  matière  :  d'une  part  «  Œuvres  des  Troubadours  »  et 
d'autre  part  «  Poésies  des  Troubadours  «.  Les  œuvres  des  troubadours,  ce 
sont  leurs  poésies,  et  réciproquement.  Mais  nous  ne  nous  arrêtons  pas  à  ces 
minuties.  Dans  le  recueil  qu'il  a  intitulé  Gedichte  der  Troubadours,  l'intention  de 
l'éditeur  a  été  de  fournir  des  matériaux  à  une  future  édition  des  troubadours, 
en  reproduisant  exactement,  sans  correction  d'aucun  genre,  les  diverses  leçons 
que  les  manuscrits  nous  ont  conservées  de  ces  poésies.  C'est  un  travail  prépara- 
toire dont  l'utilité  ne  saurait  être  contestée.  Déterminer,  entre  tant  de  variantes, 
la  leçon  authentique  des  poésies  des  troubadours  est  une  des  œuvres  les  plus 
difficiles  que  la  critique  se  soit  jamais  proposées;  et  il  est  de  toute  évidence  que 
le  travail  épineux  du  classement  de  ces  variantes  sera  devenu  matériellement 
plus  aisé  le  jour  oià  le  philologue  aura  sous  sa  main,  dans  son  cabinet,  d'exactes 
reproductions  des  principaux  chansonniers.  C'est  de  même  qu'une  édition  critique 
du  Nouveau  Testament  n'est  devenue  possible  qu'après  que  les  plus  anciens  mss. 
eurent  été  reproduits,  soit  en  fac-similé,  soit  en  des  éditions  qui  sont  des  copies 
littérales.  C'est  ainsi  encore  qu'une  société  s'est  formée  en  Angleterre  pour  faire 
imprimer  les  principaux  mss.  des  œuvres  de  Chaucer,  afin  de  fournir  des 
bases  solides  à  la  critique  du  texte  de  ce  poète.  Pour  toute  personne  ayant  tant 
soit  peu  l'expérience  des  travaux  de  ce  genre,  ou  éclairée  par  les  lumières  du 
simple  bon  sens,  la  publication  des  mss.  des  troubadours  ne  pouvait  être  faite 
que  selon  l'un  de  ces  deux  plans:  ou  bien  éditer  ces  mss.  l'un  après  l'autre, 
ou  bien  éditer  chaque  pièce  selon  chacune  des  leçons  qu'on  en  possède.  Le  pre- 
mier de  ces  deux  systèmes  était  le  plus  simple,  et  à  l'aide  de  tables  bien  conçues 
oneiît  pu  rapprocher  aisément  les  diverses  leçons  d'une  même  pièce.  M.  M.  a  trouvé 
le  moyen  d'adopter  successivement  des  plans  différents,  et  finalement  de  n'en  plus 
suivre  aucun.  Et  comme  les  tables  jointes  à  chaque  volume  n'indiquent  que  les 
noms  des  auteurs,  et  d'ailleurs  ne  sont  point  rédigées  selon  un  système  uniforme, 
il  en  résulte  que  les  Gedichte  der  Troubadours  présentent  l'image  du  désordre  le 
plus  complet  qui  se  puisse  imaginer.  On  en  jugera  par  ce  rapide  exposé  de  la 
composition  du  premier  volume.  Les  108  premières  pièces  sont  rangées  par  ordre 
alphabétique  du  premier  mot  :  la  pièce  1  commence  par  Abanz,  et  la  pièce  108 
par  Vas.  Cet  ordre  est  du  reste  établi  d'une  façon  peu  intelligente,  car  on  voit 
figurer  sous  les  numéros  44  et  88-90  des  pièces  commençant  par  le  même  mot, 
Cant\  la  seule  différence  étant  qu'au  n"  44  ce  mot  est  écrit  par  c,  tandis  qu'il 
est  écrit  par  ^  aux  numéros  88-90.  Les  pièces  109  a  112,  113  à  130,  151  à 
152,  forment  autant  de  petites  séries  alphabétiques,  sans  qu'on  puisse  démêler 
d'ailleurs  aucune  intention  dans  le  choix  des  pièces.  Sous  les  numéros  1 57  à 
179  l'éditeur  paraît  avoir  cherché  à  former  une  petite  collection  de  poésies  de 
Guillem  de  Berga  et  du  comte  de  Poitiers.  Puis  vient  sous  les  numéros  180  à 
241  une  nouvelle  série  alphabétique  d'A  à  D,  composée  de  pièces  tirées  du  ms. 
8  56  de  la  Bibl.  nationale.  On  est  assez  surpris  d'y  voir  (n°  200)  figurer  le  début  des 
Auzels  cassadors  de  Daude  de  Pradas;  ce  morceau  n'est  pas  tiré  du  ms.  8^6 
comme  ses  voisins,  et  c'est,  non  le  premier  vers,  mais  la  rubrique  {Aissi  comcnsa...) 
qui  lui  a  valu  son  rang  dans  la  série  alphabétique.  Les  numéros  243  à  27^  pré- 
Romania,Ill  ^0 


306  COMPTES-RENDUS 

sentent  une  série  d'extraits  du  chansonnier  Douce  (Oxford);  les  pièces  276  à 
297  sont  tirées  du  chansonnier  Mac-Carthy  (Cheltenham).  Vient  ensuite 'n-  298) 
une  tenson  tirée  du  ms.  B.  N.  854;  et  le  volume  est  terminé  par  deux  extraits 
du  Brcviari  d'amors  (n»  299)  et  du  Girart  de  Roussillon  d'Oxford  (n"  300). 

Les  volumes  suivants  présentent  un  arrangement  non  moins  varié.  Dans  tout 
ce  désordre  l'éditeur  lui-même  se  perd,  et  il  lui  arrive  d'imprimer  deux  fois  la 
môme  chose.  Ainsi  une  pifce  de  P.  Cardinal  est  publiée  d'après  le  m^me  manus- 
crit (le  chansonnier  La  Vallière)  une  première  fois  au  numéro  1237  et  une 
seconde  au  numéro  1255. 

Ce  n'est  pas  seulement  dans  la  disposition  des  textes  publiés  que  se  manifeste 
l'absence  de  tout  esprit  de  suite,  c'est  aussi  dans  la  façon  même  dont  sont  édités 
les  textes.  L'uniformité  consiste  uniquement,  dans  tout  ce  recueil,  en  ceci  que 
les  vers  sont  imprimés  à  longues  lignes,  disposition  typographique  qui  a  été 
adoptée  en  raison  de  l'économie  qu'elle  procure,  et  qui  est  d'ailleurs  conforme  à 
l'usage  des  chansonniers  manuscrits.  Ce  n'est  pas  là  ce  qu'il  faut  blâmer.  Ce 
qu'il  faut  regretter  c'est  qu'à  part  cette  uniformité  tout  extérieure  il  n'y  ait  dans 
la  collection  de  M.  Mahn  aucune  unité.  Tantôt  les  folios  ou  pages  des  manus- 
crits sont  indiqués,  tantôt  ils  ne  le  sont  pas;  et  cela  dans  un  même  volume. 
Parfois  l'éditeur  oublie  absolument  de  nous  faire  connaître  le  ms.  qu'il  a  suivi 
(n°  1  )<)).  D'autres  fois  au  contraire,  il  indique  deux  ou  trois  manuscrits,  de  telle 
sorte  qu'on  ne  sait  pas  lequel  il  a  suivi  (numéros  1 53 ',956,  etc.).  Souvent  nous 
voyons  la  même  pièce  publiée  plusieurs  fois  de  suite  d'après  différents  manus- 
crits, mais  il  arrive  aussi  que  les  variantes  sont  intercalées  dans  le  texte  même 
entre  parenthèses  (170,  171,  175-8,  etc.).  Lorsque  les  variantes  de  deux  mss. 
sont  ainsi  placées  entre  parenthèses,  il  est  impossible  de  distinguer  les  unes  des 
autres.  Ainsi  la  pièce  698  est  publiée  d'après  le  manuscrit  La  Vallière,  et  entre 
parenthèses  sont  données  les  variantes  des  manuscrits  854  et  856,  sans  qu'aucun 
signe  permette  de  reconnaître  quelles  d'entre  elles  appartiennent  à  854  et 
quelles  autres  à  856.  Ce  cas  se  leprésente  mainte  fois. 

Le  texte  de  chacune  des  livraisons  annonce  des  notes  critiques.  Le  premier 
volume  en  effet  se  termine  par  8  pages  de  notes  de  tout  genre  qui  se  rapportent 
aux  pièces  i  à  1 5.  Il  semble  donc  que  nous  ayons  là  le  début  d'un  commentaire 
destiné  à  se  poursuivre  dans  les  livraisons  suivantes.  Mais  il  n'en  est  rien  :  il 
semble  même  que  l'éditeur  ait  été  résolu,  dès  le  temps  oij  il  imprimait  ces 
pages,  à  ne  point  en  imprimer  davantage,  car  çà  et  là,  dans  le  même  volume, 
nous  voyons  apparaître  des  annotations  qu'il  eût  été  naturel  de  réserver  pour  la 
suite  du  commentaire.  Ces  annotations  sont  placées  tantôt  à  la  fin  des  pièces,  tantôt 
dans  le  texte  entre  crochets,  comme  si  l'éditeur  avait  résolu  de  ne  pas  manquer  une 
occasion  de  se  montrer  inconséquent  avec  lui-même.  Du  reste,  la  rareté  de  ces 
notes  n'est  pas  à  regretter,  car  elles  ont  en  général  bien  peu  de  valeur. 

Il  est  inutile  de  démontrer  plus  longuement  que  ce  recueil  n'a  été  nullement 
dirigé  :  ce  serait  perdre  une  place  que  nous  pouvons  mieux  employer.  Je  me 
résume  en  disant  que  M.  Mahn  n'a  fait  autre  chose  qu'envoyer  à  l'impression, 

i .Le deuxième  n"  153,  car  il  y  en  a  deux  (t.  I,  p. 92-5)  sous  lesquels  sontpubliées  deux 
pièces  distinctes.  Naturellement  l'éditeur  n'a  pas  eu  l'idée  de  donner  un  bis  au  second  de 
ces  deux  numéros. 


MAHN,  Gedichîe  der  Troubadours  307 

sans  même  les  revoir,  des  copies  exécutées  sans  aucun  plan.  Toute  sa  peine  a 
dû  se  borner  à  revoir  (et  à  revoir  très-mal)  les  épreuves  de  l'ouvrage^  et  à 
écrire  des  préfaces  dont  le  lecteur  a  pu  apprécier  le  ton  par  les  échantillons  que 
j'en  ai  rapportés. 

Mais  si  le  recueil  lui-même  n'a  aucune  valeur  comme  ensemble,  peut-on  dire  au 
moins  que  les  morceaux  en  soient  bons?  Quelquefois  oui,  le  plus  souvent  non. 
Tout  d'abord  il  faut  considérer  comme  nulles  et  non  avenues  quantité  de 
pièces  qui  grossissent  sans  profit  les  Cedichte,  puisqu'au  moment  où  M.  Mahn 
les  faisait  paraître  on  en  avait  des  éditions  ou  semblables  ou  même  meilleures. 
Ainsi  dans  un  fascicule  daté  de  1864  sont  reproduites  (numéros  1006,  1033) 
diverses  pièces  publiées  en  1856  par  M.  Bartsch  dans  ses  Dmkmaler.  C'est  le 
même  manuscrit  (il  n'y  en  a  qu'un  pour  les  pièces  en  question)  qui  a  servi  à 
M.  Bartsch  et  à  M.  Mahn.  La  réimpression  faite  par  ce  dernier  était  donc 
inutile'.  De  même  une  trentaine  de  pièces  de  P.  Vidal,  B.  de  Ventadour,  F. 
de  Marseille  et  Peirol,  imprimées  en  1856  dans  le  tome  I  des  Gedichîe  (numéros 
244  à  271)  d'après  le  chansonnier  Douce,  avaient  paru  dès  1853  dans  les 
Ungedriickte  provenzaliche  Lieder  de  M.  Delius.  Il  est  même  évident  que  c'est  d'a- 
près la  copie  de  M.  Delius  que  M.  Mahn  a  exécuté  sa  réimpression^.  C'est  ainsi 
encore  qu'un  très-grand  nombre  des  pièces  publiées  d'après  des  mss.  d'Italie 
avaient  déjà  été  éditées  par  M.  Grùzmacher  dans  l'Archiv  fur  das  Studium  der 
neueren  Sprachen.  Sur  ces  faits  M.  M.  garde  un  silence  complet,  et  a  l'air  par 
conséquent  de  donner  comme  inédites  des  pièces  qu'il  savait  fort  bien  ne  l'être  plus. 

On  voit  combien  la  valeur  des  Cedichte  est  diminuée  tant  par  ces  doubles 
emplois  que  par  l'absolu  défaut  de  plan  que  j'ai  signalé.  Ce  qui  réduit  encore 
l'utilité  de  ce  recueil,  c'est  l'imperfection  des  copies  dont  il  se  compose.  Le  but 
était  pourtant  facilement  accessible  :  les  manuscrits  des  troubadours  sont  sou- 
vent très-incorrects,  mais  ils  sont  très-lisiblement  écrits.  Or  il  n'était  pas  ques- 
tion d'entreprendre  sur  ces  textes  un  travail  de  restitution,  il  s'agissait  simple- 
ment de  les  reproduire  fidèlement.  C'est  ce  que  promet  le  titre.  Des  connais- 
sances élémentaires  en  paléographie  et  en  provençal  suffisaient  pour  obtenir  ce 
résultat  modeste.  Malheureusement  l'éditeur  a  employé  des  copistes  de  mérite 
très-variable.  Certains  ont  été  à  la  hauteur  de  leur  tâche,  et  on  rencontre  des 
séries  de  pièces  fort  correctement  transcrites;  mais  d'autres  ne  savaient  évidem- 
ment rien  en  paléographie  ni  en  provençal,  et  ont  commis  des  fautes  de  lecture 
presqu'à  chaque  vers.  Cette  inégalité  a  un  fâcheux  inconvénient.  Comme  M.  M. 
ne  fait  pas  connaître  ses  collaborateurs,  le  lecteur  ne  sait  jamais  s'il  a  affaire 
aux  bons  copistes  ou  aux  mauvais,  et  bien  souvent,  dans  sa  perplexité,  il  est  porté 
à  mettre  sur  le  compte  de  l'édition  des  fautes  qui  appartiennent  au  manuscrit. 

Je  ne  puis  transcrire  ici  les  nombreuses  corrections  que  j'ai  obtenues  en  colla- 

1.  Notons  en  passant  que  M.  Mahn  a  mis  une  note  à  la  pièce  1035,  qui  est  Vensenha- 
men  de  Guiraut  de  Cabreira.  Cette  note  unique  consiste  à  proposer  chival  ou  caval  au  lieu 
de  tiual  dans  ces  vers  :  De  Rainoal  —  Ab  lo  tiual.  M.  M.  aurait  pu  savoir  en  1864  que 
cette  conjecture,  dont  il  n'est  pas  l'auteur,  n'a  aucune  valeur  ;  on  avait  dès  lors  proposé 
la  vraie  restitution,  à  savoir  tinal  (anc.  fr.  tinel),  cf.  Jahrb.  f.  rom.  lit.,  IV,  337. 

2.  Il  y  a  pourtant  entre  le  texte  de  M.  Delius  et  celui  de  M.  Mahn  de  légères  différences 
qui  proviennent  de  ce  que  le  premier  de  ces  éditeurs  a  un  peu  modifié  (et  il  a  bien  fait) 
l'orthographe  trop  italienne  du  ms.  Douce;  ce  que  n'a  pas  fait  M.  Mahn.  Ces  différences 
sont  trop  insignifiantes  pour  motiver  une  réimpression. 


pH  COMPTES-RENDUS 

tionnant  sur  les  manuscrits  certaines  parties  des  Gedichu  ;  ce  serait  donner  à  ce 
compte-rendu  une  étendue  hors  de  proportion  avec  la  valeur  de  l'ouvrage.  Je  ne 
puis  cependant  me  dispenser  de  parler  avec  quelque  détail  de  la  dernière  livrai- 
son parue.  Elle  contient  les  pièces  numérotées  1367  à  1440.  Celles-ci  sont 
tirées,  jusqu'au  numéro  1429  inclusivement,  du  ms.  B.  N.  1592.  Puis,  sous  les 
numéros  14^0  à  1431  est  placé  un  long  morceau  du  Girart  de  Roussillon  d'Ox- 
ford, et  la  fin  de  la  livraison  est  enfin  complétée  par  neuf  pièces  tirées  des  manus- 
crits B.  N.  12474,  854,  La  Vall.  856,  et  Rie.  2814.  Les  poésies  des  trouba- 
dours comprises  dans  cette  livraison  sont  assez  exactement  copiées.  Il  faut  dire 
que  le  manuscrit  1 592,  d'où  elles  sont  presque  toutes  tirées,  est  fort  bien  écrit. 
Je  citerai  toutefois  un  petit  fait  qui  montrera  combien  toute  cette  publication  est 
peu  surveillée.  Il  y  a  dans  la  pièce  1428  quatre  mots  en  italique  (dompna,  Mon- 
pcslicr,  don  Giiillcm).  Pourquoi  ces  mots  plutôt  que  d'autres,  alors  surtout  que 
les  italiques  sont  réservées  aux  noms  d'auteurs  placés  en  tête  de  chaque  pièce.? 
M.  Mahn  serait  sans  doute  fort  en  peine  de  le  dire.  La  raison  de  ce  fait  insolite 
est  tout  simplement  que  l'un  des  anciens  possesseurs  de  ce  ms.  (Peiresc,  je 
crois)  a  eu  l'idée  de  souligner  ces  quatre  mots.  Le  copiste  de  M.  Mahn  les  a 
soulignés  à  son  tour  dans  sa  copie,  l'imprimeur  les  a  naturellement  mis  en  ita- 
lique, et  l'éditeur  a  laissé  passer  cette  bizarrerie  comme  tant  d'autres. 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  important  dans  cette  livraison  c'est  le  morceau  de  Girart 
de  Roussillon.  Il  porte  deu.x  numéros  parce  qu'il  a  été  copié  par  deux  personnes, 
M.  Bœhmer  pour  une  partie,  M.  Stengel  pour  l'autre.  C'est  .M.  Mahn  qui  nous 
l'apprend  dans  la  préface  qui  est  jointe  à  cette  livraison  des  Gedichte.  Le  mor- 
ceau ici  publié  s'étend  du  fol.  54  verso  au  fol.  164  v.  3  ;  le  ms.  a  175  feuillets. 
En  outre  M.  M.  communique  dans  sa  préface  un  assez  grand  nombre  de  correc- 
tions à  la  partie  du  G.  de  Roussillon  antérieurement  publiée  dans  les  Gedichte 
(numéros  300  et  401).  Ces  corrections  sont  dues  à  M.  Stengel.  Étonné  de  leur 
grand  nombre  (et  cependant  M.  Stengel  n'a  pas  tout  relevé)  M.  M.  émet  dans 
sa  préface  cette  conjecture  que  ce  ms.  d'Oxford  doit  être  d'une  lecture  extrême- 
ment difficile.  Rien  n'est  plus  erroné;  ce  ms.  est  l'un  des  plus  lisiblement  et  des 
plus  régulièrement  écrits  que  j'aie  jamais  vus.  Seulement,  des  deux  personnes  qui 
ont  copié  pour  M.  Mahn  le  début  du  poème',  l'une  ne  savait  évidemment  pas 
un  mot  de  provençal,  et  l'autre,  qui  pèche  surtout  par  omission,  copiait  trop 
vite.  La  partie  du  poème  qui  nous  est  présentement  offerte  n'est  pas  non  plus 
éditée  d'une  façon  irréprochable.  Assurément  les  érudits  complaisants  qui  ont 
fourni  cette  copie  à  M.  Mahn  peuvent  légitimement  décliner  une  grande  part  de 
la  responsabilité,  puisque  les  épreuves,  c'est  l'un  d'eux  qui  nous  l'apprend*,  ne 
leur  ont  pas  été  communiquées,  mais  il  reste  cependant  à  leur  charge  nombre 
de  fautes  qui  ne  peuvent  guère  être  imputées  à  l'imprimeur,  surtout  dans  la  partie 
copiée  par  M.  Bœhmer.  Ce  savant  paraît  s'être  attaché  à  reproduire  la  division 
des  mots  telle  que  la  présente  le  ms.  C'était  un  scrupule  exagéré.  Il  est  facile  de 
se  convaincre  que  le  copiste  du  ms.  d'Oxford  comprenait  peu  ce  qu'il  écrivait  (il 
était  italien,  son  écriture  le  montre),  mais  qu'il  a  néanmoins  reproduit  avec 
beaucoup  d'exactitude  matérielle  le  ms.  qu'il  avait  sous  les  yeux.  Dans  ces  con- 

1.  Voir  la  préface  de  M.  Mahn. 

2.  M.  Stengel;  voy.  le  dernier  cahier  des  Romanische  Studien,  p.  381,  note  i. 


ROCHER,  les  Rapports  du  Puy  avec  Girone  509 

ditions,  il  y  a  très-peu  d'intérêt  à  conserver  les  erreurs  évidentes  qu'il  commet 
dans  la  séparation  des  mots.  C'est  ce  qu'a  bien  compris  M.  Stengel.  J'ajoute 
que  fort  souvent  M.  Bœhmer  a  prêté  au  copiste,  déjà  assez  riche  à  cet  égard, 
bien  des  séparations  fautives  dont  il  n'est  pas  coupable.  Ainsi,  p.  203'  l'im- 
pression porte  porpr  eizc,  cm  tanz,  ai  mes,  mon  or,  no  al,  et  le  manuscrit  a  très- 
correctement  porpreize,  cent  anz,  aimes  (nom  propre),  monor  (m'onor),  noal.  Par 
contre  M.  B.,  réunissant  à  tort  ce  qui  doit  être  séparé,  écrit  par  exemple  aun- 
tena  quand  le  manuscrit  porte  auntc  na  {==  a  unie  n'a)  ;  gaaige  pour  gaaig  e,  etc. 
Les  fautes  de  lecture  que  j'ai  remarquées  dans  cette  même  page  sont  :  neherz  pour 
Tiihtrz  (nom  propre),  mre  pour  ]iirc,  dones  pour  donez,  nolient  pour  uolient,  cesas 
pour  cesaz.  Il  y  a  notablement  moins  de  fautes  dans  la  copie  de  M.  Stengel.  Le 
plus  grand  reproche  à  lui  faire  est  d'avoir  1  p.  226)  bouleversé  l'ordre  des  tirades. 
I!  fallait  suivre  exactement  le  ms.  Cette  copie  inachevée  du  ms.  d'Oxford  ne 
peut  du  reste  être  acceptée  qu'à  titre  de  travail  tout  à  fait  provisoire,  et  j'es- 
père être  prochainement  en  état  de  mettre  sous  presse  une  édition  de  Gir.  de 
Roussillon  qui  dispensera  de  recourir  aux  Gedichte. 

L'impression  de  ce  recueil,  ayant  été  confiée  successivement  à  trois  imprimeurs, 
oflFre  les  disparates  les  plus  sensibles.  L'imprimeur  employé  en  dernier  lieu,  et 
aux  soins  (!)  de  qui  sont  dus  le  titre,  la  préface  et  la  feuille  18  du  t.  IV,  est  de 
beaucoup  le  plus  mauvais  des  trois.  Je  n'ai  jamais  reçu  de  la  plus  infime  impri- 
merie aucune  épreuve  aussi  abominablement  tirée  que  les  bonnes  feuilles  sorties 
des  presses  de  l'imprimeur  berlinois  qui  se  nomme  au  bas  de  la  page  280  du  t.  IV. 

J'ai  fini  :  il  n'y  a,  comme  on  voit,  aucun  bien  à  dire  de  cet  amas  de  papier 
noirci.  Sans  doute  il  y  aurait  injustice  à  refuser  à  l'éditeur  cette  sympathie 
toujours  due  à  des  efforts  malheureux  autant  que  désintéressés.  Désintéressés 
assurément,  et  à  ce  point  qu'on  se  sent  d'autant  plus  porté  à  admirer  l'amour 
de  M.  Mahn  pour  la  poésie  provençale  qu'elle  lui  garde  plus  de  secrets.  Mais  il 
n'en  est  pas  moins  certain  que  la  reproduction  fidèle  de  nos  principaux  chanson- 
niers provençaux  est  une  œuvre  nécessaire,  et  que  cette  œuvre  reste  à  accom- 
plir. Elle  avait  été  préparée  au  siècle  dernier  par  Sainte-Palaye,  m.ais  ce 
laborieux  et  modeste  érudit  n'a  pas  trouvé  chez  nous  de  successeurs,  et  d'autres 
sont  venus  qui  ont  fait  mal  ce  qu'il  avait  si  bien  commencé.  C'est  notre  faute. 

P.  M. 

Les  Rapports  de  l'Église  du  Puy  avec  la  ville  de  Girone  en  Espagne  et 
la  comté  de  Bigorre ,  par  Charles  Rocher.  Le  Puy,  Bérard,  1873,  in-8", 
284  pages. 

La  première  partie  de  ce  volume  est  le  mémoire  sur  les  rapports  de  l'Église 
du  Puy  avec  Girone,  que  nous  avons  déjà  signalé  à  nos  lecteurs  dans  les  Tablettes 
historiques  du  Vclay  (voy.  Romania  II  275).  M.  Rocher  a  bien  voulu,  dans  un 
appendice,  reproduire  notre  article;  il   accepte  en  général  nos  critiques,   mais  il 

I.  Je  sais  bien  qu'il  est  dérisoire  de  renvoyer  à  une  page  de  près  de  50  lignes  pour  y 
trouver  un  mot;  mais  comment  faire?  les  vers  ne  sont  pas  numérotés;  et  si  M.  Stengel 
indique  les  pages  du  ms.  fce  qui  donne  le  moyen  de  préciser  un  peu  plus  les  citations) 
M.  Bœhmer  ne  l'a  point  fait  On  voit  encore  ici,  pour  le  dire  en  passant,  une  preuve  de 
ce  manque  d'esprit  de  suite  qui  dans  cette  collection  se  manifeste  jusque  dans  les  moindres 
détails. 


^10  COMPTES-RENDUS 

cherche  ;\  démontrer,  «  d'abord  par  des  traditions  fort  respectables,  et  ensuite 
par  plusieurs  titres  dont  l'autorité  ne  peut  se  discuter  »,  que  Charlemagne  a 
pris  (plus  loin  M.  R.  dit  avec  plus  de  réserve  «  a  assiégé  »)  en  personne  la  ville 
de  Girone,  soit  en  778,  soit  en  785.  C'est  là  un  point  historique  dont  la  discus- 
sion nous  ferait  sortir  du  cadre  de  ce  recueil;  elle  serait  d'ailleurs  peu  utile,  car 
il  est  absolument  hors  de  doute,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  que  Charlemagne 
n'alla  point  en  Espagne  en  785;  quant  à  l'expédition  de  778,  les  documents 
cités  peuvent  porter  à  croire  qu'il  reçut  des  otages  de  l'émir  qui  commandait  à 
Girone,  mais  ne  disent  nullement  qu'il  ait  fait  le  siège  de  cette  ville,  encore  moins 
qu'il  l'ait  prise.  Les  «  traditions  »  n'ont  bien  entendu  aucune  valeur  historique. 
—Dans  ce  même  appendice,  M.  R., grâce  à  d'obligeantes  communications,  publie 
l'acte  d'institution  de  l'office  de  Charlemagne  à  Girone  par  Arnaud  de  Monredon 
(1345)  :  dans  ce  document,  l'évêque  résume  la  légende  du  Voyage  à  Jérusalem 
et  le  faux  Turpin,  et  ne  paraît  pas  se  douter  que  le  pape  qui  a  canonisé  l'em- 
pereur était  un  anti-pape  ;  il  résulte  d'un  passage  (déjà  cité  par  les  Bollandistes) 
qu'il  a  emprunté  le  culte  de  Charlemagne  à  l'Allemagne. —  Un  bréviaire  manus- 
crit conservé  à  Girone,  et  daté  de  1329,  contient  les  neuf  leçons  de  l'office  de 
S.  Charlemagne;  Arnaud  de  Monredon  n'a  donc  fait  que  confirmer  un  usage 
antérieur.  Un  acte  de  1332  parle  déjà  d'une  fontaine  appelée  Font  de  Caries 
Magnes.  G.  P. 

Questôes  da  lingua  portugueza,  por  F.  Adolpho  Coelho.  Primeira 
parte.  Preliminares.  —  0  le.xico. —  0  consonantismo. —  Livraria  internacio- 
nal  de  E.  Chardon.  Porto  et  Braga.  1874,  in-4°  xxiii-438  pages. 

L'importante  étude  sur  l'histoire  de  la  langue  portugaise  dont  M.  Coelho 
nous  donne  aujourd'hui  la  première  partie  était  destinée  par  son  auteur  à  servir 
d'introduction  au  dictionnaire  de  la  langue  portugaise  de  Fr.  Domingos 
Vieira;  cette  publication  ayant  subi  une  interruption  et  une  modification  dans 
son  plan,  le  présent  travail  a  été  imprimé  à  part  dans  un  format  plus  maniable  et 
il  en  sera  de  même  des  autres  parties.  Il  importe  donc  de  tenir  compte,  comme 
M.  C.  le  demande  du  reste,  du  but  spécial  pour  lequel  ces  études  ont  été  rédi- 
gées et  de  ne  pas  trop  insister  sur  le  plan  général  que  leur  destination  primitive 
imposait  pour  ainsi  dire  à  l'auteur.  Les  préliminaires  sont  divisés  en  sept  para- 
graphes dont  voici  les  titres  :  1.  Origcm  das  linguas  romanicas.  2.  A  sciencia  da 
Imgmgcm.  3.  0  archaismo.  4.  0  neologlsmo.  5.  Altcraçôes  phonicas.  6.  Altera- 
çôes  morphicas.  7.  Atteraçoes  syntacticas. 

Dans  cette  introduction,  écrite  du  reste  dans  un  excellent  esprit  et  qui  prouve 
chez  son  auteur  une  connaissance  approfondie  non-seulement  de  la  philologie 
romane,  mais  aussi  de  la  grammaire  comparée  en  général,  nous  avons  toutefois 
constaté  avec  regret  deux  lacunes.  Il  semble  qu'une  étude  de  ce  genre  (en  la  con- 
sidérant même  comme  l'introduction  d'un  dictionnaire)  aurait  dû  contenir  l'ex- 
position détaillée  des  éléments  constitutifs  de  la  langue  portugaise,  de  son 
domaine  géographique  (très-vaste,  comme  on  sait,  en  dehors  du  continent)  et 
de  ses  dialectes ,  puis  une  histoire  des  doctrines  grammaticales  en  Portugal 
du  xvr  siècle  jusqu'à  nos  jours.  Au  lieu  de  cela  l'auteur  s'est  borné  à  discuter 
en  quelques  pages  les  théories  de  trois  érudits  de  son  pays  sur  l'origine  du  por- 


COELHO,  Questôes  da  lingua  porîugueza  5 1 1 

tugais,  dont  il  démontre  facilement  les  lacunes  et  les  erreurs.  Il  est  vrai  que 
M.  Coelho  dans  ce  travail,  comme  dans  ses  autres  publications_,  poursuit  un 
double  but  ;  à  côté  de  la  discussion  purement  scientifique  des  faits  il  est  préoc- 
cupé aussi  de  les  vulgariser  parmi  ses  compatriotes,  de  les  opposer  aux  théo- 
ries ineptes  qui  ont  cours  dans  son  pays  sur  tout  ce  qui  touche  aux  questions 
grammaticales.  C'est  là  une  intention  des  plus  louables  dont  nous  ne  saurions 
trop  le  féliciter;  nous  comprenons  fort  bien  qu'il  ait  préféré  dans  le  cas  présent 
une  polémique  directe  avec  des  personnages  vivants  qui  font  profession  de 
science  à  une  exposition  calme  et  objective  des  travaux  de  Fernào  d'Oliveira  ou 
de  Santa-Rosa,  mais  nous  lui  demandons  toutefois  de  ne  pas  terminer  son  tra- 
vail sans  réserver  une  place  à  nos  desiderata.  —  11  est  le  mieux  préparé  à  traiter 
ces  questions  avec  le  soin  et  la  compétence  qu'elles  exigent. 

Le  chapitre  I"  du  livre  II,  intitulé  Rebçàes  entre  0  latim  e  0  portugiiez,  est  des 
plus  intéressants.  Le  nombre  considérable  de  matières  qui  y  sont  traitées  ne 
nous  permet  pas  d'en  donner  une  analyse  détaillée;  nous  nous  bornerons  à  atti- 
rer l'attention  des  romanistes  sur  le  §  6  (Palavras  alteradas  pela  etymologia  po- 
piilar)  et  les  exemples  qui  sont  donnés  de  ce  procédé  en  portugais,  ainsi  que  sur 
celui  qui  porte  le  titre  de  Mudança  de  significaçâo  où  l'auteur  a  non-seulement 
mis  à  profit  les  observations  des  anciens  grammairiens  nationaux,  mais  s'est 
encore  servi  d'un  nombre  considérable  de  textes  inédits.  Avec  le  chapitre  II 
commence  la  phonétique,  et  d'abord  les  consonnes.  Au  lieu  de  consacrer  à 
chaque  consonne  latine  et  aux  transformations  qu'elle  subit  en  roman,  selon  la 
place  qu'elle  occupait  dans  le  mot  latin,  un  chapitre  à  part,  M.  C.  a  suivi  un 
ordre  plus  scientifique  et  qui  évite  des  répétitions.  Il  examine  d'abord  les  con- 
sonnes initiales,  médiales  et  finales  en  contact  immédiat  avec  des  voyelles,  puis 
les  groupes  de  consonnes,  et  termine  par  les  consonnes  finales  isolées  ou  en 
groupe.  Par  là  M.  C.  a  été  amené  à  étendre  encore  sa  division  systématique; 
c'est  ainsi  par  exemple  qu'il  étudie  successivement  la  persistance,  l'adoucisse- 
ment, la  dégénérescence,  l'échange  et  enfin  la  syncope  des  voyelles  médiales.  Cet 
arrangement  a  aussi  ses  inconvénients,  celui  par  ex.  de  présenter  parfois  l'excep- 
tion avant  la  règle,  ce  qui  donne  à  celle-là  plus  d'importance  qu'elle  n'en  a 
réellement;  c'est  le  cas  ici  pour  les  consonnes  g  (devant  c,  ;'),  d,  /,  n  dont  la 
persistance  est  exceptionnelle,  tandis  que  la  chute  est  de  règle  en  portugais. 
M.  C.  n'a-t-il  pas  involontairement  grossi  ses  listes  de  mots  où  persiste  la  lettre 
latine  d'un  certain  nombre  de  mots  savants? 

Les  règles  de  phonétique  données  dans  ce  livre  sont  appuyées  de  longues 
listes  d'exemples  que  ceux  même  qui  sont  familiers  avec  la  grammaire  de  Diez 
ne  consulteront  pas  sans  fruit,  car  M.  C.  a  non-seulement  dépouillé  toute  l'an- 
cienne littérature  portugaise  imprimée,  mais  il  a  souvent  aussi  utilisé  des  docu- 
ments inédits,  surtout  des  pièces  d'archives.  Il  n'a  pas  négligé  non  plus  de 
montrer  par  des  exemples  empruntés  en  général  aux  ouvrages  de  Corssen  et  de 
Schuchardt  que  certaines  modifications  phoniques  qu'ont  éprouvées  les  mots 
latins  sur  le  sol  roman  se  retrouvent  dans  la  langue  des  inscriptions  et  dans  les 
citations  des  grammairiens  romains  empruntées  à  la  langue  populaire.  Si  M.  C. 
compte  donner  à  l'étude  de  la  flexion,  de  la  formation  des  mots  et  de  la  syn- 
taxe une  place  proportionnée  à  celle  qu'il  vient  de  donner  à  la  phonétique  (et  ce 


^12  COMPTES-RENDUS 

premier  volume  ne  l'cpuise  pas,  il  reste  à  terminer  les  consonnes  et  à  traiter 
les  voyelles),  le  portugais  aura  l'honneur  de  posséder  avant  aucune  de  ses 
langues  sœurs  une  grammaire  historique  extrêmement  complète. 

Voici  enfin  quelques  observations  de  détail.  P.  160  le  mot  latin  acies  n'aurait 
été  conservé  en  portugais,  d'après  M.  C, qu'avec  un  autre  sens.  C'est  aller  trop 
loin.  Les  dictionnaires  donnent  az  troupe,  cm  a:  en  présence  des  troupes;  comp. 
le  V.  esp.  (haz,az),  où  le  sens  d'armée  rangée  en  bataille  se  trouve  exprimé  aussi 
clairement  que  possible  dans  la  formule  épique  paravanst  las  hazes  ecompiençan  de 
liiiiar.  —  P.  278  M.  C.  cite,  comme  exemples  de  la  conservation  en  portugais 
du  g  guttural  devant  c,  erguer  (erigere)  et  regalar  pour  rcgudar*  (regelare),  mais 
ne  les  explique  pas.  Diez  Gr.  I,  270  a  pensé  pour  le  premier,  ou  ce  qui  revient 
au  même  pour  le  correspondant  espagnol  crguir,  à  une  influence  du  présent 
erigo,  ciigam;  peut-être  vaut-il  mieux  y  voir  une  formation  par  analogie  sur  un 
autre  infinitif  tel  que  arguir.  Qu^nt  à  regalar  \\  n'y  a  pas  dans  ce  cas  conservation 
de  la  gutturale  devant  c,  mais  changement  de  e  en  a,  et  c'est  cela  qu'il  faut  expliquer, 
ou  renoncer  à  Vclymologit regelare.  —  P.  290  «  aima p3iT atima*  de  anima  ».  On 
s'est  accordé,  cerne  semble,  jusqu'ici  pour  admettre  la  chute  de  la  voyelle  brève 
avant  le  changement  de  la  liquide.  La  forme  intermédiaire  est  donc  an'ma,  qui 
du  reste  existe  en  provençal.  —  P.  291  «  D  lat.  =  port.  /  ».  Il  faut  ajouter 
aux  exemples  cités  de  cette  transformation  prol  de  prode  (prode  est,  voy.  Schu- 
chardt  Vok.  II,  504).  On  trouve  dans  le  Libro  de  Alex,  une  forme  proe,  avec  syn- 
cope du  d  et  conservation  de  Ve.  L'ancien  léonais  offre  encore  vilva  (vidva),  sel- 
mana  {sedmana  seCmana  septimana)  et  le  suffixe  algo  (ad'cum).  —  P.  292.  Je  ne 
puis  admettre  l'identification  de  deixar  et  leixar  proposée  par  M.  Schuchardt  et 
adoptée  par  M.  Coelho.  La  comparaison  du  v.  espagnol  détruit  l'argumentation  de 
ce  dernier.  D'après  M.  C.  on  ne  comprendrait  pas  comment  deixar  Csi  ce  verbe 
doit  être  ramené,  comme  le  veut  Diez,  à  desitaré)  aurait  pu  exister  pendant  des 
siècles  sans  se  présenter  à  côté  de  l'ancien  leixar;  or,  deixar  ne  se  trouverait  pas  en 
portugais  avant  le  xvi*  siècle.  Mais  l'esp.  du  xiii°  siècle  a  parallèlement  les  deux 
formes,  voy.  par  ex.  Berceo  et  V Alexandre.  L'étymologie  desitaré  est  conforme 
aux  lois  phoniques  de  l'espagnol  et  du  portugais  et  aussi  aux  lois  de  dérivation 
de  ces  deux  langues,  qui  tirent  volontiers  des  verbes  de  participes  passés  (comp. 
quexar,  queixar  de  qacstarc,  questus;  olvidar  de  oblitare,oblitus).  —  P.  580.  Je  ne 
vois  pas  pour  quelle  raison  M.  C.  établit  entre  jidgar  et  judicare  les  formes 
intermédiaires  judigare' ,  jiiligare',  en  se  refusant  à  admettre  jud'care'',  alors  qu'il 
admet  (p.  581)  vind'care*  entre  vindicare  et  vingar.  Au  reste  la  forme  intermé- 
diaire est  assurée  par  le  v.  esp.  judgar,  qui  a  donné  aussi  julgar  dans  les  dia- 
lectes du  N.  0.  et  juzgar  en  castillan. 

Telles  sont  les  quelques  observations  sans  importance  qu'un  rapide  examen  du 
livre  de  M.  Coelho  nous  a  conduit  à  présenter;  nous  désirons  vivement  que  l'achè- 
vement de  ce  beau  travail  ne  se  fasse  pas  trop  attendre  et  qu'aucune  difficulté 
matérielle  n'en  entrave  l'exécution.  M.  C.  peut  être  sûr  que  ses  Questàes  da  lin- 
gua  portugueza  seront  bien  accueillies  de  tous  les  romanistes  étrangers  ;  nous 
espérons  qu'elles  seront  lues  dans  son  pays  et  que  les  saines  méthodes  gramma- 
ticales dont  il  a  si  bien  su  se  faire  l'interprète  ne  tarderont  pas  à  se  répandre  en 
Portugal.  Alfred  Morel-Fatio, 


PÉRIODIQUES 


I.  Revue  des  langues  romanes,  V,  i.  —  P.  5,  Boucherie,  compte-rendu 
de  la  Vie  de  saint  Alexis,  pub.  par  G.  Paris.  L'opinion  de  M.  B.  est  en  somme, 
que  sauf  un  certain  nombre  de  corrections  qui  lui  paraissent  nécessaires,  il  eût 
fallu  «  conserver  intacte  la  leçon  du  ms.  L  «  (le  plus  ancien  ms.  de  VAUxis). 
C'est  ce  que  j'ai  fait  pour  le  morceau  d'Alexis  qui  fait  partie  de  mon  Recueil 
d'anciens  textes  (2"  liv.),  et  par  conséquent  je  suis  porté  à  croire  que  cette  opi- 
nion peut  être  défendue,  mais  il  ne  me  semble  pas  que  tous  les  arguments  par 
lesquels  M.  B.  l'appuie  soient  inattaquables.  La  discussion  la  plus  sommaire  des 
points  très-nombreux  que  traite  M.  B.  réclamerait  plusieurs  pages,  et  je  m'en 
abstiens  d'autant  plus  volontiers  que  G.  Paris  a  l'intention  d'examiner  en  un 
mémoire  exprès  toutes  les  objections  qui  ont  été  faites  à  son  Alexis.  —  P,  38, 
A.  M.  et  A.  R.  F.  Épigraphie  romane;  deux  inscriptions,  l'une  du  XIV°  siècle, 
l'autre  du  XV".  —  P.  40.  Le  Mémorial  des  nobles  (suite).  —  P.  80,  Alart,  Docu- 
ments sur  la  langue  catalane  (suite).  Ordonnances  et  règlements  de  métiers  de  la 
fin  du  XIII'^  siècle,  intéressants  à  divers  points  de  vue.  P.  97,  le  mot  moyson 
qui  a  embarrassé  M.  A.  est  bien  connu;  c'est  une  mesure  de  longueur,  au 
sujet  de  laquelle  je  ne  puis  que  renvoyer  M.  A.  à  Du  Gange  (au  mot  moiso) 
et  à  feu  Bourquelot,  qui  dans  ses  Etudes  sur  les  foires  de  Champagne  (première 
partie,  Vil,  ?  i)'  a  consacré  plusieurs  pages  aux  maisons  des  foires  de 
Champagne.  P. 97  note  4  M.  A.  considère  ausars  (e  no  sien  ausars  vendre. . .)  comme 
un  adj.  verbal,  équivalent  de  ausador.  Je  ne  pense  pas  que  ces  deux  mots  puis- 
sent s'employer  l'un  pour  l'autre;  le  second  seul  est  un  adjectif  verbal  ;  ausars 
est  le  prov.  auzart:  dont  les  exemples  sont  nombreux  {Lex.  Rom.,  Il,i  51);  c'est 
un  ad),  formé  avec  le  suffixe  art  (Diez,  Gram.  II.  586).  P.  98  «  ni  ausen  exaugar 
los  ditz  peixes  a  diners  »,  en  note  u  exaugar,  épuiser,  achever,  c'est-à-dire  ache- 
ter tout  le  poisson  »  ;  interprétation  on  ne  peut  plus  hasardée;  n'y  aurait-il  pas 
dans  le  ms.  escangar,  «  échanger  »,  qui  conviendrait  bien  au  sens.?  —  P.  105, 
Boucherie,  Formules  de  conjuration,  tirées  du  ms.  lat.  13246  dont  j'ai  extrait 
(ci-dessus  t.  I)  les  Joca  monachorum^.   M.  B.  a  traduit  et  commenté  au  point  de 

1.  Mémoires  présentés  à  l'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres,  2»  série,  t.  V, 
r"  partie,  2Ç 1  ss. 

2.  M.  A  cite  en  note  ces  mots  :  drap  doble  adobat  0  adobar,  ou  il  pense  que  adobar 
est  pour  adobador.  C'est  possible,  mais  la  leçon  est  fautive  ;  il  faut  restituer  ou  adobador 
ou  [a]  adobar. 

3.  M.  B.  s'étonne  que  je  n'aie  pas  donné  ces  formules  de  conjuration  dans  mon  Recueil 
d'anciens  textes.  Mais  les  trois  morceaux  que  j'ai  extraits  du  même  manuscrit  convenaient 
mieux  à  mon  objet,  et  la  place  me  manquait  pour  un  quatrième. 


514  PÉRIODIQUES 

vue  linguistique  ce  texte  curieux  et  souvent  obscur.  P.  1 14  M.  B.  signale  dans 
un  ms.  (lu  VU*  ou  VIII''  siècle,  contenant  la  chronique  attribuée  à  F'rédegaire,  le 
fameux (/<JMi  qu'on  cite  ordinairement  d'après  Aimoin  (Bouquet,  III,  47  c;  Rayn. 
Choix,  1,  viij).  M.  B.  en  conclut  u  que  la  langue  romane  existait  dès  le  VIII'  s. 
sinon  comme  langue  écrite  au  moins  comme  langue  parlée.»  Qui  en  doute?  mais  il 
ne  s'ensuit  pas  comme  le  prétend  M.  B.  que  vcs  puisse  être  depuis  le  VIII'  s.  la 
forme  vulgaire  de  velus.  Le  /  n'avait  pas  disparu  à  cette  époque,  même  en  fran- 
çais. —  P.  115,  Pin  y  Soler,  les  Jmx  d'enfant  en  Catalogne. —  P.  i2j,  Jeux  et 
Sournetas  du  Bas-Languedoc  (su'He).  —  P.  171,  Chabaneau,  Grammaire  limou- 
sine (suite). —  P.  197,  Roque-Ferrier,  Un  recueil  de  poésies  rumonsches. —  P.  225, 
Pcriodi(jucs.  P.   M. 

II.  JAimnucH  Fùn  Romanische  und  Englisciie  sphache  und  utehatur,  N. 
F.,  I,  5. —  P.  2J9, Lettres  inédites  de  Leopardi  à  Bunsen,  pub.  p.  M.  Tobler. 
—  P,  281,  du  Vallet  (jui  d'aise  a  malaise  se  met,  p.  p.  W.  Fœrster.  Cette 
pièce  curieuse,  qui  rappelle  à  deux  siècles  de  distance  les  Quinze  joies  de 
mariage,  a  été  extraite  par  M.  Fœrster  d'un  précieux  ms.  négligé  jusqu'à  lui', 
et  où  il  a  eu  le  bonheur  de  découvrir  (chose  rare!),  avec  de  nouvelles  ver- 
sions de  plusieurs  textes  connus,  deux  fableaux"^  inédits  et  inconnus  (plus  deux 
fragments),  celui  du  Prestrc  qui  abevcte  (M.  F.  lit  a  beuelcY,  et  celui  du  Prestre 
et  du  chevalier,  par  Milon  d'Amiens.  Quant  au  Vallet  qui  d'aise  à  malaise  se  met,  ce 
n'est  pas  un  fableau  proprement  dit,  bien  que  le  poète  l'appelle  ainsi  (v.  376), 
c'est  plutôt  un  dit  destiné  à  détourner  du  mariage  les  jeunes  gens  sans  fortune. 
On  y  reconnaît  une  œuvre  populaire,  dont  l'auteur  était  peu  familier  avec  la 
versification  et  même  avec  la  grammaire  :  aussi  ce  court  morceau  offre-t-il  de 
réelles  difficultés,  que  M.  ¥ .  a  indiquées  et  qu'il  a  souvent  réussi  à  vaincre.  Les 
détails  de  mœurs  y  abondent,  et  avec  eux  les  mots  nouveaux  ou  intéressants.  — 
P.  308,  C.  Michaelis,  Ëtymologies.  Mlle  M.  étudie  avec  une  grande  érudition 
les  différents  mots  qui  servent  dans  les  langues  romanes  à  désigner  un  carquois, 
et  termine  par  de  remarquables  observations  phonétiques.  —  P.  328,  R.  Kœhler, 
sur  le  Dolopathos  de  Jean  de  Haute-Seille,  publié  par  Oesterlcy.  Ce  sont  surtout  des 
corrections  de  textes,  qui  souvent  sont  d'accord  avec  celles  que  j'ai  données  ici, 
mais  sont  beaucoup  plus  nombreuses.  —  P.  337-343,  Comptes-rendus  :  trois 
articles  de  M.Suchier  sur  Stimming,  Jaufre  Rudcl ;  Philippson,  der  Mœnch  von 
Montaudon;  Bischoff,  Biographie  des  Troiib.  Bcrnhard  von  Ventadorn.  —  P.  344-6 
Périodiques:  Romania,  n°*  7-8,  Rivista,  n"  2,  Romanische  studien,  n°  3.  —  Mé- 
lange: sur  le  V  ou  w  anglo-saxon  (H.  Krebs).  —  Errata  à  l'article  de  M.  Grœ- 
ber  sur  Fierabras  paru  dans  les  Mémoires  du  24e  congres  des  philologues. —  G. P. 

III.  Archiv  fur  das  Studium  der  neueren  SrRACHEN,  LI,  I.— P.  1-32, 

1 .  Non  pas  négligé  absolument  puisqu'il  contient  la  leçon  même  de  Fierabras  qui  a  été 
imprimée,  mais  il  paraît  que  personne  n'y  avait  remarqué  les  fableaux. 

2 .  La  forme  fabliaux,  en  français  moderne ,  n'a  aucune  raison  d'être  ;  il  faut  dire 
fableaux  comme  tableaux,  etc.  Quant  à  fabliau  au  singulier,  c'est  un  barbarisme  en 
ancien  comme  en  moderne  français. 

5.  C'est  une  grossière  variante  du  Poirier  enchanté,  comme  le  remarque  M.  F.;  seule- 
ment il  dit  par  erreur  qu'un  conte  semblable  se  trouve  dans  le  roman  des  Sept  sages. 


PÉRIODIQUES  515 

Stengel,  le  manuscrit  provençal  Vatic.  5232. —  P.  101-110,  Horstmann,  Vie  de 
S.  Alexis,  en  ancien  anglais,  publiée  d'après  le  ms.  Laud  108. 

LI,  2.  —  P.  129-1^2,  Stengel,  le  ms.  du  Vatic.  5232  (suite). 

LI,  3-4.  —  P.  241-280,  Stengel,  k  ms.  du  Vatic.  5232  (fin').  —  A  ce 
numéro  est  joint  un  index  de  166  pages,  comprenant  les  cinquante  premiers 
volumes  du  recueil  et  d'une  grande  utilité. 

LU,  i.  —  P.  1-32,  Bœddeker^  Histoire  d'Arthur  en  anc.  anglais,  publiée 
d'après  le  ms.  Harl.  24;  c'est  une  libre  traduction  de  Wace.  —  P.  33-38, 
Horstmann,  les  Dits  de  Saint-Bernard  et  la  Vision  de  S.  Paul,  en  anc.  anglais, 
publ.  d'après  le  ms.  Laud  108.  —  Les  pp.  81-97  ^^"^  occupées  par  le  compte- 
rendu  des  séances  de  la  Société  berlinoise  pour  l'étude  des  langues  modernes.  Nous 
y  remarquons  des  communications  de  MM.  Jaenicke,  sur  les  noms  géographiques 
dans  les  poètes  allemands  du  moyen-âge  (notamment  sur  Romania  en  tant  que 
désignant  une  province  de  l'empire  byzantin,  puis  un  pays  fabuleux);  Schuize, 
sur  testa  et  Kopf;  Sachse,  sur  le  nom  de  Roland  (==  célèbre  dans  le  pays); 
Scholle,  sur  la  syntaxe  de  l'ancien  français  dans  la  proposition  simple;  Imelmann, 
sur  un  texte  de  l'an  ^20  contenant  des  formes  romanes;  Goldbeck^  sur  la 
renaissance  portugaise  (il  s'agit  de  l'école  critique  que  fondent  MM.  Coelho,  Braga 
et  Vasconcellos). 

LU,  2.  —  P.  177-194,  Scholle,  sur  /'s  sonore  et  muette  d'après  les  chartes  de 
Joinville  ;  travail  fait  avec  soin  et  jugement.  —  Parmi  les  programmes  men- 
tionnés, nous  remarquons  les  suivants  :  Herbing,  le  Commencement  de  Guy  de 
Warwick;  Glauning,  Etudes  sjntactiques  sur  Marot;  Petry,  le  roman  de  Jaufre. 

IV.  Germania,  XVIII,  4.  —  P.  456-457,  Liebrecht,  Tprut  purt;  M.  L.  montre 
que  cette  interjection  a  été  employée  au  moyen  âge  en  Allemagne,  en  Angleterre 
et  en  France  (j'en  pourrais  donner  de  nombreux  exemples,  outre  celui  qui  a  été 
cité  ici);  quant  à  l'explication  qu'il  en  donne  après  M.  Schrœder  («  es  ist  der 
graphische  Ausdruck  eines  crepitus  ventris  «),  elle  peut  être  fondée  originairement; 
mais  le  mot  avait  pris  le  simple  sens  du  mépris. 

V.  Zeitschrift  fur  DEUTSCHE  PHILOLOGIE,  V,  2.  —  P.  165-186,  Pciper, 
Contribution  à  l' histoire  littéraire  des  distiques  dcCaton;  édition,  avec  d'intéressantes 
remarques  préliminaires,  d'une  imitation  de  Caton  en  vers  rhythmiques  {Ethica 
Ludulphi),  incomplète,  et  d'un  curieux  petit  poème  où  la  vie  des  clercs  est 
opposée  et  préférée  à  celle  de  tous  les  autres  hommes  : 

Vide,  fili,  clericos  purpura  splendentes; 
Ipsi  sunt  divitias  recte  possidentes. 
Ad  laborem  aliquem  non  apponunt  mentes  : 
Sunt  qui  fiunt  clerici  vere  sapientes  etc. 

L'auteur  énumère  les  diverses  situations  qu'un  jeune  homme  peut  espérer 
atteindre  dans  le  monde  des  clercs  :  il  peut  être  prélat,  prêtre,  maître,  moine, 
templier,  frère  prêcheur  ou  mineur;    il   peut  gagner  sa  vie  en  copiant  des  livres 

I.  C'est-à-dire  «  fin  de  la  copie  de  M.  Stengel  »,  car  le  ms.  est  loin  d'être  publié  en 
entier  ;  sur  216  feuillets,  M.  St.  n'en  a  copié  que  72. 


Jl6  PÉRIODIQUES 

OU  en  chantant  au  chœur,  en  pratiquant  les  lois;  s'il  n'arrive  pas  à  une  grande 
instruction,  il  pourra  relier  des  manuscrits  (ligarc  psalUria);  il  pourra  toujours 
au  moins  apprendre  par  cœur  les  heures  et  le  psautier  et  tenir  des  écoles  de  filles, 
ou  enfin  se  faire  custos  (sacristain?  Multc  sunt  [custodie]...  Ubi  custos  diccrc  ml  scit 
prêter  amen). 

VI.  BlIîLlOTHKHUE    DE    l'ÉcOLK   DES    CHARTES,    XXXIV,    ^-6. — P.    597-602, 

comptes-rendus  (L.  D.)  de  la  nouvelle  édition  de  Joinville  par  M.  de  Wailly  et 
du  livre  de  M.  Bordier  sur  Philippe  de  Rémi.  —  P.  655-56.  Un  feuillet  d'un 
nouveau  ms.  de  la  cbroni^juc  d'Ernoul  et  de  Bernard  le  trésorier;  fragments  mutilés. 
—  P.  657-58.  Les  Rois  mages,  fragment  d'un  drame  liturgique  du  XI'  siècle.  Un 
feuillet,  de  petit  format,  dont  une  page  seule,  comprenant  1 5  lignes,  a  été 
écrite  au  XI"  siècle,  sert  de  feuille  de  garde  au  psautier  de  Charles  le  Chauve 
(ms.  B.  N  lat.  1152).  M.  L.  Delisle  signale  avec  toute  raison  à  l'attention  ce 
fragment  du  mystère  des  Rois  mages.  Le  passage  conservé  offre  des  variantes 
intéressantes  avec  les  textes  des  offices  liturgiques  de  Rouen,  Orléans,  Fri- 
singue,  etc.  '. 

VII.  Bulletin  de  la  Société  des  sciences,  lettres  et  arts  de  Pau.  1872- 
1875.  2'  série,  t.  II.  Pau.  —  P.  81-86.  Lespy,  D'où  viennent  quelques  diminutifs 

français.  11  s'agit  des  diminutifs  en  et,  que  M.  Lafaye,  doyen  de  la  faculté  des  lettres 
d'Aix,  dérive,  dans  son  dictionnaire  des  synonymes,  de  l'italien  etlo.  M.  Lespy 
n'a,  comme  bien  l'on  pense,  aucune  peine  à  démontrer  que  le  suffixe  et  n'est 
point  chez  nous  d'importation  étrangère;  mais  valait-il  la  peine  de  fournir  cette 
démonstration?  Il  se  trompe  toutefois  lorsqu'il  rattache  ce  suffixe  au  latin  clum; 
le  type  latin  s'il  existait,  serait  en  tout  cas  ettum,  mais  si  M.  Lespy  avait  con- 
sulté la  Grammaire  de  Diez  (3'  édition,  II,  371),  il  y  aurait  appris  que  le  suffixe 
et  est  de  formation  romane,  qu'on  ne  lui  trouve  pas  de  type  en  latin.  C'est  à  tort 
que  M.  Lespy  identifie  ce  suffixe  et  avec  le  suffixe  latin  ellus,  qui  donne  en  pro- 
vençal ê/,  eu,  et  en  franc,  cl,  eau.  Il  est  vrai  que  le  même  suffixe  ellus  produit  et 
en  béarnais  et  en  gascon  (anhet  d'aquellum,  pradct  de  pratcllum,  etc.').  Mais  c'est 
là  un  fait  spécial  au  dia'ecte  du  S.-O.  de  la  France.  Pour  le  dire  en  passant  ce 
fait  donne  l'étymologie  du  fr.  cadet  que  M.  Lespy  fait  venir  «  du  bas-latin  capi- 
tclum  (lisez  capitcttum)  petite  tête  »,  répétant  ainsi  une  étymologie  que  se  trans- 
mettent, depuis  Ménage  jusques  et  y  compris  M.Scheler,  tous  les  étymologistes. 
Le  ûci\{  capitfttum  est  une  hypothèse  tout  à  fait  superflue:  cadet,  mot  entré  dans 
le  français  au  XVI°  siècle,  est  le  béarnais  ou  gascon  capdet,  le  prov.  capdel  (chef). 
L'étymologie  est  donc  capitellum,  et  cadet  se  trouve  être  le  frère  du  mot  cadeau 
dont  M.  Brachet  a  fait  rhistoire\  P.  M. 

VIII.  NuovA  Antologia  (Firenze),    1873,  t.   III.  —   P.    5-57,  d'Ancona, 

1.  A  la  p.  314  de  ce  même  volume,  on  trouvera  aussi  une  version  :;'d'après  unms.  du 
14'  s.)  de  V Apparition  à  Emmaûs,  que  nous  avons  omis  de  mentionner  en  son  lieu. 

2.  Non  pas  seulement  dans  la  langue  actuelle,  mais  aussi  dans  les  plus  anciens  textes 
vulgaires  du  S.-O.  de  la  France.  On  trouve  td  ou  et,  aqued  ou  aqaet  (prov.  cl,  aquel) 
dans  des  chartes  béarnaises  du  xiu''  siècle. 

3.  Dans  le  supplément  (1871)  à  son  Dictionnaire  des  Doublets,  p.  17. 


PÉRIODIQUES  517 

Cecco  Angiolien  da  Siena,  poeta  umorista  del  secolo  decimoterzo.  Bien  qu'on  eût 
déjà  publié  27  sonnets  de  Cecco  Angiolieri,  l'étude  de  M.  d'Ancona,  qui  en  a 
découvert  une  centaine  dans  deux  bibliothèques  de  Rome,  est  une  véritable  révé- 
lation. Les  nombreux  spécimens  donnés  dans  cet  article  font-vivement  désirer  la 
publication  intégrale  des  œuvres  conservées  de  Cecco.  Par  leur  verve,  leur 
réalisme,  leur  style  populaire,  leur  inspiration  toute  personnelle,  ces  poésies 
tranchent  de  la  façon  la  plus  vive  et  la  plus  heureuse  avec  la  monotonie  de  la 
lyrique  italienne  contemporaine.  M.  d'Ancona  a  écrit  sur  l'étrange  personnage 
auquel  on  les  doit  une  notice  biographique  et  littéraire  qui  est  de  tous  points 
excellente.  A  côté  de  curieuses  recherches,  on  y  trouve  une  appréciation  de 
l'homme  et  du  poète  que  diverses  circonstances  rendaient  fort  difficile,  et  qui  est 
faite  avec  infiniment  de  tact,  de  mesure  et  de  goût.  Le  savant  et  spirituel  pro- 
fesseur de  Pise  compare  son  Cecco  à  notre  Rutebeuf  ;  il  est  certain  qu'il  lui  res- 
semble par  certains  traits,  mais  combien  il  est  plus  gai,  plus  élégant,  plus  bril- 
lant, et  surtout  plus  moderne  !  On  ne  peut  s'empêcher,  en  lisant  certaines 
pièces,  d'un  tour  si  léger  et  original,  d'une  langue  si  claire  et  si  simple,  de  son- 
ger à  Henri  Heine.  Il  est  vrai  que  ses  œuvres,  —  consistant  uniquement  en  son- 
nets, —  n'ont  pas  la  variété  et  la  portée  historique  de  celle  du  trouveur  français. 
Mais  un  pareil  talent  poétique,  manifesté  avant  les  premières  compositions  de 
Dante,  est  assurément  digne  de  toute  attention.  M.  d'Ancona  refait  pour  son 
lecteur  ce  monde  siennois,  si  gai,  si  satirique,  si  fou  d'après  le  proverbe  [Senesi 
tutti  matti),  si  frivole  d'après  Dante,  qui  trouve  les  Français  eux-mêmes  plus 
sérieux  (or  fu  giammai  Gente  si  vana  corne  la  sencse?  Certo  non  la  francesca  si 
d'assai),  dans  lequel  Cecco  a  vécu,  et  qui  l'explique  en  partie.  Ce  tableau  ajoute 
encore  de  l'intérêt  à  l'article  déjà  si  curieux  et  si  attachant  de  notre  éminent 
collaborateur.  G.  P. 

IX.  TlDSKUIFT   FOR    PHILOLOGIE   OG    P.T.DAGOGIK.  N.  S.,  I.  —  P.  24-43.  G. 

Storm,  Sur  Us  poèmes  d'Eufcmia.  Ceite  étude  soigneuse'  résout  d'une  manière 
définitive  la  question  embrouillée  qu'elle  traite.  Trois  poèmes  suédois,  Ivain, 
Flore  et  Blancheflor,  le  Duc  Frédéric,  se  donnent  comme  traduits  du  français  ou 
de  l'allemand  sur  l'ordre  de  la  reine  Eufemia  (reine  de  Norvège  1299-15!  2). 
Comment  une  Allemande  reine  de  Norvège  aurait-elle  eu  l'idée  de  faire  faire  des 
poèmes  suédois,  quand  la  Suéde  ne  possédait  encore  aucune  littérature  ?  On 
avait  déjà  émis  l'idée  (voy.  Rev.  dit.  1873,  t.  I,  p.  7)  qu'Eufemia  avait  fait 
réellement  écrire  ces  poèmes  en  norois,  et  que  le  traducteur  suédois  postérieur 
avait  substitué  à  la  mention  du  norois  qu'il  trouvait  dans  son  original  celle  de 
sa  propre  langue.  M.  G.  Storm  démontre  qu'il  en  est  ainsi,  et  par  des  raison- 
nements historiques  et  littéraires  tout  à  fait  concluants.  Deux  de  ces  poèmes, 
Ivain  et  Flore,  existaient  déjà  en  prose  noroise  :  Eufemia  les  a  fait  mettre  en 
vers;  quant  au  troisième  elle  l'a  fait  traduire  directement  d'un  poème  allemand 
qui  est  perdu  ainsi  que  son  original  français  (voy.  Rev.  Crit.  1869,  I,  p.  343). 


I.  Elle  est  enrichie  de  la  publication  d'un  morceau  do  l'ancienne  version  islandaise  de 
Flore  et  Blancheflore  d'après  un  fragment  malheureusement  trop  court,  qui  appartenait  à 
un  bon  et  ancien  ms. 


Îl8  PÉRIODIQUES 

Il  lui  reste  le  mérite  d'avoir  introduit  dans  la  littérature  Scandinave  la  poésie 
rimée  (sans  doute  A  l'imitation  des  poèmes  allemands;.  G.  P. 

X.  Revue  cniTfQUE  d'histoire  et  de  littêhature.  Janvier-Mars  1874.  — 
4.  De  Puymaigre,  la  Cour  littéraire  de  D.  Juan  II  (Alfred  Morel-Fatio).  —  28. 
Comparetti,  Virgilio  ntl  medio  cvo  (G.  P.)  —  34.  Murray,  le  Dialecte  de  l'Ecosse 
mhidionale  (H.  Gaidoz).  —  40.  Traditions  et  légendes  de  la  Suisse  romande  (Jules 
Cornu).  —  44.  Bonnardot,  Chartes  françaises  de  Lorraine  et  de  Metz  (G.  M.). 

XI.  LiTERAUiscHES  CENTRALBLATT.  Janvicr-mars  1874. —  I .  Caetani,  la  Materia 
délia  divina  commedia.  —  2.  Grœber,  die  altfranzœsischen  Romanzen  und  Pastou- 
rellen;  Flùgi,  die  Volkslieder  der  Engadin;  Bernoni,  Fiabe  popolari  veneziane.  — 
8.  De  Wailly,  Œuvres  de  Joinville.  —  12.  Stengel,  li  romans  de  Durmart  le  ga- 
lois. 

XII.  WissENSCHAFTLicHE  MONATSHEFTE,  hgg.  von  Hopf'  und  Schadc,  I,  9. 
—  Ce  numéro  contient  un  article  de  huit  grandes  pages  sur  le  premier  volume 
de  la  Remania.  M.  Schade  y  parle  avec  la  plus  grande  sympathie  de  notre 
œuvre,  et,  ce  qui  nous  plaît  encore  davantage,  rend  pleine  justice  à  ce  qu'a  fait 
la  France  dans  le  domaine  des  sciences  historiques;  le  savant  professeur  de 
Kœnigsberg  fait  à  ce  propos  des  réflexions  fort  justes  sur  l'histoire  de  la  science. 
Nous  remercions  vivement  M.  Schade  de  son  extrême  bienveillance,et  nous  reprodui- 
sons volontiers  les  paroles  par  lesquelles  il  termine  son  compte-rendu  :  «  Puisse 
une  heureuse  continuation  ne  pas  faire  défaut  à  cette  belle  entreprise!  Puissent 
les  directeurs  et  un  nombre  toujours  croissant  de  collaborateurs  jouir  longtemps, 
en  pleine  force  et  santé,  de  leur  activité  féconde!  Puissent  leurs  travaux  rendre 
de  plus  en  plus  intime  entre  eux  et  nous  le  commerce  scientifique,  et  aider,  d'un 
côté  comme  de  l'autre,  à  faire  disparaître  ces  préjugés  qui  se  couvrent  trop  faci- 
lement du  manteau  d'un  faux  patriotisme,  mais  qui  ne  sont  en  réalité  que  le  pro- 
duit d'une  ignorance  impudente,  et  qui  sont  si  préjudiciables  au  développement 
de  la  civilisation!  C'est  dans  ce  sentiment  que  des  rivages  lointains  de  la  Bal- 
tiques  (von  der  ferncn  Bernsteinkiiste)  nous  envoyons  du  fond  du  cœur  nos  félicita- 
tions et  nos  souhaits  aux  amis,  aux  compagnons  qui  travaillent  à  la  même  oeuvre 
que  nous  sur  les  bords  de  la  Seine,  de  la  Loire  et  de  la  Garonne!  » 

XIII.  GoETTiNGTSCHE  GELEHRTE  Anzeigen,  n»  9  (4  mars).  Der  Mccnch  von  Mon- 
taudon,  em  provenzalischer  Troubadour...  von  E.  Philippson  ;  Halle,  1873. 
Article  très-étendu  et  très-étudié  de  M.  Bartsch,  d'où  il  résulte  que  cette  édition 
est  sans  valeur. 

I.  Ce  même  numéro  annonce  la  mort  prématurée  de  M.  Hopf. 


CHRONIQUE 


Les  cours  parisiens  sur  les  langues  et  littératures  romanes  sont  les  mêmes  que 
pour  le  semestre  d'été. 

—  Nous  relevons,  dans  le  programme  de  l'Académie   de   Neuchâtel  pour  les 
deux  semestres  (avril-juillet,  octobre-avril)  de  1874-7$,  ^^^  cours  suivants  : 
Ayer  :  Histoire  de  la  langue  française  ;  les  dialectes  (été,  1  heure  par  semaine)  ; 

Grammaire  historique  du  français  avec  lecture  de  textes  (hiver,  i  h.). 
Preda  :  Histoire  de  la  littérature  italienne  au  XV"  et  au  XVI"  siècle  avec   lec- 
ture de  Dante  et  d'Arioste  (2  h.  dans  chaque  semestre).  A  ce  cours  se 
rattachent  des  cours  libres  d'italien  et  d'espagnol. 

—  Le  Centralblatt  indique  les  cours  suivants  pour  le  semestre  d'été  en  Alle- 
magne : 

Leipzig.  Ebert  :  Histoire  de  la  littérature  italienne  ;  Explications  d'ancien  fran- 
çais (d'après  la  Chrestomathie  de  Bartsch). 

Giessen.  Lemcke  :  Grammaire  comparée  des  langues  romanes  (phonétique  et 
flexion)  ;  Exercices  pratiques. 

Heidelberg.  Bartsch  :  Exercices  d'ancien  français. 

Berlin.  Tobler  :  Grammaire  italienne;  espagnol  ;  exercices  d'ancien  français. 

Munich.  Hofjiann  :  Explications  littéraires  et  philologiques  d'ancien  français  et 
de  provençal. 

Marbourg.  Stengel  :  Chapitres  choisis  de  grammaire  française  ;  Exercices  pra- 
tiques ;  Histoire  de  la  littérature  française  (L  Epopée). 

Kœnigsberg.  Schipper  :  Explication  de  morceaux  provençaux  (d'après  la  Chres- 
tomathie de  Bartsch). 

Breslau.  Grueber  :  Introduction  à  la  philologie  moderne  ;^  Grammaire  historique 
du  français. 

Munster.  Mall  :  Explication  de  textes  d'ancien  français. 

Halle.  ScHucHARDT  :  Eléments  de  métrique  romane  ;  Grammaire  espagnole  ; 
Exercices  pratiques. 

Bonn.  DiEZ  :  Versification  romane;  Langue  et  poésie  provençale;  Explication 
de  la  Divina  Commedia  ;  Grammaire  espagnole. 

—  Delius  :  Grammaire  historique  de  la  langue  anglaise. 

Plusieurs  universités  (entre  autres  Strasbourg  et  Vienne)  n'ont  pas  envoyé 
leur  programme  au  Centralblatt  en  temps  utile. 

—  Dans  le  programme  des  cours  de  \' Académie  de  philologie  moderne  à  Berlin 
pour  le  semestre  d'été,  nous  signalerons  les  suivants  : 

Mahn,  Grammaire  provençale,  grammaire  italienne  ;  Scholle,  Explication  du 
Roland;  Lùcking,  Explications  d'aprh  la  Chrestomathie  française  i/c  Bartsch; 
Marelle,  les  Chants  populaires  de  la  France  ;  Schmidt,  Histoire  de  la  littérature 
anglaise  (i"  partie)  ;  Buchholz^  Histoire  de  la  littérature  italienne  (\"  partie);  expli- 
cation de  Dante  ;  Fœrster,  Grammaire  espagnole. 


320  CHRONIQUE 

—  M.  Marchessou,  imprimeur  et  libraire-éditeur  au  Puy,  a  entrepris  la  publi- 
cation d'une  collection  des  troubadours  du  Velay.  Elle  s'ouvrira  par  l'édition 
des  œuvres  de  Peire  Cardinal.  C'est  P.  Meyer  qui  s'en  est  chargé,  et  qui  l'ac- 
compagnera d'une  traduction. 

—  Le  livre  de  M.  Joret,  sur  le  C  dans  les  lanfiues  romanes,  dont  nous  ren- 
drons compte  dans  notre  prochain  numéro,  est  le  premier  ouvrage  qui  ait  valu 
à  son  auteur  le  titre  d'élevé  diplômé  de  l'Ecole  pratique  des  Hautes-Etudes. 

—  Le  cabinet  des  manuscrits  de  la  Bibliothèque  nationale  vient  d'acquérir 
un  exemplaire  du  roman  italien  de  Fioravanle,  que  M.  Rajna  a  récemment  publié 
d'après  deux  manuscrits  florentins  (voy.  Romania  II,  352).  Nous  donnerons  une 
notice  de  ce  ms.  comparé  à  ceux  dont  s'est  servi  notre  savant  collaborateur. 

—  M.  W.  Fœrster  a  reçu  le  10  mars,  à  l'université  de  Vienne,  la  venia 
legendi  en  qualité  de  «  Privât  docent  pour  la  philologie  romane.  » 


ERRATA. 


Dans  l'article  de  M.  Schuchardt  publié  dans  notre  dernier  numéro, 
outre  quelques  inexactitudes  de  traduction,  il  s'est  glissé  un  grand 
nombre  d'erreurs  typographiques.  Nous  ne  relevons  ici  que  les  plus 
importantes. 

P.  6,  /.  <^  de  la  note  :  mais  1'/  et  Vn  sont  surtout  fréquentes,  lisez  : 
Mais  1'/  et  \'n  sourdes  sont  surtout  fréquentes;  —  /.  6  :  L'/ se  produit, 
lisez  :  L'X  se  produit;  —  /.  20  :  C'est  pour  préserver  1'/  de  l'absorption 
dans  le  son  dental  du  /,  lisez  :  C'est  pour  préserver  VI  de  l'infection  à 
laquelle  l'e.xpose  le  voisinage  du  /  dental. 

P.  10, 1.  41,  supprimez  les  six  premiers  mots  et  reportez  les  deux  derniers 
à  la  3«  colonne  de  la  L  35. 

P.  n,  1.  30,  andrà,  1.  andro. 

P.  18,  1.  5,  pé,  1.  pe'. 

P.  19, 1.  6,  ognidun,  1.  ognidun  ;  —  1.  7,  préposition,  1.  conjonction.  — 
25,  le  mot  fr.  accent  doit  rendre  l'ail,  stimmton. 

P.  20,  1.  6,  7,  oltra  cchè,  oltra  ccio,  1.  oltracchè,  oltraccio;  —  1.  13, 
Domemeddio,  1.  Domeneddio. 

P.  21,  1.  38,  gateriniano,  1.  cateriniano. 

P.  22,1.  30,  ital.  g  —  y,  /.  ital  g  =  lat.  ;. 

P.  23,1.  24,  po  eni,  1.  po  enï. 

P.  24,  1.  I,  bbusila,  1.  bbuscïa;  —  1.  5,  Già,  1.  Ggià. 

P.  2^,\.  \  de  la  note  :  a  Wha,  1.  a  //'a. 

P.  27,  l.  6,  ppà,  l.  ppe';  cce'  1.  ccà  —  1.  12,  la  'ità,  1.  la  'ita;  —  1. 
13,  vuo,  1.  vuoi;  —  1.  15,  vueri,  1.  vuei;  —  1.  29,  uèo,  1.  uei;  suppr. 
dà  jersi;  —  1.  32,  bausaà,  1.  bausau;  —  1.  39,  n  'nno,  1.  n'  anno. 

P.  28,  1.  40,  ensi,  1.  cusï;  sperghieura,  1.  sperghiura. 

P.  30,  1.  9-10,  à  côté  de  0  boquier  on  trouve  0  ochien,  L  à  côté  de 
0  ochien  on  trouve  0  boquier. 

Nogent-le-Rotrou,  imprimerie  de  A.  Gouverneur. 


01  ET  UI  EN   FRANÇAIS 


Les  questions  qui  se  rattachent  aux  diphthongues  oi  ui  ont  été  tou- 
chées dans  les  derniers  tennps  par  M.  Gaston  Paris,  S.  Alexis  p.  74sqq.; 
par  M.  Chabaneau,  Revue  des  langues  romanes  III  p.  541  sqq.  (sur 
cetarticle  voir  quelques  lignes  de  M.  G.  Paris,  Romania,  Il  139);  par 
M.  Mail  dans  son  édition  du  Compuî  de  Philippe  de  Thaun,  p.  60  ss.  ; 
par  M.  Schuchardt,  Romania  III,  279  ss.  J'avais  écrit  cet  article  sans 
connaître  les  travaux  de  MM.  Mail  et  Schuchardt;  je  m'en  suis  servi 
pour  le  corriger. 

Je  me  sers  dans  ce  travail  des  signes  conventionnels  suivants  : 

Phonèmes 2  de     Phonèmes  dénature 
nature  labiale.         labiale-linguale. 

fà  ouverture  maxima.   a  ?  .  pâte 
très-ouverte a5  .  anglais  pav/. 
.,j ouverte 0.   .  port 0 peur 

/fermée.. w'.  pot w^ peu 

\  extrême  4 u.  .  pou ii pu 

sonore w.  .  doit w buis 

I  sourde cp.    .  toi ç puis 

Aujourd'hui  (voir  Mém.  de  la  soc.  de  ling.  II,  218  ss.)  les  diph- 
thongues françaises  graphiques  01  ui  ne  sont  pas  des  diphthongues  pho- 
nétiques. Le  premier  phonème  est  une  consonne,  et  ces  groupes  sont 
des  syllabes  parfaitement  comparables  à  ra,  li,  yo.  Isolé,  ou  après  une 
sonore,  01  sonne  wa^  après  une  sourde  9a  (devant  un  s  devenu  muet 

1 .  N.B.  Dans  tout  ce  qui  suit  j'écris  en  romain  (ordinairement  en  petites 
capitales)  les  formes  graphiques,  en  italiques  et  en  lettres  grecques  les  termes 
phonétiques. 

2.  Phonème,  terme  que  j'emprunte  à  M.  Dufriche-Desgenettes,  de  la  société 
de  linguistique  de  Paris,  désigne  un  son  articulé  quelconque,  voyelle  ou  con- 
sonne. 

3.  a,  a,  w,  ùi  ne  sont  pas  nécessairement  longs  :  j'entends  marquer  le  timbre 
et  non  la  durée  de  la  voyelle. 

4.  Voyelle  extrême^  parce  que  si  l'on  ferme  la  bouche  davantage  le  phonème 
devient  consonantique. 

Romania,  UI  2  I 


consonnes! 


^22  !..    HAVET 

souvent  wx,  97,  ex.  croix  =  CR^a;  ;  de  même  oin  sonne  wê,  çê  ff  =  e 
ouvert  nasal  .  Isolé,  ou  après  une  sonore,  li  sonne  u/,  après  une  sourde 
c/  ;  et  uiN  sonne  u'^,  u'.  Ainsi  les  diphihongues  graphiques  01  ui  four- 
nissent dix  diphonèmes  distincts  wa  wy.  wc  ivi  wê  r^a  97.  oê  ii  çê.  Cette 
complication  tient  à  des  phénomènes  divers  et  relativement  récents  : 
aussi  est-il  clair  que  ce  n'est  pas  de  la  prononciation  actuelle  que  nous 
pourrons  partir  pour  étudier  l'histoire  primitive  de  01  et  ui.  —  D'autre 
part  il  nous  est  interdit  de  nous  en  tenir  à  la  considération  des  formes 
écrites.  En  général,  une  théorie  linguistique,  fût-elle  ingénieuse  et  solide, 
n'est  pas  complète  si  elle  ne  rend  compte  que  des  lettres.  Les  lettres 
sont  en  dehors  du  langage  :  deux  mots  prononcés  différemment  peuvent 
être  écrits  de  même,  deux  mots  prononcés  de  même  être  écrits  différem- 
ment. Il  faut  donc  absolument  substituer  à  l'étude  des  éléments  graphi- 
ques celle  des  éléments  phonétiques;  non  celle  des  phonèmes  d'aujour- 
d'hui, mais  bien  des  phonèmes  et  groupes  de  phonèmes  de  la  vieille 
langue. 

Un  premier  point  qui  n'est  douteux  pour  personne,  c'est  que  01  ui 
étaient  originairement  des  diphthongues  véritables,  c'est-à-dire  des 
groupes  binaires  de  phonèmes  vocaliques.  En  second  lieu,  comme  i  dans 
le  plus  vieux  français  (quand  il  est  voyelle,  bien  entendu),  désigne  tou- 
jours un  seul  et  même  son,  celui  de  l'i  moderne  de  dit  ;  comme  o 
désigne  tantôt  0  (mort),  tantôt  w  (amor)  ;  comme  enfin  u  désigne  tantôt 
û  (commun),  tantôt  w  (amur),  il  n'est  pas  douteux  que  les  groupes 
binaires  de  phonèmes  vocaliques  ordinairement  exprimés  par  les  deux 
groupes  binaires  de  lettres  O!  ui  ne  fussent  compris  dans  les  trois 
suivants  :  oi  mi,  iii  (dans  oi  10/  la  première  voyelle  est  purement  labiale, 
dans  in  elle  est  à  la  fois  labiale  et  linguale  ').  Et  en  troisième  lieu  il  n'est 
pas  douteux  que  le  premier  phonème  ne  fût  jadis  plus  intense  que  le  se- 

I.  Nous  serons  amenés  à  admettre  en  outre  des  sons  de  transition  ôi  wi  a'. — 
Parmi  les  groupes  binaires  qui  pourraient  être  notés  par  01  ui,  nous  ne  pouvons 
songer  à  compter  i.  En  effet,  à  l'époque  des  premiers  monuments  de  la  langue, 
il  n'existe  pas  d'assonance  en  u  :  Sainte  Eulalie  a  l'assonance  en  0  (tost),  Saint 
Alexis  les  deux  assonances  en  0  (TOLGET)et  en  w  (amor).  Saint  Léger  les  trois 
assonances  en  0  (mors),  w  (honors)  et  uo  (duol),  Roland  les  trois  assonances 
en  0,  u,  UE  :  ce  n'est  que  beaucoup  plus  tard  qu'on  peut  admettre  des  asso- 
nances ou  des  rimes  en  u  (.\mour).  S'il  n'y  avait  point  d'assonance  en  u,  il  faut 
que  dans  la  langue  d'alors  il  n'y  eût  pas  de  mot  dont  Vu  fût  la  voyelle  la  plus 
intense  et  correspondît  à  la  voyelle  accentuée  du  latin  ;  et  si  l'u  ne  correspondait 
jamais  à  une  voyelle  accentuée  du  latin,  il  y  a  grand  chance  que  jamais  i!  ne  cor- 
respondît non  plus  à  une  voyelle  atone  :  u  n'existait  vraisemblablement  alors  que 
comme  l'un  des  éléments  des  diphthongues  uo,  eu,  ou  (deu,  fou),  phénomène 
bizarre,  mais  qui  rappelle  un  phénomène  grec  assez  semblable.  A  l'époque  où  ils 
entrèrent  en  relations  littéraires  suivies  avec  les  Romains,  les  Grecs  avaient 
altéré  en  û  leur  ancien  u  sauf  dans  les  diphthongues  av  su  :  ils  avaient,  il  est 
vrai,  un  nouvel  u  long  issu  de  ou,  mais  point  d'u  bref  isolé;  ei  il  y  avait  certai- 
nement eu  solution  de  continuité  même  dans  la  possession  de  Vu  long. 


Oi  ET  lli  EN  FRANÇAIS  ^2:? 

cond  :  étymologiquement  le  premier  provient  de  la  voyelle  latine  accen- 
tuée, toujours  intense  en  roman,  tandis  que  le  second  nait  d'une  voyelle 
atone  ou  d'une  consonne  ;  graphiquement  l'intensité  prépondérante  du 
premier  est  exprimée  par  un  accent  spécial  dans  quelques  textes  comme 
le  psautier  d'Oxford  (Brachet,  Revue  critique  1870,  II,  p.  255-6);  enfin, 
dans  les  anciens  poèmes,  la  première  voyelle  assone  seule.  Il  y  a  donc 
une  différence  énorme  entre  les  sons  anciens  et  les  nouveaux  :  aujour- 
d'hui c'est  le  second  phonème  qui  a  l'intensité  la  plus  grande,  et  le  pre- 
mier s'est  atténué  au  point  de  se  transformer  en  consonne.  De  forte  la 
diphthongue  est  devenue  faiole,  ou,  pour  employer  des  termes  plus  précis, 
de  décroissante   elle  est  devenue  croissante  ' . 

Les  mots  qui  contiennent  01.  ui  se  divisent  d'eux-mêmes  en  deux  classes. 
La  première  se  compose  de  formes  qui  dans  les  plus  vieux  monuments 
français  ont  déjà  01,  ui  fissu  du  rapprochement  d'un  0  ou  d'un  u  avec 
un  1  que  développe  l'influence  d'une  lettre  voisine  :  podium  pui,  crucem 
CROIX,  GAUDiA  joie).  La  seconde  se  compose  de  formes  où  les  diph- 
thongues  01  ui  sont  d'origine  plus  récente  i'glorie  puis  gloire,  feiz 

puis  FOIS,  FUiR  puis  FUIR;. 

I.  01,  UI  anciens. 

01  UI  anciens  proviennent  toujours  des  voyelles  latines  0  u  au.  Comme 
il  faut  distinguer  les  voyelles  brèves  des  longues,  nous  devons  admettre 
cinq  éléments  étymologiques  distincts  en  latin  :  o  ô  à  Ti  av.  Mais  si  au 
lieu  de  partir  du  latin  classique  nous  partons  du  latin  populaire,  nous 
pourrons  réduire  ces  cinq  éléments  à  quatre  :  les  langues  romanes  en 
effet  confondent  0  long  et  u  bref  comme  elles  confondent  e  long  et  1 
bref.  On  voudra  bien  tenir  pour  accordés  quatre  points  qu'il  serait  trop 
long  de  démontrer  ici,  à  savoir  que  le  latin  populaire  donnait  à  0  bref  le 
son  0,  à  0  long  et  u  bref  le  son  10,  à  u  long  le  son  u,  à  au  le  son  au.  u 
latin  populaire  (u  long  classique)  passe  en  français  et  en  provençal  à  la 
fois,  c'est-à-dire  à  une  époque  très-ancienne,  au  son  ii.  commun  des 
serments  de  Strasbourg  =  communem  doit  ê're  prononcé  commun  :  «  u 
latin  populaire  »  et  «  ii  français  »  sont  termes  historiquement  équi- 
valents. En  français  au  ne  s'est  réduit  à  0  qu'après  le  changement  de 
CA  en  CHA  -  :  donc  au  était  encore  un  son  français  (à  plus  forte  raison 
un  son  latin  populaire,'. 

Ainsi,  les  trois  éléments  phonétiques o/wt  iii,  représentés  par  les  deux 


1.  Ne  pas  confondre  ce  qui  a  trait  à  l'intensité  et  ce  qui  a  trait  à  l'acuité 
musicale.  Dans  le  grec  ZsO;  la  diphthongue  est  montante  et  non  croissante,  dans 
Zeù  elle  est  descendante  et  non  décroissante. 

2.  Autrement  caulkm  aurait  fait  cou  et  non  chou. 


J24  L,  HAVET 

éléments  graphiques  oi  ui,  ont  leur  source  dans  les  quatre  éléments  éty- 
mologiques 0  (0  u  au  du  laiin  populaire  —  o  oj  u  au  du  français  primitif'. 
Ce  sont  les  rapports  mutuels  de  ces  diverses  unités  linguistiques  qu'il 
s'agit  de  débrouiller. 

Remarques.  En  premier  lieu,  o  latin  =  o  latin  populaire,  lorsqu'il 
est  suivi  d'une  nasale,  devient  en  vfr.  m  et  non  o.  Ainsi  w  français  pri- 
mitif équivaut  à  la  fois  à  ô,  û  devant  une  lettre  quelconque  et  àô  devant 
une  nasale. 

En  second  lieu,  u  a  dans  les  anciens  textes  français  deux  valeurs 
distinctes  co  et  iï  (amur  commun  =  amwr  commun)  ;  o  y  a  deux  valeurs 
distinctes  w  et  o  (amor  tost  =  amo)R  tost).  Lors  donc  qu'un  même 
mot  est  écrit  tantôt  par  o  et  tantôt  par  u  il  est  certain  :  ou  que  ce  mot 
a  varié,  et  a  pris  au  moins  deux  prononciations  différentes  ;  ou  bien,  si 
le  mot  n'a  jamais  varié  et  n'a  eu  qu'une  seule  prononciation,  que  cette 
prononciation  unique  était  lo  et  non  o  ou  ii. 

En  troisième  lieu,  la  rigueur  scientifique  veut  qu'on  ne  s'en  tienne  pas, 
quand  on  distingue  en  latin  o  bref  et  o  long,  u  bref  et  u  long,  en  latin 
populaire  o  et  o),  m  et  u,  en  français  primitif  o  et  o),  w  et  ii,  à  la  consi- 
dération des  syllabes  «  natura  longae  ».  Même  quand  la  syllabe  est 
(c  positione  longa  »  ou  terminée  par  une  consonne,  et  en  général  quand 
la  voyelle  principale  de  cette  syllabe  est  suivie  dans  cette  syllabe 
même  d'un  phonème  quelconque  (une  consonne  comme  dans  cul-tus 
ou  une  voyelle  comme  dans  cui),  la  voyelle  principale  a  en  latin  clas- 
sique sa  quantité  propre,  en  latin  populaire  et  en  français  son  timbre 
propre  (tout  aussi  bien  que  si,  comme  dans  cu-ra,  ru-brum,  elle  fermait 
la  syllabe).  —  Pour  faciliter  l'exposition  je  dis  que  l'u  est  couvert  dans 
cul-tus  cui,  non  couvert  dans  cu-ra  ru-brum  -. 

Il  serait  impossible  de  dire  pour  chaque  forme  o\x  se  trouve  une 
voyelle  couverte  la  quantité  de  cette  voyelle.  Mais  divers  indices  et  quel- 
quefois des  témoignages  formels  nous  donnent  quelque  lumière.  Ainsi  o 
est  bref  dans  noctem  ou  octo  (cf.  vûxTa,  cy-Tw,  pç.  ueit),  long 
dans  GNOSCO  (cf.  vri-vdxTy.w  et  nôvi  nôtus  ;  l'espagnol  dit  conozco  ?  et 

1 .  Par  français  primitif  j'entends  le  roman  du  nord  de  la  Gaule  avant  la  for- 
mation des  diphthongues  ci  ui. 

2.  L'u  est  couvert  dans  cuius  =  kuy-yus;  i'o  dans  boia  =  boy-ya  et  trôia 
(pç.  trueia),  qu'on  peut  couper  soit  à  la  latine  troy-ya,  soit  à  la  grecque  troi-a 
(Tpoî-a).  —  Une  consonne  finale  ne  doit  pas  être  considérée  comme  couvrant  la 
voyelle  qui  précède  :  en  effet,  devant  un  mot  qui  commence  par  une  voyelle, 
elle  se  rattache  à  la  voyelle  suivante  et  non  à  la  précédente  (lentus  in  umbra 
=  len-tu-si-num-bra).  — Sur  les  voyelles  couvertes  longues  v.  Weil  et  Ben- 
loew,  Accentuation  latine  p.  27  ss. 

5.  Il  dit  aussi  noche  ocho  p.  noite  oito  :  une  diphthongue  uei  eût  été 
malaisément  prononçable.  Cette  explication  de  l'absence  de  diphthongaison 
n'e.xiste  pas  pour  conozco.  Sur  l'w  de  cognosco  voir  d'Arbois  de  Jubainville, 
Romania  1,  322. 


Oi  ET  ui  EN  FRANÇAIS  ^  2  5 

non  coNUEZco;  cf.  encore  I'e  long  qui  est  assuré  dans  notesco  cresco  ' 
CALESCO  STUPESco  NiTESCO,  Wcil-Benloew  p.  41-42).  Le  premier  u  de 
ULLUS  était  long,  comme  le  prouve  l'étymologie  UNULUset  \esapices  des 
inscriptions  :  nous  voyons  par  le  fr.  ;2ti/que  u  long  couvert  devient  iï  en 
français  aussi  bien  que  u  non  couvert.  L'esp.  bosque  (non  buesque) 
atteste  eoiSCUM  ;  u  était  bref  dans  angustia,  du  thème  angùs  =  à/o;, 
dans  BUXUM  (t^'j^oç,  glosses  d'Erfurt  poxides,  non  puxides),  danssTRUo 
et  ungo,  long  dans  structus  et  unctus  Gellius  9,  6  et  12,  5^,  dans 
JUNCTUS  (Weil-Benloew  p.  59),  duxi  (p.  41  j.  0  était  probablement 
long  dans  ostium,  dérivé  de  ôs  ôris  ^mais  dans  ce  mot  le  latin  popu- 
laire l'avait  changé  en  U,  Diez,  WôrUrhuch  5  s.  v.  uscio,  Grammatik  5  I, 
163;  trad.  I,  152)  ;  il  était  bref  dans  les  diverses  formes  de  possum 
pour  PÔTissuM  (cf.  coMPÔs  iMPÔs  MiLës),  dans  ostrea  comparé  à 
ciTTpaxov,  dans  longus  et  longe  (vieil  espagnol  luengo),  dans  proxi- 

MUS  (cf.   PRÔCUL,    RECIPRÔCUS),    danS    COXA    (pr.     CUEISSA,    cf.   7.0-/(.')Vr]) , 

dans  POST  (esp.  pues).  Il  y  a  beaucoup  de  chances  que  dans  cognitus 
pour  congnitus  il  fût  allongé  par  compensation. 

Voici  maintenant  le  catalogue  des  formes  latines  ayant  une  voyelle 
labiale  qui  donne  naissance  en  fç.  à  01,  ui.  Je  remplace  la  voyelle  latine 
par  le  son  fr.  primitif  correspondant,  sauf  dans  les  cas  où  aucun  in- 
dice particulier  ne  permet  de  déterminer  celui-ci. 

Je  me  sers  des  abréviations  suivantes  :  G  glosses  de  Cassel,  S  serments 
de  Strasbourg,  E  cantilène  de  S'^  Eulalie,  V  fragment  de  Valenciennes, 
P  la  Passion,  L  S.  Léger,  A  Alexis  (manuscrit  L),  R  Roland  (l'étude 
approfondie  des  diphthongues  01  ui  dans  Roland  exigerait  un  travail 
considérable  pour  lequel  je  serais  personnellement  très-mal  préparé  ; 
je  me  contente  de  relever  les  assonances  dans  le  texte  de  M.  Léon 
Gautier,  ^'^  éd.  ;  ce  sont  ses  chiffres  que  je  cite,  et  je  reproduis  son 
orthographe) ,  0  Psautier  d'Oxford  (Bartsch  Chrestomathic,  Brachet 
Rev.  critique  1870  II,  255),  D  fragment  d'un  poème  dévot  (d'après 
Bartsch).  L'usage  de  u  pour  le  son  w,  en  dehors  de  la  diphthongue 
UI,  se  trouve  dans  CSVPLARO  :  il  est  inconnu  dans  E  et  à  peu  près 
dans  D.  —  Le  signe   ::   indique  assonance  ou  rime.  Les  formes  pla- 

I.  D'où  CREisTRE  et  non  cristre  (cf.  dépit).  Un  dictionnaire  méthodique 
de  la  quantité  des  voyelles  latines  couvertes  permettrait  de  renouveler  certains 
côtés  de  la  phonétique  romane.  Il  faudrait  y  faire  entrer  non-seulement  les 
formes  latines  pour  lesquelles  nous  avons  des  témoignages  de  grammairiens  ou 
des  indices  fournis  par  les  apices  etc.  dans  les  inscriptions,  et  celles  qui  sont 
éclairées  par  le  grec  et  autres  langues  congénères  du  latin,  mais  aussi  les  formes 
sur  lesquelles  l'analyse  morphologique  de  leurs  éléments  fournit  quelque  lumière. 
L'auteur  aurait  enfin  à  compléter  les  renseignements  puisés  aux  sources  antiques 
par  un  travail  d'ensemble  sur  l'histoire  des  voyelles  latines  couvertes   en  roman. 


;26  L.  HAVET 

cées  entre  crochets  sont  tirées  de  textes  divers  cités  par  MM.  Diez 
et  Littré.  Je  mets  entre  parenthèses  des  formes  qui  doivent  ou  peuvent 
s'expliquer  par  l'analogie  d'autres  formes  citées.  La  plupart  peuvent 
d'ailleurs  s'expliquer  par  la  phonétique  seule;  toutefois,  lorsque  deux 
formes  régulières  parentes  l'une  de  l'autre  présentent  la  même  diph- 
thongue  l'une  à  la  tonique  et  l'autre  à  l'atone,  je  mets  la  forme  à  diph- 
thongue  atone  entre  parenthèses. 


Toniques.  —  Atones. 


I.  0  tr. 

primitif  =  o  latin  populaire  ^  ô 

latin 

1 

non  couvert  cochieare 

cuiller 

coq  u  ère 

coist  E  :;  tost 

cuire 

(cuisait! 

coquina 

cuisine 

corium 

cuir 

(cuirasse) 

doceo  2 

doist  L  (doxit)  doit 
L  (doctum) 

duit 

(duisait) 

1.  Sur  la  forme  thuise  ^  THEonosr.\  citée  par  M.  Chabaneau,  M.  Meyer 
me  communique  les  observations  suivantes  :  "  La  finale  -osius,  -osia  donne  -oisc 
(cf.  Ambroisc),  non  pas  -uisc  ;  je  crois  donc  que  Thuise  n'a  rien  à  faire  ici.  Dans 
ce  mot  iii  a  dû  former  (et  forme  peut-être  encore  maintenant)  deux  syllabes  : 
c'est  uï,  et  non  la  diphthongue  ûi.  Il  faut  prendre  pour  type  non  pas  Théo- 
dosia,  mais  la  forme  vulgaire  Tlieudisius,  Thcudisia,  dont  les  exemples  ne  man- 
quent pas  :  Tcudisia  dans  le  Cart.  de  S.  Victor  II,  6^6,  (E  12)  ;  M[agister] 
Thcodisius,  personnage  fréquemment  nommé  dans  Pierre  des  Vaux  de  Cernay, 
qui  est  appelé  Thcdisius^  Tcdisius,  dans  les  chartes  (Teulet,  Layettes  n°'  930, 
942,  968),  et  Tezis  dans  le  poème  de  la  Croisade  albigeoise,  etc.  » 

2.  DorsT  DOIT  (S.  Léger 4e,  ^aisont  pour  duxit  ductum  selon  M.  Diez (Zivei 
allromanische  Gedichte  berichtigt  und  erklârt,  —  Altrorrtcmischc  Sprachdenkmale ,  sur 
le  vers  1  ^  5  du  Boèce,  —  Etymologisches  Wdrte(buch  II  s.  v.  duire^  —  Gramme 
II,  246);  conformément  à  cette  doctrine  M.  Paris  dans  sa  restitution  écrit 
DuiST,  DUIT  {Romanial,  304).  M.  Diez,  dans  la  seconde  et  la  troisième  édition 
de  son  dictionnaire,  hésite  sur  l'opinion  qu'il  avait  si  souvent  émise  :  il  recon- 
naît qu'il  faut  admettre  «  wenigstens  eine  mischung  der  verba  docere  und  du- 
CERE.  »  Cette  confusion  même  ne  me  paraît  nullement  établie  pour  les  premiers 
temps  de  la  langue,  et  voici  pourquoi.  —  Dans  les  deux  vers  du  S.  Léger  où 
les  tormes  en  litige  signifient  nettement  «  enseigner  »,  elles  ont  un  o  :  ggillo 
doist  bien  de  ciel  saueir,  Et  cum  il  but  doit  de  ciel  art  ;  dans  deux  autres  vers  où 
des  formes  analogues  signifient  nettement  «  conduire  r>  elles  ont  un  u  :  al  rei  la 
duistrcnt  soi  parent  2  b,  et  se  l.  duis  a  son  dam  33  f.  Le  Donat  proensal  p.  55  a 
DOHTZ  ;  DOCTus  SOUS  OHTZ  Lug,  or  o  larg  ne  peut  venir  que  de  0  latin  et 
non  de  u  (P.  Meyer,  Mcm.  de  la  soc.  de  ling.  I,  i<i2  ss.i,  et  par  conséquent 
DOCTUS  est  non-seulement  la  traduction,  mais  l'étymologie de  dohtz.  L'existence 
du  verbe  latin  docere  en  provençal  est  d'ailleurs  assurée  par  dozén  au  vers 
1 5  5  du  Boèce  et  par  la  phrase  el  vos  dozera  tétas  chômas  dans  l'évangile  de  S. 
Jean  (Bartsch,  Chrcstom.  prov.  1  i,  391.  M.  Diez  avait  jadis  admis  dans  ce  verbe 
DOZER;  sans  hésitation  le  lat.  docere  ;  et  il  reconnaissait  le  part,  doctus  dans 
lefém.  pi.  DOTAS  rimant  {Geistl.  Lieder-^\,  16)  avecroTAS  (\'o\r  Jahrbuchl^  366). 
Et  l'existence  en  provençal  d'un  parfait  qui  serait  en  latin  *  dôxit  (sur  l'exten- 
sion du  parfait  sigmatique  en  pr.  et  en  fr.  voir  Diez,  Gramw.  II,  212,  242)  est 
assurée  par  un  vers  que  cite  M.  Diez  lui-même  (Raynouard, C/ïo/'x  des  poésies  des 
troubadours  V,  34)  :  gen  ienseignet  cortesia  e  la  duois  ;   duois   rime  avec  divers 


Oi  ET  Ui  EN  FRANÇAIS 

?2 

hodie 

oi  VPA  hoi  0  hui  0 

hui 

modium 

moi  C,  norm.  guer- 
nesiais  moue  mo- 

yeu   =  it.  MOZZO 

muid 

*moria' 

muire 

*  nocëre 

nuisir  Ph.  de  Thaun 
Comp.  289,  nuire 
::  conduire  (Cres- 
tien,  Bartscii  1 59, 

27) 

nuire 

(nuisait) 

odium 

[anois   ::  François! 
angl.  ANNOY 

ennui 

(ennuyer) 

olea 

[oile]  angl.  oïl 

huile 

(huilier) 

'poteo 

poisSDposcLpuisA 

puis 

potui 

poi  A 

*  posseam  2 

.puisset  A  poissent  A 
puisse  0  poscio- 
mes     P    poissum 
puisum  A 

puisse 

(puissions) 

*  plovia  ' 

pluie 

podium 

normand  guernesiais 
APPOiAÏR  appuyer 

pui 

(appuyer,) 

rogo 

ruis 

^trovo 

truis::puis(Crestien, 
Bartsch  162^  18) 

couveJ't        '  âlbxina 

■[aloisne] 

aluine 

BoiA  (boy  y  a) 

[boye  buie] 

mots  qui  ont  uo  issu  de  o  bref,  de  sorte  que  la  forme  ne  peut  être  douteuse. 
Rien  n'est  évidemment  plus  légitime  que  d'identifier  le  doit  du  S.  Léger  avec  le 
pr.  DOHT,  le  DOiST  du  S.  Léger  avec  le  pr.  duois.  Plus  tard  le  fr.  a  dit  duit 
pour  instruit  :  c'est  que  doit  avait  changé  son  oi  en  ùi  comme  noit,  pois  ou 
OILE  ;  le  mélange  des  deux  mots  docere  et  ducere  s'est  donc  produit  par 
coïncidence  phonétique  plutôt  que  par  confusion  logique,  ducere  peut  d'ailleurs 
avoir  pris  un  sens  dérivé  tel  que  guider,  amener  par  l'instruction,  élever,  ins- 
truire (ce  qui  est  arrivé  pour  l'esp.  ducir),  mais  jamais  un  homme  de  l'époque 
du  S.  Léger  n'aurait  pu  employer  une  locution  comme  //  lo  duist  de  «/  saveir  ou 
il  l'aut  duit  DE  cek  art.  —  On  lit  dans  le  Choix  de  Raynouard,  V,  32  :  gen 
m'adutz  de  las  artz  de  l'escola  ;  où  M.  Diez  corrige  ipartiellenîent)  m'a  dut:. 
M.  Meyer  m'informe  que  les  textes  publiés  par  M.  Mahn  (Gedichte  etc.  n""  155 
et  4 1 2)  donnent  maduich  (  -  m'àduich)  d'après  le  ms.  1  ^92,  et  m.\duit  (  =  m'a 
duit)  d'après  le  ms.  1749.  Ou  le  poète  méridional  a  cédé  ici  à  une  influence 
française,  ou  —  ce  qui  est  beaucoup  plus  probable  —  nous  avons  simplement 
un  exemple  de  plus  de  la  confusion  provençale  de  01  et  ui  (Diez,  Gramm.  I,  395, 
trad.  I,  566);  en  tout  cas  duich  représente  ici  doctum,  non  ductum. — 
Ajoutons  que  l'existence  d'un  verbe  français  tiré  de  docere  est  rendue  incontes- 
table par  le  Fragment  de  Valenciennes,  où  doceiet,  rapporté  par  M.  Bartsch  à 
duire,  ne  peut  répondre  qu'à  docebat. 

1.  Esp.    S.\L-MTIERA.    Ct.    NURUS   —   it.   NUORA  eSp.    NUKRA. 

2.  V.  plus  haut. 

3.  Cf.   PLEUVE  pr.   PLUEVA   ==   *PL0VAT. 


328 


L.  HAVET 

, 

coxa  ' 

cuisse 

(cuissard) 

noctem' 

noit  P  nuit  AO 

nuit 

(nuitée; 

octo  * 

[oit]  uitovre  Ph.  de 
ThaunComp.  791 

huit 

(huitième) 

ostrea  * 

[oistre]   angl.   oys- 

TER 

huître 

(huîtnère) 

post  ' 

post  EP   poisses  P 

puis 

proximus 
troia  ' 


posci  L  pois  D 

aproismâd  aproisméd 

P  aprôisniet  A 


truie 


non  couvert  modiolum 

moyeu 

II.  w  tr.  prim 

itit  =  to  latin  populaire 

=  ô  ù  ôin) 

latin. 

non  couvert  crwcem 

croix  L 

croix 

(croiser) 

cwneum 

coin 

(co(i)gner) 

dwno 

duinstA;:  seinor lin- 
col  etc. ,  duins  R 
622  ::  barun 

dormitwrium 

dortoir 

nwcaiem 

[nualz  (Rois),  noiel] 

noyau 

nwcem 

noix 

(noisette) 

wtiosum 

oiseux 

pwtionem 

poison 

swi,  twi 

soi  P  toi  P  tui  A 

testimwnium 

témoin 

(témoigner) 

twsionem 

toison 

vwcem 

voiz  AO 

voix 

(voyelle) 

couvert         angwstia  ' 

anguissose  A  anguis- 
set  R  2010  ::  tur- 
nent 

angoisse 

(angoisseux) 

'  bwscum  ' 

bois  ::  estois  (Cres- 
tien, Bartsch  164, 
18),  ::  vois(vADO, 
Crestien,  Mail  p. 
62) 

bois 

(boiser) 

*  bwxida  < 

boîte 

boisseau 

cwgnitum 

cointes  A  ::  Rome, 
accoint 

accointance 

ductum 

DuiT  livre  des  Rois, 
DouiT  patois 

doit,  doite 

a 

*frustiat' 

defruisent  R  2588  : 
curune 

froisse 

(froisser) 

1 .  V.  plus  haut. 

2.  Calibre  d'un  fil,  =  ducta  ;  duit  duite,  du  participe  refait  sur  duire. 

3 .  Mettre  en  morceaux,  de  frustum.  Ne  peut  venir  de  frictus. 


Ol  ET  Ui  EN  FRANÇAIS 


329 


grunnio 
guttur 
musteum  ou 

moiste 

groin 

goitre 

moite 

(gro(i)gner) 

(goitreux) 

(moiteur) 

muccidum 

nwsco  ' 

reconuisse;  A  ::  Ro- 
me,   R    3  $88    :: 
duble,  cunuist  0, 
cunui  0  (cognovi) 

connoisse 

(conoissois) 

pugnum 

puing  A  ,  puingn  R 
767  ::  bastun 

poing 

(poignée) 

*  stonnium  ■ 

essuign  R    1232   ;: 
raisun,  bosuign  R 
1366  ::  bastun 

soin,  besoin 

(soigner; 

jungere  pungere  juindre    R    923     :: 

joindre. 

(joignait) 

wngere  ' 

Rume,  juintes   R 

poindre, 

f  peignait) 

2015     ::     dulce , 
juint    R    2240  :: 

barun  (jungit) 

oindre 

(oignait) 

uxorem 

oissor 

longe  ' 

luinz    A  esluiner  A 
luign   R    2$o    :: 
bastun 

loin 

(éloigner) 

non  couvert  *aca)cula 

"faenwculum 

[pic.   AGOUILLEJ 

fenouil 

*  genwculum 

*pedMCulum 
ranwcula 

genuilz   R   2192   :: 
baruns    [genoil] 

[renoille] 

genou 

pou 
grenouille 

(agenouiller) 

(pouilleux) 
(grenouillère) 

vercùculum 

verrou 

(verrouiller) 

couvert 

ductilem 

[doîlle] 

douille 

(andouiller) 

*corruptiat 

curuist  0 

courrouce 

(courroucer) 

non  couvert 

:  cwprium  ' 

'dtoi 

anglais  copper 

doi  P  dui  AO   [doi    :: 

foi  Froissart]  dui 

::  lui    (Crestien, 

Bartsch  165,  22) 

cuivre 

(cuivrer) 

strwere 

angl.   DESTROY 

..  struire 

swm 

soi    PAD    sui    AO 
suid  D 

suis 

couvert 

bcoxum  ' 

patois  Bouis 

buis 

buisson  '• 

1.  Voir  plus  haut. 

2.  Cf.  Diez  s.  v.  soGNA. 

3.  La  quantité  de  y  dans  cyprium  n'est  connue  que  par  l'étymologie  consa 
crée  KÛTtpo;. 

4.  Diez  s.  V.  lîosso. 


Uo 

L.    HAVET 

non  couvert  pcijteum 

puits 

(puiseau) 

•  pwteare  * 

(puise) 

puiser 

III.  u  français 

primitif  =  u  latin  pop 

ulaire  =  û 

latin. 

non  couvert  "acùtula* 

aiguille 

(aiguillée) 

*ac/ïtiare' 

(aiguise) 

aiguiser 

*bùca(?v.Littré) 

buie 

*  cappùtiare  ' 

(chapuise) 

chapuiser 

*  cugitat  * 

cuident    A    precog- 
ded  percuidat  P 

(cuide) 

cuider 

ducere 

duistrent    L  (duxe- 
runt)  déduit  A  et 
cunduit   R    3957 
::   pendut  (ducit) 
déduit  A  (ductum) 
dûitre  0  (ductori 

duire 

Cduisait) 

fugitiparf.) 

fuit 

(fuissions) 

*  fùgit" 

fuiet   (fugiat)  E   R 
2309::  tenue,  fuit 
R  1047  ::  vencut 

fuit 

(fuyait) 

*fuga* 

fuieR3648::vencue 

•fui" 

fui  AR  2371  ::  me- 
nuz 

jù'lium 

juillet 

junium 

juin 

(juignet) 

* lùcëre 

luisentR  1 326  ::nue 

luire 

(luisait) 

*  minùtiare  ' 

amenuiserai  0 

(menuise) 

menuiser 

*  pertùsium 

pertuis 

(pertuisane) 

plus 

pluisur  A 

*  exs/ïcare  " 

essuie 

essuyer 

couvert         fructum" 

fruiz  0 

fruit 

(fruitier) 

: ; ■'-    -..via,-! — 

1.  Ce  verbe  présente  une  difficulté  insoluble.  Le  normand  dit  pucher,  forme 
où  il  n'y  a  jamais  eu  de  diphtiiongue  :  il  faut  donc  partir^  de  *pQteare.  Le 
*  PÔTEUS  auquel  a  recours  M.  Chabaneau,  et  qu'il  justifie  par  une  forme  limou- 
sine, ne  peut  expliquer  pucher. 

2.  ACÛTULA,     it.     AGUGLIA     AGUCCHIARE,     CSp.     AGUJA,    fr.   AIGUILLE  ;   it. 

ACUCULA  AGOCCHIA,  pic.  AGOuiLLE.  Cf.  Ronumia  ÎI,  478,  note  2. 

3.  Ti  n'est  représenté  par  is  que  devant  la  ■tonique  :  rationem  raison  mais 
PLATEA  PLACE.  On  devrait  donc  dire  au  présent  aiguce,  chapuce,  menuce  ; 
mais  l'analogie  de  l'infinitif  a  modifié  ces  formes.  Inversement  la  forme  propre 
au  présent  a  réagi  en  normand  sur  l'infinitif  :  agucher,  capugher. 

4.  Esp.  port.  pr.  cuidar. 

5.  û  sous  l'influence  du  parfait:    it.  fuggire,  fuga. 

6.  It.  FUI.  Le  latin  populaire  ou  bien  a  conservé  l'archaïque  fûvi,ou  bien  l'a 
refait  d'après  nOvi,  sévi. 

7.  V.  plus  haut. 

8.  Entre  û  accentué  et  a,  c  to'mbe  sans  développer  d'i  :  lactuca  laitue. 
Je  mets  donc  essuie  entre  parenthèses  :  il  ne  vient  pas  de  *  exsûc.\t. 

9.  Cf.  frQges. 


oi  ET  m  EN  FRANÇAIS 


iistium  • 

huis 

strù'ctum  ^ 

destruite  A 

..struit 

tructa 

truite 

*  ttitti  2 

*tuit  PLAO,  toit  L 
::  mors,  tuitMéon 
Fabliaux  III,  47 
::  nuit 

fôsionem 

[foison  fuison] 

(huissier) 
(..  struisait) 
(truitelle) 


niMcere 
zinionem 


toison 

moisir 

oignon 


IV.  au  fç.  primitif  =  au  latin  populaire  =  au  latin. 


couvert  *  auca 

oie 

(oison) 

auà'io 

oi  0  oie  (audiam)  :: 
joie  ::  doie  (lai 
dou  chievrefuel , 
Bartsch  214,  30) 

bloieR  1 578:;portet 

(oyez) 

*  kausium 

coisir  A 

choix 

(choisir) 

*  Mucat  ' 

choie 

(choyer) 

g^udia 

goie  A  ::  tolget,  joie 

joie 

(joyeux) 

couvert 


iiausea. 


p<7ucum 

Sapaudia 
cl^ustrum 


R  1 584  ::  portât 
::  desciose,  joie  0 
goiuse  A,  joie  :: 
la  voie  (Renart, 
Bartsch  201  ,  31) 

noise    A    ::   tolget, 
noise::  voise(Cres- 
tien,  Mail  p.  62) 

pou  A  poi  R  1050 
::  corn 


noise 


Savoie 
cloître 


(Savoyard) 
(cloîtrer) 


A  l'inspection  des  quatre  tableaux  on  voit  se  dégager  les  lois  suivantes  . 
I.    1"    Dans  les  mots  vraiment    populaires,    0   fr.    primitif    donne 


1 .  V.  plus  haut. 

2.  It.  TUTTI,  pr.  TuiT.  M.  Paris  {Romania  I,  282)  propose  de  corriger  en 
TOST  le  TOIT  du  S.  Léger ,  qui  assone  avec  mors  ;  le  motif  en  est  que  toit 
devrait  être  prononcé  avec  m  et  mors  avec  0,  ce  qui  donnerait  une  assonance 
inadmissible.  Je  crois  qu'en  efiet  toit  appelle  nécessairement  la  correction  to.st, 
mais  pour  une  autre  raison  :  le  mot  se  prononçait  tùit  et  non  toiit. 

5.  Pour  "cAvrcAT  tiré  de  cavkr'k  comme  *  prndicat  pknchk  de  pendkrk. 
Norm.  guernesiais  couayf.r  ménager,  épargner,  économiser;  couayer  1?  teu, 
prendre  irarde  au  danger  du  feu.  —  Je  crois  devoir  repousser  l'étymologie  de 
M.  Sophus  Bugge,  Rom.  III,  146;  je  ne  pense  pas  que  ciioykr  ait  aucun  rap- 
port avec  le  v.  Ir.  suer  et  l'it.  soiare. 


5  32  L.   HAVET 

aujourd'hui  tu  ((fuiRE  cum   hui   muid  nuire  ennui  huile  muire  pui 

PLUIE  ALUINE  CUISSE  NUIT  HUIT  HUÎTRE  PUIS  PUIS  PUISSE  TRUIE); 

Dans  les  mêmes  mots  la   vieille  langue   écrit    souvent   oi   (coist 

DOIST  DOIT  HOI  MOI  ANOIS  OILE  ALOISNE  BOYE  NOIT  OIT  OISTRE  POIS  POIS- 
SENT POIS  aproismet).  L'o  avait  le  son  o  comme  le  prouve  l'asso- 
nance COIST  TOST  '  ; 

II.  2.  Le   son    fr.    primitif  lo  donne  presque    toujours    oi   coing 

CROIX  COIN  DOI  dortoir  FROISSE  MOITE  CONNOISSE  NOIX  SOIN  BESOIN 
TÉMOIN  VOIX  ANGOISSE  BOIS  BOÎTE  DOIT  GROIN  GOÎTRE  POING  JOINDRE 
POINDRE  OINDRE,  —  LOIN). 

Dans  les  mêmes  mots  les  textes  oij  u  peut  représenter  le  son  w 
présentent  souvent  ui;  ce  ui  assone  en  o)  (duinst  détruisent  reco- 
nuisent  bosuign  anguisset  puign  juindre),  non  en  li. 

Les  mots  courrouce,  douille,  fenouil  genou  pou  verrou, 
grenouille  ont  eu  jadis  une  diphthongue  graphique  oi  dans  certains 
textes  ui)2;  elle  assonait  en  o)  comme  celle  des  mots  précédents 
(genuilz). 

?"  Ont  exceptionnellement  iïi  :  cuivre  détruire  puits  suis  buis, 
puise.  La  forme  soi,  l'angl.  destroy  et  le  eouis  des  patois  (cf.  douit) 
montrent  que  le  ui  n'est  pas  plus  primitif  ici  que  quand  il  vient  d'un 
0  latin  populaire. 

III.  4°  u  fr.  primitif^  devenu  ii  français  ,  ne  donne  jamais  que  ui. 
Ce  ui  a  eu  certainement  le  son  iïi  dès  l'origine  :  il  assone  en  iï  dans 
le  Roland,  et  il  ne  faut  pas  douter  qu'il  n'eût  pu  déjà  assoner  en  iï 
dans  le  Saint  Léger  ou  dans  Sainte  Eulalie. 

JV.  5°  au  fr.  primitif,  qui  ne  diffère  pas  de  au  latin,  ne  donne 
jamais  en  français  que  oi.  Cette  diphthongue  avait  le  son  oi  à  l'épo- 
que du  S.  Alexis  et  du  Roland,  comme  le  prouvent  les  assonances. 
Cela  n'a  rien  d'étonnant,  car  l'o  qui  provient  de  au  assone  toujours  en 
0  (povre  dans  Alexis,  desclose  dans  Roland). 

En  cherchant  à  combiner  systématiquement  ces  résultats  sans  tenir 
compte  des  déviations  sporadiques,  on  voit  que  les  quatre  sources  du  fç. 
primitif  o  w  iï  (u)   au  devaient  être  encore   distinctes  pour  l'oreille  à 

i .  La  diphthongue  oi,  issue  de  o  latin,  prouverait,  si  cela  n'était  certain 
d'ailleurs,  que  l'ô  latin  sonnait  o  et  non  w.  Si  donc  dans  l'Alexis  lincol  as- 
sone en  w,  ce  n'est  pas  que  le  dialecte  du  poème  ait  échappé  à  la  diphthon- 
gaison,  c'est  qu'il  a  contracté  la  diphthongye.  De  même  Deu  assone  en  e  fer- 
mé :  donc  c'est  Deu  qui  vient  de  Dieu  et  non  inversement  (G.  Paris,  Alexis 
p.  77).  Même  remarque  pour  ert  ert  [et  (?)  mes  tes  ses]  (ib.  p.  53). 

2.  L'i  développé  par  le  c  latin  a  dû  former  aussi  primitivement  une  diph- 
thongue phonétique;  il  est  possible  d'ailleurs  que  cet  i  ait  de  très-bonne  heure 
cessé  d'être  entendu.  Dans  aiguille,  cuiller  nous  le  prononçons  encore. 


Ol  ET  Ui  EN  FRANÇAIS  ^J3 

l'époque  de  l'Alexis.  D'une  part  en  effet  l'Alexis,  et  le  Roland  qui  est 
postérieur,  font  assoner  en  w  les  diphthongues  issues  de  w,  en  iï  les 
diphthongues  issues  de  iï,  en  o  les  diphthongues  issues  de  au,  ce  qui 
donne  déjà  trois  diphthongues  distinctes  ;  d'autre  part  les  diphthongues 
issues  de  o  ne  pouvaient  se  confondre  ni  avec  les  diphthongues  issues  de 
(0  ou  de  au  (puisque  la  langue  moderne  les  en  distingue)  ni  avec  les 
diphthongues  issues  de  iï  (puisque  l'Alexis  les  rend  encore  souvent  par  la 
notation  oi  ',  et  que  ni  dans  l'Alexis  ni  dans  le  Roland  elles  ne  se  montrent 
à  l'assonance  en  iï).  —  Il  y  avait  donc  en  français,  à  l'époque  de  l'Alexis, 
quatre  diphthongues  ayant  pour  premier  élément  une  voyelle  issue  d'une 
voyelle  latine  labiale  ou  d'une  diphthongue  latine  au,  à  savoir  toi  iïl  oi 
et  une  dernière  diphthongue  à  déterminer. 

Cette  quatrième  diphthongue,  issue  de  o  latin  populaire,  avait  été 
d'abord  prononcée  oi,  et  a  depuis  abouti  à  iïi.  En  autres  termes,  le 
premier  phonème  était  d'abord  une  voyelle  ouverteappartenant  à  lasérie 
labiale,  et  il  est  devenu  une  voyelle  "  extrême  »  appartenant  à  la  série 
linguale-labiale.  Ou  il  est  devenu  voyelle  extrême  avant  de  changer  de 
série  (et  alors  on  aurait  prononcé  successivement  oi  Lui  ui  iïi]  ou  il  a 
changé  de  série  avant  de  devenir  voyelle  extrême  (et  alors  on  a  dû 
prononcer  successivement  oi  ôi  w/  iïi^).  La  première  hypothèse  n'est  pas 
admissible,  parce  qu'au  moment  où  le  oi  issu  de  o  serait  devenu  w/,  il  se 
serait  confondu  avec  le  w/  issu  de  w.  Donc  les  intermédiaires  ont  été 
oi,  ii)i.  Et  comme  à  l'époque  de  l'Alexis  cette  diphthongue  ne  sonnait  ni 
oi  ni  iïi,  on  peut  admettre  que  l'auteur  du  poème  la  prononçait  oi  (ou  w/). 
Le  son  o  ou  io  n'existant  pas  ailleurs  dans  la  langue  de  cette  époque,  on 
conçoit  que  les  mots  qui  contenaient  cette  diphthongue  n'apparaissent 
pas  à  l'assonance  dans  l'Alexis  (ni  dans  le  Roland)  3. 

A  l'époque  de  l'Eulalie  la  diphthongue  issue  de  au  ne  sonnait  pas 
encore  oi,  car  elle  serait  devenue  iïi  comme  celle  de  coist.  Ce  n'était 
pas  non  plus  aui,  car  une  vraie  triphthongue  est  chose  bien  instable  et 
bien  rare  ;  d'ailleurs  au  est  déjà  devenu  monophihongue  dans  les  serments 

1.  Laquelle  doit  venir  de  l'auteur  et  non  du  scribe  anglo-normand;  cf.  G. 
Paris,  p.  66. 

2.  Une  voyelle  peut  aboutir  à  une  autre  voyelle  par  plusieurs  chemins,  en 
passant  par  des  diphthongaisons  diverses.  Mais  une  diphthongue  en  se  trans- 
formant ne  doit  guère  devenir  triphthongue.  Le  cercle  des  hypothèses  est  donc 
ici  très-restreint.  —  Je  ne  puis  me  rendre  à  la  théorie  de  M.  Schuchardt  qui 
explique  nuit  par  un  intermédiaire  nueit  ;  le  changement  de  oi  atone  en  ui 
dans  cuiLLKR  demande  une  autre  explication.  M.  Sch.  n'indique  d'ailleurs  pas 
par  quelle  série  phonétique  uei  est  devenu  ii'i.  Enfin  Vo  couvert,  qui  n'a  laissé  en 
fç.  aucune  trace  de  diphthongaison,  n'a  pas  dû  former  une  diphthongue  plus 
stable  en  combinaison  avec  une  troisième  voyelle. 

].  Si  en  V.  fr.  o  devient  o  devant  i  est  non  ailleurs,  c'est  que  (  est  la  voyelle 
linguale  par  excellence.  La  langue  commence  à  se  soulever  avant  la  formation  de 
Vi,  et  la  voyelle  labiale  est  changée  en  une  voyelle  labiale-linguale. 


^^4  L.   HAVET 

(cosa).  On  peut  conjecturer  que,  dans  la  période  qui  va  des  serments 
à  S'*^  Eulalie,  le  phonème  monophthongue  issu  de  au  latin  était  x'.  Par 
conséquent,  durant  ceue  période,  noise  par  exemple  devait  se  prononcer 
Na/'sE.  —  A  la  môme  époque  la  diphthongue  issue  de  o  sonnait  encore 
oi,  car  dans  S''=  Eulalie  elle  assone  en  o. 

Le  changement  de  oi  en  iii  devait  être  accompli  pour  le  scribe  du 
psautier  d'Oxford,  qui  écrit  déjà  HUi,  nuit,  puisse*. 


TABLEAU    HISTORIQUE. 


.    latin  classique 
Sources    ,    latin  populaire 
(    français  primitif 

Langues  des  auteurs  et  des 
scribes  des  Serments  et  de 
l'Euldlie. 


(j 

0 
0 


01    écrit    01      ûi  écrit  ui 


o,  u 
(•> 


au 
au 
a* 


(ùi  écrit  01      a/    écrit  oi 


Langue  de  l'auteur  de  l'Alexis?       décrit  oi)       "'  ^^"-"^  "'^     "'  ^^'•"^  °')     °'  (^'■"^  °') 
Langue  du  scribe  du  psautier      ûi  écrit  oi, 


d'Oxford. 
Langue  actuelle 


ui 


ûi  écrit  ui 


O)/  écrit  01, 
ui 


01  écrit  01 


wi 
(et  ç/,  wê,  '^ê) 
écrit  ui 


wa 


(et  tfû,  M'a,  ça,  wê,  çl) 
écrit  01 


En  somme,  le  français  actuel  a  un  ûi  primitif  provenant  de  Q  latin,  et 
un  ai  secondaire  issu  de  ô  (et  sporadiquement  de  5,  n)  latin.  En  outre 
l'ancien  français  a  eu  un  ui  graphique  prononcé  w/. 

Aidés  de  ce  tableau  nous  pouvons  revenir  en  arrière  et  étudier  les 
anomalies  mentionnées  plus  haut,  cuivre  s;iis  BÏiis  détruire  ont  «/pro- 
venant de  0)/  par  l'intermédiaire  de  oi.  Le  changement  sporadique  de  wi 
en  oi  est  ce  qui  fait  difficulté.  Mais  dans  la  diphthongue  w/  m  est  couvert: 
or  co  couvert  se  change  assez  souvent  en  o,  comme  le  prouvent  flot 


1.  Le  changement  de  au  en  a  est  postérieur  à  celui  de  c  en  ch.  Ce  dernier, 
purement  français,  est  postérieur  au  changement  français-picard-provençal  de  u 
en  il.  Donc  le  changement  de  nu  en  a  est  postérieur  au  changement  de  u  en  u; 
ce  qui  justifie  l'existence  d'une  période  (français  primitif  du  tableau  suivant)  oij  a 
et  ù  coexistent  en  français. 

2.  Le  scribe  du  Psautier  accentue  p.  ex.  nu'it,  donc  ie  changement  de  oi  en 
ai  a  eu  lieu  pendant  que  la  diphthongue  était  encore  décroissante.  Dans  Crestien 
ùi  issu  de  oi  rime  avec  iii  primitif  (Mail  p.  62)  ;  exemples  Dur  ::  lui,  nuire  :: 

CONDUIRE . 

3.  Notation  approximative.  — Peut-être  des  combinaisons  qui  m'ont  échappé 
ou  des  faits  que  j'ignore  (surtout  des  faits  relatifs  au  Roland)  amèneront-ils  quel- 
que lecteur  à  modifier  les  dates  que  j'assigne  aux  trois  périodes  du  vieux  fran- 
çais. Mais  )e  ne  crois  pas  possible  de  réduire  le  nombre  de  ces  périodes  ou  d'at- 
tribuer à  chacune  d'elles  une  prononciation  autre  que  celle  que  j'indique.  — 
Entre  l'Eulalie  et  le  S.  Alexis  01  est  devenu  01  et  ai  est  devenu  oi  :  des  deux 
phénomènes  c'est  le  premier  qui  est  le  plus  ancien,  et  il  faut  admettre  qu'à  un 
certain  moment  les  quatre  diphthongues  françaises  sonnaient  oi  ùi  wi  ai. 


Oi  ET  Ui  EN  FRANÇAIS  ^  3  5 

MOT  '  NOCES  ORME  (comparer  les  mots  comme  glorie  étudiés  plus 
loin)  2,  où  0  vient  de  u  latin  couvert.  Ce  rapprochement  suffit  pour 
écarter  l'embarras.?.  —  Au  lieu  de  moyeu  on  attendrait  muyeu  (pour 
un  ancien  moyeu)  et  pour  moisir,  foison,  oignon  on  attendrait  mu/sir, 
Fti/soN,  iï/GNON  (avec  un  i/i  très-ancien i.  Mais  5  et  Q  protoniques  sont 
parfois  représentés  comme  le  seraient  ô,  ù,  c'est-à-dire  qu'ils  deviennent 
en  vieux  français  w  et  en  fr.  actuel  ou  =  u  :  môlinum  moulin,  nûtrire 
nourrir.  Il  faut  donc  partir  pour  les  mots  en  question  des  types  mujdio- 
LUM,  mwcere,  fojsionem,  wnionem.  Pour  MOYEU  on  pourrait  aussi  pro- 
poser une  autre  explication  :  après  la  chute  du  d  de  modiolum  l'i  aurait 
gardé  la  valeur  d'une  consonne  y  et  n'aurait  point  d'abord  passé  dans  la 
syllabe  précédente  (mo-^eu,  cf.  gladiolum  gla-ieul);  la  diphthongue 
serait  donc  d^origine  récente  comme  dans  foyer  ou  loyer  (voir  ci-des- 
sous). 

J'ai  jusqu'ici  négligé  systématiquement  les  formes  pronominales  en  ui, 
dont  l'origine  est  obscure.  Les  plus  anciens  textes,  même  Sainte  Eulalie 
{oii  on  ne  rencontre  jamais  u  pour  to),  les  écrivent  toujours  par  ui, 
jamais  par  oi,  et  dans  le  Roland  elles  assonent  en  ii  : 

LUI  EPLAjR  239  ::  vencuz,  OD 

GUI  PLAD 

CELUI  PA 

cestui  a 

altrui  R  196^  ::  perdut 

ICELUI  0 

Il  est  donc  certain  que  dans  ces  formes  ïd  n'est  pas  l'iii  secondaire 
issu  de  oi  et  qui  suppose  un  0  ou  un  u  latin  :  c'est  Vin  primitif  qui  ne 
peut  provenir  que  de  u  latin.  M.  Chabaneau  suppose  ingénieusement  que 
la  finale  iii  vient  de  la  finale  latine  adverbiale  ne,  ou  de  la  soudure  de 
l'adverbe  huc  avec  un  pronom..  Bien  que  M.  Paris,  dans  la  Romania, 
repousse  cette  hypothèse,  elle  me  paraît  suffisamment  appuyée  par  l'em- 
ploi actuel  de  en,  y,  dont,  anciens  adverbes  qui  servent  de  formes 
casuelles  pour  les  pronoms  il  et  qui.  Les  différences  syntactiques  qu'on 
peut  signaler  entre  l'emploi  de  y  =  ibi  et  lui  =  illum  huc  s'expliquent 


1.  Aujourd'hui,  mais  seulement  par  un  phénomène  récent,  flw,  Mw. 

2.  L'exemple  gorge,  comme  me  le  fait  observer  M.  Meyer,  est  douteux,  car 
l'étymologie  généralement  adoptée  qui  tire  gorge  de  gurges  n'est  rien  moins 
que  certaiile  :  gurges  a  donné  régulièrement  en  prov.  gorc,  et  en  fr.  (îort, 
gourt,  ou  i'o  est  fermé  :  gorc  figure  dans  la  liste  d'oRC  csticit  du  Donat  piocn- 
sal,  p.  55. 

3.  De  plus  ce  même  rapprochement  fournit  un  indice  chronologique  à  noter. 
DansNUPTiAE  etc.  w  a  toujours  été  couvert;  maisdans  sum  il  ne  l'a  été  qu'après 
l'addition  de  l'i  de  la  première  personne,  dans,  les  autres  mots  qui  ont  pris  ùi 
qu'après  qu'un  k  ou  un  y  eût  développé  un  ;  après  \'u>.  Voilà  deux  phénomènes 
qui  doivent  être  antérieurs  au  changement   de  w   en  0  dans    nuptiae   eiç. 


^;6  L.   HAVET 

naturellement  par  ce  fait  que  lui  contient  un  pronom  '   et  que  y  n'en 
contient  pas^ 

Les  formes  verbales  que  je  ne  cite  pas  se  partagent  en  deux  catégo- 
ries :  les  unes  rentrent  dans  les  règles  posées,  les  autres  sont  anomales 
et  s'expliquent  par  des  phénomènes  de  conjugaison.  Ainsi  oint  ne  vient 
pas  de  (/NCTUM  :  il  est  refait  sur  oindre  =  ungere. 

II.  OI,  UI  plus  récens. 


1 .  01..  pour  0..I. 


non  couvert  Ambrosium 

Ambroise 

Evodium  (Cha- 

Yoise 

baneau) 

fôria 

norm.  foure 

foire 

(foireux) 

memoria 

memorie  A  ::  tolget 

mémoire 

glOria 

::  goie  ::  glorie 
glorie  A  ::  tolget  :: 
goie  ::   memorie, 
glorie  0 

gloire 

histôria 

estoire 

*  ebùreum 

[ivurie   Rois]  ivoire 
::   estoire  (Cres- 
tien  ,        Bartsch 
170,  18) 

ivoire 

(ivoirir) 

bettonica 

bétoine 

canônicum 

[canonies  R]  (assone 

chanoine 

(chanoinesse) 

monachum 

en  w,  Mail  p.  61) 

moine 

(moinillon) 

paeônia 
sardônica 

pivoine 
sardoine 

Aprônia(Chaba 

Evroine 

neau) 

Pompônia  (Cha 

- 

Pompoigne 

baneau) 

Dans  tous  ces  mots  l'assonance  est  en  0  devant  a  (cf.  Mail  p.  61), 
bien  que  la  voyelle  étymologique  soit  tantôt  ô  tantôt  ô  ;  ivurie  dans  les 
Livres  des  Rois  suppose  néanmoins  une  prononciation  ivojRie.  Devant  n 
au  contraire  ô  et  ô  donnent  l'un  et  l'autre  une  assonance  en  w. 


1 .  Ou  tout  au  moins  est  étroitement  apparenté  à  un  pronom  fléchi  (si  lui  = 
iLLUc  et  non  illum  huc). 

2.  On  trouve  parfois  (p.  ex.  dans  Roland)  loi,  celoi  ;  le  ms.  L  du  Comput 
de  Philippe  de  Thaun  a  loist  pour  luist  et  deux  fois  join  pour  juin.  Ce  sont 
là  sans  cloute  des  cas  d'  «  umgekehrte  schreibung  ».  Le  scribe  écrivait  01  tout 
en  prononçant  ùi,  parce  qu'il  était  habitué  à  considérer  comme  équivalentes  la 
forme  nouvelle  Hur  et  la  forme  ancienne  hoi  (toutes deux  sont  dans  le  Psautier). 


2.   01  POUR  El. 

beit 

boit 

seir 

soir 

creist 

croît 

Oi  ET  ui  EN  FRANÇAIS  ]]J 


bïbit 

sërum 

crescit 

etc.  etc.  ' 

Crestien  confond  dans  ses  rimes  les  trois  oi  issus  de  oi,  où  et  ei  : 
BOIS  ::  ESTOis,  bois  ::  vois,  noise  ::  voise.  Il  y  aurait  à  rechercher  par 
l'étude  des  assonances  et  des  rimes  laquelle  des  trois  sources  o/,  où,  ei,  a 
été  la  dernière  à  se  confondre  avec  les  deux  autres  :  si  c'est  ei,  on  ne 
peut  dire  si  Crestien  prononçait  oi  ou  oj/  la  diphthongue  issue  de  oi  et  de 
(ùi,  à  laquelle  il  assimilait  ei  ;  si  c'est  oi,  coi  et  ei  déjà  réunis  devaient 
tous  deux  sonner  oi. 

^.  01,  ui  pour  oï,  uï. 

'  fôcarium  fo-ier  foyer 

lôcarium  lo-ier  '  loyer 

*  nùcarium  no-ier  noyer 
scQtarium  escu-ier  écuyer 

bôtelluni  [boel,  bueaus  Beneoit]       boyau 

*  tudellum  [tuel  \  tuyau 
[hoeaux]  hoyau 

baubari  [aboans]  aboyer 

jûdaeum  ju-if^  juif 

'fiigire'  fu-ir  ^  fuir 

Le  01  et  le  ui  récents  n'ont  subi  aucun  changement  graphique  depuis 
leur  formation. 

Résumé  '*. 

En  français  moderne  : 

1°  01  ancien  (assonant  en  w,  écrit  dans  les  textes  anglo-normands  ui) 
vient  de  m  fr.  primitif  (=  ô  u  latin,  et  ô  tonique  devant  n  ;  sporadique- 
ment substituée  à  ô  et  h  protoniques). 

i.   Cf.   LOCARE  LO-RE. 

2.  Autrefois  de  deux  syllabes. 

3.  It.  FUGGIRE. 

4.  Je  laisse  de  côté  les  mots  obscurs  étui,  rruit,  cuistre  ("cDstor.?) 
cocisTRO  co-isTRE  CUISTRE.?),  les  mots  d'origine  non  latine  moignon,  suisse 
SUIE  SUINT,  et  d'autres  qui  ne  se  trouvent  qu'en  vieux  français  (broigne  etc.); 
enfin  cinq  mots  où  ui  a  pour  source  principale  une  voyelle  linguale  :  rui(sseau) 
SUIF  suivre  tuile  vuide.  Ce  dernier  est  pour  voide  (v.  Littré  ;  cf.  vohts 
avec  OHTS  larg,  Donat  proensal  <,^). 

Komania,lll  22 


3^8  L.    HAVET 

2"  01  ancien  (assonant  en  o,  toujours  écrit  oi)  vient  de  au. 

3°  ui  ancien  (assonant  en  ii,  toujours  écrit  uij  vient  de  iï  fr.  primi- 
tif =  ïï  latin. 

4°  ui  secondaire  pour  oi  ancien  'assonant  d'abord  en  o  puis  en  lï,  écrit 
d'abord  oi  puis  ui)  vient  de  o  fr.  primitif  ''^  o  class.;  —  et  sporadi- 
quement 0)  lat.  populaire  =  u  5  class.;.  Le  oi  était  intact  pour  l'au- 
teur de  l'Eulalie,  altéré  pour  l'auteur  de  l'Alexis,  et  avait  achevé  de  deve- 
nir lii  pour  le  scribe  du  F^sautier'. 

5°  01  et  ui  récents  subsistent. 

On  pourrait  résumer  ces  cinq  règles  en  deux  en  leur  donnant  une 
autre  forme. 

I.  Les  mêmes  accidents  qui  atteignent  les  voyelles  latines  labiales  (y 
compris  au)  isolées  les  atteignent  dans  les  diphthongues  oi ,  ui  (sauf 
naturellement  la  diphthongaison  de  ô  en  uo;. 

IL  Le  groupe  phonétique  oi,  lorsqu'il  existe  dès  l'époque  de  l'Eula- 
lie, devient  ui  en  français  moderne  (s'il  ne  se  forme  que  plus  tard  il  reste 

0.). 

Conséquence  pratique.  —  Dans  un  texte  comme  le  ms.  Lde  l'Alexis 
l'éditeur  doit  substituer  souvent  oi  à  ui,  jamais  ui  à  oi  :  le  copiste  en 
effet  a  substitué  d'une  part  le  ui  anglo-normand  à  oi  =  loi,  d'autre 
part  le  iii  récent  à  l'ancien  oi.  On  écrira  donc,  comme  l'a  fait  M.  Paris, 
coNoissENT  DoiNST  ESLOiNiER  LOiNZ  NoiT,  bien  que  le  ms.  donne 
toujours  ui  dans  ces  formes;  pois  poisse;  de  plus  on  rectifiera  angois- 
sosE  DOi  POING  SOI  TOI  (et  MoiLiER,  prononccr  miùl'ief). 

L.  Havet. 


1 .  Je  ne  donne  cette  dernière  date  qu'avec  réserves.  Peut-être  le  changement 
était-il  accompli  plus  tôt. 


BERTA  DE  LI   GRAN   PIÉ 


Quando  io,  or  ha  molti  anni,  ebbi  per  lungo  tempo  fra  mani  il  cod. 
Gall.  XIII.  délia  Marciana  di  Venezia,  copiai,  oltre  ail'  episodio  di  Ma- 
caire,  anche  i  due  di  Berta  madré  di  Carlo  Magno  e  di  Berta  madré 
d'Orlando.  Il  primo  di  questi  due  io  offersi  al  mio  diletto  amico,  Gaston 
Paris;  il  quale  nella  nota  i  délia  pagina  166  délia  sua  Histoire  poétique 
de  Charlemagne  ne  fa  ricordo,  aggiugnendo  che  nella  mia  copia  manca- 
vano  in  principio  un  centinajodi  versi_(i  38),  ch'io  aveva  smarriti.  Quando 
s'imprese  a  publicare  la  Romania,  Paris  pensô  alla  Berta,  e  procuratisi 
dal  S''  Adolfo  Bartoli  i  versi  mancanti,  ne  annunciô  la  publicazione. 
Aveva  pieno  diritto  di  occuparsene  egli  stesso,  e  solo  la  cortese  sua 
modestia  voile  che  figurassi  io  quai  editore.  Noto  questo,  affmchè  non 
paja  che  io  mi  sia  ripreso  il  donativo  da  lungo  fatto.  Ora  i  lettori  délia 
Romania,  a  cui  in  tanti  fascicoli  di  questo  periodico  fu  già  annunciato 
l'episodio,  vedono  fmalmente  mantenuta  la  promessa.  Era  mia  intenzione 
in  sul  principio  di  mandar  innanzi  ai  rozzi  versi  una  introduzione,  in  cui 
si  annoverassero  le  versioni  di  questa  storia  e  si  venissero  confrontando 
fra  di  loro  ;  poi  mi  tolsi  giù  da  questo  pensiero,  perché  una  grande 
parte  del  lavoro  era  già  stata  fatta,  e  quello  che  resta  a  dire,  con  parti- 
colare  riguardo  al  nostro  testO;,  tocca  dirlo  a  quel  raro  ingegno  del  mio 
Pio  Rajna,  il  quale  da  lungo  fa  suo  studio  spéciale  di  tutti  i  poemi  con- 
tenuti  nella  grande  compilazione  del  codice  Marciano.  Il  trattare  in  modo 
manchevole  un  argomento,  cui  altri  puô,  e  certo  fra  brève  vorrà, 
trattare  pienamente,  mi  è  sempre  paruto,  non  che  inutile,  dannoso.  Ac- 
cettino  dunque  i  lettori  del  nostro  periodico  il  testo  senza  più  ;  chè  anche 
cosî,  senza  illustrazione  letteraria,  non  è  privo  affatto  d'intéressé. 

Ad.  Mussafia. 
Vienna,  1  giugno  1874. 


340  AD.    MUSSAFIA 

Li  rois  Pépin  avec  ses  baron 
Tcnoit  gran  cori  a  Paris  sa  mason, 
E  fu  a  Pentecoste  dopos  l'Asension  ; 
Çente  li  fu  de  mante  légion, 
5  Aquilon  de  Baiver  li  adota  e  semon 
m  avec  lu  Bcrnarde  de  Clerinon, 
Rayner  ii  pros  e  li  conte  Grifon  ; 
Gran  fu  la  cort,  major  non  la  vi  hon; 
Çivalçent  e  bagordent,  donent  robe  a  foson. 

10  Dist  l'un  a  l'altro  :  «  Por  qe  le  çelaron  r 
La  cort  de  li  rois  no  vale  un  boton, 
Quando  non  oit  une  dame  al  galon, 
Dont  il  aûst  o  fiol  o  guarçon, 
Qe  apreso  de  sa  morte  e  de  sa  decesion 

1 5  Qe  fust  notre  rois  cum  esere  dovon, 
E  mantenist  en  pase  soe  rion, 
E  par  lu  aùmes  guarison.  )> 
Grant  fu  la  cort  entorno  e  inviron. 
Quando  li  rois  vol  montar  en  arçon, 

20  Avec  lui  en  monta  plus  de  mil  baron, 
Tuti  filz  de  çivaler,  de  dux  o  de  con, 
Mais  seguente  li  rois  ne  le  fo  nesun  hon 
Qe  tanto  fust  avanti  como  fu  Aquilon, 
Qe  dux  è  de  Bavière,  de  celle  région  ; 

2^  En  tût  Alemagne  non  oit  conpagnon  ; 
Et  avec  lui  si  fu  Bernard  de  Clermon, 
E  Morande  de  Rivere  e  le  dux  Salamon. 
Or  stetes  en  pais,  si  oldirés  sta  cançon, 
De  diverse  colse  qe  nu  vos  contaron, 

50  Tal  tradimenti  qe  mais  ne  le  oldi  hon, 
E  por  una  dame  el  cresè  tel  tençon 
Donde  ne  mori  plus  de  x  mil  baron  ; 
E  P'rança  tota  fu  en  tel  tençon, 
Nen  fust  Deo  qe  le  fe  reençon, 

5  5  Le  batesmo  fust  a  destruçion  ; 
Trosqua  a  Rome  fo  la  persecucion. 

Grant  fu  la  cort,  meravilosa  e  plener, 
Qe  H  rois  Pépin  oit  fato  asembler; 
Asa'  li  sont  baron  e  çivaler, 

40  Mandé  avoit  par  tôt  la  river  ; 

Asa'  li  son  venu  bufaor  e  çubler,  (fol.  7  c) 

E  altra  zent,  peon  e  baçaler, 

Por  veoir  celle  cort  e  por  le  tornoier, 

E  por  veoir  baler  e  danser  ; 

45  Li  son  venu  plus  de  .x.  miler, 

Qe  tôt  avoient  da  boir  e  da  mançer. 
Ne  le  fu  nul  qi  fu  ii  plu  lainer, 

47  Cod.  Ne  le  fe. 


BERTA    DE    LI    GRAN    PIÉ  ^4! 

Qe  le  fose  dito  que  se  trese  arer. 

Li  çivaler  bagorda  por  li  verçer, 
^o  E  por  amor  de  dame  çostrent  a  tornoier  : 

Doncha  verisi  mante  robe  mostrer 

De  divers!  color  de  palij  e  de  çender, 

Qe  pois  li  ont  doné  a  li  çubler 

Por  far  se  anomer  por  l'estrançe  river. 
)^  Ma  un  çubler  li  fu  qi  fu  li  plu  alter 

E  qe  era  adobé  a  lo  de  çivaler, 

Et  estoit  plu  anomés  en  cort  de  prinçer 

Qe  nul  autres  qe  faça  qel  mester  : 

Ben  savoit  tornoier  e  bagorder 
60  E  ben  parler  e  molto  ben  derasner. 

El  no  è  cort  de  la  ne  de  ça  da  mer 

Qe  s'el  ge  volu  aler  et  erer 

Qe  in  tôt  cort  no  sia  ançoner  ; 

Si  dona  le  robe  a  qi  le  vol  doner, 
6S  Lengue  el  soit  de  plesore  mainer. 

En  Ongarie  avoit  eu  gran  mester, 

E  celle  rois  qe  l'oit  a  governer 

A  gran  mervele  l'amoit  e  tenoit  çer  ; 

D'Ongarie  soit  e  l'insir  e  l'intrer, 
70  Si  conose  de  li  rois  e  li  filz  e  li  frer, 

E  ensement  Relisant  sa  muler. 

Et  oit  vécu  sa  file  qe  molto  se  fait  loer, 

Bella  e  cortois  cum  le  çio  del  verçer. 

Tant  è  sa  belté  qe  nul  liomo  la  poit  blasmer  ; 
75  Ma  una  colsa  oit  qe  la  fa  anomer 

Berta  da  li  pe  grandi,  si  se  fa  apeler; 

De  fin  q'era  petita  si  la  clama  sa  mer. 

E  qui  vora  ste  roman  ascolter, 

E  por  rason  le  vora  adoter, 
80  Pora  oldire  de  qi  la  fo  mer  : 

De  le  nasi  Karlo  li  enperer, 

Qe  po  fu  rois  de  tôt  li  batister  ; 

Mes  avanti  qe  lo  aùst  eu  a  governer, 

Petite  fantin  ssen  convene  scanper  ; 
85  El  no  fo  tera  qe  l'olsase  bailer  : 

A  Saragoça  cum  Turchi  et  Escler, 

Li  convene  stare  e  demorer  ; 

Son  per  si  li  fo  morto  e  Berta  soa  mer, 

Qe  du  son  frer  le  fe  atoseger  ; 
90  Mais  el  ge  fo  un  valant  çivaler  (fol.  7  J) 

Qe  mais  nol  volse  deliquir  ni  laser, 

E  quello  fu  Morando  de  River  ; 

E  li  rois  Galafrio  si  le  fe  alever. 

Avec  Marsilio  li  fasoit  mançer; 
95  Ne  vos  pois  tôt  li  plais  aquiter. 

Cornent  el  s'en  foçi  coiament  al  celer, 


Î42 


AD.    MIJSSAFIA 

Si  le  conduse  Morando  de  River 

Por  la  paure  de  qui'  malvasi  Escler 

Qe  li  voloit  oncir  c  detrencer  ; 
100  Por  sorte  i  pooit  e  veoir  e  trover 

Qe  costu  devoit  regnar  toto  l'inperer 

Et  eser  rois  de  tuto  li  batister  ; 

Trosque  a  Rome  a  l'altare  de  San  Per 

Li  amenô  Morando  de  River, 
loj  Eviec(?>  li  rois,  qi  [fuj  perde  sa  mer, 

Li  vene  en  secorso  cum  .x.  mil  çivaler, 

E  Lanfre  e  Landros,  qe  erent  anbidos  frer, 

De  li  reame  li  farent  descaçer. 

Dont  furent  morti  cum  vos  oldirés  conter. 
1 10  E  cum  Damenedé  li  voir  justisier, 

Mandô  ses  angle  c'  um  clama  Gabrier 

Qe  coronô  Karlo  maino  enprimer 

De  la  corone  de  lo  santo  enperer  : 

Por  ço  devés  vonter  sta  cançon  ascolter. 
1 1 3       Grant  mervelle  fu  celle  çubler  valant  ; 

Saço  e  cortois  e  ben  aparisant, 

E  soit  ben  parler  en  lengua  de  romant  ; 

De  tôt  le  cort  el  soit  le  convant 

E  de  l'afaire  el  soit  li  fondamant. 
120  El  ven  davant  li  rois,  si  li  dist  en  riant  ; 

«Ai!  sire  rois  de  França,  molto  estes  manant, 

La  vestra  corte  è  bella  e  avenant. 

Non  è  major  en  le  bateçamant  ; 

Si  0  çerché  jusqua  in  Jerusalant, 
125  Non  trovo  nula  c'aça  baron  tant; 

Ma  non  vos  poés  apriser  la  monte  d'un  besant 

Quando  dama  non  avés  a  li  vestre  cornant, 

Donde  vu  avisi  e  fio  e  infant, 

Qe  pois  la  vestre  morte  mantenist  li  reant. 
130  E  quando  a  vos  [plaist]  et  vos  fust  a  talant, 

Una  vos  contaria  cortois  et  avenant. 

Et  è  filla  de  rois  cum  vu  si  ensemant  : 

Plu  bella  dame  non  è  in  Oriant, 

Ni  an  plu  saçe,  se  la  mer  no  me  mant; 
1 5  5  Una  colsa  oit  qe  tegno  por  niant  : 

Ela  oit  li  pe  asa'  plus  grant 

Qe  nulle  autre  dame  qe  soit  de  son  convant;  (fol.  8  a) 

Berta  da  li  pe  grant,  si  l'apella  la  jant, 

E  soa  mer  oit  nome  Belisant, 
140  Plu  trancha  rayne  no  è  a  li  segle  vivant. 

Son  per  estoit  rois  d'Ongarie  la  grant. 

Li  rois  Tintent,  si  s'en  rise  bellemant 

Et  al  çubler  el  mostrô  bel  semblant  ; 


115c.  bulçer. 


BERTA    DE    LI    GRAN    PIÉ  ^45 

Por  cella  parola  el  non  perde  niant, 
145  Doner  li  fe  robe  e  guarnimant^ 
Et  in  apreso  un  palafroi  anblant. 

Quando  li  rois  Pépin  oit  la  parola  oïe 
Que  cel  çubler  li  oit  arasn[i]e, 
A  gran  mervelle  le  plase  et  agrie 
1 50  E  conose  ben  q'el  non  dise  stultie, 
De  la  parola  oit  son  cor  abrasie. 
Tanto[s]to  cum  il  oit  la  parola  finie, 

Le  rois  Pépin  ne  la  oblia  mie, 

El  se  comanda  a  Deo  le  filz  Marie, 
155  A  le  çubler  fi  far  gran  cortesie 

De  riche  robes,  de  palio  e  de  samie, 

Un  palafroi  li  done  a  la  sella  dorie. 

Li  rois  li  oit  la  soa  fo  plovie 

Qe  s'el  avent  qe  cel  sia  conplie, 
i6o  Qe  cella  dame  el  aça  por  amie 

E  por  muler  elo  l'aça  sposie, 

Tant  li  donera  avoir  e  manentie 

Asa'  n'avéra  tôt  li  tempo  de  sa  vie, 

Mais  no  li  fara  mester  fare  çugolarie, 
165  E  le  çubler  molto  ben  le  mercie. 

Li  rois  Pipin  non  se  nne  tardô  mie 

Ne  n'oit  metu  la  colsa  en  oblie, 

El  fa  apeler  la  soa  baronie 

Et  avec  lor  la  soa  çivalerie, 
170  Aquilon  de  Baivere,  o'cotanto  se  fie, 

E  Bernardo  de  Clermont  a  la  çera  ardie 

Morando  de  Rivere  e  li  cont  de  San  Çie, 

Plus  de  cento  baron  el  n'oie: 

«  Segnur  »  fait  il  «  ne  lairô  nen  vos  die, 
175  Conseil  vos  demando  d'avoir  compagnie 

De  una  dame  qe  estoit  d'Ongarie, 

Fila  est  li  rois  e  saça  e  dotie. 

Se  me  doneç  dama,  vu  fari  cortesie; 

Forsi  le  voroit  le  fil  Santé  Marie 
180  Qe  d'ele  averoie  0  fiolo  0  fie, 

Qe  guardera  ste  regno,  quando  serô  fenie.  » 
Li  primer  qe  parlô  fu  li  dux  Aquilon,      (fol.  8  b) 

Qe  ten  la  tere  entor  e  inviron. 

E  quel  fu  père  de  le  dux  Naimon, 
185  En  estant  fu,  s'apoia  a  un  baston, 

Davant  Pépin  el  dist  una  rason  : 

«  Gentile  rois,  por  qe  vos  çelaron? 

Grant  è  vostra  tere  e  grande  région, 

Anomé  estes  plu  de  nul  rois  dcl  mon, 
190  Asa'  avés  çivaler  e  baron  ; 

Se  vu  morise  sença  filz  0  guarçon, 

Entro  nos  seroit  e  nosa  e  tençon  ; 


U4 


AD.     MUSSAFIA 

Oui'  de  Magance  e  qui'  de  Besençon 
È^qui'  d'Austne  cuti  quille  de  Clernion, 
195  Çascun  de  lor  demandaroit  la  coron; 
Ma  s'erese  avés  a  ves  decesion, 
Questo  non  po  avenire  por  nesune  cason. 
Ora  prendés  le  conseil  qe  vos  don 
E  non  créés  a  dilo  de  bricon  : 
200  Frendés  una  dame  de  qualche  région, 
Q_e  fila  estoit  de  rois  0  de  con  ; 
E  non  è  nulla  jusqu'à  li  car  Faraon, 
Se  la  vorés,  qe  i  no  ve  la  don 
Cun  grant  avoir  e  cun  grande  machon.  » 
2o<)  E  dist  li  rois  :  «  Ben  vos  entendo,  Aquilon, 
Li  ves  conseil  senpre  0  trovà  bon, 
Ma'  no  me  diisi  colsa  de  traison 
Ne  qe  a  nul  fese  altro  qe  ben  non.  » 
Bernardo  de  Clermont  si  fu  en  pé  levé, 
210  Saçes  homo  fu,  si  fu  ben  adoté, 
(Père  si  fu  Milon,  si  como  vu  savé, 
E  quel  Milon  lu  per  Rolando  l'avoé, 
Si  oit  par  muler  Berta  la  insené  ; 
Quando  de  la  corte  elo  fo  sbanoé, 
21 5  D'ele  naque  Rolando,  si  com  vos  oldiré. 
Avant  qe  ces  roman  soia  toto  fine.) 
E  Bernardo  parlô  cum  sajes  e  doté  : 
«  Çentile  rois,  sacés  por  vérité, 
E'no  so  pais  qe  vos  en  demandé; 
220  Aquilon  v'oil  un  tel  conseil  doné, 
Qe  ça  par  moi  nen  sera  amendé. 
Quel  qe  volés  faire  si  le  faites  en  bré, 
De  prender  dama  e  saça  e  doté  ; 
Ora  ne  dites  se  n'aveç  rasné 
225  De  nula  qe  soit  en  la  Cresteneté.  « 

«  Si  0  »  dist  li  rois  «  s'el  vos  vent  a  gré, 
Fia  d'un  rois  e  de  gran  parenté 
De  Ongarie  e  de  quel  régné  ; 
S'el  ne  la  done,  seron  çoiant  e  lé, 
250  Qe  un  çubler  qe  è  qui  arivé  (}o\.  8  c) 

Por  veoir  questa  cort  e  la  nobilité 
Tuto  li  son  afaire  el  m'a  dito  e  conté, 
Qe  in  la  dama  no  è  nul  falsité, 
Salvo  q'ela  oit  un  poco  grande  li  pé; 
235  Nian  por  ço  non  vo'  je  qe  stage, 
Q^i  la  po  avoir,  qe  no  la  demandé.  » 
Li  baron  s'en  rist,  si  s'en  oit  gabé. 
Dist  li  rois  :  «  Nel  teneç  a  vilté  ; 
Se  Deo  me  dona  gracia  no  m'aça  refué, 
240  Por  qe  eo  sui  petit  e  desformé, 
Altament  eo  serè  marié.  » 


BERTA    DE    LI    GRAN    PIÉ  345 

En  son  estant  Morando  se  leva. 

Quel  de  Rivere,  qe  gran  segnoria  a  ; 

Meltre  de  lui  non  è  en  Crestentà, 
24^  Dist  a  li  rois  :  «  Mun  sire,  entendes  ça, 

Veeç  Aquilon  qe  v'a  li  conseil  donà, 

En  Crestentés  non  è  milor  ne  unques  non  sera. 

Qui'  mesaçer  prendés  que  se  convegnerà, 

Mandés  en  Ongaria,  la  dama  querira 
250  A  quello  rois  qe  la  engendra 

Qe  l'oit  norie  e  qe  in  cura  la  a. 

S'el  vos  la  done,  i  vos  la  menara, 

Colsa  como  no,  arer  tornera.  » 

Dist  li  rois  :  «  Qi  envoler  li  pora, 
255   E  qi  de  ço  li  conseil  me  dondra  ?  » 

Dist  Aquilon  :  «  Penseo  e'  l'o  ça, 

Si  qe  nesun  no  le  stratornera. 

Colu  voio  eser  qe  li  pla  movera, 

Bernar[d]  de  Clermonte  avec  moi  vera, 
260  E  Morando  de  Rivere  qe  nos  convoiera, 

E  Grifon  d'Altafoile  que  li  rois  tant  anama.  » 

Doçe  furent  qe  Aquilon  oit  nombrà, 

Tôt  li  milor  qe  in  la  corte  a, 

No  le  fo  nul  li  quai  s'en  escusa, 
26^  Çascun  li  vait  de  bona  voluntà  ; 

Mal  aça  quel  qe  proier  se  lasa! 

De  riçe  robes  çascun  si  s'adoba 

E  son  pooir  çascuno  si  mostra. 
Aquilon  de  Baiver  e  li  altri  anbasaor, 
270  Por  complasir  a  li  rois  qi  tenent  a  signor, 

Se  font  far  robes  de  diversi  color, 

A  li  palafroi  le  selle  pinte  a  flor 

Tute  endorés  de  oro  le  milor  ; 

Çamais  tel  anbasea  non  se  vite  ancor; 
275  De  doçe  baron  colu  qe  i  e  menor 

Avoit  a  guarder  richo  çastel  e  tor  (fol.  S  d) 

E  richa  cité  por  li  ses  ancesor, 

Qe  mas  non  querent  lâbor 

Da  Deo  e  da  Pépin  qe  tinent  por  segnor. 
280  Li  rois  lor  dist  dolçement  por  amor  : 

«  Entendes  moi,  li  me  anbasaor, 

E'  vos  voio  proier  por  Deo  li  criator, 

E[n]si  cun  a  vos  en  cal  de  mun  amor, 

Qe  a  li  rois  d'Ongarie  non  sia'  mentior, 
285  Le  vor  diés,  non  sia'  boseor. 

De  ma  fature  e  de  mes  cor  ancor  ; 

S'el  vos  dona  sa  file^  me  ne  sia  a  onor; 

Colsa  como  no,  tosto  faites  retor, 

Qe  d'altra  dama  nu  pensaron  ancor.  » 
290  Dist  Aquilon  :  «  No  ve  metés  en  iror, 


546  AD.    MUSSAFIA 

Tosto  conpiiron  ceste  nostre  labor.  » 
Li  mesaçcr  nen  son  pais  demoré, 

A  son  oster  se  son  reparié 

Et  a  li  rois  conçé  oit  demandé, 
295  Et  el  li  oit  doné  e  otrié, 

De  riçe  robes  fo  ben  çaschun  coroé 

E  palafroi  richament  açesmé; 

Plus  de  trenta  somer  ont  d'arnise  carce; 

E  quant  de  tôt  i  furent  aparilé, 
3oo  Avant  qe  de  Parise  i  fosen  desevré, 

Li  fo  la  mesa  dita  e  l'oficio  çanté, 

E  tuti  doçe  furent  cominié 

Del  cor  Jesu  benei  e  sagré. 

E  quando  i  venent  a  prender  li  concé 
3o5  Li  rois  meesme  fu  a  çival  monté 

Cun  plus  de  mil  de  li  son  parenté, 

Avec  lor  i  sont  çivalcé 

Plu  de  dos  lègue  fora  de  la  cité , 

Pois  s'en  tornent,  a  Deo  li  ont  comandé, 
3io  E  qui'  s'en  vont  baldi,  çoiant  e  lé. 

N'en  son  pais  mie  por  Alemagna  aie 

Cun  i  farent  quant  furent  retorné  ; 

Por  la  Provence  i  sont  oltrapasé 

E  Lon[bar]die,  cun  est  lunga  e  lé, 
3 1  j  E  a  Venecie  i  furent  in  nef  entré 

Qe  in  Sclavanie  i  font  arivé. 

Qui'  n'ese  in  tere  e  sunt  açaminé, 

Tant  alirent  nen  furent  seçorné  ; 

Li  rois  trovent  a  una  soa  cité, 
320  O  il  avoit  lungo  tenpo  esté. 

Li  anbasaor  si  se  sunt  ostalé 

A  li  milor  aibergo  qe  soit  en  la  cité; 

E  quant  i  oit  e  bevu  e  mançé,  (foU  9  ti) 

Li  son  oster  oit  a  li  rois  mandé 
325  Qe  anbasaor  sont  de  França  li  régné; 

A  lu  !i  oit  li  rois  Pipin  mandé, 

Si  le  porta  novela  de  gran  nobilité, 

Dont  el  sera  molto  çoiant  e  lé. 

E  li  oster  fu  saço  e  doté, 
330  Ne  non  oit  mia  la  ovra  oblié; 

Vent  a  li  rois,  si  ge  l'oit  conté. 

«  Mon  sir  »  dist  l'oster  «  e'  no  vel  voio  noier, 

Descendu  sont  anco'  a  mon  oster, 

Dise  qe  son  de  França  vegnu  qui  vos  a  parler 
335  Da  parte  li  son  rois  qi  est  de  gran  berner, 

E  novelle  v'  aporta  dont  le  devreç  agraer; 

Quant  el  vos  plait,  vos  vira  a  parler.  » 

Quando  li  rois  oit  oldu  li  oster 

E  la  novele  q'el  dis  di  mesaçer, 


BERTA   DE    LI    GRAN    PIÉ  ?47 

540  El  promis  a  Deo  H  voir  justisier 

Qe  no  li  envoiara  nesuno  mesaçer, 

Ma  il  meesme  li  alira  amener. 

Nen  volse  pais  longament  entarder  ; 

De  ses  baron,  e  quanti  ne  pote  trover, 
545  Tuti  li  foit  a  uno  amaser, 

Cun  le  çentil  homes  li  milor  de  son  terer 

Vont  arer  li  cortois  hoster. 

Quant  a  sa  mason  venent  aprosmer, 

Li  oster  fu  sajes,  si  savoit  desevrer. 
jjo  Avant  vait  corando  anonçer 

A  li  anbasatori  dire  e  conter 

Qe  li  venent  veoir  e  convoier. 

E  ei  non  volent  mie  tant  aspeter 

Qe  li  rois  doùst  in  l'aibergo  entrer; 
3  5  5  Defor  ensent  por  li  rois  honorer  ; 

A  l'incontrer  l'un  l'autro  s'en  vont  acliner 

E  dolçement  l'un  l'autro  saluer; 

Por  man  se  prendent,  se  metent  a  erer 

Tros  li  pales  sor  la  sale  plener. 
j6o      Li  rois  d'Ongarie  si  fu  saço  e  manant, 

Cortois  e  pros  e  ben  aparisant 

A  qui'  anbasaiir  en  mostrô  bel  senblant; 

Si  le  demande  e  ben  e  dolçemant  : 

«  Qe  est  de  mun  segnor  le  riche  rois  de  Franc?  » 
365  E  cil  li  dient  :  «  El  è  sano  e  çoiant, 

E  si  vo  ame  de  cor  lialmant.  » 

Dist  li  rois  :  «  Soia  a  li  Deo  cornant.  »     (fol.  9  b) 

Molto  se  merveie  li  rois  e  soa  çant, 

Nen  cuitoit  pais  tant  fust  la  colsa  avant. 
370  Li  rois  si  fu  cortois  e  valant, 

Le  primer  jorno  ne  le  dise  niant, 

Me  l'altro  iorno  elo-1  fi  saçemant  ; 

El  fe  convoier  di  meltri  de  sa  jant 

Tant  q'il  n'avoit  plus  de  cento  sesant. 
575  Un  disner  el  fi  fare  molto  richo  e  grant, 

E  qui'  mesajes  si  li  fu  al  presant  ; 

Honoré  fu  de  molto  riche  provant, 

Si  qe  molto  le  loent  li  anbasaor  de  Franc  ; 

Ma  una  colsa  li  fu  qe  despressiô  vilmant, 
}8o  Qe  no  se  mançava  sor  disches  ni  sor  banc  ; 

Le  tables  furent  mises  desor  li  pavimant  ; 

Quando  ci  le  vecnt  si  s'en  voit  gabant. 

Aquilon  estoit  près  li  rois  en  séant, 

Si  le  parle  bêlement  en  riant  : 
385   «  Ai  sire  rois,  vos  estes  si  manant  ; 

Avec  tel  carestie  de  dische  e  de  banc? 

En  nostra  tere  si  manue  li  truant 

E  la  jent  poure  e  la  menue  jant. 


548  AD.    MUSSAFIA 

Qe  non  oit  da  spendere  or  coito  m  arçani  , 
J90  Mais  s'el  vos  [piaist,  s']  el  no  vos  vait  noiant, 

Deman  faron  pariler  altremant.  » 

Dist  li  rois  :  «  Soia  a  ii  ves  cornant,  n 

Dont  farent  pariler  disches  e  banc  ; 

Quant  le  rois  le  vi,  si  le  diste  belemant  : 
59^    «  P'aites  cosl  en  le  tere  de  Franc?  » 

—  Oil  uoir,  sire,  le  petit  e  li  grant, 

Li  çivaler  e  tôt  li  mercant.  » 

E  l'altro  jorno  qe  fu  ilec  seguant 

Li  rois  con  ii  mesajes  si  fu  ai  parlamant , 
400  Afor  li  rois  ne  le  fo  homo  vivant, 

En  una  çanbre  furent  coicmant, 

E  Aquilon  si  parlô  primemant, 

Si  le  dist  l'anbasea,  dont  li  rois  fu  çoiant. 
«  Bon  rois  d'Ongrie,  e'  voio  qe  vu  saçé: 
405  Celu  qe  a  vos  nos  ont  envoie 

Est  rois  de  France  d'un  molto  bon  régné. 

De  crestentés  est  li  plus  doté 

E  en  le  cuitrés  est  plus  honoré  ; 

El  n'oit  a  vos  tramis  et  envoie 
410  Por  grant  amor  e  por  nobilité  ; 

Avec  vos  voria  parenté, 

Se  eser  poûst  en  voluntà  de  De 

De  una  vestre  file  qe  molto  Ii  e  loé;  Cfoi.  gc) 

El  non  a  feme  de  ch'  el  aça  rite: 
415  Se  le  volés  dare  vestra  file  a  sposé 

El  la  prendera  volunter  e  de  gré, 

Et  avec  vos  si  fara  parenté. 

Ma  d'una  colse  no  vos  sera  celé  ; 

A  ço  qe  unques  non  fomes  blasmé, 
420  De  soa  fature  vos  dirô  vérité  : 

Petit  homo  est,  mais  groso  est  e  quaré 

E  de  ses  membres  est  ben  aformé. 

Questa  anbasea  el  vos  oit  mandé, 

E  da  sa  parte  vos  l'avon  noncié.  » 
42b  Dist  li  rois  «  Vu  siés  ben  trové  ! 

Dites  vos  questo  por  droita  vérité.? 

È  mon  segnor  tant  ver  de  moi  décliné 

Qe  avec  moi  vol  fare  parenté 

E  qe  ma  file  soia  soa  sposé?  « 
43o  —  Oil  »  font  il  «  por  ço  n'oit  envoie.  » 

Dist  li  rois  :  «  E'  voio  que  vu  saçé  ; 

La  fatura  de  li  rois  vos  m'avés  conté. 

Et  eo  de  ma  file  vos  dirô  vérité  : 

Asa'  estoit  bêla  e  adorné, 
435  Ma  una  colsa  oit  qe  no  v'ert  celé  ; 

Maior  d'altre  dame  oit  grande  li  pé. 

Mais  una  colsa  voio  qe  vu  saçé  : 


BERTA    DE    LI    GRAN    PIÉ  349 

Tanto  e'  o  mia  fila  amé 

E  ma  muler  qe  l'avoit  alevé 
440  Qe  se  a  li  plase,  est  otrié  e  graé  ; 

Colsa  conio  no,  nient  avec  ovré  ; 

No  le  daria  a  homo,  s'el  no  g'è  ben  a  gré.  » 

Dist  Aquilon  :  «  Dito  avon  l'anbasé  ; 

A  la  demant,  quant  Calba  est  levé, 
445  Si  vos  pregon  qe  vos  ne  respondé.  » 

Dist  ii  rois  :  «  Voluntera  e  de  gré.  » 
Li  rois  d'Ongarie  si  fu  legro  e  çoiant, 

De  l'anbasé  el  foit  saçemant  ; 

Li  mesaçer  honorô  riçemant, 
45o  A  lor  délivre  ço  qe  quer  e  demant, 

E  si  le  foit  hostaler  riçemant 

De  tote  quele  colse  qe  a  çenti  hon  apant. 

Le  çentii  rois  non  s'areste  niant, 

Entra  en  sa  çanbre,  si  trov6  Belisant, 
455  Soa  gentil  muler,  cun  Berta  a  parlamant. 

Quando  li  rois  le  vi,  si  li  dist  en  oiant  : 

«  Dame  »  fait  il  «  honor  vos  crese  grant  ; 

Se  vu  li  otriés,  nu  avon  bon  parant  ; 

Qe  li  rois  a  chi  França  apant 
460  M'oit  envoie  anbasaor  de  sa  çant  (fol.  9  d) 

Por  quérir  ma  file,  Berte  da  li  pe  grant  ; 

Por  muler  le  demande,  s'ela  li  consant. 

Mes  avant  qe  l'ovre  vait  plus  avant 

De  sa  fature  e'  vos  dire  alquant  : 
465  El  est  petit  e  non  guare  mie  grant, 

Desformé  est  da  tote  l'autre  jant. 

Si  est  groser  in  menbres  et  in  flanc  ; 

Ma  noportant  ben  sest  en  auferant, 

Si  è  prodon  en  bataile  de  canp, 
470  Rois  è  de  France  corona  d'or  portant. 

Non  è  nul  rois  en  le  segle  vivant 

Q_e  [de]  nobilité  soit  a  lu  parisant.  » 

Quant  la  parole  oit  oldu  Belisant, 

Sa  filla  guarde,  si  li  dist  en  riant  : 
473  «  Filla  »  fait  il  «  a  vos  ven  ste  convant  ; 

Vostro  per  vos  a  dito  tôt  li  convenant 

De  sa  fature  e  de  le  so  scnblant  ; 

S'elo  vos  plait,  dites  seguremant  ; 

Colsa  como  no,  no  s'en  fara  niant; 
480  Asa'  avon  de  l'or  e  de  l'arçant, 

Ben  vos  poon  ancora  guarder  longo  tanp, 

E  pois  vos  donaron  a  un  altro  amirant, 

Qe  forsi  a  vos  sera  plus  en  talant 

Qe  cil  no  è,  qe  par  petit  enfant.  « 

440  Qe  a  se.  —  469  pordon. 


^O  AD.    MUSSAFIA 

4**^  Berta  oldi  si  parler  Belisant, 

Soa  gentil  mer,  qe  la  perama  tant, 
E  de  son  per  oldi  li  convenant  ; 

Ça  oldiré  parler  Berta'  da  li  pe  grant, 

E  cornent  a  li  per  parte  saçfcmjant  ; 
490  Ne  la  poroit  reprender  hon  qe  soia  vivant. 

K  la  raine  c'oit  nome  Belisant 

Ancor  a  sa  file  parlé  en  oiant  : 

«  Fiila  »  fait  ila  «  entendi  saçamant  : 

Ancor  non  savés  qe  soia  hon  niant; 
495  Ne  prendez  celui  qe  no  ve  sia  a  talant, 

E  qe  de  lui  ben  no  si  contant. 

Colu  qe  prenderés,  o  petit  0  grant, 

Viver  devés  con  lui  a  touto  ves  vivant  ; 

Non  fi  doné  la  dame  par  un  di  e  un  ant  ; 
5oo  Ma  se  dapois  no  li  plas,  da  q'è  fato  li  convant, 

E  qu'ela  faça  colsa  qe  non  sia  avenant 

A  son  segnor,  porta  tel  penetant  : 

Brusea  fi,  cité  la  polvere  al  vant, 

Senpre  n'oit  vergogne  tôt  li  ses  parant, 
5o5  Dolent  ne  sont  a  tute  son  vivant. 

Questo  te  diç  eo  ben  si  portanp, 

Qe  io  non  voria  pois  avoir  blasmo  da  la  jant  ; 

S'el  ben  te  plas,  dilo  seguremant , 

E  no  te  dotar  de  hon  qe  soia  vivant,         (fol.  10a) 
3io  Cha  por  çel  Deo  qi  naque  in  Oriant, 

Qe  dapois  qe  serés  aléa  a  son  cornant, 

E  vilanie  li  fais  de  niant, 

E'  non  staroge  par  tôt  l'or  qe  fu  anc 

Qe  de  vu  non  venisse  a  far  li  çuçemant.  » 
5i5       «  Filla  »  dist  la  raine  «  e'  vos  voie  enproier 

Qe  primament  vos  diça'  porpenser 

S'elo  vos  plas  cel  petit  çivaler, 

Qe  est  rois  de  France  e  de  Baiver; 

Veeç  qui  avec  vos  vos  per, 
520  Qe  contra  vos  voloir  ne  vos  le  voledoner; 

Cortesement  a  quilli  mesaçer 

De  l'anbasea  li  respondera  arer, 

Si  qe  nu  no  seren  pais  mie  da  blasmer.  » 

Quant  la  polçele  olde  sa  mer  parler 
525  Et  avec  le  la  vede  son  per, 

Un  poco  porpense,  si  le  respont  arer  : 

«  Père  »  fait  ella  «  e  vos  qe  si  ma  mer, 

Si  me  devés  droitament  conseler  ; 

El  est  venu  de  França  mesaçer 
53o  Qe  molto  sonto  da  loer  e  priser; 

495  no  le  sia.  —  496  no  se  contant.  —   505  Dolente.  —  507  poria  pois. — 
)i9  auec  uos  uos  père. 


BERTA    DE    LI    GRAN    PIÉ  55  I 

Li  rois  de  France  si  me  vol  por  muler 
E  cun  raine  far  moi  encoroner  ; 
E'  no  so  pais  ne  dire  por  rasner 
Cornent  me  porisi  plu  altament  marier; 
535  Se  dites  qe  celle  rois  cun  altro  çivaler 
Non  è  pais  si  grande  ni  plener, 
Nian  por  ço  no  li  voio  refuser, 
Qe  de  petito  albore  bon  fruto  se  po  mançer, 
E  quel  del  grant  si  non  val  un  diner. 
540  Questa  ventura,  qe  Deo  vos  vol  doner, 
Si  la  prendés  de  grec  e  volunter; 
Et  eo  si  vos  1'  otrio  e  le  voio  volunter. 
Et  a  vos,  raïne,  qe  estes  mia  mer 
De  moi  non  aça'  uncha  mes  reo  penser, 
543  Qe  de  moi  oldés  ne  dire  ni  conter 
Nulla  colse  qe  vos  diça  noier  ; 
Mon  segnor  amarô  de  grec,  e  volunter.  » 
Li  rois  Tintent,  si  la  vait  acoller 
E  por  la  face  droitament  a  baser; 
55o  Quant  el  olde  sa  file  li  pla  acreenter, 
S'el  oit  çoie  non  è  da  demander. 
Por  man  el  pris  soa  çentil  muler, 
Sor  le  paies  venent  a  li  mesaçer, 
E  lasa  sa  file  entro  la  cambra  polser. 
355       Li  rois  d'Ongarie,  c'oit  nome  Alfaris,'  (fol.  10  b) 
A  gran  mervile  estoit  de  gran  pris, 
E  sa  muler  oit  si  le  cor  ardis. 
Non  è  çivaler  en  toto  quel  païs. 
Conte  ni  dux^  principe  ni  marchis, 
56o  Qe  la  olsast  guarder  por  me  le  vis. 

Quant  vide  li  mesaçi  del  rois  da  San  Donis, 
E  vide  qe  tôt  sont  çivaler  de  gran  pris, 
Ela  voit  a  celu  qe  li  par  plu  altis, 
Ce  furent  Aquilon  de  Baivera  marchis; 
565  Por  la  man  li  prent,  si  le  fait  bel  vis, 
E  dolçement  ela  li  parla  e  dis  : 
«  De  vestra  venue,  segnur,  gran  marcis. 
Da  parte  li  vestre  rois,  qe  oit  nome  Pepis, 
Si  nos  avés  tel  colsa  requis 
370  Qe  vos  si  n'aurés  toto  li  vos  servis, 
Qe  mia  file  si  n'è  ben  talentis  ; 
Dont  çoiant  tornarés  en  le  vestre  pais. 
Si  menarés  ma  file  qe  oit  cler  le  vis.  )« 
Aquilon  de  Baiver  si  lu  en  pé  levés, 
375  A  gran  mervile  fu  saçes  e  dotés  ; 
Si  fo  vestu  d'un  palio  rosés, 
Grant  oit  Tinforchaiire  e  por  le  spale  lés. 


S  S  S  none. 


^2  AD.    MUSSAFIA 

Quella  raine  el  oit  merciés. 

u  Dama  »  fait  il  «  il  nen  vos  sera  celés, 

58o  Nu  semo  doçe,  tal  dux  ta!  amirés, 
De  nostre  rois  nu  semo  tuti  casés  , 
E  li  menor  oit  çaste[lsj  c  cités  ; 
E  si  vos  poso  ben  curer  por  lialtés 
Qe  in  toto  li  mondo  de  la  crestentés 

385  El  non  è  rois,  princes  ni  amirés, 

Qe  de  li  rois  de  PVance  sel  tenis  por  vilté 
De  avec  lui  avoire  parentés. 
Quando  nu  averon  vcstra  file  amenés 
E  qe  raina  sera  encoronés, 

390  E  la  sera  de  P'rançe  raina  clamés, 
A  gran  mervile  nen  pori  eser  lés. 
Se  li  rois  è  petito,  Deo  si  l'oit  formés  ; 
Ma  no  por  tanto  saça'  por  vérités  : 
Prodomo  ert  a  çostrer  en  tornés  ; 

595  El  non  è  çivaler,  quel  qe  est  li  plu  membres, 
Cun  q'il  non  çostri  a  lança  et  a  spés.  » 
La  dama  s'en  rise  bellament  e  soés 
E  dist  ad  Aquilon  :  «  Dites  moi  vérités, 
Estes  vos  sire,  conte  ni  amirés, 

600  [Ami  au]  roi  ni  drudo  ni  privés? 

—  Si  son,  ma  dame,  en  mia  lialtés  ;        (M.  10  c) 
Se  li  rois  non  fust  en  nos  tôt  fiés, 
El  no  n'averoit  qui  alois  envoies.  » 
Dist  la  dame  :  «  Ben  senblant  n'avés; 

6o5  A  ves  voloir  et  a  ves  voluntés 
Ve  soit  mia  file  del  tôt  délivrés , 
A  celle  rois  qe  vu  si  l'amenés, 
Q'elo  ne  face  la  soa  voluntés.  » 
Dist  Aquilon  :  «  Mille  marçè  n'aies! 

610  Çentil  raine,  nen  vos  doit  noier. 
Se  vestra  file  vu  ne  volés  doner. 
Nu  la  prenderon  de  grec  e  volunter, 
E  por  li  rois  nu  Faveron  sposer, 
E  pois  avec  nos  nu  l'averon  mener. 

61 5  Mais  d'una  ren  nen  vos  voio  enganer  : 

Quando  li  rois  de  France  ven  a  prender  muler, 
Avant  qe  cun  la  dame  el  se  diça  acolçer. 
Se  fait  la  dame  tuta  nua  despoler, 
E  fi  ben  guardea  e  davante  e  darer  ; 

620  S'el'  aùst  altro  q'ela  non  par  mostrer. 
Le  mariaço  se  tornaria  arer.  » 
Dist  la  raine  :  «  Non  aça'  quel  penser , 
Qe  la  ma  file  vos  farô  despoiler, 
Si  la  pores  tôt  por  menu  çercher; 

591  nen  pori. 


BERTA    DE    LI    GRAN    PIE  355 

625  Se  VU  no  la  trovés  tuta  sana  e  sençer, 

Afors  li  pe,  d'altro  no  me  porés  blasmer.  » 

Dist  Aquilon  :  «  De  qui'  no  ve  requer  ; 

Ma  se  me  volés  sor  vostra  fois  creenter 

Q_'el  è  ço  voir  qe  vos  oldo  conter, 
63o  Ben  me  averô  en  vos  afiancer.» 

Dist  la  raine  :  «  Entendes,  çivaler, 

Nen  voio  qe  unchamés  vu  m'en  diça'  blasmer. 

Entro  ma  çanbre  vénères  al  celer 

E'  vos  farô  ma  file  despoler  ; 
635  Tota  nue  la  porés  veer.  » 

Qe  vos  do  je  li  plais  plus  alonçer? 

Quella  raïne  prist  di  çivaler 

Dux  Aquilon  e  Morando  de  R[i]ver, 

Cun  ceste  dos  vait  en  la  çanbra  entrer 
640  E  soa  file  oit  fata  despoler, 

A  celé  dos  la  mostra  e  davante  e  darer  ; 

Qui'  s'en  contente,  si  s'en  retorna  arer. 

Qi  donc  veïst  tôt  li  mesaçer 

Avec  li  rois  la  gran  çoia  mener  ! 
645  Li  rois  nen  volse  la  ovra  oblier  ; 

El  fa  sa  jent  e  baron  asenbler, 

Tôt  li  milor  qi  fu  de  son  terer, 

Por  venir  a  sa  file  q'elo  vol  nucier.         (fol.  10^) 

Gran  corte  fo  e  davant  e  darer , 
65o  Donda  verisi  çivaler  tornier 

E  celle  dames  baler  e  caroier  ; 

Por  amor  de  Berte  le  veïses  danser. 

Quella  corte  durô  quinçe  jor  tos  enter  , 

Quant  Aquilon  vait  a  li  rois  parler 
655  Por  demander  conçé,  si  s'en  volent  aler, 

E  a  la  raine  dolçement  proier 

Qe  soa  file  li  diça  délivrer. 

Dist  la  raine  :  «  De  grec  e  volunter; 

Or  me  laseç  ma  fille  adorner.  » 
660       Cella  raine  si  fu  saça  e  valent, 

A  gran  mervele  oit  li  cor  molt  cent, 

A  soa  file  parloe  dolçement  : 

«  Filla  »  fait  ella  «  li  penser  vos  soment; 

E'  vos  ai  mariea  molto  onorablement, 
665  Donde  portarés  corona  d'or  lusent; 

E  si  vos  ai  delivrea  a  una  strania  gent. 

Mener  vos  dovera  a  son  comandament, 

Asa'  vos  donarô  e  or  coito  e  argent; 

Siés  cortese  e  ben  aparisent, 
670  Q'i  no  vos  tenise  raina  da  nient  ; 

A  lor  donés  robe  e  vestiment. 

Sor  tute  ren  de  li  mondo  vivent 

Vestre  segnor  amenés  loialment , 
Romania,III  23 


?H 


AD.    MUSSAFIA 

Si  le  farés  toto  li  son  talent , 
675  Serés  cortois  a  tote  l'autre  jent, 

A  çascun  serves  loial  e  droitament, 

Faites  qe  de  vos  no  se  blasmi  escuer  ni  sarçent.  » 

Dist  la  dama  :  «  E'  l'o  ben  en  talent, 

Loial  e'  tegno  vestro  castigament  ; 
680  Et  eo  lo  tirô  a  tuto  mon  vivent 

E  de  questo  states  segurament.  « 
Dux  Aquilon  fu  bon  conseleor, 

Unques  al  segle  n'en  estoit  un  milor 

Ne  qe  a  li  rois  faïst  maior  honor; 
685  Per  fu  de  Naimes  qe  sor  tct  fu  la  flor  ; 

Dist  a  li  rois  dolçement  por  amor  : 

((  Ai  sire  rois  !  par  Deo  le  criator, 

Pois  qe  nu  avon  acompli  nos  labor, 

Car  ne  faites  bailer  de  Pipin  sa  usor, 
690  Qe  torner  volen  en  le  tere  maior 

E  vestra  file  mener  a  grant  honor.» 

Dist  li  rois  :  «  Volunter,  sens  busor.  » 

Li  rois  d'Ongarie  nen  volse  demorer;  (fol.  1 1  a) 

El  apelô  Belisant  sa  muler  : 
695  «  Dama  »  fait  il  «  veeç  li  mesaçer, 

Li  quai  ne  vole  vestra  fila  amener. 

Car  ge  la  bailés,  se  l'avés  fata  adorner 

De  tôt  quelle  colse  qe  li  oit  mester, 

Qe  no  li  manchi  ren  che  se  posa  penser.  » 
700  Dist  la  raine  :  «  Laseç  quel  pla  ester; 

Si  grandement  nu  l'averon  mander 

Ne  li  faliria  solo  a  li  soler  ; 

Tôt  ses  arnise  0  fato  renoveler.  » 

Adoncha  fait  venir  li  mesaçer, 
705  Da  l'autra  parte  Berta  li  fait  erer  : 

«  Segnur  »  fait  ella  «  ne  vos  doia  noier , 

Prendés  la  dama  a  ves  justisier 

E  sana  e  salva  vu  la  diça'  mener 

A  son  segnor  qe  l'oit  adesier.  » 
710  Qui'  li  dient  :  «  De  grec  e  volunter.» 

Un  palafroi  fait  la  raina  coroer  : 

Qi_  sol  la  sela  volese  bragagner 

Par  mille  livre  ne  la  poroit  esloier. 

Cran  fu  la  çoia  quant  vene  al  délivrer, 
715  Grande  fu  quando  vene  al  desevrer, 

Qi_donc  veïst  la  raïne  soa  fia  baser; 

Da  l'autra  part  li  rois  qi  è  son  per! 

E  la  raïne  fait  carçer  .xv.  somer 

D'or  e  d'avoir,  d'or  coito  e  de  diner 
720  E  altretanti  de  robe  da  doner, 

Qe  tuti  erent  de  palii  e  de  çender. 

Quando  s'en  prendent  aler  li  mesaçer. 


BERTA    DE    LI    GRAN    PIÉ  ^JJ 

Q_e  soa  file  se  deveroit  desevrer, 

Li  rois  e  la  raine  comence  a  larmoier  ; 
725  E  pois  prendent  a  cival  [a]  monter 

A  plus  de  mille  nobli  çivaler, 

Sa  filla  convoie  plus  de  dos  lègue  enter  ; 

Al  départir  i  la  vont  acoler. 

Li  rois  e  la  raine  començe  a  larmoier; 
73o  I  s'en  torne  e  lasa  qui'  aler, 

I  non  soit  mie  li  grande  engonbrer. 

Par  Ongarie  çivalçent  trois  jorni  tôt  enter 

Qe  del  so  non  spendent  valisant  un  diner. 

Nen  volse  pais  por  Lonbardia  torner; 
735  Por  Alamagne  se  prendent  a  erer. 

Quant  i  çonçent  a  castel  0  docler 

Et  elo  sia  ora  de  l'alberçer, 

I  no  vol  pais  in  hoster  alberçer; 

A  cha  de  cont  0  de  gran  çivaler 
740  Quella  dame  i  font  desmonter  (fol.  1 1  b) 

E  richament  la  font  hostaler  ; 

No  le  fo  dux,  conte  ni  princer, 

Qe  por  amor  li  rois  que  França  oit  a  bailer 

Ne  la  reçoit  e  vegala  volunter. 
743  E  la  raina  tant  fu  cortois  e  ber, 

S'ela  trovava  donçela  da  marier^ 

Fila  de  qui'  qe  l'avoit  hostaler, 

Por  cortesia  li  vait  a  demander, 

Si  le  promete  altament  marier. 
75o  Se  i  le  done,  mena  sego  vonter. 

Tant  çivalçent  por  via  e  por  senter 

Qe  una  soir  a  l'ora  del  vesprer 

En  Magançe  venent  a  alberçer 

A  cha  d'un  conte  qe  oit  nome  Belençer, 
755  Qe  de  qui'  de  Magançe  a  cil  temps  fu  li  plu  alter. 
Li  mesaçer  sont  en  Magança  entré, 

A  cha  de  Belençer  i  sont  alberçé, 

E  quel  si  le  receve  volunter  e  de  gré, 

Por  amor  li  rois  li  oit  molto  honoré  ; 
760  Quel  oit  una  file,  plus  bêla  nen  veré, 

Qe  a  la  raine  fu  si  asomilé 

Que  l'una  e  l'autre  quant  fusen  asenblé, 

L'una  da  l'autre  nen  seroit  desomilé. 

A  la  raine  venoit  si  a  gré 
765  Al  hoir  e  al  mançer  ela  li  seoit  a  pé, 

E  in  un  lato  ambesdoe  colçé. 

Terço  çorno  furent  ilec  seçorné; 

Avanti  q'ela  fost  partia  ni  sevré, 

A  son  per  l'oit  queria  e  demandé, 


728  acorler.  —  738  uol  uais.  —  762  E  l'una. 


?56 


AD.    MUSSAFIA 

770  Q^ela  in  França  si  vaga  avec  le 
E  li  sea  altament  marié. 
Tanto  l'avoit  Aquilone  proie 
E  la  raïne,  q'el  li  oit  délivré; 
E  altament  el  li  oit  mandé 
77.S  Un  di  milor  de  la  soa  contré, 
Li  quai  si  fu  de  le  so  parenté; 
Por  so  bailo  li  avoit  envoie 
E  qe  li  doni  ço  qe  le  fust  a  gré. 
Li  mesaçer  sont  a  cival  monté. 
780  Quando  a  Paris  i  furent  aprosmé, 
Mesaçer  ont  a  li  rois  envoie , 
Qe  la  raïne  vent  cum  sa  nobilité, 
Si  altament  con  raina  encoroné. 
De  quela  colsa  li  rois  si  fu  çoiant  e  lé  ; 
785  El  oit  mandé  par  toto  son  régné 
E  fa  venir  li  conte  e  li  casé, 
Por  aler  encontre  fu  a  çival  monté  (fol.  1 1  c) 

Plus  de  mile  de  çivaler  prisé. 
Quanto  furent  près  Paris  a  meno  de  dos  lé, 
790  E  Berta  fu  lases  e  tuta  travalé, 
Por  q'ela  oit  cotanto  çivalcé, 
A  la  donçella  oit  dito  e  parlé  : 
«  Çentil  compagna,  coven  qe  me  serve 
D'una  colsa,  donde  v'averô  gran  gré.  » 
795  Dist  la  donçela  :  «  Dites  e  com.andé; 
Ço  qe  vos  plait  sera  ben  otrié.  » 

«   Çentil  polçele  «dist  Berte  en  oiant 
«  Toto  me  dole  le  costes  e  li  flanc, 
Por  lo  çivalçer  sonto  de  maltalant; 
800  Plus  me  confio  en  vos  qa  in  persona  vivant, 
Por  ço  vos  di  mon  cor  e  mon  talant  : 
Se  me  devés  unqamais  servire  de  noiant, 
En  ceste  noit  farés  li  me  cornant. 
Si  cum  raïne  vos  fareç  en  avant 
8o5  E  intrarés  in  le  çanbre  ardiamant, 
Et  eo  ser5  darere,  starome  planamant. 
Cun  li  rois  alirés  in  le  leto  solamant; 
S'el  vos  volese  toçer  ni  a  vos  dirniant. 
Si  le  proies  e  ben  e  dolçemant 
810  Nen  vos  diça  toçer  trosq'a  un  jor  pasant, 
Qe  por  le  çivalçer  tota  si  fata  lant  ; 
A  l'altro  jorno  farl  li  son  comant.  » 
Dist  la  donçele  :  «  De  ço  non  dotés  niant  ; 
E'  farô  ben  ço  che  a  l'ovra  apant.  » 
81 5  A  tant  ven  li  rois  con  tota  soa  jant, 
Cun  gran  bagordi  e  desduti  en  avant. 
Le  dame  menarent  molto  honorebelmant  ; 
A  l'entrer  de  la  çanbra  la  donçela  ne  se  fa  lant, 


BERTA    DE    LI    GRAN    PIÉ 

En  le  letoentrô  quant  li  rois  li  cornant, 
820  E  Berta  sta  darere,  qe  non  fi  esiant, 

Mais  en  sa  vite  nen  fo  cusi  dolant. 
Quella  donçelle  nen  fu  pais  lainer, 

Entre  le  leto  ela  se  voit  colçer  ; 

Nen  fu  home  ni  feme  qi  li  alast  contraster, 
825  Si  grande  era  la  corte,  nul  hon  a  quel  penser. 

E  Aquilon  e  li  altri  mesaçer 

Erent  torné,  aie  a  son  hoster  ; 

E  dama  Berta  si  stoit  pur  darer; 

Tal  oit  la  vergogna,  no  olsa  moto  soner. 
83o  E  li  rois  se  vait  in  son  leto  colçer  (fol.  1 1  d) 

E  quella  dame  strençer  e  toçer. 

Quando  ven  a  ço  che  la  volse  solaçer, 

La  donçella  fu  cortois,  no  se  trase  arer  ; 

En  cella  noit,  cum  ella  fu  enter, 
835  Ne  fi  li  rois  tuto  li  son  voler; 

Ben  la  çercô  tuta  quanta  por  enter, 

Li  pé  trovo  petit,  dont  s'en  pris  merveler 

Por  la  parola  qe  li  dise  le  çubler, 

E  pois  se  prist  entro  soi  penser  : 
840  «  Li  çublers  si  li  dist  por  far  moi  irer.  » 

Tanto  n'a  son  voloir,  nen  cura  de  noier. 

El  prist  li  avoir,  l'or  coito  e  li  diner 

E  le  arnise  de  palii  e  de  çender, 

E  si  le  done  a  qui'  cortisi  çubler. 
845  Li  rois  no  se  pensava  de  sa  dama  mal  penser, 

Cuitoit  ben  q'ela  fust  sa  muler  droiturer, 

Cum  Aquilon  le  segnor  de  Baiver 

En  Ongarie  l'avoit  sposea  primer. 

Pasoit  quel  çorno  e  tuto  l'altro  enter 
85o  Tant  qe  Berta  le  dist  qe  tropo  poria  demorer, 

Qe  entro  sa  çanbra  volea  pur  entrer. 

Dist  la  donçela:  «  Ben  lo  voie  otrier; 

A  cesta  noit  vos  diça'  pariler; 

A  le  matin  quant  el  avéra  soner, 
855  E  eo  me  levarô  si  como  a  ori[n]er; 

Enlora  pores  en  le  leito  entrer.  » 

E  dist  Berta  :  «  Ben  est  da  otrier.  » 

Ela  no  sa  mie  qe  le  doit  encontrer; 

Qe  quela  malvés,  qe  Deo  doni  engonbrer  !, 
860  Fi  li  son  bailo  quérir  e  demander 

Qe  son  per  li  donô  qe  la  doùst  guarder; 

A  colu  ela  prist  tuto  l'afar  conter. 

Quant  cel  Tintent,  molt  s'en  pris  merveler. 
«  Bailo  »  dist  la  malvés  «  entendes  ma  rason  : 
865  Quando  eo  me  sevré  da  la  moia  mason, 

Mon  pcr  me  ve  donô  por  frer  e  compagnon, 

Qe  far  deùstes  mon  voloir  e  mon  bon. 


5  57 


m8 


ad.  mussafia 

Quella  Berte  qe  ça  nos  conduson 

Tôt  primamcnt  me  don5-la  li  don 
870  De  colçer  moi  avec  li  rois  en  son, 

Mais  toçer  no  me  lasase  por  nesuna  cason  ; 

Quella  promese  non  valse  un  boton, 

Qe  li  rois  si  m'avoit,  0  e'  volese  0  non. 

Se  tu  fa'  ço  qe  nu  vos  contaron, 
875  Eo  serô  raine  de  France  e  da  Lion,  (fol.  12  a) 

E  de  toi  farô  si  gran  baron 

Major  de  toi  non  sera  en  tota  Le[ma]gnon.  i» 

Dist  li  bailo  :  «  Dites,  no  li  faron. 

Deo  me  confonde  qe  sofri  pasion, 
880  Se  mais  por  moi  le  savera  nul  on.  » 

Quella  malvés,  qe  le  diable  oit  tante, 

A  cil  son  baille  oit  li  afar  mostré. 

«  Bailo  )>  dist  ela  «  savés  qe  vos  faré? 

En  cesla  soire,  quant  sera  ascuré, 
885  Vu  la  prenderés  oltra  sa  volunté, 

E  si  le  avérés  la  bocha  si  esbaré, 

S'ela  criast,  qe  non  soia  ascolté. 

Pois  la  menés  en  un  boscho  ramé, 

E  illec  soia  morta  e  délivré. 
890  En  un[e]  fose  vu  si  la  seteré, 

Qe  d'ele  mais  no  se  saça  novella  ni  anbasé.  » 

E  quel  le  dist  :  «  James  plus  n'en  parlé; 

Meio  farô  je  qe  non  l'avés  devisé.  » 

—  Aie  »  dist  ella  «  e  tosto  tornaré.  » 
895  E  quel  s'en  est  da  la  dama  sevré, 

Avec  lui  avoi[t]  dos  autres  demandé, 

Li  quai  furent  de  la  soe  contré. 

Quant  vene  la  noit  que  li  jor  fu  pasé, 

A  l'ora  que  la  malvés  li  avoit  ordené, 
900  Qe  la  raine  cuitoit  complir  sa  volunté 

Et  avec  li  rois  in  leito  eser  entré, 

E  cil  malvés  la  ont  e  presa  e  lige, 

E  por  la  boçe  la  ont  esbaré. 

Via  la  portent  oltra  sa  volunté 
905  E  si  isent  de  Paris  la  cité. 

Nen  demoren  tros  li  boschi  ramé  ; 

E  pois  la  ont  desbaré  e  deslié; 

Oncir  la  volent,  quela  quer  piaté, 

Da[va]nti  lor  se  lu  ençenoilé. 
910  ((  A!  segnur  »  fait  ella  «  mercé,  por  l'amor  Dé! 

No  me  onciés,  qe  farisi  gran  peçé. 

Se  vu  la  vite  por  Deo  me  lasé 

En  tal  logo  andarô,  mais  novella  non  oldiré.  » 

Quant  qui'  la  intende,  si  le  parse  piaté; 


886  esbaere. 


BERTA    DE    LI    GRAN    PIÉ  ^'59 

915  L'un  si  oit  li  altro  regardé, 

E  si  dient  :  «  Questo  è  gran  peçé, 

Çamai  major  non  fu  par  homo  pensé.  » 

Li  cor  li  est  da  Deo  omilié, 

I  dist  :  «  Dama,  de  vos  ne  ven  peçé. 
920  Ora  ne  çurarés  qe  mais  non  reverteré 

En  questa  tere  e  in  questa  contré.  » 

Et  ella  li  foit  volunter  e  de  gré,  (fol.  12  b) 

E  sor  li  santi  si  avoit  curé 

Q_e  mais  no  la  verà  in  soa  viveté. 
925  Qui'  se  partent,  arer  si  son  torné, 

Et  ella  remist  en  la  selva  ramé. 

E  quela  malvés  qe  li  oit  aspeté, 

Quant  i  furent  arer  repaire, 

Ela  li  demande  come[n]t  i  ont  ovré. 
930  K  Pur  ben,  ma  dame;  d'ele  estes  délibéré  : 

Morta  l'aùmes,  si  l'aon  seteré 

En  le  gran  boscho,.  entro  dà  un  fosé.  » 

Or  laseron  de  la  malvés  qe  estoit  en  gran  sejor. 

De  nula  ren  plus  non  oit  paor  ; 
935  E  li  rois  la  ten  loial  cun  sa  usor, 

Nen  savoit  mie  coment  fust  li  eror. 

Ne  l'aùst  mie  tenue  a  tal  valor, 

Anci  averoit  eu  onta  e  desenor, 

S'el  aiist  ben  saplu  trestoto  ad  estor 
940  Quel  qe  ont  fato  li  malvés  liceor; 

Qe  por  quelle  dame  cresè  si  gran  eror. 

Dont  ne  mori  plus  de  mile  peçeor, 

Qe  mais  non  vede  ne  files  ne  seror. 

Cun  li  rois  stoit  si  cun  por  soa  usor, 
945  Por  fila  li  rois  d'Ongarie  ela  avoit  clamor. 

De  li  rois  avot  tros  filz,  si  cum  dis  l'autor  : 

Lanfroi  e  Land[r]ix,  Berta  fu  la  menor, 

Q_e  mère  fu  Rolando  li  nobel  pugneor 

E  de  Milon,  si  cum  oldirés  ancor. 
95o       Ora  tu  Berte  en  le  boscho  remés  ; 

S'ela  oit  paùre,  or  nen  vos  mervelés  : 

Si  come  feme  qi  fu  abandonés 

Si  plura  e  plançe,  molto  se  lamentés, 

Non  poit  veoir  se  no  arbori  rames 
955  E  li  boschaje  qe  est  longo  e  lés; 

Por  la  paiire  de  le  bestie  enverés 

Ver  Demenedé  se  clama  ben  confés. 

«  A!  verçen  polçele,  raïne  encoronés, 

De  cesta  peçable  vos  vegna  piatés  ! 
960  Anco'  de  ceste  jor  qe  vu  me  cundués 

En  celle  lois  0'  je  fose  albergés. 


949  ancon. 


^6o  AD.    MUSSAFIA 

Nen  morise  qui  in  cotanta  villes. 

A  !  malvas  feme,  cun  lu  m'ais  enganés  ! 

Nen  cuitoie  mie  de  cesle  fa[llsilé; 
965  For  granl  amor  eo  t'avi  amenés, 

Plu  t'onorava  qe  tu  fusi  mego  ençendrés. 

A  !  raïna  d'Ongarie,  questo  vu  non  savés,  (fol.  i  2  c> 

D'esta  granl  poine  0'  je  sontoenlrés; 

Jamais  de  moi  non  saveri  meso  ni  anbasés; 
970  Ma  ventura  m'esl  conlraria  aies.  » 

Quant  asa'  ela  s'oit  lamentés 

El  asa'  oit  e  planto  e  plurés, 

Le  viso  se  segne,  a  Deo  fu  comandés. 

En  legran  boscho  ela  s'est  afiçés, 
975  De  ramo  en  ramo  tanto  est  aies 

Cum  Danienedeo  si  l'avoit  amenés. 

N'esi  del  bois  e  voit  en  un  bel  prés, 

Davant  da  soi  ella  oit  reguardés  : 

Un  çivaler  voit  venir  lot  lasçs, 
980  E  quant  celu  la  vi,  moll  se  mervelés. 

En  cella  part  ello  est  aies  ; 

Quant  li  aprosme,  si  la  oit  arasnés  : 

«  Dama  »  fait  il  «  qi  vos  oit  ça  menés 

Por  la  gran  selve  e  li  boscho  rames  ? 
985  Vu  me  pari  Iota  espaventés. 

—  Mon  sire  »  dist  Berle  «  or  nen  vos  mervelés, 

Qe  un  mon  segnor  m'è  morto  da  malfés, 

Si  aùsl  falo  de  moi,  si  m'aûst  bailés. 

Ai!  çenlil  homo,  por  santa  carités 
990  Vos  voio  proier  qe  vu  si  m'amènes 

In  qualqe  logo  0'  eo  fose  albergés,  » 

«  Par  foi  !  »  dist  il  «  ben  seri  ostalés  : 

A  mon  çastel  vu  seri  amenés; 

Ilec  seçornari  a  vestra  voluntés.  » 
995       Quel  çaslelan  si  fo  pro  e  valan. 

Et  oit  nome  Sinibaldo,  se  la  islolia  no  mant  ; 

A  son  çastel  mené  Berle  lote  plurant  ; 

Et  oit  dos  filles  belle  et  avenant. 

Quant  virent  son  père  cun  la  dame  erant, 
looo  Encontra  voit,  a  demander  li  prant: 

«  Qe  femene  è  queste  qe  ven  cosi  dolant?  » 

Et  ello  li  dise  loto  li  convenant, 

Cun  son  mari  fo  morto  qe  era  un  mercaant, 

E  d'ele  aùst  fato  altretant, 
ioo5  Quant  ela  s'en  foçi  coiamant, 

Scanpé  s'en  est  par  celle  selve  grant  ; 

Damenedé  l'a  mené  à  salvamant, 
«  El  è  venua  a  li  vostro  cornant  ; 

Unde  e'  vos  prego,  se  vos  m'amés  niant, 
10 10  No  le  mostrés  se  no  bel  viso  e  riant.  » 


BERTA    DE    LI    GRAN    PIÉ  ^Ôl 

E  celle  le  dient  :  «  Volunter  por  talant.   » 

E  celle  damesele  furent  molto  saçant, 

Contra  li  vent  e  por  la  man  la  prant, 

E  si  la  vont  dolçement  confortant,  (fol.  12  d) 

ioi5  En  sa  çanbre  la  mené  coiemant, 

Si  la  onore  cum  fust  soa  parant. 

Diste  le  polçele  :  «  Dama,  vestre  venue 

A  gram  mervile  ne  delete  et  argue, 

A  bon  oster  estes  rechaùe  ; 
1020  Por  nostra  mer  vos  tiron,  ben  serés  proveùe. 

Da  che  nostra  mer  nos  est  deschaùe. 

Avec  nos  serés  e  calçé  e  vestue; 

Nen  mançaron  valsant  une  latue, 

Si  cun  nos  no  vos  sia  partue.» 
I02  5  Quant  dama  Berta  le  oit  entendue, 

Molto  le  mercie  e  a  lor  s'è  rendue, 

Si  como  femena  la  quai  era  perdue. 

E  Damenedé  si  le  fo  en  aiue, 

Por  çest  çastelan  ela  fo  rrevertue, 
io3o  De  Pépin  prima  fo  soa  drue, 

E  po  si  fo  raïne  quant  sa  mer  fo  venue; 

E  la  malvés,  qe  l'oit  si  deçeùe, 

A  mala  mort  ela  fo  confondue. 

Oeç,  segnor,  s'el  vos  plas  ascolter  : 
io35  Nul  hom  se  doit  da  Deo  desperer, 

Qe  sa  venture  ne  li  poit  faler  ; 

Nul  hom  poit  unquamais  porpenser 

Ço  qe  li  poit  venir  ne  incontrer. 

Berte  la  raine  qe  devoit  enperer, 
1040  Or  li  convent  li  altru  pan  mançer, 

Ne  no  sa  pais  0'  ela  diça  aler, 

Mais  celle  polçele  la  ténia  si  çer, 

Non  parea  mie  femena  strainer  ; 

Avec  lor  stasoit  a  boir  e  a  mançer, 
1045  Mais  non  por  tant  tant  avea  ii  cor  lainer 

Qe  die  e  note  no  stava  del  plurer. 

Con  celle  çastelan  dont  m'oldeç  çanter 

E  cun  ses  file  qetant  avoit  çer 

Demorô  Berte  plus  d'un  an  enter. 
io5o  Berta  fu  si  mastre  de  tôt  li  mester, 

Nulla  milor  no  se  poroit  trover. 

Ben  savoit  e  cosir  e  tailer, 

E  si  fo  mastra  sor  tôt  li  friser  ; 

A  celle  dameselle  prist  si  dotriner 
io55  Qe  plus  l'amava  qe  s'ela  fose  sa  mer. 

A  celle  tenp,  donde  me  oldés  conter, 

Pépin  voloit  aler  por  caçer  ; 

A  Sygnibaldo  envoie  qe  le  diça  apariler 

De  vitualia  e  de  ço  qe  li  è  mester  ;  (fol.  1 5  a^ 

Romania,  III  2  J  ' 


362  AD,    MUSSAFIA 

loGo  A  li  çastel  vol  venir  alberçer 

Et  illec  terço  çorno  seçorner, 

E  Synibaldo  li  foit  de  grés  e  volunter. 
Or  vait  li  rois  a  soa  chaçason, 

Et  oit  avec  lui  ses  conte  e  ses  baron  ; 
io65  Altri  portent  sparver  et  altri  porten  falcon, 

Brachi  e  livrer  mènent  a  foson. 

Al  çastel  Synibaldo  venent  al  dojon 

Et  ilec  alberçent  çivaler  e  peon, 

Pois  vont  a  chaçer  quant  vent  la  sason  ; 
1070  E  Pepi  mist  Sinibaldo  por  rason 

De  ses  bestie  e  d'altre  reençon. 

Quant  i  ont  asa'  rasné,  vont  por  li  dojon 

Veçando  li  çastel  entorno  et  inviron. 

Li  rois  regarde,  qe  non  fi  se  ben  non, 
1075  E  vide  le  polçele  stare  a  li  balcon. 

Quando  le  vi,  molt  s'amervelon, 

Qe  mais  non  vi  Berte  entro  quella  mason. 
Pépin  li  rois  oit  Synibaldo  apelé. 

«  Ora  me  dites,  si  dites  vérité  : 
io8o  Una  dame  ai  veùe  molto  ben  açesmé, 

Molto  me  par  aver  de  gran  belté.  » 

Dist  Synibaldo  :  «  Ben  vos  sera  conté  : 

E'  la  trové  en  la  selva  ramé, 

Ben  est  li  termen  d'un  a[n]  pasé, 
ïo85  Si  l'o  tenua  e  molto  ben  guardé, 

Cun  me  enfant  q'el  a  si  maistré, 

Çascuna  est  bona  mastra  proé.  » 

Dist  li  rois  :  «  Ora  si  vos  aie, 

E  fais  qe  in  çesta  noit  n'aça  ma  volunté; 
logo  Colsa  como  no,  vu  avi  mal  ovré.» 

Dist  Sinibaldo  :  «  De  niente  en  parlé  ; 

Zamais  por  moi  cil  non  sera  otrié  ; 

Avant  me  lasaria  esere  sbanoié 

E  pasaroie  oltra  la  mer  salé 
1095  Qe  in  ma  mason  fose  de  ren  violé, 

S'elo  no  fose  ben  por  soa  volunté.» 

Dist  li  rois  :  «  Vu  avi  ben  parlé; 

Aleç  a  le  e  si  la  demandé 

Se  consentir  me  vol  cun  soa  volunté.  » 
1 100  Dist  Sinibaldo  :  «  Ora  si  m'aspecté 

Tanto  qe  eo  soia  à  vos  retorné.  » 

Li  rois  remist  e  cil  s'en  est  aie  ; 

Ven  a  la  çanbra  0'  avoit  Berta  trové. 

Elo  l'apella,  si  l'oit  demandé  :  (fol.  15  b) 

iio5  «  Dama  »  fait  il  «  nu  avon  mal  ovré; 

Aler  me  convent  in  estrançe  contré. 

Li  rois  si  oit  e  plevi  e  curé  : 

Se  il  no  v'oit  a  soa  volunté. 


BERTA    DE    LI    GRAN    PIÉ  363 

Ne  me  lasera  tera  un  sol  pé  mesuré  ; 
II 10  Et  eo  voio  esere  inançi  déserté 

Qe  colsa  aça  qe  no  vos  sia  a  gré.  » 

Berta,  quan  l'olde,  oit  un  riso  cité 

E  dist  a  Synibaldo  :  «  De  ço  no  ve  doté  : 

Tanto  m'avés  servi  e  honoré 
iii5  E  si  m'avés  pasua  e  nurie, 

Cun  vestre  file  e  vestua  e  calçé, 

Unqua  par  moi  non  serés  destorbé  ; 

Presta  sui  de  faire  la  soa  volunté.  » 

Quant  Synibaldo  l'olde,  si  l'oit  mercié  ; 
1120  S'elo  n'a  çoie  ora  non  domandé  ; 

Tel  no  l'avoit  en  soa  vi[ve]té. 

Ven  a  li  rois,  si  ge  l'oit  conté  ; 

Li  rois  ne  fut  luto  çoiant  e  lé. 
Li  rois  estoit  sor  la  sala  pavée, 
II25  E  Synibaldo  fo  a  lu  retornée, 

E  la  novella  li  oit  dito  e  contée, 

Qe  la  dama  si  est  aparilée 

De  voloir  fare  tuta  sa  voluntée. 

Li  rois  ne  fu  molt  çoiant  e  lée. 
n3o  E  dist  a  Synibaldo  :  «  Vu  avés  ben  ovrée. 

Por  li  calor  »  —  qe  fu  da  meça  stée  — 

«  En  celle  corte  sor  un  caro  roée 

Faites  qe  un  gran  leito  si  li  sia  ben  conçée, 

De  richi  palii  soia  ben  açesmée, 
1 135  Suso  me  vorô  colçer  con  eso  ma  sposée 

E  far  d'ele  la  moia  voluntée.  d 

Elo-l  dise  por  gabes,  me  '1  fu  ben  avérée. 

Li  jor  s'en  voit,  la  noit  fu  aprosmée, 

E  cil  car  si  fu  ben  parilée  ; 
1 140  Li  rois  li  fu  cun  Berta  su  montée. 

Avant  qe  d'ele  faese  sa  voluntée 

Çerchô  la  dame  por  flanc  e  por  costée, 

Nul  manchamento  oit  en  le  trovée 

Afors  qe  li  pé  trovô  grant  e  desmesuré. 
1145  Nian  por  ço  non  ait  li  rois  lasée, 

D'ele  ne  prist  amor  e  amistée 

Tota  la  noit  como  la  fu  longa  e  lée. 

E  Damenedé  li  dé  tal  destinée, 

En  cella  noit  oit  si  ben  ovrée, 
ii5o  Encinta  fu  d'una  molt  bella  ritée;  (fol.  ij  c) 

E  cil  fu  Karlo  li  maine  incoronée 

E  fu  da  Deo  beneï  e  sagrée; 

Major  rois  de  lui  nen  fu  en  Crestentée  , 

Ne  plu  dotés  da  la  jent  desfaée. 
II 53       Quando  Pépin  oit  fato  son  talant 


1 129  nen  fu. 


;64  AD.    MUSSAFIA 

De  dama  Berte  a  la  cera  riant, 

Da  le  se  départi  e  iegro  e  çoiant  ; 

Non  oit  eu  nul  mal  entindimant. 

A  Sinibaldo  la  da  e  la  comant, 
I  nJo  Qe  d'ele  face  meio  qe  non  fasoit  davant; 

E  se  nuila  ren  ella  quer  e  demant, 

Compli  le  sia  alo'  demantenant  ; 

E  Synibaido  otria  son  comant. 

A  Paris  retorne  li  rois  e  soa  çant; 
u65  Cun  quela  malvés  raine  stasoit  a  bon  convant  : 

Obéir  la  fasoit  a  petit  e  a  grant  ; 

Coronea  era  del  reamede  Frant. 

E  Berta  tu  encinte  nove  mesi  pasant, 

En  cha  de  Synibaido  avoit  un  bel  enfant; 
1 170  De  ço  fo  Synibaido  e  Iegro  e  çoiant, 

El  meesmo  mont6  al  palafroi  anblant, 

La  novela  a  li  rois  porto  amantenant. 

E  li  rois  le  dist  :  «  Farés  li  mon  talant  ; 

Batiçer  farés  primerano  l'infant  ; 
1175  Karlo  li  metés  nome,  qe  eo  li  comant.  » 

Et  i  le  font,  ne  nesu[n]  li  contant, 

E  Synibaido  fu  e  saço  e  valant; 

A  çella  dame  fait  toto  li  so  comant. 

Qui  laseron  d'ele  da  ste  jur  en  avant  : 
ii«o  De  la  raine  d'Ongarie  li  roman  se  comant. 

{La  fin  au  prochain  numéro . 


CHANTS  DU  VELAY  ET  DU   FOREZ. 


LA   FILLE  DU  ROL    —  DEUX  CHANTS  DE  RAPT. 

En  1845,  dans  son  livre  :  La  Normandie  romanesque  et  merveilleuse, 
M"e  Bosquet  inséra  sous  le  titre  :  La  fille  du  roi,  une  chanson  du  pays 
de  Caux  qui  fut  depuis  plusieurs  fois  reproduite.  Elle  est  vraiment  belle 
et  méritait  le  succès  qu'elle  obtint.  La  fille  d'un  roi  français  forcée  d'épou- 
ser un  roi  anglais  proteste  contre  cette  mésalliance,  et  après  avoir  donné 
à  son  époux  de  nombreuses  marques  de  dédain,  meurt  la  nuit  même  de 
ses  noces  de  ne  pouvoir  supporter  une  union  si  cruelle  à  son  patriotisme. 
La  leçon  qu'a  publiée  M"e  Bosquet  est  jusqu'ici  la  seule  connue  de  ce 
chant  populaire.  On  ne  pouvait  croire  cependant  qu'un  chant  d'un  carac- 
tère si  national  ne  fût  pas  répandu  ailleurs  qu'en  Normandie.  Il  était  en 
effet  chanté  sur  bien  d'autres  points.  Aujourd'hui  encore  on  en  rencontre 
des  versions  en  Basse-Auvergne,  en  Velay,  en  Forez,  et  jusqu'au  delà 
des  Alpes,  dans  le  Montferrat.  Mais  si  la  leçon  monferrine  et  les  leçons 
du  centre  de  la  France  ne  présentent  entre  elles  que  les  légères  diffé- 
rences qui  distinguent  d'ordinaire  les  variantes,  leur  commun  dénoue- 
ment, humain  jusqu'à  la  vulgarité,  les  sépare  tout  à  fait  du  chant  nor- 
mand dont  la  fin  est  légendairement  héroïque.  Cette  diversité  frappera 
le  lecteur  sous  les  yeux  de  qui  nous  allons  mettre  les  chants  de  notre 
pays,  le  chant  du  Montferrat  et  le  chant  du  pays  de  Caux. 

LA  FILLE  DU  ROI. 
(Velay  K) 

1  Le  roi  avait  une  fille  à  marier, 

A  un  Anglois  l'avait  donné,         mal  à  son  gré. 

«  J'aimerais  mieux  soldat  françois        que  roi  anglois.  » 

2  Quand  on  l'a  voulu  emmener,         dessous  Paris  on  l'a  vu  passer  ; 
Toutes  les  dames  de  Paris        se  sont  mis'  à  pleurer 

De  voir  emmener  la  fille  du  roi         par  un  Anglois. 

I.  Chanté  à  Vorey,  en  1868,  par  Marie  Chabrier-Chastel. 


j66  .  V.    SMITH 

}  Quand  ils  furent  au  bord  de  mer,         l'Anglois  vient  lui  bander  les  yeux. 
«  Bande  les  tiens,  laisse  les  miens,         maudit  Anglois, 
Puisque  la  mer  me  faut  passer,        je  la  veux  voir.  » 

4  I  n'eurent  pas  passé  la  mer,        tambours,  violons  de  tous  cotés. 
«  Retirez-vous,  ô  tambourniers        et  violonniers, 
Ce  ne  sont  pas  les  vrais  tambours        du  roi  françois.  » 

j  Et  quand  il  vient  l'heure  du  souper,        l'Anglois  lui  coupe  pour  manger. 
«  Coupe  pour  toi,  mange  pour  toi,        maudit  Anglois, 
Je  ne  puis  ni  boire  ni  manger        quand  je  te  vois. 

6  Et  quand  il  vient  l'heure  du  coucher,         l'Anglois  la  voulant  déchausser. 
«  Déchausse-toi,  dépouille-toi,        maudit  Anglois, 

J'ai  bien  des  genss  de  mon  pays        pour  me  servir.  » 

7  Et  quand  il  vient  l'heure  de  minuit,         la  belle  n'est  pas  endormi'. 
«  Eveille-toi,  mon  bon  Anglois,        et  parle-moi, 

Puisque  Dieu  nous  a  assemblés,        faut  nous  aimer.  » 

8  Et  quand  il  vient  la  mâtiné',         la  belle  s'est  mise  à  pleurer. 
«  Embrassons-nous,  mes  chers  amis,        et  quittons-nous, 
Puisque  l'Anglois  on  m'a  donné,         il  faut  l'aimer.  « 

VARIANTE. 
(Basse-Auvergne  ^.) 

1  Le  roi  a  une  fille  à  marier,        à  un  Anglois  il  veut  la  donner. 
«  0  mon  frère  !  empêchez-moi        de  m'en  aller, 
J'aimerais  mieux  un  soldat  françois        qu'un  roi  d'Anglois.   » 

2  Mais  si  l'ont  pris',  si  l'ont  mené,        dedans  Paris  si  l'ont  passé; 
Toutes  les  dames  de  Paris        se  sont  mis'  à  pleurer 

De  voir  la  fille  du  roi        à  un  Anglois.  » 

3  N'en  furent  pas  au  bord  de  mer,        l'Anglois  vient  lui  bander  les  yeux. 
«  Bande  les  tiens,  laisse  les  miens,        maudit  Anglois, 

Puisque  j'ai  la  mer  à  passer        je  veux  la  voir. 

4  N'en  furent  pas  aux  plaines  de  mer,        tambour,  musique  et  violons. 
«  Oh  !  casse-toi  et  brise-toi,         maudit  tambour, 

Car  tu  n'es  pas  le  vrai  tambour        du  roi  françois.  » 

5  N'en  furent  pas  l'heure  de  souper,         le  roi  voulant  couper  le  manger: 
«  Coupe  pour  toi  et  laisse-moi,        maudit  Anglois, 

J'ai  bien  des  gens  de  mon  pays        pour  me  servir.  » 

6  N'en  furent  pas  l'heure  de  coucher,        le  roi  la  voulant  déchausser  : 
«  Déchausse-toi  et  couche-toi,         maudit  Anglois, 

J'ai  bien  des  gens  de  mon  pays        pour  me  servir.  » 

7  N'en  furent  pas  l'heure  de  minuit,         le  roi  la  voulant  faire  mourir  : 
«  Oh  !  tourne-toi,  embrasse-moi,        mon  ami  Anglois, 

Puisque  Dieu  nous  a  rassemblés,        faut  nous  aimer.  » 

I .  Chanté  par  Marie  Farigoule,  d'Allègre,   bourg  qui   faisait  partie  de  cette 
zone  de  la  Basse-Auvergne  qu'a  englobée  le  département  de  la  Haute-Loire. 


CHANTS  DU  VELAY  ET  DU  FOREZ  367 

Le  chant  qui  suit  et  les  notes  qui  l'accompagnent  appartiennent  aux 
Canti  Monferrini,  recueillis  par  M.  Ferraro,  et  publiés,  en  1870,  dans  la 
collection  Comparetti  et  d'Ancona  (voy.  Romania  I.) 


LA  FRANCESE  IN  INGHILTERRA. 


Ta  bêla  madamin 
I  ra  voru  maridèe  : 
Au  re  de  Ningaitera 
Spusa  ra  voru  dèe. 

Da  ra  soi  carroccia 
Chirra  r'ha  dismuntè  : 
R'è  muntaja  an  si  in'atra 
In'atra  titta  andurè  '. 

«  Tucca,  bel  carrociè", 
Tucca  an  p5  pi  fort, 
Sun  partija  da  ir  me  pais 
Cun  ir  me  curin  mort.  » 

Quandi  sun  stai  pr'ir  mar 
I  occ  i  voru  ambindèe  : 
«  O  lassa,  an  m'ambinda  mia^ 
O  lassa,  vilan  d'Angle. 

«  Zà  che  ir  mar  aj5  da  passée 
Le  vôi  an  pô  mirée.  « 
Ta  bêla  mandamin-nha 
Nun  s'é  lassaja  ambindèe. 

R'entra  ant  l'Inglèe*, 
Le  cuntrà  titte  tapisèe  : 
«  Harda  qui  Madona  di  curt, 
Csa  ch'i  fan  pir  vui. 

—  Mi  n'ho  csa  fé  d'tapisarie, 
E  manc  ancur  di  vui.  »  — 
Quand!  che  poi  r'é  dismuntèe, 
Titte  le  doni  ra  van  salitèe  ', 

Chirra  si  betta  ra  testa  an  fauda  " 


E  a  s'betta  a  piurée  : 

«  Cma  farôni  '  a  parlée  l'inglè, 

Mi  ca  sun  fransué  ?  » 

Quandi  che  poi  sun  là 
Ven  l'ura  d'andèe  disnèe  : 
Lo  re  de  Ningaitera 
U  ra  vô  dispensée  *. 

«  Lassa,  lassa,  vilan  d'Inglé, 
Nun  dispensa  to  mujè  : 
Mi  sun  mina  dî  sirvitur 
Che  mi  dispensran  iur.  >* 

Ven  l'ura  d'andée  drumi, 
U  re  u  ra  vô  dispoje^. 
«  Lassa,  lassa,  vilan  d'Angle, 
Non  dispoja  to  mujé.  » 

Su  ni  ven  ra  matinela, 

Lu  re  u  ra  vô  visti  : 

«  Lassa  l'Angle,  done  dir  me  pais 

Ajô  ben  a  me  servi. 

«  Vini  an  sa  "  0  re  d'Angle, 
Vini  dappress  a  me  : 
Da  zà  che  Dio  mi  l'ha  mandé, 
Mi  lo  vôi  amée.  » 

Su  na  ven  a  sett'ure  d'mattin 
Titte  le  dame  i  dan  ir  bundi, 
E  ra  povira  dona  franseisa 
Si  betta  a  pianse  "  e  suspirèe  : 
«  Cma  farôni  a  parlée  inglè 
Mi  ca  sun  dona  fransué?  « 


1 .  Indorata. 

2.  Vetturino. 

3.  Bendar  mica. 

4.  Inghilterra. 

5.  Salutare. 

6.  in  seno. 

7.  Farô  mai. 

8.  Servire. 

9.  Spogliare. 

10.  Quà  venite. 

1 1 .  Piangere. 


^68  V.    SMITH 

CHANT  DU  PAYS  DE  CAUX'. 

1  Le  Roi  a  une  fille  à  marier, 

A  un  Anglois  la  veut  donner  :        elle  ne  veut  mais  : 
«  Jamais  mari  n'épouserai       s'il  n'est  P'rançois.  i> 

2  La  belle  ne  voulant  céder,        la  sœur  s'en  vint  la  conjurer  : 
«  Acceptez,  ma  sœur,  acceptez       à  cette  fois, 

C'est  pour  paix  à  France  donner        avec  l'Anglois.  » 

?  Et  quand  ce  vint  pour  s'embarquer,        les  yeux  on  lui  voulut  bander. 
«  Eh!  ôte-toi.  retire-toi,        franc  traître  Anglois, 
Ce  n'est  pas  là  le  drapeau  blanc         du  roi  Irançois.  » 

4  Et  quand  ce  vint  pour  le  souper,        pas  ne  voulut  boire  ou  manger. 
«  F.loigne-toi,  retire-toi,        franc  traître  Anglois, 

Ce  n'est  pas  là  le  pain,  le  vin         du  roi  françois.  » 

5  Et  quand  ce  vint  pour  le  coucher,       l'Anglois  la  voulut  déchausser. 
«  Eloigne-toi,  retire-toi,         franc  traître  Anglois, 

Jamais  homme  n'y  touchera        s'il  n'est  François.  » 

6  Et  quand  ce  vint  sur  la  minuit,         elle  fit  entendre  grand  bruit. 
En  s'écriant  avec  douleur  :         «  0  Roi  des  rois  ! 

Ne  me  laissez  pas"  entre  les  bras        de  cet  Anglois.  » 

7  (Quatre  heures  sonnant  à  la  tour,        la  belle  finissoit  ses  jours, 
La  belle  finissoit  ses  jours        d'un  cœur  joyeux, 

Et  les  Anglois  y  pleuroient  tous       d'un  cœur  piteux. 

M.  E.  de  Beaurepaire  reproduit  ce  chant  %  et  comme  preuve  de  son 
authenticité,  il  rappelle  deux  chansons  populaires,  l'une  normande?, 
l'autre  bretonne  4,  où,  comme  dans  la  la  Fille  du  roi,  du  pays  de  Caux, 
intervient,  pour  sauver  deux  femmes  des  mains  d'un  ravisseur,  une  mort 
d'un  miraculeux  à-propos.  Par  une  rencontre  qui,  vu  l'étroite  parenté 
des  légendes  de  chaque  région,  n'a  rien  de  surprenant,  ces  deux  petits 
drames  se  trouvent  unis  et  pour  ainsi  dire  fondus  en  un  même  chant  vel- 
lavien  :  La  demoiselle  de  la  Reine. 

1  Qui  veut  entendre  une  chanson        nouvelle,  nous  vous  la  dirons. 
C'est  de  la  fille  de  la  reine,        que  sa  beauté  lui  fait  grand'peine. 


1.  Recueilli  à  Saint-Valery,  par  M.  Thinon,  et  publié  dans  la  Normandie  pitto- 
resque et  merveilleuse,  p.  503. 

2.  Etude  sur  la  poésie  populaire  en  Normandie,  p.  80. 

3.  La  chanson  du  Pont  de  Nantes.  Voir  VEtude  précitée,  p.  59. 

4.  La  Cane  de  Montfort.  Le  docteur  Roulin  en  a  recueilli  en  Bretagne  une 
leçon,  insérée  dans  les  Instructions  relatives  aux  poésies  populaires,  rédigées  par 
J.-J.  Ampère,  et  publiées  par  le  Comité  de  la  langue  en  1853  (*).  M.  J.  Bujeaud 
en  donne  une  variante  du  Poitou.  Chants  pop.  de  l'Ouest;  II,  166. 

(*)  [Cette  chanson  a  donné  lieu  à  une  méprise  assez  comique.  Ampère,  en  l'impri- 
mant, prit  pour  un  nom  propre  le  pronom  féminin  oie  (=r  elle),  qui  y  figure  plusieurs 
fois  (p.  ex.  str.  s  il  imprime  A  chaque  marche  qu'Oll'  montait,  A  chaque  mauhc  OU' 
soupirait).  Depuis  lors  cette  chanson  a  été  connue  sous  le  nom  de  la  belle  Olle.  — G.  P. 


CHANTS  DU  VELAY  ET  DU  FOREZ  369 

2  Un  jour  sa  mère  la  peignant,        sont  trois  soldats  la  regardant. 
Elle  ne  l'eut  pas  sitôt  peignéie,         ces  trois  soldats  l'ont  enlevéie. 

3  Sa  mère  vient  tout  en  pleurant  :         «  Soldats  rendez  moi  mon  enfant, 
Oh  !  soldats  rendez  moi  ma  fille,        je  vous  donnerai  trois  cents  livres. 

4  —  C'est  pas  ton  or  ni  ton  argent         qui  nous  fait  prendre  ton  enfant, 

Ce  n'est  pas  pour  nous  que  nous  l'emmène,         c'est  pour  monsieur  notre  capi- 

5  Quand  ces  messieurs  la  voient  venir,         de  rire  n'en  peuvent  tenir:     [taine.» 
<!  Oh  !  montez  la  dedans  ma  chambre        et  nous  irons  dîner  ensemble.  » 

6  Tout  en  montant  par  les  degrés,         la  belle  s'est  mise  à  pleurer. 

«  Voilà  la  malheureuse  chambre,         puisque  mon  Dieu  faut  que  j'otîense  ! 

7  Monsieur,  je  vous  prie  d'un  don,         laissez-moi  faire  mon  oraison.  » 
En  priant  Dieu  de  bonne  grâce^         voilà  la  belle  qui  trépasse. 

8  «  Apportez  moi-z-un  drap  bien  blanc,        pour  plier  la  reine*  dedans. 
Allez  chercher  quatre  demoiselles,         pour  porter  la  belle  en  terre.  « 

9  Quand  la  belle  fut  enterré',         quatre-vingts  cierges  d'allumés. 

Si  l'ont  fait  dire  beaucoup  de  messes  :         voilà  la  belle  bienheureuse. 

Cette  leçon  un  peu  lente  est  d'une  femme  -;  en  voici  une  variante  plus 
rapide  qu'un  homme  5  m'a  dite  : 

1  Un  jour  sa  mère  la  coiffait,        trois  bons  soldats  la  regardaient. 
Elle  en  fut  pas  à  demi  coifféie,         les  trois  soldats  l'ont  enlevéie. 

2  «  Arrête,  arrête,  bon  soldat,         pour  ma  fille  tu  n'I'auras  pas. 

—  Ce  n'est  pas  pour  moi  que  je  l'emmène,         c'est  pour  monsieur  notre  capi- 

5  Le  capitaine  la  voyant  venir,        de  rire  ne  se  put  tenir  :  [taine.  » 
«  Oh  !  voici  la  fille  plaisante        que  l'on  amène  dans  ma  chambre.  » 

4  La  fille  ne  fut  pas  rentré',         à  deux  genou.x  elle  s'est  posé'. 

N'a  prié  Dieu  de  si  bonne  grâce         qu'elle  en  est  morte  sur  la  place. 
^  «  Ma  mie  est  morte,  nous  ferons  l'enterrer,         toutes  les  cloches  nous  ferons 

Et  moi  avecque  ma  trompette        je  sonnerai  tout  auprès  d'elle.         [sonner, 

6  Je  ferai  battre  mes  tambours,         ça  sonnera  tout  à  l'entour, 

Et  moi  avecque  ma  trompette        je  sonnerai  tout  auprès  d'elle.  « 

On  pourrait  ajouter  à  cette  famille  de  chansons  de  rapt  que  la  mort 
dénoue  la  chanson  de  la  Marquise'^,  dont  voici  une  variante  forézienne: 

1  Le  roi  d'Autriche  François-Joseph",        le  jour  de  carnavale,  [dames 

Il  était  en  costume  de  masque  (0  spirilum  sanctum  dominum!),  il  est  arrivé  des 

1.  Pour  la  fille  de  la  reine;  on  dit  ici  en  langage  familier  une  Thérèse,  pour 
une  sœur  de  sainte  Thérèse. 

2.  Mariannette  Chambefort,  de  Retournaguet. 

3.  Pierre  Salichon,  père,  de  Saint-Didier-la-Séauve. 

4.  Les  lecteurs  de  la  Romania  ont  lu  une  variante  de  cette  chanson  dans 
l'article  de  M.  de  Puymaigre  sur  les  Chants  de  la  vallée  d'Ossau.  M.  de  Puy- 
maigre  mentionne  deux  autres  versions,  l'une  de  Sologne,  publiée  par  M.  Le 
Roux  de  Lincy,  l'autre  de  Saintonge,  publiée  par  M.  J.  Bujeaud. 

<,.  Benoît  Samajous,  de  Saint-Priest-la-Roche,   à  qui   je  dois  ce  chant,  a 

Romania,  III  24 


570  V.    SMITH 

2  Le  roi  descendit  dans  sa  cour        pour  saluer  ses  dames, 
La  première  qu'il  salua  (0  sp.)  fut  la  belle  marquise. 

}  Le  roi  l'a  prise  par  la  main,         la  monta  dans  sa  chambre, 
Tous  Its  degrés  qu'il  la  montait  (0  sp.),  la  belle  fondait-z-en  larmes. 

4  «  La  belle  si  chagrinez  pas  tant,        je  vous  ferai  princesse, 

De  tout  l'or  et  l'argent  que  j'ai  (0  sp.)  vous  en  serez  la  maîtresse. 

5  —  Je  me  souci'  de  votre  argent        ainsi  que  de  vot'  richesse, 
J'aime  mieux  mon  petit  marquis  (0  sp.)  que  toutes  vos  richesses.  » 

6  La  belle  lui  fit  faire  un  bouquet  ',        un  bouquet  de  fleurs  blanches. 
Tout  en  lui  donnant  ce  bouquet  {0  sp.),  la  belle  en  tomba  morte. 

7  Le  roi  la  fiz  et  enterrer        par  devant  son  église.  [marquise.   )• 
—  Sur  sa  tombe  l'on  y  mettra  (0  spiritum  sanctum  dominum  !)  :  «  Adieu  belle 

L'imagination  populaire,  qui  a  appelé  la  mort  au  secours  de  la  mar- 
quise et  de  la  demoiselle  de  la  reine,  a  bien  pu  l'évoquer  aussi  pour  déli- 
vrer une  Française  des  mains  d'un  époux  étranger  ou  ennemi.  Mais  si  le 
dénouement  de  la  chanson  :  la  Fille  du  roi,  publiée  par  M"«  Bosquet, 
n'est  point  en  désaccord  avec  les  fictions  populaires,  sa  vraisemblance 
ne  suffit  pas  à  nous  le  faire  accepter  comme  authentique,  aujourd'hui 
que  les  chansons  du  centre  de  la  France  et  du  Montferrat  nous  montrent 
dans  leur  conclusion  toute  contraire  une  Française  qui,  après  les  éclats 
d'une  colère  patriotique,  se  résigne  à  vivre  avec  l'époux  que  Dieu  lui 
donne.  Y  aurait-il,  selon  les  pays,  deux  traditions  différentes,  l'une  d'une 
fin  légendaire  et  l'autre  d'une  chute  tout  humaine  ?  Le  chant  normand 
est-il  d'un  bout  à  l'autre  sincère  ?  Sans  même  qu'il  ait  été  altéré,  n'au- 
rait-il point  été  recueilli,  non  pas  chez  des  ouvriers  ou  des  paysans^  mais 
dans  une  de  ces  familles  de  demi-bourgeoisie  qui  ont  l'habitude  de  tout 
ennoblir  sans  craindre  de  tout  défigurer  ?  Des  variantes  normandes, 
cherchées  à  bonne  source,  nous  édifieraient  sur  le  plus  ou  moins  d'inté- 
grité de  la  leçon  du  pays  de  Caux  et  dissiperaient  le  doute  qui  s'élève  sur 
son  authenticité.  Qu'il  me  soit  permis  de  souhaiter  que  l'auteur  de  l'inté- 
ressante Étude  sur  la  poésie  populaire  en  Normandie,  M.  E.  de  Beaure- 
paire,  recueille  lui-même  ces  variantes,  et  nous  éclaire  sur  le  degré  de 
confiance  que  nous  devons  avoir  dans  le  chant  édité  par  M"e  Bosquet. 

Victor  Smith. 


compromis  l'empereur  actuel  d'Autriche,  François-Joseph  I",  dans  une  aventure 
que  l'histoire  se  gardera  de  lui  reprocher.  Les  soldats,  revenus  de  Solférino, 
avaient  causé  de  François-Joseph  avec  le  jeune  Samajous  ;  cela  a  suffi  pour  qu'il 
fît  de  notre  ennemi  de  1859  le  héros  d'une  chanson  de  rapt.  La  plupart  des 
noms-qui  figurent  dans  les  chansons  populaires  y  ont  été  introduits  avec  une 
égale  indiscrétion. 

I.  Les  leçons  de  la  Vallée  d'Ossau,  de  Saintonge  et  de  Sologne  disent  que  le 
bouquet  fut  fait  par  la  reine  et  par  elle  offert  à  la  marquise. 


MÉLANGES. 


SUR  LES  SERMENTS  DE  842. 

Les  remarques  de  M.  Storm  sur  le  vocalisme  des  Serments  or\l  surtout 
ce  que  nos  voisins  d'outre-Manche  appelleraient  un  caractère  éminem- 
ment suggestif.  Elles  ont  pour  objet  moins  de  présenter  des  résultats 
assurés,  que  d'émettre  des  hypothèses  plus  ou  moins  probables  à  l'occa- 
sion de  questions  non  encore  résolues.  C'est  le  meilleur  moyen  de  pro- 
voquer l'échange  des  opinions  au  sujet  de  ces  questions.  Je  me  propose 
dans  ces  quelques  lignes  de  donner  mon  sentiment  sur  deux  des  points 
touchés  par  M.  Storm  :  les  infinitifs  savir  et  podir,  et  le  mot  dist,  le  tout 
compris  dans  le  premier  serment.  Quant  au  reste,  j'en  laisse  à  d'autres 
la  vérification  '. 

L  —  Savir,  podir.  Selon  M.  St.  «  comme  ces  deux  verbes  n'offrent 
nulle  part  en  français  la  forme  ir,  il  sera  permis  de  prononcer  savér, 
podér,  selon  l'usage  du  moyen-âge,  fréquent  surtout  dans  les  chartes 
franques,  de  noter  par  i  le  son  é;  voy.  Schuchardt  I,  226  ss.  «  Sans  doute 
les  documents  de  l'époqne  mérovingienne  mettent  parfois  /  à  la  place  de 
\'ë  du  latin  classique  :  fidilis  pour  fidëlis  :  c'est  peut-être  une  simple 

I.  Je  ne  puis  cependant  m'empêcher  de  témoigner  de  mon  dissentiment  en  ce 
qui  concerne  la  prononciation  de  l'a  anglais.  Contrairement  à  l'opinion  de 
M.  St.  Cp.  287  note),  il  me  semble  que  M.  A.-J.  Ellis  a  mis  hors  de  doute  ce 
fait  qu'en  anglais  Va  n'est  arrivé  au  son  é  [notation  de  M.  Ellis  (^,1  et  (a<e)] 
qu'au  XVII"  siècle.  Quant  à  l'hypothèse  qu'en  ancien  anglais  «  \\i  pur  ne  serait 
qu'un  développement  partiel  amené  probablement  par  l'intluence  française  sur  la 
prononciation  des  hautes  classes  »,  elle  est  trop  aventurée  pour  qu'il  y  ait  lieu 
de  la  discuter.  —  A  propos  de  la  prononciation  de  1'^  dans  ks  Serments,  M.  St. 
dit  que  la  forme  stanit  lui  est  obscure.  Sans  doute  :  elle  l'est  pour  tout  le  monde, 
et  l'explication  de  Diez,  qui  voit  dans  s  le  pronom  réfléchi,  est  fort  douteuse.  A 
mon  cours  de  l'École  des  chartes  j'ai  proposé  de  corriger  stanit  en  freinit,  ce  qui 
est  graphiquement  très-possible  et  donne  un  mot  (=  brise)  qui  correspond  fort 
bien  au  terme  allemand  correspondant  foibrihchit,  mais  ce  qui  ôte  à  cette  correc- 
tion beaucoup  de  vraisemblance,  c'est  qu'elle  oblige  de  supprimer  le  non  qui  pré- 
cède stanit. 


572  MÉLANGES 

erreur  de  notation,  c'est  peut-être  aussi  que  les  rédacteurs  presque  illet- 
trés de  ces  documents  étaient  troublés  par  le  son  vulgaire  de  Vï'  latin, 
qui  déjà  se  rapprochait  de  l'ei  des  plus  anciens  textes  français  'Jedeil^,  et 
hésitant  entre  c  et  /,  écrivaient  tantôt  l'un,  tantôt  l'autre.  Ils  n'avaient 
pas  encore  l'idée  d'employer  la  diphthongue  ei,  et  ne  pouvaient  avoir 
cette  idée  tant  qu'ils  prétendaient  écrire  en  latin.  Mais  le  scribe  qui  a 
écrit  les  Serments  connaissait  ei,  puisqu'il  l'emploie  dans  dreit.  Supposer 
qu'il  a  noté  le  son  ei  (ou  é  selon  M.  St.)  par  /  se  pourrait  à  la  dernière 
rigueur,  mais  dans  le  cas  seulement  où  il  n'y  aurait  aucune  hypothèse 
plus  plausible.  Or  une  hypothèse  plus  plausible  existe,  et  même  a  été,  si 
je  ne  me  trompe,  jusqu'à  présent  admise  sans  contestation.  C'est  celle 
qui  voit  dans  nos  deux  infinitifs  en~/r  un  effet  de  l'empiétement,  constaté 
par  tant  d'exemples,  de  la  4"  conjugaison  latine  sur  la  2<=.  On  sait  que 
beaucoup  de  verbes  en  -ëre  et  en  -ère  (pour  ces  derniers  le  cas  est  na- 
turellement plus  rare  à  cause  de  la  différence  d'accentuation)  sont  en  -/> 
dans  les  langues  romanes.  Te!  est  le  désordre  qui  régnait  à  cet  égard 
pendant  la  période  préhistorique  fje  veux  dire  antérieure  aux  documents 
écrits)  du  roman,  que  beaucoup  de  verbes  ont  eu  en  même  temps  des 
terminaisons  en  -Tre,  -ëre  et  -ire.  Peu  à  peu  l'élimination  s'est  produite, 
mais  néanmoins  des  doubles  ou  même  des  triples  formes  existent  au 
moyen-âge  pour  un  assez  grand  nombre  de  verbes.  Il  a  pu  en  être  de 
même  de  potere  et  de  sapere.  L'objection  tirée  de  ce  fait  que  podir  et 
savir  n'ont  été  trouvés  jusqu'à  présent  que  dans  les  Serments,  fût-elle 
fondée  en  fait,  n'aurait  que  peu  de  valeur.  Il  faut  considérer  que  les 
formes  divergentes  que  nous  possédons  de  certains  infinitifs  sont  loin 
d'être  également  usitées.  Tenere  a  donné  en  français  tenoir  et  tenir,  mais 
le  premier,  bien  que  le  plus  régulier,  est  très-rare.  Le  provençal  offri- 
rait maint  exemple  analogue.  Il  n'y  a  donc  rien  d'invraisemblable  à 
admettre  que  savir  et  podir  sont  tombés  de  bonne  heure  en  désuétude, 
remplacés  par  leurs  frères  jumeaux  saveir  et  podeir.  Mais  il  y  a  plus  : 
savir,  au  moins,  est  attesté  par  un  exemple  irrécusable,  que  M.  S.  ne 
doit  pas  ignorer  puisque  M.  Diez{Altrom.  Sprachdenkmale,  p.  8)  l'a  cité  : 
un  capitulaire  de  854  porte  :  «  Ego  ille...  ab  ista  die  in  ante  fidelis  ero 
secundum  meum  savirum  ...  '  » 

Il  est  évident  qu'ici  la  forme  vulgaire  a  été  conservée  autant  que  pos- 
sible 2.  Comme  le  document  est  écrit  avec  correction,  par  un  scribe  qui 
ne  confondait  point  ë  avec  /,  il  est  infiniment  vraisemblable  que  1'/  de 
savirum  est  bien  sa  valeur  ordinaire,  et  de  là  se  tire  une  induction  favo- 
rable à  la  prononciation  savir,  podir  dans  les  Serments. 

1.  Pertz,  Mon.,  III,  428;  De  Rozière,  Recueil  des  formules,  n°  IV. 

2.  Ces  serments  étaient  très-probablement  prononcés  en  langue  vulgaire.  Voy. 
ce  que  je  dis  à  ce  sujet,  Rev.  des  Soc.  sav.,  4"-'  série,  X,  479. 


LA  PHONÉTIQUE    DES   SERMENTS  DE  842  ^7:? 

II.  —  Dist.  M.  St.  voit  dans  dist  le  latin  decet.  J'y  vois  la  représenta- 
tion très-probablement  fautive  de  débet.  M.  S.  objecte  à  podir  et  savir 
qu'on  ne  rencontre  point  ces  formes  hors  des  Serments  ;  je  ne  lui  objec- 
terai pas  que  dist  serait  aussi  un  à-xH  }.sYO[j.évov  :  je  lui  concède  que  le 
mot  pourrait  en  effet  (comme  les  formes  podir  et  savir)  exister  au 
ix"  siècle.  Mais  je  lui  objecterai  que  si  on  peut  supposer  l'existence  de 
ce  mot,  on  doit  lui  attribuer  aussi  la  valeur  qu'il  avait  en  latin^  à  peu  près 
la  valeur  qu'a  en  français  ^surtout  anciennement)  l'impersonnel  convient. 
Ceci  posé,  dans  cette  proposition  :  si  cum  oin  per  dreit  son  jradra  salvar 
DIST,  il  y  a  un  mot  qui  n'est  plus  correct  :  c'est  om,  qui  est  au  cas  sujet, 
et  devrait  être  au  cas  régime.  Dira-t-on  que  dist,  tout  en  répondant 
étymologiquement  à  deçet,  a  perdu  son  sens  latin  .?  Mais  quand  pour  sou- 
tenir une  hypothèse  on  est  obligé  d'en  imaginer  une  autre,  on  multiplie 
les  chances  d'erreur  dans  une  énorme  proportion.  J'ajoute  maintenant 
que  pour  le  sens  il  faut  débet.  M.  Diez  l'a  déjà  dit,  se  fondant  sur  le  pas- 
sage correspondant  du  serment  germanique  ;  la  même  conclusion  est 
indiquée  par  la  formule  latine  des  serments  du  même  temps.  Ainsi,  à  la 
fin  d'un  capitulaire  de  802  :  «  ...  promitto  ego  quod  ab  ista  die  in  antea 

fidelis  sum sicut  per  drictvm  débet  esse  homo  domino  suo  '.  »  La  forme 

reste  difficile  à  expliquer,  mais  la  difficulté  est  bien  circonscrite.  Il  s'agit 
uniquement  de  trouver  quelle  pouvait  être  la  forme  française  de  débet  au 

ix«  siècle. 

P.  M. 

II. 

UN   FRAGMENT    DE  RENART. 

Nous  devons  la  communication  de  ce  fragment  à  l'obligeance  de 
M.  Petit,  bibliothécaire  à  la  Bibliothèque  royale  de  Bruxelles.  M.  Petit 
l'a  enlevé  de  la  couverture  d'un  livre  :  il  appartient  maintenant  à  la 
Bibliothèque  royale  de  Bruxelles,  déjà  riche  en  débris  de  ce  genre.  Il 
forme  !a  moitié  supérieure,  recto  et  verso,  d'un  feuilleta  deux  colonnes; 
la  marge  gauche  du  recto  a  été  entamée  par  les  ciseaux.  L'écriture  est 
du  xiii''  siècle. 

M.  Auguste  Scheler  a  bien  voulu  transcrire  ce  fragment  pour  la  Rotna- 
nia;  il  l'a  rapproché  du  passage  de  Méon  (t.  III,  v.  25215  ss.)  auquel 
il  correspond.  Il  a  suppléé  dans  les  dix-huit  premiers  vers  les  lettres  man- 
quantes ;  j'ai  imprimé  ces  lettres  suppléées  en  italique.  Je  ne  vois  pas 
plus  que  lui  ce  qu'on  peut  faire  du  v.  230.  M.  Scheler  m'a  envoyé  de 
ce  vers  un  calque  d'après  lequel  je  n'ai  pu  lire  que  ce  qu'on  trouvera 
imprimé  ci-dessous. 

I.  Pertz,  Mon.,  III,  98;  De  Rozière,  Recueil  des  formules,  n'^  III. 


jyij  MÉLANGES 

La  perte  du  manuscrit  auquel  appartenait  ce  fragment  paraît  très- 
regrettable.  Si  en  effet  on  le  compare  aux  passages  correspondants  des 
trois  mss.  A  B.  N.  fr.  2004^^,  B  (^71)  et  C  (i  579),  que  M.  Martin  ' 
regarde  comme  les  chefs  des  trois  familles  principales  des  mss.  de  Renart, 
on  voit  qu'il  n'appartient  à  aucune  d'elles  'bien  qu'il  se  rapproche  plus 
de  B  en  certains  endroits),  et  qu'il  présente  pour  certains  vers  une  leçon 
supérieure  à  toutes  trois.  Au  v.  2219-220  la  leçon  de  h  (sigle  de  notre 
fragment  qui  vient  prendre  sa  place  à  la  suite  de  la  liste  de  M.  Martin) 
peut  au  moins  se  défendre  contre  celles  d'ABC.  Le  v.  230,  tout  altéré 
qu'il  est,  parait  avoir  conservé  la  leçon  originale,  gâtée  dans  tous  nos 
mss.  Auv.  246  /î  aen  commun  avec  A  la  bonne  \tcon  prinsignicr.  V.  289, 
les  leçons  de  A,  BC,  et  /;  paraissent  provenir  d'un  original  commun  fautif, 
qui,  au  lieu  de  :  Las  de  moi!  mi  enfant!  avait  écrit  Las  demi  enfant  (moi 
supprimé  par  le  voisinage  de  mi),  ce  qui  est  conservé  dans  A,  corrigé 
diversement  dans /z  et  BC.  La  leçon  des  vv.  25  ^05-9  est  inintelligible 
dans  A,  et  le  v.  25308  de  C  semble  bien  n'être  qu'une  correction  ;  la 
leçon  de  li  aussi  est  peut-être  une  correction  :  elle  donne  un  sens 
admissible,  mais  assez  plat.  Les  v.  25315-19  se  rapprochent  plus  de  B 
que  des  autres  mss.,  mais  sont  dans  //  encore  inférieurs  à  B,  qui  ne 
vaut  déjà  pas  AC. 

Le  passage  le  plus  intéressant,  au  point  de  vue  de  la  critique  du  texte, 
est  celui  qui  va  du  V.  25250  au  V.  25258.  Je  ne  puis  m'empêcher,  mal- 
gré la  classification  de  M.  Martin,  qui  n'accorde  à  C,  pour  cette  branche 
comme  pour  les  autres,  qu'une  valeur  très-secondaire,  de  regarder  C 
comme  ayant  seul  conservé  à  peu  près  la  leçon  originale.  Je  lirais  donc  : 

25250  «  Ne  vous  estoet  douter  de  rien, 

Que  ne  charront  mais  de  cest  mal.  » 

Droins  regarde  contreval, 

N'a  ses  filz  veuz  ne  oïz  ; 

Bien  s'aperçoit  qu'il  est  traiz: 
25255  «  Renart,  »  fait  il,  «  ou  sont  mi  fil.? 

Je  cuit  fait  en  avez  escil. 

—  Non  ai,  ci  les  baptize  aval. 

—  Hai,  traître  desloial,  »  etc. 

Il  me  paraît  clair  que  la  leçon  de  A,  qui  supprime  252-57,  ne  peut  se 
défendre  et  est  due  à  un  bourdon,  causé  par  la  répétition  de  la  rime  en 
al.  La  leçon  de  B  provient  de  la  faute  d'un  copiste  qui  a  lu  fcomme  fait 
B)  de  cest  mois  25251  pour  de  cest  mal  (leçon  un  peu  retouchée  dans  A). 
Il  a  fallu  alors  une  rime  à  mois,  et  le  v.  252  est  devenu  ce  qu'il  est  dans 
B/z,  où  sa  platitude  suffirait  à  dénoter  une  interpolation.   Mais  le  v.  252 

I,  Examen  critique  des  manuscrits  du  Roman  de  Renart.  Baie,  1872. 


UN   FRAGMENT   DE  RenUTt  ^75 

primitif  était  indispensable  au  sens  ;  de  là  l'embarras  de  ce  qui  suit  dans 
B/z  ;  la  phrase  n'a  pas  de  sujet  dans  B,  et  h,  en  introduisant  cil,  n'a  ap- 
porté qu'un  remède  très-insuffisant. 

Il  faudrait  admettre  d'après  cela  que  B  (qui  aurait  dans  h  une 
forme  généralement  supérieure)  et  C ,  au  moins  pour  la  branche 
XXX,  sont  indépendants  de  A,  et  que  les  trois  familles  dérivent  d'un 
original  commun  (sans  vouloir  contester  que  C  ait  connu,  outre  cet 
original,  la  famille  B).  Cette  conclusion  n'est  pas  très-éloignée  de  celle 
que  M.  Martin,  en  s'appuyant  sur  des  recherches  bien  plus  complètes,  a 
présentée  ;  il  y  a  toutefois  une  différence  dans  l'appréciation  de  la  valeur 
respective  de  chaque  famille.  M.  Martin  pense  que  A  représente  à  peu 
près  constamment  le  texte  primitif,  et  qu'il  ne  faut  recourir  à  B  ou  C  que 
pour  corriger  des  fautes  évidentes.  Je  crains  que  ce  système  ne  soit  un 
peu  exclusif.  Pour  les  branches  XX-XXII,  M.  Martin  a  montré  lui-même 
que  B  et  même  C  sont  souvent  d'accord  contre  A  avec  a,  certainement 
le  plus  voisin  de  l'original.  Il  me  semble  qu'il  faudrait  tirer  plus  de  parti 
de  cette  remarque  et  de  l'observation  analogue  que  peut  suggérer  notre 
fragment.  Le  texte  de  nos  mss.  de  Renart,  pour  la  plupart  des  branches, 
est  un  texte  de  compilation  ;  la  famille  A  a  généralement  la  meilleure 
leçon,  mais  B  et  C  sont  parfois  supérieurs,  et  la  leçon  de  A  n'est  préfé- 
rable ipso  facto  que  quand  il  n'y  a  absolument  aucune  raison  intrinsèque 
qui  décide  le  choix.  C'est  une  simple  nuance,  comme  on  voit,  qui  me 
sépare  de  l'opinion  de  M.  Martin,  et  le  résultat  de  sa  légère  exagération 
de  la  valeur  de  A  sera  bien  rarement  sensible  dans  l'édition  de  Renart 
que  nous  attendons  de  lui. 

22^  —  Droin,  »  lait  il,    «  par  saint 

Mon  saigner  l'empereor  Noble;  Tu  les  feras  crestienner  [Orner, 

S'ai  esté  en  Constantinoble,  Si  tost  con  baptizié  seront, 

25215  S/  ai  esté  en  mainte  terre  :  Jamais  deteil  malne  chierront.» 

J'ai  passé  la  mar  d'Angleterre  Et  dist  Droins  ;  «  Ce  puet  bien 

Por  le  roi  deus  foiz,  voires  trois;  festre  : 

Je  fui  en  la  terre  as  Irois  ;  250  ..iz  ..enrôle  et  .  i .  prestre.?  » 

Tant  ai  cerchiee  la  contrée  (Lacune  de  12  vers.) 
220  Que  j'ai  la  mecine  trovee 

Dont  li  rois  est  gariz  et  sains,  Si  li  a  gité  sans  tençon, 

Et  je  dou  pais  chastelains.  Et  R.  tendi  son  giron, 

—  Kenart,  »  fait  il,   «  or  me  245  Si  le  reçut  tôt  sanz  dangier, 

[contez  En  son  cors  le  fist  presignier  ; 

Commant  mes  enfanz  garirez.  Un  et  un  les  li  a  gitez  : 

2J2I4  Por  lui  fui  ABC  —  216  Je  passai  A  —  218  Si  f.  AB—  219  Tant  alai  cerchant 
ABC  -  220  Que  joi  ABC  —  221  fu  C  —  222  Je  sui  d.  A  De  son  pais  sui  c.  C  —  223 
mensegniez  AC  —  224  garisiez  A  —  227  que  AB  —  228  cest  m.  A  cel  m.  B  —  229  Et 
manque  A  —  230  Mes  ou  trouueroie  ge  |AB  ge  le]  prestre  ABC  —  244  gernon  A  — 
245  Si  les  r.  et  s.  A  Si  la  receu  s.  B.  —  246  Les  a  fet  en  s.  c.  AC  prisonier  BC  —  247 
les  i  a  A 


Î76 


MÉLANGES 

Renars  les  a  crestiannez.[bien  ! 
Dist  Uroins  :    «    Bapliziés  les 
2i.2<^o  — Ne  vos  estoet douter  de  rien,  285 

Que  il  n'an  charront  mais  des 

[mois 
Li  oisel,  car  il  sont  cortois.  » 
Quant  cil  nés  a  veuz  n'oiz, 
Bien  pense  qu'il  est  escharniz  ; 
255  «  Renars,  »  fait  il,  «  ou  sont  mi 
Je  cuit  fait  en  avez  escil.     [fill? 

—  Non  ai  :  chi  les  baptize  aval. 

—  H  ai,  traites  desloial,  » 
FaitDroins,  «  tu  lésas  mengiez.  305 

260  — Non  ai,  »  fait  Renars,  "ce  sa. 
(Lacune  de  12  vers.)   [chiez. 

—  Non   feré.  —  Por  coi  ?  — 

[Ge  ne  puis.  3 10 

—  Tu  ne  puez?  —  Voir,  ne  je 

[ne  ruis. 
275  Mais  or  me  di ,  traites  faus, 
Que  as  tu  fait  de  mes  oisiaus? 

—  Que  j'an  ai  fait?  dirai  le  toi  : 
Je  les  ai  mangiez,  par  ma  foi, 

—  Mangiez,    las  !   —  Voires,  3 1  <, 

[par  mon  chief  : 

280  Tu  n'an  vanras  jamais  a  chief; 

Et  par    trestoz  les  sainz  dou 

[mont 
Jamais  de  cest  mai  ne  chierront; 


Et  que  qu'an  deust  avenir 
Je  te  vodroie  ensi  tenir.  » 
A  icest  mot  s'an  est  tornez 
Renars,  n'i  est  plus  demorez. 
EtDroinssomplaint  recomcnce; 
Toz  seus  a  lui  meismes  tence 
Et  dist  :  a   Las   moi  !  mi    bel 
lenfant!  » 
(Lacune  de  1 3  vers.) 

Que  il  ne  l'ait  tote  esrachie: 

Mont  en  a  soufert  grant  hachie. 
Quant  il  se  fu  tant  debatuz 
A  soi  meismes,  et  baluz 
Et  laidengiez  et  maumenez. 
Tant  en  a  fait  toz  est  plumez, 
Si  laisse  le  doel  que  demainne, 
Que  mont  en   a    sofert    grant 
[painne  : 
Tantost  a  porpenser  se  prist 
De  Renart  quisili  meffist,igier, 
Gommant  il   s'an  porroit  van- 
Que  la  vangance  avroit  mont 

[chier. 
Lors  se  porpense  que  fera, 
Et  commant  se  porchacera 
S'il  pooit  avoir  nule  part 
Nule  vengance  de  Renart. 
Tantost  se  rest  mis  a  la  voie. 

G.  P. 


250  Ja  ne  vous  en  doutez  C  —  251  Quil  B  de  cest  mois  B  Qui  ne  charront  mais  [C 
Que  James  chientj  de  cest  mal  AC  —  252-7  manquent  A  —  252  Droin  regarde  contreual 
C  —  253  Na  ses  filz  veaz  ne  choisiz  BC  —254  Si  sapercoit  [B  sapercut;  quil  est  [C 
ert]  traiz  BC  —  256  men  a.  BC  — 257  N.  a.  aincois  sont  [C  en]  ca  a.  BC  —  259  dit  A 

—  275-4  manquent  B  —  273  N.  f.  voir  car  g.  C  —  274  t.  n.  p.  tez  toi  je  n.  C  — 
275  dites  A  —  276  Quas  tu  or  f.  B  Que  tu  as  f.  C  —  277  f.  voire  di  moi  A  —  278 
Jes  ai  mangiez  en  moie  f.  ABC.  —  282  de  cel  C  dicel  A  de  tel  B  —  283  Et  que  quil 
en  dust  A  —  284  ausi  AC  —  286  R.  que  plus  nest  seiornez  C  —  287  plait  B  dol  AC 
encomence  C  —  288  Tôt  soûl  AC  a  soi  m.  AB  —  289  Et  d.  1.  de  mi  e.  A.  Et  d.  1.  do- 
lant  mi  e.  BC  —  304  M.  a  soferte  A  —  30)  conbataz  AC  —  306  m.  debatuz  BC  Et  a 
soi  mal  fere  esbatuz  A  —  307  A  laidengier  ABC  et  a  malmetre  AC  et  a  mal  traire  B  — 
30S  En  quel  sen  il  poist  jC  Pense  coment  porra]  fin  mètre  AC  Tant  en  a  fait  nen  puet 
plus  faire  B  —  309  quil  d.  B  A  laissier  le  d.  AC  —  310  Car  A  m.  i  a  B  —  312  tant 
1.   C  vers  li  mesprist  A  —  313  porra  AC  —  314  Car  ABC.  —  315  quil  f.  BC  quil  ira  A 

—  316  Et  tôt  ;C  Trestot'  le  pais  cerchera  AC  —  317  Si  le  puet  trouer  de  n.  BC  Si! 
trouueroit  de  n.  A  —  318  Quil  poist   C  le  puist  B  se  puist!  vengier  ABC. 


ÉTYMOLOGiES  :  admolesture,  maie  habitas  577 

III. 
ÉTYMOLOGIES. 

I.  Admolestare. 

Diez  E.  W.  I.  s.  v.  amonestar  fait  assez  clairement  sentir  qu'il  est  peu 
satisfait  et  persuadé  de  l'étymologie  proposée.  Monaxtâ  employé  à  Mont- 
bovon  (Haute-Gruyère)  dans  le  sens  de  dire  à  quelqu'un  qu'il  a  mauvaise 
conduite,  l'ennuyer  par  des  reproches,  m'a  fait  penser  à  molestare  et  m'engage 
à  regarder  amonestar  comme  son  composé ,  malgré  son  sens  bien  plus 
large  que  celui  du  verbe  latin  qui  est  :  ennuyer,  fatiguer  par  quoi  que  ce 
soit.  On  sait  du  reste  que  le  simple  monestar  existe  également  en  provençal. 
N=^l  n'offre  pas  de  difficultés,  comme  on  peut  voir  par  les  exemples  de 
ce  changement,  faciles  à  augmenter,  cités  dans  la  Grammatik  d.  rom.  Spr., 
t.  I,  p.  204.  Qu'il  y  ait  eu  dans  l'emploi  du  mot  et  dans  le  développe- 
ment du  sens  une  influence  à'admonere,  c'est  très-possible.  Le  rappro- 
chement s'offrait  naturellement  à  chacun,  une  fois  /  changée  en  n.  Car  ce 
changement  a  dû  avoir  lieu  de  bonne  heure,  pour  être  commun  à  la 
France  et  à  l'Espagne.  Le  fait  que  l'itaHen,qui  a  molesto, n'a  pas  amones- 
tar n'est  pas  sans  importance  pour  confirmer  l'origine  ci-dessus  présen- 
tée, que  je  soumets  au  jugement  de  plus  habiles. 

II.  Maie  habiîus. 

Il  n'est  personne  qui,  persuadé  de  la  rigueur  des  lois  phonétiques,  en 
lisant  l'article  que  Diez  E.  W.  I  consacre  à  malato  et  ses  correspondants 
dans  les  différentes  langues  romanes,  n'ait  été  choqué  de  les  voir  vio- 
lées dans  le  traitement  du  groupe  PT.  L'origine,  de  maie  aptus,  paraît,  à 
première  vue,  vraisemblable,  grâce  surtout  au  rapprochement  si  séduisant 
de  l'allemand  nnpssslich.  Mais,  que  l'on  examine  les  nombreuses  cita- 
tions dans  Forcellini  s.  v.  aptus,  on  s'apercevra  que  la  justesse  de  la 
comparaison  est  plus  apparente  que  réelle.  Je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait 
un  seul  endroit  où  ce  mot,  qui  a  un  sens  si  général,  permît  un  rappro- 
chement semblable.  Or  voici  ce  que  je  propose.  Habitus  était  employé  par 
les  comiques  comme  adjectif  avec  le  sens  de  bien  tenu,  bien  soigné,  bien 
portant.  Je  lis  dans  Plaute,  Epid.  I,  i,  8  :  ' 

A.  Quid  tu?  agis,  ut  velis.?  B.  Exemplum  adest.  A.  Intellego.  Eugepae, 
Corpulentior  videre  atque  habitior. 

et  dans  Térence,  Eun.  3 1 5  et  sqq.,  où  le  contraire  montre  clairement  le 
sens  du  mot  : 

Haud  similis  virgost  virginum  nostrarum,  quas  maires  student 
Demissis  umeris  esse,  vincto  corpore,  ut  gracilae  sient. 


Î78  MÉLANGES 

Siquast  habitior  paulo,  pugilem  esse  aiunt,  deducunt  cibuni 
Tarn  etsi  bonast  natura,  redduni  curatura  iunceam. 

Un  peu  plus  loin  de  la  même  jeune  fille  : 

Color  verus,  corpus  solidum  et  suci  plénum. 

Enfin  voici  un  passage  décisif.  C'est  une  petite  anecdote  rapportée 
par  Massurius  Sabinus,  un  juriste  du  i'^  siècle,  et  conservée  par  Aulu- 
Gellc  IIll,  20,  I  I   : 

Censores  Publias  Scipio  Nasica  et  Marcus  Popilius  cum  equitum  censum  age- 
rent,  cquum  nimis  strigosum  et  maie  habitum,  sed  equitem  ejus  uberrimnm  et 
habàissumim  viderunt  et  cur,  inquiunt,  ita  est  ut  tu  sis  quam  equus  curatior.^ 
Quoniam,  inquit,  ego  me  euro,  equum  Statius  nihili  serves. 

Il  n'y  a  que  le  simple  /  de  l'italien  malato  qui  fasse  difficulté.  On  s'y 
arrêtera  moins,  si  l'on  considère  que  le  dérivé  malaîtla  en  a  deux.  Peut- 
être  d'ailleurs  que  l'explication  de  Diez  pour  le  simple  /  subsiste  en  dépit 
de  ma  nouvelle  étymologie.  Mais  malabde,  Pass.  du  Ch.  1 16,  vient  admi- 
rablement au-devant  de  l'origine  que  je  propose  '. 

Bâle,  le  17  avril  1874.  Jules  Cornu. 


I.  Le  mot  V.  f'r.  atc,  qui  signifie  «  dispos,  bien  portant  »,  et  qui  paraît  bien 
être  le  simple  de  malade  (voy.  G.  Paris,  Mcm.  de  la  Soc.  de  Ling.,  I,  91),  sem- 
blerait contredire  l'étymoiogie  que  j'indique.  Mais  on  peut  très-bien  admettre  que 
le  français  a  tiré  de  habitus  une  double  forme,  ate  et  ade:  cf.  coûte ticoude.  D'ail- 
leurs ate  est  peut-être  une  forme  dialectale. 


COMPTES-RENDUS. 


Du  C  dans  les  langues  romanes,  par  Ch.  Joret,  ancien  élève  de 
l'Ecole  des  Hautes  Etudes,  professeur  agrégé  au  lycée  Charlemagne  (seizième 
fascicule  de  la  Bibliothèque  de  l'Ecole  des  Hautes  Etudes),  Paris,  Franck, 
1874,  1  vol.  in-S"  xx-344  pages. 

La  bibliothèque  de  l'Ecole  des  Hautes-Etudes  vient  de  s'augmenter  d'un  im- 
portant fascicule,  dû  à  M.  Ch.  Joret,  ancien  élève  de  la  Conférence  des  langues 
romanes.  C'est  une  étude  consacrée  tout  entière  à  l'histoire  d'une  seule  lettre 
latine  ;  il  est  vrai  qu'il  s'agit  du  c,  dont  les  transformations  sont  curieuses  par 
leur  variété  et  même,  dans  certains  cas,  par  leur  étrangeté.  Et  si,  à  première 
vue,  on  se  demande  comment  une  seule  lettre  a  pu  fournir  à  une  monographie 
aussi  étendue,  on  arrive  à  se  convaincre  que  la  matière  est  assez  riche  pour 
mériter  même  un  gros  volume.  Le  livre  de  M.  Joret  est  le  premier  oij  l'on  ait 
essayé  d'embrasser  dans  leur  ensemble  les  questions  que  soulève  l'histoire 
de  la  gutturale  romane.  C'est  une  œuvre  considérable  qui  mérite  l'atten- 
tion de  la  critique.  L'auteur  ne  sera  donc  pas  surpris  de  nous  voir  consacrer  à 
son  livre  l'étude  approfondie  que  méritent  ses  consciencieuses  recherches. 

Nous  abordons  sans  plus  de  préambule  l'examen  de  l'ouvrage,  que  nous  sui- 
vrons livre  par  livre  et  chapitre  par  chapitre. 

Il  s'ouvre  par  une  introduction  qui  donne  d'abord,  d'après  les  derniers  tra- 
vaux de  Brùcke,  Helmhoitz,  R.  v.  Raumer,  etc.,  la  théorie  physiologique  des 
consonnes  indo-européennes,  théorie  qui  montre  comment  elles  peuvent  arriver  à 
se  substituer  les  unes  aux  autres  ;  après  quoi  l'auteur  retrace  rapidement  l'his- 
toire des  gutturales  latines  h,  q,  k  (c),  g,  ch.  Ces  résumés  sont  exacts  en  géné- 
ral ;  j'aurais  pourtant  quelques  observations  de  détail  à  faire.  M.  J.  établit  avec 
raison  deux  sortes  de/,  produites,  l'une  par  le  contact  des  lèvres  inférieures  avec 
les  incisives  supérieures,  l'autre  par  le  rapprochement  des  deux  lèvres  (ce  der- 
nier inconnu  au  français,  quoi  qu'il  en  dise);  à  ces  deux  sourdes  /  correspondent 
deux  sonores  v  et  «>;  le  i)>,  dit  M.  J.,  est  le  son  de  Vu  dans  l'ail.  Quelle  et  le 
fr.  écuelle;  ceci  est  inexact:  Vu  de  ècuelle  est  différent  de  Vu  de  Quelle;  voir 
L.  Havet  dans  les  Mémoires  de  la  Société  de  Linguisliquc,  II,  218.  —  Pour 
r/î,  M.  J.  dit  qu'elle  représente  le  plus  souvent  l'aspirée  gutturale  primitive 
et  qu'elle  a  pour  équivalent  x  ou  /  en  grec.  La  règle  ainsi  exposée  n'est  pas 
absolument  exacte.  L'aspirée  latine,  quand  elle  dérive  d'une  gutturale  primi- 
tive (et  non  d'une  dentale  ou  d'une  labiale  aspirée),  correspond  toujours  à  un 
5^  grec  :  les  exceptions  ne  sont  qu'apparentes;  par  ex.,  le  mot  cité  xpiOri  est 
pour   xP'9vi,  l'aspiration  du  x  étant  tombée  normalement  sous  l'action  de  l'aspi- 


j8o  COMPTES-RENDUS 

rée  suivante  0.  —  Pour  le  c  affaibli  en  g,  j'aurais  voulu  que  l'auteur  distin- 
guât les  cas  où  c  est  initial  de  ceux  où  il  est  médial  ;  cette  distinction  pour 
les  mots  latins  a  son  importance.  —  Pour  la  prononciation  du  c,  on  peut  ajou- 
ter comme  exemples  les  transcriptions  talmudiques  du  temps  de  l'empire,  qui 
représentent  le  c  palatal  par  le  koph  ;  ainsi  cdlarium  devient  kelar.  — Ce  que  dit 
M.  J.  sur  le  groupe  qu  est  peu  net;  il  cite  bien  des  textes  de  grammairiens  qui 
montrent  l'incertitude  où  l'on  était  à  Rome  touchant  la  valeur  de  la  notation  (ju\ 
mais  il  semble  d'après  ses  paroles  que  la  question  était  purement  orthographique 
et  n'intéressait  pas  la  prononciation,  qu'en  un  mot  qu  était  l'équivalent  de  k, 
que  Vu  était  insensible  et  qu'on  hésitait  seulement  sur  la  question  de  savoir  dans 
quels  mots  l'usage  voulait  l'écriture  qu,  dans  quels  l'écriture  c.  Or  la  question 
est  évidemment  plus  complexe,  et  les  incertitudes  devaient  avoir  leur  cause  dans 
la  prononciation.  Le  q  pur  et  simple  sonnait-il  qu,  et  quand  Velius  Longus  propo- 
sait l'orthographe  qae,  qiû,  entendait-il  qu'on  prononçât  quae,  quia?  Ou  bien,  q 
valant  c,  et  ne  s'employant  que  devant  u  suivi  d'une  voyelle  parce  que  dans  la 
plupart  des  mots  présentant  ce  groupe  il  remontait  à  un  primitif  Av,  l'hésitation 
portait-elle  sur  la  valeur  de  l'u?  Cet  u  se  prononçait-il.^  et  dans  quels  mots.''  Que 
signifient  ces  corrections  de  l'Appendix  Probi  :  cqus  non  ecus,  coqus  non  cocus, 
coquais  non  coccns,  vacua  non  vaqua,  vacui  non  \aqui?  Voilà  des  questions  obscures 
assurément,  mais  qui  méritaient  du  moins  d'être  posées,  et  puisque  M.  J.  abor- 
dait ces  points  un  peu  étrangers  à  son  sujet,  il  aurait  pu,  je  crois,  les  serrer  de 
plus  près.— Je  borne  là  ces  observations,  et  j'arrive  à  l'ouvrage  proprement  dit. 

Le  plan  en  est  simple  :  quatre  grandes  divisions  correspondant  aux  divisions 
naturelles  du  sujet,  i"  Du  c  vélaire  ou  c  devant  a,  o,  u;  2°  du  c  palatal  ou  c 
devant  e,  i  ;  ?°  du  c  vélaire  traité  dans  certains  idiomes  et  dans  certains  cas 
comme  c  palatal  ;  ce  troisième  livre,  comme  on  le  voit,  est  une  annexe  des  deux 
premiers  ;  4°  enfin  du  c  dans  les  groupes  de  consonnes.  Mais  si  ce  plan  est  orga- 
nique, on  peut  regretter  que  l'auteur^  dans  les  subdivisions  du  sujet,  n'y  soit  pas 
resté  fidèle. 

Il  prend  en  effet  une  à  une  les  diverses  transformations  auxquelles  abou- 
tissent le  c  vélaire  et  le  c  palatal,  et  en  fait  le  point  de  départ  de  ses  recherches. 
Or  qui  ne  voit  que  ces  transformations  sont  amenées  par  des  causes  spéciales, 
auxquelles  il  faut  remonter  tout  d'abord  pour  les  suivre  dans  leurs  actions 
diverses?  Autrement  on  place  l'effet  avant  la  cause,  ce  qui  est  peu  rigoureux. 
Ce  reproche ,  exprimé  sous  une  forme  générale ,  a  l'air  d'une  chicane  ; 
cependant  si  nous  prenons  des  exemples,  nous  verrons  qu'il  répond  à  quelque 
chose  de  réel.  Les  divisions  du  premier  livre  sont  les  suivantes  :  1"  Chap.  Per- 
sistance du  c  vélaire  —  son  changement  en  g,  en  /..  —  2'  Chap.  Son  change- 
ment en  y.  —  3*'  Chap.  Sa  chute.  Dans  ces  chapitres,  l'auteur  examine  cha- 
cun de  ces  changements  au  commencement,  au  milieu,  à  la  fin  des  mots.  C'est 
la  marche  inverse  qu'il  fallait  suivre.  La  chute  du  c  médial  ne  peut  pas  être 
séparée  de  son  affaiblissement  en  }',  ni  celui-ci  de  l'affaiblissement  en  g,  puisque 
ce  sont  des  phénomènes  dus  à  une  même  cause,  et  qui  s'expliquent  mutuelle- 
ment. L'on  voit  rapprochés  des  changements  en  g  de  c  initial  et  de  c  médial  ; 
mais  malgré  la  similitude  des  résultats,  les  causes  de  ces  changements  sont  diffé- 
rentes, et  il  faut  les  séparer  l'un  de  l'autre. 


JORET,  du  c  dans  les  langues  romanes  381 

Une  seule  division  était  conforme  à  la  vérité,  celle  qui  étudie  d'abord  et  exclu- 
sivement la  gutturale  initiale  dans  les  différentes  langues  romanes,  puis  la  gutturale 
médiale  entre  deux  voyelles  ou  devant  une  liquide,  puis  la  gutturale  finale, 
et  enfin  la  gutturale  dans  les  groupes,  quels  qu'ils  soient.  A  chacune  de  ces 
positions  correspondent  des  lois  différentes,  qu'il  fallait  suivre  dans  leurs  actions 
diverses  sur  les  diverses  parties  du  domaine  roman. 

Tel  est  le  défaut  de  composition  que  je  reproche  à  M.  J.  La  cause  de  ce 
défaut,  il  faut  la  demander  à  la  nature  même  du  livre,  ce  nous  semble.  C'est 
une  monographie.  Or,  rien  n'est  périlleux  comme  une  monographie.  En  s'absor- 
bant  dans  l'étude  d'un  point  déterminé,  on  s'expose  à  perdre  de  vue  les 
rapports  qui  unissent  le  détail  à  l'ensemble  dont  il  est  détaché  et  la  place  qu'il 
doit  occuper  dans  le  système  général  auquel  il  appartient.  C'est  là  un  écueil 
qu'il  est  bien  difficile  d'éviter,  et  je  crains  que  M.  J.  n'y  ait  pas  complète- 
ment réussi.  Il  ne  semble  pas  avoir  distingué  avec  assez  de  précision  ce  qui 
revient  en  propre  au  c  et  ce  qui  dépend  de  la  phonétique  générale  du  roman, 
et  il  s'est  laissé  guider  par  les  conséquences  plutôt  que  par  les  causes  mêmes 
des  conséquences.  Assurément  il  fait  bien  ces  distinctions  dans  les  détails , 
mais  il  les  fait  en  second  lieu,  en  sous-ordre,  et  cette  manière  de  procéder  donne 
une  vue  moins  exacte  des  choses.  Toutefois  ne  pressons  pas  trop  sur  ce  point 
qui  par  sa  généralité  prête  peu  à  une  discussion  précise,  et  acceptant  le  plan  de 
M.  J.  tel  qu'il  a  été  conçu,  entrons  dans  l'étude  de  la  consonne. 

Le  c  vélaire  —  ainsi  dit  parce  que  pour  le  prononcer  la  langue  s'appuie  contre 
le  palais  en  arrière  beaucoup  plus  près  du  voile  du  palais  que  pour  le  c  palatal 
—  se  maintient  au  commencement  des  mots  à  l'exception  d'un  petit  nombre  de  mots 
qui  l'aiTaiblissent  en  g'.  M.  J.  aurait  pu  ajouter  aux  exemples  cités  l'ital.  gaglio 
à  côté  de  quaglïo^  garacollare  {caraco l lare),  golpato{colpato)  et  peut-être  garçon  et 
ses  dérivés  (de  cardaus?).  Au  milieu  des  mots,  en  vertu  de  la  loi  de  l'affaiblis- 
sement des  médiales,  le  c  se  modifie  dans  les  diverses  langues  romanes,  suivant 
leur  tendance  plus  ou  moins  marquée  pour  l'affaiblissement  :  il  reste  en 
valaque  et  en  italien  dans  la  moitié  des  cas,  dans  l'autre  moitié  devient  g,  traite- 
ment normal  pour  l'espagnol  et  le  portugais;  le  provençal  a  g,  ou  poussant  plus 
loin  l'affaiblissement  j.  Pour  le  fr.,  M.  J.  cite  un  certain  nombre  d'exemples  oij 
le  g  médial  est  conservé:  aigre,  aiguille,  aigu,  alegre,  cigogne,  ciguë,  dragon,  figue 
(-guier),  maigre,  seigle,  segond,  segur,  vergogne.  Pour  quelques-uns  de  ces  mots, 
il  donne  une  seconde  forme  {ceoine,  ceue,  fie,  fier,  seur),  prouvant  que  les 
formes  avec  g  sont  des  emprunts.  Dans  vergogne,  on  a  un  autre  fait.  Le  latin 
verecundia  s'affaiblit  d'abord  régulièrement  en  veregundia,  puis  par  la  chute  de 
l'atone  devient  vergundia  ;  dans  le  groupe  rg  le  g  se  trouvant  après  une  liquide 
est  traité  comme  initial  et  reste,  en  vertu  d'une  loi  que  je  n'ai  pas  encore  vue 
exposée  et  qu'on  peut  formuler  ainsi  :  dans  un  groupe  de  deux  consonnes  dont 
la  première  est  une  liquide  /.  /.  m.  n,  la  seconde,  muette  ou  spirante,  subit 
le  même  traitement  qu'au  commencement  du  mot.  Restent  aigre,  alegre,  maigre, 
seigle  où  la  consonne  qui  suit  a  maintenu  la  muette  sonore  (quoique  celle-ci  eût 
pu  tomber,  comme  dans  sairement,  lairme);  segond  et  dragon  sont  demi-savants. 

1 .  Cet  affaiblissement  est  évidemment  antérieur  pour  le  français  à  la  transformation  du 
c  en  ch  dans  le  groupe  ca. 


j82  COMPTRS-RENDUS 

Les  seules  exceptions  sont  aiguille  et  aigu.  F-'our  aigu  on  trouve  eu  dans  certains 
dialectes,  ainsi  Monthcii  =  montcm  aculum;  et  le  wallon  aweie,  comme  nous  le 
verrons  plus  loin,  a  également  perdu  la  gutturale  médiale.  M.  J.  remarque  bien 
que  le  maintien  de  la  gutturale  dans  le  groupe  cr,  cl  est  dû  à  la  présence  de  la 
liquide  ;  toutefois  il  aurait  pu  préciser  plus  ses  conclusions  et  admettre  qu'en 
dehors  d'une  ou  deux  exceptions,  pour  lesquelles  on  pourrait  peut-être  trouver 
des  explications,  le  c  médial  tombe  en  français. 

Le  c  final,  c.-à-d.  devenu  final  par  la  chute  des  atones  (car  les  exemples  du  c 
final  latin  sont  trop  peu  nombreux  pour  qu'on  puisse  généraliser  les  faits)  ne  se 
rencontre  que  dans  les  langues  faisant  tomber  les  dernières  atones,  à  savoir  le 
prov.,  le  fr.,  les  dialectes  ladins  ou  de  l'Italie  du  Nord,  et  le  roumain.  Il  per- 
siste en  roum.  et  en  prov.  ;  dans  les  dialectes  italiens  se  change  en  g  quand  la 
terminaison  persiste  ;  en  fr.  devient  y.  ou  tombe,  excepté  quand  il  est  appuyé 
(lisons:  quand  il  est  précédé  d'une  liquide,  auquel  cas  il  est  traité  comme  initial); 
le  ladin  nous  montre  le  traitement  du  roum.,  des  dial.  ital.,du  prov.  et  du  français. 

M.  J.  termine  ce  chapitre  par  l'examen  du  toscan  qui  change  la  vélaire  en  y_, 
et  du  sarde  qui  change  également  en  y  les  groupes  sc{a),  rcfa).  Il  ne  fait  que 
constater  ces  changements  dont  on  voudrait  avoir  l'explication. 

Au  ch.  II,  nous  voyons  la  gutturale  s'affaiblir  en  y.  Des  exemples  sont  appor- 
tés des  langues  germaniques,  qui  font  un  y  du  g  initial,  médial  ou  final  ;  les 
exemples  du  g  initial  sont  inutiles  parce  que  le  passage  de  c  à  _y  en  roman  n'est 
que  la  suite  de  son  affaiblissement  en  g.  Quant  aux  exemples  romans,  ils  sont 
fournis  par  le  ladin,  les  dialectes  du  Nord  de  l'Italie,  le  port,  et  le  fr.  Ici  la 
question  devient  complexe,  et  d'une  analyse  délicate,  et  M.  J.  a  eu  le  tort  de 
séparer,  pour  en  taire  un  chapitre  à  part,  les  exemples  oij  la  gutturale  disparaît. 
Les  deux  choses  sont  connexes,  et,  ce  qui  augmente  la  complication,  c'est  l'ap- 
parition d'un  i  parasite  développé  dans  certains  mots  sous  l'influence  de  la  guttu- 
rale (par  ex.  aigre  =  acrem).  Ici  se  montre  bien  le  défaut  des  divisions  de  M.  J., 
puisqu'elles  le  forcent  à  séparer  des  faits  qui  ne  sont  pas  séparables.  Foyer, 
noyer,  payer,  pkier  (dans  Eulalie),  preier  (id.)  appartiennent  à  la  série  c  =  y; 
verrue,  charrue,  Saône,  Yonne,  à  la  série  suivante  où  c  disparaît  ;  aigre,  maigre,  à 
une  troisième  série  c  =  ic.  Mais  qui  nous  dit  que  foyer,  noyer,  etc.  n'ont  pas 
d'j  parasite,  et  pourquoi  dans  verrue,  charrue,  etc.  n'en  voit-on  pas  paraître.? 
Pourquoi  un  yod  dans  pacare,  payer  et  non  dans  *raucare,  enrouer  ?  dans  loca- 
rium,  loyer  et  non  dans  locare,  louer?  Ces  questions  devaient  être  nettement 
posées,  et  l'on  pouvait  au  moins  rassembler  les  éléments  d'une  solution.  Il  faut 
tenir  compte  évidemment  des  voyelles  qui  précèdent  et  suivent  la  gutturale,  comme 
d'ailleurs  l'a  vu  M.  J.,  quand  dans  son  errata  il  dit  que  le  c  tombe  en  fr.  presque 
uniquement  devant  o  et  u.  La  règle  est  la  suivante  :  Des  deux  voyelles  qui  entourent 
la  gutturale,  si  la  seconde  est  vélaire  (o,  u),  la  gutturale  tombe,  quelle  que  soit  la 
première  {Saône,  sûr,  tic);  si  c'est  un  a,  comme  cette  voyelle  est  semi-vélaire, semi- 
palatale,  il  faut  pour  que  la  gutturale  tombe  sans  laisser  de  traces  que  la  voyelle 
précédente  soit  une  vélaire  pure  (o,  u;  jouer,  charrue,  etc.);  mais  si  c'est  <2  et  à 
plus  forte  raison  e,  i,  on  a  le  yod  {payer,  doyen,  ployer,  etc.)  \  Les  seules 

I.  Dans  amie,  vessie,  (que  je)  die,  etc.,  rien  n'empêche  d'admettre  un  i  palatal  dégagé 


JORET,  du  c  dans  les  langues  romanes  ^85 

exceptions  que  je  connaisse  à  ces  règles  sont  essuyer,  noyau,  voyelle,  foyer,  loyer, 
noyer  (nucarius),  mais  essuyer  en  v.  fr.  dans  sa  forme  la  plus  ancienne  est 
essuer,  essuyer  est  refait  sur  sui  =  sûcus  ;  noyau  est  une  forme  rajeunie  du  pri- 
mitif nual  (Livre  des  Rois);  voyelle  est  un  mot  savant  qui  date  du  xv*'  siècle  '  ; 
quant  à  foyer,  loyer,  noyer,  c'est  l'(  de  arius  qui  se  combinant  avec  Va  place  la 
gutturale  devant  une  palatale;  et  ces  formes  sont  intéressantes  en  ce  qu'elles 
montrent  que  le  changement  de  arius  en  ier  est  postérieur  au  changement  de  c  en 
g  (sans  quoi  le  c  se  serait  assibilé;  le  g  palatal  ne  s'assibile  pas)  et  antérieur 
au  changement  de  g  (issu  de  c)  en  y.  Maintenant,  comment  a  lieu  le  change- 
ment? Le  g  s'est-il  affaibli  simplement  en  y  :  pacare  pagar  payar  payer?  Ou 
n'y  a-t-il  pas  développement  d'un  ;  parasite  comme  dans  aigre,  etc.,  puis  chute 
de  la  muette  médiale  pagar  paygar  payar  payer  ?  Le  mda  de  Boèce  ne  prouve 
rien,  car  il  peut  venir  aussi  bien  de  mica  miga  miiga  miia  que  de  mica  miga 
miya.  Bien  plus  la  présence  de  l'i  parasite  dans  a/gre,  maigre,  etc.,  sembleprouver 
qu'il  y  a  eu  chiite  pure  et  simple  de  la  médiale  g  après  dégagement  de  \'i  dans 
preier,  pleier,  payer  et  les  formes  analogues.  En  effet  comparons  birme  à  aigre; 
l'analogie  force  de  conclure  à  une  série  lagr'me,  laigr'me,  lairme.  Le  Bestiaire  de 
Gervaise  donne  la  forme  aille  =  a^uila  {Romania,  I,  p.  437).  Si  l'on  n'avait  pas 
aigle,  on  admettrait  la  série  aq'la  agla  ayle  al'e  (/'  =  /  mouillée),  sans  songer 
à  1';'  parasite  ;  cet  i  qui  s'est  développé  dans  aigre,  aigle,  et  suivant  toute  vrai- 
semblance dans  lairme,  etc.,  a  dû  naître  aussi  dans  payer,  etc.,  la  muette  mé- 
diale disparaissant  comme  toutes  les  autres  muettes  et  ne  se  transformant  pas 
en  y.  Cependant  ce  n'est  qu'une  hypothèse  que  je  donne  là,  hypothèse  que 
j'aurais  voulu  voir  en  tout  cas  discutée  par  M.  J.,  ainsi  que  cette  autre  question 
de  la  naissance  de  Vi  parasite.  Comment  sort-il  de  la  gutturale  ^  ?  et  est-ce  de  la 
sourde  ou  de  la  sonore  qu'il  se  dégage  ?  Ces  questions  encore  auraient  pu  être 
sinon  résolues,  du  moins  posées'. 

Poursuivons  l'analyse.  M.  J.  étudie  la  terminaison  acum,  iacum;  il  ne  fait 
guère  là  que  reproduire  la  théorie  de  M.  J.  Quicherat  {Noms  propres  de  lieux, 
(p.  54  et  59),  et  il  admet  avec  lui  que  les  formes  en  }■  viennent  par  déplace- 
ment d'accent  et  par  chute  de  la  syllabe  ac  de  i(ûc)um;  cette  théorie  est  inadmis- 
sible pour  diverses  raisons;  le  changement  de  iacum  en  y  est  analogue  à  celui  qui 
dans  certains  dialectes  transforme  le  participe  ic  et  l'infinitif  ier  en  /,  ir. 

Le  livre  I"  se  termine  par  un  chapitre  consacré  à  la  substitution  du  t  et  de  Vs 


de  la  gutturale  et  fondu  avec  1'/  étymologique.  Le  ladin  amie',  amig',  amih  rapproché  de 
laie  [lac]  vient  à  l'appui  de  ce  que  nous  disons.  Cf.  la  p.  suiv.,  note  2. 

1.  Le  type  latin  vocella,  d'où  on  pourrait  vouloir  tirer  voyelle,  aurait  donné  voiselle. 

2.  A  la  page  188,  M.  J.  signale  des  formes  ladines  ;  amie',  amig'  et  amih  ;  die',  dig' 
{dico)  ;  lac,  laie'.  Cette  dernière  forme  est  curieuse,  et  l'on  y  prend  sur  le  fait  la  forma- 
tion de  l'(  parasite.  Il  est  évident  que  le  c  vélaire  s'est  palatalisé  et  est  devenu  kj  {laki)  et 
que  ce  son  mouillé  qui  suit  la  gutturale,  l'infectant  au  commencement  même  de  l'émis- 
sion du  son,  donne  lajkj  {laie').  M.  J.  dit  que  les  autres  idiomes  romans  n'offrent  rien  de 
comparable;  de  fait  il  a  raison;  mais  au  fond  le  français /(7(  {fac)  par  ex.,  a  dû  passer 
par  cette  première  étape  que  nous  conserve  le  ladin,  et  peut-être  doit-on  conclure  du 
ladin  pour  les  formes  comme  pacare,  payer  où  dès  lors  il  y  aurait  chute  pure  et  simple 
de  la  gutturale  après  le  dégagement  de  1'/  parasite. 

3.  M.  J.  constate  1'/  parasite  en  prov.,  en  fr.,  en  esp.,  en  pg.  et  même  en  ital.  Pour 
l'esp.  il  montre  bien  comment  e  de  lèche,  de  hecho  etc.,  vient  de  a  4-  / -.  comment  e.xpli- 
que-t-il  le  ei  du  pg.  leixar  {laxare),  seixo  {saxum),  etc.  ? 


^84  COMPTES-RENDUS 

au  c  vélaire.  Déjà  le  latin  populaire  disait  nduî,  sida,  capiclum,  staclaris,  sclo- 
pus,  etc.,  pour  silla  (situla),  etc.  Le  changement  inverse  est  normal  dans  le 
Tyrol,  comme  le  prouvent  les  curieu.x  exemples  donnés  par  M.  J.  :  tbme  (da- 
man), titnes  {crines),  etc.  Puisque  l'auteur  cite  ici  des  exemples  de  la  confusion 
de  cl  et  cr  avec  //  et  r,  il  aurait  pu  rappeler  les  formes  catalanes  et  provençales 
payrc,  mayre  {'pacrem,  "macrcm  =  palrem,  matrem),  et  la  forme  curieuse  gragca, 
dragée  (portug.  et  esp.)  qui  confirme,  en  même  temps  qu'elle  en  est  confirmée, 
le  fr.  craindre  =  Iraindre,  tremcre. 

Ces  changements  de  c  en  t  trouvent  place  au  commencement  et  à  la  fin  des 
mots.  A  la  fin  des  mots,  M.  J.  signale  la  substitution  de  t  à  c  final  dans  quelques 
noms  provençaux  et  français  et  la  substitution  inverse  du  c  au  /  final  dans  la  con- 
jugaison provençale.  Les  derniers  exemples  ne  sont  pas  concluants  :  Cazec,  coircc, 
inoc,  parlée,  etc.,  viennent  assurément  de  'cadivit,  'currivit,  movit,  parabolavit,  etc.; 
mais  le  c  y  représente  le  v  ou  \'u,  comme  le  prouvent  les  formes  aie  (habui),  îinc 
(tenui),  tengues  (tenuissem),  etc. 

Pour  résumer  le  premier  livre,  on  y  trouve  peu  de  recherches  originales  :  l'on 
y  remarque  des  exemples  nouveaux,  des  faits  peu  connus  empruntés  aux  patois; 
mais  la  théorie  du  c  vélaire  n'a  pas  reçu  toute  l'étude  approfondie  qu'elle  méri- 
tait et  c'est  plutôt  un  exposé  quelque  peu  artificiel  des  faits  qu'une  théorie  que 
nous  donne  l'auteur. 

Le  livre  II  est  supérieur  au  premier,  et  si  la  critique  a  encore  ses  réserves  à 
faire  sur  divers  points  et  des  lacunes  à  signaler,  elle  doit  reconnaître  les  faits 
nouveaux  dont  M.  J.  a  enrichi  la  philologie  romane.  Il  démontre  d'une  manière 
explicite  que  vers  la  fin  du  vu*  siècle  ei  et  ti  suivis  d'une  voyelle  sont  devenus 
soit  ts  soit  tsi,  et  de  même  ce,  ci.  Comment  avaient  eu  lieu  ces  changements  ? 
Ti  +  voyelle  et  ci  +  voyelle  tendaient  déjà  à  se  confondre  à  l'époque  classique 
par  suite  de  la  similitude  de  prononciation  qui  existe  entre  ces  deux  groupes  et 
par  une  confusion  analogue  à  celle  que  présentent  amiquiè  amitié,  quicn  tien,  cin- 
tième  cinijuieme  :  de  là  le  son  ty  qui  aboutit  à  tch.  De  même  le  c  palatal  pur  et 
simple  (c  devant  e  et  i)  que  je  noterai  avec  l'auteur  par  c,  devient  ky  par  suite 
d'une  modification  légère  apportée  dans  la  prononciation,  la  langue  s'appuyant 
un  peu  plus  en  avant  vers  la  bouche;  en  avançant  encore  l'obstacle  formé  par  la 
langue,  on  franchit  le  domaine  du  k  pour  entrer  dans  celui  du  /  et  kj  passant 
par  ty*  aboutit  à  tch{c),  c'est-à-dire  à  tsi  s  =  ch).  Toute  cette  discussion,  appuyée 
d'un  côté  sur  les  exemples  tirés  des  monuments  du  bas-latin,  et  sur  des  transfor- 
mations analogues  dans  les  langues  germaniques,  de  l'autre  sur  des  considéra- 
tions physiologiques,  me  paraît  juste.  La  réfutation  de  la  théorie  de  Schuchardt 
(Vokal.  I,  150  ss.)  est  convaincante.  M.  J.  a  raison  en  outre  de  faire  de  fs 
un  succédané  de  tch  et  non  de  celui-ci  un  épaississement  de  ts,  de  sorte  que  la 
série  régulière  des  transformations  de  c  est  c  (tch),  s  {ch)  ou  c,  ts,  s. 

Après  avoir  établi  les  conditions  générales  des  transformations  du  c  palatal 

I.  Je  précise  ici  un  peu  plus  que  ne  le  fait  l'auteur  le  changement  de  k  en  tch.  M.  J. 
admet  immédiatement  après  la  forme  k  la  forme  c  •  =  tch);  le  passage  de  l'une  à  l'autre 
n'a  pas  été  aussi  brusque  et  entre  elles  deux  doit  se  placer  la  forme  ty.  Dans  les  faubourgs 
de  Mens  chien  se  dit  suivant  les  villages  ki,  tyi,  tchi.  La  forme  tyi  est  très -caractérisée 
et  a  une  existence  bien  marquée.  Cet  exemple,  quoique  portant  sur  le  groupe  cû.  est 
valable  ici,  parce  que  le  c  y  est  considéré  comme  palatal. 


JORET,  du  c  dans  les  langues  romanes  385 

l'auteur  arrive  aux  exemples.   Les   premiers   qu'il    cite  sont  ceux  qui  montrent 
la  persistance  de  la  palatale. 

La  palatale  latine,  dit  l'auteur,  n'a  persisté  qu'assez  rarement  dans  les  lan- 
gues romanes  ;  généralement  à  la  place  de  ^u  :  querda,  quarerc,  qui,  quem,  quod, 
quietem,  etc.,  tous  mots  écrits  en  roman  avec  qu,  ch  (ital.),  k.  Cette  remarque 
est  étrange  ;  car  dans  tous  ces  mots  la  gutturale  est  vélaire  :  qu.  L'auteur 
entend-il  par  palatale  la  palatale  romane?  Pourquoi  alors  l'appelle-t-il  palatale  latine 
et  pourquoi,  en  note  sur  ce  passage,  dit-il  que  le  qu  de  quod  est  vélaire  en  latin 
(à  cause  de  l'o)?  Il  semble  que  pour  M.  J.  Vu  de  qu  ne  se  prononçât  pas  et  que 
qu  fijt  une  notation  adéquate  à  k,  et  cette  présomption,  qui  paraît  ressortir  de 
son  langage  trop  obscur,  est  confirmée  par  ce  que  nous  avons  signalé  plus  haut 
dans  l'introduction  du  livre.  Tout  ce  paragraphe  est  peu  net.  Les  formes  prove- 
nant de  qu  ne  peuvent  être  alléguées  comme  exemples  du  maintien  de  la  palatale. 
—  D'autres  exceptions  plus  réelles,  qu'on  rencontre  surtout  en  roumain, 
sont  expliquées  avec  soin  ;  enfm  M.  J.  arrive  à  la  fameuse  exception  du 
sarde  logoudorien  qui  conserve  souvent  la  palatale  comme  sourde  ou  comme 
sonore. 

Ce  trait  du  sarde  logoudorien  semble  une  des  plus  solides  preuves  de  la  pro- 
nonciation forte  de  la  palatale  latine,  prononciation  établie  du  reste  d'une 
manière  incontestable  par  d'autres  arguments  très-sûrs.  Toutefois,  à  l'époque 
oii  M.  Joret  imprimait  cette  page  sur  le  sarde  logoudorien,  M.  Ascoli  émettait 
quelques  doutes  sur  le  caractère  archaïque  de  cette  prononciation.  Dans  son 
Archivio  (II,  143,  note  sur  ce,  ge),  après  avoir  rappelé  qu'en  sarde  logoudorien 
le  g  initial  se  change  en  é  et  le  g  médial  disparaît,  phénomène,  dit-il,  qui  à  lui 
seul  suffirait  à  rendre  bien  douteuse  l'antiquité  de  la  prononciation  logoudorienne 
chc,  ghe,  il  ajoute  :  «  E  altri  argomenti,  non  meno  poderosi,  concorrono  a 
togliere  ogni  prestigio  di  anzianità  a  codeste  pronuncie,  e  a  provare  che  d'altro 
non  si  tratti  se  non  di  una  alterazione,  relativamente  moderna,  di  c  e  g  di  fase 
anteriore,  alterazione  specifica  del  logudorese,  che  rifugge  constantemente  dalle 
esplosive  palatine^  come  dalle  fricative  palato-linguali.  Mi  limiterô  a  qui  aggiun- 
gere  due  soli  di  questi  argomenti.  Dato  un  g  antico  (sardoo  italiano)da  /  latino, 
questo  g,  che  non  a  dunque  alcun  fondamento  etimologico  di  suono  gutturale, 
passa  ugualmente  in  gutturale  equindi  in  labiale  logudorese,  come  se  si  traitasse 
di  g  latino  ;  p.  e.  :  bemnarzu  (merid.  gennargu)  jenuario-,  jnenuarius,  bettare 
e-jectare  (cf.  merid.  ghettar)  gettare.  E  dato  ancora  uno  sc  =  STS,  ricadiamo  a 
sk  logudorese  :  posca  "poscid  (postea),  cosi  come  fûsca  fascia...  Lo  z:  =  CI 
anche  pu5^  come  ogni  altro  zz  di  fase  anteriore,  degenerare  in  tt  :  aUa=  merid. 
azza)  acies  (filo,  taglio),  erittu  ericius  ;  lazzu  (/^rm  nel  distr.  di  Marghine)  laccio. 
Ma  pur  qui  l'estesissimo  facca  (l'ant.  logud.,  dallo  schietto  facie-,  e  perciô  non 
sentendo  lo  C/,  ha  faghc  ;  cf.  calchc  calcio).))  Si  de  ces  exemples  le  premier  {j  =  b) 
n'est  pas  convaincant,  des  formes  comme  posca  =  poslca  pourraient  peut-être 
inspirer  le  soupçon  sur  l'antiquité  de  la  palatale  logoud.,  et  les  exemples  tels  que 
alla  semblent  montrer  que  la  gutturale  peut  s'assibiler.  On  pourrait  vouloir  tirer 
un  argument  du  patois  poitevin,  qui  présente  des  formes  telles  que  quiclU 
ceux-là,  quidk  celle,  quiclqui  ceux-ci,  quicu  quio  ce,  ceci,  cela,  cet  (Kabre, 
gloss.  du  Poitou,  p.  Iviij;  Lalanne,  Gtoss.  du  pat.  poilcv.  p.  xxvii)-xxx, 
Romania,  III  2  J 


?86  COMPTES-RENDUS 

donne  des  formes  un  peu  différentes,  mais  de  même  caractère,  entre  autres 
pour  «,  cet:  tchiou  tiou  (juiou  ;  pour  celle:  tchielle  tielle  ejuielle  quaU;  pour 
celui-ci  :  quauquiqui  quieuquiqui  etc.).  M.  J.  voit  avec  raison  dans  quelques-unes 
de  ces  formes  {Errata,  p.  339)  des  exemples  de  la  substitution  du  r  au  k  palatal  : 
nous  avons  bien  ici  une  palatale  non  assibilée.  Mais  cette  palatale  n'est  pas 
primitive  :  elle  dérive  d'une  vélaire  latine;  car  ces  formes  remontent  à  un  type 
eccum  ille  etc.,  et  non  ecce  ille*.  Il  n'y  a  donc  pas  de  comparaison  à  faire  entre 
le  poitevin  et  le  sarde.  Quant  à  la  question  si  intéressante  des  gutturales  dans 
le  sarde  logoudorien,  elle  est  trop  difficile  et  trop  comple.\e  pour  être  abordée 
en  détail  ici,  et  nous  poursuivons  l'examen  du  livre. 

La  gutturale  palatale  c  (kj)  passe  à  c  (tch)  en  italien,  dans  le  roumain  du 
Nord,  dans  le  roumanche  (qui  au  milieu  des  mots  réduit  souvent  c  à  s),  et  quel- 
quefois dans  l'espagnol  et  le  portugais  (spécialement  suffixes  en  ceus).  Quand  la 
gutturale  change  de  nature  avec  la  voyelle  de  flexion  dans  la  déclinaison  et  la 
conjugaison,  elle  subit  en  roum.  et  en  ital.  des  traitements  divers  (soit  k,  soit  c)  que 
l'auteur  analyse  avec  soin.  Dans  quelques  dialectes  italiens,  elle  devient  parfois 
g\  la  plupart  des  exemples  cités  (7  sur  12)  ont  le  g  médial,  ce  qui  dès  lors  nous 
explique  un  peu  ce  changement.  Dans  le  roumanche  de  l'Inn  et  la  Suisse  ro- 
mande, elle  devient  5,  et  de  même  en  roumain  dans  les  suffixes  aceus,  iceus,  uceus. 
On  ne  trouve  pas  de  trace  réelle  du  changement  du  c  palatal  en  5  dans  le  fran- 
çais ;  les  exemples  tels  que  chercher,  chevêche,  chicorée  sont  des  exceptions  récentes; 
pouliche,  ranche  sont  normands  ou  picards  ;  brcteche  gallesche  revéche  etc.  ont  en 
réalité  une  vélaire,  ca  ;  bamboche  bravache  etc.  sont  italiens  ;  chiche  seul  présente 
une  difficulté  réelle.  Toute  cette  discussion  est  très-bonne.  Enfin  c  médial  devient  z 
(j  français)  dans  le  ladin  de  l'Engaddine  et  du  Tyrol,  dans  quelques  dialectes 
du  nord  de  l'Italie,  soit,  dit  l'auteur,  que  c  devienne  g  puisf,  soit  qu'il  devienne 
c,  s,  z  ;  soit,  ajouterons-nous,  qu'il  donne  js  (comme  dans  plaisir),  puis  jsj 
(plaisjir),  et  finalement  plejir  (plcji  aux  environs  de  Metz;  cf.  majon  z=  maison 
qui  prouve  que  le  développement  du  j  dans  plcji  est  postérieur). 

Après  les  changements  de  c  en  c,  s,  g,  z,  viennent  ceux  en  ts,  dz.  On  les 
retrouve  dans  le  roumain  du  sud,  quelquefois  dans  celui  du  nord,  et  aussi  dans 
le  ladin  du  Tyrol  et  du  Frioul,  dans  le  sarde  logoud.  (à  côté  des  exemples  de  la 
conservation  apparente  de  la  gutturale  latine),  et  çà  et  là  dans  quelques  dialectes 
italiens.  Le  suffixe  c(U5  a  été  décidément  traité  par  l'ital.  comme  ^U5  ;  il  est 
devenu  zzo.  En  efîet  l'ital.  change  régulièrement  ti  +  voyelle  en  zz  ou  zzi^  (M.  J. 


1.  Page  177,  M.  J.  rapporte  à  tort  au  lat.  ccce  illa,  etc.,  les  formes  poitevines  <?u/>//«, 
quiou,  dont  il  fait  dériver  d'autres  formes  du  même  dialecte  :  tchelle,  tchou.  Ces  der- 
nières viennent  de  ecce  illa,  ecce  hoc,  et  non  de  eccum  illa,  etc.  Il  y  a  une  confusion 
dans  ce  passage. 

2.  Ti  devient  aussi  gi  dans  palagio,  ragione,  etc.  Voir  p.  9 (,.96.  Ces  formes  sont-elles 
des  affaiblissements  de  c,  de  telle  sorte  que  ti  en  italien  serait  devenu  zz''i)  ou  c?  Les  mots 
magione,  cagione  semblent  prouver  le  contraire  ;  on  a  dans  palagio  un  affaiblissement  nor- 
mal de  ti  médial  en  zi,  puis  le  i  se  palatalise,  zj  d'où  gi  ;  de  même  dans  masionem, 
occasionem,  si  =  sj  —  j  qui  devient  g  comme  dans  jaccre  =  giacere.  En  tout  cas, 
quelque  explication  que  l'on  donne  de  l'origine  de  ce  g  —  ti,  on  est  forcé  d'admettre 
que  le  développement  de  ti  a  dû  être  ici  différent  de  celui  de  ci  ;  c'est  bien  aussi  l'avis 
de  M.  J.  ;  mais  on  serait  curieux  de  savoir  en  quoi  consistaient  ces  différences  et  quelles 
en  étaient  les  causes. 


JORET,  du  c  dans  les  langues  romanes  387 

n'examine  pas  la  question  de  la  présence  ou  de  l'absence  de  Vi)  '.  L'assibilation 
de  la  gutturale  est  générale  dans  les  idiomes  de  l'ouest.  Dès  le  X^  siècle  le  fr.  a 
changé  c  en  ts  ou  ds.  Initial,  il  devient  s  dans  quelques  rares  exemples  au  XIII', 
généralement  au  XIV>-%  quoique  l'orthographe  garde  la  lettre  c.  Médial,  il 
devient  s  sourde  (représentée  par  c,  par  5  ou  par  ss)  dans  un  certain  nombre  de 
mots,  tandis  que  dans  d'autres  il  devient  s  sonore.  Dans  quels  cas  a-t-on  la 
sourde.?  dans  quels  cas  la  sonore?  et  pourquoi  l'une  plutôt  que  l'autre?  M.  J. 
ne  pose  pas  la  question,  se  contentant  de  donner  des  exemples  des  deux  sortes 
de  changement.  Cette  question  cependant  vaut  la  peine  d'être  examinée;  car 
elle  pénètre  au  cœur  même  de  la  théorie  de  la  gutturale.  Et  d'abord  comment 
naissent  des  formes  comme  plaisir,  etc.?  Faut-il  admettre  la  série  plagere 
plagjere  plajgjere  plnjdjere  plajzir  plaisir,  de  sorte  que  la  silflante  dès 
l'origine  serait  sonore  ?  Alors  il  en  serait  de  même  de  pacem  =  pais.  Contre 
cette  hypothèse  on  peut  objecter  que  \'s  de  pacem,  voccm  a  dii  être  au  XI'=  siècle 
une  sourde,  témoin  l'anglais  pitch  partrich  (arch.)  peace  voice  et  les  rares  nota- 
tions de  l'ancien  français  par  c2;  d'un  autre  côté  plagere  aurait  donné  plair  tout 
comme  regina  a  donné  reinc^  magistrum  maistre.  Faut-il  admettre  la  série  placere 
placjere  plajcjere  plajcere  plaitzir  plaizir?  pourquoi  alors  la  sourde  ne  se  serait- 
elle  pas  maintenue  comme  elle  se  maintient  dans  ericionem  hérisson,  aciarium 
acier?  Voilà  une  première  question  à  étudier.  En  second  lieu,  pourquoi  rationem 
et  les  analogues  sont-ils  traités  comme  placere,  tandis  que  platea,  spatium  donnent 
place,  espace  avec  la  sourde  f?  y  a-t-il  là  une  action  de  l'accent  tonique?  D'un 
autre  côté,  rationem  pour  devenir  raison  passe-t-il  par  des  séries  de  même 
nature  que  placere  (ratjonc  rajtjon  rajtzon  raiçon  raison  ou  rationem  radionem 
radjonrajdjonrajdzon  raizon,  ce  qui  est  bien  plus  invraisemblable,  dj  devenant 
régulièrement  /j?Une  troisième  question  se  pose  encore:  pourquoi  la  consonne 
médiale  donne-t-elle  dans  les  noms  la  sifflante  sourde  {hérisson,  hameçon,  acier,  sous- 
peçon,  etc.),  tandis  que  dans  la  conjugaison  nous  avons  la  sourde  et  la  sonore, 
^ae  je  fasse,  que  nous  fassions;  que  je  place  {placeam),  que  nous  plaisions,  que  je 
taise  ou  que  je  lace,  que  nous  taisions?  quelle  est  dans  cette  conjugaison  la  forme 
primitive,  et  jusqu'à  quel  point  celle-ci  a-t-elle  été  altérée  par  l'analogie  ?  Voilà 
autant  de  questions  qu'il  fallait  élucider,  et  qui  traitées  avec  précision  et  méthode 
auraient  peut-être  amené  à  la  découverte  d'une  chronologie  relative  dans  les 
traitements  divers  de  la  gutturale.  M.  J.  les  a  négligées,  se  contentant  d'établir 
cette  diversité  de  traitement  ;  c'est  là  une  regrettable  lacune  dont  les  consé- 
quences naturelles  se  font  sentir  dans  tout  ce  chapitre,  puisque  la  théorie  de  la 


1.  si  l'on  considère  des  formes  telles  que  giustizia  et  giustezza,  vizio  et  vezzo,  on  se 
persuadera  que  les  mots  qui  ont  i  sont  d'origine  savante.  Le  caractère  de  formation 
savante  est  visible  dans  astazia.  pozionc,  dazione,  dominazionc,  escalazione,  abitazione. 
nazione,  riformaztone,  pigrizia.  Les  mots  en  z  ou  zz  sans  /  ont  dans  leur  physionomie 
quelque  chose  de  plus  populaire  :  atzare,  debolezza,  marzo,  piazza,  etc.  C'est  du  reste 
l'opinion  de  Diez,  11  364. 

2.  Voir  les  exemples  dans  l'ouvrage  de  M.  J.  qui  a  pris  soin  de  les  réunir,  sans  cher- 
cher à  en  examiner  la  valeur  exacte  (p.  124).  —  Dans  onze,  douze,  etc.,  la  sonore  est 
peut-être  due  à  l'action  assimilatrice  du  d  {undcci,  und'çi,  ond'ze)  qui  devait  plutôt 
attirer  à  lui  le  c  que  de  se  laisser  changer  en  t  à  son  contact,  parce  que  la  pensée  popu- 
laire reconnaissait  toujours,  sous  ses  altérations  successives  ,  dans  deci  le  simple 
decem. 


}88  COMPTES-RENDUS 

palatale  médiale  et  finale,  à  part  la  présence  de  \'i  parasite  propre  au  français, 
est  à  peu  de  chose  près  la  môme  dans  les  divers  idiomes  romans.  —  Pour  le 
provençal,  le  changement  de  la  palatale  initiale  en  s  sourde  est  régulier;  et  à 
l'encontre  du  français  qui  n'a  remplacé  le  c  par  s  que  dans  quelques  rares 
exemples,  il  emploie  indifféremment  les  deux  lettres  au  commencement  des  mots. 
Le  c  médial  devient  i  sourde  ou  sonore.  M.  J.,  après  un  examenattentif  des  textes 
et  aidé  par  la  comparaison  du  français,  dresse  des  listes  des  mots  où  le  prov. 
maintient  la  sourde  (notée  souvent  après  une  consonne  par  ss  :  balanssa,  \'s 
simple  risquant  dêtre  prise  pour  une  sonore),  de  ceux  où  il  maintient  la  sonore, 
de  ceux  enfin  où  la  sonore  et  la  sourde  paraissent  employées  indifféremment. 
Même  travail  pour  la  médiale  des  dialectes  italiens  et  ladins.  Ce  ne  sont  que  des 
matériaux,  recueillis  du  reste  avec  soin  et  patience,  pour  une  théorie  générale  de 
la  palatale  médiale.  Son  double  cfiangement  en  sourde  et  en  sonore  dans  les 
diverses  langues  romanes  est  désormais  hors  de  doute.  Mais  quelle  est  la  cause 
qui  détermine  ici  la  présence  de  la  sourde,  là  celle  de  la  sonore?  —  Les  chapitres 
suivants,  consacrés  au  changement  du  c  palatal  en  0  o,  sont  les  plus  intéressants 
du  livre;  ils  apportent  à  la  philologie  romane  des  faits  nouveaux.  L'espagnol  ne 
connaît  pas  en  général  de  sifflante  sonore.  Etait-il  à  ce  point  de  vue  un  héritier 
direct  du  latin  qui  passe  pour  avoir  prononcé  Vs  toujours  sourde.?  Un  examen 
minutieux  des  anciens  documents  de  la  littérature  espagnole  a  permis  à  M.J.  d'établir 
d'une  manière  indubitable  que  la  langue  distinguait  autrefois  lessourdes  des  sonores. 
Un  examen  semblable  fait  avec  le  même  soin  sur  les  textes  portugais  conduit  à  des 
résultats  analogues  :  mais  tandis  que  le  portugais  jusqu'à  ce  jour  est  resté  fidèle  à 
cette  division  de  la  palatale  assibilée  en  sourde  et  en  sonore,  l'espagnol  moderne, 
comme  M.  J.  le  prouve  par  le  témoignage  des  grammairiens,  après  avoir  changé 
vers  le  XVI"  siècle  f  et  z  en  8  {th  anglais  sourd)  et  en  S  [th  anglais  sonore)*, 
réduisit  bientôt  le  son  S  au  son  6,  de  telle  sorte  qu'en  plein  XVI"^  siècle  déjà  les 
deux  palatales  assibilées  f  et  z  se  confondirent  dans  un  son  unique  th.  Les  résul- 
tats auxquels  est  amené  M.  J.  ne  sont  pas  infirmés  par  un  texte  espagnol  que  j'ai 
entre  les  mains  et  qui  montre  clairement  que  le  ç  est  encore  différent  du  z  et 
que  le  premier  n'a  ni  le  son  ts,  ni  le  son  s.  C'est  l'ouvrage  de  Mose  Almosnino  : 
Regimiento  de  la  Vida,  imprimé  à  Salonique  en  1 564  en  caractères  hébreux.  Les 
différents  signes  employés  pour  représenter  les  sifflantes  sont  les  suivants  :  le  sin 
(s  sourde)  remplace  toujours  \'s  espagnole;  le  samech  (autre  sorte  à's  sourde, 
légèrement  aspirée)  désigne  toujours  le  f  ;  le  zaïn  enfin  (sonore  =  dz  ou  z) 
est  toujours  pour  z.  On  n'y  voit  nulle  part  le  çadi  {ts).  Donc  pour  l'auteur  de 
cet  ouvrage  ou  pour  celui  qui  l'a  transcrit  (car  j'ignore  si  le  livre  a  été  écrit  par 
l'auteur  en  caractères  hébreux),  le  f  sonnait  autrement  quele  z,  que  l'i  et  n'avait 
pas  le  son  ts.  M.  J.  termine  le  chapitre  en  nous  montrant  une  assibilation  ana- 

I.  Comment  a  eu  lieu  le  passage  de  f  à  9  et  de  z  à  5  ''  M.  J.  ne  dit  pas  clairement  si 
f  sonnait  comme  s  forte  et  si  z  sonnait  comme  s  douce  avant  de  devenir  l'un  6,  l'autre  ô; 
de  telle  sorte  que  la  série  des  changements  aurait  été  ts,  s  (forte),  6  ;  ds.  s  (douce),  5. 
A  priori,  une  pareille  série  est  inadmissible,  car  il  n'y  a  pas  de  raison  pour  que  Vs  éty- 
mologique ne  fût  pas  devenue  Ô,  et  que  rosa  n'eût  pas  donné  roça.  Le  ts  et  le  dz  se 
sont  donc  maintenus  intacts  —  contrairement  à  ce  qui  s'est  pas.sé  dans  les  autres  langues 
romanes  —  jusqu'au  xvi''  siècle,  époque  où  ils  sont  devenus  9  et  5  et  finalement  9.  Le 
témoignage  des  grammairiens  espagnols  confirme  cette  manière  de  voir. 


JORET,  du  c  dans  les  langues  romanes  ^89 

logue  à  celle  de  l'espagnol  dans  des  dialectes  de  la  Suisse  romande,  du  Tyrol, 
de  la  Vénétie  et  de  l'Italie.  On  se  demande  si  poussant  à  l'extrême  ces  transfor- 
mations, quelques-uns  de  ces  dialectes  n'aboutissent  pas  régulièrement  à  /  ou  à 
V?  Plus  loin  M.  J.  nous  donne  quelques  exemples  de  ce  changement  pour  le  c 
vélaire  (v.  212)  et  un  ou  deux  pour  le  c  palatal.  Rien  que  de  naturel  dans  cette 
dernière  transformation  de  la  gutturale.  —  Dans  le  chap.  VIII,  l'auteur  donne 
des  exemples  d'assibilation  du  c  devant  une  atone  £,  /  qui  tombe  ensuite.  Dans 
ce  cas,  chose  curieuse  et  inexpliquée,  la  palatale  devient  partout,  même  en  ita- 
lien, s.  L'on  a  de  nombreux  exemples  '  de  ce  changement,  qui  prouve  que  la 
voyelle  atone  s'est  maintenue  —  même  en  provençal  et  en  français  —  après 
l'époque  où  la  gutturale  s'est  transformée,  ce  qu'établissaient  d'ailleurs  les  formes 
telles  que  pais,  croix  =  pacem,  cruccm,  etc.  Après  quelques  exemples  douteux  de 
la  chute  du  c  palatal,  l'auteur  dit  un  mot  du  développement  d'un  /  parasite 
dans  le  voisinage  de  la  palatale.  Quelques  exemples,  ce  n'est  vraiment  pas  assez 
sur  une  question  aussi  obscure,  et  de  telle  importance.  —  Le  dernier  chapitre 
du  livre  II  est  consacré  au  changement  de  la  palatale  en  labiale.  Tantôt  l'on 
voit  un  V  qui  suit  la  gutturale  se  transformer  en  consonne  aux  dépens  de  celle-ci 
et  la  supplanter  :  aijua  devient  en  val.  eape  ;  antiquus  antif  en  fr.  etc.;  cela  n'offre 
rien  d'étrange.  Tantôt  on  voit  la  gutturale  simple  se  changer  en  labiale  comme 
dans  le  sarde  logoudorien  :  cattum  =  battu  ;  colligere  =  boddire  ;  cultcllum  = 
bulteddu]  cela  est  plus  bizarre.  Pour  expliquer  ce  changement,  M.  J.  adopte  la 
théorie  de  M.  Ascoli,  d'après  laquelle  la  gutturale  a  le  pouvoir  de  dégager  un 
i  ou  un  u  parasite.  De  la  sorte  cattum  deviendrait  kuattum,  kvattu,  gbattu,  battu. 
Cette  théorie  nous  paraît  loin  d'être  démontrée,  et  vraie  en  ce  qui  concerne  Vi 
palatal,  elle  est  fausse  pour  Vu.  Je  ne  veux  ni  ne  pourrais  discuter  la  théorie  de 
M.  Ascoli  dans  son  ensemble  ;  je  ferai  remarquer  seulement  que  la  preuve  qu'il 
doit  considérer  comme  la  plus  solide,  celle  qu'il  tire  du  sarde  logoudorien,  lui 
échappe  et  se  retourne  contre  son  système.  L'examen  attentif  des  formes  sardes 
le  force  à  admettre  {Leç.  de  Phonol.  §  27)  non  la  série  g,  gv,  gb,  b,  mais  la 
série  g,  gv,  v,  b,  car  des  formes  comme  urteddu  et  ula,  doublets  de  burtcddu, 
bula,  ne  pourraient,  dans  le  système  de  l'illustre  professeur  de  Milan,  s'expliquer  que 
par  vurteddu,  vula.  Or  il  est  clair  que  dans  urteddu  et  ula  il  y  a  purement  et 
simplement  chute  de  la  vélaire.  Si  l'on  rapproche  d'un  côté  les  exemples  analogues 
umpare  =  cumparc,  umflare  =  cumflarc,  de  l'autre  les  formes  telles  que  bandu  = 
ando^  bcssire  =  essire,  etc. ,  on  se  convaincra  qu'on  se  trouve  ici  en  présence  de 
deux  phénomènes  distincts,  et  que  le  sarde,  pas  plus  que  les  autres  langues 
latines,  n'échappe  à  cette  loi  de  la  phonétique  romane  que  la  gutturale  latine  ne 
dégage  jamais  aucun  u  parasite,  et  qu'au  contraire  elle  tend  à  supprimer  les  u 
étymologiques  qui  suivent  le  (j  latin  ou  le  g  d'origine  germanique.  Nous  croyons 
donc  que  M.  J.  doit  effacer  tout  ce  qu'il  a  écrit  touchant  le  changement  de  c  ou 
g  tn  b  dans  le  sarde  logoudorien  2. 


1.  J'ajouterai  à  la  liste  de  M.  J.  rezar  (esp.  =:  recitare),  cidre {sisdre  —  sicera),  rance, 
coussin  {culcitinus,  *culstin,  *cultsin),  chevalst  (subjonctif  de  chevalchier),  commenst  {sub]. 
de  commencier),  beneistre  {benedicere),  flasque  (flaccidus^)  ,  moite  (mucidus^),  onze, 
douze,  etc. 

2.  M.  J.  ne  donne  qu'un  exemple  des  formes  intermédiaires  par  lesquelles  aurait  passé 


390  COMPTF.S-RENDUS 

M.  J.  cite  encore  des  formes  wallonnes  comme  exemples  du  changement  de  la 
gutturale  en  labiale,  an'dc  de  acucula  (acucla  acuilU  acua  aU/veie  awde), 
awc  de  avka  (avca,  acva,  ave,  awe).  Les  transformations  ainsi  données  sont  pure- 
ment hypothétiques.  Pour  auca  en  particulier,  comment  peut-on  admettre  qu'il 
soit  devenu  acva  ?  Les  mots  comme  aswagi  —  v.  fr.  asoager,  bawi  =  bayer, 
brôwctcr  =  =  ébrouer,  et  même  anous  à  côté  de  aous  —  *agustum  Caoût),  aweure  = 
heur  Cagurium),  où  \'u  latin  s'est  maintenu  dans  ou  et  eu,  montrent  que  le  w  ne 
s'est  pas  dégagé  au  détriment  de  la  gutturale  :  awe  est  au-c-a  au-g-e  au-t 
awc.  Quant  à  awek,  le  m'  peut  bien  représenter  Vu  de  acuclam  (et  de  même  dans 
awion,  aculeonem),  mais  le  c  est  tombé  régulièrement  comme  toute  muette  médiale, 
et  ce  n'est  qu'après  sa  chute  que  Vu  est  devenu  u'. 

Quant  à  la  substitution  de  \'u  au  c  vélaire  et  palatal,  M.  J.  aux  exemples 
catalans  déjà  réunis  par  Diez  ajoute  un  certain  nombre  d'autres  exemples 
empruntés  au  portugais,  à  l'espagnol,  au  provençal,  au  français,  et  même  aux 
langues  germaniques.  A  ce  sujet  M.  J.  expose  diverses  hypothèses,  dont  aucune 
n'entraîne  la  conviction.  L'auteur  termine  enfin  son  second  livre  par  deux  pages 
consacrées  à  la  substitution  de  ^  à  la  gutturale  en  catalan  et  en  wallon  (il  éta- 
blit avec  raison  que  c'est  de  la  gutturale  assibilée  qu'est  sortie  l'aspirée'),  et  de 
n  k  c  dans  quelques  exemples  espagnols,  portugais,  provençaux,  français.  Ce 
sont  là  des  faits  obscurs  et  sans  doute  complexes,  où  la  nasale  a  pu  se  dégager 
de  la  gutturale,  mais  aussi,  comme  le  suppose  d'ailleurs  l'auteur,  être  une  simple 
nasalisation  de  la  voyelle  /  accentuée,  ou  peut-être  encore  être  due  à  l'influence 
d'une  nasale  antérieure. 

En  résumé,  le  second  livre  contient  une  analyse  approfondie  du  passage  de  la 
palatale  latine  au  roman  ;  un  tableau  minutieux  des  nombreuses  modifications 
qu'elle  a  subies  ;  l'histoire  —  entièrement  nouvelle  —  de  la  palatale  espagnole  ; 
des  listes  dressées  avec  soin  des  médiales  sourdes  et  sonores  ;  mais  les  rapports 
de  ti  à  ci  pourraient  être  étudiés  plus  à  fond,  et  surtout  la  théorie  de  la  pala- 
tale médiale  et  finale,  si  obscure  et  si  importante,  et  la  théorie  capitale  de  l'i 
parasite  n'ont  pas  été  abordées. 

Le  livre  troisième  est  consacré  à  la  transformation  de  la  vélaire  en  c,  c.-à-d. 
à  son  traitement  comme  palatale  en  français,  en  provençal  eten  ladin.  En  ladin  le  ca 
persiste  ou  devient  ca  suivant  les  dialectes  ;  dans  quelques  mots  la  gutturale  semble 
se  palataliser  devant  o  et  u,  mais  ces  voyelles  étaient  déjà  devenues  ô,  ie  ou  û,  i  et 
c'est  devant  ces  voyelles  palatales  que  c  est  devenu  c  ouc.  Mêmes  phénomènes  se 
produisent  dans  quelques  dialectes  français.  Pour  le  provençal ,  M.  J.  pré- 
tend que  le  limousin  change  le  plus  ordinairement  cj  en  cha,  qu'au  XII<=  siècle, 
dans  les  monuments  littéraires  —  peut-être  sous  l'influence  des  troubadours 
limousins  —  cha  se  substitue  généralement  à  ca,  et  qu'à   partir  du  XIII"  siècle, 


la  gutturale  :  c'est  le  mot  getiare  dont  le  sarde  présenterait  les  formes  ghetîare,  guettare, 
gvettare  et  bettare.  Cet  exemple  est-il  bien  sûr?  d'où  est-il  tiré  ?  M.  J.  ne  donne  aucune 
indication.  Il  serait  cependant  intéressant  d'établir  sans  conteste  l'existence  d'une  forme 
telle  que  gvettare. 

I .  Pourquoi  dit-il  en  note  que  Vh  se  substitue  aussi  aux  dentales  dans  le  catalan  pehar 
petiarc,  rafio  rationem  '.  Il  se  substitue  toujours  à  la  palatale  assibilée,  qu'elle  soit  sortie 
du  c  palatal  ou  de  ti.  Quant  au  portugais  cahir,  Vh  n'y  a  pas  plus  de  valeur  que  dans  le 
fr.  envahir. 


JORET,  du  c  dans  les  langues  romanes  391 

ca  disparait.  Pour  établir  ces  assertions,  M.  J.  se  fonde  surtout  sur  l'étude  de 
textes  publiés  par  Bartsch  dans  sa  chrestomathie  provençale  ;  mais  une  ques- 
tion se  posait  d'abord  :  l'orthographe  donnée  par  Bartsch  représente-t-elle  l'or- 
thographe des  auteurs  ou  celle  des  copistes  ?  Il  est  fâcheux  que  cette  question 
capitale  pour  l'objet  de  la  discussion  n'ait  pas  été  abordée».  Pour  le  français, 
l'auteur,  partant  du  mot  cose  des  Serments  de  Strasbourg,  pense  que  le  c  au 
IXe  siècle  pouvait  avoir  encore  soit  le  son  kj,  soit  peut-être  même  le  son  k,  \'o 
provenant  de  au  ayant  pu  conserver  longtemps  une  valeur  particulière,  différente 
de  \'o  étymologique,  de  manière  que  le  c  ait  pu  se  changer  en  c  devant  le  pre- 
mier, tandis  qu'il  a  persisté  dans  le  second.  Cette  argumentation  ne  nous  con- 
vainc pas.  Au  dès  le  VIII' siècle  est  déjà  noté  par  0.  Les  glosses  de  Reichenau  don- 
nent sor,  mot  qui  en  provençal  est  saur.  Si  donc  au  s'est  réduit  à  un  son  0, 
quelle  qu'en  soit  la  nature,  qu'il  soit  l'équivalent  de  ô,  de  0  ou  de  0  en  position, 
il  est  indubitable  que  dans  son  émission  on  ne  faisait  entendre  aucun  élément  du 
son  a  et  que  par  suite,  ne  contenant  rien  de  palatal,  il  ne  pouvait  plus  amener 
la  gutturale  à  se  transformer  en  c.  Il  faut  donc  admettre  que  non-seu- 
lement au  IX*  siècle,  mais  qu'au  VIII°  déjà,  à  l'époque  des  glosses  de 
Cassel  —  si  le  son  au  s'est  réduit  à  0  à  une  même  époque  par  tout  le 
domaine  de  la  langue  d'oïl  — la  gutturale  a  commencé  à  s'ébranler  et  est  devenue 
tout  au  moins/;/ 2.  Ce  raisonnement,  remarquons-le,  est  indépendant  de  la 
preuve  qu'on  peut  tirer  des  Serments.  La  seule  forme  sor  des  glosses  de  Reichenau 
rapprochée  des  mots  tels  que  chose,  choisir,  Choisy,  chose,  etc.,  suffit  à  établir 
d'une  manière  générale  et  quels  que  soient  les  témoignages  ultérieurs  que  —  si 
à  la  fin  du  VIII°  siècle  au  est  devenu  par  toute  la  langue  d'oïl  0  —  ca  à  la  même 
époque  était  déjà  devenu  kja.  Un  autre  argument  permet  d'établir  les  mêmes 
conclusions  générales  pour  le  X«  siècle.  A  cette  époque  en  effet  qu  dans  nombre 
de  mots  s'était  réduit  à  k,  témoin  les  notations  cal  pour  quai  dans  Boèce,  chi 
pour  chi  dans  Eulalie,  le  fragment  de  Valenciennes,  etc.,  alcans  pour  alquans 
dans  la  Passion  (123,  3).  Or  si  la  gutturale  de  vélaire  (^ua,  <7u/)  est  devenue 
palatale  {ka,  ki),  et  si  elle  n'est  pas  devenue  chuintante  comme  ca  ou  ke  l'est 
devenu  par  exemple  dans  chanter  (cantare),  chef  (caput),  il  faut  que  le  change- 
ment de  k  en  kj  soit  antérieur  à  la  chute  de  \'u  dans  le  groupe  (]u,  c'est-à-dire 
antérieur  au  moins  au  X'=  siècle'.   M.  J.   hésite  entre  diverses  hypothèses  sur 

1.  ;Une  telle  question  ne  devait  point  être  abordée  parce  qu'elle  est  d'avance  résolue 
pour  toute  personne  au  courant  des  études  provençales.  Il  est  évident  que  M.  Bartsch  ne 
pouvait  chercher  à  restituer  <■  l'orthographe  des  auteurs  »,  cette  orthographe  nous  étant 
dans  la  plupart  des  cas  à  peu  près  inconnue.  Ensuite,  à  supposer  que,  le  progrès  des 
études  aidant,  il  devienne  possible  de  restituer  avec  quelque  certitude  la  langue  d'un 
troubadour,  il  y  aurait  une  évidente  pétition  de  principe  à  puiser  des  caractères  de  dia- 
lectes dans  un  texte  constitué  par  la  critique.  C'est  uniquement  aux  chartes,  aux  cou- 
tumes, aux  registres  cadastraux,  enfin  aux  documents  locaux,  qu'il  faut  s'adresser  quand 
on  cherche  des  notions  sur  un  dialecte.  Ces  documents  sont  exirêmement  nombreux  pour 
le  midi  de  la  France,  et  beaucoup  ont  été  publiés  ;  M.  Jcret,  en  les  négligeant  absolument, 
s'est  condamné  d'avance  à  n'obtenir,  dans  les  parties  de  son  travail  qui  touchent  au 
provençal,  aucun  résultat  solide.  —  P.  M.1 

2.  Les  formes  avec  ca  des  glosses  de  Reichenau  et  de  Cassel,  entre  autres  la  forme 
keminada,  ne  prouvent  rien  contre  la  non  palatalisation  du  c,  puisque  le  cose  des  Serments 
et  A'Eulalie  prouve  que  le  kj  pouvait  être  noté  par  c. 

3.  Vraisemblablement  Vu  n'est  pas  tombé  à  une  même  époque  dans  tous  les  mots  pré- 
sentant le  groupe  qii.  Dans  quinque  il  est  tombé  avant  le  vi"  siècle,  époque  où  le  c  pala- 


^92  COMPTES-RENDUS 

l'état  du  groupe  ca  dans  Eulalic,   le   Fragment  de    Val.,    la    Passion    et    le 
S.  Léger.  L'étude  pure  et  simple  des  notations  orthographiques  de   la  gutturale 
dans  ces  divers  textes  ne  permet  pas  en  effet  d'arriver  à  des  conclusions  précises. 
A  l'aide  de  ces  considérations  générales,  on  peut  aller,  croyons-nous,  plus  loin, 
et  l'orthographe  cosc  d'Eulalte   permet  d'affirmer  que  causa  était  déjà  devenu 
kjose,  sinon  encore  tchosc  (car  la  gutturale  ne  devait  pas  être  transformée  en  tch, 
pour  être  représentée  encore  par  la  consonne  latine  pure  et  simple  c).   D'où  il 
suit  que  dans  cfiuit,  chicf  la  gutturale  était  déjà   palatalisée.  Le  jholl  du   Frag- 
ment de  Valenciennes,   notation   ingénieuse  et  très-claire  du  son  tcholt,  prouve 
que  dans   clicvc,  sèche,  cherté,  acheter  on  a   tout  ou   moins  un  k\  Le  causa  du 
S.  Léger  (35,  4)  montre  que  dans  ce  texte  habillé  à  la  provençale,  il  ne  faut  pas 
tenir  compte  de  la  notation  ca,  et  que  certainement  le  c  était  palatal.  M.  G. 
Paris,  frappé  de  l'orthographe  evcsquct,  queu,  admet  que  partout  dans  ce  texte 
la  gutturale  est  restée  intacte,   et  change  ainsi   le   mot  pechictz   de  la  strophe 
38  (v.  3)  en  pequiciz.  M.  J.,  peu  porté  à  admettre  l'opinion  de  M.  Paris,  hésite 
toutefois  et  n'ose  rien  affirmer.  Ces  scrupules,   d'après  ce  qu'on  vient  de  voir, 
ne  sont  pas  motivés.  D'ailleurs  la   forme  evcsquet  est  exacte  :  c'est  un  dérivé  de 
cvtsquc,  dérivé  où  la  gutturale  s'est  changée  postérieurement  en   ch  par  suite  de 
l'analogie  de  franc  franche,  duc  duché  etc.  Une  forme  primitive  eveschiet  evesché  de 
episcopatus  est  contraire  aux  lois  de  la  phonétique.  Quant  à  queu,  l'orthographe 
de  ce  mot  ne  représente  pas  assurément  l'orthographe  de  l'auteur,  qui  connaissait 
la  diphthongaison  de  1'^  après  la  gutturale  (témoin  la  'orme pechictz  et  les  assonances 
queu  picz  39,  1  ;  queu  talïcr  27,  i)et  qui  prononçait  tout  au  moins  kieu.  Le  scribe  a 
donc  de  parti  pris  altéré  la  forme  de  ce  mot  ;   puisqu'il  faut  admettre  une  alté- 
ration, il  ne  coûte  pas  plus  de  la  supposer  complète  et  de   lire  chieu.  Je  crois 
donc  qu'on  peut  admettre  que  dès  le  X«  siècle  ca  était  devenu  partout  kja  et 
peut-être  même  t'ja,  Icha,  sinon  dans  tous  les  mots,  du  moins  dans  quelques-uns. 
Cette  affection  de  la  gutturale  a  embrassé  tous  les  degrés  de  la  langue  offrant  le 
groupe  ca  ;  parmi  les  exceptions  que  cite  M.  J.,  je  ne  vois  que  cave  qui  semble 
avoir  réellement  échappé  à  cette  transformation,  et  le  verbe  archaïque  c/jdvfr  cAever 
{cavarc)  prouve  que  cave,  malgré  l'antiquité  des  exemples  où  on  le  voit  paraître, 
est  de  formation  savante.  —  Au  ch.  II,  l'auteur  examine  les   autres  traitements 
de  la  gutturale  {g,  z  ;  ts,  dz;  s,  z;  6,  8;  y).  L'on  3i  g,z  dans  quelques  exemples 
ladins,  français  et  provençaux  ;  parmi  ces  exemples  on  aurait  pu  retrancher  ceux 
où  le  c  n'est  pas  initial,  car  là  le  traitement  est  accidentel  et  est  une  conséquence 
de  l'affaiblissement  antérieur  deceng(v.  le  livre  deM.J.  p.  40).  Le  changement 
en  ts  est  plus  général  et  caractérise  certains  dialectes  prov.;  il  a  lieu  dans  tous  les 
cas  où  le  fr.  a  ch  ;  dans  quelques  mots  la  sourde  ts  a  fait  place  à  la  sonore  dz, 
et  quelques-uns  de  ces  dialectes  (Tarantaise,  Suisse  romande,  etc.)  ont  réduit 
ts  et  dz  à  s  et  z.  Le  savoyard,  au  lieu  de  ramener  le  ts  à  s,   l'a  changé  en  6,  et 
dans  les  mots  où  parait  la  sonore,  en  5  ;   et  même  ce  son  sifflant  s'est  réduit, 

tal  a  commencé  à  s'assibiler.  Dans  quisquunus,  quercinus,  il  est  tombé  après  le  vu' siècle, 
époque  où  l'assibilation  du  c  palatal  était  faite  et  avant  l'époque  où  le  fr.  palatalisait  ca 
ou  ^t',  kie  et  ce  qu'il  pouvait  avoir  de  ki  fseconde  partie  du  viii'  siècle  ?)  :  de  là 
chescun  chasciin,  chesne.  Enfin  dans  quai,  Vu  tombe  après  que  la  gutturale  a  achevé  ses 
transformations;  voilà  pourquoi  elle  reste  sans  changement:  quel  (  =  /ce/). 


JORET,  du  c  dans  les  langues  romanes  ^95 

chose  curieuse,  à  /  ou  v  dans  le  patois  de  la  Maurienne.  Enfin  dans  les  cas  où 
le  c  et  le  g  vélaires  sont  devenus  f  en  portugais,  ils  ont  pris  en  espagnol  le  son 
X,  de  même  que  le  x  (=  s).  Cette  transformation  correspond  à  celle  du  ts  et  du 
<fz  en  9  ;  dans  les  deux  cas,  la  sonore  s'est  confondue  avec  la  sourde.  L'auteur 
établit,  d'après  les  témoignages  d'anciens  grammairiens  espagnols,  que  la  jota 
ne  date  que  de  la  fin  du  XVI«  siècle,  et  peut-être  du  milieu  du  XVII«.  Comment 
ce  son  nouveau  a-t-il  pu  se  produire?  On  l'ignore.  Evidemment  j  et  g  durent 
avoir  le  son  i  ou  dz  et  x  le  son  ch  ou  tch,  puis,  la  sonore  disparaissant  au  profit 
de  la  sourde,  le  son  unique  ch  ou  tch  devint  ■/.  Mais,  chose  curieuse,  le  c  origi- 
naire de  et  {noche  de  noctcm,  etc.)  s'est  maintenu  intact,  et  cependant  il  devait  être 
voisin  de  \'x.  Dira-t-on  que  Vx  sonnait  cfî  et  que  le  /  et  le  g  sonnaient  f  ?  Ce  n'est 
pas  vraisemblable;  ces  sons  devaient  être  accompagnés  d'une  dentale.  En  effet 
dans  l'ouvrage  espagnol  dont  j'ai  déjà  parlé  plus  haut,  le  groupe  ch  est  repré- 
senté par  la  même  lettre  que  le  g,  le  /  et  l'x.  Partout  dans  le  Regimiento  la 
même  lettre  hébraïque,  gh  tilde  (lettre  à  laquelle  on  donne,  en  la  tildant,  une 
valeur  de  convention),  représente  le  /(par  ex.  dans  jornada),  le  g  {regimiento), 
l'x  (bajo  ou  baxo)  et  le  ch  {macho)  \  D'un  autre  côté,  M.  J.  cite  le  témoignage 
d'Engelmann  rapportant  que  les  sons  arabes  dsch  *  (=  dj)  et  sch  étaient  trans- 
crits en  1517,  par  Pedro  d'Alcala,  indifféremment  par  /  et  x. 

Le  ch.  III  est  le  plus  nouveau  et  le  plus  intéressant  de  l'ouvrage  ;  l'auteur  y 
étudie  les  transformations  du  c  vélaire  et  du  c  palatal  en  picard  et  en  normand. 
Il  commence  d'abord  par  examiner  les  textes  des  poètes  picards  qui  montrent 
tantôt  ca  et  cht  chï,  tantôt  cha  et  ce  ci,  vraisemblablement  suivant  que  les 
copistes  avaient  maintenu  ou  francisé  l'orthographe  picarde  '.  Les  chartes  de 
S.  Pierre  d'Aire  et  de  S.  Silvain  d'Auchy  en  Artois  qu'examine  ensuite  M.  J.  le 
conduisent  à  des  résultats  analogues,  mais  plus  précis.  A  peu  près  partout,  à 
l'exception  de  trois  mots  qui  présentent  encore  dans  les  patois  actuels  des  ano- 
malies (entre  autres  chevalier},  la  vélaire  s'est  maintenue  et  la  palatale  est  deve- 
nue ch  quand  en  français  elle  se  change  en  ç,  mais  elle  s'est  affaiblie  en  sonore 
dans  les  mêmes  mots  qu'en  français  :  damoisiclle,  maisieUe,  etc. 

Les  caractères  du  picard  étaient  parfaitement  déterminés  avant  le  travail  de 
M.  J.  ;  il  n'en  est  pas  de  même  de  ceux  du  normand.  M.  Paris  dans  sa  restitu- 
tion de  y  Alexis  avait  admis  que  le  traitement  de  la  gutturale  était  celui  du  fran- 
çais. M.  Ed.  Mail,  dans  sa  récente  édition  du  Compiit  de  Ph.  de  Thaon,  décla- 
rait que  la  phonétique  de  la  gutturale  normande  n'offrait  rien  de  particulier,  et 
substituait  au  k  des  manuscrits  le  ch  français.  A  M.  J.  revient  le  mérite  d'avoir 
le  premier  fixé  le  caractère  de  la  gutturale  normande  et  d'avoir   montré  que  le 

1.  Nulle  part  on  ne  trouve  le  heth,  qui  a  précisément  la  valeur  de  la  jota  actuelle, 
preuve  que  ce  son  n'existait  pas  encore.  Les  Juifs  de  la  Turquie  d'Europe,  descendants  des 
juifs  d'Espagne,  parlent  un  patois  qui  réprésente  dans  sa  plus  grande  partie  l'espagnol 
du  xvi'  siècle  :  il  ignore  la  jota. 

2.  Grossière  transcription  usitée  encore  quelquefois  chez  les  Allemands  pour  représenter 
le  djim  arabe  ;  c'est  en  français  dj. 

3.  M.  J.  cite  ici  un  glossaire  hébreu-français  publié  par  Bœhmer  dans  ses  Romanische 
Studien.  Il  le  croit  d'origine  anglo-normande  (voir  p.  291,  292  et  n.  i)  à  tort  :  il  est 
champenois  ou  bourguignon  :  la  persistance  de  la  vélaire  ne  prouve  rien  ;  le  tilde  qui 
devait  surmonter  le  koph  a  été  oublié,  chose  qui  n'est  pas  rare  dans  les  textes  de  ce 
genre. 


594  COMPTES-RENDUS 

traitement  en  est  identique  à  celui  de  la  gutturale  picarde.  Il  poursuit  sur  les 
divers  textes  normands  la  minutieuse  analyse  commencée  sur  les  textes  picards 
et  en  tire  des  conclusions  généralement  justes,  quoiqu'il  lui  arrive  aussi  de 
faire  entrer  en  ligne  de  compte  des  textes  normands  transcrits  par  des  scribes 
picards  :  ainsi  le  ms.  fr.  375  de  la  Bibl.  nat.  contenant  le  Roman  de  Rou,  qui 
sert  spécialement  à  l'auteur  pour  établir  sa  théorie,  et  sur  la  nature  duquel  la  seule 
notation  de  a  par  oi  —  signalée  par  M.  J.  lui-même  (p.  243)  — aurait  pu  suffire 
à  l'édifier.  Les  mots  anglais  importés  par  la  conquête  normande  —  mots  dont  il  faut 
distinguer  les  mots  empruntés  postérieurement  au  français  — viennent  également 
à  l'appui  de  sa  thèse  ;  ils  ont  gardé  la  vélaire  ca.  Les  noms  propres  des  rôles 
de  l'Echiquier  de  Normandie  ont  la  vélaire,  qu'ils  ont  gardée  jusqu'à  nos  jours. 
Les  Etudes  sur  la  condition  de  ta  classe  agricole  en  Normandie  de  M.  L.  Delisle  et 
les  Actes  normands  sous  Philippe  de  Valois  du  même  auteur  permettent  à  M.  J. 
d'arriver  à  des  conclusions  analogues.  Enfin  nombre  de  noms  de  lieux  encore 
existants  et  les  noms  communs  présentent  des  caractères  identiques  à  ceux  du 
picard.  M.  J.  a  mis  hors  de  doute  que  la  vélaire  normande  est  traitée  comme  la 
vélaire  picarde.  —  Quant  à  la  palatale,  les  preuves  de  sa  transformation  en  c 
sont  moins  nombreuses  que  pour  la  vélaire.  Mais  si  les  textes  primitifs  du  nor- 
mand, l'Alexis,  le  Roland,  etc.,  notent  la  palatale  forte  par  c  et  la  sonore  par 
s,  z,  il  n'y  a  là  rien  de  contraire  à  la  théorie  de  l'auteur.  Vs  et  le  z  représen- 
tent la  sonore,  qui  dans  toute  la  langue  d'oui  a  été  traitée  comme  dans  le  dialecte 
français.  Quant  à  c  il  peut  avoir  la  valeur  c,  comme  il  l'a  assurément  dans  les 
mots  sacct  {Alexis  50,  2),  reproce  {Roi.  2263),  etc.;  car  le  c  ici  ne  peut  représenter 
qu'un  ;;/,  pch,  ch.  Ce  n'est  qu'à  partir  du  XII"  siècle  que  paraît,  et  d'une  manière 
souvent  peu  régulière,  la  notation  ch  ;  mais  ce  n'est  qu'une  notation  nouvelle. 
Toutefois  les  chartes,  les  actes  publics  présentent  le  ch  avec  d'autant  plus  de  fré- 
quence qu'ils  sont  plus  populaires.  M.  J.  en  donne  de  nombreux  exemples  pour 
le  XVI*  et  le  XV"  siècle;  au  XVII',  des  auteurs  de  pièces  normandes  en  patois 
emploient  régulièrement  le  ch;  enfin  l'état  actuel  du  normand  montre  que  le  trai- 
tement de  la  palatale  est  identique  à  celui  de  la  palatale  picarde.  Les  noms  propres 
de  lieux,  quand  ils  désignaient  des  localités  quelque  peu  considérables,  ont  été 
généralement  francisés.  Mais  ceux  de  villages  se  sont  généralement  maintenus 
avec  la  palatale  ck;  de  même  pour  les  noms  de  personnes.  Quant  aux  mots  de  la 
langue  commune,  les  divers  patois  normands  ne  connaissent  que  le  ch.  Toute 
cette  discussion  est  très-bien  conduite,  et  c'est  assurément  la  partie  la  plus  neuve 
du  livre,  M.  J.  termine  cet  important  chapitre  par  quelques  remarques  sur  la 
palatale  sonore  en  picard  et  en  normand  (voir  plus  haut,  p.  393),  sur  la  notation 
ce  =  ke  pour  les  mots  où  elle  représente  un  ca  étymologique  (l'argument  tiré 
du  glossaire  hébreu-français  n'est  pas  sûr  puisque  l'origine  normande  de  ce  texte 
est  contestée),  enfin  sur  certaines  rimes  qu'on  rencontre  souvent  dans  des  textes 
picards  ou  normands  du  XIII"  siècle  où  un  c  palatal  rime  avec  un  c  vélaire  (ex. 
force  roce;  en  picard  et  normand  il  faudrait /orck  rokc,  en  fr.  force  roche)  :  l'au- 
teur ne  songe  pas  à  se  demander  s'il  n'y  aurait  pas  là  un  dialecte  mixte,  traitant 
la  vélaire  comme  le  français  et  la  palatale  comme  le  normand  et  le  picard  {forche 
roche  ')  ou  ce  qui  est  moins  vraisemblable  affaiblissant  la  vélaire  Ich  en  ts,  s  [force 

I.  Cf.  les  formes  telles  que  chanchon  {Roman  de  la  Violette,  124),  signalées  par  M.  J. 


JORET,  du  c  dans  les  langues  romanes  595 

rocc).  —  Le  livre  se  termine  par  des  remarques  générales  sur  le  traitement  de  la 
gutturale  en  normand  et  en  picard.  D'où  vient  cette  particularité  du  consonan- 
tisme  normand  et  picard?  Diez  supposait  une  influence  germanique  dans  le  chan- 
gement de  ca  en  cha;  M.  J.  est  porté  avec  plus  déraison,  ce  semble,  à  admettre 
l'hypothèse  inverse.  En  tout  cas,  quelle  que  soit  la  cause  de  la  persistance  de 
ca  dans  ces  deu.x  dialectes,  il  faut  admettre  qu'ils  représentent  une  étape  anté- 
rieure à  celle  du  français  :  celui-ci  change  ca  en  cha  et  ce  ci  en  se  si;  le  picard 
et  le  normand,  qui  gardent  ca,  s'arrêtent  à  che  chi  dans  la  transformation  de  ce 
ci;  delà  sorte,  le  son  ch  se  maintient  dans  les  trois  dialectes. —  Enfin  M.  J.,  reve- 
nant sur  l'histoire  du  normand,  donne  d'intéressants  détails  sur  les  vicissitudes 
qu'il  a  subies.  L'avènement  des  Plantagenets  au  trône  d'Angleterre  en  1 1 54  amena 
la  prédominance  du  dialecte  poitevin,  dont  le  vocalisme  est  normand,  mais  dont  le 
consonantisme  est  français.  En  1203,  la  réunion  de  la  Normandie  à  la  France  y 
introduisit  le  français.  De  là  les  efforts  divers  pour  ramener  la  prononciation  popu- 
laire à  la  prononciation  officielle  qu'on  constate  dans  les  textes  normands,  chartes 
aussi  bien  qu'écrits  littéraires.  Un  exemple  entre  autres  :  dans  le  compte  4  des 
Actes  normands  de  1329  on  lit  :  Nuef  Caste!  et  Arques;  dans  le  compte  74  de 
l'an  1337  :  Noef  Chaste!  et  Arches.  La  tentative  a  réussi  pour  le  premier  nom 
devenu  Neufchdte!,  m.ais  a  échoué  pour  le  second  resté  Arques.  Quant  au  picard, 
son  importance  littéraire  au  XIIP  siècle  l'avait  soustrait  en  grande  partie  durant 
le  moyen-âge  à  l'influence  prépondérante  du  français. 

Après  l'intéressante  étude  qui  fait  l'objet  du  troisième  livre,  l'auteur  arrive  à 
l'examen  des  divers  groupes  latins  ou  romans.  Il  est  nécessaire  de  s'arrêter  sur 
te  de  aticus,  dont  le  développement  offre  matière  à  discussion.  Suivant  M.  Ascoli, 
le  c  d'^?;cui  est  tombé  et  c'est  l'i  qui  s'est  transformé  en  chuintante.  A  cette  théo- 
rie M.  J.  objecte  que  l'atone  en  français  aurait  dû  disparaître  ;  ce  n'est  pas 
absolument  nécessaire:  l'atone  a  pu  vivre  assez  longtemps  pour  agir  sur  la  con- 
sonne précédente,  comme  elle  a  agi  dans  'amicitatem,  pacem,  etc.*  La  chute  du 
c  est-elle  tout-à-fait  exceptionnelle?  non  ;  elle  est  au  contraire  de  règle  devant  0  et 
u  (voir  plus  haut,  p.  383).  Il  ne  tombe  que  final,  et  alors  l'atone  qui  suit  disparaît 
en  même  temps  :  ami,  es  pi?  mais  l'atone  a  pu  disparaître  dans  ami,  es  pi  sans 
agir  sur  la  voyelle  précédente,  tandis  que  dans  la  forme  spéciale  tico,  digo,  la 
présence  d'un  ;  palatal  combiné  avec  une  dentale  a  pu  agir  sur  l'atone.  D'ail- 
leurs peut-on  rapprocher  un  paroxyton  tel  que  ^n'cui  d'un  oxyton  comme  am/a/^? 
Enfin,  dit  M.  J.,  la  gutturale  aurait  dij  se  changer  en  yod}  Non,  puisque  le  yod 
n'apparaît  que  devant  des  voyelles  palatales.  Aucune  des  objections  présentées 
par  M.  J.  ne  me  paraît  fondée,  et  la  théorie  de  M.  Ascoli  me  semble  aussi 
solide  et  ingénieuse  que  nécessaire.  En  efl^et,  M.  J.  ne  paraît  pas  avoir  vu  la 
dilficulté  que  présente  son  explication  de  ago  aggio  par  le  changement  de  alcus 
en  adgo  aggio.  Comment  la  vélaire  est-elle  devenue  palatale  ?  Les  formes  en 
ticare,  dicare  ne  présentent  pas  de  difficultés,  puisque  ca   et  ga  deviennent  régu- 


I.  L'auteur  pose  le  dilemme  suivant  :  protonique,  1'/  atone  doit  tomber  nécessairement; 
posttonique,  il  ne  pouvait  subsister  qu'en  venant  diphthonguer  la  voyelle  précédente 
comme  dans  testimoniiim  tcsmoin. —  Nous  n'avons  pas  un/  protonique  dans  rtf/Vuj,- et  cet 
(  n'a  pas  besoin  de  diphthonguer  la  voyelle  tonique  :  il  peut  devenir  consonne  comme 
dans  cavea  cavja  cage. 


596  COMPTES-RENDUS 

lièrement  chi,  gc  en  fr. ,  qu  ils  peuvent  devenir  cha,  ja  en  prov.  et  que  dans  les  autres 
langues  ils  restent  ca,  ga.  L'it.  gniggiarc  est  emprunté  au   provençal.  Escorchar 
(esp.  et  portug.)  est  aussi  un  emprunt  fait  au  français.  Quant  à  l'esp.  mege  et  au 
pg.  pejo  de  mcdicus  et  de  *  pedicus  (ei  non  '  pedica,  voir  Diez,  E.  W.  *,  IF,  b.  s, 
V.),  ils  rentrent  dans  la  série  de  <i/icui,  ainsi  que  le  fr.  ;7orc/i«,  prov.  et  lad.  prg«  de 
porticus,  toutes  formes  inexplicables  dans  l'hypothèse  du  changement  de  c  en  g 
ou  en  ch.  Or  admettons  que  aticus  soit  devenu  adigo  adio,  cet  adio  devient  aussi 
facilement  dj,  g  que  diurnus  jour.  On  ne  peut  objecter  que  ti  doit  donner  nais- 
sance à  une  sifflante;  car,  comme  d'ailleurs  le  remarque  fort  justement  M.  J., 
les  transformations  de  tic,  die  étant  plus  récentes  que  celles  du  suffixe  tius,  tia, 
tium  ont  pu  donner  un  autre  produit.  On  a  bien  ragione  de  ralionem,  palagio  de 
palatium.  Toutes  les  formes  s'expliquent  dès  lors  sans  difficulté  :  aggio,  âge  (fr.) 
âge  (esp.   de  ûjo,  aje),  agem,  atge  (prov.,   renforcement  de  adge;  cf.  jutge) 
medicus  ei  '  pedicus  deviennent  de  même  piège,  miége ,  ei  porticus  donne  portio, 
port  je,  porche;  quant  à  porge,  c'est   sans  doute  un   affaiblissement  dialectal  et 
récent  d'un  primitif  ;'orc/!e.  Il  n'est  pas  jusqu'aux   formes  savantes   a:go,  adego 
qui  ne  deviennent  parfaitement  lucides  dans   leur  formation.   Elles  datent  d'une 
époque  où  aticus  était  déjà  devenu  adjo,  ajo,  aje,  mais  où  la  langue  était  encore 
assez  voisine  du  latin  pour  qu'en   reprenant  aticus  on  lui  donnât  une  forme 
adego  plus  rapprochée  des  formes  populaires.    C'est  cet   adego   qui,   conservé 
dans  le  portugais,  subit  en  espagnol  les  transformations  ultérieures  de  la  phoné- 
tique de  la  langue  et  devient  adgo,  azgo.—he  groupe  le  est  purement  roman  selon 
M.  J.:  il  se  rencontre  cependant  dans  le  mot  latin  remulcum  remorque  et  dans  le  nom 
propre  Olca  (Oulche).— Le  groupe  rc  existe  aussi  en  latin:  circareeic.  Quant  au 
groupe  roman,  comme  l'atone  est  tombée  généralement  après  l'affaiblissement  de 
c  en   g   {carncarc,   carrigarc,   car-gar),   c'est  le  groupe  rg  qu'on  a  devant  soi. 
D'ailleurs  dans  ce  groupe  rg  la  gutturale,  suivant  une  liquide,  est  traitée  comme 
initiale  (cf.  plus  haut,  p.   381).  De  là  les  traitements  qu'elle  subit  et  qui  varient 
avec  la  nature  de  la  voyelle  qui  suit.  Lefr.  serge  vient  de  serica  et  non  de  sericum. 
Narguer  qui  est  irrégulier  est  sans  doute  provençal  ;  ce  mot  est  inconnu,  ce  me 
semble,  à  la  vieille  langue.  —  N'c  et  nd'c  sont  encore  romans  selon  M.  J.,  qui 
oublie  toutefois  vincere.  Il  est  vrai  que  p.  62,  n.  3,  il  indique  la  formation  de  ce 
mot  vincere,  vintrc  ;  ce  qu'il  en  dit   paraît  trop  insuffisant  pour  une  formation 
aussi  obscure.  M.  Paris  avait  déjà,  dans  son  édition  du  S.  Léger  [Remania,  I, 
307)  indiqué  la  succession  vcnc're,  vejn're,  veintrc;   mais  pourquoi  l'intercalation 
d'un  t  et  non  celle  d'un  d,  comme  dans  joindre  (jung're,  jojn're,  joindre)  et  les 
analogues .?  La  présence  d'une  dentale  forte  ou  sonore  est  donc  déterminée  par 
la  nature  de  la  gutturale,  ce  qui  ne  peut  s'expliquer  que  par  la   présence  simul- 
tanée de  la  gutturale  et  de  la  dentale  :  vincere,  vcnc're,   vendre  ;  jungcre,   jung're, 
jungdrc  ;  ce  qui  ramène  ces  formes  à  celles  de  sanctus,  punctum.   Il    nous  paraît 
évident  que  dans  cette  position  la  gutturale  se  palatalise,  soit  qu'elle  devienne  kj, 
g  avant  la  chute  de  Ye{venk'ere,  venk'tre;  jungcre  jungdrc),  sohqn'eWek  devienne 
devant  la  dentale  {venctre,  venk'tre;  jungdre,  jungdrc)*  ;  puis  la  gutturale  kj,  g, 
dégageant  devant  elle  un  yod,  comme  elle  en  a  dégagé  un  après  elle,  donne  les 

I .  Comme  dans  sanctus,  punctum,   etc.   Mais  pourquoi  la   gutturale  se  palatalise-t- 
elle  dans  cette  position  ? 


JORET,  du  c  dans  les  langues  romanes  397 

formes  vejnkjtre,  jojngjdrc  d'où  veintre,  joindre.  —  Sur  5c  initial  et  la  prothèse  d'un 
i  (plus  tard  e),  l'auteur  fait  observer  que  quelques  exemples  anciens  n'ont  point 
cet  ;;  il  oublie  d'ajouter  que  ces  mots  sont  précédés  d'une  voyelle  finale  qui 
rend  la  prosthèse  inutile  :  iius'i  ferma  spcranza  en  prov.,  une  spede  en  v.  fr.  C'est 
ce  qui  explique  la  chute  de  l'i  prothétique  en  ital.,  où  tous  les  mots  finissent 
par  une  voyelle,  hormis  quelques  particules  qui  veulent  après  elles  \'i{con  istesso, 
à  côté  de  lo  stesso).  Le  c  de  sca  (sco,  scu)  médiat  est  traité  comme  initial  ';  celui 
desce,  soi  subit  divers  changements  constatés  par  l'auteur,  qui  toutefois  aurait  pu 
remarquer  que  le  fr.  et  le  prov.  traitent  régulièrement  se  comme  es.  Mêmes 
observations  pour  se  final. —  Pour  el  initial  dont  les  transformations  sont  diverses 
suivant  les  idiomes,  M.  J.  cite  entre  autres  le  pg.  eh  (quelquefois  affaibli  en  /) 
et  qu'il  suppose  dérivé  de  kj  ;  je  ne  suis  pas  de  son  avis  ;  car  on  ne 
peut  séparer  ehaw.ar  de  ehào  ehama  où  eh  représente  pi  et  _/?.  Le  sicilien  de 
même  dit  seiuri.=  florem;  le  napol.  5cior^.  Les  diverses  modifications  de  el  média! 
(groupe  d'origine  romane,  le  plus  souvent;  sont  étudiées  avec  détail  ;  elles  don- 
nent lieu  à  des  remarques  intéressantes.  Dans  le  groupe  cr,  je  signale  l'explica- 
tion très-juste  des  formes  telles  que  faire,  formes  dont  M.  Ascoli  donne  une 
théorie  peu  plausible.  Les  modifications  de  es  ou  x  devenu  ss,  s,  y  (esp.),  is  ou  se  sont 
étudiées  avec  un  soin  qui  ne  laisse  rien  à  désirer.  Dans  le  dernier  chapitre, 
l'auteur  étudie  le  groupe  et,  dont  les  transformations  sont  complexes,  surtout 
quand  il  est  suivi  d'une  seule  voyelle  ou  d'une  consonne.  Alors  il  devient  tantôt 
tt  (ital.),  tantôt  it  (fr.  ;  comment  le  e  arrive-t-il  à  se  palatiser  et  à  devenir  c, 
jet,  jt'^),  tantôt  c  (prov.  ;  M.  J.  admet  les  transformations  jt,  tj,  teh  :  c'est 
peu  vraisemblable  ;  toutefois  je  ne  saurais  donner  d'explication  satisfaisante  de 
forme  comme /i2c/î),  tantôt  /,  affaiblissement  de  c  (lombard,  milanais),  tantôt 
ié  (esp.;  la  filière  serait  jt,  jtj,  jteh),  tantôt  pt  ou  ft  (roumain),  tantôt  ut  (quel- 
ques ex.  dans  le  pg.  et  l'esp.;  peut-être  simple  substitution  de  voyelles),  enfin  il 
peut  tomber,  comme  dans  le  groupe  net  (le  fr.  seul  le  conserve).  Le  groupe 
et  se  retrouve  en  roman  dans  placitum  que  M.  J.  a  raison  d'expliquer  par 
plac'tum  contre  M.  Ascoli  qui  y  voit  les  transformations  plagito,  plag{i)to,  playto. 
—  C'est  la  dernière  des  combinaisons  de  consonnes  où  entre  la  gutturale  c,  et 
l'étude  qu'en  fait  l'auteur  termine  et  le  quatrième  livre  et  son  travail  sur  la 
gutturale.  Pour  ce  quatrième  livre,  s'il  présente  quelques  lacunes  et  quelques 
théories  inexactes,  reconnaissons  qu'il  est  rempli  de  faits  nombreux  scrupuleuse- 
ment observés.  S'il  n'a  pas  l'intérêt  de  nouveauté  du  troisième  livre,  il  contient 
beaucoup  de  détails  curieux  et  intéressants. 

Résumons  maintenant  notre  jugement  sur  l'œuvre  de  M.  Joret.  Les  pages  qui 
précèdent  montrent  de  quelle  étendue  est  l'étude  de  la  gutturale  et  quels  pro- 
blèmes divers  elle  soulève.  C'était  une  vaste  tâche,  toute  limitée  qu'elle  paraisse, 
que  de  l'embrasser  tout  entière,  et  c'est  un   mérite  pour  l'auteur  d'avoir  mené 


I.  C'est  à  cette  formule  que  peuvent  se  ramener  les  explications  données  par  M.  Joret. 
Les  groupes  dont  le  premier  élément  est  s  sont  traités  comme  ceux  dont  le  premier  élément 
est  /,  r,  m,  n;  la  seconde  consonne  est  considérée  comme  initiale.  De  la  sorte,  la  loi  que 
j'ai  exposée  précédemment  peut  se  formuler  ainsi  :  dans  tout  groupe  de  deux  consonnes, 
dont  la  première  est  une  liquide  ou  la  spirante  j,  la  seconde  est  traitée  comme  initiale. 
Ajoutons  que  la  liquide  ou  la  spirante  est  traitée  comme  finale. 


398  COMPIES-RENDUS 

cette  tilche  à  bonne  fin.  Dans  une  conclusion,  il  récapitule  les  faits  nouveaux 
qu'il  a  mis  en  lumière  :  «  Les  transformations  générales  du  c  vélaire  en  g  et  en 
/of,  dit-il,  étaient  assez  bien  connues  ;  mais  on  avait  à  peine  abordé  ses  change- 
ments successifs  en  la  série  f,  c,  l  ;  is,  s,  z^  (i,  r,  ou  /  et  v,  dont  plusieurs  même 
étaient  complètement  ignorés.  Que  de  lacunes  aussi  présentait  l'histoire  des 
transformations  du  c  palatal  !  Le  point  de  dépari  en  était  controversé,  sa  double 
modification  en  spirantes  sourdes  et  sonores  à  peine  entrevue,  et  la  naissance  du 
son  0  et  rj  considérée  comme  ancienne,  alors  qu'elle  est  essentiellement  moderne. 
On  n'avait  pas  non  plus  rattaché  à  une  même  cause  les  transformations  du  c 
vélaire  et  du  c  palatal  en  chuintantes  et  en  spirantes  dentales,  ce  qui  permet 
d'en  expliquer  si  facilement  la  filiation....  On  trouvera  peut-être  aussi  que  j"ai  jeté 
quelque  lumière  sur  la  naissance  tardive  et  si  extraordinaire  de  la  spirante  guttu- 
rale en  espagnol.  Quant  aux  deux  dialectes,  le  picard  et  le  normand,  dans  lesquels 
j'ai  cru  devoir,  comme  complément  naturel,  sinon  nécessaire,  de  ces  recherches, 
étudier  le  traitement  des  gutturales,  si  les  caractères  du  premier  étaient  connus, 
ceux  du  second  avaient  été  à  peine  soupçonnés.  «  Nous  souscrivons  entièrement 
à  ces  paroles,  sauf  en  un  point  (la  théorie  du  changement  du  c  vélaire  en  yod). 
Voilà  les  faits  nouveaux  dont  M.  Joret  a  enrichi  la  philologie  romane,  et  si  on 
peut  reprocher  à  son  livre  dans  la  composition  la  division  artificielle  des  chapitres, 
dans  l'expression  une  certaine  obscurité  de  langage  qui  ne  permet  pas  toujours 
de  voir  nettement  la  pensée  de  l'auteur  ;  si  on  peut  y  signaler  des  lacunes  impor- 
tantes, notamment  sur  la  théorie  de  1'/  parasite,  de  la  médiale  sonore,  et  des 
erreurs  plus  ou  moins  graves,  nous  nous  empressons  de  le  reconnaître, 
l'ouvrage  est  neuf  en  divers  points.  L'auteur  n'a  pas  résolu  tout  le  problème  de 
la  gutturale  ;  il  l'a  du  moins  beaucoup  avancé.  Son  livre  fait  honneur  à  l'Ecole 
des  Hautes  Etudes. 

Arsène  Darmesteteu*. 


Ueber  das  Metrum  der  Chanson  de  Roland.  Inaugural-Dissertation...  von 
Franz  Hill.  Strasbourg,  1874,  '"-8%  36  p. 

M.  Hill  est  un  élève  de  M.  Bœhmer,  et  c'est  sur  son  conseil  et  sous  sa  direc- 
tion qu'il  a  fait  le  travail  dont  on  vient  de  lire  le  titre.  Ce  travail  est  soigné 
et  intelligent.  Après  avoir  résumé  les  règles  de  la  constitution  du  vers  dans  le 
Roland,  M.  H.  examine  en  particulier  deux  points:  l'élision  et  les  3*  pers.  en 
-et.  Pour  l'élision,  je  vois  que  M.  Bœhmer  admet  maintenant  mes  observations 
sur  les  erreurs  oili  il  était  tombé  en  ce  point  (voy.  Romania,  II,  106).  Pour  ce 
qui  concerne  ço  dans  des  vers  comme  296  Ço  est  Baldetrin  ço  dit  ki  est  prozdoem, 
à  côté  de  1310  Ço  est  Chernubles  e  li  quens  Margaris,  M.  H.  n'admet  ni  mon 
explication  {ço'st),  ni  celle  de  M.  Lœschhorn  (çoest),  ni  celle  de  M.  Gautier 
(c'est  en  élidant  Voj^.  Il  divise  ces  cas  en  deux  séries,  celle  où  ço  est  accentué  et 
celle  où  il  ne  l'est  pas  :  dans  la  seconde  (v.  296),  «  la  langue  employait  déjà  la 

1.  [Nous  ne  partageons  pas  sur  tous  les  points  l'opinion  de  M.  Darmesteter;  mais  le 
sujet  est  si  intéressant  et  si  complexe  que  nous  n'avons  pas  hésité  à  accueillir  un  article 
qui  témoigne  suffisamment  par  lui-même  de  la  compétence  et  de  l'attention  de  l'auteur. 
—  Réd.] 

1.  Voy.  Romania  11,  260. 


HiLL,  Ueber  das  Meirum  der  Chanson  de  Roland.  399 

forme  affaiblie  a  est  =  ccst.  tandis  que  ço  formait  hiatus  quand  il  était  accen- 
tué. ))  Sauf  l'immixtion  de  la  circonstance  de  l'accent,  cette  opinion  ne  diffère 
pas  beaucoup  de  celle  de  M.  Gautier,  car  il  me  paraît  difficile  de  dire  si  une 
voyelle  qui  ne  se  prononçait  pas  était  e  ou  0.  Mais  cette  distinction  même  semble 
peu  fondée  :  je  ne  vois  pas  entre  le  ço  des  vv.  296,  490,  786,  866,  et  le  ço  des 
vers  283,  354,  612,  nio,  une  différence  bien  sensible.  11  vaudrait  mieux 
admettre  pour  ço  ce  que  M.  H.  établit  pour/o,  à  savoir  que  \'o  pouvait  à  volonté 
s'élider  ou  recevoir  un  accent  plus  fort  et  devenir  capable  d'hiatus.  Mais  je  ne 
suis  pas  convaincu  par  ses  raisonnements  que  quand  ço  est  compte  pour  une  syl- 
labe il  ne  faille  pas  lire  ço'st.  La  faiblesse  de  Ve  initial  de  est  est  attestée  par  les 
formules  u'st,  ja'st,  ki'st,  que  cite  M.  H.  lui-même,  et  je  crois  que  dans  la  colli- 
sion de  est  avec  ço  Vo  de  ço  était  plus  solide'.  Je  ne  regarde  pas  non  plus 
comme  impossible  ço'rt  pour  ço  ert  au  v.  277.  Cette  question  et  celle  qui  se  pose 
pour  les  vv.  77  et  2568  ne  seront  complètement  résolues  que  par  des  rappro- 
chements avec  d'autres  poèmes,  où  la  divergence  des  notations  éclairera  sur  la 
vraie  nature  du  phénomène.  — Sur  l'élision  par  enclise^  M.  H.  me  donne  raison 
quand  je  refuse  à  M.  Gautier  le  droit  de  l'appliquer  après  une  consonne  (Rollanz 
m'  forfist  3758),  mais  il  ne  se  prononce  pas  sur  la  liberté  que  prend  M.  Bœhmer, 
et  que  je  n'approuve  pas  davantage  (Rom.,  II,  108)  de  l'opérer  après  un  e  fémi- 
nin (a  Charlemagne  l'rei  81  et  ailleurs). 

Pour  ce  qui  concerne  les  3"  personnes  du  sing.  en  -et  (fr.  mod.  -e)  je  disais 
l'an  dernier  (Rom.,  II,  105)  :  «  M.  Bœhmer  veut  que  le  t  des  3"  personnes 
sing.  en  -et  [chantet,  etc.),  n'ait  jamais  étéélidé;  d'autres  l'élident  toujours.  J'ai 
dit  ailleurs  (Alexis,  p.  34)  et  je  persiste  à  croire  que  le  Roland  emploie  les 
deux  prononciations.  C'est  un  pointa  étudier  de  près.  »  M.  Hill  a  voulu  faire  cette 
étude.  Il  arrive  aux  résultats  suivants  :  le  cas  oijunej^ps.  enet'^  se  trouve  devant 
une  voyelle  se  présente  dans  le  Roland  59  fois,  sur  lesquelles  l'élision  deT^alieu 
20  fois  et  n'a  pas  lieu  39  fois'  ;  il  regarde  les  formes  de  la  seconde  série  comme 
appartenant  au  poète  ;  celles  de  la  première  sont  le  fait  d'un  copiste  rajeunisseur. 
Il  n'en  donne  aucune  autre  raison  que  la  supériorité  numérique  des  formes  où  le 
t  est  nécessaire  à  la  mesure  et  l'invraisemblance  qu'il  y  aurait,  suivant  lui,  à  ce 
que  «  dès  le  XI'  siècle  une  hésitation  se  fût  produite  dans  l'emploi  de  ces 
formes.  «  Mais  ce  n'est  pas  le  seul  cas  où  le  Roland  montre  une  hésitation 
semblable  (ainsi  ai  assonant  en  a  et  en  è,  ireiz  et  irez,  respondiel  et  rcs pondit)  *. 
M.  H.  allègue,  il  est  vrai,  qu'on  peut  facilement  corriger  les  vingt  vers  où  le  t 
s'élide,  et  que  M.  Bœhmer  les  a  corrigés.  Mais  M.  Hofmann  a  corrigé  en  sens 
inverse  les  quarante  vers  où  le  t  ne  s'élide  pas,  et  les  autres  ne  se  laissent  pas 
ramener  aussi  facilement  que  le  croit  M.  H.  à  la  forme  qu'il  juge  seule  bonne  : 
la  plupart  du  temps  la  leçon  du   ms.  est  préférable  i  la   restitution ,  et  au 

1.  lien  est  de  même  de  IV  de  ester  (ço'ster  2741)  :  on  sait  que  cet  e  prothétique 
tombe  souvent  après  une  voyelle  accentuée  dans  nos  anciens  textes. 

2.  L'orthographe  e  pour  et  apparaît  aussi,  mais  rarement,  dans  le  poème  ;  M.  Hill  en 
donne  dix  exemples. 

3.  En  réalité  il  y  en  a  40  :  M.  H.  a  oublié  les  vv.  660  et  2856;  mais  il  a  compté 
deux  fois  le  v.  287s  (?9p,  1.  ?9?o). 

4.  Sur  la  destruction  progressive  du  t  de  -et  dans  les  deux  poèmes  de  Philippe  de 
Thaon,  voy.  les  intéressantes  observations  de  M.   Mail,    Compot,   p.  21,  8s . 


400  COMPTES-RENDUS 

V.  3 197,  De  bachclers  que  Charles  claimet  enfants,  M.  Bœhmer  ne  se  débarrasse  de 
l'élision  qu'en  adjugeant  au  français,  de  sa  propre  autorité,  le  mol  fant  qu'il  n'a 
jamais  possédé.  Je  crois  donc  qu'on  peut  s'en  tenir  à  ma  manière  de  voir,  et 
admettre  dans  le  Roland,  pour  ce  qui  concerne  ces  mots,  un  mélange  de  formes 
archaïques  et  néologiques.  Je  conviens  d'ailleurs  que  c'est  un  peu  une  affaire  de 
sentiment,  et  j'ajouterai  que  je  serais  plus  porté  en  tout  cas  à  suivre  le  système 
de  M.  Bœhmer  que  celui  de  M.  Hofmann  *. 

M.  Hill  propose  un  certain  nombre  de  corrections.  V.  608  La  trcisun  jurât  e 
si  s'en  est  forfait;  H.  Traïsun  juret;  je  lirais  plutôt  La  la  jurât;  un  premier  copiste 
aura  passé  un  des  deux  la  ;  puis  un  autre  aura  intercalé  traïsun.  — 
V.  3456  Mors  est  li  glu:  ki  en  dcstreit  vus  teneit,  3102  De  la  baleine  ki  en  sun 
cors  l'aveit  enz  ;  M.  H.  lit  avec  beaucoup  de  vraisemblance  ki'n;  mais  je  ne  puis 
approuver  qu'au  vers  382  Ne  mes  Reliant  ki  uncore  en  avrat  hunte  il  lise  ki'n 
uncore  :  la  syntaxe  s'y  oppose;  il  faut  au  moins  :  ki'n  avrat  uncor  hunte.  —  V. 
276  Qua  Marsiliun  me  portast  mun  message;  B.  Qui  a  Marsitie,  H.  Marsiliun; 
mais  Qui  est  nécessaire,  et  la  leçon  de  B.  est  la  bonne.  —  V.  550  Dist  li  sar- 
razins  :  merveille  en  ai  grant;  H.  Dist  Sarrazins  :  merveille  en  ai  par  grant,  cor- 
rection très-malheureuse,  car  //'  est  indispensable,  et  par  ne  se  place  pas  ainsi  ; 
I.  avec  G.  et  Hofmann  :  Dist  li  paicns  ;  et  au  second  hémistiche  soit  avec  G. 
merveille  en  ai  jo  grant,  soit  avec  Hofmann  merveilles  en  ai  granz.  —  V.  1879  En 
bataille  deit  tels  estre  forze  fiers;  H.  Cil  en  b.  deit  estre  f.  e  f.,  j'aimerais  mieux 
Tels  en  b.  —  V.  241  M.  H.  lit  U  par  ostage  vos  voelt  faire  en  soiir  ;  cette  cons- 
truction de  en,  quoique  rare,  est  admissible.  —  V.  416  £  dist  al  rei  :  salvez 
seiez  de  Mahum  ;  H.  salveteits  (sic)  de  Mahum  ;  G.  salvez  sciez  d'M.; 
Hofmann  et  Bœhmer  salz  seiez,  qui  paraît  meilleur,  bien  que  je  ne  connaisse 
pas  d'exemple  de  cette  locution.  —  V.  489  :  H.  des  dolurs  e  de  l'ire;  cf. 
Rom.  II,  99.  —  V.  517  Einz  demain  noit  en  iert  bêle  l'amendise;  B.  suppr.  en; 
H.  suppr.  /'  ;  mais  la  bonne  leçon  est  déjà  dans  la  2'  édition  de  G.  :  bêle  en  iert 
l'amendise.  —  V.  1701  Miclz  voeill  mûrir  que  hunte  nus  seit  retraite  ;  B.  que  h.  s. 
r.  ;  G.  que  hunte  m'  s.  r;  H.  traite;  mais  ce  mot  ne  convient  guère  au  sens  ;  je 
lirais  plutôt  avec  Hofmann  que  h.  en  seit  r.  —  V.  2135,  cf.  Rom.  II,  iio;  on 
peut  adopter  la  leçon  que  j'ai  proposée  ou  lire  avec  M.  H.  de  maie  art  pour  de 
maie  part.  —  V.  2450  Que  le  soleil  facet  pur  lui  arester  ;  B.  rester;  M.  H.  pro- 
pose Que  pur  lui  f.  le  s.  a.,  qui  va  bien  ;  mais  la  leçon  de  G*.,  Que  le  s.  p.  l. 
f.  a.,  est  bonne  aussi,  si  on  admet  l'élision  de  la  dernière  syllabe  àt  facet.  L'ob- 
jection que  M.  H.  fait  au  point  de  vue  de  la  césure  ne  me  paraît  pas  solide.  — 
V.  2793  Li  douze  per  que  Charles  aveit  tant  chiers;  B.  suppr.  tant;  M.  Hofmann 
lit  oui;  M.  Hill  lit  qu' aveit  Charles  ;  G.  ne  change  rien  :  il  n'y  a  en  réalité  que 
1*5  de  Charles  à  effacer,  ce  mot  se  déclinant  dans  notre  texte  aussi  bien  Charle 
Charlon  que  Charles  Charle.  —  V.  3409  Ben  le  conois  que  gueredun  vos  en  dei; 
B.  suppr.  en;  G^.  lit  avec  Hofmann  guerdun;  M.  H.  propose  qu'en  gueredun  ; 
c'est  une  syntaxe  inadmissible.  —  V.  448  Que  suis  mocrge;  B.  et  G.  Que  m. 
suis;  Hofm.   Que  suis  i  m.;  en  lisant  .Qz^f  jo  s.  m.,  M.  H.  a  mis  le  doigt  sur 

I.  M.  H.  réfute  une  idée  que  j'avais  émise,  mais  comme  une  simple  hypothèse, 
dans  l'Alexis  au  sujet  de  la  distribution  dans  le  Roland  des  formes  élidées  et  non  élidées. 
Je  suis  aujourd'hui  d'avis  qu'il  a  raison. 


RUTEBEUF,    ŒuvreS,  p.  p.   JUBINAL  4O  1 

la  bonne  leçon.  —  V.  478  Menet  serez  dreit  (B.  pur  dr.,  G.  tut  dr.)  a  Ais  le 
siet]  M.  H.  lit  endreit  (comme  Hofmann);  je  préfère  la  leçon  de  Gautier.  — 
V.  1690  Einz  que  il  moergent  [il  B.,  si  G.]  se  vendrunt  [/ H.j  mult  chier  ; 
j'aime  mieux  la  leçon  de  M.  Hoffmann  :  se  vendrunt  il. 

G.  P. 


Œuvres  complètes  de  Rutebeuf,  trouvère  du  XIII'  siècle,  recueillies  et 
mises  au  jour  pour  la  première  fois  par  Ach.  Jubinal.  Nouvelle  édition  revue 
et  corrigée.  T.  I,  Paris,  Daffis  (Bibliothèque  elzévirienne),  lxiij-250  p. 

Bien  que  cette  nouvelle  édition  de  Rutebeuf  s'annonce  comme  «  revue  et  cor- 
rigée »  on  ne  peut  la  considérer  que  comme  une  réimpression  pure  et  simple  de 
la  première  édition  publiée  en  1839  '.  Aucune  amélioration  n'a  été  apportée  aux 
textes,  les  numéros  mêmes  des  mss.  de  la  Bibliothèque  nationale  sont  tels  qu'en 
1839,  bien  qu'ils  aient  été  changés  en  1860;  l'ordre  selon  lequel  les  pièces 
étaient  classées  dans  la  première  édition  a  été  conservé.  Le  commentaire  et  la 
préface  ont  seuls  éprouvé  quelques  modifications,  non  toujours  heureuses.  Les 
principales  consistent  en  ce  que  l'éditeur  a  donné  place  dans  sa  préface  et  dans 
ses  notes  à  quelques  passages  empruntés  à  l'article  que  M.P.Paris  a  écrit  sur 
Rutebeuf  dans  \' Histoire  littéraire.  D'autres  résultent  de  ce  que  les  éclaircisse- 
ments que  la  première  édition  donnait  à  la  suite  du  texte  ont  été  imprimés, 
mais  sous  une  forme  abrégée,  au  bas  des  pages.  D'autres  enfin,  et  ce  sont  là  des 
modifications  à  blâmer,  consistent  dans  la  suppression  d'un  très-grand  nombre 
de  variantes.  Sans  doute  le  choix  de  ces  variantes  n'avait  point  été  fait  avec 
beaucoup  d'exactitude  ni  de  discernement,  mais  il  était  néanmoins  une  aide,  et 
lorsque  le  texte  était  corrompu  on  avait  quelque  chance  de  trouver  la  bonne 
leçon  en  note.  Cette  chance  est  notablement  diminuée  dans  cette  nouvelle  édi- 
tion. Les  notes  (en  bien  petit  nombre  !)  qui  ont  été  ajoutées  sont  insignifiantes 
ou  erronées,  comme  celle  de  la  p.  24  oij  on  nous  apprend  que  mescheance  «  veut 
dire  à  la  fois  méchanceté,  accident,  malheur  »  ;  ou  celle  de  la  p.  222  où  M.  Jubi- 
nal affirme  que  le  refrain  est  un  élément  nécessaire  de  la  chanson. 

En  somme  cette  nouvelle  édition  est  vieille  de  trente-cinq  ans.  Il  est  possible 
que  M.  Jubinal  ne  se  doute  pas  des  progrès  qui  ont  été  accomplis  pendant  ce 
laps  de  temps  dans  un  domaine  auquel  il  est  devenu  étranger,  mais  nos  lecteurs 
comprendront  que,  la  date  véritable  de  l'œuvre  étant  constatée,  toute  critique 
devient  ici  superflue.  P.  M. 

Jean,  sire  de  Joinville.  Histoire  de  Saint  Louis,  Credo,  et  Lettre  à 
Louis  X,  texte  original,  accompagné  d'une  traduction  par  M.  Natalis  de 
Wailly,  membre  de  l'Institut.  Paris,  F.  Didot,  1874,  gr.  in-8'',  xxx-690  p. 

Ce  splendide  volume  fait  partie  de  la  collection  des  Chefs-d'oeuvre  historiques  et 
littéraires  du  moycn-dgc  entreprise  par  la  maison  Didot,  et  qui  comptera  certai- 
nement parmi  ses  nombreux  titres  d'honneur.  Elle  s'est  dignement  ouverte  par 
le  Villehardouin  de  M.  de  Wailly  et  se  continue  par  son  Joinville. 

1 .  Ce  premier  volume  correspond  aux  207  premières  pages  du  tome  I  de  l'édition  de 
1839. 

Remania,  III  ^^ 


402  COMPTES-RENDUS 

C'est  la  troisième  fois  que  M.  de  Waiily  publie  Joinville'.  Après  avoir  res- 
tauré, par  la  comparaison  méthodique  des  manuscrits,  les  leçons  de  VHislotrc  dt 
Saint  Louis  dans  son  édition  de  1867,  il  en  a  restauré  la  langue  d'après  l'étude 
des  chartes  de  Joinville,  dans  son  édition  de  1868.  Cette  troisième  édition  n'est 
naturellement  qu'une  révision  des  deux  autres.  Elle  se  distingue  surtout  de  la 
dernière  foutre  l'addition  de  la  traduction;  par  le  précieux  accroissement  qu'ont 
reçu  les  Appendices.  Les  Eclaircissements,  du  nombre  de  onze,  ont  passé  à  celui 
de  vingt-deux  ;  quatre  d'entre  eux,  Sur  les  armes  défensives,  Sur  les  armes  offen- 
sives, Sur  le  vêtement.  Sur  les  sceaux,  sont  des  monographies  archéologiques  du 
plus  haut  prix,  pour  lesquelles  M.  de  W.  s'est  aidé  des  lumières  toutes  spé- 
ciales de  MM.  J.  Quicherat  et  Demay  ;  le  Résumé  chronologique  des  récits  de 
Joinville  est  d'une  très-grande  utilité  et  est  fait  avec  une  parfaite  exactitude  ;  on 
peut  en  dire  autant  à  un  autre  point  de  vue  de  la  petite  dissertation  sur  la 
Langue  de  Joinville  ;  enfin  j'ai  vu  avec  satisfaction  M.  de  W.  ajouter  à  son  édi- 
tion, dans  les  deux  copies  anciennes  et  dans  un  texte  habilement  restitué,  l'épi- 
taphe  de  Geoffroi  de  Joinville,  composée  en  1311  par  son  arrière-petit-fils  :  à 
mon  sens,  dans  une  prochaine  édition,  elle  doit  même  sortir  des  appendices  et 
prendre  place  parmi  les  œuvres,  à  la  suite  du  Credo  et  de  la  Lettre  à  Louis  X. 

Outre  ces  augmentations,  le  volume  de  la  collection  Didot  contient  des  embel- 
lissements d'une  grande  valeur.  Sans  parler  des  ornements  empruntés  à  des 
manuscrits  contemporains,  qui  sont  aussi  bien  choisis  que  remarquablement 
reproduits,  je  citerai  surtout  les  deux  belles  chromolithographies  qui  repré- 
sentent Joinville  offrant  son  livre  à  Louis  X  et  S.  Louis  donnant  ses  enseigne- 
ments à  son  fils,  trois  excellents  fac-similé,  des  reproductions  de  sceaux  et  de 
monnaies,  des  dessins  d'armes  et  de  vêtements.  On  n'a  pas  encore  vu  un  livre 
consacré  à  la  littérature  du  moyen-âge  exécuté  avec  un  luxe  aussi  intelligent  et 
d'aussi  bon  goût.  Et  je  dois  ajouter  que  la  modicité  du  prix  met  ce  chef-d'œuvre 
à  la  portée  de  toutes  les  bibliothèques. 

J'ai  gardé  pour  la  fin  la  plus  précieuse  des  illustrations  de  ce  beau  livre,  je 
veux  parler  des  cartes  dues  à  M.  Auguste  Longnon.  Elles  sont  au  nombre  de 
trois.  Les  deux  premières,  qui  se  rapportent  aux  Croisades  de  saint  Louis, 
n'ont  pas  grande  originalité;  j'aurais  voulu  que  la  carte  de  la  partie  de  l'Egypte 
où  se  passait  la  première  partie  de  l'expédition  racontée  par  Joinville  fût  dressée 
sur  une  échelle  beaucoup  plus  grande:  telle  qu'elle  est,  elle  ne  peut  avoir  qu'une 
médiocre  utilité  pour  suivre  le  récit  assez  obscur  du  chroniqueur.  Au  contraire 
ia  troisième  carte  de  M.  Longnon,  la  France  féodale  en  1259,  est  une  œuvre 
aussi  importante  que  nouvelle.  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'étudier  ni  d'apprécier 
un  document  de  cette  nature  :  je  dirai  seulement  que  cette  carte  est  désormais 
indispensable  à  tous  ceux  qui  s'occupent  de  l'histoire  de  notre  pays  au  moyen- 
âge,  et  qu'elle  emprunte  un  plus  grand  prix  encore  aux  quarante  pages  de 
notes  explicatives  dont  le  savant  géographe  l'a  accompagnée. 

L'éloge  du  Joinville  de  M.  de  "Waiily  n'est  plus  à  faire.  La  critique  s'est 
unanimement  prononcée  sur  la  valeur  de  son  travail,  qui  fera  époque  dans  la 
science.  Ce  travail  se  divise  en  deux  parties  :  la  restitution  des  leçons  et  la  res- 


I .  C'est  aussi  la  troisième  fois  qu'il  publie  la  traduction  de  l'Histoire. 


joiNviLLE,  Œuvres,  p.  p.  de  wailly  405 

titution  des  formes.  Je  dirai  peu  de  chose  de  cette  dernière,  que  M.  de  W.  a 
justifiée  dans  son  Mémoire  sur  la  langue  de  Joinville  (Paris,  1867).  On  peut  diffé- 
rer d'avis  avec  le  savant  éditeur  sur  tel  ou  tel  point  de  détail,  mais  sa  méthode 
est  en  somme  parfaitement  scientifique,  sûre  et  prudente.  Je  lui  reprocherais 
peut-être  de  n'aller  pas  encore  assez  loin.  S'il  a  appliqué  avec  une  certaine 
rigueur  aux  formes  grammaticales  de  son  texte  les  résultats  fournis  par  l'étude 
des  chartes,  il  a  trop  respecté,  suivant  moi,  l'orthographe  du  ms.  A  pour  l'inté- 
rieur des  mots.  La  critique  à  laquelle  M.  de  W.  a  soumis  ce  ms.  pour  son  rap- 
port tant  au  ms.  original  qu'aux  chartes  originales  lui  enlève  tout  droit  à  être 
respecté  dans  son  orthographe.  On  est  dès  lors  choqué  de  voir  un  mot  écrit  de 
plusieurs  façons  différentes  ou  condamné  à  une  orthographe  que  rien  ne  justifie. 
Ainsi  le  lat.  fcmina  est  rendu  par  feme,  femme  et  famé,  coronare  par  coroner  et 
couronner,  archiepiscopus  par  arccvesque,  ercevesquc  et  archcvesque,  absolvat  par 
assaille,  absoille  et  absoyle;  on  trouve  destrier  dessirier  deschirier  (pourquoi  alors 
exclure  desirrier  ?),  diable  et  dyable,  chcsuble  à  côté  de  chasuble  (mais  M.  de 
W.  supprime  la  forme  cbasible,  qui  est  cependant  la  meilleure),  dolereux  et  dou- 
loureux (pourquoi  alors  suhsllluer  dolour  à  douleur?),  etc.  L'orthographe  est 
unique,  mais  mauvaise  dans  courcier,  cyne,  puneisie,  pylet,  quarolle,  et  plusieurs 
autres.  Ce  respect  exagéré  pour  le  manuscrit  est  surtout  fâcheux  pour  les  noms 
propres,  écrits  souvent  de  plusieurs  façons  ou  d'une  façon  incorrecte.  C'est  en 
employant  la  méthode  qu'il  a  déjà  si  sagement  appliquée  que  M.  de  Wailly 
pourrait  remédier,  dans  une  édition  subséquente,  à  cet  inconvénient  réel  :  il 
faut  choisir,  d'après  les  chartes,  les  bons  mss.  de  la  fin  du  Xllh  siècle,  l'étymo- 
logie,  une  forme  pour  chaque  mot,  et  s'y  tenir. 

J'arrive  à  l'autre  partie  de  l'œuvre  critique  de  l'éminent  éditeur,  la  restitution 
des  leçons.  C'est  par  cette  restitution  qu'il  a  le  mieux  mérité  de  la  science  et  de 
Joinville  :  il  est  en  effet  le  premier  qui  ait  appliqué  aux  manuscrits  d'une  œuvre 
du  moyen-âge  la  méthode,  seule  vraiment  scientifique,  de  la  classification  des 
manuscrits.  Il  a  rompu  avec  ce  préjugé,  regardé  il  n'y  a  pas  bien  longtemps 
encore  comme  le  dernier  mot  de  la  critique,  qui  consiste  à  suivre  «  le  manuscrit 
le  meilleur  et  le  plus  ancien  »,  et  à  ne  le  corriger  avec  les  autres  qu'en  cas  de 
«  fautes  ou  lacunes  évidentes  ».  Il  a  reconnu  qu'un  ms.  du  XV!"^  siècle  peut  avoir 
tout  autant  d'autorité  qu'un  ms.  du  XIV°  et  lui  être  souvent  préférable,  du 
moment  qu'il  dérive  comme  lui  d'un  original  perdu.  M.  de  W.  a  eu  de  la  peine 
à  se  décider  à  abandonner  ainsi  les  procédés  qui  lui  avaient  longtemps  été  fami- 
liers et  qui  lui  étaient  recommandés  par  les  autorités  les  plus  graves;  il  est 
heureux  qu'il  ait  été  amené  à  s'occuper  précisément  de  Joinville,  dont  les  manu- 
scrits, étudiés  avec  soin,  ne  pouvaient  manquer  de  révéler  à  sa  perspicacité  une 
méthode  qui  s'appuie  sur  les  faits,  mais  qui  est  loin  de  s'imposer  dans  tous  les 
cas  avec  la  même  évidence. 

Etant  donnés  les  trois  manuscrits  A  du  XIV  s.,  L  et  B  du  XVI*"',  M.  deW. 
a  reconnu  d'abord  que  B  et  L  sont  de  la  même  famille,  ensuite  que  ces  deux 
manuscrits  remontent  à  un  original  aussi  ancien  que  celui  de  A.   Il  a  tiré  de  ce 

I.  Je  lais.se  de  côté  la  question  des  éditions  Ménard  et  de  Rieux,  qui  mériterait  d'être 
étudiée  minutieusement  à  part. 


404  COMPTES-RENDUS 

premier  résultat  les  conséquences  les  plus  importantes  pour  la  restitution  non- 
seulement  des  leçons,  mais  des  formes.  Il  en  a  tiré  en  même  temps  un  argument 
irréfutable  contre  ceux  qui,  comme  Corrard  et  plus  récemment  le  P.  Gros,  ont 
voulu  voir  dans  notre  texte  de  Joinville  un  texte  gravement  interpolé  et  remanié. 
Mais  ici  l'illustre  savant  me  paraît  être  allé  un  peu  trop  loin,  et  je  ne  puis 
croire  avec  lui  que  LB  dérivent  du  ms.  de  Joinville  conservé  dans  son  château 
et  dans  sa  famille,  tandis  que  A  serait  issu  du  ms.  offert  par  lui  au  roi.  Les 
arguments  de  M.  de  W.  en  faveur  de  son  hypothèse  ne  me  semblent  pas  très- 
solides,  et  les  raisons  qu'on  peut  alléguer  pour  la  combattre  me  paraissent 
décisives. 

Les  arguments  de  M.  de  Wailly  sont  en  réalité  peu  de  chose.  Il  est 
évident  que  l'hypothèse  en  question  s'est  présentée  à  l'esprit  du  savant  édi- 
teur, qu'elle  lui  a  plu  parce  qu'elle  donnait  à  son  texte  une  autorité  absolue 
et  réfutait  souverainement  des  attaques  inconsidérées,  et  qu'il  l'a  adoptée 
sans  la  soumettre  à  un  examen  trop  rigoureux.  Elle  ne  s'appuie  cependant  que 
sur  un  fait,  et  ce  fait  est  loin  d'être  probant.  M.  de  W.  montre  fort  bien  que 
le  ms.  L  (dont  B  est  inséparable)  a  été  exécuté  pour  Antoinette  de  Bourbon, 
femme  de  Claude  de  Lorraine,  duc  de  Guise,  qui  était  dame  de  Joinville  et  fut 
enterrée  en  1583  dans  la  collégiale  de  S.  Laurent  de  Joinville.  Mais  ce  n'est 
vraiment  pas  suffisant  pour  donner  le  droit  d'écrire  (p.  xij)  :  «  Le  ms.  L  repré- 
sente-t-il  l'exemplaire  de  l'auteur.?  Oui,  parce  qu'il  offre  un  écu  aux  armes 
d'Antoinette  de  Bourbon,  etc.  »  Que  la  possession  du  château  de  Joinville  ait 
pu  éveiller  l'intérêt  de  la  duchesse  de  Guise  pour  le  livre  du  sénéchal  dont  elle 
voyait  le  tombeau  dans  son  église,  c'est  ce  qui  est  parfaitement  admissible;  mais 
il  n'en  résulte  nullement  qu'il  existât  encore  à  Joinville  un  exemplaire  de  ce  livré 
et  que  celui  qui  fut  exécuté  pour  elle  en  dérive.  Elle  a  parfaitement  pu  emprunter 
et  faire  copier  l'exemplaire  conservé  dans  la  bibliothèque  du  roi  ou  une  copie  de  cet 
exemplaire.  Si  on  examine  le  ms.  L,  on  ne  doute  pas  qu'il  ne  dérive  de  l'exem- 
plaire offert  à  Louis  X  et  qu'il  n'en  soit  une  imitation  plus  ou  moins  directe.  La 
première  page  tout  entière  est  remplie  par  une  miniature  de  présentation,  fort 
altérée  dans  l'imitation  du  XVI«  siècle,  mais  qui  donne  cependant  une  idée  de  la 
magnifique  peinture  qui  devait  orner  l'original.  Pourquoi  Joinville  aurait-il  fait 
exécuter  cette  miniature  dans  son  exemplaire.?  Au  verso  du  même  feuillet  se 
trouvent  quatre  grandes  miniatures,  représentant  les  quatre  occasions  où  S.  Louis 
mit  son  corps  «  en  aventure  de  mort  »,  qui  paraissent  aussi  très-bien  faites 
pour  orner  le  ms.  offert  à  l'arrière-patit-fils  du  roi.  Il  en  est  de  même  des  cinq 
grandes  miniatures  qui  ont  été  imitées  dans  le  corps  de  l'ouvrage  par  le  copiste 
d'Antoinette  de  Guise.  Si  nous  comparons  à  ce  splendide  rifacimcnto  le  joli  ms. 
A,  exécuté  dans  la  seconde  moitié  du  XIV"  siècle,  nous  voyons  qu'il  a  été  fait  ' 
d'après  le  même  ms.,  mais  dans  des  conditions  beaucoup  plus  modestes.  On 
s'est  contenté  d'un  plus  petit  format  ;  on  n'a  reproduit ,  en  les  réduisant  à  la 
moitié  d'une  petite  page,  que  la  miniature  de  présentation  et  une  autre.  En  un 
mot,  par  l'exécution  matérielle,  les  mss.  L  et  A  sont  à  l'original  perdu  dans 
le  même  rapport  où  la  langue  de  chacun  d'eux  est  à  celle  de  Joinville  :  A  ar- 
range ,  remanie  avec  intelligence ,  L  copie  avec  plus  de  fidélité,  mais ,  par 
suite  de  l'éloignement  des  temps,  altère   cependant  davantage.  —  M.   de  W. 


joiNViLLE,  Œuvres,  p.  p.  de  wailly  405 

veut  que  le  ms.  A  reproduise  un  exemplaire  de  luxe,  autre  que  l'origmaldcL,  parce 
qu'il  n'a  que  deux  des  miniatures  de  L;  mais  cette  à\ïïérence  en  moins  ne  prouve 
qu'une  chose^  attestée  par  la  simple  inspection  des  deux  mss.,  c'est  que  L  est 
une  copie  où  on  s'est  piqué  de  reproduire  approximativement  le  somptueux  ms. 
original,  tandis  que  A  n'a  point  eu  cette  prétention.  Quant  à  la  circonstance 
que  la  date  de  1309  manque  dans  LB,  je  ne  vois  pas  quelle  conséquence  on 
peut  en  tirer,  si  ce  n'est  qu'elle  a  été  omise  par  le  copiste  du  XVI'  siècle. 

Ainsi  la  condition  matérielle  du  ms.  L,  surtout  la  miniature  de  présentation 
vraiment  royale  qu'il  a  empruntée  à  son  original,  indique  que  ce  m-s.  dérive 
comme  A  de  l'exemplaire  offert  à  Louis  X.  L'examen  du  texte  des  mss.  A  et 
LB  confirme  cette  conclusion,  en  nous  montrant  des  fautes  communes  trop 
nombreuses  pour  qu'on  puisse  les  attribuer  à  une  rencontre  fortuite  de  deux 
copistes  indépendants.  Si  A  provenait  du  ms.  royal,  LB  du  ms.  de  l'auteur, 
tout  ce  qui  est  commun  aux  trois  mss.  serait  authentique.  Or  il  n'en  est  pas 
ainsi.  M.  de  Wailly  a  dû  faire  au  texte  commun  des  trois  mss.  quelques  correc- 
tions indispensables;  il  faut  en  pratiquer  davantage, comme  je  vais  essayer  de  le 
démontrer  :  or  plus  le  nombre  de  ces  fautes  communes  sera  considérable,  plus 
il  deviendra  nécessaire  d'admettre  qu'elles  se  trouvaient  déjà  dans  un  manuscrit 
plus  ancien,  duquel  dérivent  LB  aussi  bien  que  A  '. 

Par.  23  (14  E) -.  S.  Louis  reproche  à  Joinville  de  boire  son  vin  pur,  et  lui 
dit  que  quand  il  sera  vieux,  s'il  le  mélange  d'eau,  son  estomac  habitué  au  vin 
pur  en  souffrira  :  «  et  se  je  bevoie  le  vin  tout  pur  en  ma  vieillesse,  je  m'enyvre- 
roie  tous  les  soirs,  et  ce  estoit  trop  laide  chose  de  vaillant  homedesoy  enyvrer.» 
Cette  leçon  peut  à  la  rigueur  se  défendre,  mais  il  est  bien  préférable  de  lire 
t(  trop  laide  chose  a  vieil  home.  » 

25  (16  Bi,  62  (42  D),  670  (450  D)  :  hui  et  le  jor;  cette  locution  me  paraît 
être  dénuée  de  sens  et  devoir  être  remplacée  par  hui  cel  jor,  formule  très-fréquente 
au  XIII'  siècle. 

25  (16  Cj  -.ne  les  roy  ne  les  autrui;  je  pense  qu'il  faut  les  le  roi. 

54  (38  B)  :  «  Et  quant  il  avoit  dormi  et  reposé,  si  disoit  en  sa  chambre 
priveement  des  mors  entre  li  et  un  de  ses  chapelains.  »  M.  de  W.  dans  sa  tra- 
duction supplée  l'office  avant  des  mors  :  ce  mot  ou  un  équivalent  est  indispen- 
sable dans  le  texte. 

58  (40  B).  Les  paroles  mises  dans  la  bouche  du  roi  en  s'adressant  aux  plai- 
deurs n'offrent  pas  un  sens  satisfaisant,  et  toute  la  fin  de  cet  alinéa  est  visible- 
ment altérée. 

76  (52  B)  :  «  Aussi,  )'  1.  «  Ainsi.  » 

100  (68  F),  les  trois  ms.  portent  Tarente,  que  M.  de  W.  a  dû  corriger  en 
Carente,  de  même  que  plus  loin  (125,  82  F)  il  a  été  obligé  de  lire  an  Ausonc  (il 
faut  plutôt  a  Ausone)  au  lieu  de  a  Nausone. 

125  (84  D)  :  «  Et  puis  reclost  l'on  la  porte   et  l'emboucha   l'on   bien,  aussi 

1.  Plusieurs  des  observations  qu'on  va  lire  ont  déjà  été  indiquées  par  M.  Thurot,  dans 
un  excellent  article  sur  la  précédente  édition  {Rcv.  Archéol.   1869,  I,  389). 

2.  Je  reproduis  entre  parenthèses  les  chiffres  des  pages  de  la  i"  éd.  de  Wailly,  con- 
servés dans  la  2'.  Cette  fois,  M.  de  W.  a  divisé  son  texte  en  §§  numérotés,  un  peu  trop 
multipliés  à  mon  goût. 


4o6  COMPTES-RENDUS 

comme  l'on  naye  un  tonne!  »  ;  M.  de  W.  dans  sa  traduction  a  fort  bien  mis 
«  comme  qihuul  on  noie  un  tonneau  »  ;  mais  ce  (juand  n'est  pas  moins  indispen- 
sable dans  le  texte. 

129  (86  C),  on  peut  se  demander  s'il  n'y  a  pas  une  lacune  avant  car,  et  si  à 
l'époque  de  Joinville  car  peut  avoir  simplement  le  sens  de  que. 

149  (100  B)  :  «  Pour  ce  que  uns  forz  venz  nés  preist  et  les  menast  en 
autres  terres,  aussi  comme  li  autre  avoient  le  jour  de  la  Pentliecoste.  »  La  tra- 
duction donne  avec  raison  :  «  Ainsi  que  les  autres  l'avaient  clc  »  ;  lisez  donc  : 
i<  comme  li  autre  avoient  esté  ment.  » 

1 56  (104  A),  la  phrase  est  obscure  et  M.  de  W.  n'a  pu  la  restaurer  qu'im- 
parfaitement ;  les  («  les  ventres  »)  manque  dans  tous  les  manuscrits. 

157  (104  B).  Joinville  est  descendu  à  terre  avec  trois  compagnons  (%  154^  fet 
se  défend  contre  les  Sarrazins  ;  Baudoin  de  Reims  (?)  vient  le  rejoindre  :  "  Avec 
li  nous  vindrent  ;?n7/£  chevalier  ».  Ce  chiffre  invraisemblable,  dans  ce  débarque- 
ment qui  s'effectuait  par  petites  troupes,  devient  tout-à-fait  absurde  si  on  le 
rapproche  de  ce  qui  est  dit  au  §  147  :  «  Uns  vens...  leva  en  telle  mar.iere  que 
de  deus  mille  et  huit  cens  chevaliers  que  li  roys  mepa  en  Egypte  ne  l'en  demoura 
que  sd  cens  que  11  venz  ne  les  eust  dessevrez  de  la  compaignie  le  roy.  «  Il  faut 
évidemment  lire  :  «  Avec  li  me  vindrent  mi  chevalier  »,  comme  le  confirme 
d'ailleurs  la  suite  de  la  phrase  :  «  Et  soies  certain  que  quant  je  arivai  je  n'oi  ne 
escuier  ne  chevalier  ne  varlet  que  je  eusse  amenés  avec  moi  de  mon  pays.  » 

1 58  (104  D),  j'ai  quelques  doutes  sur  «  une  galie  toute  peinte,  dedens  mer  et 
dehors,  a  escussions  d'or  à  une  croiz  de  gueules  pâtée.  » 

184  (122  B),  M.  de  W.  a  corrige,  avec  autant  d'évidence  que  de  bonheur, 
la  leçon  de  A,  aidier,  de  L,  haydier,  en  hardier  ;  mais  le  texte  me  semble  offrir 
ici  une  assez  grave  lacune.  On  ne  nous  dit  pas  ce  qu'il  advint  de  ces  cinq  cents 
cavaliers  envoyés  pour  harceler  l'armée  royale,  et  ce  récit  paraît  pourtant  indis- 
pensable :  on  le  trouve  tout  au  long  dans  la  lettre  de  Pierre  Sarrazin  {Joinville, 
éd.  Didot,  p.  265). 

185  (122  D),  je  reproduis  la  note  de  M.  de  W.  sur  la  mention  de  Renaut  de 
Vichiers  :  «  Les  manuscrits  portent  ici  Bichiers,  et  plus  loin  Vichiers,  qui  est  le 
véritable  nom.  » 

191  (126  E)  :  «  Quant  li  fleuve  vient  en  Egypte,  il  giete  ses  branches  aussi 
comme  je  ai  ja  dit  devant.  »  Ce  qu'il  a  «  ja  dit  devant  x,  c'est  que  le  fleuve 
jetait  sept  branches,  et  c'est  aussi  sel,  au  lieu  de  ses,  qu'il  faut  ici. 

192  (128  B)  :  massons  pour  maisons,  faute  commune  aux  trois  mss. 

207  (136  E),  dans  le  passage  si  heureusement  restitué  par  M.  de  W.  (s'en 
estait  au  lieu  de  AB  se  vestoit,  L  se  mectoit),  il  est  probable  que  l'auteur  commun 
coupait  mal  les  mots  et  portait  se  nestoit. 

217  (144  A).  C'est  ici  un  passage  un  peu  difficile,  mais  aussi  un  de  ceux  qui 
prouvent  le  mieux  que  nos  mss.  dérivent  d'un  même  original,  parfois  fautif.  Les 
Chrétiens  passent  à  gué  le  bras  du  Nil  qui  les  sépare  des  Sarrazins  ;  Joinville 
arrive  avec  les  autres.  Remarquez  que,  par  la  position  des  deux  armées,  les 
chrétiens  avaient  à  leur  droite  Vamont  de  cette  branche  du  Nil,  à  leur  gauche 
l'aval  K  Ceci  posé,  voyons  le   texte.  «  Lors  diz   je  a   ma  gent  :    Signour,   ne 

I.  La  carte  de  M.  Longnon  n'est  ici  d'aucune  utilité,  il  faudrait  un  vrai  plan,  sur  une 


JOiNviLLE,  Œuvres,  p.  p.  de  wailly  407 

regardez  iju'a  main  senestre,  pour  ce  que  chascuns  i  tire;  les  rives  sont  moillies, 
et  li  cheval  lour  chieent  sur  les  cors  et  les  noient...  Nous  accordâmes  en  tel 
manière  que  nous  tournâmes  cncontremont  l'yaue,  et  trouvâmes  la  voie  essuyée;  et 
passâmes  en  tel  manière,  la  merci  Dieu,  que  onques  nuls  de  nous  n'i  chei*.  » 
M.  de  W.  traduit  :  «  Alors  je  dis  à  nos  gens  :  Seigneurs,  ne  regardez  qu'à 
main  gauche,  pour  que  chacun  tire  par  là  ;  les  rives  sont  mouillées,  et  les 
chevaux  tombent  sur  le  corps  des  gens  et  les  noient.  Nous  nous  arran- 
geâmes de  telle  manière  que  nous  tournâmes  (?)  en  remontant  l'eau,  »  etc. 
Ainsi  Joinville  dit  à  ses  gens  de  ne  regarder  et  ne  tirer  qu'à  gauche,  sur  quoi  ils 
passent  à  droite  (enconlremont  l'yaue)\  Il  est  clair  que  tout  le  monde  tirait  à 
gauche,  du  côté  d'aval,  où  le  courant  poussait  naturellement;  les  bords  de  ce 
côté  étaient  devenus  mouillés  et  glissants  ;  Joinville  ayant  remarqué  cela  fait  tirer 
ses  hommes  à  droite,  du  côté  d'amont,  et  trouve  les  rives  sèches.  Il  y  a  donc  de 
toute  nécessité  une  lacune,  probablement  un  bourdon  entre  main  et  senestre  ;  on 
pourrait  lire  :  «  Segnour,  ne  regardez  qu'à  main  [destre,  et  ne  vueilliés  mie 
passer  a  main]  senestre,  pour  ce  que  chacuns  i  tire.  » 

245  (162  C)  :  «  Et  quant  li  Sarrazin  nous   virent   mettre  pie  en  l'estrier  des 

arbalestes »;  comme  ce  ne  sont  pas  les   chevaliers  mais  les  arbalétriers  dont 

il  s'agit,  je  préférerais  beaucoup  Us  à  nous. 

262  (174  G)  :  «  Dont  se  il  vous  plaist  nous  les  assaurons  samedi  vendredi 

Et  tout  s'acorderent  que  il  nous  venroient  assaillir  vendredi.  »  Telle  est  la  leçon 
de  A  ;  B  et  L  ont  simplement  vendredi,  et  M.  de  W.  a  adopté  leur  leçon  ;  mais 
comment  croire  que  A  ait  introduit  ici  le  mot  samedi,  qui  trouble  le  sens?  Il  est 
bien  plus  probable  que  c'est  l'auteur  de  LB  qui  l'a  retranché  ;  l'auteur  commun 
avait  la  leçon  fidèlement  reproduite  dans  A,  mais  cette  leçon  était  une  faute 
pour  «  samedi  u  vendredi  »  («  omis  à  cause  du  voisinage  de  Vu  initial  de 
uendredi)  -. 

264  (176  D),  la  leçon  des  mss.  «  entour  nostre  ost  et  U  (ou  lui)  «  ne  me 
paraît  pas  intelligible. 

268  (178  F),  tous  les  mss.  portent  Guibclin,  que  M.  de  W.  a  àù  corriger  en 
Guisd'Ibclin  :  comment  expliquer  cette  faute  commune,  pour  un  nom  qui  revient 
souvent  dans  le  livre  et  qui  est  toujours  bien  écrit  (Gui  d'Ibelin  était  cousin  de 
Joinville'),  si  ce  n'est  parce  qu'elle  se  trouvait  dans  l'original  commun.? 

276  (184  E),  le  seigneur  de  Brancion  fut  si  grièvement  blessé  «  que  onques 
puis  sus  ses  piez  n'aresta,  et  fu  mors  de  celle  bleceure  »  ;  lisez  évidemment 
n'esta. 

280  (188  A),  vendaient  pour  vendoit  (corrigé  par  l'éditeur)  dans  ALB. 

échelle  beaucoup  plus  large,  pour  ces  environs  de  la  Massoure,  où  les  opérations  de  l'ar- 
mée de  S.  Louis  furent  si  longiemps  resserrées,  et  aboutirent  au  désastre  qu'on  sait. 

1.  M.  de  W.  écrit  cliéi;  il  est  en  général,  en  fait  d'accents,  d'une  parcimonie  louable  ; 
mais  je  ne  puis  ne  pas  protester  contre  l'emploi  de  l'accent  aigu  dans  ce  cas  et  autres 
semblables  :  cet  e  était  un  e  féminin. 

2.  Corrard  pense  qu'on  n'a  pu  dire  :  «  Nous  les  a.ssaurons  samedi  vendredi  »  ;  mais 
l'intercalation  de  u  rend  au  contraire  cette  conjecture  très-vraisemblable. 

3.  Aussi  est-il  naturel  que  Joinville  ait  lu  la  Chronique  d'Ernoul,  qu'il  appelle /«L(vrf</f 
la  Terre-Sainte  (§  77),  et  à  laquelle  il  emprunte  une  anecdote  (et.  Ernoul,  éd.  Mas- 
Latrie,  p.  282).  Cette  chronique  est  en  effet  tout  entière  écrite  sous  l'inspiration  de  la 
famille  d'Ibelin. 


408  COMPTES-RENDUS 

283  (188  E),  n'y  a-t-il  pas  une  lacune  entre  la  Haukqua  et  car} 

294  (196  B),  je  n'arrive  pas  à  comprendre  ce  que  peut  vouloir  dire  ;?jr  devers 
Babiloinne. 

308  (204  C),  M.  de  W.  a  dû  supprimer  un  et  qui  se  trouve  dans  les  trois 
manuscrits. 

^  2  I  (2 1  2  C)  :  «  Il  vous  convient  saillir  de  vostre  vessel  sur  le  bec  qui  est  tisons 
de  celle  galie.  »  M.  de  W.  traduit  :  «  sur  la  pointe  de  la  quille  de  cette  galère  »; 
il  faut  donc  aussi  dans  le  texte  le  bec  dou  tison,  ou  peut-être  le  bec  qui  est  en 
son. 

528  (216  E),  il  est  assez  difficile  de  comprendre  ce  que  veut  dire  le  membre 
de  phrase  qui  termine  ce  paragraphe. 

J54  (234  D),  les  mots  au  col,  nécessaires  au  sens,  manquent  dans  tous  les 
mss.  ;  M.  de  W.  les  a  empruntés  à  l'éditeur  de  Ménard.  N'est-il  pas  évident 
qu'ils  avaient  été  omis  dans  roriginal  commun  de  A  et  de  LB.' 

^72  (246  B)  :  ici  encore  M.  de  W.  a  dû  emprunter  à  Ménard  la  bonne 
leçon  Morentaigne,  A  et  B  (L  manque  ici)  ayant  en  commun  la  faute  absurde 
Mortaing. 

393  (260  E),  la  faute  Jaque  pour  Gui  ne  doit-elle  pas  être  attribuée  à  l'auteur 
de  nos  mss.  plutôt  qu'à  Joinville? 

404  (268  B),  les  mss.  omettent  en  la  mer,  nécessaire  au  sens  et  donné 
par  Ménard. 

430  (284  E),  Corrard  a  déjà  proposé  de  lire  parlast  au  lieu  de  gardast,  et  le 
nombre  des  fautes  communes  évidentes  doit  faire  moins  hésiter  à  en  admettre 
une  ici. 

446  (296  D),  tel,  I.  tclment  (?)  :  la  syllabe  ment  aura  disparu  à  cause  de 
menei  qui  suit. 

479  (318  E)  :  «  Et  se  nous  le  desconfisons,  je  commant  que  la  chose  dure 
trois  jours  et  trois  nuis,  et  que  nulz  ne  soit  si  hardis  que  il  mette  main  a  nul 
gaaing,  mais  que  a  gens  ocire*.  »  Que  signifie  ici  la  chose,  que  M.  de  W.  a 
admis  dans  sa  traduction  ?  Il  faut  ou  la  chace  (c'est-à-dire  la  poursuite),  ou 
Focise  (c'est-à-dire  la  tuerie). 

495  (330  A)  :  «  Et  disoit  li  roys  que  il  cNargoes  de  Toci)  estoit  ses  cousins, 
car  il  estoit  descendus  d'une  des  serors  le  roi  Phelippe  ,  que  li  empereres 
meismes  ot  a  famé.»  Que  signifie  ici  ce  mot  meismcs?  S.  Louis  expliquerait  bien 
obscurément  sa  parenté  avec  le  seigneur  de  Toci.  Je  n'hésite  pas  à  corriger 
Ai  empereres  Androines  :  voy.  dans  la  chronique  d'Ernoul  les  longs  détails  sur  le 
mariage  d'Agnès  de  France  avec  Andronic. 

504  (336  C)  :  Corrard  a  déjà  relevé  l'incohérence  de  ce  passage,  et  je  m'étonne 
que  M.  de  W.  l'ait  conservé  et  traduit  tel  quel.  "  Li  rois  m'avoit  bailiié  en  ma 
bataille  cinquante  chevaliers...  Toutes  les  fois  que  l'on  crioit  aux  armes,  je  y 
envoioie  cinquante-quatre  chevaliers  que  on  apeloit  diseniers,  pour  ce  que  il 
estoient  lour  disiesme.  »  Si  on  compare  ce  passage  à  celui  où  Joinville  nous  dit 
qu'il  était  lui  disiesme  de  chevaliers,  on  verra  que  ceux  dont  il  s'agit  ici  avaient. 


I .  Je  préfère  cette  orthographe  à  occirre,  qui  induit  à   une  fausse  prononciation   du 

mot. 


joiNViLLE,  Œuvres,  p.  p.  de  wailly  409 

comme  lui-même,  chacun  neuf  chevaliers  avec  soi.  Joinville  avait  donc  539  che- 
valiers sous  ses  ordres!  Mais  il  vient  de  dire  qu'il  en  avait  cin<]uante  (plus  les 
siens).  En  ce  cas,  dès  qu'on  criait  aux  armes,  il  détachait  de  ses  cinquante- neuf 
chevaliers  cinquante-quatre.  Ce  chiffre  serait  déjà  bien  bizarre  sans  la  mention 
des  diseniers.  Il  y  a  évidemment  ici  une  grande  confusion,  qui  existait  déjà  dans 
l'original  de  nos  mss.  (puisqu'aucun  d'eux  n'a  de  variante),  et  telle  qu'il  s'en 
présente  souvent  dans  les  mss.,  quand  les  chiffres  romains  se  mêlent  au  texte. 
Un  passage  postérieur  peut  nous  aider  à  sortir  d'embarras.  Joinville  nous  apprend 
(§  571,  380  G)  qu'à  une  certaine  occasion  il  se  trouvait  «  en  la  bataille  le  roi, 
pour  ce  que  li  rois  avoit  retenu  les  quarante  chevaliers  qui  estaient  en  ma  bataille 
avec  li.  »  Je  crois  que  ce  chiffre  est  le  bon,  et  qu'au  §  ^04  il  faut  lire  :  «  Li 
rois  m'avoit   baiiiié  en  ma   bataille   quarante  chevaliers  (./.    pour  .xl.  n'a  rien 

d'étonnant) Toutes    les   fois    que  l'on   crioit  aux    armes^  je  y  envoioie  les 

quatre  chevaliers  que  on  apeloit  diseniers,  etc.  »  Au  lieu  de  les  .iv.,  l'auteur  com- 
mun de  nos  mss.  a  lu  ./.  et  .iv. 

526  (3  50  C)  :  trois,  1.  trop? 

544  (362  F),  M.  de  W.  a  ih  corriger  le  texte  des  mss, 

5^2  (370  A),  malgré  l'ingénieuse  disposition  typographique  que  M.  de  W., 
dans  cette  nouvelle  édition,  a  adoptée  pour  masquer  la  lacune  de  ce  passage, 
elle  me  paraît  évidente. 

571  (374  E),  les  trois  mss.  ont  Des  pour  Les,  et  l'éditeur  les  a  corrigés.  Or 
c'est  là  une  faute  fréquente,  imputable  au  rubricateur  qui  venait  après  coup 
exécuter  les  initiales  laissées  en  blanc  par  le  premier  écrivain,  et  dont  la  présence 
simultanée  dans  plusieurs  manuscrits  indique  à  peu  près  à  coup  siir  qu'ils  ont 
été  copiés  sur  un  même  original. 

562  (376  AB)  :  Joinville  estime  à  800  livres  des  travaux  qui  se  trouvent  en 
avoir  coûté  30000  ;  l'écart  est  trop  grand  ;  il  doit  y  avoir  là  quelque  erreur  de 
chiffres. 

569  (380  B),  les  mss.  lisent  Arsur  pour  Sur  (la  faute  n'est  pas  de  Joinville, 
cf-  §  59O)  396  A),  et  de  même  Assur  §  616  (412  B)  :  dans  les  deux  cas  M.  de 
W.  donne  la  bonne  leçon  dans  sa  traduction  et  laisse  la  mauvaise  dans  le 
texte. 

Aux  §§  587  (392  V),  591  (396  C),  598  (400  F),  se  trouvent  trois  passages 
évidemment  altérés  dans  tous  les  mss.  et  impossibles  à  restituer  convenablement; 
mais  ici  la  leçon  des  deux  familles  est  divergente. 

606  (406  A)  :  «  Li  hostieus  la  ou  il  plaisoit  mieus  a  demeurer,  c'estoit  à 
Pontoise,  entre  le  roi  et  la  roine.  »  M.  de  W.  traduit  :  «  L'hôtel  là  où  il  plai- 
sait le  plus  de  demeurer,  pour  le  roi  et  la  reine,  c'était  à  Pontoise.  »  Je  crois  que 
cette  traduction  est  juste,  mais  alors  il  manque  quelque  chose  :  plaisoit  ne  peut 
s'employer  ainsi  absolument  ;  p.-ê.  lour  plaisoit? 

607  (406  C),  ne,  supprimé  avec  toute  raison  par  M.  de  W.,  se  trouve  pour- 
tant dans  tous  les  manuscrits. 

618  (414  A)  :  «  nostre  neis  eust  estei  toute  esmiee,  et  nous  tuit  péril  et 
noie.  »  M.  de  W.,  dans  son  Glossaire,  dit  :  «  Péril,  adj.,  mis  en  péril  ;  »  mais 
je  crois  qu'il  serait  difficile  de  citer  d'autres  exemples  d'un  tel  mot.  Il  faut  lire 
soit  péri,  soit  perillic.  Au  reste  A  a  perilz  ;  les  mss.  L  et  B  sont-ils  d'accord  ? 


410  COMPTES-RENDUS 

629  (420  E)  :  M.  Thurot  a  déjà  appelé  l'attention  sur  cette  phrase  évidem- 
ment boiteuse;  il  propose  de  lire  litjucus  estant  au  lieu  de  estait,  il  me  paraît 
plus  conforme  au  style  deJoinville  d'ajouter  et  avant  n'osa. 

657  ^^o  F").  Un  cordelier  prêche  devant  le  roi.  «  Li  commencemens  dou 
sermon  fu  sur  les  gens  de  religion  :  signour,  fist-il,  je  vol  plus  de  gent  de  reli- 
gion en  la  court  le  roy,  en  sa  compaignie.  Sur  ces  paroles  :  Je  touz  pre- 
miers, fist-il,  et  di  ainsi  que  il  ne  sont  pas  en  estât  d'aus  sauver,  etc.  »  Il  faut 
avouer  que  cela  n'a  aucun  sens.  M.  de  W.  s'en  est,  comme  toujours,  très-habi- 
lement tiré  :  «  Seigneurs,  fit-il,  je  vois  trop  de  religieux  à  la  cour  du  roi,  en  sa 
compagnie.  Et  sur  ces  paroles  (7  ajouta  :  Moi  tout  le  premier.  »  Mais  plus 
ne  veut  pas  dire  trop;  les  mss.  ont  Je  touz  premiers  qui  ne  peut  se  reporter  qu'à 
un  verbe  antérieurement  exprimé  dont  ces  mots  seraient  le  sujet,  et  tout  le  pas- 
sage offre  un  aspect  très-peu  satisfaisant. 

659  (442  B),  je  renvoie  pour  ce  passage  à  la  discussion  de  Corrard  et  je  ne 
doute  pas  qu'il  ne  faille  lire  encontre  au  lieu  A'encoste. 

662  (444  D),  S.  Louis,  répétant  une  maxime  de  Philippe-Auguste  pour  le 
bon  gouvernement  de  l'hôtel  d'un  roi,  dit  :  «  Li  rois  Phelipes  mes  aious  me 
dist.  »  Ce  me  a  bien  l'air  d'une  intercalation  de  copiste  ;  car  Philippe  mourut 
quand  son  petit-fils  Louis  avait  huit  ans,  et  il  est  peu  probable  qu'il  lui  ait 
adressé  des  conseils  de  ce  genre. 

665  (446  D),  M.  de  W.  incline  lui-même  à  admettre  que  pour  est  tombé 
avant  les  paroles,  et  il  l'introduit  dans  sa  traduction. 

Ces  exemples,  que  je  n'ai  pas  voulu  augmenter  par  un  grand  nombre  d'autres 
passages  plus  douteux,  me  paraissent  suffire  à  établir  la  commune  provenance  des 
mss.  A  et  LB  du  manuscrit  du  roi,  ce  qu'indique  déjà  la  présence  dans  tous  les 
deux  de  la  miniature  de  présentation.  Reste  une  question  subsidiaire,  que  M.  de  W. 
n'a  pas  abordée:  dans  quel  rapport  précis  les  mss.  L  et  B  sont-ils  entre  eux.?  Le 
savant  éditeur  dit  simplement,  ce  qui  est  parfaitement  juste,  que  B  est  k  comme 
un  second  exemplaire  »  de  L  ;  mais  comme  il  admet  que  ces  deux  mss.  ont  été 
copiés  sur  un  original  différent  de  celui  de  A,  on  pourrait  croire  qu'il  les  regarde 
l'un  et  l'autre  comme  des  copies  indépendantes  de  cet  original.  Il  n'en  est  rien: 
L  et  B  ont  en  commun  des  fautes  qui  ne  pouvaient  se  trouver  dans  le  ms.  de 
l'auteur;  ils  rajeunissent  la  langue  de  même.  D'autre  part,  le  plus  récent,  B,  n'est 
pas  copié  sur  L,  car  il  a  souvent  une  meilleure  leçon.  Ces  deux  mss.  sont  donc 
des  copies  exécutées  au  XVI'  siècle  d'après  une  copie  un  peu  plus  ancienne, 
dont  l'auteur  avait  déjà  fait  subir  à  la  langue  ^t  Joinville  les  altérations  déplo- 
rables qu'ils  présentent  tous  deux.  Quant  à  cette  copie  (perdue),  elle  avait  été 
exécutée  directement  sur  l'exemplaire  offert  à  Louis  X  par  Joinville,  qui  devait 
par  conséquent  se  trouver  encore  dans  la  bibliothèque  du  roi  vers  le  milieu  du 
XV'  siècle  ',  car  la  langue  de  LB  indique  cette  époque.  La  généalogie  de  nos 
trois  mss.  pourrait  donc  s'exprimer  ainsi  : 


I.  On  sait  que  la  dernière  trace  de  ce  ms.  dans  la  librairie  royale  se  trouve  dans 
l'inventaire  de  1411;  il  était  u  très  bien  escript  et  historié  a  deux  coulombes  ; 
commençant  au  deuxième  folio  et  par  ce  que,  et  au  derrenier  en  tek  manière  (P.  Paris, 
sur  les  manuscrits  de  Joinville,  éd.  Michel,  p.  clxxvu).  »  Il  résulte  de  cette  dernière 
indication  que  le  ms.  royal  était  de  très-grand  format  :  les  mots  qui   commençaient  le 


joiNViLLE,  Œuvres,  p.  p,  de  wailly  41 1 

R  (ms.  du  roi) 

A 

R'  (copie  perdue) 


B 

On  voit  en  somme  que  les  résultats  auxquels  nous  a  conduits  cette  étude  ne 
diffèrent  que  par  une  nuance  de  ceux  qu'avait  admis  M.  de  Wailly.  Nos  deux 
familles  de  mss.  remontent  l'une  et  l'autre  directement  à  l'exemplaire  offert  à 
Louis  X  par  Joinville;  il  ne  peut  donc  être  question,  dans  le  texte  qui  résulte 
de  leur  comparaison,  de  gloses  comme  en  soupçonnait  Corrard,  encore  moins 
d'interpolations  comme  en  imagine  le  P.  Gros.  Les  fautes  communes  à  nos  deux 
familles  remontent  à  leur  auteur  commun,  et  ne  sont  et  ne  peuvent  être  que 
de  simples  fautes  de  copiste,  qui  doivent  être  attribuées  à  l'écrivain  employé  par 
Joinville  pour  exécuter  l'exemplaire  royal  :  on  sait  que  les  manuscrits  les  plus 
somptueux  ne  sont  pas  toujours  les  plus  corrects.  Mais  si  la  juste  classification 
des  manuscrits  maintient  au-dessus  de  tout  soupçon  l'authenticité  et  l'intégrité 
du  texte  de  Joinville,  elle  autorise  à  le  corriger  avec  un  peu  plus  de  hardiesse 
qu'on  ne  l'a  fait,  et  à  redresser  sans  trop  d'hésitation  tout  ce  qui  peut,  par  la 
faute  du  copiste  primitif,  pécher  contre  la  langue  ou  le  sens. 

Les  dimensions  déjà  bien  longues  de  cet  article  m'empêchent  d'aborder  diffé- 
rents points  qui  pourraient  encore  appeler  l'examen.  Je  ne  dirai  qu'un  mot 
de  la  traduction  de  M.  de  Wailly.  Déjà  excellente  sous  sa  première  forme, 
elle  peut  passer,  maintenant  qu'elle  a  subi  une  double  révision  ,  pour  un  vrai 
chef-d'œuvre  en  son  genre.  Tout  le  mouvement  de  la  phrase  de  Joinville  est 
conservé,  avec  le  charme  de  son  irrégularité  même,  et  cependant  la  traduction 
n'est  pas  servile  ;  elle  sait  à  propos  s'éloigner  du  texte  ou  le  paraphraser  légère- 
ment pour  le  faire  mieux  comprendre.  Les  vieux  mots  ont  été  çà  et  là  conser- 
vés avec  beaucoup  de  goût  et  de  discrétion,  de  manière  à  donner  au  style  une 
teinte  ancierme,  sans  le  surcharger  d'archaïsmes  prétentieux.  La  traduction  de 
M.  de  W.  se  lit  avec  un  vrai  plaisir,  mais  en  même  temps  elle  est  pour  le  texte 
qu'elle  accompagne  un  commentaire  si  commode  et  si  attrayant,  elle  s'en  montre 
si  voisine  qu'elle  engagera  sans  doute  plus  d'un  lecteur  à  passer  de  l'une  à 
l'autre,  et  à  jouir  directement  de  ce  style  charmant  du  vieux  sénéchal,  si  bien 
apprécié  dans  la  préface  par  son  éditeur.  Je  ne  doute  pas  que  ce  résultat  ne  soit 
celui  que  M.  de  Wailly   souhaite  le   plus  d'atteindre.  —  En  parcourant  cette 

f.  2  n'apparaissent  dans  A  qu'au  f°  7  r"  a  (1.  19),  dans  L  qu'au  f"  5  r"  (1.  6);  après  les 
mots  en  tek  manière  f§  742),  qui  commençaient  le  dernier  feuillet,  la  présente  édition 
compte  encore  plus  de  cinq  grandes  pages.  —  On  peut  croire  que  le  ms.  offert  à  Louis 
X  par  Joinville  tenta  les  Anglais  (Henri  V  et  Bedfort  ne  descendaient-ils  pas  de  S.  Louis 
comme  Charles  Vil.'),  et  qu'il  fut  enlevé  par  eux  comme  tant  d'autres.  Ce  serait  alors 
en  Angleterre  qu'il  aurait  péri  ou  qu'on  pourrait  le  retrouver. 


412  COMPTES-RENDUS 

traduction,  je  n'ai  remarqué  qu'un  passage  où  elle  ne  me  paraît  pas  avoir  bien 
rendu  l'original.  Au  §  599,  Joinville  raconte  que,  comme  il  partait  pour  un  pèle- 
rinage en  Syrie,  le  roi  lui  donna  une  commission  :  «  et  me  dist  a  grant  consoil 
que  je  li  achetasse  cent  camelins  de  diverses  colours.  »  M.  de  W.  traduit  :  «  et 
me  d'il  après  s'itrc  bien  consulté,  etc.  »;  mais  a  granl  consoil  signifie  toujours  au 
moyen-âge  «  en  grand  secret  »,  et  le  contexte  prouve  bien  que  c'est  ici  aussi  le 
sens  de  cette  expression  '. 

Le  volume  se  termine  par  un  Vocabulaire  complet  dresséavec  un  soin  extrême, 
et  parfaitement  conçu  pour  l'utilité  de  ceux  qui  veulent  étudier  la  langue  de 
Joinville  :  toutes  les  fois  que  M.  de  W.  a  changé  la  forme  des  mss.,  il  l'a  don- 
née ici  entre  parenthèses,  en  sorte  qu'on  peut  contrôler  chacun  de  ses  change- 
ments, et  avec  d'autant  plus  de  sûreté  et  de  facilité  que  toutes  les  formes  d'un 
même  mot  se  trouvent  réunies.  L'auteur  a  fait  figurer  tous  les  noms  que  contient 
ce  vocabulaire  à  la  place  et  sous  la  forme  du  cas-sujet.  Ce  procédé  est  emprunté 
aux  dictionnairee  des  langues  classiques,  mais  je  crois  que  l'inverse  eût  été  pré- 
férable. Le  régime  est  la  vraie  forme  du  mot,  il  en  contient  le  thème  pur,  et 
c'est  lui  qui  presque  toujours  a  survécu  en  français.  D'ailleurs  beaucoup  de  mots 
ne  se  présentent  que  sous  la  forme  du  régime,  et  M.  de  W.  s'est  trouvé  obligé, 
pour  suivre  son  système,  de  leur  créer  un  nominatif  parfois  un  peu  hasardé-. 
Les  combinaisons  de  \'s  du  nominatif  avec  la  consonne  finale  du  thème  altèrent 
souvent  celui-ci  de  telle  façon  qu'on  risque  d'avoir  quelque  peine  à  le  trouver  à 
son  rang.  Enfin  le  nombre  des  noms  invariables  est  si  grand  qu'il  y  a  tout  avan- 
tage à  ramener  également  les  noms  déclinables  à  la  forme  dépouillée  des  marques 
de  la  flexion. 

Je  n'ai  trouvé  à  faire  sur  ce  vocabulaire  que  les  quelques  remarques  suivantes. 
Baat  (d'où  M.  de  W.  tire  le  nominatif  baas)  est  une  simple  faute  de  copiste  pour 
hast,  forme  bien  connue.  —  M.  de  W.  écrit  contée,  ducée,  mais  les  textes  en 
vers  où  ces  mots  sont  employés  prouvent  qu'il  faut  prononcer  conteé,  duceé.  — 
Il  est  peu  probable  que  pour  exprimer  la  même  chose,  Joinville,  à  une  ligne  de 
distance  (§  1 52),  emploie  enfondrer  et  esfondrer  :  c'est  le  premier  qui  est  le  bon 
dans  les  deux  cas.  —  «  Gamite,  fourrure  de  daim  »  ;  M.  de  W.  a  pris  cette 
traduction  dans  Roquefort,  mais  elle  est  peu  exacte.  Gamite  signifie  «chamois», 
et  ce  mot,  évidemment  identique  au  m.  h.  ail.  gam:  (ail.  gemse),  est  intéressant 
en  ce  qu'il  paraît  conserver  un  t  qui  ne  s'est  maintenu  dans  aucun  dialecte  ger- 
manique. —  «  Ganchir  gauchir  »  ;  cette  traduction  a  l'air  de  contenir  un  rappro- 
chement étymologique  qui  serait  tout  à  fait  illégitime,  et  en  outre  elle  n'est  pas 
fort  bonne  :  ganchir  signifie  «  se  détourner  »  et  spécialement  «  se  détourner 
pour  esquiver  quelque  chose». —  n  Grève,  cheveux  en  bandeaux»;  c'est  presque 
tout  à  fait,  mais  non  tout  à  fait  exact.  La  traduction  est  faite  d'après  le  con- 
texte (§  104)  :  «  Li  cuens  de  la  Marche   avoit  jurei  sur  sains  que  il  ne 

seroit  jamais  roingniez  en  guise  de  chevalier,   mais   porteroit  grève  aussi  comme 

1.  ConseiUier,  qui  signifie  de  même  «  parler  bas  »,  est  donné  par  Roquefort  en  ce 
sens  avec  une  longue  citation  de  Joinville,  très-différente  du  texte  (§  ?i),  et  qu'il  prétend 
tirée  du  ms.  de  la  Bibl.  Imp.,  f"  6.  Elle  provient  sans  doute  de  l'édition  de  Ménard, 
que  je  n'ai  pas  sous  la  main. 

2.  Provere  ou  provaire  n'est  que  l'ancien  régime  de  prestre,  et  je  ne  sais  si  on  trouve- 
rait un  exemple  du  sujet  provaires,  sous  lequel  M.  de  W.  range  ce  mot. 


MUSSAFiA,  zur  Katharinenlegende  413 

les  femmes  fesoient.  »  La  grève  est  proprement  la  «  raie  au  milieu  des  cheveux  »; 
Grève  avait  droite  et  bien  menée  {FI.  et  Blanc.  A,  v.  2595)  ;  Le  chief  ot  bel  et  bien 
reont,  La  grève  droite  et  blanc  le  front  (Amadas,  v.  132);  La  grève  droite  en  la 
cerviz  {Athis  et  Prophilias,  cité  par  E.  du  Méril  dans  le  glossaire  de  FI.  et 
Blanc.)  \  add.  La  Mule  sans  frein,  v.  738,  etc.  —  Je  doute  de  la  forme  ligna- 
loecy  :  c'est  Hgnaloe  qui  est  usité  ;  peut-être  faudrait-il  lire  lignaloey.  — 
«  Menoison  dyssenterie  »  ;  non ,  mais  «  diarrhée  » ,  ce  qui  n'est  pas  la 
même  chose.  —  Je  ne  sais  sur  quoi  M.  de  W.  s'appuie  pour  traduire  samit  par 
«  satin  »  :  pour  moi,  en  l'absence  de  preuves  contraires,  je  suis  porté  à  croire 
que  ce  mot  a  conservé  son  sens  dans  l'ail.  Sammet,  et  par  conséquent  qu'il 
signifie  «  velours  ».  En  rendant  loailk  par  «  toile  )>,  M.  de  W.  n'est  assuré- 
ment pas  tombé  dans  la  faute  commune  de  rapprocher  ces  deux  mots  qui  n'ont 
rien  à  faire  ensemble  ;  mais  la  traduction  n'est  pas  tout  à  fait  satisfaisante  :  le 
mot  qui  répond  le  plus  exactement  aux  divers  sens  de  l'ancien  toaille  est  le 
moderne  «  serviette  ». 

Je  n'ai  parlé  de  l'édition  de  M.  de  Wailly  qu'au  point  de  vue  philologique;  il 
y  aurait  à  en  faire  un  éloge  non  moins  grand  au  point  de  vue  historique  si  c'était 
ici  le  lieu^.  Grâce  au  succès  si  mérité  qu'ont  eu  les  éditions  précédentes  et  que 
celle-ci  a  déjà  obtenu  avec  éclat  '^,  on  peut  espérer  qu'elle  ne  sera  pas  la  der- 
nière, et  que  l'illustre  savant  tentera  encore  d'améliorer  l'œuvre  qui  lui  fait  tant 
d'honneur  :  seulement  il  devra  s'en  prendre  à  lui-même  s'il  lui  est  désormais 
impossible  de  la  perfectionner  beaucoup. 

G.  P. 

Zur  Katharinenlegende.    Von   prof.    D'   A.    Mussafia.  I.  Vienne,   1874, 
in-8°,  80  p.  (Extrait  des  Mcm.  de  l'Académie,  t.  LXXV,  p.  227  ss.). 

M.  Mussafia  publie  ici  un  texte  véronais  de  la  légende  de  sainte  Catherine.  Il 
en  étudie  la  grammaire  avec  le  soin  et  la  critique  qu'on  lui  connaît  en  ces 
matières.  Il  montre  que  ce  poème  s'appuie  en  partie  sur  un  poème  français 
dont,  par  une  remarquable  coïncidence,  le  seul  manuscrit  connu  (Arsenal,  B.  L. 
Fr.  505)  a  été  écrit  en  1251  à  Vérone.  Dans  une  prochaine  publication,  notre 
savant  collaborateur  promet  de  s'étendre  sur  la  légende  de  sainte  Catherine. 
C'est  un  sujet  des  plus  intéressants  et  qui  lui  permettra  de  déployer  dans 
des  sens  divers  son  érudition  si  étendue  et  si  sûre. 


Cancionero  de  Stuniga,  c6dice  del  siglo  XV  ahora  por  vez  primera 
publicado  (par  le  marquis  de  la  Fuensanta  del  Valle  et  D.  José  Sancho 
Rayon).  —  (Coleccion  de  libros  raros  ô  curiosos  t.  IV.)  —  Madrid,  M.  Riva- 
deneyra.  1872.  xlij,  483  pages  in-8°. 

Les  collections  de  poésies  lyriques  auxquelles  on  a  donné  en  Espagne  le  nom 
de  cancionero  peuvent  se  diviser  en  trois  classes.  1"  Cancioneros  de  cour.  Les 
collections  de  ce  genre  forment  réellement  un  tout  dont  les  éléments  sont  intime- 

1 .  Je  veux  au  moins  signaler  l'excellente  et  très-utile  Table  des  matières  qui  suit  le 
Vocabulaire. 

2.  Un  deuxième  tirage  est  devenu  nécessaire  quelques  mois  après  la  publication. 


414  COMPTES-RENDUS 

ment  liés  les  uns  aux  autres  et  s'éclairent  mutuellement.  Le  compilateur  de 
ces  cancioneros  est  guidé  dans  son  choix  par  l'idée  de  conserver  l'image  d'une 
société  ou  d'une  cour  poétique  ;  toutes  les  compositions  qu'il  réunit  sont  dues  à 
des  membres  de  cette  société,  rien  de  ce  qui  lui  est  étranger  ne  saurait  y  trouver 
place.  On  comprend  facilement  que  l'intérêt  que  ces  collections  sont  susceptibles 
d'inspirer  est  surtout  historique  ;  on  est  naturellement  plus  porté  à  y  rechercher 
la  peinture  de  la  vie  intime  des  poètes  eux-mêmes  qu'à  discuter  la  valeur  litté- 
raire de  leurs  œuvres.  Ces  cancioneros  se  distinguent  encore  par  certains  carac- 
tères externes.  Le  compilateur  a  tenu  à  perpétuer  le  souvenir  de  son  œuvre  par 
une  dédicace  au  prince  ami  ou  protecteur  des  poètes  ;  de  plus  l'original  et  sou- 
vent même  les  copies  de  ces  collections  sont  exécutés  avec  un  certain  luxe.  Le 
type  le  plus  complet  que  nous  possédions  d'un  cancionero  courtois  est  celui  de 
la  cour  de  Juan  II  qui  a  été  compilé,  comme  on  le  sait,  par  Juan  Alfonso  de 
Baena. —  2.  Cancioneros  mixtes.  L'idée  qui  a  présidé  à  la  formation  de  cette  deu- 
xième classe  est  tout  autre.  Ici  le  compilateur  se  préoccupe  avant  tout  de  réu- 
nir des  œuvres  d'une  véritable  valeur  et  de  nature  à  être  goûtées  par  les  ama- 
teurs; il  n'a  garde  de  limiter  son  choix  à  une  seule  époque  ou  à  une  seule 
école,  il  cherche  au  contraire  à  donner  de  l'attrait  à  sa  collection  en  groupant 
des  échantillons  de  genres  très-différents.  Ces  cancioneros  mixtes  ou  généraux 
(comme  on  les  nomma  plus  tard)  sont  beaucoup  plus  nombreux  que  les  cancio- 
neros de  cour.  Presque  tous  les  cancioneros  analysés  dans  ces  derniers  temps  par 
les  critiques  espagnols  et  ceux  de  la  Bibl.  nat.  de  Paris  appartiennent  à  cette 
deuxième  classe.  —  3°  Cancioneros  particuliers,  c'est-à-dire  qui  ne  renf^erment  que 
les  œuvres  d'un  seul  poète:  nous  en  avons  un  exemple  dans  le  recueil  des  poésies 
de  Juan  Alvarez  Gato  (voy.  A.  de  los  Rios,  Hist.  crit.  de  la  lit.  csp.  VI,  557SS.). 

Le  cancionero  de  Stuniga  (ainsi  nommé  parce  qu'il  débute  par  une  poésie  de 
Lope  de  Stuniga)  dont  nous  annonçons  ici  la  publication,  a  depuis  longtemps 
attiré  l'attention  de  tous  les  savants  occupés  de  l'ancienne  littérature  espagnole. 
Il  nous  a  été  conservé  par  deux  copies.  La  première  qui  se  trouve  à  la  bibl. 
nat.  de  Madrid  (coté  M.  48)  a  déjà  été  l'objet  de  deux  travaux.  Les  traduc- 
teurs espagnols  de  Ticknor,  MM.  de  Gayangos  et  de  Vedia,  publièrent  dans  leurs 
additions  à  l'ouvrage  du  savant  américain  une  table  des  poésies  de  ce  ms.  ; 
plus  tard  les  éditeurs  de  VEnsa^o  de  una  bibl.  esp.  etc.  en  donnèrent  de  nombreux 
extraits  accompagnés  de  quelques  notes  bibliographiques.  La  seconde  copie,  moins 
complète,  que  possède  la  bibl.  de  S.  Marc  à  Venise  (coté  Suppl.  Gall.  XXV) 
a  été  découverte  par  M.  Mussafia.  Ce  savant  philologue  l'a  analysée  et  étudiée 
dans  un  mémoire  spécial  {Ein  Beitrag  zur  Bibliographie  der  Cancioneros  ans  der 
Marcusbibliothîk  in  Vcnedig,  Wien  1867)  avec  la  critique  pénétrante  qu'on  est 
accoutumé  à  rencontrer  dans  toutes  ses  publications.  Mais  ces  travaux  analy- 
tiques, quelque  recommandables  qu'ils  fussent,  ne  pouvaient  tenir  lieu  d'une 
édition  complète  de  ce  recueil.  MM.  de  la  Fuensanta  del  Valle  et  Sancho 
Rayon  se  sont  chargés  de  combler  cette  lacune  :  c'est  dans  leur  Coleccion  de 
libros  raros  6  curiosos,  qui  à  l'origine  ne  semblait  devoir  être  composée  que  de 
réimpressions,  qu'ils  ont  eu  l'excellente  idée  d'accorder  une  place  à  ce  représen- 
tant de  la  poésie  castillane  du  XV"  siècle. 

Avant  d'examiner  en  détail  la  façon  dont  les  éditeurs  se  sont  acquittés  de  leur 


Cancionero  de  Stuniga,  p.  p.  del  valle  et  rayon  41 5 

tâche,  il  nous  importe  de  savoir  si  les  caractères  internes  et  externes  de  notre 
recueil  répondent  bien  à  ceux  d'un  cancionero  courtois,  ainsi  qu'on  s'est  accordé  à 
l'admettre  jusqu'ici.  La  majeure  partie  du  cancionero  de  Stuniga  est  occupée  par 
des  poésies  de  chevaliers  castillans,  aragonais  ou  catalans  qui  suivirent  en 
Italie  le  roi  Alphonse  V  d'Aragon.  Un  certain  nombre  de  ces  poésies  présentent 
un  caractère  commun  en  ce  qu'elles  sont  généralement  inspirées  par  les  événe- 
ments qui  se  passaient  à  la  cour  aragonaise  de  Naples  ou  adressées  soit  à  la 
reine  Maria,  soit  au  roi  lui-même,  soit  enfm  à  sa  plus  célèbre  maîtresse,  la  belle 
Lucrecia  de  Aniano.  Cela  est  incontestable.  Mais  voici  quelques  faits  qui  nous 
semblent  de  nature  à  modifier  sensiblement  l'opinion  reçue. 

Notre  recueil  contient  plusieurs  compositions  de  poètes  absolument  étrangers 
à  la  cour  de  Naples,  tels  que  Juan  de  Mena  et  le  marquis  de  Santillana,de  plus 
quelques-unes  de  ces  compositions  ne  sont  pas  du  tout  dans  le  ton  des  autres 
poésies  de  la  collection.  11  est  clair  par  exemple  que  la  longue  composition  allé- 
gorique du  dernier  de  ces  poètes,  El  infierno  de  amor,  n'est  nullement  à  sa  place 
dans  un  cancionero  courtois.  Tout  au  plus  comprendrait-on  l'insertion  dans  ce 
recueil  de  la  Comedieta  de  Ponça  du  même  auteur,  qui  se  rapporte,  comme  on  le 
sait,  à  la  défaite  éprouvée  par  Alphonse  dans  les  eaux  de  Gaëte  en  143  5,  en 
raison  de  l'intérêt  que  le  sujet  lui-même  devait  inspirer  aux  familiers  de  la  cour  de 
Naples.  D'autre  part  nous  savons  par  une  poésie  du  cancionero  de  Stuniga  où 
Ferdinand,  le  fils  naturel  d'Alphonse  V,  est  déjà  qualifié  du  titre  de  roi,  que  ce 
recueil  n'a  été  compilé  qu'après  la  mort  de  ce  dernier.  Enfin,  pour  ce  qui  con- 
cerne les  caractères  externes,  on  peut  observer  que  le  compilateur,  dont  nous 
ignorons  du  reste  le  nom,  n'a  point  fait  précéder  son  œuvre  d'une  dédicace. 
Ces  faits  nous  autorisent,  pensons-nous,  à  ne  pas  mettre  notre  cancionero  sur  la 
même  ligne  que  celui  de  la  cour  de  Juan  II.  Nous  avons  affaire  ici  à  un  recueil 
sans  caractère  officiel,  réuni  sans  doute  par  un  amateur  du  temps  de  Ferdi- 
nand I"  que  rien  n'empêchait  de  mêler  aux  compositions  des  poètes  courtois 
des  œuvres  d'un  autre  milieu  ou  d'une  autre  école  qui  lui  paraissaient  mériter 
une  place  dans  sa  collection.  Du  reste  (et  on  ne  l'a  pas  assez  remarqué)  la  cour 
littéraire  du  roi  d'Aragon  ne  présente  pas  du  tout  le  même  caractère  que  celle 
de  son  contemporain  Juan  II.  Alphonse  n'a  point  pris  part  lui-m.ême  aux  exer- 
cices poétiques  de  ses  courtisans,  son  esprit  était  beaucoup  trop  attiré  du  côté 
des  littératures  classiques.  Du  moins  ses  biographes  Antonio  Becatelli  et  Barto- 
lomé  Fachs  ne  nous  disent  pas  qu'il  se  soit  jamais  exercé  dans  le  genre  cour- 
tois. 

La  publication  de  MM.  de  la  Fuensanta  del  Valle  et  Sancho  Rayon  se  com- 
pose du  contenu  du  nis.  de  Madrid  qu'ils  ont  fidèlement  reproduit  et  dont  ils 
ont  conservé  l'orthographe.  Le  texte  est  suivi  de  notes  historiques  relatives  aux 
auteurs  des  poésies  du  cancionero  et  aux  personnages  auxquels  il  y  est  fait  allusion, 
d'un  glossaire  et  de  deux  tables.  Dans  leur  préface  les  éditeurs  nous  expliquent 
qu'ils  n'ont  voulu  suivre  dans  leur  édition  ni  le  système  allemand  1.?^  qui  con- 
siste dans  la  reproduction  photographique  des  manuscrits,  ni  le  système  fran- 
çais (?)  qui  tend  avant  tout  à  «  dépouiller  autant  que  possible  les  mss.  de  tout 
ce  qui  peut  en  rendre  la  lecture  difficile  ou  fastidieuse  »  ;  le  système  intermé- 
diaire qu'ils  ont  appliqué  est  celui  qui,  tout  en  respectant  scrupuleusement  l'or- 


41 6  COMPTES-RENDUS 

thograplie  et  les  leçons  du  ms.,  facilite  la  lecture  du  texte  en  lui  donnant  une 
ponctuation  logique.  La  question  de  critique  la  plus  importante  qu'il  y  avait  à 
soulever  à  propos  de  ce  cancionero  n'a  même  pas  été  effleurée  par  les  éditeurs. 
En  efFet  nous  savons  déjà  que  ce  texte  nous  a  été  conservé  dans  deux  mss., 
celui  de  Madrid  et  celui  de  Venise;  m,  MM.  de  la  F.  et  R.  paraissent  avoir 
complètement  ignoré  l'existence  de  ce  dernier  ms.  et  partant  le  mémoire  de 
M.  Mussafia.  Cela  est  d'autant  plus  regrettable  que  le  savant  professeur  de 
Vienne  en  se  livrant  à  ce  travail  assez  ingrat  avait  surtout  en  vue  de  contribuer 
à  rendre  plus  correcte  l'édition  qu'on  attendait  depuis  longtemps  des  savants 
espagnols;  aussi,  loin  de  se  borner  à  une  simple  description  du  ms.  de  Venise, 
avait-il  rassemblé  un  nombre  important  de  variantes  qui  formaient  comme  les 
prolégomènes  d'une  édition  critique.  Enfin  beaucoup  de  poésies  du  cancionero  de 
Stuniga  nous  ont  été  conservées  aussi  par  certains  mss.  de  ces  collections  que 
nous  avons  nommées  mixtes  ou  générales,  dont  quelques-uns  au  moins  étaient  à 
la  portée  des  éditeurs.  S'il  n'entrait  pas  dans  leurs  vues  de  tenter  l'établisse- 
ment d'un  texte  critique  de  chacune  des  poésies  de  la  collection  par  la  compa- 
raison de  toutes  les  copies,  au  moins  auraient-ils  pu  profiter  des  leçons  fournies 
par  l'une  ou  l'autre  d'entre  elles  pour  corriger  les  fautes  de  leur  ms.  Nous 
allons  montrer  par  une  série  de  variantes  de  quelques  pièces  de  la  collection 
empruntées  à  trois  mss.  de  la  Bibl.  nat.  de  Paris  (Esp.  226  =  anc.  7819, 
230  =  anc.  7825,  313  =  anc.  8168)  combien  ce  travail  de  comparaison  aurait 
servi  à  améliorer  le  texte  de  l'édition. 

Nous  n'avons  pas  à  nous  livrer  ici  à  une  étude  approfondie  de  ces  mss.  ;  nous 
observerons  seulement  que  le  n"  3 1 3  a  dû  être  écrit  en  Castille  dans  la  seconde 
moitié  du  XV'  siècle,  et  que  les  n°"  226  et  2?o  ont  certainement  été  copiés 
tout  à  la  fin  du  même  siècle  ou  au  commencement  du  suivant  en  Catalogne  '. 

Leur  rapport  peut  être  représenté  de  la  façon  suivante  : 

X 


226       230 

Les  n°'  226,  230,  continuellement  d'accord,  même,  ce  qui  est  caractéristique, 
dans  les  leçons  fautives,  ont  été  copiés  sur  un  ms.  du  milieu  du  XV  siècle  (de 
là  X'  sur  la  même  ligne  que  313;-.  L'origine  commune  de  313,  226  et  230  est 
prouvée  par  des  fautes  communes  aux  trois  mss.  Cette  classification  est  du  reste 
provisoire  ;   il  faudrait  pour  lui  donner  une  valeur  définitive  connaître  mieux  les 

1 .  L'orthographe  qui  y  est  appliquée  le  prouve  surabondamment.  Voici  quelques 
exemples  :  Quantes  (p.  quantas),  les  astrellas,  les  flores,  cientes,  leor  laor  (p.  loor), 
empatxa  fp.  empacha),  trauctado  etc.  Les  cis  de  diphthongaison  sont  mal  observés  :  on 
trouve  très-souvent  nostro,  vostro  p.  nuestro  etc.  L'écriture  ny  p.  fi  est  constante. 

2.  En  voici  une  preuve  paleographique.  Le  mot  çirios,  où  le  c  avec  une  longue  cédille 
réuni  à  1'/  suivant  a  l'apparence  d'un  g  dans  les  mss.  de  cette  époque  (dans  le  n°  313 
par  ex.),  a  été  rendu  dans  226  par  grios,  dans  250  par  crias. 


Cancionero  de  Stuniga,  p.  p.  del  valle  et  rayon  417 

variantes  des  autres  mss.  Nous  ne  l'avons  établie  ici  que  pour  justifier  les  correc- 
tions que  nous  allons  proposer.  Le  fait  que  ces  trois  mss.  sont  indépendants  les 
uns  des  autres  donne  naturellement  une  certaine  importance  aux  leçons  qu'ils 
ont  en  commun.  Nous  avons  eu  recours  aussi  au  ms.  de  Nicolas  d'Herberay 
(d'après  les  extraits  donnés  dans  VEnsayo:  nous  le  désignons  comme  M.  Mussafia 
par  T)  qui  est  indépendant  tant  de  M.  48  que  des  mss.  de  Paris,  lorsqu'il  con- 
firme les  leçons  de  ces  derniers. 

N°  4  (éd.  p.  14).  Ya  non  sufre  mi  cuidado  (Johan  de  Mena). 
V.  17.  La  mi  muy  rabiosa  muertc.  —  La  muy  mas  etc.  226.  230.  313. 
V.  36.  Nin  el  quercr  â  mi  se  diera.  —  Nin  el  â   mi  se  diera  226.  230.  —  La 

bonne  leçon  pour  le  vers  est  :  Nin  el  â  mi  no  se  diera. 
V,  1 18.  Poder  de  grand  poderio.  —  Il  faut  préférer  P.  de  g.  senorio  226.    230. 

313,  le  mot  poderio  se  trouvant  à  la  rime  deux  vers  plus  loin. 
V.  170.  Ë  cuyo  danno  estorçer.  —  En  etc.  226.  230.  313. 
V.  172.  Si  en  algund  tiempo  passado  Fui  aspero  de  passiones,   Gloria   habrè  haber 
dexado  Las  tantas  îribulacioncs.  Tout  cela  n'a   aucun  sens.   La  leçon  fournie  par 
226.   230.  313  est  excellente  :  Si  en  algun  tiempo  dexado  Ser  espero  de  passiones, 
Gloria  habré  haber  passado  etc. 

N°  5  (éd.  p.  22)  El  triste  que  mas  morir  (El  bachiller  de  la  Torre). 
V.  9.  Pues  que  creo  que  vera.  —  P.  q.  cierto  se  vera  226.  230.  3 1 3.  T. 
V.  34,  Parecer  luego  doblada.  —  Para  ser  l.  d.  ibid. 
V.  40.  Por  luego  tiempo  doblar.  —  Por  luego  me  la  doblar  T. 
V.  37.  La  muerîe  desesperada.  —  La  m.  despiedada  226.  230.  313.  T. 

N"  20.  (éd.  p.  86).  Por  la  muy  aspera  via 
V.  12.  Para  quien  ama  sintiendo.  —  P.  q.  a.  sin  tiento.  226.  230.  T. 
V.  3  5.  La  quai  dtmuestras  querer  Muy  mas  cara  que  a  ti.  —  L.  q.  d.   tener  etc. 
226.  230.  T. 

V.  84.  Et  pues  es  en  tu  poder  Ser  tu  de  maies  ajenos.  Agenos  est  exigé  par  la  rime 
correspondante  menos  ;  mais  le  sens  demande  ageno  :  la  leçon  de  T  nous  tire 
d'embarras  :  Foir  de  (los)  maies  agenos. 
V.  103.  La  quai  fama  mas  non  cura.  —  L.  q.  J.  m.  n.  dura  226.  230.  T. 

Après  le  V.  155  M.  omet  onze  vers   donnés  par  226.  230.  T.   qui   servent 
d'explication  à  l'apostrophe  :  Luego  dona  baratera  etc. 

Après  le  v.  164  M  omet  le  vers  suivant  absolument  indispensable  au  sens  : 
Vernia  te  bien  si  moriesses,  qui  est  donné  par  226.  230.  T. 

Nous  pourrions  facilement  continuer  cette  étude  comparative  et  montrer  que 
nos  mss.  offriraient  pour  chaque  pièce  qui  leur  est  commune  avec  M  des  leçons 
préférables  à  celles  de  ce  dernier  ms.,  mais  il  nous  suffit  d'avoir  prouvé  par 
quelques  exemples  combien  il  elît  été  utile  d'entreprendre  la  révision  complète  de 
la  copie  très-fautive  que  les  éditeurs  ont  imprimée  sans  y  rien  changer.  En  ce 
qui  concerne  l'orthographe  nous  ne  saurions  approuver  le  système  suivi  par  les 
éditeurs.  Le  ms.  de  Madrid  a  été  copié  par  un  Italien  dont  l'orthographe  s'écarte 
souvent  de  celle  des  bons  mss.  castillans  du  XV*  siècle.  C'est  ainsi  que  nous 
n'aurions  pas  écrit  partout  désir,  faser,  pLiser  pour  dcçir  ou  dczir,  etc.,  de  même 
conoscer  pour  conoçer.  Une  question  de  philologie  très-délicate  est  celle  de  savoir 
comment  il  faut  représenter  dans  l'écriture  la  finale  de  la  2'  pers.  pi.  des  verbes 
Romania,ni  ij 


41 8  COMPTES-RENDUS 

castillans.  11  est  certain  qu'au  XV'  siècle  déjà  le  phénomène  de  la  chute  de  la 
dentale  dans  ces  formes  verbales  était  en  train  de  se  produire.  C'est  ce  que 
prouvent  des  rimes  Rempruntées  à  notre  cancioneroi  telles  que  Frances  :  qucrts; 
es  (y  p.)  :  vercys  etc.  D'autre  part  la  forme  non  syncopée  est  assurée  par  d'autres 
rimes,  comme  vedes  :  redes  ;  conlrariedades  :  miradcs  ;  leedes  :  Ganimedes  etc.  Le 
ms.  de  Madrid  trahit  du  reste  une  hésitation  constante  entre  les  deux  procédés, 
la  même  forme,  à  quelques  vers  d'intervalle,  est  écrite  de  deux  manières.  Il 
serait  temps  d'éclaircir  ces  difficultés  et  de  procéder  à  une  étude  aussi  minutieuse 
que  celle  qui  a  été  entreprise  pour  les  verbes  portugais  par  M.  Coelho  dans  sa 
Theoria  da  conjugaçâo  cm  lalim  c  portuguez. 

Les  notes  historiques  placées  à  la  fin  du  volume  sont  dignes  de  tout  éloge  ; 
elles  complètent  sur  bien  des  points  les  renseignements  fournis  par  M.  A.  de  les 
Rios  dans  le  tome  VI  de  son  Hist.  crit.  sur  les  poètes  de  la  cour  d'Alphonse.  Les 
éditeurs  ont  consulté  surtout  les  nobiliaires  et  les  textes  historiques  les  plus  im- 
portants, ils  ont  aussi  eu  recours  à  des  sources  manuscrites,  notamment  pour 
Diego  de  Valera,  dont  ils  ont  complètement  refait  la  biographie.  On  trouverait 
à  coup  sûr  aux  archives  de  Barcelone  de  nombreux  documents  propres  à 
éclaircir  cette  brillante  époque  de  l'histoire  d'Aragon.  Il  serait  digne  d'un  érudit 
catalan  de  poursuivre  et  de  compléter  les  recherches  qui  ont  été  commencées 
par  les  savants  castillans.  La  valeur  littéraire  des  poésies  du  cancionero  de 
Stuniga  est  considérable,  leurs  auteurs  méritent  donc  à  tous  égards  d'être 
aussi  bien  connus  que  le  sont  les  poètes  du  cancionero  de  Baena. 

Alfred  Morel-Fatio. 

Fiabe  popolari  veneziane,  raccolte  da  Dom.  Giuseppe  Bernoni.  Venezia, 

1873,  in-12,  110  p. 

M.  Bernoni,  dont  nous  avons  annoncé  les  Chants  populaires  vénitiens,  nous 
donne  maintenant  un  recueil  de  contes  qui  se  recommandent  par  les  mêmes  qua- 
lités, c'est-à-dire  qui  ont  été  transcrits  aussi  fidèlement  sous  la  dictée  des  narra- 
teurs populaires.  Les  contes  de  ce  petit  volume  sont  au  nombre  de  vingt  :  nous 
espérons  que  M.  B.  ne  s'en  tiendra  pas  à  cet  échantillon,  et  qu'il  nous  donnera 
promptement  la  suite  qu'il  annonce.  Ce  que  contient  ce  premier  recueil  est 
excellent,  et  fait  vivement  désirer  d'en  avoir  plus.  Le  fond  des  récits  est  natu- 
rellement connu  :  j'ai  déjà  eu  occasion  de  dire  ici  qn'on  ne  trouve  plus  de 
contes  absolument  nouveaux  ;  mais  les  traits  propres  à  chaque  version  nouvelle 
ont  toujours  de  l'intérêt  pour  la  science.  Le  grand  charme  du  recueil  est  dans 
cette  sincérité  complète  dont  je  parlais  tout  à  l'heure  ;  on  croit  entendre  parler 
quelque  bonne  femme  de  Venise  en  lisant  les  contes  de  M.  Bernoni  :  toute 
la  saveur  du  langage  populaire  a  été  conservée  avec  le  soin  le  plus  heureux  \ 

G.  P. 


I.  M.  B.  a  encore  publié  un  petit  recueil  (24  p.)   de  Leggenie  fantastiche  veneziane  ■. 
il  les  distingue  avec  raison  des  contes  populaires  proprement  dits. 


PÉRIODIQUES. 


I.  Revue  des  langues  romanes  V,  2.  —  P.   237,  Le  mémorial  des  Nobles 
(suite).  —  [P.  275,  Alart,  Observations  sur  la  langue  du  roman  de  Blandin  de 
Cornouailles.  En  publiant  pour  la  première  fois  ce   médiocre  roman,  j'ai  signalé 
diverses  rimes  imparfaites  en  provençal,   par  ex.  dich   et  nuech    aux  vers  47-8, 
comme  possibles  en  catalan  [dil-nii).  J'en  tirais  la  conclusion  que  le  poëme  a  pu 
être  composé  par  un  catalan  qui  se  serait  efforcé  d'écrire  de  son  mieux  en  proven- 
çal. M.  Alart  s'est  appliqué  à  combattre   cette   conclusion,  à   laquelle  du  reste 
je  n'attachais  aucune  importance.   Selon  lui,   les  rimes   précitées  des  vers  47-8 
seraient  les  seules  absolument  catalanes  du  poëme,  et   naturellement  ce  ne  serait 
point  assez  pour  lui  assigner  une  origine  transpyrénéenne.   Je  n'y  contredis  nul- 
lement. M.  A.  conjecture  en  terminant  que  le  poëme  en  question  aurait  été  écrit 
dans  Je  Languedoc.  C'est  possible,  mais  je   n'en  vois  aucune  preuve.  Le  travail 
de  M.  A.  est  du  reste  exécuté  avec  le  soin  le  plus  minutieux,  et  ce  n'est  point 
sa  faute  s'il  n'est  pas  arrivé  à  des   résultats  plus   positifs.  —  P.   305,   Alart, 
Documents  sur  la  langue  catalane  des  anciens  comtes  de  Roussillon  et  de  Cerdagne 
(suite).  Ce  sont,  comme  précédemment,  des  ordonnances  et  des  tarifs  de  péages, 
oij  il  y  a  beaucoup  à  prendre  pour  la  lexicographie  catalane.   P.    3 1 1  M.  A. 
suppose  que  dans   teyer  (lat.    tenere)  l'omission  de  Vn   «    ne  provient   que  de 
l'omission  du  trait  qui  doit  marquer   les  «  et  m  »,   et  il  ajoute  que  ces  «  négli- 
gences »  existent  dans  la  majeure  partie  des  anciens  mss.  catalans  :  explication 
bien  peu  vraisemblable  lorsqu'on  voit  le  cas  auquel  elle  s'applique  se  reproduire 
régulièrement  en  des  circonstances  et  en  des   lieux  déterminés.  Il  s'agit  ici  d'un 
fait  de  prononciation  qui  consiste  en   ceci  que  dans  la   région  des  Pyrénées  le 
son  n  (ordinairement  nh  en  prov.,  lat.  ni  en  hiatus  et  gn)  se  réduit  à   la  semi- 
voyelle  i  ou  y .    Ainsi,   dans  -les  textes   même  publiés  par  M.  A.,  on  lit  seyor 
p.  3 14  (prov.  ien/io;),  ro}'o/u7/  p.    324  (prov.    ronhonal),   seyal   p.    325  (prov. 
senhal),  peyorat  p:  326  (prov.  pcnhorat).   Cette  particularité   dialectale  s'étend 
assez  loin  vers  l'ouest,  puisqu'on  lit  dans  le  cartulaire  de  Saint  Pierre  de   Lézat 
(au  sud  du  département  de   la  Haute-Garonne)   sehor  pour  senhor.  P.  M.J  — 
P.  331,  C.  Chabaneau,  du  z  final  en  français  et  en  langue  d'oc,  commencement 
d'un  travail  fort  intéressant,  que  nous  apprécierons  mieux  quand  il  sera  terminé. 
—  P.  34O;  A.  Boucherie,  Ktymologics françaises  et  patoises  (suite).  M.  B.  n'admet 
qu'un  petit  nombre  des  critiques  que  j'ai  adressées  à  son  précédent  article  (Rom.  III 
116);  mais  je  ne  puis  que  les  maintenir  contre  ses  objections,  en  faisant  seulement 


420  PÉRIODIQUES 

remarquer  que  tramât  donne  traime  au  m.  â.,  et  que  m^r^r  ne  vient  pas  de  mactare  ; 
\e  p  n'est  pas  traité  de  nièmc  aprt-sr  et  après  x;  corrccur  est  incontestablement  un 
atlaiblissc'iiicntdeforroci^r  :  reste  à  savoir  si  j'ai  eu  tort  de  ne  pas  admettre  d'affai- 
blissement semblable  dans  V Alexis.  M.  B.  nous  offre  cette  fois  les  étymologies 
suivantes  :  mousse  (des  liquides)  =  "mulsa,  oinccs  (patois  de  l'ouest,  Rabelais; 
griffes  d'après  tous  les  commentateurs  et  M.  le  comte  Jaubert,  jointures  d'après 
M.  B.)  =  junctas,  orgueillir  (hypothétique,  d'où  orgueil)  =  '  adrecolligerc, 
ronjler  =  *  rhombulare,  rouiller  =  *  rubiculare  et  *  rodiculare,  souiller  =  '  suculare 
(de  sucula),  toucher  =  *tudicare,  tusta  (prov.  mod.,  frapper;  =  tusitare,  tréteau  = 
transtellum.  Cette  dernière  étymologie  a  déjà  été  donnée  par  moi  (notes  sur 
Diez,  Anciens  Glossaires  romans,  trad.  A.  Bauer).  Parmi  les  autres,  les  trois 
premières  sont  d'une  invraisemblance  qui  saute  aux  yeux  ;  les  cinq  dernières, 
sans  être  évidentes,  sont  ingénieuses  et  soutenables.  M.  B,  a  été  bien  malheu- 
reux avec  le  mot  preux,  auquel  il  a  péniblement  cherché  trois  étymologies, 
probus,  providus  et  prox  (!).  Ce  mot  n'en  a  qu'une,  qui  est  le  prod  contenu 
dans  prod-est,  décomposé  en  est  prod  (de  même  sum  prod,  fuit  prod,  etc.),  d'où 
à  la  fois  prou  dans  le  sens  nominal  de  «  profit  »  et  dans  le  sens  adverbial  de 
«  en  abondance  »,  et  prod,  puis  proz,  preux,  dans  le  sens  adjectival  de  utilis, 
comme  disent  les  textes  bas-latins  (c'est  pour  cela  que  prod  preux  n'a  pas  à  vrai 
dire  de  féminin).  Les  quelques  scrupules  que  Diez  conserve  sur  cette  dérivation 
peuvent  être  regardés  comme  excessifs  ;  Littré  ne  l'a  pas  examinée  assez  sérieu- 
sement. En  passant,  M.  B.  reproduit  une  observation  qu'il  a  déjà  faite,  et  qui 
me  paraît  juste  et  intéressante  ;  c'est  que  les  anciens  mss.  n'écrivent  jamais  \'h 
initiale,  dans  les  mots  où  elle  est  muette,  après  /',  d',  etc.  (lome  et  non  IJiome, 
doncur  et  non  dhoncar).  Cependant  les  noms  propres  comme  Lhèritier  Lhôte 
Dhormois  semblent  remonter  assez  haut.  —  [P.  354.  Ch.  de  Tourtoulon, 
De  quelques  formes  de  l'ancienne  langue  d'oc.  M.  de  T.  revient  encore  sur 
la  question  que  j'ai  rapidement  discutée  ci-dessus  p.  1 1 5-6,  et  invoque 
des  raisons  théoriques  en  faveur  de  l'emploi  de  /;  au  sens  du  cas  régime 
dans  le  provençal  parle  du  moyen-âge.  Je  répète  qu'en  ce  sens  tous  les  textes  du 
XIV"  et  et  du  XV«  siècle  que  je  connais  emploient  los,  que  ces  textes  n'ont  pour 
la  plupart  aucun  caractère  littéraire,  qu'ils  représentent  aussi  bien  que  possible 
la  langue  parlée,  et  que  je  n'admettrai  l'emploi  de  li  dans  le  sens  et  au  temps 
indiqués,  que  lorsqu'on  m'en  aura  fait  voir  un  exemple.  M.  de  T.  termine  en 
disant  que  «  M.  Meyer  ne  contesterait  plus  aujourd'hui  l'identité  du  parfait 
»  toulousain  egui  avec  les  parfaits  actuels  en  en,  par  suite  de  la  transformation 
»  de  la  liquide  en  gutturale  qui  se  remarque  dans  plusieurs  dialectes  ».  Je  con- 
teste absolument  cette  transformation  et  par  suite  l'identification  proposée.  Les 
deux  formes  ont  le  même  sens,  mais  non  la  même  origine.  —  P.  M.]  —  P.  3  57- 
376.  Jeux  et  sournetas  du  Bas-Languedoc  ;  la  conte  de  Mitât  de  Gai  est  une  bonne 
variante  d'un  conte  curieux,  dont  on  a  déjà  une  version  poitevine  et  une  franc- 
comtoise  ;  la  Pel  d'Ase  n'a  pas  de  valeur,  procédant  évidemment  du  conte  de 
Perrault.  —  P.  418,  A.  Gazier,  Lettres  à  Grégoire  sur  les  patois  ;  Grégoire,  avant 
d'écrire  son  célèbre  Rapport  sur  les  patois,  avait  envoyé  une  sorte  de  circulaire 
et  de  questionnaire  dans  toute  la  France  ;  on  a  beaucoup  des  réponses  qui  lui 
furent  adressées,  et  M.  G.  en  commence  l'intéressante  publication.  —  P.    454, 


PÉRIODIQUES  42! 

C.  Chabaneau,  Grammaire  limousine  (suite).  —  P.  482-485,  A.  Montel  et  L. 
Lambert,  Chants  populaires  du  Languedoc  :  annonce  d'un  recueil  de  ces  chants. 

—  Bibliographie  :  P.  Meyer,  Recueil  d'anciens  textes,  I  (A.  B.)  ;  Monaci,  Canti 
antichi  portoghesi  (A.  R.-F.).  —  Périodiques  (M.  Chabaneau  donne  l'original 
latin  du  texte  relatif  à  la  Roumanie  au  XVI'  s.  que  nous  avons  reproduit  (III 
125).  —  Chronique.  G.  P. 

II.  Jahrbuch  fur  romanische  literatur.  N.  F.  I.  4.  —  P.  351-367, 
Steinschneider,  Ysopet  hebraïsch,  ein  Beitrag  zur  Geschichte  der  Fabel  im  Mit- 
telalter-  article  d'une  érudition  rare,  et  notamment  précieux  par  les  indications 
qu'il  contient  à  la  fin  sur  les  rapports  de  la  littérature  des  Juifs  avec  celle  de  la 
France  au  moyen-âge.  —  P.  368-382.  Soldan,  zum  Text  des  catalanischen 
Thierepos  (voy.  Romania  II);  variantes  tirées  d'un  ms.  de  Londres.  —  P.  383- 
385,  Suchier,  zur  Lautlehre  derStrassburger  Eide;  l'auteur  propose  d'écrire  saveir 
podeir  deist  nui  seit  pour  savir,  etc.,  ce  qui  est  évidemment  trop  hardi,  mais  ce 
qui  indique  à  mon  avis  la  vraie  explication  de  ces  formes;  pour  non  los  tanit,  il 
écrit  lo  franit  (voy.  ci-dessus,  p.  371).  —  P.  385-390,  Suchier,  zur  Metrik  der 
Eulalia-Sequenz  :  l'auteur  montre,  par  une  étude  minutieuse,  avec  quelle  fidélité 
le  cantique  français  a  suivi  la  séquence  latine  qui  lui  servait  de  modèle;  il 
propose  quelques  corrections  au  texte  pour  rendre  cette  fidélité  plus  complète 
encore.  —  P.  391-394,  compte-rendu,  par  M.  Delius,  de  la  traduction  du 
Colombo  de  Lope  de  Vega  par  Rapp.  —  Mélanges,  p.  395-6.  M.  Stratman 
relève  trois  fautes  de  lecture  dans  d'anciens  textes  anglais  et  pose  aux  lecteurs 
trois  questions  d'étymologie  anglaise.  —  La  livraison  se  termine  par  la  biblio- 
graphie des  années  1871-2,  due  pour  la  partie  française  à  M.  Ebert;  pour  la 
partie  italienne  (remarquablement  riche)  à  M.  Tobler,  pour  le  reste  à 
M.  Lemcke.  G.  P. 

III.  Romanische  Studien,  I,  4.  —  Toute  la  livraison  est  occupée  par  le 
commencement  de  Girbcrt  de  Metz,  publié  par  M.  Stengel  d'après  le  ms.  fr. 
19 160  avec  les  variantes  de  plusieurs  autres.  Ce  morceau  comprend  environ 
2500  vers  et  est  fort  intéressant.  M.  St.  s'est  borné,  sauf  pour  les  premiers 
vers,  à  donner  les  variantes  sans  établir  un  texte  critique.  On  ne  pourra  le 
faire  d'ailleurs  que  quand  on  sera  bien  d'accord  sur  la  classification  des  manus- 
crits. M.  St.  annonce  à  ce  sujet  un  travail  d'un  de  ses  élèves,  M.  V^ietor  ;  il 
n'avait  pu  connaître  encore  l'importante  étude  de  M.  Bonnardot  dans  le  dernier 
n°  de  la  Romania.  —  En  parcourant  le  texte  de  M.  St.,  je  n'y  ai  remarqué,  à 
part  un  certain  nombre  de  fautes  d'impression  (surtout  dans  la  ponctuation),  que 
quelques  légères  méprises.  Avois  (p.  505  et  ailleurs)  n'est  pas  une  exclama- 
tion; il  faut  lire  A  vois  escrie.  Comment  le  même  mot  est-il  imprimé  (p.  557) 
Vaulparfonde  et  vaul  parfonde?  Le  v.  1  de  la  p.  522  a  été  mal  compris  :  il  faut 
a  delis  et  non  Adelis.  Les  formes  sou,  mou  (pour  son,  mon)  reviennent  trop  sou- 
vent pour  que  j'ose  les  attribuer  à  une  mauvaise  lecture  ;  mais  elles  m'étonnent. 

—  Les  variantes  sont  disposées  d'une  manière  commode  et  intelligente.  —  G.  P. 

IV.  The  Educational  Review  of  thp  french  L.\nquaoe  and  Litera- 


422  PÉRIODIQL'ES 

TURE.  N"  III  '.  —  P.  2-15,  G.  Masson,  Fiench  mtdiatval  Romances;  court 
résumé  des  travaux  sur  le  cycle  carolingien.  —  P.  16-20,  A.  H.  Keane,  Philo- 
logical  note  on  Être  :  article  très-faible  où  l'auteur  combat  l'opinion  qui  tire 
esteic  (fr.  mod.  étais)  de  estre  et  non  de  stare,  sans  bien  se  rendre  compte  des 
arguments  pour  et  contre.  —  P.  27-29,  Notes  and  Queries.  —  P.  29-ji,  article 
signé  A.  L.  M.  sur  la  Vu  de  S.  Alexis.  —  P.  31-36,  reproduction  d'un  article 
de  la  Revue  critique  sur  certaines  questions  philologiques  soulevées  par  le  dernier 
roman  de  Victor  Hugo. 

V.  MrâioinESDE  LA  Société  de  lingufstique  de  Paris,  11,4.  —  P.  320,  Note 
supplémentaire  sur  fagne,  fange,  hohe  venn  ;  M.  Grandgagnage  revendique  la 
priorité  pour  l'étymologie  de  ces  mots  (goth.  fanja),  proposée  de  nouveau  par 
M.  d'Arbois  de  Jubainville  dans  les  Mêm.  de  la  Soc.  (II  70). 

VI.  ZeITSCHUIFT    FÛn    VERGLEICHENDE     SPRACHFORSCHUNG,     N.    F.     I,    VI. 

—  P.  481-^48,  A.  Hasfelin,  Abhandlungen  iiber  die  romanisehen  Mundarten  der 
Siidwestschweiz .  Ce  deuxième  article  comprend  la  suite  de  la  phonétique  et 
les  flexions.  Je  continuerai  d'abord  à  relever  les  mots  qui  appartiennent  au 
français,  mais  sans  répéter  ceux  que  j'ai  indiqués  dans  mon  précédent  compte- 
rendu  : 

appyodi  484,  —  dme,  ^ma  487,  —  imita  491,  —  irrita  491,  —  mérita  491, 

—  ron,  ronde  491,  —  caritâ  491,  —  frère  491,  mère,  491,  —  père  491,  — 
avido  493,  —  humide  493,  —  solido  493,  —  tyedc  493,  aire  496,  —  ciel  497, 
respecta  j[C)-],  —  abstcni  508; 

corporance,  p.  481,  doit  plutôt  être  du  français  neuchâtelois  que  du  patois 
(comp.  premier  article  p.  306  et  307).  Mais  l'auteur  n'en  prouve  pas 
moins  par  cet  exemple  ce  qu'il  veut  prouver.  —  Pourmon,p.  481,  devrait  égale- 
ment avoir  sa  place  dans  les  voyelles,  p.  327,  comme  exemple  de  Vu  se  main- 
tenant en  position  hors  de  la  syllab3  accentuée.  —  Orma ,  p.  481,  qui 
aurait  dû  avoir  une  traduction  française,  est  bien  remarquable  parce  qu'il 
a  conservé  son  genre  latin,  en  prenant  la  terminaison  du  féminin.  On  peut 
rapprocher  un  phénomène  analogue  dans  le  Jorat  où  plusieurs  diminutifs  de  noms 
d'arbres  sont  féminins.  —  Dyêbe,dydbo,  p.  481,  sont  des  formes  trop  faciles  à 
expliquer  pour  que  je  puisse  les  regarder  comme  euphémistiques.  Le  m.ot  ne  me 
semble  guère  dissimulé  et  ses  modifications  phoniques  n'ont  rien  d'irrégulier. 
C'est  le  premier  y  qui  a  occasionné  la  chute  du  second,  qui  pourrait  aussi  avoir 
été  amenée  par  une  simple  tendance  à  faciliter  la  prononciation.  —  Sur  soffe  et 
soffyc,  p.  481,  v.  plus  loin.  —  Livre  et  llvro  (art.  iiber),  p.  481,  auraient  dû  être 
cités  pr.  art.  p.  320  et  521,  attendu  que  c'est  un  des  rares  mots  où  û  devient  i. 

—  Le  mot  geneulyc,  p.  481,  aurait  plus  justement  sa  place  au  bas  de  la  p.  suivante 
où  il  est  question  de  u  se  mouillant.  Cf.  Ascoli,  Saggi  tadini,  n'  112.  —  Parmi 
les  exemples  que  M.  H.  donne  de  /  mouillée,  il  y  en  a  plusieurs  où  l'on  peut 
supposer  une  cause  :  dans  delyon  =  dia  lunac  \'y  de  la  première  syllabe  s'est 
attaché  à  la  seconde,  tout  en  modifiant  1'^  ;  dans  lyagot  il  est  né  par  l'influence 

I.  C'est  le  seul  numéro  de  ce  recueil  qui  nous  ait  été  adressé. 


PÉRIODIQUES  423 

de  la  gutturale  suivante;  dans  lyenceu  =  linteolum  c'est  l'y  produit  après  t  qui 
a  exercé  doublement  son  influence  et  sur  le  t  et  sur  1'/  de  la  première  syllabe. 
Quant  aux  verbes  va/)'ê,  /'o/}'î, /<2/)'a,  p.  582,  volyd,  p.  547,  /  mouillée  a  été 
amenée  par  la  puissance  de  l'analogie  :  certaines  personnes  l'avaient  nécessaire- 
ment par  leur  origine;  elles  l'ont  transmise  où  elle  n'avait  que  faire.  —  L'u  de 
cuté,  ducct,  p.  482,  me  paraît  avoir  son  origine  dans  le  développement  d'un  i, 
comme  nous  le  voyons  dans  pouidra  (poudre).  Quant  à  cuei,  cudâ,  sutd,  voici 
comme  je  pense  qu'ils  sont  arrivés  à  leur  forme  :  al  donne  au  qui  à  son  tour 
passe  à  ou,  puis  cette  diphthongue  devient  û,  son  simple  qui  a  été  traité  comme 
Vu  latin.  —  Moclyi,  p.  483,  de  mollire  est  impossible  pour  deux  raisons  :  parce 
que  les  dialectes  vaudois  et  fribourgeois  ne  lui  donnent  jamais  la  forme  inchoative, 
signe  infaillible  des  verbes  qui  appartenaient  en  latin  à  la  quatrième,  et  parce  que 
les  langues  romanes  d'un  commun  accord  nous  montrent  que  la  forme  primitive 
avait  un  a.  Conf.  Diez  EW.  I.  s.  v.  molle.  —  Travalyi,  p.  483,  de  "transvallare 
est  aussi  nouveau  qu'invraisemblable  quant  au  sens  et  impossible  quant  à  la 
forme.  L'article  de  Diez  sur  travaglio  dans  VEW.  aurait  dû  détourner 
l'auteur  de  cette  étymologie.  —  A  l'égard  de  CL  et  GL  il  pourrait  y  avoir  plus 
de  précision.  GL,  quelle  que  soit  sa  place,  devient  toujours  /}',  tandis  que  CL 
est  traité  différemment,  selon  qu'il  est  initial  ou  qu'il  est  entre  deux  voyelles. 
Dans  ce  cas  —  nous  avons  affaire  à  des  mots  qui  en  latin  avaient  une  voyelle 
brève  entre  la  muette  et  la  liquide  —  la  gutturale  s'est  adoucie  de  bonne  heure 
de  façon  que  CL  donne  le  même  résultat  que  GL.  CL  donnant  CY,  puis  TY, 
contredit  une  fois  de  plus  ce  que  Diez  enseigne  Gr.  I  p.  209,  quoiqu'il  paraisse 
avoir  eu  une  idée  du  véritable  état  des  choses.  Comme  il  est  un  peu  hasardé  de 
séparer  tyould  de  clouer  et  de  l'it.  chiodo,  j'aime  mieux  penser  qu'il  y  a  eu  chan- 
■gement  de  d  en  /,  bien  que  phonétiquement  l'étymologie  donnée  par  M.  H. 
«  *clavulare  n  soit  inattaquable.  Ce  changement  existe  dans  les  dialectes  de  la 
Suisse  rom.ande.  J'aurai  l'occasion  d'en  parler  plus  à  propos  un  peu  plus  tard. 
Au  sujet  de  CL  devenu  successivement  CY  et  TY,  il  est  intéressant  de  constater 
qu'il  passe  finalement  à  TX  ou  X  {ch  fr.),  comme  l'a  fait  c  devante?  en  français. 
A  l'occasion  du  traitement  de  CL,  j'en  rapprocherai  ce  qui  est  dit  de  Q\n  dans 
cet  article  même  p.  500.  —  P.  485.  La  faible  et  si  singulière  résonnance 
nasale  qui  reste  de  Vn  dans  certains  cas  bien  indiqués  par  l'auteur  devrait  être 
marquée  par  un  signe  particulier.  Je  propose  d  ou  e  .  Elle  existe  aussi  dans 
une  partie  du  canton  de  Vaud.  —  Nomnd,  p.  485,  n'est  pas  une  forme  réelle- 
ment populaire.  Ce  serait  nonnd,  qui  se  trouve  dans  quelques  vieilles  chansons 
fribourgeoises.  Comp.  plus  bas  ferma,  sonna.  —  Motrd  étant  commun  à  toute 
la  Suisse  romande  et  n'étant  pas  plus  extraordinaire  que  cotd  et  codrc  (consuere), 
j'ai  des  raisons  de  croire  que  montra  a  été  pris  du  français,  ce  qui  est  arrivé  aussi 
dans  le  Jorat,  sans  que  l'emprunt  pourtant  soit  parvenu  à  mettre  hors  d'usage 
la  forme  populaire.  Conf.  Diez  G.  I,  p.  221.  —  Dans  pipionem,  p.  487,  don- 
nant pengon,  c'est  le  son  final  qui  a  pris  place  aussi  dans  la  première  syllabe. 
Son  introduction  est  postérieure  à  l'adoucissement  du  p  'en  /'  qui  autrement 
n'aurait  pu  avoir  lieu.  —  Les  mots  tels  que  cold,  ma.  friborgà,  où  nous  savons 
que  la  chute  de  \'n  est  fort  ancienne  (Cf.  Diez  Gr.  p.  221  et  Corssen  Ausspraclic 
etc.  I,  p.  2  ^  1  ),  ne  devraient  pas  faire  partie  de  ceux  où  IVi  est  tombée  dans  la  période 


424  PÉRIODIQUES 

romane.  — ContreUyl,  p.  488  par  dissimilation,  de  mèmt  que  colidor,  parce  que  IV 
finale  est  très  sonnante.  —  Il  n'y  a  rien  que  )c  sache,  là  où  il  est  question  des 
voyelles,  sur  u  =  /  dans  crubyd.  —  Pousse,  p.  488,  On  connaît  en  latin  le  pas- 
sage de  s  à  r,  mais  il  n'est  pas  si  vraisemblable  quer  passe  à  s.  Serait-ce  le  cas, 
nous  n'en  aurions  ici  que  faire  :  pudra  ou  pouidra  est  formé  clairement  de  l'accu- 
satif, tandis  que  pousse  est  la  forme  du  nominatif  (que  nous  avons  dans  le  prov. 
pois)  à  laquelle  on  a  ajouté,  tout  comme  à  orma  de  ulnius,  à  granta  de  grandis, 
la  désinence  féminine  a.  Pour  ce  qui  est  de  poussière,  si  ce  n'est  pas  un  dérivé 
du  nom.  puhis,  j'y  vois  le  même  changement  de  r  en  5  que  dans  chaise.  Conf. 
Diez  Gr.  I,  p.  239  et  454  et  EW.  Ile  s.  v.  poudre  et  chaise.  Dans  besicle  Ile  je 
reconnais  le  changement  de  5  en  r  et  non  l'inverse.  Car  je  ne  pense  pas  que  les 
étymologies  proposées  puissent  se  soutenir  sérieusement. — Bri,  berceau,  p.  488. 
Je  doute  que  l'étymologie  proposée  par  Diez  puisse  satisfaire  les  philologues.  Si 
formellement  elle  convient  à  berceau,  il  n'en  est  pas  de  même  pour  bn  et  les 
autres  mots  correspondants  cités  s.  v.  bercer  EW.  Ile.  —  Diez  Gr.  I  p.  223, 
fait  remarquer  avec  raison  que  r  est  le  plus  mobile  des  sons.  Mais  sa  mobilité 
est  particulièrement  fréquente  après  la  voyelle  é  {e  muet).  Les  exemples  cités  par 
M.  H.  confirment  bien  ce  que  j'avance:  fremazo  ,  guernd  [granare),  guërni 
et  grénî  (granarium),  gueryon  au  lieu  de  grëlyon,  pree  (pirum  Jorat  péré,  Gruy. 
pré),  —  Dans  dtmîcro,  mabre,  p.  488,  il  y  a  chute  de  l'r  par  dissimilation.  — 
Dans  gdchon  il  n'y  a  pas  eu  élimination  pure  et  simple  de  l'r,  mais  assimilation 
à  f  ;  de  là  c/î  et  le  prolongement  de  1'^  bref.  —  Coésa  {course)  p.  489  avec  le 
signe  de  Vo  fermé  est  une  inconséquence  ou  une  erreur,  si  je  le  vois  pourvu 
d'une  marque  qui  manque  aux  autres  mots  dont  la  phonétique  doit  être  la  même. 
—  Dans  Icrgic,  p.  490,  c'est  l'r  finale  qui  s'est  portée  sur  la  première  syllabe, 
comme  dans  pcngon  la  nasale.  —  A  propos  de  l'épenthèse  de  l'r,  je  ferai  ici  une' 
observation  qui  montrera  qu'elle  n'a  pas  lieu  au  hasard.  On  peut  pour  les  dia- 
lectes de  la  Suisse  romande  formuler  la  loi  suivante  :  étant  donné  muette  +  /, 
la  muette  de  la  syllabe  précédente  se  fait  suivre  de  r.  C'est  ce  qui  ressort  des 
exemples  donnés  :  broiye,  dreubyc,  drobyd,  etrabye,  trabye.  —  Voar,  p.  490,  pour- 
rait bien  être  autre  chose  que  le  latin  vas  et  r  appartenir  au  radical.  Ainsi  donc 
l'addition  de  l'r  à  la  fin  des  mots  et  dans  leur  intérieur  serait  plus  restreinte  et 
plus  réglée  qu'il  ne  paraît  au  premier  abord.  Dans  branda  {lov3.\brenta),^.  491, 
il  est  peu  probable  qu'il  y  ait  eu  adoucissement  de  t  en  d.  —  Modâ  de  mutare 
est  phonétiquement  impossible,  premièrement  parce  que  û  se  serait  conservé  et 
ensuite  parce  que  t  serait  tombé.  Comp.  moud  un  peu  plus  bas.  Il  vient  de 
molare  ou  de  movitare  :  car  dans  les  fréquentatifs  il  a  plus  souvent  persisté,  soit 
tel  quel,  soit  comme  d.  —  Pyedeyî,  p.  491,  répond  au  fr.  plaidoyer;  il  ne  vient 
donc  pas  de  *  placitare,  mais  de  *  plac{i)ticare.  —  Dans  callrc  de  cathedra  p.  491, 
/  ne  vient  pas  directement  de  th  dont  la  valeur  a  été  celle  du  t,  mais  il  y  a  eu 
adoucissement  préalable  en  d.  V.  Diez,  Gr.  I,  p.  235.  Le  changement  de  /  en  / 
dans  l'mon  pour  t'tnon,  dont  M.  H.  ne  doute  nullement,  est  encore  plus  invrai- 
semblable, parce  qu'il  est  initial.  Conf.  Diez  EW.  II  b,  s.  v.  leme.  —  Au  lieu 
de  dire  brièvement  que  t  dans  /rare  a  été  syncopé,  il  vaudrait  mieux  indiquer 
qu'il  s'est  adouci  auparavant  en  d.  —  Bouuro  (butylum)  àebouiro,  p.  491.  M.  H. 
pense  que  Vi  est  venu  remplacer  la  dentale  tombée.   Vi  latin  n'a-t-il  pas  pu 


PÉRIODIQUES  425 

persister  après  la  chute  de  la  dentale  et  ensuite  former  diphthongue  avec  u  Ml  y 
a  en  latin  trop  peu  de  mots  semblables  pour  confirmer  ou  faire  rejeter  ma  suppo- 
sition —  Frère,  mère,  père,  p.  491,  sont  pour  trois  des  dialectes  des  formes 
françaises  ou  à  demi  francisées  qui  ne  prouvent  pas  ce  qu'elles  veulent  prouver. 
Dans  les  différentes  formes  venant  de  petra,  p.  491,  il  n'y  a  pas  d'i  (y)  intercalé 
et  je  ne  vois  que  le  développement  normal  de  Ve  bref.  Comp.  305.  —  Dans 
poueri,  dont  il  serait  plus  juste  d'écrire  comme  équivalent  latin  putrere  (que  l'in- 
choatit  putresare  donne  bien  le  droit  de  créer),  il  n'y  a  pas  non  plus  à'i  inter- 
calé devenu  e.  C'est  la  même  diphthongaison  dont  il  est  question  p.  327.  — 
P.  492.  Il  n'est  pas  exact  de  dire  que  ci  se  durcit  parfois  dans  le  corps  des 
mots  en  t.  Cela  arrive  au  d  final  comme  en  provençal  et,  comme  ce  sont  des 
adjectifs,  le  masculin  a  une  influence  sur  le  féminin.  C'est  ainsi  que  je  m'explique 
crute,  nute,  granta,  verte  (ce  dernier  peut-être  du  français).  —  Evite,  p.  492, 
à'invidia  est  au  moins  irrégulier.  Outre  le  durcissement  assez  invraisemblable  de 
d  en  t,  il  présente  Vatropiiie  de  la  syllabe  accentuée  (cette  atrophie  se  retrouve 
d'ailleurs  dans  le  pr.  eveja).  Peut-être  l'y  posttonique  a-t-il  déterminé  le  main- 
tien de  \'i  dans  la  syllabe  précédente.  —  Megagnî,  p.  492,  de  minus  dignari  est, 
malgré  le  rapprochement  de  dcgaigni  dans  Bridel,  bien  douteux.  En  effet  dcgai- 
gnî  ou  dcgéhi,  comme  on  dit  ailleurs,  est  composé  de  de  +  gaignt,  qui  signifie 
regarder.  Conf.  de-spicere.  Dignan  est  déni  dans  le  Jorat  avec  e  fermé,  ce  qui 
est  une  raison  de  plus  contre  l'étymologie  proposée.  Le  sens  du  mot  que  M,  H. 
a  oublié  de  donner  ne  permettrait-il  pas  de  le  rapprocher  de  magagnare}  Conf. 
Diez  EW.  s.  v.  magagna.  —  Crouye,  p.  493,  ne  saurait  venir  directement  de 
crudus.  V.  Diez  EW.  II  a  s.  v.  crojo.  —  Morgè  p.  493  {mordebat)  doit  être 
rayé  de  la  liste  des  exemples  qui  servent  à  prouver  que  d  peut  devenir  sifflant, 
car  c'est  de  mordia,  avec  un  rejet  de  l'accent  sur  la  finale  fréquent  d'ailleurs  dans 
la  Suisse  occidentale,  que  part  la  forme  donnée.  Nous  y  avons  le  développement 
bien  connu  ded  +  y.  Dans  les  autres  exemples,  sans  vouloir  absolument  rejeter 
l'explication  fournie  par  M.  H.,  nous  avons  peut-être  des  formes  produites  par 
l'analogie,  comme  il  arrive  si  souvent  dans  les  verbes.  —  Bad  (baptizare), 
p.  494,  me  paraît  susceptible  d'être  expliqué  autrement  et,  à  mon  avis,  d'une 
manière  plus  probable.  Si  ?  et  z  s'étaient  réunis  de  très-bonne  heure,  1'/  n'aurait 
aucune  raison  d'être.  On  a  eu  d'abord  batesi  (comp.  le  fr.  baptiser)  puis  batsi  ou 
batxi.  La  ressemblance  du  traitement  de  tz  avec  celui  de  et  dans  depaeî  est  donc 
plus  fortuite  et  apparente  que  réelle  et  véritable.  —  P.  494.  Des  exemples  de  s 
se  durcissant  en  s  on  peut  facilement  tirer  une  loi  qui  s'étend  également  dans  le 
canton  de  Vaud.  Ce  n'est  pas  au  hasard  que  s  remplace  s,  mais  il  y  a  ou  assi- 
milation ou  combinaison  de  deux  sons  pour  en  former  un  seul.  Ainsi  s  =  rs  et 
rç  dans  coôla  p.  495,  gâehon  p.  488,  mais  il  est  pour  s -^  y  t\.  quelquefois  s  + 
u  dans  le,  qui  n'est  pas  sie  simplement,  car  ce  serait  se,  mais  sic  est,  c'est-à-dire 
se  e;  dans  soui,  sôé,  chouai,  soei,  si;  lorta ,  qui  a  probablement  eu  autrefois  une 
diphthongaison,  suorta ,  puis  syorta  et  enfin  sorta;  !eso,desyo  comme  M.  H. 
aurait  dû  écrire,  et  lo  lonno  (le  sien)  ;  soud  soé,  qui,  de  même  que  sd  et  seur  se 
prononcent  vraisemblablement  en  une  syllabe  ;  lojfe  et  soffye  oh  y  s'est  attaché  à 
Vs,  soit  en  persistant  soit  en  tombant  après  Vf;  groseur,  qui  paraît  avoir  ren- 


426  PéRlODiqUES 

fermé  un  élément  guttural;  paseu  oh  la   terminaison  répond  au  latin  —  atonum. 
Cretre,  p.  495,  pour  prouver  que  la  combinaison  sr  n'est  pas  supportée  par  les 
dialectes  neuchdtelois,  n'est   pas  bien  choisi,   mieux  aurait   valu   prendre  Urc 
{'essere),    car  entre  de  crescere   a   subi    d'autres  modifications  que     l'insertion 
d'un   /   entre  i   et    r.    —   Pourquoi   pyi'-re,   p.    496,    n'est-il    pas   expliqué 
comme  fêre  (faccre),  c'est-à-dire  qu'on  a  accentué  pldccre  et  qu'il  y  a  eu  vocalisa- 
tion de  la  gutturale?  —  Fare,  p.  496,  ne  peut  venir  facilement  6e  fjcere,  à  moins 
que  Va  ne  soit  le  successeur  naturel  de  \'e  ouvert  dans  le  dialecte  auquel  le  mot 
appartient.  Ou   faudrait-i!  admettre  un  infinitif  reformé  sur  la  première  avec 
pleine  terminaison?  —  Dans  djii  (jocus)  \'i  qui  s'est  développé  de  la  gutturale 
n'a  pas  été  rejeté  purement  et  simplement,  son  influence  s'est  fait  sentir  au  con- 
traire, car  u  +  i  donne  ù.  —  Dans  ganibc,   p.  497,   il  n'y  a   pas  eu,  comme 
pense  l'auteur,  échange  de  ^  avec  c,  mais  quand  la  gutturale  s'est  modifiée  pour 
devenir  palatale,  elle  était  déjà  arrivée  à  g.  Comp.  it.  esp.  cat.  prov.  gamba  et 
V.  Diez  EW.  s.  v.  —  P.  498.  A  propos  de  lyi  (Icdus)   l'auteur  dit  que  dans 
ce  mot  deux  i  étant  venus  à  se  rencontrer,  le  premier  est  devenu  )'.  Sans  doute 
que  c'est  le  français  qui   l'a  amené  à  une  interprétation  semblable  de  la  semi- 
voyelle,  sans  qu'il   ait  examiné  d'assez  près   le  latin,   car  Itctus  doit  donner 
d'abord  régulièrement  leyt,  puis  Vy,  qui  est  un  son  si  mobile  que  je  le  compare- 
rais volontiers  à  l'huile,  s'est  joint  à   1'/,  et  ce  n'est  que  plus   tard,  par  son 
influence  progressive  et  régressive,   que  lyeyt  est   devenu   lyi.  —  P.  498.  Sur  les 
formes  telles  que   cacl   [coactare),    depacl  (dispactare  ou  *  de  expactare) ,  empacï 
{impactare),  jraci  {'  fractare),  fycci  (flectere),    v.  Ascoli,  Saggi   ladini,  note  i    du 
n°  172.  —  Sur  fege  (ficatam),   p.  498,  j'ai  la   même  remarque  à  faire  que  sur 
gambe.  Il  n'y  a  pas  eu  passage  de  c  à  g,  mais,  quand  la  gutturale  a  commencé 
à  devenir  palatale,  elle  était  déjà  adoucie  en  g.  —  P.  498.  C'est  sans  doute  une 
inadvertance  de  donner  comme  étymologie  de  essare  '  exsucare  au  lieu  de  exsugere. 

—  P.  498.  Il  n'est  pas  juste  de  dire  que  dans  le  groupe  L'C  c  devient  g,  car 
dans  pugâ  (pullicenus)  c  était  devenu  g  quand  il  a  subi  la  seconde  modification. 
Il  en  est  de  même  dans  megi,  pàgi,  vagi,  cargi,  for gi,  forge  (mais  ces  deux  der- 
niers viennent  peut-être  du  fr.),  mots  qui  ont  perdu  une  syllabe  après  avoir 
auparavant  adouci  le  c  en  g.  Epanêi,  si  l'origine  proposée  est  assurée,  serait 
irrégulier.  —  Sur  T'C  comp.  Ascoli,  Saggi  ladini,  note  2  du  n°  168,  où  le 
savant  professeur  donne  d'ingénieux  éclaircissements.  —  Sous  la  rubrique  se, 
p.  499,  on  peut  voir  combien  il  est  fâcheux  de  confondre  les  habitudes  ortho- 
graphiques avec  les  sons.  Car  dans  pesson  et  ransinole  la  simple  s  et  \'s  redou- 
blée ont  la  même  valeur.  L'ordre  aurait  demandé  que  moce  et  autres  mots 
semblables  eussent  précédé.  —  Dans  cnôtre  (cognoscere)  p.  499  il  y  a  plus  de 
phénomènes  réunis  que  l'auteur  ne  paraît  le  supposer.  —  P.  499.  Sous  la 
rubrique  i^u  je  rencontre  ego  {acqualis)  qui  est  probablement  un  mot  d'introduc- 
tion postérieure  (comp.  evoue  à  la  suite),  sans  nier  que  le  mot  latin  ait  pu 
prendre  cette  forme.  Dans  la  Suisse  romande  le   mot  qui  le  remplace  est  parey. 

—  Les  formes  du  mot  aqua,  p.  499,  ne  sont  pas  expliquées  aussi  nettement 
que  possible.  Il  faut  admettre  d'abord  pour  toutes  l'adoucissement  du  ^  en  g 
qui  est  suivi  d'un  a  semi-voyelle  que  j'aimerais   mieux  marquer,   comme  les 


PÉRIODIQUES  427 

Anglais,  par  w.  Comp.  sur  \'u  latin  Corssen,  Aussprachc  etc.  I,  p.  75  ss. 
De  plus  la  gutturale  en  peut  développer  devant  elle  une  autre  qui  se  vocalise. 
L'influence  de  ce  nouveau  son  s'exerce  progressivement  et  régressivement.  Car 
nous  avons  partout  à  la  finale  un  e  muet,  et  où  l'a,  si  ce  n'étaif  l'}»,  pourrait 
paraître,  il  ne  se  montre  pas.  Les  formes  evouc,  dvc  et  cve  ont  suivi  la  marche 
suivante  :  dans  cvoue  le  son  que  Vu  avait  en  latin  s'est  conservé,  mais  a  fait 
tomber  la  gutturale  comme  dans  lenwa,  mwâ  ;  dans  âve  et  eve  la  semi-voyelle 
s'est  endurcie  en  v.  Conf.  wardd  et  l'allemand  warten.  Dans  êgue,  le  g  s'est 
conservé,  mais  Vu  est  devenu  muet.  —  Je  vois  une  expression  trop  souvent 
employée  par  laquelle  l'auteur  ne  donne  pas  une  idée  très-claire  de  ce  qu'il 
pense  :  chute  de  qu  et  remplacement  par  i.  De  la  gutturale  s'est  développé  un  y 
qui  est  i  dans  les  diphthongues.  Est-il  donc  juste  de  dire  que  dans  coure  [coqucre 
qui  succède  à  couere  il  y  a  eu  chute  de  la  seconde  voyelle  de  la  diphthongue.? 
Peut-être  y  a-î-il  eu  contraction  (comp.  lat.  munus  plus  vieux  moenus).  —  La 
rigueur  des  lois  phonétiques  ne  me  permet  pas  d'assigner  à  coui  la  même  origine 
que  M.  H.  qui  le  rattache,  en  faisant  pour  lui  seul  une  exception,  tout  directe- 
ment à  gui  interrogatif  latin.  Quoique  cela  ne  paraisse  plus  dans  l'emploi,  j'y 
vois  un  datif,  justifié  d'ailleurs  par  plus  d'un  cas  dans  les  langues  romanes.  En 
effet,  si  coui  venait  de  qui  latin,  Vu  serait  certainement  devenu  muet,  tandis  que, 
après  c,  il  se  conservait  ou  pouvait  se  conserver.  Conf.  coalyi,  p.  485.  —  Cane, 
p.  500,  de  quercinus  est  bien  problématique,  comme  je  l'ai  déjà  dit.  Il  en  est  de 
mê.me  de  cacon.  —  Dans  ncvoud,  p.  500,  il  n'y  a  pas  eu  d'hiatus  après  la  chute 
du  g,  à  la  suite  duquel  par  une  fausse  analogie  s'est  glissé  un  u.  Vou  (w)  a  fait 
tomber  le  g.  —  Dans /ou  de  fau  (fagus)  p.  500  je  suis  peu  porté  à  admettre 
celle  des  explications  de  Diez  à  laquelle  M.  H.  se  range.  Je  pense  bien  plutôt 
que  le  son  de  Vu  qui  a  dû  être  ici  le  même  que  dans  aqua  a  fait  tomber  la  gut- 
turale. —  Sur  Icnvoua  p.  501,  v.  la  remarque  précédente.  ^-  P.  501.  Dans  la 
combinaison  gn  il  est  bien  plus  simple,  ce  me  semble,  d'admettre  la  vocalisation 
de  g  en  }',  sans  qu'il  y  ait  eu  métathèse  des  sons  originaux.  Je  crains  que  parmi 
les  exemples  donnés  la  plupart  ne  viennent  du  français.  —  P.  502  A.  P.  Il 
semble  qu'il  serait  plus  rationnel  de  commencer  par  la  règle  générale  avant  de 
parler  des  exceptions.  —  Dans  prcvon,  p.  503,  il  conviendrait  mieux  de  regarder 
le  V  comme  introduit  postérieurement  pour  éloigner  l'hiatus.  Comp.  triolet.  — 
V,  dit  l'auteur  p.  504,  aime  souvent  à  se  faire  suivre  de  ou  dans  les  mots  d'ori- 
gine latine,  mais  il  faudrait  un  autre  exemple  que  vouêpc,  puisque  celui-ci  répond 
exactement  à  guêpe.  Conf.  Schuchardt  Vocalismus  II,  p.  501.  —  Les  flexions 
des  substantifs,  des  adjectifs  et  des  pronoms  seraient  bien  simplifiées  à  l'œil  par 
de  petits  tableaux  synoptiques,  l'impression  du  journal  ayant  le  grave  défaut  de 
ne  pas  distinguer  les  exemples  du  texte  proprement  dit.  Je  regrette  que  fauteur, 
si  bref  dans  la  phonétique,  le  soit  encore  plus  ici,  où  il  s'abstient  de  tout  com- 
mentaire et  où  nous  sommes  réduits  à  une  simple  énumération.  Ainsi,  dans  les 
conjugaisons,  il  manque  tout  ce  qui  pourrait  nous  faire  connaître  les  particula- 
rités de  l'accentuation,  s'il  y  en  a,  comme  je  suis  tenté  de  le  supposer.  —  Nous 
avons  souvent  contredit  l'auteur,  mais  son  travail  n'en  est  pas  moins  fort  remar- 
quable, si  l'on  tient  compte  des  grandes  difficultés  avec  lesquelles  il  a  dû  lutter 
pour  l'étude  de  dialectes  qui  n'ont  que  fort  peu  de  documents  écrits.  On  lui 


428  PÉRIODIQUES 

sera  sûrement  reconnaissant  d'avoir  analysé  un  langage  qui  est  à  sa  dernière 
heure'.  J.  ConNf. 

II,  2.  —  P.  190.  Long  article,  très-approfondi  et  très-intéressant,  de  M.  Schu- 
chardt,  sur  d'Arbois  de  Jubainville,  la  déclinaison  latine  en  Gaule,  dont  il  repousse 
les  conclusions  comme  tous  les  critiques;  d'Ovidio,  pour  lequel  il  est  moins 
sévère  que  MM.  Tobler  et  Mussafia;  et  Sievers,  Quaesliones  onomatologicae  {Act. 
Soc.  phil.  Lips.  II,  55-106),  ouvrage  où  quelques  points  intéressent  la  philologie 
romane. 

VII.  Transactions  of  the  philologica.l  Society  fou  1875-4.  — 
\Thiril  annual  Address  of  the  Président  to  the  Philological  Society  delivered  al 
the  aiiiversary  meeting,  Friday  i  jth  may  1874,  by  Al,  J.  Elus.  Depuis  trois 
ans  M.  Ellis,  agissant  sur  une  suggestion  de  Goldstùcker,  son  prédécesseur 
à  la  présidence  de  la  Société  philologique,  présente  chaque  année  un 
rapport  collectif  sur  le  progrès  des  études  linguistiques.  Ce  rapport 
est  composé  d'une  série  de  chapitres  distincts  correspondant  aux  diverses 
branches  de  la  science,  et  ayant  chacun  son  auteur.  Cette  année  les  philologues 
dont  M.  Ellis  a  groupé  les  contributions  sont  M.  Aufrecht  pour  l'étrusque, 
M.  Sayce  pour  l'assyrien,  M.  Gaidoz  pour  le  celtique,  M.  W.  Wagner  pour  le 
grec-moderne,  M.  R.  Ellis  pour  le  latin,  M.  P.  Meyer  pour  les  langues 
romanes,  M.  Sweet  pour  les  langues  germaniques.  A  ces  rapports  particuliers  le 
Président  a  joint,  indépendamment  d'une  introduction  générale,  trois  courts 
essais  sur  la  prononciation  du  grec,  sur  celle  du  latin,  et  sur  le  Dictionnaire  de 
Pott.  L'ensemble  forme  un  document  réellement  intéressant  et  d'une  lecture 
facile,  encore  qu'aucun  des  auteurs  n'ait  reculé  devant  des  explications  tech- 
niques lorsqu'elles  étaient  nécessaires.  Le  rapport  sur  les  études  romanes  est  le 
plus  long  de  tous:  il  a  32  pages,  c'est-à-dire  près  du  tiers  de  rjû'r«5f  entière. — P,M.] 
P.  J  3  2-4  5 ,  H.  Nicol,  An  account  of  M.  Gaston  Paris' s  mcthod  of  editing  in  his  Vie  de 
saint  Alexis.  Dans  cet  article,  M.  Nicol  résume  avec  une  très-grande  clarté  les 
principes  qu'a  suivis  l'éditeur  de  r/l/a75,  tant  pour  la  critique  des  leçons  que  pour 
celle  des  formes.  Il  termine  par  des  réflexions  judicieuses  sur  les  dangers  que 
pourrait  avoir  cette  méthode  si  on  l'appliquait  à  tous  les  textes.  Même  dans 
l'édition  qu'il  apprécie  avec  tant  d'indulgence,  il  regrette  que  l'opinion  de  l'édi- 
teur, sous  forme  d'un  texte  constitué,  se  place  entre  l'esprit  du  lecteur  et  la 
leçon  des  mss.  ;  il  y  a  du  vrai  dans  cette  objection,  mais  M.  N.  en  tire  lui- 
même  la  conclusion  que  des  photographies  sont  le  seul  moyen  de  satisfaire  à  des 
scrupules  si  méticuleux.  Rien  ne  peut  être  plus  agréable  à  un  auteur  que  de  se 
voir  si  bien  compris  et  interprété  ;  mais  je  serais  particulièrement  heureux  si  le 
mémoire  de  M.  Nicol  pouvait  contribuer  à  répandre  en  Angleterre  les  principes 
de  critique  que  je  me  suis  efforcé  d'appliquer  en  France.  G.  P. 

VIII.  NOBDTSK    TfDSKRIFT    FOR    FiLOLOGI     OG    P.^D.A.GOGIK.    N.     R.    I.     — 

J.  Storm,  Remarques  à  l'occasion  des   Saggi  ladini  d'Ascoli.   Après  avoir  donné 

i.  Depuis  que  cet  article  est  écrit,  le  travail  de  M.  H.  a  paru  à  part  (Berlin,  Weid- 
mann)  ;  il  est  regrettable  que  l'auteur  n'y  ait  pas  joint  un  index. 


PÉRIODIQUES  429 

une  idée  du  sujet  du  livre  de  M.  Ascoli  et  du  plan  qu'il  a  suivi,  M.  Storm 
résume  les  lois  que  le  savant  italien  a  établies  pour  les  voyelles  dans  le  domaine 
ladin.  II  ne  se  borne  pas  à  un  abrégé  mécanique  :  il  intercale  constamment  dans 
son  analyse  des  observations  dont  plusieurs  sont  tout-à-fait  intéressantes.  M.  St. 
termine  ainsi  :  «  J'espère  que  mes  remarques  sur  l'ouvrage  d'Ascoli  pousseront 
nos  romanistes  à  lire  le  livre  lui-même  :  ils  y  trouveront  des  matériaux  étendus, 
rassemblés  avec  un  travail  immense,  et  traités  avec  une  science  et  une  pénétra- 
tion admirables.  » 

IX.  Ateneo,  vol.  I,  fasc.  9.  —  Ce  fascicule  contient  un  article  court,  mais 
intéressant,  de  M.  Caix  sur  le  mémoire  de  M.  Storm  Sur  les  voyelles  atones  du 
latin,  des  dialectes  italiques  et  de  l'italien  (voy.  Romania  II,  375);  M.  C.  fait  à 
M.  Storm  quelques  critiques  assez  sévères  et  qui  ne  nous  ont  pas  toujours 
paru  fondées  (son  explication  de  desiare  p.  ex.  est  extrêmement  douteuse),  mais 
il  n'en  rend  pas  moins  justice  au  mérite  de  son  travail  et  il  engage  ses  compa- 
triotes à  entrer  dans  la  voie  ouverte  par  le  jeune  professeur  de  Christiania. 
M.  Caix  a  publié  il  y  a  deux  ans  la  première  partie  d'un  travail  étendu  sur  les 
dialectes  italiens  où  il  y  a  beaucoup  de  mérite,  et  dont  nous  attendons  la 
terminaison   pour   en  rendre  compte  avec  le  soin  dont  il  est  digne. 

X.  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes,  XXXV,  1-2.  —  P.  1-56, 
P.  Viollet,  les  Enseignements  de  saint  Louis  à  son  fils;  dans  ce  travail  excellent, 
M.  V.  démontre  que  les  phrases  et  membres  de  phrases  qui  se  trouvent  dans  le 
texte  des  Enseignements  fourni  par  les  Chroniques  de  S.  Denis  (et  reproduit  par 
Joinvillej  et  qui  manquent  dans  l'abrégé  de  Beaulieu  et  dans  le  texte  complet,  ne 
peuvent  provenir  d'un  texte  original  plus  complet  encore  :  en  effet,  à  l'exception 
de  ces  phrases,  les  Chroniques  de  S.  Denis  reproduisent  l'abrégé  de  Beaulieu  : 
si  elles  avaient  eu  à  leur  disposition  un  texte  complet,  elles  y  auraient  sûrement 
puisé,  outre  les  phrases  litigieuses,  quelqu'une  de  celles  que  Beaulieu  a  suppri- 
mées et  qui  se  trouvent  dans  le  texte  complet  connu  :  or  c'est  ce  qui  n'a  pas 
lieu.  M.  V.  conclut  donc  à  la  non-authenticité  de  ses  phrases,  qui  lui  paraît 
d'ailleurs  résulter  aussi  de  preuves  internes.  A  l'occasion  de  ces  recherches, 
M.  V.  a  mis  au  jour  un  très-important  ms.  des  Chroniques  de  S.  Denis  (B.  N. 
Fr.  2615),  qui  avait  échappé  jusqu'ici  à  la  critique.  Ce  ms.  contient  une 
rédaction  antérieure  à  la  canonisation  de  S.  Louis  (1297).  M.  V.  montre  que 
c'est  dans  un  texte  très-voisin  de  ce  ms.  que  Joinville  a  connu  les  Chroniques  de 
S.  Denis,  qui  sont  le  romant  dont  il  déclare  s'être  servi  pour  son  ouvrage.  Ce 
texte  contenait  déjà  les  phrases  interpolées  dans  les  Enseignements.  —  P.  92-98, 
L.  Pannier,  Notice  d'un  ms.  d'Hayton  récemment  acquis  par  la  B.  N.  :  ce  ms., 
coté  nouv.  acquis,  fr.  886,  exécuté  en  Espagne  au  XI V"^  s.,  vient  s'ajouter  aux 
trois  que  nous  possédions  déjà;  il  est  légèrement  incomplet  et  contient  de 
curieuses  miniatures;  le  copiste  espagnol  a  souvent  maltraité  son  texte,  mais  il 
avait  sous  les  yeux  un  bon  original.  —  Bibliographie  :  P.  Meyer,  Recueil 
d'anciens  textes,  I  (Léopold  Pannier).  —  Mélanges  :  Jehan  Priorat  de  Besan- 
çon, traducteur  de  Végèce,  article  intéressant  de  M.  Ul.  Robert  sur  ce  poète, 
placé  par  erreur  au  Xll"  s.  par  V Histoire  littéraire  (t.  XV),  et  que  M.  R.  restitue 


4^0  PÉRIODIQUES 

à  la  fin  du  XIII'  :  il  s'est  borné  à  mettre  en  vers  la  traduction  en  prose  de 
Jean  de  Meun  Ci 284)  :  son  ouvrage  mériterait  d'être  étudié  de  près  au  point 
de  vue  philologique.  G.  P. 

XI.  ZEiTSCiiniFT  FUR  DIE  ( Ï^STEnREiciir.sciiEN  Gy.mnasien  1874,  II  et  m. 
p.  1J4-62,  W.  Fœrster,  compte-rendu  de  l'édition  du  roman  de  Durmarl  le 
Calois  publiée  pour  la  société  littéraire  de  Stuttgart  par  M.  G.  Stengel. 
M.  Fœrster,  qui  avait  lui-même  préparé  une  édition  de  ce  poème  tandis  que 
M.  Stengel  imprimait  la  sienne  ',  était  dans  le  cas  présent  mieux  que  personne 
en  état  de  remplir  le  rôle  de  critique.  Il  l'a  rempli  de  façon  à  satisfaire  pleine- 
ment le  lecteur  de  Durmart  et  l'éditeur  même  de  ce  poème,  qui  ne  pouvait  sou- 
haiter un  réviseur  plus  compétent.  L'article  de  M.  F.  contient  en  effet  une  com- 
plète révision  du  texte  de  M.  Stengel  et  le  corrige  en  plusieurs  centaines  de 
passages,  soit  en  rétablissant  la  véritable  leçon  du  ms.,  soit  en  proposant  des 
conjectures.  L'appréciation  générale  qui  résulte  de  cette  critique  est  à  peu  près 
celle  que  nous  a  suggérée  l'examen  d'un  précédent  ouvrage  du  même  auteur  2, 
à  savoir  que  M.  Stengel  connaît  fort  bien  la  bibliographie  des  ouvrages  du 
moyen-âge,  mais  qu'il  s'entend  beaucoup  moins  à  la  critique  des  textes. 

P.  M. 

XII.  Revue  de  Gascogne.  1873,  novembre.  P.  518-27.  L.  Couture,  L« 
origines  des  tangues  romanes  et  M.  Cramer  de  Cassagnac  ;  article  excellent  où  la 
mesure  de  la  forme  n'enlève  rien  à  la  netteté  des  conclusions.  —  1874,  mai. 
P.  220-7.  L"-  Couture,  Quatre  actes  en  gascon  navarrais  du  XIV'  siècle.  Ces  actes, 
de  1350,  1578  et  1379,  sont  bien  édités  et  commentés.  Dans  le  second,  trëtz, 
qui  a  embarrassé  M.  C.  (un  trëtz  de  terre),  est  le  mot  qu'on  rencontre  fréquem- 
ment dans  les  documents  béarnais  sous  la  forme îr^ui,  avec  lesens  de  «  parcelle  ». 
La  pièce  de  1378  est  curieuse  par  son  objet  :  c'est  le  reçu  d'un  anneau  d'or 
enrichi  d'une  pierre  précieuse  ayant  pour  les  yeux  une  grande  vertu.  L'emprun- 
teur s'engage,  à  faute  de  restitution,  à  payer  une  somme  de  50  florins  d'or. 

XIH.  Zeitschrift  FUR  DEUTSCHES  Alterthum',  N.  F.  V.  8.  —  P.  141 
146,  Dùmmler,  Gedichte  vom  hofe  Karls  dcr  Grossen,  cinq  pièces  intéressantes  (l'une 
de  Charlemagne  lui-même,  ou  en  son  nom),  tirées  d'un  ms.  du  VIII«  siècle;  IV, 
3,  1.  cernue,  13  nos  (?),  21  de  cuspide.  —  P.  415-425,  Article  de  M.  Studemund 
sur  le  Dolopathos  de  M.  Oesterley,  ajoutant  de  nombreuses  corrections  à  celles 
qui  ont  été  faites  par  M.  Kœhler  et  moi.  G.  P. 

XIV.  Germania,  XIV,  2.  —  P.  184-189,  Kœlbing,  Bruchstiick  einer  Amicus  ok 
Amilius  Saga;  faite  au  XIII'  siècle  d'après  le  texte  latin  abrégé  tel  qu'il  est  dans 
Vincent  de  Beauvais. 


I.  Voy.  Romania  II,  142. 
2  Voy.  Romania  I,  249. 
5.  Depuis  la  mort  de  Haupt,  ce  recueil  est  dirigé  par  MM.  Mùllenhoff  et   Steinmeyer. 


PÉRIODIQUES  431 

XV.  Aleman-via  %  II.  —  p.  33-50,  N.  Delius,  Bego's  Tod,  traduction 
en  décasyllabes  non  rimes  du  bel  épisode  de  la  mort  de  Bégon  dans  les  Lohe- 
rains  ;  cette  version  possède  au  plus  haut  degré  les  qualités  qui  ont  depuis 
longtemps  assuré  à  l'allemand,  pour  la  traduction,  la  supériorité  sur  toutes  les 
autres  langues. 

XVI.  Séances  et  travaux  de  l'Académie  des  sciences  morales  et  poli- 
tiques. Juillet  et  novembre  1873,  mars-avril  1874.  Gode/roi  de  Bouillon  et  les 
Assises  de  Jérusalem  par  M.  Fr.  Monnier.  Le  sujet  traité  par  M.  Monnier  étant 
étranger  aux  études  de  la  Remania,  nous  nous  abstiendrons  de  critiques  aux- 
quelles la  matière  ne  manquerait  pas,  mais  qui  ne  seraient  pas  à  leur  place.  — 
Toutefois,  si  le  fonds  du  mémoire  échappe  à  la  compétence  de  notre  recueil, 
nous  devons  dire  un  mot  d'un  appendice  qui  porte  ce  titre  :  La  chanson  de 
Godefroi,  chanson  de  geste  inédite.  C'est  la  continuation  de  la  chanson  de  Jérusa- 
lem contenue  dans  le  ms.  12569  de  la  Bibl.  nat.  Les  observations  que  l'auteur 
du  mémoire  présente  sur  ce  texte  manifestent  une  grande  inexpérience  de  notre 
ancienne  poésie.  M.  M.  suppose,  sans  appuyer  son  opinion  d'aucune  preuve, 
que  cette  suite  de  la  chanson  de  Jérusalem  est  de  Renaut,  l'auteur  (ou  si  l'on 
veut  le  réviseur)  de  cette  chanson  ;  il  attribue  donc  la  continuation  dont  il  s'agit 
au  temps  de  Philippe-Auguste.  Puis,  s'aventurant  de  conjecture  en  conjecture,  il 
imagine  que  même  dans  cette  partie,  Renaut,  le  prétendu  auteur,  n'a  fait  que 
remanier  l'ancienne  chanson  de  Richard  le  Pèlerin  !  Ce  vers,  à  coup  sûr  de  pure 
formule  :  Car  li  fel  patriarces  ki  ait  courte  durée,  lui  paraît  une  preuve  indubitable 
que  «  le  patriarche  Daïmbert  vivait  encore  lorsque  le  vieux  trouvère  indigné 
»  lançait  contre  lui  cette  imprécation.  »  Les  70  vers,  ou  environ,  que  M,  M. 
a  publiés  de  ce  poème  (mars-avril  1874,  p.  482-3),  sont  reproduits  avec  une 
extrême  incorrection.  Ainsi,  au  lieu  de  ce  non-sens:  C'en  est  une  nouelle  se  la  cir 
ot  noirchie,  le  ms.  porte  fort  lisiblement  :  Ce  n'est  mie  mervelle  se  la  car  etc.  Plus 
loin  :  Mais  or  est  ele  moult  kreve  et  abaissie,  lisez  avec  le  ms.  keue.  —  A  Jéru- 
salem vinrent  eus  di,  lisez  .1.  josdi.  Au  vers  suivant:  a  luge  pristiJosi  Dieu, 
lisez  :  llutc,  et  //  05  Dcu  ;  etc.  P.  M. 

XVII.  Revue  celtique,  II,  2.  —  P.  278,  article  de  M.  d'Arbois  de  Jubain- 
ville  sur  la  traduction  de  la  Grammaire  des  langues  romanes.  —  P.  283,  note  du 
même  savant  sur  le  n"  8  de  la  Romania  (p.  505-6);  M.  d'A.  persiste  à  tirer 
bievre  du  gaulois  bcber  et  à  regarder  cata  comme  gaulois.  Nous  n'avons  jamais 
contesté  que  bcber  fût  gaulois,  nous  avons  seulement  montré  qu'un  mot  sem- 
blable était  aussi  germain  et  slave,  et  dé  ce  que  le  castor  en  Gaule  a  survécu 
pendant  des  siècles  à  la  conquête  romaine,  il  ne  s'ensuit  pas  que  les  Romains 
ne  tirassent  pas  leurs  peaux  de  castor  du  Pont.  —  Pour  cata,  l'emploi  en 
roman  d'une  particule  gauloise  serait  déjA  bien  invraisemblable,  quand  les 
exemples  donnés  ici  ne  feraient  pas  voir  la  préposition  xaTâ  s'introduisant 
pour  ainsi  dire  sous  nos  yeux  du  grec  populaire  dans  le  latin  populaire. 

I.  Recueil  dirigé  par  M.  Birlinger,  et  consacré  surtout  à  la  littérature  et  à  l'histoire 
populaire  de  l'Alsace- Lorraine. 


4?2  CHRONIQUE 

XVIII.  Revue  des  SocrÉTÈs  savantes,  5*  série,  l.  VI  (sept.-oct.  187?). 
P.  236,  P.  Meyer,  Rapport  sur  d'anciennes  poésies  religieuses  en  dialecte  liégeois. 
Ces  poésies,  adressées  au  comité  par  M.  Beaune,  qui  les  a  copiées  d'après 
un  livre  d'heures  du  château  de  Grosbois  fCcjtc-d'Orj  se  composent  de  huit  pièces 
relatives  à  diverses  scènes  de  l'Evangile.  Elles  torment  un  total  de  204  vers.  Cinq 
d'entre  elles  sont  identiques,  sauf  quelques  variantes,  aux  poésies  publiées  en 
1865  dans  ÏArchiv  fiir  das  stiidium  dcr  neueren  Sprachen  par  M.  Schirmer  d'après 
le  ms.  Bibl.  nat,  lat,  1077.  Le  rapporteur  a  joint  le  texte  fourni  par  ce  dernier 
ms.  à  celui  du  château  de  Grosbois.  II  démontre  que  l'un  et  l'autre  texte  sont 
liégeois  ou  wallon,  et  présente  à  ce  propos  diverses  observations  sur  ce  dialecte 
qui  a  servi  d'expression  à  une  littérature  beaucoup  plus  riche  que  ce  qu'on 
pense.  Ces  observations  se  recommandent  tout  particulièrement  aux  philologues 
qui  considèrent  l'ancienne  traduction  des  sermons  de  saint  Bernard,  en  partie 
publiée  par  Le  Roux  de  Lincy,  comme  un  texte  bourguignon. 

XIX.Revuk  critique  d'Histoire  et  de  Littérature,  avril-juillet. —  56,  Les 
Contes  et  Facéties  d'Arlotto  de  Florence,  trad.  p.  Ristelhuber  (S).  —  65,  Mer- 
let,  Origines  de  la  littérature  française  (P.  M.).  —  7},  Darctis  Phrygii  de  exci- 
dio  Trojac  hisloria,  éd.  Meister  (G.  P.).  —  75,  La  Célestine,  trad.  p.  Germond 
de  Lavigne  (Th.  de  Puymaigre).  —  91 ,  Méray,  la  Vie  au  temps  des  trouvères  (■]/). 
—  94.  Loquin,  les  Poésies  de  Clotilde  de  Surville;  Guillemin,  Clotilde  de  Sur- 
ville  et  ses  nouveaux  apologistes  ;  Mazon,  Marguerite  Chalis  et  la  légende  de 
Clotilde  de  Surville  (G.  P.).  —  97,  Tivier,  Histoire  de  la  littérature  dramati- 
que en  France  jusqu'au  Cid  (G.  P.).  —  109.  Lope  de  Vega,  Œuvres,  trad.  par 
Baret  (Alfred  Morel-Fatio). 

XX.  Literarisches  Centralblatt,  avril-juillet.  —  20,  Das  Rolandslied 
hgg.  von  Bartsch.  —  23,  Laur,  Luize  Labé. 


CHRONIQUE, 


Dans  sa  séance  du  29  mai,  l'Académie  des  inscriptions  a  décerné  à  M.  Paul 
Meyer  le  prix  ordinaire,  dont  le  sujet  était  une  étude  sur  les  dialectes  de  la 
langue  d'oc  au  moyen-âge. 

—  M.  Hermann  Suchier  a  été  nommé  professeur  extraordinaire  à  Zurich,  en 
remplacement  de  M.  Grœber. 

—  On  annonce  la  prochaine  formation  d'une  Société  pour  la  publication  des 
anciens  textes  français.  Nous  parlerons  plus  au  long  de  ce  projet  dans  notre 
prochain  numéro. 


Nogent-le-Rotrou,  imprimerie  de  A.  Gouverneur. 


ÉTUDE 

SUR    UNE   CHARTE    LANDAISE 

DE    1268   OU    1269. 


La  charte  dont  on  trouvera  le  texte  ci-après  a  été  rédigée  par  un 
notaire  de  Gabarret  (Landes).  Conservée  aux  archives  du  Lot-et-Garonne, 
elle  a  été  reproduite,  il  y  a  quelques  années,  en  fac-similé  pour  l'usage 
de  l'Ecole  des  chartes.  C'est  d'après  ce  fac-similé  '  que  je  l'ai  copiée. 
Elle  est  intéressante  à  plus  d'un  titre.  D'abord  comme  spécimen  ancien 
d'un  dialecte  dont  les  monuments  sont  fort  rares.  A  vrai  dire,  je  ne 
connais  aucun  document  dont  la  langue  présente  les  particularités  que 
nous  offre  notre  charte  landaise.  La  région  environnante,  —  les  Basses- 
Pyrénées,  le  Gers,  le  Lot-et-Garonne,  la  Gironde, — nous  offre  un  assez 
grand  nombre  de  documents  dont  le  dialecte  se  rapproche  plus  ou  moins 
de  celui  de  notre  charte,  mais  la  ressemblance  ne  va  jamais  jusqu'à 
l'identité.  Puis,  même  dans  les  pays  où  les  actes  en  langue  vulgaire  sont 
communs,  dans  le  nord  de  la  Guyenne,  par  exemple,  on  ne  les  trouve 
pas  en  grand  nombre  pendant  le  xiii"'  siècle.  Ce  n'est  guères  qu'à  partir 
des  premières  années  du  xiv-  siècle  qu'ils  commencent  à  abonder. 

Indépendamment  de  ses  particularités  dialectales,  notre  charte  se 
recommande  encore  par  le  nombre  relativement  considérable  des  mots 
nouveaux  qu'elle  renferme.  On  en  trouvera  la  liste,  avec  l'aveu  de  mon 
impuissance  à  les  expliquer,  dans  le  petit  vocabulaire  qui  termine  ce 
mémoire.  J'avoue  même  qu'en  publiant  ce  document  j'ai  été  jusqu'à  un 
certain  point  poussé  par  l'espoir  de  susciter  les  explications  que  je  ne 
suis  pas  en  état  de  donner.  De  ce  que  les  mots  en  question  ne  se  trou- 
vent pas  dans  le  Dictionnaire  gascon-français  de  feu  Cénac-Moncaut,  il  ne 
suit  pas  nécessairement  qu'ils  aient  tous  entièrement  disparu  de  l'usage; 
et  on  conçoit  que  des  termes  de  la  vie  agricole  ne  peuvent  guère  être 
expliqués  avec  précision  qu'autant  qu'une  tradition  vivante  permet  de 
rapprocher  l'objet  de  son  nom. 

I .  N"  s  59  de  nos  fac-similés  lithographiques. 

Rûmania,lll  2& 


4Î4  P-    MEYER 

Voyelles.  —  La  principale  remarque  se  rapporte  à  1'/  du  groupe  ri 
en  hiatus.  Les  exemples  que  nous  offre  notre  document  appartiennent 
au  suffi-xe  -ariiis,  qui,  d'après  moi,  devint  -erius  dès  l'époque  préhisto- 
rique des  langues  romanes,  antérieurement  à  tous  les  autres  cas  du 
passage  d'à  en  e.  Ces  exemples  sont  les  uns  masculins  :  Ferrer  51, 
capcers  13,  evangelister  8,  pistoler  7,  Porcjuer  17,  etc.,  les  autres  fémi- 
nins :  caudera  10, dolederas  1 1 ,  fauquederas  1 1  ,pruniera  25,  pleneramcn  45 . 

Dans  les  mots  masculins  l'hiatus  résulte  du  contact  de  1'/  du  suffixe 
avec  une  voyelle  (un  u)  qui  ne  subsiste  pas  en  roman  {pistoler  =  epis- 
tolarium).  En  pareil  cas  voici  en  bref  ce  qui  arrive  dans  les  dialectes 
du  midi  :  En  Auvergne  et  en  Quercy  Vi  subsiste  en  se  transportant  à 
la  tonique,  où  il  prend  place  après  Ve  avec  lequel  il  forme  diphthongue. 
Ainsi  dans  un  testament  rédigé  à  Clermont-Ferrand  en  1195  :  sisteirÇsex- 
tarii),  dineir  (denarii),  mosteir,  soleir,  columbeir  ;  de  même  dareir,  deneir 
dans  une  lettre  écrite  à  Montferrand  avant  1271  '.  Mais  le  fait  le  plus 
ordinaire  c'est  la  chute  pure  et  simple  de  1'/;  même  en  Auvergne  et  en 
Quercy  on  trouve  les  finales  en  -er  à  côté  de  celles  en  -eir  qui  vien- 
nent d'être  mentionnées.  Vers  la  seconde  moitié  du  xm''  siècle,  dans  la 
plupart  des  dialectes  méridionaux,  cette  finale  -er  traitée  à  la  façon  de 
\'ë  latin;  éprouve  une  sorte  de  diphtbongaison  et  devient  -ier.  Nous 
avons  dans  notre  charte  plusieurs  fois  la  finale  -er,  et  une  fois  -ier 
[officier  j).  Jusqu'ici,  rien  que  de  très-ordinaire.  Mais  dans  les  mots 
féminins  nous  trouvons  quelque  chose  de  plus  caractéristique  :  ils  sont 
en  -era,  sauf  maneira  41  ;  ailleurs  ils  seraient  tous  en  -eira,  -ieira  ou 
-iera.  C'est  qu'en  effet  !'/  du  groupe  ri  en  hiatus  se  conserve  très-géné- 
ralement lorsque  le  hiatus  est  formé  par  une  voyelle  que  le  roman  con- 
serve, telle  que  Va.  Comme  tout  à  l'heure,  1'/  passe  à  la  tonique  et  se 
fixe  après  Ve  :  d'où  la  finale  -eira  qui  parait  surtout  dans  les  plus  anciens 
documents.  Puis  Ve  tonique  se  diphthongue  et  ainsi  se  produit  la  finale 
-ieira  qui  paraît  de  bonne  heure  dans  le  Biterrois  et  s'y  conserve  *. 
Ailleurs  (par  ex.  en  Provence)  -ieira  se  réduit  à  -iera.  Dans  notre  charte 
nous  avons  -era  :  Vi  a  disparu  tout  de  même  qu'au  masculin.  Voilà  un 
trait  caractéristique  des  dialectes  du  S.  0.  On  le  retrouve  notamment 
en  Béarn,  ainsi  plenere  [Recueil  58,  24),  prumeraments  (jbid.  29),  dreytu- 
reraments  (ibid.  ^2),  etc. 

2.  A  ce  suffixe  en  -er,  -era,  est  assimilé  dans  les  mêmes  dialectes  le 
suffixe  latin  -îorius,  -tôria,  lequel  donne  partout  ailleurs  en  langue  d'oc 
-dor,  -doira;  ici  c'est  -der,  -dera;  dolederas  dolatorias,  voy.  Du  Cange), 
falquederas  {"falcatorias).   Encore  maintenant  en  béarnais  5  les  adjectifs 

1.  Voir  mon  Recueil  cV anciens  textes  33,  3,8. 

2.  Voy.  G.  Azais,  Introduction  au  Breviari  d'Amor,  p.  cvj. 

3.  Voy.  Lespy,  Cram.  béarn.,  §  500. 


CHARTE    LANDAISE  455 

verbaux  en  -dor,  -doira  du  provençal  sont  en  -der,  dera  '.  Dans  la  cou- 
tume de  Sarraguzan  (Gers)  je  lis  sabedera  causa...  ^  où  les  dialectes 
voisins  du  nord  et  de  l'est  auraient  dit  sabedoira...  Je  ferai  remarquer  en 
passant  que  la  même  assimilation  de  -oriiis  à  -arius  a  lieu  en  espagnol, 
comme  le  montrent  des  formes  telles  que  ca^a^ero,  duradero,  hacedero,  etc. 
Selon  M.  Diez  (Gram.  3'-'  éd.,  II,  555;,  -dero  viendrait  en  ce  cas  de 
-duero.  Je  ne  sais  ce  que  vaut  cette  explication  pour  l'espagnol,  mais  je 
la  crois  difficilement  admissible  pour  les  dialectes  du  sud-ouest  de  la 
langue  d'oc,  où  la  forme  -er,  -era  apparaît  très-anciennement,  sans 
qu'aucun  intermédiaire  la  rattache  à  la  forme  -or,  -olra.  Quant  au  suffixe 
espagnol  -orio  cité  par  M.  Diez  (/.  cit.)  il  est  évidemment  savant  et  ne 
doit  pas  entrer  en  ligne  de  compte. 

3.  Il  est  notable  que  Va  final  atone  est  partout  conservé  dans  cette 
charte,  sauf  dans  dies  5 1.  Le  sud-ouest  de  la  France  est  la  région  où  il 
s'est  le  plus  tôt  atïaibli.  On  le  voit  en  certaines  chartes  céder  la  place  à 
Ve  dès  le  milieu  du  xiii^  siècle.  Mais  s'il  subsiste  encore  ici,  il  n'en  est 
pas  de  même  de  a  avant  la  tonique,  qui  est  remplacé  par  e  dans  carre- 
jeder  10,  dolederas  11,  fauquederas  11,  beseguda  12,  enançera  (prov. 
enansara)  36,  dera  (prov.  dara)  39,  bien  que  conservé  dans  reclamaran 
47.  Le  même  fait  s'observe  dans  d'autres  textes,  quoique  peu  fréquem- 
ment; ainsi  dans  les  Fors  de  Béarn  on  lit  généralement  segrament  {Recueil 
58,  27). 

4.  Consonnes.  —  Je  remarque  que  les  gutturales  et  dentales  pla- 
cées à  la  fin  des  mots  ont  une  tendance  à  se  conserver  plutôt  avec  le 
son  doux  (g,  d)  qu'avec  le  son  ion\c,  i)  :  log  29,  abescad  2,  livrad,  autre- 
jad  5,  et  en  général  tous  les  participes  passés.  De  même  au  plur.  :  eissi- 
vernads  \  5,  etc.  Cet  usage  se  rencontre  accidentellement  un  peu  partout, 
par  ex.  dans  Bo'cce,  qui  est  probablement  du  Limousin,  ou  de  la  Marche, 
ou  de  l'Auvergne.  C'est  un  fait  d'orthographe  plus  peut-être  que  de  pro- 
nonciation. 

5.  Rien  à  remarquer  au  sujet  du  c  sinon  que  le  c  spirant,  bien  distin- 
gué du  z,  est  régulièrement  pourvu  d'une  cédille  dans  l'original  même, 
flaçadas  1 3,  Loça  <,,  fermanças  43,  fizança  49,  valença  35,  capçer  13,  ço 

3,  38,  49,  aiço  51,  linçols  14. 

6.  Le  groupe  latin  nd  perd  son  d  :  grana  9,  domanar  49.  C'est  un  fait 

1.  J'emploie  ici  provençal  dans  un  sens  très-large.  Dans  le  nord  de  la  Gas- 
cogne ces  adjectifs  verbaux  sont  aussi  en  -dor  -doira  (ou  -duira.  Ainsi  je  trouve 
assignaduiras  et  apalcncnduiras  dans  deux  documents  de  1275  (N.  S.)  et  1:79 
écrits  dans  le  Bordelais  [Archives  de  la  Gironde,  VII,  22^  et  227).  D'autres 
documents  du  même  pays  nous  offrent  avcdor,  culliidot ,  dehvredor,  vjrtidor,  leec- 
bedor,  etc.  J'ai  donné  plusieurs  exemples  de  ces  adjectifs  verbaux  dans  la  Bd>l. 
de  l'Ec.  des  Cli.,  ^,  V,  214;  cf.  Mussatia,  Jiihrb.  f.  rom .  Liter.  X,  ^■j<)-So. 

2.  Bladé,  Coutumes  municipales  du  département  du  Gers,  p.  >-j. 


4^6  p.  MEYER 

constant  en  catalan,  comme  Diez  l'a  remarqué  Gram.,  trad.,  I,  219I. 
On  peut  dire  qu'il  s'étend  à  toute  la  contrée  des  Pyrénées  et  à  une  bonne 
partie  de  la  Gascogne  :  il  y  en  a  des  exemples  nombreux,  mais  non 
constants,  dans  les  P^ors  de  Béarn  ;  ainsi,  dans  mon  Recueil,  manamentSS, 
42;  mais  domandijssen,  ibid.,  17.  Dans  une  charte  rédigée  à  Orthez  en 
1 246  et  imprimée  dans  mon  Recueil  sous  le  n^*  54,  on  trouve  comanador 
I  ;  de  même  encore  dans  le  cartulaire  de  Saint-Pierre-de-Lézat,  doma- 
navon,  domanar,  Recueil  5i',  6. 

j.  b  et  V  s'emploient  parfois  l'un  pour  l'autre,  ce  qui  semble  indiquer 
une  prononciation  confuse  de  ces  deux  sons,  telle  qu'on  la  remarque 
encore  dans  le  nord  de  l'Espagne  :  ainsi  nous  avons  b  à  la.  place  de  v 
dans  abcntura  56,  comhents  44  ;  au  contraire  v  à  la  place  de  b  dans  avid 
23,  27.  Maintenant  le  b  a  pris  généralement  la  place  du  v  dans  les  pays 
de  langue  d'oc  à  partir  de  Frontignan  ou  de  Cette  environ  ije  ne  suis 
pas  en  état  de  déterminer  la  limite  du  côté  du  nord  ,  mais  je  ne  pense  pas 
qu'au  moyen-âge  la  prononciation  par  b  fût  aussi  nette  qu'elle  l'est  main- 
tenant ;  je  crois  plutôt  qu'il  y  avait  une  prononciation  confuse  qui  s'est 
de  plus  en  plus  déterminée  dans  le  sens  du  /^  '. 

8.  V  tombe  devant  u,  au  lieu  qu'ailleurs  il  deviendrait  g  :  mentaiit  44 
correspond  au  pr.  mentagut. 

9.  Je  réserve  ici  un  alinéa  pour  la  forme  aolha  15,  22  (aolho  16), 
mais  je  dois  dire  que  je  ne  m'en  rends  pas  bien  compte.  Ovicula  a  donné 
en  prov.  ovelha,  oelha,  ce  qui  ne  saurait  conduire  à  aolha. 

10.  —  //  entre  deux  voyelles  devient  r  ;  caperan  5,  47,  54,  Bera  [Bella) 
16  ;  el  à  la  fin  des  mots  et  après  e  devient  d  :  edÇjïle)  26,  38,  ^ç),arrested 
{rastellum)  12,  îared  {"ierellum,  pour  terebellum  ?)  11,  toned  (tonnel,  ton- 
neau) 92.  Ces  deux  faits  sont  caractéristiques  des  dialectes  du  S.-O.;  ils 
sont  constants  en  Béarn  et  en  Gascogne.  Les  documents  vulgaires  étant 
très-nombreux  pour  cette  région,  il  est  très-surprenant  que  Diez  n'ait 
pas  fait  mention  de  permutations  aussi  remarquables.  Les  plus  anciens 
exemples  du  passage  de  //  médial  à  r  se  trouvent  dans  les  vers  béarnais 
du  célèbre  descort  de  Raimbaut  de  Vaqueiras  dont  je  me  suis  efforcé  de 
donner  un  texte  correct  et  critique  dans  mon  Recueil,  sous  le  n"  17  :  on 
y  lit  bera  26,  noera  30  'lat.  novella),  hiera  32  (lat.  'fibella,  prov.  fivella)'^. 
Le  passage,  assurément  singulier,  de  //  final  en  /  ou  d,  est  cause  qu'on 

1.  Cf.  Lespy,  Grammaire  béarnaise,  §  75,  qui  toutefois  est  trop  porté  à  croire 
que  ce  qui  était  écrit  v  était  nettement,  comme  de  nos  jours,  prononcé  b. 

2.  Dans  d'autres  textes  on  trouve  des  exemples  de  ce  passage  de  //  final  en  t 
ou  d,  après  d'autres  lettres  que  Vc,  ainsi  cavat  [caballum)  est  assez  fréquent  dans 
les  documents  gascons. 

5.  La  forme  coror,  citée  par  Diez  {Gram.  trad.  I,  102,  note),  d'après  les 
anciennes  éditions,  ne  s'appuie  que  sur  un  ms.,  et  ne  peut  être  correcte,  c'est //, 
et  non  /  simple,  qui  devient  r  entre  deux  voyelles. 


CHARTE    LANDAISE  4^7 

s'est  mépris  sur  l'origine  de  capdet  ou  cadet,  mot  béarnais  correspon- 
dant au  prov.  capdel,  ainsi  que  je  l'ai  dit,  le  premier  je  crois,  ci-dessus 
p.  316. 

1 1 .  r  initial  attire  au-devant  de  lui  un  a  dans  arrams  2  5,  42  (ramos), 
arrested  12  [rastellum) ,  Arrihes  45,  Arrolhan  54.  Cet  usage  'qu'on  ne 
saurait  trop  approuver,  car  en  supprimant  l'r  initial  il  fait  disparaître  une 
grande  difficulté  de  prononciation!  appartient  au  sud  de  la  Gascogne,  au 
Béarn  et  au  nord  de  la  Navarre'.  Les  exemples  à''arrauha,  arraubar, 
arrauberia,  cités  par  Raynouard  [Lex.  rom.  V,  47-8)  sont  tirés  de  textes 
gascons. 

12.  r  a  conservé  sa  place  latine  dans  sober  50.  Telle  est  la  forme 
qu'offrent  tous  les  textes  du  S.-O.,  voy.  par  ex.  le  cartulaire  de  Saint- 
Jean  de  Sorde^,  n°  CLXXXIII,  et  mon  Recueil,  5-/,  11,  14;  5(V,  81, 
86,  où  on  trouve  aussi  enter  5(y,  16.  —  Cette  même  consonne, 
de  toutes  la  plus  mobile,  selon  la  remarque  de  M.  Diez,  se  déplace  dans 
craba  22  (lat.  capra\\  déplacement  fréquent  au  S.-O.  dans  les  cas  analo- 
gues :  Sanctus  Caprasius  d'Agen,  devient  dans  la  prononciation  locale 
san  Crapasi. 

14.  Fraire  se  réduit  k  frai  52,  53,  forme  constatée  dès  1246  au  moins 
{Recueil  54,  2,  5,  4,  5).  On  trouve  de  mtme  pay,  may  dans  les  Fors  de 
Béarn.  Les  mêmes  formes  apparaissent  aussi  ailleurs,  par  exemple  en 
Provence,  mais  à  une  époque  bien  plus  récente,  et  elles  ne  semblent  pas 
généralement  employées  K 

1 5.  On  sait  que  n,  venant  après  la  voyelle  accentuée,  peut  se  trouver 
dans  deux  conditions  différentes  :  ou  suivie  d'une  consonne,  ou  suivie 
d'une  voyelle.  Dans  le  premier  cas  n  subsiste  par  tous  les  dialectes  de 
la  langue  d'oc  (grandem  =  grant  ou  gran]  ;  dans  le  second  cas  Vn  tombe 
assez  généralement  dans  le  centre  des  pays  de  langue  d'oc  {granum  = 
gra).  Il  se  conserve  dans  l'est,  en  Provence  proprement  dite,  dans  le 
nord,  sur  les  confins  de  la  langue  d'oil,  et  dans  l'est  en  Gascogne.  C'est 
l'  «  n  séparable  »  de  Diez  4.  Notre  charte  nous  offre  les  exemples  sui- 
vants :  caperan  5,  bons  41,  Liigbon  2,  etc.,  maison  ^6,  pension  40,  razon 
40,  stipulacion  35,  formes  qu'on  rencontrerait  dans  tout  autre  document 
gascon  ;  mais  un  peu  plus  à  l'est  on  aurait  capcla,  bos,  Liigbo,  etc.  Le 
dialecte  béarnais,  tout  voisin  du  lieu  où  a  été  écrite  notre  charte,  pré- 

1.  Diez  {Gram.,  trad.  i,  102)  dit  simplement  «  A  la  Navarre  et  au  Béarn  ;  « 
mais  je  ne  suis  pas  sûr  qu'on  trouve  cette  particularité  dans  toute  la  Navarre. 

2.  Publié  par  M.  P.  Raymond  en  1875. 

3.  Je  suis  bien  sûr  d'avoir  entendu  pai  et  mai,  aux  Baux  (près  d'Arles),  mais 
dans  la  contrée  environnante  on  dit  plutôt,  comme  en  ancien  provençal,  paire, 
maire  (et  trop  souvent  pao,  mao  !). 

4.  Gram.,  trad.  I,  374. 


4^8  p.    MEYER 

sente  à  cet  égard  une  notable  particularité;  il  laisse  tomber  Vn  séparable, 
mais  double  la  voyelle  '.  Ainsi  on  trouve  dans  les  Fors  de  Béarn  anciaa, 
capcrcia,  bées  ''fr.  biens),  besii  wicinum).  Cela  n'est  pas  tout  à  fait  constant 
puisqu'on  trouve  dans  un  même  article  (^2)  fazan  ei  fazaa  {phasianum). 

16.  Des  formes  telles  que  tient  29,  ?8,  tier  45.  qui  seraient  en  d'autres 
dialectes  tenent,  tener,  montrent  un  effacement  de  \'n  médial  fort  compa- 
rable à  celui  qui  s'observe  en  portugais  (alhêo= alienum,  boa^ona,  elc.^). 
Seulement  dans  les  dialectes  du  S.-O.  de  la  langue  d'oc,  le  fait  est  relati- 
vement rare.  Au  lieu  qu'en  portugais  \'n  entre  deux  voyelles  tombe  régu- 
lièrement, en  béarnais  les  seuls  exemples  que  je  trouve  sont  ceux-ci  : 

thien  (tenere).  Fors  de  Béarn,  passim. 

thiey^tlde  (tenet).  Ibid.,  art.  12,  ?2,  etc. 

biey  (venit).  Ibid.,  art.  11^. 

diers  (denarios).  Ibid.,  art.  143,  etc. 

dierade  Cdenariatd).  Ibid. 

miar  ('minare,  *menare),  For  d'Oloron,  art.  26. 

miades  {* minutas).  Ibid. 

On  s'explique  aisément  thicy,  îhie  de  tenet,  et  biey  de  venit  :  Vn  sépara- 
ble est  tombée  etl'c  a  été  redoublé  ;  c'est  donc  le  cas  d'ancicia,  caperaa  , 
bées,  etc.  On  a  dû  avoir  tee  de  tenet  et  bee  de  venit,  d'où  on  sera  facile- 
ment arrivé  à  tiey,  biey.  Mais  dans  thier  de  tenere,  tient  de  tenentem,  dier 
de  denariim,  miar  de  *minare,  il  y  a  suppression  d'un  n  qui,  se  trouvant 
avant  l'accent,  n'est  plus  Vn  séparable. 

17.  Un  fait  que  je  relate  en  dernier  lieu,  parce  que,  faute  de  m'en 
bien  rendre  compte,  je  ne  sais  trop  où  le  classer,  est  le  passage  de  la 
finale -m  à  -e  dans  les  imparfaits  et  conditionnels  -.ave  3,  32,  ^4;deve  y, 
faze  24;  emendere  38;  ce  qui  serait  dans  le  centre  et  dans  l'est  ^îv;^,  dévia, 
fazia,  emendaria.  Je  constate  le  même  fait  au  sud  dans  les  Fors  de  Béarn, 
au  nord  dans  les  documents  écrits  à  Bordeaux  ;  mais  à  l'est,  à  partir 
d'Agen  au  moins,  -ia  reparaît. 

On  verra  qu'il  n'y  a  pas  trace  de  la  déclinaison  à  deux  cas  dans  notre 
charte.  H  en  est  de  même  dans  toute  la  région  des  Pyrénées  depuis  le 
Roussillon,  dans  le  Béarn,  la  partie  occidentale  de  l'Armagnac  ,  dans 
l'ancien  duché  de  Guyenne.  On  peut  vérifier  ce  fait  dans  les  chartes  en 
langue  vulgaire  du  cartulaire  de  Saint-Pierre-de-Lézat  s,  dans  le  cartu- 


I .  Ce  n'est  qu'une  façon  de  marquer  le  son  long  de  la  voyelle  ;  voy.  Lespy, 
Gram.  béarn.  §  1 . 

2.  Voy.  Diez,  Gram.,  trad.  I,  202. 

3.  Le  /z  ne  signifie  rien;   on  trouve  dans  les  Fors  de  Béarn  enthicranunt  où 
évidemment  le  h  n'a  pas  de  valeur. 

4.  Diez,  Gram.,  trad.  I,  574. 

5.  Il  y  en  a  une  dans  mon  Recueil  sous  le  n"  52. 


CHARTE    LANDAISE  4^9 

laire  de  Saint-Jean-de-Sorde  qui  contient  quelques  documents  vulgaires 
du  xiie  siècle  '  et  dans  les  chartes  si  nombreuses  que  nous  possédons  pour 
le  Bazadais  et  le  Bordelais. 

Paul  Meyer. 

1268  ou  1  269. 

W.  Ebrard,  prieur  de  la  maison  du  Paradis,  concède  à  Guiraud,  curé 
de  Losse,  la  maison  de  Lubon  avec  un  certain  nombre  de  livres  et  d'us- 
tensiles énumérés  dans  l'acte,  à  charge  d'une  rente  annuelle  de  50  sous 
de  Morlaas.  Guiraut  s'engagea  revêtir  l'habit  de  la  maison  dans  le  terme 
de  cinq  ans,  ou  sinon  à  restituer  ladite  maison  de  Lubon  avec  toutes  ses 
dépendances  et  libre  de  toute  dette. 

Conoguda  causa  sia  que  frai  W.  Ebrard,  prior  de  la  maison  de!  Paravis* 
en  l'abescad  d'Ajenes,  a  donada  e  autrejada  la  maison  de  Lugbon  ab  tots  ses 
apertenements  e  ab  tôt  ço  que  la  dita  maison  del  Paravis  ave  ni  aver  deve 
en  la  dita  parroquia  de  Lugbon  '  e  en  la  parroquia  d'Arolha  *,  an  Guiraut, 
5  caperan  de  Loça  ^  a  sa  vita  ;  ab  la  cal  maison  ledit  prier  a  livrad  eautrejad 
al  dit  en  Guiraut  .ij.  libres  en  la  gleisa,  .j.  santerum  e  .j.  dominical,  e  .j. 
missal  cellectari,  e  .j.  officier,  e  unas  costumas,  e  .j.  sautiri,  e  .j.  pistoler,  e 
.].  evangelister  d'entrad  d'Avencs  entre  a  Paschas  complid,  e  .j.  vestiment 
cemplid  de  missa-cantan,  e  .ix.  arcas  paucas  e  granas,  e  .iiij.  toneds,  e  .iij. 

10  cubazs,  e  .j.  carrejeder,  e  .iij.  cauderas,  e  una  sartanha,  e  .j.  trepei,  e  .iij. 
destraus,  e  duas  delederas,  e  .ij.  tareds,  e  .vij.  fauquederas,  e  .j.  bezoi,  e  .ij. 
sarcs  escapoers,  e  una  beseguda,  e  .j.  lambreis,  e  .j.  dail,  e  .iiij.  arresteds  de 
fer,  e  .ix.  sarcs  e  picas,  e  .iiij.  cosnas,  e  .iiij.  capçers,  e  .v.  flaçadas,  e  .iij. 
albencs,  e  .vj.  linçels,  e  .ij.  cars,  e  .xxviij.  canens,  e  .ij.  pareils  de  buos,  e 

1 5  .Ix.  cabs  eissivernadsdaolhas.  — E  la  maison  deu  a  Peiruc  .xxxij.  sol.,  ea  R. 
.xxviij.  sol.,  ea  na  Bera  .xix.  sol.,  e  a  W.  l'aolhe  .viij.  sol.,  eal  mud  .xv.  soi., 
e  a  la  muda  .xvj.  sol.,  e  a  na  Bona  .xj.  sel.,  e  al  Porquer  .x.  sol.,  e  a  Casau- 
bon  "  .xij.  sel.,  e  al  Basce  .ij.  sel.  e  meja  cartal  de  forment  a  l'estyu,  e  a  n'Es- 
panha  .iiij.  sel.,  e  an  S.  Casa  .viij.  sol.  .viij.  d.  em.,ea.  p...  '  I.  .vj.  sol. ,  e  a 

20  W.  d'Escandas.  .iij.  sol.,e  a  l'arcediage  deSozs  ".v.  sel.  — El  dit  en  Guiraut  a 


1.  L'éditeur,  M.  Paul  Raymond,  attribue  au  xiv"  siècle  le  ms.  de  ce  cartu- 
laire.  Dans  un  compte-rendu  publié  dans  la  Revue  criticjue  j'ai  exprimé  l'opinion 
(1873,  ^-  '^  P-  '75)  "0^^)  ^^^  '^  cartulaire  pourrait  bien,  malgré  le  dire  de  l'édi- 
teur, avoir  été  rédigé  au  xiii'"  siècle.  Cette  conjecture  s'est  vérifiée.  La  Bibliothè- 
que nationale  a  récemment  acquis  ce  ms.  qui  est  incontestablement  du  xiii" siècle. 

2.  Le  Paradis  (Paravis  dans  Cassini)  sur  la  Garonne,  commune  de  Feugerolles,  canton 
de  Lavardac  (Lot-et-Garonne). 

5.  Lubon  au  N.-E.  du  dép.  des  Landes.  Manque,  sous  cette  forme,  au  Dict.  des  Postes. 

4.  Arouille,  cant.  de  Roquefort  (Landes). 

5.  Losse,  cant.  de  Gabarret  (Landes),  à  8  kil.  à  l'ouest  de  Lubon. 

6.  Y  a-t-il  ici  omission  d'un  nom  propre?  Cazaubon  est  un  chef-lieu  de  cant.,  arr.  et 
à  l'O.  de  Condom. 

7.  Il  y  a  ici  dans  l'original  un  trou  qui  emporte  aussi  quelques  lettres  de  la  lipne  suiv. 

8.  Sos,  ch.-l.  de  c.  au  S.  0.  du  dép.  de  Lot-ci-Garonnc. 


440  P-   MEYER 

donat  a  la  dita  maison  si  mezis  e  .j.  pareil  de  buos,  e  x...  '  eissivernads  de 
crabas  e  d'aolhas,  e  .xv.  canens.  E  es  assaber  quel  dit  prior  a  donad  e  au- 
treiad  lezer  al  dit  en  Guiraut  que  no  vcsta  los  draps  de  l'avid  de  la  dita 
maison,  si  per  sa  propria   volontad  no  a  faze,  entre  denz   .v.  ans  après  la 

2<  prumera  festa  de  Arrams.  El  dit  en  Guiraut  a  prometut  e  autrejad  per  bona 
e  per  ferma  e  per  leia!  stipulacion  que  ed  al  plus  tard  vestira  los  draps  de 
l'avid  de  la  dita  maison  denz  lodit  terme.  E  si  far  non  a  vole,  a  orometud  e 
autrejad  per  bona  e  per  ferma  e  per  ieiai  stipulacion  que  ed  al  dit  prior  o 
al  tient  son  log  après  lui  en  la  dita  maison  del  Paravis  redra  la  dita  maison 

30  de  Lugbon  ab  tots  sos  apertenements,  solta  e  quiti  de  tots  los  deutes  sober- 
dits,  ab  totas  las  causas  mobles  e  ab  las  autras  causas  de  la  gleisa  desus 
ditas  quel  dit  prior  li  ave  livradas,  e  ab  totas  las  causas  mobles  quel  dit  en 
Guiraut  ave  portadas  en  la  dita  maison,  0  ab  la  valença  de  totas  las  causas 
mobles  desus  ditas.  —  Item,  a  prometud  e  autrejad  lo  dit  en  G.  per  bona  e 

:  <,  per  ferma  e  per  leial  stipulacion  que  ed  las  causas  mobles  e  no  mobles  de  la 
dita  maison  de  Lugbon  enançera  a  bona  fe  a  son  leial  poder.  E  si  per  aben- 
tura  per  fauta  de  lui  valen  mens  las  ditas  causas,  e^  a  prometud  e  autrejad 
que  ed  ag  emendere  al  dit  prior  0  a  son  log  tient  tôt  ço  que  per  fauta  de 
lui  valessan  mens.  —  Item,  a  prometud  e  autrejad  lo  dit  en  G.  que  ed  dera 

40  cadaan  per  pension  .xxx.  sol.  de  bons  morl.  per  razon  de  la  dita  maison  de 
Lugbon  a  la  dita  maison  del  Paravis,  en  questa  maneira  :  .xv.  sol.  de  bons 
morl.  totas  festas  de  Arrams,  e  .xv.  sol.  de  bons  morl.  totas  festas  de  Mar- 
teror.  —  Mandadors  e  fermanças  per  lo  dit  en  G.,  per  far  e  per  tier  tots  los 
combents  desus  mentaùds,  que  ed   a   autrejadz   al  dit  prior  segont  que  plus 

45  plenerament  es  dit  ni  contengud  en  aquesta  présent  carta  :  N'Ar.  d'Arribes  fil 
d'en  B.,  en  R.  del  Bedored,  en  S.  Casa, en  A.  del  Berger,  en  P.  de  Malevad 
caperan  ;  li  cal  an  prometud  e  autrejad  que  no  s'en  reclamaran  lus  per 
l'autre  ni  per  nul  garent,  e  n'an  renonciad  a  la  exception  que  prumer  deu 
hom  domanar  al  cabaler  que  a  la  fizança.  E  de  ço  volon  lo  dit  prior  ei  dit 

50  en  G.  que  fosson  feitas  duas  cartas  d'una  mezissa  ténor,  a  cada  partida  la 
sua.  Aiço  fo  aissi  acordad  .xij.  dies  a  l'entrad  de  Fevrer.  Testimonis  en 
Bernon  de  Lugbon,  en  Guassiat  de  Lugbon,  en  P.  Angol,  e  frai  W.  Aime- 
rig,  e  frai  B.  de  Lanugs,  e  frai  R.  de  Garbiei  ',  e  frai  A.  de  Gauba*,  e  frai 
P.  Barta,  en  E.  del  Berger,  caperan  de  Sauboeras',  en  A.  W.  d'ArroIhan, 

55  cominal  notari  de  Gavarred,  qui  aquesta  carta  e  una  autra  d'una  mezissa 
ténor  n'escrisco  ab  volontad  de  l'una  partida  e  de  l'autra.  Anno  Domini 
M.  ce.  LX.  VIII,  dominante  Costancia,  primogenita  Gastonis  vice-comitis 
Bearn.,  Aman,  archiepiscopo  Auxit. 

(Arch.  de  Lot-et-Garonne.) 


1.  Suppléez  x.[l.  cabs]  ;  cf.  1.  15. 

2.  Sic.  on  préférerait  ed. 

3.  Garbiei,  commune  de  Cazaubon  (Gers). 

4.  Gaube,  commune  de  Perquié,  canton  de  Villeneuve-de-Marsan  (Landes). 

5.  Soubouères,  commune  d'Arouilie,  cant.  de  Roquefort  fLandesj. 


CHARTE    LANDAISE 


441 


VOCABULAIRE. 


(Les  mots  marqués  d'un  astérisque  manquent  au  Lexique  roman  de  Raynouard.) 


*ag,  devant  une  voy.,  38,  a  devant 
une  consonne,  24,  27,  37,  pronom 
neutre,  cela.  Mot  très-fréquent  en 
béarnais  et  en  gascon  :  ac  dm  mus- 
trarauSenhor,  Fors  de  Béarri,  art.  6  ; 
que  aixi  ac  thierKjuen...  et  aquegs  qui 
far  no  a  voleran,  ibid.  art.  79,  etc. 
«  Vient  incontestablement  du  basque  » 
selon  Cénac  -  Moncaut ,  Dictionn. 
gascon-français.  Ne  pourrait-on  pas 
aussi  supposer  que  c'est  le  mot  qui 
entre  en  composition  dans  aquest, 
aquel,  aco  ?  forme  que  l'on  explique 
d'une  manière  peu  satisfaisante  par 
l'addition  de  ecce  aux  démonstratifs 
latins  (voy.  Diez,  Gram.  II,  449). 

*albenc  14,  vêtement  blanc,  aube?  Il 
y  a  dans  Raynouard  II,  49,  l'adjectif 
subalbenc. 

*aolha  15,  brebis,  bête  à  laine.  Arch. 
de  la  Gir.  V,  213.  —  Rayn.  IV, 
392,  n'a  que  ovella,  ovelha. 

*arreited  12,  râteau.  Rayn.  V,  4^, 
rastelar. 

and  23,  habit.  Rayn.  III,  <y2i,abil\ 
ex.  relativement  récents. 

'Beseguda  12,  besaigiie. 

besoi  II,   bêche,  hoyau.   Voy.   Rayn. 

V,  559,  vezoig,  etsurtout Du  Gange, 

besogium. 


carreterius  2,  car r aria  4. 

caudera  10,  chaudière. 

*cosna  13... .''  Je  lis  dans  un  document 
béarnais  de  1370  [Arch.  de  la  Gi- 
ronde XII,  264)  :  «  Une  grosse  maie 
per  portar  la  cosne  e  lo  capsus  de 
Mossenhor.  » 

cubas  10,  cuves. 

Dail  12,  faux.  Rayn.  III,  2,  dalh, 
dcstrau  11,  coignée.  Rayn.  V,  77. 
*doledera   11,  doloire.  Rayn.,  III,  64, 
n'a  que  dolar. 

''Eissivernads  15,21,  moutons  ou  chèvres 
qui  ont  passé  un  hiver.  S'agit-il  de 
troupeaux  transhumants } 

*escapocrs  12....? 

' Fauquedera  1 1,  instrument  à  faucher? 
Falcatoria  se  trouve  dans  Du  Gange, 
mais  en  un  sens  qui  ne  saurait  con- 
venir ici. 

'flaçada  13,  couverture  de  lit.  Du 
Gange,  flassada  etflansada. 

*Lambrois  12...?  Le  sens  du  fr.  lam- 
brois,  lambris  ne  saurait  convenir  ici. 

Missa-cantan  9  ,  [vêtement]  que  l'on 
revêt  pour  dire  la  messe. 


*cabaler  49,   le  possesseur  d'un    bien  'Sarc  12,  12...? 

quelconque  {capitale).  'sartanha,  poêle  à  frire.  Rayn.  V,  i  58, 
'canens  (ou  p.-ê.  cavens)  22...  ?  sarta. 

'capçer  1 3 ,  oreiller.   Du  Gange,   capse- 

rium.  'Tarcd  1 1,  grosse  tarière.  Cénac-Mon- 
cars  14,  chariots.  caut,  taret. 

*carrejeder    \o,    tonneau?   Du  Gange,  /onft/ 9,  tonneau.  Rayn.  ro«t/,  V,  362. 


442 


p.   MEYER 


NOMS  DE  PERSONNES  ET  DE  LIEUX. 


(Les  noms  de  personnes  sont  précédés  d'un  astérisque.) 


'A.  de  Gauba  (frai — ),  55. 
'A.  del  Berger,  46. 
*A.  W.  d'Arolhan,  54. 

Ajenes,  i. 

*Amanieu,  archev.  d'Auch,  ^8. 
'Ar.  d'Arribes,  45. 

Arolha,  4,  54. 

Arribes,  45. 

'B.  de  Lanugs  (frai — ),  53. 
•Basco  (lo— ),  18. 
'Bera  (na  — ),  16. 

Berger,  46,  54. 
*Bona  (na — ),  17. 

Casaubon,  17. 
"Costancia,  fille  de  Gaston  VII  de  Béarn^ 

57- 
*E.  del  Berger  (en  — ),  J4. 

Escandas,  19. 

*Espanha,  18. 

Garbiei,  53. 

Gauba,  53. 

Gavarred,  55. 


'Guassiat  de  Lugbon,  52. 

*Guiraut,  4,  6,  20,  23,  25,   33,  34, 

39,  43- 

Lanugs,  53. 

Loça,  5. 

Lugbon,  2,  30,  36,  ^2. 

Malevad,  47. 
*P.  Angol,  52. 
*P.  Barta  (Irai  — ;,  54. 
*P.  de  Malevad  (en  — ),  46. 

Paravis,  i ,  3,  29,  41 . 
*Peiruc,  1 5. 
*Porquer  (lo — ),  17. 
*R.,  15. 

*R.  de  Garbiei  (frai  — ),  53. 
*S.  Casa,  19. 

Sauboeras,  54. 

Sozs,  20. 

*W.  Aimerig  (frai—),  52. 
*W.  d'Escandas,  19. 
*W.  Ebrard,  i. 
*W.  raolho,  16. 


DEUX  ÉLÉGIES   DU  VATICAN 


L'élégie  hébraïque  et  l'élégie  française  qui  font  l'objet  de  cette  étude 
m'ont  été  communiquées  par  mon  ami  M.  Ad.  Neubauer,  vice-bibliothé- 
caire de  la  Bodleienne.  Chargé  par  la  commission  de  VHistoirc  littéraire 
de  recueillir  en  Italie  les  documents  concernant  les  rabbins  français,  il  a 
copié  ces  deux  pièces  l'année  dernière,  durant  son  séjour  à  Rome,  et  me 
les  a  remises  pour  déchiffrer  la  pièce  française.  Elles  devaient  paraître 
dans  le  tome  prochain  de  ['Histoire  littéraire.  Mais  M.  E.  Renan,  avec 
cette  obligeance  qui  le  caractérise,  a  consenti  à  s'en  dessaisir  et  m'a 
autorisé  à  les  publier  dans  la  Romania,  à  condition  toutefois  que  la  pièce 
hébraïque  paraîtrait  avec  la  pièce  française.  D'ailleurs  on  ne  peut  guère 
les  séparer  et  elles  se  complètent  l'une  l'autre.  C'est  ainsi  que  les  lecteurs 
de  la  Romania  aborderont  aujourd'hui  avec  nous  un  coin  d'une  littérature 
quelque  peu  étrangère  à  cette  revue. 

Comme  la  pièce  française  est  d'une  lecture  très-difficile,  et  que  l'hy- 
pothèse avait  eu  une  large  part  dans  le  premier  déchiffrement,  j'avais  de- 
mandé à  la  Bibliothèque  du  Vatican  l'autorisation  de  faire  prendre  une 
photographie  des  feuillets  du  ms.  qui  la  contiennent  avec  la  pièce 
hébraïque.  Grâce  aux  démarches  commencées  par  M.  l'abbé  Duchesne, 
de  l'école  des  Hautes-Etudes,  et  poursuivies,  après  son  départ,  par 
M.  Eug.  Mùntz,  attaché  à  l'école  française  de  Rome  ',  l'autorisation  me 
fut  accordée.  Mais  l'obstacle  devait  venir  d'autre  part.  Le  photographe 
déclara  que  le  mauvais  état  du  ms.  ne  permettait  pas  d'en  faire  une 
reproduction,  et  que  la  photogravure  ne  donnerait  qu'une  couche  unifor- 

1.  Que  MM.  Duchesne  et  Mùntz  reçoivent  ici  mes  remerciements  pour  l'obli- 
seance  vrciimcnt  inépuisable  avec  laquelle  ils  se  sont  prêtés  .\  mes  demandes.  Je 
dois  particulièrement  à  M.  l'abbé  Duchesne  une  collation  très-soignée  de  la  pièce 
hébraïque,  qui  m'a  permis  d'en  rectifier  et  d'en  expliquer  spécialement  un  passage 
obscur. 


444  A-    DARMESTETER 

mément  noire  ou  jaune  sur  un  fond  grisâtre.  M.  Muntz  alors  me  procura 
de  la  copie  de  M.  Neubauer  une  collation  due  à  un  Israélite  de  Rome, 
M.  Angelo  G.  G.  di  Capua,  et  j'eus  le  plaisir  de  constater  que 
presque  toutes  mes  conjectures,  sauf  une  ou  deux,  étaient  confirmées 
par  la  collation.  Toutefois,  même  après  cette  collation,  il  reste  encore 
des  passages  obscurs  ;  les  difficultés  du  texte  sont  en  effet  d'une  nature 
si  particulière  que  rien  ne  peut  remplacer  la  vue  même  du  ms.  ;  et  je  ne 
puis  que  regretter  la  cause  fâcheuse  qui  m'interdit  de  mettre  un  fac- 
similé  sous  les  yeux  du  lecteur. 

Le  ms.  du  Vatican  d'où  sont  tirées  les  deux  élégies  est  coté,  dans  le 
catalogue  d'Assemani  ',  sous  le  n»  cccxxii.  C'est  un  volume  in-4''  vélin 
de  189  feuillets,  écrit  en  caractères  hébreux  carrés,  et  qui  semble 
être  du  xiir'  siècle.  Il  contient  le  rituel  des  Grandes  Fêtes  juives  de 
l'arrière-saison  :  fête  des  Tabernacles,  fête  du  Grand-Pardon,  fête  du 
Nouvel-An,  d'après  le  rite  à\t  porUigais.  Puis  viennent  au  folio  188, 
écrites  en  caractères  rabbiniques,  les  pièces  qui  font  l'objet  de  ce  tra- 
vail. Ces  deux  pièces,  .si  elles  ne  sont  pas  de  la  même  date  que  le 
reste  du  ms.,  ne  doivent  pas  lui  être  de  beaucoup  postérieures,  à  en 
juger  par  l'écriture.  En  tout  cas,  la  date  à  leur  assigner  ne  dépasse  pas 
le  commencement  du  xiV*  siècle. 

Le  folio  188  verso  est  occupé  par  l'élégie  hébraïque  et  par  une  notice 
historique  sur  l'événement  qui  l'a  inspirée.  L'élégie  française  s'étend  sur 
le  folio  189  recto  et  sur  la  moitié  du  verso,  et  elle  termine  le  ms.  La 
place  qu'elle  occupe  à  la  fin  du  volume  explique  l'état  de  délabrement 
dans  lequel  elle  nous  est  parvenue.  Le  parchemin  est  en  effet  partielle- 
ment rongé  à  la  partie  supérieure  et  sur  les  côtés  du  verso  du  dernier 
feuillet. 

Si  nos  deux  élégies  sont  inédites,  elles  ont  déjà  été  signalées.  La  plus 
ancienne  mention  que  j'en  connaisse  est  due  à  Bartolocci,  qui  s'exprime 
ainsi  au  t.  IV  (p.  322;  n»  1579)  de  sa  Biblioîheca  rabblnica  (Rome, 
1693)  :  «  Peloni  Almoni  -  :  kinnoth,  Threni  sive  Lamentaiiones  decanta- 
tae  pro  occisione  XIIÎ  Judaeorum  qui  Trecis,  in  Gallia,  combusti  sunt, 
anno  $048,  Christi  1288,  lingua  quidem  gallica,  sed  characteribus 
hebraicis.  Ms.  extat  in  Vaticano,  in-4°,  papyr.  »  Cette  notice  contient 
plusieurs  erreurs  :  la  pièce  n'est  pas  anonyme  ;  outre  l'élégie  française, 
on  trouve  une  élégie  hébraïque,  et  enfin  le  ms.  n'est  pas  sur  papier, 
mais  sur  parchemin.  Wolf,  en  171^,  dans  sa  Biblioîheca  hebràica  (I,  p. 
141 5),  cite  également  l'élégie  française,  sans  doute  d'après  Bartolocci  : 


1.  Manuscriptorum  codicum  Bibliothecae  apostolicae  Vaticanae  catalogus  a 
Steph.  et  Joseph.  Assemani,  Romae  1750,  in-fol.,  tome  I,  p.  307. 

2 .  Mots  hébreux  signifiant  :  Anonyme. 


DEUX  ÉLÉGIES  DU  VATICAN  445 

<'  In  Vaticano  mss.  exstant  lamentationes  in  memoriam  judseorum  trede- 
cim,  Trecis  in  Gallia,  anno  1288  combustorum,  gallice.  » 

Assemani,  en  1756,  revient  au  ms.  qu'il  décrit  ;/.  c.)  :  «  Codex  anti- 
quus  in  quarto,  membraneus,  foliis  189,  charactere  partim  quadrato, 
partim  rabbinico  exaratus.  »  Suit  la  description  du  Machzor  ou  Rituel  ; 
puis,  arrivant  à  nos  élégies,  il  s'exprime  de  la  manière  suivante  : 

«  Kinnoth  al  scuilosc  assar  Jelmdim,  seu  Neniae  in  memoriam  Tredecim 
Judaeorum,  Trecis  in  Gallia,  anno  mundi  5048,  Christi  1288  combusto- 
rum, nempe  R.  Isaac  Caîalauni  cum  conjuge,  duobus  filiis  et  nuru;  R. 
Simson  sacerdotis  ;  R.  Salomonis  et  R.  Baruc  dcAverio;  R.  Simeonis  scribae 
de  Marsiano;  R.  Jonae ;  R.  Isaaci  sacerdotis  ;  R.  Chaiim,  BeroUnensium, 
et  R.  Chananelis  ;  Ebraico-gallice,  literis  tamen  rabbinicis  conscriptae, 
a  R.  Jacobo  fdio  Judae  Volaterrano,  ut  in  titulo  legitur.  Hinc  corrigendi 
Bartoloccius  et  Wolfius  qui  hasce  nenias  nondum  typis  consignâtas 
anonymo  adtribuunt.  »  Suit  la  citation  du  début  de  la  pièce  hébraïque. 

Si  cette  notice  rectifie  une  erreur,  en  revanche  elle  en  commet  d'autres 
singulièrement  graves  et  nombreuses.  Sans  parler  d'une  faute  de  lecture 
qui  se  trouve  dans  la  citation,  R.  Simson  sacerdos  doit  se  lire  R.  Simson 
Hakkadmon,  ce  nom  propre  Hakkadmon  (l'ancien)  est  traduit  à  tort  par 
le  prêtre;  Baruc  de  Averio  est  Baruc  de  Avirey  ;  R.  Siméon  le  scribe  n'est 
pas  de  Marsian,  mais  de  Châtillon  ;  les  trois  docteurs  Jona,  Isaac  le  prêtre 
et  Chaiim  ne  sont  pas  des  Berlinois  (!),  comme  le  donne  à  entendre  le 
BeroUnensium;  le  texte  dit  simplement  que  R.  Haiim  est  de  Brinon  (dans 
l'Yonne).  Le  R.  Hananel  qui  termine  la  liste  est  un  personnage  de  pure 
fantaisie;  le  ms.  ne  connaît  qu'un  R.  Haiim.  Enfin  la  patrie  de  l'auteur, 
qu'Assemani  reproche  à  WolfetàBartolocci  d'avoir  méconnue,  n'est  pas 
moins  défigurée.  Après  avoir  fait  de  R.  Haiim  et  de  ses  compagnons  des 
Prussiens,  il  fait  de  l'auteur  un  Italien,  en  lisant  :  R.  Jacob  fils  de  Juda 
de  Volaterra,  au  lieu  de  :  R.  Jacob  fils  de  Juda,  de  Lotra,  c'est-à-dire 
de  Lorraine.  Impossible  d'accumuler  plus  d'erreurs  en  moins  de  lignes. 

Après  les  bibliographes  du  xviic  et  du  xviii'=  siècle,  il  faut  descendre 
jusqu'à  nos  jours  pour  trouver  une  mention  des  élégies.  Zunz  résume  la 
notice  erronée  d'Assemani  dans  sa  Poésie  de  la  synagogue  au  moyen-âge 
(p.  ^3)  '  et  fait  allusion  à  la  pièce  hébraïque  dans  son  Histoire  littéraire 
delà  poésie  delà  synagogue  (p.  362).  M.  Steinschneider,  dans  le  dernier 
numéro  du  Jalirbuch  f.  rom.  Liter.  (1874,  p.  ^67,),  signale  également 
d'après  Zunz  et  d'après  Assemani  la  pièce  française.  Enfin,  M.  Neu- 
bauer,  dans  son  Rapport  sur  une  mission  en  Italie  -,  en  fait  remarquer  en 
quelques  mots  l'importance  littéraire. 


1.  et.  Misccllany  of  Hcbrcw  littérature,  t.  1.  p.  191.  Londres,  1874. 

2.  Archives  des  missions,  3''  série,  I,  p.  ^^8. 


446  A.   DARMESTETER 

II. 

Comme  la  plupart  des  poésies  juives  du  moyen-âge,  l'élégie  hébraïque 
est  en  centons.  Régulièrement  le  dernier  vers  de  chaque  strophe  est  pris 
tout  entier  à  un  verset  de  la  Eiible  '  ;  les  autres  vers  sont  le  plus  souvent 
formés  de  fragments  d'expressions  bibliques  cousues  ensemble,  tantôt 
prises  littéralement  au  texte  sacré,  tantôt  modifiées  plus  ou  moins  pro- 
fondément. C'est  là  ce  qui  distingue  les  centons  hébreux  des  centons, 
beaucoup  plus  sévères,  des  poètes  grecs  et  latins.  D'ailleurs  ce  genre  de 
poésie,  chez  les  auteurs  juifs  du  moyen-âge,  n'a  pas  le  caractère  artifi- 
ciel propre  au  centon.  L'imitation  n'y  est  pas  un  jeu  d'esprit. 
Comme  la  Bible  était  pour  les  Juifs  le  seul  livre  dont  ils  se  nourrissaient, 
qu'ils  ne  pensaient  et  ne  sentaient  que  par  elle,  leurs  idées  naturellement 
prenaient  corps  dans  une  expression  biblique.  Cette  différence  à  l'avan- 
tage des  centons  hébreux  n'empêche  pas  toutefois  les  poésies  juives  du 
moyen-âge  d'être  en  général  assez  faibles.  Les  Pioutim  ^,  hymnes  reli- 
gieux qui  se  lisent  aux  grandes  fêtes,  sont  remarquables  d'obscurité  et 
de  recherche.  Les  belles  pièces,  comme  partout  d'ailleurs,  sont  rares; 
celle  du  Vatican  peut  compter  parmi  les  meilleures,  et  elle  est  de  beaucoup 
supérieure  à  deux  autres  élégies  hébraïques  composées  sur  le  même 
sujet,  dont  nous  parlerons  plus  loin.  L'expression  y  est  en  général,  et 
sauf  en  deux  ou  trois  endroits,  naturelle  et  bien  amenée,  et  les  phrases 
bibliques  se  laissent  facilement  détourner  de  leur  sens  original  pour 
prendre  sans  grand  effort  celui  que  veut  leur  donner  l'auteur.  Dans  notre 
traduction  nous  avons  essayé  de  rendre  aussi  fidèlement  que  possible 
cette  double  physionomie  du  texte,  cherchant  à  la  fois  à  serrer  le  sens 
des  phrases  bibliques  et  à  reproduire  la  signification  nouvelle  qu'elles 
prennent  sous  la  plume  du  poète.  Un  commentaire,  qui  accompagne  la 
traduction,  indique  les  passages  imités  de  l'Écriture  ;  ce  qui  permettra 
au  lecteur  de  se  faire  une  idée  exacte  de  ces  sortes  de  compositions  qui 
forment  la  littérature  poétique  des  Juifs  au  moyen-âge. 

Quoique  la  notice  historique  suive  l'élégie  dans  le  ms.,  nous  com- 
mençons par  elle,  parce  qu'elle  sert  d'introduction  naturelle.  Nous 
mettons  les  vers  à  la  ligne  ;  dans  le  ms.,  les  strophes  seules  sont  à  la 
ligne.  Nous  imprimons  en  majuscule  la  première  lettre  de  chaque  stro- 
phe, pour  faire  ressortir  l'acrostiche  :  pTn  m-rr^  i2"i  -13  ^ps"',  Jacob 
fils  de  Rabbi  Juda,  Hazakh  Nous  reproduisons  les  petits  points  qui  sur- 


1 .  Excepté  pour  la  strophe  XII. 

2.  Du  grec  Tvoir.TTÎ;. 

3.  Hazak  est  une  interjection  signifiant  à  peu  près  macte  !  apage!  Elle  termine 


DEUX  ÉLÉGIES  DU  VATICAN  447 

montent  les  noms  propres  et  quelques  autres  mots  importants  ',  ainsi 
que  la  ponctuation  qui  est  donnée  çà  et  là,  et  presque  toujours  incor- 
rectement *. 

/  riîabcj  'nnni  ,  in^-ipri  -i-Tri^so  '"inni  ,  inbDi  i-^an  '^aiu'i  in^:;}*! 

«  Cette  Selicha4  a  été  composée  par  R.  Jacob,  fils  de  Juda  de  Lotra 
(Lorraine),  au  sujet  de  treize  saints  qui  furent  brûlés  à  Troyes,  deux 
semaines  avant  la  Pentecôte,  en  48,  petit  comput  s.  Les  voici,  désignés 
par  leurs  noms  :  R.  Isaac  Châtelain,  sa  femme,  ses  deux  fils  et  sa  bru, 
R.  Sam.son  Hakkadmôn,  R.  Salomon,  R.  Baruch  d'Avirey,  R.  Siméon 
le  scribe  de  Châtilon  ('Châtillon;,  R.  Comlon,  R.  Isaac  Cohen  (ou  le 
Prêtre),  R.  Haïm  de  Brinon  et  R.  Haïm.  Que  leur  souvenir  soit  en 
bénédiction.  —  Dieu  Roi  !  '^  .» 

fréquemment  les  acrostiches  des  poèmes  hébreux  du  moyen-âge. 

1.  Les  mots  correspondants  de  la  traduction  sont  en  italique.  —  Dans  la 
notice  les  mots  qui  ne  sont  pas  ponctués  ont  en  surcharge  le  signe  v  plusieurs 
fois  répété.  Ce  sont  des  enjolivements  fréquents  dans  les  mss.  hébreu.x,  et  qu'il 
était  inutile  de  reproduire. 

2.  La  pièce  hébraïque,  ainsi  que  la  française,  est  écrite  en  caractères  semi- 
cursifs  du  moyen-âge.  Nous  donnons  la  première  en  caractères  carrés.  Quant  à 
la  seconde,  comme  les  caractères  rabbiniques  se  rapprochent  beaucoup  plusdêcette 
écriture  cursive  que  les  caractères  carrés,  et  qu'avec  eux  on  se  rend  plus  facile- 
ment compte  des  confusions  de  lettres,  nous  avons  dû  l'imprimer  en  caractères 
rabbiniques. 

3 .  Cette  notice  est  précédée  de  quelques  mots  qui  semblent  ne  pas  s'y  rapporter. 
Ces  mots  que  M.  Neubauer  n'avait  pas  cru  devoir   reproduire  nous  sont  ainsi 

donnés  par  M.    l'abbé  Duchesne  :  1112b  •:3-i':p:  mar  )'>pss  ;  nous  n'en  com- 
prenons pas  le  sens. 

4.  La  selicha  est  une  élégie  qui  se  récite  à  la  synagogue,  les  jours  de  péni- 
tence, à  l'effet  d'implorer  l'indulgence  ou  la  m.isèricorde  divine. 

5.  Le  petit  comput  ne  compte  pas  les  milliers  ;  48  est  donc  5048  a.  m.  = 
1288  de  l'ère  chrétienne.  Signalons  ici  une  malencontreuse  faute  d'impression  qiii 
s'est  glissée  dans  le  rapport  de  M.  Neubauer  sur  sa  mission  en  Italie'/.  cit.K  On 
a  imprimé  1238  au  lieu  de  128S  pour  la  date  qu'il  donne  de  cette  élégie. 

6.  Ces  mots  sont  le  commencement  d'une  prière  qui  se  récite  au  temple,  les 
jours  de  pénitence,  après  les  sclichoth.  Us  prouvent  que  la  pièce  était  récitée 
solennellement  au  cours  de  l'office,  ce  ûue  d'ailleurs  faisait  supposer  le  titre  de 
selichd  donné  à  cette  pièce  par  l'auteur  de  la  notice. 


448  A.    DARMESTETER 


ÉLÉGIE     HÉBRAK^UE. 


TEXTE. 


.  'is's  isnj  xi   ti\2JB32  npiï   iiTNia 
Tibia  1  piiN  b'j  nn?2Uj   ss  n^np     II 


1 .  Pour  ■izN  ;  le  1  marque  ici  simplement  \'o.  Cette  orthographe  incorrecte 
est  habituelle  dans  les  textes  hébreux  non  ponctués  ;  on  la  retrouve  plusieurs 
fois  dans  notre  élégie,  p.  ex.,  str.  VII,  3  :  inai^-'b  pour  in^yb  ;  str.  VII,  1, 
niSi£"i   pour  n"SEi  ;  etc. 

2.  Lire  i;p3'irn.  On  serait  tenté  de  corriger  ce  mot  en  ■'35i\:Ji1,  m'a  saisi; 
l'expression  serait  plus  naturelle. 

COMMENTAIRE. 

I  i.  Le  cilice  et  la  cendre  sont  étendus  comme  un  lit  pour  beaucoup 
(Esther,  IV,  3).  Est-ce  qu'il  étendra  le  cilice  et  la  cendre? 
(Isaie,  LVIII,  5). 

2.  (Les  ennemis  de  Dieu;  disparaissent  dans  la  fumée  (Psaumes, 

XXXVII,  20).  Pour  les  instruire  dans  le  livre  (c.-à-d.  l'écri- 
ture [chaldaïque]  ;  Dan.  l,  4). 

3.  Ceints    d'étincelles   (Isaïe,    L,  11).  —  Et  chacun  donnera  une 
rançon  pour  sa  personne  ''ou  sa  vie)  (Ex.  XXX,  12). 

4.  Où  est  celui  qui  pèse?  celui  quicompte  les  tours  ?  ^'Isaïe,  XXXIII, 

18).  '      ■ 


DEUX  ÉLÉGIES  DU  VATICAN  449 


ÉLÉGIE     HÉBRAÏQ_UE. 


TRADUCTION. 


I     J'ai  étendu  sur  mon  corps  le  ciliée  et  la  cendre  ;  [Livre; 

Car  ils  ont  disparu  dans  la  fumée,  les  hommes  instruits  dans  le 
Ceints  d'étincelles,  ils  n'ont  pu  donner  de  rançon  pour  leur  vie. 
Où  est  celui  qui  pesait,  où  est  celui  qui  comptait   (les  lettres')  ? 

II     Toute  joie  s'est  évanouie  devant  la  destruction  de  ma  famille. 
Elle  est  descendue  au  tombeau  la  gloire  de  mon  orgueil  ; 
La  crainte  m^abreuve  ;  mais  ce  que  je  redoutais  2, 
Je  n'en  ai  pas  détourné  la  tête. 


1 .  Allusion  aux  grands  docteurs  de  la  synagogue,  qui  savaient  rendre  compte 
de  tous  les  mots,  de  toutes  les  lettres  de  la  Sainte  Ecriture,  et  en  tirer  des  ensei- 
gnements. Cf.  Derenbourg,  Essai  sur  l'histoire  de  la  Palestine,  p.  396,  397. 

2.  On  peut  traduire  encore  :  La  crainte  et  ce  que  je  redoutais  m'abreuvent. 

COMMENTAIRE. 

II.     I .  Toute  joie  s'est  évanouie  (Isaïe,  XXIV,  1 1).  —  Pour  la  destruc- 
tion de  ma  famille  (Esther,  VIII,  6). 

2.  Elle  est  descendue  au  tombeau,  la  fierté  (Isaïe,  XIV,  11;.  —  La 
gloire  de  son  orgueil  (Isaïe,  XXVIII,  i  et  4), 

5.  «  La  crainte  m'abreuve  »  je  n'ai  pas  retrouvé  l'origine  de 
cette  expression.  —  Et  ce  que  je  redoutais  est  tombé  sur  moi 
(Job,  III,  25;. 

4.  Je  n'en  ai  pas  détourné  la  tcte  (Isaïe,  L,  6). 
m      1.  Plus  légers  que  les  aigles  (Samuel,  II,  1,  2^).  --  La  fm  du  vers 
n'est  pas  imitée. 

2.  Le  rejeton  que  j^ ai  planté  (Isaïe,  LX,  21).  — La  fm  du  vers 
n'est  pas  imitée. 

?.  Allez  dans  la  flamme  ardente  f  Isaïe,  L,  11).  —  Et  tes  construc- 
teurs hâtèrent  le  pas  (Isaïe,  XLIX,  17). 

Remania,  III  29 


450  A.    DARMRSTF.TER 


.' ■!■'::  13   ■^:z   c^iirïïi   ib  P     III 

•  nn  u)x  on   isnm 

.  nisan  nipab  nb  s-^iî   s  ^     IV 
.  x^i'iî  na   niax'^i   pns"<  iinii 

!  rrnt   ujx   c::-ipn2 

.  tji'i^'  '*  nnïs  nh  neiisn  3  inan 
.  ti"in  bx  "iT»  na  pitnnb    m^x  tx 

.  Qinis'i-j    ^  ibb-i^;   D'^S'iarw  ini  "^     VI 
.  n-ininn   ex  'pn  1x2   ciïuj 
.  n-^nx    "^  nïia   nia  "lax^  iny^b  •j'^x 
:  ninni  inat'ii  nibis  ibyr 


1 .  Lire  i3s"^.  Les  deux  ^'^  qui  terminent  les  trois  premiers  vers  et  le  mot 
11^1:52  sont  pour  rimer  à  l'œil  avec  le  quatrième. 

2.  Lire  -niax  ;  de  même  str.  V,  2  :  nnîË,  lire  nn^s  ;  4  :  rp':;m,  lirerj-Dm. 

3.  En  marge,  le  n  initial  est  corrigé  en  in. 
4  et  5.  Voir  note  2. 

6.  Lire    ibbi'ï. 

7.  Lire    nattJ. 

COMMENTAIRE. 

4.  E;  /e/eu  de  Dieu  les  consuma  (Nombres,  XI,  i). 
IV     1.  Tout  homme  de  cœur  fit  yenir  (Exode,  XXXV,  22}.  —  Ce  lieu 
fut  appelé  embrasement  (Nombres,  XI,  3). 

2.  Isaacfut  ému  (Genèse,  XXVII,  33).  —  //  dit  :  que  c'est  terrible 
(Genèse,  XXVIII,  17). 

3.  Et  quand  finiront  les  jours  de  pureté  (purification)  (Lévitique, 

XII,  4  et  6).  —  Le  jour  de  sabbat  (passim). 

4.  Ils  approchèrent  de  Dieu  (offrirent  à  Dieu)  un  feu  profane  (Lévi- 

tique, X,  i). 


DEUX  ÉLÉGIES  DU  VATICAN  45  1 

m     Plus  légers  que  les  aigles  sont  les  fils  de  mes  persécuteurs. 
Les  rejetons  que  j'ai  plantés  ',  mes  oppresseurs  les  ont  détruits. 
«  Allez,   dirent-ils,  dans  la  flamme  ardente  »   et  mes  enfants 
Et  un  feu  de  Dieu^  les  consuma,  [hâtèrent  leur  pas, 

IV    Venu  au  lieu  de  l'embrasement,  l'homme  de  cœur 
Isaac  5  fut  ému.  Il  dit  :  c  Que  c'est  terrible  !  « 
Au  jour  du  Sabbat  finirent  pour  lui  ses  jours  de  pureté  4, 
Quand  on  l'approcha  du  feu  profane. 

V  La  préférée  de  sa  mère 5,  saisie  par  la  main  du  bourreau, 
Dans  sa  piété  éprouvée,  ne  détourna  pas  la  tête. 

Elle  ordonna  qu'on  la  saisît  :  «  Ne  retiens  pas  ta  main  !  « 
On  la  fit  sortir  et  on  la  brûla. 

VI     Enfants  d'amour^,  objets  des  plus  tendres  soins, 

Les  deux  (frères)  vinrent  dans  le  feu  de  ronces  ;  [semble!  » 

Ils  se  disaient  l'un  à  l'autre  :  «  Heureux  les  frères  d'être  en- 
Ils  offrirent  l'holocauste  et  accomplirent  le  sacrifice. 

1 .  On  pourrait  lire  nôçrê  au  lieu  de  niçrê,  ce  qui  donnerait  «  les  gardiens  de 
mes  plantations.  »  —  Mais  le  texte  fait  évidemment  allusion  au  verset  d'Isaïe 
(LX,  21)  qui  signifie  :  les  rejetons  que  j'ai  plantés.  Voir  au  commentaire. 

2.  C.-à-d.  terrible,  ou:  affronté  pour  l'amour  de  Dieu. 

3.  Isaac  Châtelain. 

4.  Sa  vie  pure. 

5.  La  femme  d'Isaac  Châtelain. 

6.  Les  deux  fils  d'Isaac  Châtelain. 

COMMENTAIRE. 

V  I.  Elle  est  la  préférée  de  sa  mère  (Cantique,  VI,  9).  —  w  Saisie 

par  la  main  du  bourreau  (tôrêph)  »  :  il  saisit  sa  proie  (téreph) 
(Isaïe,  V,  29). 

2.  «  Dans  sa  piété  {thoumatlw)  éprouvée  »  ;  thoumatho,  forme  rare 
prise  à  Job,  II,  3.  —  «  Ne  détourna  pas  la  tête  »  propre- 
ment :  ne  tourna  pas  la  nuque  :  Ils  m'ont  tourné  la  nui]uc 
(le  dos)  et  non  le  visage  (Jérémie,  II,  27). 

?.  Le  commencement  n'est  pas  imité.  —  Ne  retiens  pas  tes  mains 
(Josué,  X,  6). 

4.  «  On  la  fit  sortir  (hoçihouha)  et  on  la  brûla  (vAthissarôph)  n  : 
Faites-la  sortir  (hoçihouhaj   et  qu'on  la  brûle  (vEthissarêph) 
(Genèse,  XXXVIII^  24). 
VI     1 .  «  Enfants  d'amour  »  expression  talmudique.  —  Objets  des  plus 
tendres  soins  (Lament.  II,  20). 


452  A.   DARMESTETER 

,  n'iE'^E''  n!::^  ,  z'^wiKb  isn  p-^  "^     Vil 

:  ni  nanbia  \yx  ''E\ai  niBUJ"i 

.  ûnD-i-i  153   m'^an  im  'pn  ^     VIII 
.  dmxasb  i3)t)3  Qipnca  binaas 
.  cmnDiaa  iix  nini  ,  crTi3S  D^anÎ!  133 
:  onsiu  wx  ;ap3  iin  nsn 

.  "'lax'i  tDia  'jM'ii  i^b  nxtn  i^n  "i     IX 
.  iia-nm    ^  itti;^  n-iix  -135  "«j 

,  nann  pasjn  ia  ias3  fr^-u  1    X 
.  ns'isjan  «jx  b»  pnn  =n  -i-ina 
.  naoa  -5103)31  ni^  ti^n  tx 


1.  Sb,  abréviation  pour  bxb. 

2.  Lire  m<;q.  Pour  le  mot  qui  suit,  voir  la  note  3  de  la  page  448. 

3.  Dans  le  ms.  les  deux  "il  sont  surmontés  d'un  trait  lîrÎTj 

COMMENTAIRE. 

2.  (Comme  une  rose)  dans  les  ronces  (Cantique,  II,  2). 

3.  Ils  se  disaient  l'un  à  l'autre  (Juges,  VI,  29).  —  Heureux  les 
frères  d'être  ensemble  (Psaumes,  CXXXIII,  i), 

4.  Ils  offrirent  des  holocaustes  et  accomplirent  des  sacrifices  (Exode, 

XXIV,  5).  —  La  phrase  de  l'Exode  est  reproduite  textuelle- 
ment dans  l'élégie. 
VII  I.  Vainement  la  foule  médite  (Psaumes,  II,  1).  Le  verset  hébreu 
est  reproduit  textuellement.  —  0  ma  fiancée,  que  sont  belles 
tes  amours  (Cant.  IV,  10).  Fiancée  el  bru  sont  exprimées  en 
hébreu  par  le  même  mot. 

2.  Un  Dieu  étranger  (passim).  —  Ta  femme  sera  ...  comme  une 

vigne  fertile  (Psaumes,  CXXVIII,  3). 

3.  Ce  vers  n'est  pas  imité. 


DEUX  ÉLÉGIES  DU  VATICAN  45  5 

VII     En  vain  la  foule  engageait  la  bru  au  beau  visage'  : 
«  Vers  le  dieu  étranger  tourne-toi,  ô  vigne  fertile  ^  !  » 
L'enfant  juive  a  refusé  de  se  soumettre  ;  [Dieu  ! 

Ses  embrasements  sont  des  embrasements  de  feu,  une  flamme  de 

VIII     D'un  concert  unanime,  ils  ?  entonnèrent  les  cantiques  ; 
Comme  des  danseurs  joyeux,  ils  partirent  en  ordre  ; 
Leur  visage  rayonnait  ;  la  lumière  était  avec  eux... 
Semblables  à  la  paille,  le  feu  les  consuma, 

IX    Ah  !  mon  cœur  s'émeut,  ma  tête  se  fond  en  larmes  ; 

Car  il  a  été  assez  fort,  l'ennemi  qui  me  dévaste  et  m'écrase, 
Pour  livrer  en  pâture  aux  flammes  l'enfant  précieux  de  ma  sain- 
Samson  4  dit  :  «  Périsse  mon  âme  !  »  [teté  ! 

X     Dirigeant  son  âme  vers  la  vallée  des  pleurs 
L'élu  de  Dieu  fut  lié  sur  le  bûcher  préparé. 
Il  a  ranimé  son  courage,  s'est  armé  de  résolution. 
Et  Salomon  5  est  assis  au  trône  de  la  gloire''. 

1 .  La  femme  de  l'un  des  fils. 

2.  Comparaison  fréquente  dans  la  Bible.  Voir  spécialement  le  Psaume  128, 
auquel  cette  ligne  fait  allusion.  Cf.  au  commentaire. 

j.  Les  cinq  victimes. 

4.  Samson  le  kadmôn. 

5.  R.  Salomon. 

6.  De  la  gloire  céleste. 

COMMENTAIRE. 

4.  (L'amour  est  fort  comme  la  mort  ;)  ses  embrasements  sont  des 
embrasements  de  feu,  une  flamme  de  Dieu  'Cantique,  VIII,  6). 
VIII     I.  Dans  le  concert  unanime  (des  étoiles)  (Job,  XXXVIII,  7).  — 
Entonnez  te  cantique  avec  des  cris  de  joie  (Psaumes,  XXXIII,  ^). 

2.  Comme  des  danseurs  joyeux  (Jérémie,  XXXI,   4).  —  En  ordre, 

ils  partirent  (Nombres  X,  28). 

3.  Leur  visage  rayonne  (Isa'ie,  XIII,  8).  —  «  La  lumière  était  avec 

eux    (proprement  :  dans  leur  demeure  »  :  La  lumière  est  dans 
leur  demeure  (Exode,  X,  23). 

4.  Semblables  à  la  paille,  le  feu  les  consuma  (Isaïe,  XLVII,  14). 
IX     I.  Mon  cœur  s'émeut  (Job,  XXXVII,  i).  — Puisse  ma  tête  se  fondre 

en  larmes  (Jérémie,  VIII,  25). 
2.  Il  a  été  assez  fort,  l'ennemi  (Lament.,  I,  16).  Le  reste  n'est  pas 
imité. 

5.  En  pâture  aux  flammes  (Isaïe,  IX,   4).  —  [Ephraim] ,  enfant 
précieux  (Jérémie,  XXXI,  20). 


454  *•    DARMESTETER 

.  •i353h^'i   xb  -iti  'TTic^an  uîssl     XII 
.  iDbsxn  wx  t,wX  nsnb  n=::n  xb 
.  la^inr  Tin  ms  nsitji  -ï^d  n-'-j:!: 
:  i3^D\x   )M'i2V'^  dinbx  inix  npb 

.  nsrii:  in-i?:^  Dimnyn  -pn  ':i1     XIII 
.  2  ns^a   x'b   "lise  ti25i  irainn  p'itnn 
.  n-ob  ib  nin  nbnix  ujx   nnb 
:  rwi""   b:;  bTijn  bsin 

.  xnsn  1UJ   -itjns  ■)=•",  H    XIV 
.  .  nn^pb   inasban   bx  irTn^ûtJîa  bs»  11532511 
.  nni3  ini^i  'ii'ib:^  bxb  -1^3  xim 
î  nnnbb   iiîjiipi  oxb  pn^s'i  mx 


1 .  Mots  entre  parenthèses  dans  le  texte.  Il  n'en  faut  pas  tenir  compte.     • 

2.  Ms.  naïc:. 

COMMENTAIRE. 

4.  Samson  dit  :  Périsse  mon  âme!  (c.-à-d.   ma  personne)   (Juges, 
XVI,  30). 

X  I.  Dirigeant  son  âme  au  bien  (Habacuc,  II,  4).  —  La  vallée  des 

pleurs  (Psaume,  LXXXIV,7). 
2.  L'élu  de  Dieu  (Samuel,  II,  xxi,  6).  —  Ils  furent  liés  (de  chaînes), 

(Nahum,  III,  11). 
^.   Il  a  ranimé  son  courage  (Habacuc,  1,  11).  —  S'est  armé  de 

résolution  (Isaïe,  XXX,  i).  Ce  passage  d'Isaïe  est  obscur,  et 

le  sens  en  est  contesté. 
4.  Et  Salomon  s'assit  sur  le  trône  de  la  royauté  (Rois,  I,  i,  46). 

XI  I.  Sans  que  personne  le  puisse  délivrer  (Isaïe,   V,   29).    —    (Il 

délivre  Israël)  de  ses  persécuteurs  (Samuel,  I,  XIV,  48). 
2.  //  incline  son  épaule  pour  prendre  son  fardeau  (Genèse,  XLIX, 
15).  —  «  Du  sort,  (proprement  :  de  ce  qui  lui  arrive)  «  tout 
ce  qui  lui  arrive  (Esther,  IV,  7). 


DEUX  ÉLÉGIES  DU  VATICAN  4^5 

XI     II  va,  sans  que  nul  le  puisse  délivrer  de  ses  persécuteurs, 
Il  incline  son  épaule  pour  prendre  son  fardeau  du  sort. 
On  l'enveloppe  de  flammes;  le  feu  le  consume; 
Il  est  béni  '. 

XII     Le  chantre  s'approche,  et  le  barbare  n'en  a  pas  pitié. 
La  flamme  ne  s'éteint  pas  ;  elle  le  dévore, 
Le  chantre,  le  scribe  habile  ;  et  Dieu  le  conduit  seul 
Et  le  prend  avec  lui.  Siméon  *  n'est  plus  ! 

XIII  (Comme  un)  arbre  à  la  cime  haute  et  touffue,  l'ami  (de  Dieu) 
Reste  ferme  dans  sa  piété  :  il  ne  change  pas  de  visage. 

Le  feu  qui  le  dévore,  il  le  reçoit  comme  sa  part; 
Et  le  sort  frappe  Jona  ?, 

XIV  Le  chef  de  la  troupe  4,  affermi  par  la  Grâce, 
Debout  à  son  poste,  se  dispose  à  l'œuvre. 

Il  était  prêtre  du  Très-Haut.  Son  âme  se  dévoue  [flammes. 

Et  la  splendeur  d'isaac  5  est  livrée  au  feu,  et  sa  sainteté  aux 

1.  R.  Baruch  d'Avirey.  (Baruch  =  Benedictus.) 

2.  Siméon,  le  scribe,  de  Châtilion. 

5.  R.  Jona  ou  Comlon  ou  mieux  Colon  :  Jona  en  hébreu  veut  dire  colombe 
(en  V.  fr.  colomb  ou  colon).  Peut-on  rapprocher  de  ce  nom  celui  de  Coluniis 
(Fulch.)  qui  se  trouve  dans  une  charte  du  XI"  siècle  (vers  1070)  (Cartulairc  de 
Savigny,  p.  p.  A.  Bernard,  p.  241)?  Le  b  de  colombus,  tombé  au  XIK'  siècle  ne 
doit  pas  avoir  encore  disparu  au  XI°  s. 

4.  De  !a  troupe  des  martyrs. 

5.  Isaac  Cohen  ou  le  prêtre. 

COMMENTAIRE. 

1.  On  l'enveloppe  de  toutes  parts  (Isaïe,XLIl,  25).  —  Le  feu  le 

consume  (Job,  XV,  54). 
4.  Il  est  béni  (Nombres,  XXII,  13). 
XII     I.  Des  chantres  s'approchèrent  (Ezras,  IX,  1).  —  Et  il  n'en  a  pas 
pitié  (Isaïe,  XXVII,  11). 

2.  La  flamme  ne  s'éteint  pas  (Ezéchiel,XX,  47). — «  Elle  le  dévore; 

(proprement  :  car  le  feu  le  dévore)  »  :  Car  le  feu  k  dévore 
(Deutér.,  V,  24). 

3 .  ((Le  chantre  habile  ;  proprement  :  habile  à  chanter  »  ;  Habiles 
à  chanter  (Psaumes,  XXXIll,  3);  Homme  habile  à  chanter 
(Samuel,  I,  xiv,  17).  — Dieu  le  conduit  seul  {Dénier.,  XWU, 
12). 

4.  Dieu  l'a  pris  (Genèse,  V,  24).  —  Et  Siméon  n'est  plus  (Genèse, 

XLII,  36). 


4^6  A.   DARMESTETER 

.  )i.^nx>   \aixa  nnys   \:>'^:i^n  n^  H     XV 
.  isi»  iTim  nrib   uiià  nini 
.  '|5Xïi  ina  nux   i-iss  131:13 
:  pn  "jini  û-'inn  yyi 

.  d!Ti3  11S33  lixab   nina  -|  ]     XVI 
.  1  dna  "i-isii  d»  '«lia  -ip"^"^  dw 
.  dnini^Tnx  bx  nsiEi^'n  d-^îT^D 
:  diT^KSiab   dn   diin   ^a 

.  n-nas  ujiiuj  niT^aa  i^ois»  rr^  ixn  p     XVII 

.  xii  ^  1211   nax  s-it  ibiD 
.  n-iis  rtisb  ni  b:?  oisx  ■n^îa  ixira 


I .  Vers  obscur  ;  le  texte  est  évidemment  corrompu  ;  je  lis  :  "'".15  ''pi"'  /  ÛW 
cnn  "^yj^  ds» 

COMMENTAIRE. 

XIII     1.  Littéralement  :  Sa  cime  est  parmi  les  touffes  épaisses;  expres- 
sion prise  à  Ezéchiel  XXXI,  3. 

2.  Cf.   strophe  V,  vers  2.  —  Et  son  visage  {sévère)  est  changé 

(Ecclésiaste,  VIII,  i). 

3.  Le  feu  le  dévore  (Isaïe,  XXIX,  6).  —  Tu  le  recevras  comme  ta 
part  (ton  lot)  (Exode,  XXIX,  26). 

4.  Et  le  sort  frappe  Jona  (Jonas,  I,  7). 
XIV     i.  Affermi  par  la  grâce  {lsaie,XV],  5). 

2.  Debout  à  mon  poste  (Habacuc,   II,  i).  — Pour  se  disposera 

Pœuvre  'au  travail)  (Exode,  XXXVI,  2). 

3.  Il  était  prêtre  du  Très- Haut  (Genèse,  XIV,   18).  —  Ceux  dont 

l'âme  se  dévoue  (Exode,  XXXV,  21). 

4.  La  splendeur  d'Israël  est  livrée  au  feu...   Et  sa   sainteté  aux 
flammes  (Isaïe,  X,  17  et  16). 

XV     I.  La  violence  du  bourreau  (Isaïe,  LI,  1 3).  La  violence  éclata  contre 
lui  (Esther,  I,  12). 

2,  //  doit  le  brûler  fson  dieu  de  bois)   (Isaïe,  XLIV,  15).  —  La 

fm  du  vers  rappelle  le  passage  de  la  Genèse,  XIV,  20  :  «  Béni 
soit  le  Dieu  suprême  qui  a  livré  tes  ennemis  entre  tes  mains.  » 

3,  Et  tous  les  visages  en  seront  contractés   (Ezéchiel,  XXI,  3]. 


DEUX   ÉLÉGIES   DU  VATICAN  457 

XV     La  violence  du  bourreau  éclate  contre  un  homme  honoré  ; 
Il  doit  le  brûler.  (La  victime)  est  livrée  en  ses  mains  ; 
Son  visage  se  contracte,  qui  était  plus  brillant  que  la  lune, 
Et  l'arbre  de  vie  est  au  Paradis  ' . 

XVI     Plus  pur  que  l'huile  du  luminaire,  comme  un  lionceau  rugissant 
Il  s'écrie  :  «  Que  mon  corps  soit  brûlé  avec  mes  amis  !  » 
—  Telles  volent  les  colombes  regagnant  leur  colombier. 
Là  2  est  la  vie  pour  ceux  qui  la  cherchent  ?. 

XVII     Invoquez  Dieu  aux  treize  attributs  4, 

Vous  tous,  race  fidèle,  craignant  la  parole  divine  ! 
Un  petit  nombre  a  survécu  à  travers  les  amertumes. 
Dieu  jugera  et  avisera  ! 


1.  R,  Haiimde  Brinon.  Haiim  en  hébreu  veut  dire  vie. 

2.  Au  ciel. 

3.  Ce  verset  désigne  le  treizième  martyr,  appelé  également  R.  Haiim.  Cf.  note  i. 

4.  Epithète  habituelle  de  Dieu  dans  les  poésies  liturgiques  du  moyen-âge. 

COMMENTAIRE. 

4.  Et  l'arbre  de  vie  [était]  au  milieu  du  paradis  (Genèse,  II,  9). 
XVI     I.  De  l'huile  d'olive  pure,    raffinée,   pour  le  luminaire  (Exode, 

XXVII,  20).  —  Rugissant  comme  un  lionceau  (Proverbes, XIX, 
24). 
2.  Les  concordances  n'indiquent  aucun  passage  auquel  on  puisse 
rapporter  ce  vers. 

5 .  (Comme  des  nuées)  ils  volent,  comme  des  pigeons  rejoignant  leur 

colombier  (Isaïe,  LXI,  8). 
4.  Là  (dans  les  conseils  de  morale)  est  la  vie  pour  ceux  qui  la 
trouvent  (Proverbes,  IV,  22).  Notre  texte  dit  également /loiir 
ceux  qui  la  trouvent.   Mais  nous  avons  cru  devoir  modifier  la 
traduction  d'après  le  sens  du  contexte. 
XVII     1.  Je  t'invoque,  ô  Dieu!  (Psaumes,  XXVIII,  i). 

2.  Tout  entière,    race  de  vérité  (Jérémie,  II,   21;  c.-à-d.,    race 

pure,  sans  mélange).  Craindre  Dieu;  la  parole  de  Dieu  (pass\m). 

3.  Un  petit  nombre  a  survécu  (Isaïe,  XXIV,  6).  —  «  A  travers  les 

amertumes  »  littéralement  :  par  ce  qui  porte  l'amertume  ; 

imitation  du  Deutéronome,  XXIX,  17:  racine  qui  porte  le 
poison  et  l'amertume  (l'absinthe). 

4.  Dieu  vous  jugera  et  avisera  (^Exode,  V,  21). 


458  A.    DARMESTETER 


111. 

Le  déchiffrement  de  l'élégie  française  présente  des  difficultés  considé- 
rables. Dans  sa  plus  grande  partie,  elle  n'est  pas  ponctuée,  ce  qui  sup- 
prime les  a  et  les  e  ;  les  0  et  les  u  {u,  ou)  d'un  côté,  les  é{è,  ê)  et  les  /  de 
l'autre  se  trouvent  de  la  sorte  représentés  par  deux  semi-voyelles  qui 
peuvent  avoir  encore  la  valeur  de  v  et  de  j.  Les  tildes  qui,  placés  sur  les 
g,  les  k,  les  p,  doivent  les  changer  en  g,  en  /,  en  cli,  manquent  souvent. 
Ainsi  '  vankere  iXVIl,  i)  est  pour  vankere  ==  vavchere ;  porments  fIX,  2) 
est  pour  forments  ;  etc.  Plusieurs  mots  sont  coupés  à  tort:  i 'ou  e) 
laveî  pour  //  aveî  [avait]  (IX,  4).  Presque  à  chaque  strophe,  plusieurs 
mots  sont  réunis  en  un  :  elejour  elanult  pour  e  le  jour  e  la  nuit  (II,  3); 
delatrémale  pour  de  la  très  maie  (III,  1),  cilkideîos  pour  cil  ki  de  tos  iIV, 
3),  etc.  Par  suite  de  l'état  défectueux  du  ms.  et  de  la  nature  de  l'écri- 
ture, plusieurs  lettres  se  confondent  entre  elles.  L'alef  {h  muette,  a  ou  e) 
se  confond  avec  le  mini  'm)  et  les  double  vav  [v^ .  Le  premier  mot  de  la 
pièce  avait  été  lu  par  M.  Neubauer  et  M.  Angelo  hont  (ont),  ce  qui  n'of- 
frait aucun  sens;  j'étais  tenté  de  corriger  ont  en  [lijores,  bien  que 
les  lettres  ont  fussent  certaines  ;  un  examen  plus  approfondi  de  la  forme 
des  lettres  demandé  à  M.  Angelo  me  montra  qu'il  fallait  lire  mont,  leçon 
satisfaisante  d'ailleurs  pour  le  sens.  Le  daleth  (d)  se  confond  perpétuelle- 
ment avec  le  resch  (r);  le  vav  (v,  0,  u,  ou)  avec  le  yod  {é,  i,  jj  ;  le  zaïn 
[Z,  s  douce)  avec  le  koph  'k)  ;  Vn  dans  les  groupes  an,  en,  on  manque  gé- 
néralement. Ainsi  le  ms.  porte  ou  semble  porter  :  deruit  déduit,  U,  2j, 
coruit  [conduit  II,  5),  doled  [dolor  III,  i),  cdi  [cri,  V,  21,  onelement  (ine- 
lement,  XI,  i),  oneseos  [0  no  seos  =  0  nos  seons^^où  nous  séons, 
XVII,  3)  ;  zangeler  [kangeler,  changeler,  III,  2);  zant  ikant,  V,  i),  etc., 
etc.  Dans  certains  cas,  tel  trait  effacé  défigure  des  lettres  et  par  suite 
des  mots.  I,  4,  le  ms.  porte  lui\  il  faut  lire  lur  (lor),  \'i  n'étant  que  le 
reste  d'une  r  effacée.  Le  sin  (s)  s'est  souvent  réduit  à  un  teth  {t  .  Str. 
XVII,  2,  M.  Neubauer  lisait  jort  au  lieu  de /ors.  Comme  l'écriture  est 
quelque  peu  cursive,  des  lettres,  reliées  entre  elles,  paraissent  former 
de  nouvelles  lettres  ;  le  tv  ou  le  vt  n'est  souvent  qu'une  s  et  réciproque- 
ment. Ainsi  nsre  (II,  1)  donné  par  les  copies  de  MM.  Neubauer  et 
Angelo  doit  se  lire  nvtre  =  notre.  Je  ne  parle  pas  des  passages  entière- 
ment corrompus  que  je  renonce  à  expliquer. 

Comme  je  l'ai  dit  au  début,  un  grand  nombre  de  mes  corrections, 

1.  Pour  rendre  plus  facile  la  lecture  des  exemples  cités,   j'ajoute  les  voyelles 
dans  les  mots  que  le  texte  hébreu  ne  ponctue  pas. 


DEUX  ÉLÉGIES  DU  VATICAN  459 

inspirées  par  l'étude  de  la  copie  de  M.  Neubauer,  ont  trouvé  leur  con- 
firmation dans  la  collation  de  M.  Angelo,  à  qui  j'avais  demandé  si  elles 
étaient  autorisées  par  le  ms.  Celles-là,  je  n'ai  pas  hésité  à  les  transpor- 
ter dans  le  texte  que  je  publie.  Quant  aux  passages  pour  lesquels  la  col- 
lation concorde  avec  la  copie,  et  qui  appellent  des  corrections,  je  donne 
la  leçon  corrigée  soit  dans  le  texte,  soit  dans  le  commentaire  qui  accom- 
pagne le  texte  ;  dans  les  deux  cas,  elle  y  est  discutée. 

Le  tableau  suivant  donne  le  système  de  transcription  que  j'ai  suivi. 


et 


(alef)  '  (esprit  doux)  * 

(beth)  b 

(ghimel)  ë  i=  g    dur 

quelquefois  pour  g  =  y) 
(ghimel  tilde)         g  (=  y) 
(daleth)  d 

(hé)  h 

(vav)  V  (=  V,  0,  u,  ou) 

TÎ   (double  vav  tilde)    w(=  v;  quelquefois 
le  tilde  manque;  j'écris  alors vv) 
r     (zaïn)  z  [=  s  douce) 

f    (zaïn  tilde)  z  même  valeur  que 

le  zaïn  simple 
p   (heth)  h-  n'existe  que  dans 

les  mots  hébreux  * 
V   (teth)  t 


(yod) 


3         — 


i,  e  ou  y, 


c.  àd.  /consonne) 
"    (double  yod  tilde)  ïjri^  (=  >   /) 
3    (kaph)  kh  ne  se  trouve  pas 

dans  notre  texte 


S    (lamed)  I 

P    (mem)  m 

3     (noun)  n 

Cl   (samech)       s  (n'existe  que  dans    les 

mots  hébreux  ;  Vs  française  est 

notée  par  C) 
y    ('aïn)  h-  (n'existe  que  dans  les 

mots  hébreux) 

D    (pé)  p  (et    quelquefois   pour 

P  =  f) 
D    (pé  tilde)        p  (=  /) 

i     (çadé)  ç  (=  ts,  ds) 

(koph)  k  (et    quelquefois   pour 

■q  =  ch) 
(koph    tilde)  q  (=  ch) 
(resch)  r 

■sin)  s  {=s  forte;   dans   les 

mots    hébreux    le  i:  =  sch) 
(thav)  th  (n'existe  que  dans  les 

mots  hébreux) 


Les  cinq  dernières  strophes  sont  ponctuées  ;  je  les  transcris  en  déter- 
minant la  valeur  du  v,  de  \'r,  et  de  Valef,  telle  qu'elle  résulte  de  la  ponc- 
tuation. On  remarquera  dans  la  transcription  trois  sortes  d'e  :  e  féminin 
=  le  scheva  mobile  du  texte  hébreu  (:) ;  é  —  \e  çcrc  ( ••  ) ;  c  —  le  séi^oi 
(•.•);  le  texte  n'a  qu'un  signe  !—  o\  pour  ô,  o,  eu,  oji  ;  il  réserve  le  point- 
voyelle  de  Vou  pour  Vu  français. 


1.  L'alef  n'a  de  valeur  vocalique  que  par  le  point-voyelle  ou  !a  semi-voyelle 
qui  l'accompagne.  Non  suivi  du  i  (v)  ou  du  "^  (r,),  il  reçoit  comme  point-voyelle 
un  a  ou  un  c  muet.  Suivi  du  v,    il  donne  o,  ou,  ii;  avec  un  ri,  il  devient  c,  c,  i. 

2.  La  pièce  française  renferme  quelques  mots  hébreux,  spécialement  des  noms 
propres  qui  n'ont  pas  été  francisés. 

3.  Nous  représentons  le  1  par  l'ri  grec,    cette  lettre  pouvant  être  lue  c  ou  i. 

4.  N'ayant  pas  de  caractères  spéciaux  pour  rendre  la  combinaison  des  deux 
yod  tildes,  nous  recourons,  faute  de  mieux,  :\  dcuxTj  avec  circonflexes. 


^60  A.  DARMESTETER 

ÉLÉGIE     FRANÇAISE. 
TEXTE, 

....>jf)'7:f)  v:>))bc  c:bc  vr>  ufM::f?3  cf) 

,  vii^t  6"nip  p-^D  p>P  nt>  u^id  cib  6-5Ui|S7-)p 

:  v:>hb7  t:»pf)T  cf?i:  on  u-)ii:  f)^ivn  oii)  -îid  >p 

t:»i7'7  ob')^)o  >b  ri6"^iJ  r)6")uo  u>6  rif5''i3ni:    II 
.  u^ivip  -715:6  vb'))bh  >6  n^ini  uf)'7P'p  cicn 
.  U»M3i>f)  -îl^i'^)  frpf'U  u6':>D3   zib 
:  u»i:p-)  rif">6")ii  o  îip>p  cwf)  nf)  u:ic  mf) 

.  D^u  b'o>c  p-)Dit:  U3f5j  6:i5d  6ip>'îui7    III 

.  ■îliipi    'jf'iP    >f>    •î'ijJDp    UIDCO    îb'3 

:  -îiiin  bvtb  u>p  htd  (?)c6>if'  u»:^id  "^p 

TRANSCRIPTION. 


I     mont  svnt  'mr/q-r;p  r,sr.  Iv/'grr/h  g'nt, 
'y]S  n'pv't  m-r;s  s'ns  s'vvnt  'nr'g-/;... 
qrd'ntr'  'vs  pvrt  'rs  miqnç  prvç  qvrs^r/  'vignt, 
q-/;  pvr  Ivr  vvY;vvr'  nvvrt  dvnv]  nv's  r'qr,t  d'rgnt. 

Il     trvblY)'h  'Y)t  nvtr'h  gv'fjvi'h  '•/;  nvtr'h  dr^dvYjYjt 
dvsvs  q-qmd-ri't  Ithvrh  '-^  l'wY;'t  'rjvr  qvdvr)?it, 
'vs  npYjnr/t  t'q'  'r^lr^Y^vr  '•/;lnv^f,t, 
'vrs  svnt  'rs  'Y;pnY]S  qr^qvn  gv]  vvr'r/r/h  rqnvY)rjt. 

m     dltrY)mr  plun'  g'nt  svprvs  SY)t'  dvlvr, 
bér/n  nvspvt  qngl-fjf  '-q  mv'r  Iqvlvr, 
gY]  prntn  pYjtr^  'y;  'ntn  qrm  'Y]plvr, 
qr  pvrnr,r(t  'vyj's  (?)  pr,rdv  mr^l  'vm'  dwlvr. 


DEUX  ÉLÉGIES  DU  VATICAN  46  1 

ÉLÉGIE     FRANÇAISE.   • 

TEXTE     RECONSTITUÉ. 

Ceci  est  la  version  de  la  Selicha. 

I     Mont  sont  a  mechief  Isr(ael),  l'égarée  gent, 
E  is  ne  poet  mes  s'is  se  vont  enraj[ant]  ; 
Car  d'entre  os  furet  ars  meinz  proz  cors  sage  e  gent 
Ki  por  lor  vivre  n'oret  doné  nus  rachet  d'argent. 

II  Troblee  et  notre  joie  e  notre  déduit 

Do  SOS  ki  medeet  la  Thora  e  l'aveet  en  lor  coduit  ; 

Os  ne  fineet  tache  e  le  jor  e  la  nuit. 

Ors  sont  ars  e  fenis;  checun  Gé  vraie  rekenuit. 

III  De  la  tre  maie  felone  jant  sofros  sete  dolor; 
Bein  nos  pot  changeler  e  muer  la  color. 

Gé  !  prent  en  piti  e  enten  cri  e  plor  ; 

Car  por  niet  avons  perdu  met  home  de  valor. 

COMMENTAIRE  DE  LA  TRANSCRIPTION. 

Dans  cette  restitution,  tout  en  donnant  aux  mots  leurs  formes  fran- 
çaises, nous  avons  cherché  à  conserver  les  traits  de  phonétique  qu'in- 
dique la  transcription  hébra'ique.  Toutefois,  pour  \'e  nous  nous  sommes 
écartés  de  ce  principe.  L'e,  Vé  et  l'è  (ces  deux  derniers  quand  ils  sont 
indiqués  dans  le  texte  hébreu  par  r^  non  ponctué)  sont  représentés  par  e. 
Quand  é  termine  un  mot,  nous  mettons  cependant  é,  pour  éviter  la  con- 
fusion avec  Ve  fém.  Quand  le  texte  hébreu  distingue  par  la  ponctuation 
é  de  c,  nous  reportons  cette  distinction  dans  le  texte  reconstitué.  Le  mot 
G-q  étant  ponctué  Gé  en  plusieurs  endroits,  nous  écrivons  partout  Gc. 

I.  I.  'mT,'qr,p  ^ameqiep  :=:  a  méchief  [kcmre  due  à  M.  Paul  Meyer)  ; 
après  !'•/)  de  m-q  il  y  a  un  alef  qui  semble  indiquer  une  sorte  d'c  muet, 
ou  plutôt  d'/;  douce  ;  quelque  chose  comme  a  meechief  ou  mieux  a  meh- 
cliief;  de  même  l'eegaree  ou  mieux  l'ebgaree.  Cf.  plus  bas,  p.  473. —  Isr. 
—  Israël.  —  2.  \s  ;  ce  mot  pourrait  se  lire  encore  'vs  —  os,  eus,  c.  û  d. 
eux;  s'ns;  le  n  peut  être  aussi  bien  un  v  ou  un  r,;  je  corrige  en  sis,  et  lis: 

s'is  c.  à  d.  s'ils,  si  ils. enraj\ant\,  c'est  la  rime  qui  détermine  les 

dernières  lettres  de  ce  mot,  lettres  effacées  dans  le  ms.  où  elles  occu- 
paient la  fin  de  la  première  ligne.  —  5.  Cors  sage  ;  le  ms.  porte  cvrsr,Tt' 
=;  corsage.  —  4.  Nus  est  obscur  ;  le  sens  demanderait  nul. 


462  A.  DARMESTETER 

.  l»]>Dt  U1U  c^^^'P>^  cwt  bcS  b    'j  ^iD'p 

T    •• 

:  (»>!)27>f?  niDDin?  u"0>6   iiw)i27  ju 

.  np  pc  ^'7-)6  u6'n  f)!)>|S  u:p  f)P:6D  f'76nDf)!)    V 
,  np  u3-),i  U1P  6uô  ^37  .  rif'>u-)D7f'!)  rjf'p  uô'i  u:ip 

.  OIP  'Pf)  Jippip  U-)1P  ^>D7  T-JIP  Cl^iij  U'7  f)5'f) 

:  '"îDic  6:»iD  W):»  f)i")iD  .  6cnji  u'U'iS  v^hh 

.  VJ:-)Dfc    'C   'p    r>f)1D17     0:6    1D    U'UDli 

:  uî-^pf?  f)U"  v)v  ne  P76")d6  u'7'5'f) 

TRANSCRIPTION, 

IV    'npls'  pv  amnY)  r.  r,cj}k  q'tl-^Y;n 

q-^pvr  g-^ 'lésa  rnts  'r^mr,zy's  tvt  'plr/r,n 

'gr,  vvip  srnd-^  çr,lqr,dtvs  br,ns  'r,Vr,l  p\r,r,n 
bvn  dpvrtvr  'r,tr,r,t  dthvsphvth  'r^dplr/rjn. 

V     l'prv'd'  p'nm'  qnt  'r,!'  vvyj't  'rdr,r  svn  mrr„ 

mvnt  l-^pr,t  mah  l'dprtr/h,  de'  gr,t'  mvt  grnt  qr-/j, 
'rX  dr,t  gw'h  mvrr.r  dtr/  mvrt  qvmmvn  'mr,  mvry;, 
d'pnt  'Tjtr^t  grvs'  pvrç'  grnt  pvY;rjn'  svpry;. 

VI     dvs  pr/;rs  '-opvrt  'rs,  'vn  ptr,t  'y;  'vn  grnt, 

Ivptr^t  pv  "bhr,  dvpv'h  qr^  s-^  s'prnt,  • 

'r^àr^\.  hrv'  g'r  tvs.  'r,  Iy;  grnt  H  'prnt, 
'r,\r,dTti  'pr'd-r;s  srs  tvt  yjfjt'  'qrnt. 

II.  I.  Joie;  ms.  gof,r,eh  —  y  (5  y  g  avec  0  accentué,  v  fortement  prononcé 
et  e  féminin  sonore  comme  dans  le,  je.  —  2.  D0505  =  t/t^fo^,  de  ceux.  — 
md'r^t  z=.  médée[n]t;  je  ne  comprends  pas  ce  mot.  —  Thora,  mot  hébreu, 
=;  Loi.  —  3.  Ta[s]che,  MM.  Neubauer  et  Angelo  s'accordent  à  lire  hskr 


DEUX  ÉLÉGIES  DU  VATICAN  463 

IV     En  plasse  fu  amené  R.  Içliak  Chatelein 
Ki  por  Gé  lessa  rentes  e  mesos  tôt  a  plein  ; 
A  Gé  vif  se  rendi  cil  ki  de  tos  biens  etet  plein  ; 
Bon  deportor  etet  de  Thosephoth  et  de  plain. 

V     La  prude  fanme  kant  ele  vit  ardir  son  mari, 

Mont  li  fit  ma  la  départie  ;  de  ce  jeta  mot  grant  cri  ; 
Ele  dit  :  je  va  morir  de  tee  mort  com  mon  ami  mori. 
D'efant  etet  grosse  ;  por  ce  grant  poine  sofri. 

VI     Dos  frères  i  furet  ars,  un  petit  e  un  grant. 
Lo  petit  fut  ébahi  du  foe  ki  si  s'eprent 
E  dit  :  haro!  j'ar  tos!  E  li  grant  li  aprent 
E  li  dit  :  a  paradis  seras  ;  tôt  je  te  acrant. 


avec  un  'aïn  pour  le  h  et  un  samedi  pour  1'^;  leçon  inadmissible,  parce 
que  le  'aïn  et  le  samech  ne  se  rencontrent  pas  dans  nos  transcriptions 
françaises,  et  que  le  groupe  hskr  ne  peut  former  aucun  mot  hébreu.  Le 
'aïn  et  le  samech  du  ms.  se  corrigent  sans  peine  en  teîh  et  en  alef  ;  ce 
qui  nous  donne  avec  le  k  :  tak  ;  l'r  seul  fait  difficulté  ;  mais  il  n'est  pas 
impossible  que  ce  soit  le  reste  d'un  autre  alej  dont  le  trait  vertical  a  dis- 
paru, ce  qui  nous  donne  îake  et  par  suite  ta[s]che,  d'où  le  vers 
devient  os  [eux]  ne  finée[n]t  (lor)  ta[s]che.  —  jor,  ms.  :  'r,Wr,rj  —  elevjr 
la  correction  'rjr,r,vr  =  elejvr  s'impose  d'elle-même.  —  :,.  Gé,  c.  à  d. 
Djé,  Dié,  Dieu;  ainsi  partout  dans  la  pièce.  —  4.  vraie,  faute  pour  vrai. 

III.  I.  dolor;  ms.  doled;  la  rime  et  le  sens  exigent  dohr.  —  3.  Pitiou 
pité  ou  pitié;  ms.:  pr^t-q.  —  4.  avons  —  ('vy;'s),  mot  à  demi  effacé  ;  le 
r,  pourrait  être  aussi  bien  un  v  et  le  second  '  une  autre  lettre  quelconque; 
nous  lisons  avons  ('vvnsj  d'après  le  contexte. 

IV.  2.  Rentes;  ms.  dentés  (dnts),  ce  qui  n'a  pas  de  sens.  Le  blanc 
qu'on  remarque  dans  ce  vers  vient  non  d'une  lacune,  mais  d'un  défaut 
dans  le  parchemin;  toutefois  le  alef  (')  isolé  qui  se  trouve  devant  lésa 
(Jessà)  est  singulier.  —  3.  çrjkr,dtps  =  cil  ki  de  tos,  telle  est  la  leçon 
qui  se  dégage  de  la  variante  de  M.  Angelo,  et  que  j'avais  supposée  sous 
les  mots  çrjkvrtvs  (=  cil  cortois)  donnés  par  la  copie  de  M.  Neubauer. 
—  4.  Deportor  ou  Reportor.  Les  thosephoth  sont  des  gloses  talmudiques. 
V.  p.  478,  n.  I. 

V.  2.  Cri.  Le  ms.  porte  cdr^  =  cdi.  La  correction  est  imposée  par  la  rime 
et  le  sens.  —  5.  Mori;  c.à.d.  mourut.  —  4.  sofri;  ms.:  svpr-r,  pour  svprr,. 

VI.  I.  3.  Foe  (sic)  ;  cette  forme  se  rencontre  encore  plus  bas.  —  ^ 
hrv'  ^'r  tvs  =  haro'  j'ar  tos  fardeo  totus\  Je  dois  l'explication  de  jar  tos 
à  MM.  Paris  et  Meyer. 


464  A.  DARMESTETER 

.  TpoD  '))D  wii  b}>:>b  .  6!)»3  u'U'f?  vb:v  >p  t:n3i)     Vif 

.  ")'p-)pf)  cf)  ^io:ip:6  f'c:pp6  f)i)>6  uf)iu3o 
:  rpipf)  cniDP  uu-)iD  .  ^'11  oi  »Ti3  6» 

.tSp'6  u6n  u^>u:p  6i3c:f5  nu  en  ,1^  .1^    VIII 
.  rinp  uf5'cn>p  f^u'B?  u6j  u6'C»id  u)"3-)id 

.  pp6  iB  jr>n  6pip  uDpjjoif)  f'iDîf'    IX 
.  p:r)>6c  cwp'îiD  Dcnp  fiof^c  6")>D7 
.  piD  ^•?^f'  6di37  D'v-^vif'  06  nuf>'i)  uvj 

TRANSCRIPTION. 

VII     Ibrvs  q-^tn't  'r,\r,i  hr^,  'ni'  wr^nt  pvr  prr,qr,r, 
'vn'qv'yjr  r^qe  ddvnrvs  qr^t'lnr'  mvt  qr/r, 
tntv't  'r^iri  'qmns'  'nqvntr'  as  'qrqr^r, 
r^YJ'  nlr^rT;  Ig-^  vvrjp,  pvrtt  mpvFYjS  'qvrc[r,r. 

VIII     'h  'vn  wrjfjS  tvs  'nsbl'  qnt-o't  h't  V^klr^r, 

pvrnvîYit  pv/jr^sr/t  g't  dp-r]t'  qr,dvs-rj't  qrvl-/]r, 
lrjmr,ns  Ivr  '-^tr/t  l-^'-/;'s,  pr  q'vs  npv'r/'t  blr^r, 
\nqs  gns  'nwr^t  sr,hr,t'/]'mnt  'Ir^r, 

IX     'npv'  Vn-^lmnt  qvm'  lithn  pv  'mnr,ç, 
dp-^jr'  s'br,!'  qdvschh  pvrmnts  s'-/;pnr,ç, 
tvt  li'trs  'h  'hrdr^t  dbvn'  Vr'  pvnr,ç, 
'yj  l'vvTjt  'nvn  r.  schm/ivn  Igvn'  'l'qdmnth. 

VII.  I.  Ibrvs  ^  la  brus  ;  mots  lus  par  M.  Neubauer.  Tant;  ms.  tn't 
erreur  sans  doute  pour  t'nt.  —  2.  Lecture  plus  qu'hypothétique,  ms.  : 
qv'-qr,  je  lis  qrt\r—  kier{é];  ddvnrvs  ne  peut  se  lire  de  denrées;  comme 
le  V  peut  être  corrigé  en  -q,  je  lis  ddr,nr,rs  =  de  deniers.  Je  change  égale- 


DEUX  ÉLÉGIES  DU  VATICAN  465 

VII     La  brus  ki  tant  etet  bêle,  an  la  vint  por  prechier, 
Une  ki  er  riche  de  deniers  ke  tenret  mot  chier, 
Tantôt  ele  akemense  encontre  as  a  crachier  : 
Je  ne  1ère  le  Gé  vif  ;  portât  me  pores  ecorchier. 

VIII     A  un  vois  tos  enseble  chanteet  hat  e  cler. 

Por  niet  fuiset  jat  de  fête  qui  dusset  caroler. 
Le  mains  lor  eteet  liées  ;  par  cous  ne  poeet  baler  ; 
Onkes  gens  en  vit  si  bêtement  aler. 

IX     En  foe  inelement  corne  Hathan  fu  amenez; 
De  fere  sa  bêle  kedouschah  forments  s'é  penez  ; 
Tôt  li  atres  a  ehardit  ;  de  bone  hore  fu  nez  ; 
Il  avet  a  non  R.  Simeon  le  jone  e  le  kadmenath. 


ment  f /)  Ytnr'  en  qrfnr't  =  ke  tenret  =  que  tinrent.  —  Le  reste  de  la 
strophe  n'offre  pas  de  difficulté. 

VIII.  I.  Un,  faute  pour  une.  —  Vois  ou  Veis.  —  2.  Vers  difficile.  Le 
ms.  porte  qr^dvsr't^  que  je  lis  qui  dussent  (notre  texte  hébreu  imprimé 
a  par  erreur  qr/us-r^'t]  et  pvr  nfi-qt,  que  je  lis  por  nie\n]t.  Le  sens  général 
serait  donc  :  «  pour  néant^  pour  rien  ils  fussent,  ils  seraient  gens  de  fête 
qui  dussent  caroler  ;  peu  s'en  faudrait  qu'ils  ne  se  considérassent  comme 
des  gens  de  fête  prêts  à  caroler;  mais  leurs  mains  étant  liées,  ils  ne  pou- 
vaient danser.  «  —  Je  dois  l'idée  de  cette  interprétation  à  M.  G.  Paris. 
—  ^.  Le  meins,  c.  à  d.  les  meins.  —  Cous  est  bizarre;  je  ne  vois  pas 
pourtant  le  moyen  de  lire  autrement  l'hébreu.  —  4.  En  vit;  ms.  :  'n)rr,t 
=  envit;  peut-être  doit-on  intercaler  un  scheva  entre  \'n  et  le  w  et  lire 
enevit  =  en  (on)  ne  vit;  ce  qu'exigent  la  mesure  et  le  sens. 

IX.  I.  Inelement;  ms.  'vnrjmnt  :=.  onelement.  — Hathan,  mot  hébreu 
signifiant  gendre  ou  fiancé.  —  2.  Kedouschah,  mot  hébreu  signifiant  sancti- 
fication, et  spécialement  célébration  du  mariage.  — forments  ;  ms.  pvrmnts 
pour  pvrmnts;  \'s  finale  est  une  faute  ,  amenée  sans  doute  par  1'^  initiale 
du  mot  suivant.  —  s'é  penez,  c.  à  d.  s'est  penez.  —  Le  sens  des  deux 
premiers  vers  est  peu  net.  Toutefois  il  est  déterminé  quelque  peu  par 
le  rapprochement  de  Hathan  et  de  Kedouscha  qui  doivent  vouloir  dire 
ici,  l'un  fiancé,  l'autre  célébration  du  mariage.  Le  sens  général  serait 
donc  :  «  Siméon  s'est  efforcé  d'accomplir  son  mariage  au  moment  de 
mourir  »  ou  :  «  Siméon  s'est  affligé,  pour  accomplir,  parce  qu'il  ne 
pouvait  accomplir  son  mariage.  >>  —  3.  Le  jone;  ms.  :  grne;  Vr  sans 
doute  est  un  v  mal  fait.  Pour  le  dernier  mot,  le  kadmenath,  le  texte  ici 
est  évidemment  corrompu,  puisque  la  rime  manque  ;  le  mot  répond  au 

Romania,Ul  ^0 


466  A.   DARMESTETER 

,  >[6")3f)  u)'u«f)'p  fjiDii  t::77  coô  iS'f^ 
:  'mi:6  iD:f)  î»3  odic  u-îip  -îip^c  iiD-)p 

,  u»7>5  cnpi5  -(Hf)  .  6")i;65  cnsfr  p!)  T7-)fi7 
.  u>7'îr)fic  ■)'p6i37  jib  mp  id  u:^J  cu>d 

:  U'763:67    >-)')067    J'DfîC   1D    fi'3   uip 

.T^iiDf)  i^DHD  i::p-)iD  >p  6pnnD  jib  uifî'i'f)    XII 
.  y^D'b  'f7  '5  c6nipp  df'O'pf'P  iid  u'f^c  u'7'6 
.  ■)nip7  îf)c  u'Dt:  ")>7-)f)  mpip  "jid  cf>D  uoc 
:  y))b  urne  ]f)'3  >c  'p  ")D1d  ji^ipc  '">  idc 

TRANSCRIPTION. 

X  'pr/iS.VjWY]nt  r.  schlmh  q-q  mvt  'r^l-qr^X  prvjz-r;, 
'•/)  pv  g'r;tr,s  ddns  Ivpv'  qi'r^t-^t  'br'zvj, 
d'vpr-/]r  svn  qvrs  pvr  gr,  V^nn-r^t  p's  rvz-/], 
qrpvr  s'mvr  mvrt  svprrj  bT//jn  'npv  'nw/jz-zj. 

XI  mvt  Vjtrjt  'nwn-r]m-/5  Ivplvn  Im'dïj't, 
d'rdïjf  Ivn  'prr^s  l'tr',  'dvn  Ivqdvsch  l-^d-^t, 
pTjts  grnt  pv  mwr^s  'vn  dbl'mr,r  s'hrdrjt, 
mvt  b-rjl'  pv  s'pr,n  d'nwr,rrj  d'nb'dr^t. 

XII     'l-zj'vt  'vn  prvdvm'  qi  pvrmnt  pr/)nt  'pIvrYjr, 
'■qdr,l  s'Y]t  pvr  m'm-qwri'h  qmw^'s  cr,  dz-r]  'prr^r, 
sriTjt  p's  pvr  mvqvrs  'rdr^r  sp-r;t  s'ndmvrir]r, 
spv  r.  schm/ivn  svphr  qy^  syj  b-/]'n  sw/)t  'vrr;r. 


nom  hébreu  que  lui  donne  !a  notice  :  le  kadmôn  (l'Ancien  ou  l'Oriental). 
—  Siméon  est  une  erreur  pour  Siinson,  nom  donné  à  notre  personnage 


DEUX  ÉLÉGIES  DU  VATICAN  467 

X  Apres  i  vint  R.  Schelomo  ki  mot  etet  prisé, 
E  fu  getes  dedans  lo  foe  ki  etet  ebrasé  ; 
D'ofrir  son  cors  por  Gé  i  n'ot  pas  rusé  ; 

Car  por  s'amor  mort  sofri  ;  bien  en  fu  envesé. 

XI  Mot  etet  envenimé  lo  félon,  le  madit 

D'ardir  l'un  après  l'atre.  Adon  lo  kadosch  li  dit  : 
Fêtes  grant  fo,  mavés  hon  !  De  blâmer  s'ehardit, 
Mot  bêle  fu  sa  fin  d'enviré  d'enbadit. 

XII     II  i  ot  un  prodome  ki  forment  print  a  plorer 

E  dit  :  s'et  por  ma  menie  ke  me  veés  ci  deseperer 
Se  n'et  pas  por  mo  cors.  Ardir  se  fit  san  demorer  : 
Se  fu  R.  Simon  Sopher  ki  si  bien  savet  orer. 


par  la  notice,  l'élégie  hébraïque  (cf.  la  citation  de  la  str.  IX,  4)  et 
d'autres  documents  ;  l'erreur  est  très-facile  à  expliquer. 

X.  3.  D'ofrir;  ms.  d'vpr'r,r  pour  d'vprr^r.  —  /  n'ot;  ms.  :  'r,nnr,t;  je 
corrige  en  'r,nnvt  —  in  not  pour  /  n'ot. 

XI.  i.  Le  madit;  ms.  le  madiet  (Imdi't);  erreur  évidente  comme  le 
montrent  les  rimes.  —  2.  Kadosch,  mot  hébreu  signifiant  5j/a/?.  —  3. 
Fêtes;  ms.  :  p-qts,  lire  pTits.  —  4.  La  fin  de  la  strophe  est  obscure; 
on  est  réduit  aux  hypothèses.  Le  personnage  dont  il  s'agit  ici  est 
Baruch  d'Avirey.  N'y  aurait-il  pas  une  inversion  amenée  parles  exigences 
de  la  rime  :  Mot  bêle  fut  sa  fin  d'enbadit  d'enviré  ?  Je  vois  dans  enviré  le 
nom  propre  Avirey,  et  dans  d'enbadit  (ou  plus  exactement  denbadit)  une 
faute  pour  de  Bandit  {Bendit)  nom  de  Baruch  en  français  (voir  plus  loin, 
p.  482,  et  n.  i). 

XII.  2.  Me  veés  ci  dese[s]perer;  ms.  ç-q  rrct  'r,prr/,  •=.  ci  resc  epercr, 
leçon  qui  n'offre  rien  de  satisfaisant.  En  changeant  l'r  de  rz-Q  en  d,  ce  qui 
peut  toujours  être  supposé  dans  notre  texte,  et  en  admettant  une  inter- 
version du  z  et  de  l'r,  [r,z  à  la  place  de  zyj),  interversion  dont  on  a 
d'autres  exemples  dans  la  pièce,  on  arrive  à  un  sens  qui  concorde  on  ne 
peut  mieux  avec  le  contexte.  —  s'et,  se,  se  des  vers  2,  5  et  4,  sont  pour 
c'et,  ce,  ce.  —  4.  Soplier,  mot  hébreu  signifiant  scribe. 

XIII.  Cette  strophe  est  pour  moi  un  locus  dcspcratus.  Elle  est  trop 
corrompue  pour  qu'on  puisse  en  tirer  un  seul  vers  complet.  Elle  commence 
le  verso  du  dernier  feuillet  du  ms.,  c'est  ce  qui  explique  qu'à  peine  la 
moitié  en  soit  lisible.  —  Le  mot  scfiti  se  trouve  à  la  marge,  sur  la 
ligne  2  :  un  signe  de  renvoi  indique  qu'il  faut  le  placer,  ligne  i ,  après 


468  A.    DARMESTETER 

.  ni'cf)  cf)'  ...  iD    (-'C'p   .mvb  jiiiip  f^'oii^  XIII 

=^ipc  pSip    ;  nr»03  cpif)  c'D'ifjp  f'if).'....-)iD 

.  yip-)  p:)  pri'  '■)  u;->:'n  nfî'ipos    XIV 
.T"îD  i2-):iip  'i'^i6  ^if)np  -ji!)  tu  u:-)iu  6i'p 

:  ^oDifj  m  mp  pp7  f57:")rif)'6  jw   "ic-î 

.  pue  ....  c»iD   nDpf)  c:2»Df)    XV 

.  p:  u'c   ]ic:  <|'n  uii   n'b   f^j   j"f)>p  ....ni  "^iD 
:  pn37  6")i:'rfî   ^.nnni   en  '■)    i:>iD^i:6 

TRANSCRIPTION. 

XIII  I  lobja  qolon  r^wr^t,  qr,svn  po...-r;'s  atizh, 

spiti  pvr...  bsrr,r  vvr,tmt  V/vzh, 

loayes  por  randre  'g?;  swr,r,s  asé-?;r(Zah, 

pvr....  eze  qalipit  oqes  ne  nuizah,  —  {Colon  est  son  nom.)^ 

XIV  préqôrs  winrt  r.  içlik  qhn  reqerir, 

qiçe  tornat  WY;r  lor  qréaçe  oili  qewanrét  périr, 
idit  qeabé-^-os  tant  gewl  por  gé  morir, 
gesur/f,  qhn  éoprande  démon  qors  vos  oprir. 

XV     apeynes  eqaperas  puis...  tetenon, 

pislobalifir^  devvér/^ç  qritayyç,  W,  i  repondi  tan  tôt  non, 
pvr  \v/...  qéeyyn  ge  neléré  le  gé  WY]p  ne  son  set  non, 
anlapelet  r.  li-r;Y;m  loserorge  amétre  debrinon. 


1.  Verso  du  folio   189.  Les  cinq  stroplies  qui  se  trouvent  sur  ce  verso  sont 
ponctuées. 

2.  Mots  en  hébreu  dans  le  texte.  C'est  une  glose  interprétative.  Cf.  str.  XVI,  4. 


DEUX  ÉLÉGIES  DU  VATICAN  469 

XIII     Lo  bia  Colon  i  vint  ki  son  ...  atisa 

Sefiti  por vitemel  osa  '?} 

Loais  por  randre  a  Gé  s a  seisa  (?) 

Por  ...  ese  kalifit  okes  ne  nuisa.  —  (Colon  est  son  nom.) 


XIV     Préchors  vinret  R.  Ichak  Cohen  rekerir  : 

K'i  se  tornat  ver  lor  creace  o  il  li  kevanrel  périr. 
I  dit  :  ke  avés  tant  ?  Je  vol  por  Gé  morir  ; 
Je  sui  Cohen,  e  ofrande  de  mon  cors  vos  ofrir. 


XV    A  peines  echaperas,  puis  [que  nos]  te  tenon, 

Fis  lo  bailli,  deveiz  critain  —  E  i  repondi  tantôt  :  non  ; 
Por  1...  chein,  je  ne  1ère  le  Gé  vif  ne  son  set  non. 
An  l'apelet  R.  Haiim,  lo  serorge  e  mètre  de  Brinon. 


atisa.  —  Le  premier  vers  doit  se  lire  sans  doute:  Lo  bia  colon  (le  beau 
Colon)  /  vint  qui  son  feu  atisa.  Dans  le  reste  on  déchiffre  les  mots  ce 
fit  i[l]  ;  viteme[n]t;  loainYjes  por  randre  à  Gé;  Por  [mes]cse  qu'on  li  fi[s]t 
o[n]kes.  —  Les  mots  entre  parenthèses  :  «  Colon  est  son  nom  >■>  traduisent 
des  mots  hébreux  correspondants.  Voir  à  la  transcription. 

XIV.  I.  Cohen,  mot  hébreu  signifiant  prêtre.  —  2.  K'i  se  tornat,  etc. 
G.  à  d.  «  qu'il  se  tournât  à  leur  croyance  ou  il  lui  conviendrait  de  périr  » 
—  aves  =^  avez: 

XV.  i.  Le  ms.  donne  clairement  a  peines  echaperas  puis,  ici  lacune, 
puis  tetenon.  —  2.  Ms.:  deveiz  critaiz.  Nous  lisons  devein  critain, en  chan- 
geant le  çadé  final  en  n  finale,  changement  facilement  supposablc,  vu  la 
similitude  à  peu  près  complète  des  deux  lettres.  —  Je  dois  la  lecture  de 
ces  deux  mots  à  M.  G.  Paris.  —  ].  Por  lo...  chien  ;  lacune  de  deux  ou 
trois  lettres  que  je  ne  puis  remplir.  —  Set  non  =  se[in]t  nom.  — 
ametre  dans  le  ms.,  faute  pour  e  mètre. 

XVI.  2.  /  l'alei  an  grivant  c.  à  d.  et  l allait  an  grevant.  On  pourrait  lire 
encore  il  [le  feu]  alet  angrivant.  — Les  mots  entre  parenthèses  qui  termi- 
nent la  strophe  [tel  est  son  nom)  traduisent  des  mots  hébreux  correspon- 
dants. Voir  à  la  transcription.  Ces  mots  se  rapportent  au  mot  vivant  qui 
finit  le  vers  4;  le  nom  du  Kadoscli  est  en  effet  Haiim,  c.  à  d.  vivant. 


470  A.    DARMESTETER 

.  i2:i'if)  ':pf>  ô»p  P7p  ]it>  ci^•^  nipf)    XVI 
.  o^noj  jfio'Si'f)  ,  iD  CCD    \>t>  u'D  6:)b 

.  VOIVC'b     h:P    ")lf"p    p37    »3     U'p.\-)    'f- 

.  t:3i55'i7  n:p2n  /  f^yyiti  jf»  >6  6Tp:ii  '.ï    XVII 
.  wi5  ni.i>!)  f'i-sfîc  co  u'ip  f'ifjpnf'i:  6-)7i^i:67 

.  obb'b  c)b'C':''b  f'S  "^'c^f)  -)ip7  Tf)nD6o7 
;  Dii)D6c  i:f)p  ô  \)d->  .  c^biDb  'b  cpid  c^od 

i^rx)  'i;ip  iD5'i>  CCD  irio  rien 


XVI     eqores  i  ot  un  qadvsch  ki  pu  amené  awant, 
anli  pit  un  petit  pv,  ilalétan  griwant, 
i  huqet  gé  debon  qor  menu  ésowant, 
doçemant  çofri  poyne  por  serwir  igr^  wivant. —  (Tel  est  son  nom) 

XVII    gé  wankère  é  an  prinére,  vanqnos  decépelons, 
deatadre  tavaqace  mot  nos  sable  légors  Ions 
detepréer  deqor  antér  la  onr^séos  éalos, 
prées  somes  é  apareléyys,  repon  g-^  qat  tapelos. 


Hasselath  halla'az.  Haschschem  yaçilénou  miggoy  'az  ^. 


1,  Glose  explicative  qui  se  trouve  dans  le  texte  hébreu.  Cf.  str.  XIII^  4. 

2.  Mots  hébreux.  En  voir  la  traduction  à  la  fin  du  texte  restitué. 


DEUX  ÉLÉGIES   DU  VATICAN  47  I 

XVI     Ecores  i  ot  un  kadosch  ki  fu  amené  avant. 
An  li  fit  un  petit  fo,  i  l'alet  an  grivant. 

I  huchet  Gé  de  bon  cor  menu  e  sovant  [nom.) 

Docemant  çofri  poine  por  servir  le  Gé  vivant.  —  (Tel  est  son 

XVII     Gé  vanchère  e  anprlnere,  vanch'  nos  de  ce  félons  : 
De  atadre  ta  vachace  mot  nos  sable  lé  jors  Ions. 
De  te  preer  de  cor  anter  la  o  nos  seos  e  alos 
Près  Sûmes  e  apareleis.  Repon,  Gé,  kat  t'apelos  ! 

Est  finie  la  version.  Que  Dieu  nous  sauve  de  peuple  violent! 

XVII.  I.  Vanchère,  avec  è  onven  ;  anprinere  avec  e  fermé.  — de  ce 
félons  pour  de  ces  félons  ;  de  même,  v.  5,  léjors  =  les  jors.  —  i.  Lào  nos 
séo\n\s  e  alo[n]s;  ms.  :  laoneseos  ealos;  ne  doit  se  changer  évidem- 
ment en  no. —  4.  Près,  voir  plus  bas,  p.  472. —  katfapelos^^kanl  t'ape- 
lons.  — Les  mots  qui  suivent  :  est  finie,  etc.,  sont  en  hébreu  dans  le  texte. 


IV. 

Malgré  le  caractère  hypothétique  de  quelques-unes  de  nos  restitutions, 
la  pièce  que  nous  venons  de  retranscrire  en  français  présente  assez 
de  formes  curieuses  assurées  pour  mériter  une  étude  philologique. 

Voyelles  atones.  Ve  mi-muet  remplace  des  voyelles  atones  dans  reke- 
nuit  [n,  4),  akemanse  (vu,  3),  kevanret  (conviendrait,  xiv,  2),  ecores 
(xvi,  i)  ;  ajoutons /?enr(xiv,  2),  rekerir  (xiv,  i).  L'c  féminin  final  est  en- 
core sonore,  car  il  est  noté  dans  certains  mots  ponctués  par  le  scheva 
mobile:  vanchère  (xvii,  i),  anprinere  (xvii,  1,1  d'atandre  (xvii,  2;, 
va[n]cha[n]ce  (xvii,  2,)  etc.  Dans  d'autres  mots  non  ponctués  la  notation 
para/e/et  hé  montre  bien  la  prononciation  de  cette  lettre  :  égarée  (1,  1  ; 
écrit  pour  la  finale  :   rr///) ,  joie  (11,  i  ;  jàyy'h)  etc. 

Voyelles  accentuées.  Rien  à  remarquer.  —  Une  observation  sur  la  nota- 
tion 0,  qui,  comme  nous  l'avons  vu  plus  haut,  représente  ô,  0,  ou,  eu,  et 
la  notation  ou  qui  représente  Vu  fr.  N'a-t-on  pas  le  droit  de  conclure  de 
ces  notations  que  le  son  ou  se  confondait  encore  pour  le  copiste  avec  le 
son  0^  Autrement,  en  effet,  rien  ne  l'empêchait  de  réserver  l'o  pour  à,  0, 
eu  et  ou  pour  ou,  u. 

Diphthongues.  Les  diphthongues  oi,  ui  sont  encore  fortes,  c'est-i\-dire 
qu'elles  ont  l'accent  sur  la  première  voyelle  6,  ù,  la  seconde  ;  restant 
encore  à  l'état  de  yod,  comme  on  le  voit  par  les  transcriptions  des  mots 
joie,  déduit,  conduit,  nuit,  rekenuit,  etc.  (II,    i,  2,   ?,  4,  etc.);  1'/  y  est 


472  A.   DARMESTETER 

en  effet  représenté  par  deux  yod,  ce  qui  lui  donne  la  valeur  d'une  con- 
sonne. —  La  diphthongue  ié  est-elle  déjà  réduite  à  é,  ou  sonne-t-elle 
encore  ié^  Les  éléments  d'une  solution  précise  manquent.  La  strophe 
VII  rime  en  cliier,  ou,  si  l'on  veut,  en  c/;cr;  les  strophes  viii  et  ix  en  ér  et 
en  nez  )  rien  à  tirer  de  tout  cela.  La  strophe  x  a  pour  rimes  prisé  (ou 
prisie),  embrasé  (qui  ne  peut  être  embrasié),  reiïsé  (quinepeut  être  reiïsié), 
envesé  (qui  peut  être  envesié).  De  la  présence  ùt  embrasé  et  Atreùsé,  doit- 
on  conclure  qu'il  faut  lire  pnVe,  e/7v«^',  et  que  par  suite  la  strophe  vu  doit 
rimer  en  cher  ?  La  conclusion  est  peut-être  téméraire.  Toutefois,  remar- 
quons que  la  transcription  de  la  syllabe  ier  est  partout  absolument  iden- 
tique à  celle  de  la  syllabe  er  [yod  et  r  ;  cf.  par  exemple  les  rimes  des 
strophes  vu  et  viii)  et  que  l'on  ne  trouve  nulle  part  les  deux  yo^qui  sem- 
blent nécessaires  pour  indiquer  la  prononciation  de  cette  diphthongue  cf. 
la  transcription  àebien,  str.  x,  4)  '.  Notons  encore  la  forme  curieuse  ^/z/er 
pour  antier  (xvii,  2),  qui  semblerait  indiquer  pour  ce  mot  une  réduc- 
tion de  la  diphthongue  ié  (de  e  ;  inîëgrum)  à  é,  réduction  analogue  à 
celle  que  présente  par  exemple  le  mot  vacher  pour  vachier  ('  vacca- 
rius)  2.  Anîer  supposerait  donc  la  réduction  générale  de  ié  (de  a),  si 
toutefois  ce  n'est  pas  une  forme  dialectale  (du  champenois-lorrain  ,  ce  que 
semblerait  confirmer  une  autre  forme  quelque  peu  analogue  apareleis 
(xvii,  4).  Mais  tout  cela  est  peu  convaincant,  et  la  conclusion  est  qu'on 
ne  peut  rien  affirmer  sur  l'état  de  la  diphthongue  ie  dans  notre  texte. 
Signalons  devE]n  pour  deviEn,  (xv,  3)  critAin  pour  crestiKn^  (id.  ibid.), 
c/;ei/2  pour  c/n En  (id.  4);  ce  sont  là  autant  de  particularités  propres  aux 
dialectes  de  l'est,  ainsi  que  la  diphthongue  oi  (pour  ci)  dans  poine 
(v,  4  ;  XVI,  4).  Grivant  (xvi,  i)  pour  grevant  doit  être  également  dialec- 
tal; il  vient  par  analogie  de  grive  forme  contractée  de  grieve  igrevat). 
Notons  encore  la  forme  i  pour  e  (et)  devant  une  voyelle  (xvi,  2)  ;  cepen- 
dant elle  est  douteuse. 

Nasales.  En  sonne  an.  Voir  les  rimes  de  i,  vi,  etc.  et  les  notations 
par  an  :  docemant  (xvi,  4),  san  (xii,  2),  etc. 

Consonnes.  J.  Partout  le  mot  Dieu  est  noté  Gé.  Cette  forme  suppose 
d'abord  que  Dié  (de  Dc[um])  est  devenu  Djé.  Ici  l'on  peut  se  demander 
si  Djé  s'est  réduit  à  Je  (Gé)  ou  si,  gardant  encore  sa  valeur  primitive,  le  y 
ne  sonnait  pas  dj  ?.  Toutefois  la  notation  de  ;  par  deux  yod,  aussi  fré- 


1.  La  transcription  de  cher  (chier)  psivyod  et  aleph  à  la  strophe  VII,  2,  semble 
indiquer  la  présence  de  la  diphthongue.  Mais  cette  notation  est  isolée. 

2.  Là  la  diphthongue  ic  s'est  réduite  à  é  par  suite  d'une  assimilation  erronée 
de  cette  terminaison  chicr  (*  carius)  avec  la  terminaison  -chicr  de  -care.  On  sait 
que  ic  de  arius  s'est  maintenu,  comme  ié  de  c,  intact  jusqu'à  nos  jours. 

3.  On  ne  pourrait  rien  conclure  pour  le  cli;  car  le  tc/z  pouvait  déjà  être  devenu 
ch  quand  le  ;  était  encore  dj. 


DEUX  ÉLÉGIES  DU  VATICAN  473 

quente  que  la  notation  par  g  tilde  montre  que  dans  notre  texte  le  ; 
avait  perdu  le  son  dental  pour  ne  conserver  que  le  son  chuintant.  Dié 
était  donc  devenu  dans  notre  texte  Gé. 

L  devant  une  consonne  tombe  purement  et  simplem.ent  comme  dans 
les  dialectes  de  Pest  :  ma  (v,  2),  liât  (viii,  i),  madit  (xi,  1;,  aîres  (xi,  2), 
mot  (non  moût,  ni  moli  ;  i,  i  ;  vu,  2). 

N  est  supprimée  d'ordinaire  dans  les  groupes  an,  en,  on  et  dans  les 
finales  verbales  en  ent.  Dans  les  syllabes  nasales,  Vn  était-elle  tombée 
dans  la  prononciation?  Les  rimes  de  la  strophe  xvii  prouvent  le  con- 
traire. Le  scribe  à  qui  on  doit  la  copie  du  Vatican  avait-il  devant  les 
yeux  un  texte  écrit  en  français  avec  l'abréviation  de  1'/^  marquée  par  un 
trait  sur  la  voyelle  précédente,  et  a-t-il  supprimé  dans  sa  transcription 
ce  tilde  qu'il  ne  pouvait  rendre  ?  Je  n'oserais  le  dire.  Pour  les  finales 
atones  en  ent,  Vn  est  certainement  tombée  dans  la  prononciation.  Les 
formes  poet,  furet,  oret,  aveet,  etc.  sont  incontestablement  établies  par 
les  glossaires  hébreux  du  xiii^  siècle. 

S  dans  l'intérieur  des  mots,  devant  une  consonne,  ne  se  fait  plus 
entendre.  Partout,  dans  notre  texte,  elle  est  tombée.  La  chute  de  cette 
consonne  semble  avoir  amené  une  sorte  d'allongement  de  la  voyelle  pré- 
cédente, qui,  quand  c'est  un  é,  paraît  se  faire  suivre  d'un  e  mi-muet 
ou  d'une  sorte  d'/z  douce.  C'est  du  moins  ce  qu'on  peut  conclure  de 
l'orthographe  des  mots  mechief,  (1,  i),  égarée  (i,  i),  prés  (xvii,  4).  En 
effet,  après  le  yod  qui  représente  \'é,  vient  un  alef  qui  indique  soit  une 
sorte  d'e  muet,  soit  plutôt  une  légère  aspiration.  Cf.  les  formes  dialec- 
tales de  l'est  :  ahne,  maihnie,  etc.  Les  autres  exemples  de  e  =  es  ne  pré- 
sentent pas  trace  de  cet  allongement  :  déduit,  [n,  i),  etct  (iv,  ?  ;  etc.), 
ecorchier  (vu,  4),  etc.  Pour  les  autres  voyelles,  je  note  biimer  (xi,  ?  ; 
et  non  blâmer),  tantôt  (vu,  3). 

5  finale  tombe  dans  les,  ces,  très,  devant  une  consonne  :  Icmcins  {v\u,  ^'i, 
léjors  (xvii,  2),  céfélons  (xvii,  i),  trcmale  (m,  i)  ;  elle  tombe  également 
dans  le  même  cas  dans  san  (xii,  3),  ver  {x\v,  2),  no  (xvii,  5I. 

Z  et  Ç  se  sont  réduits  de  ts,  ds  à  s  :  sete  pour  ceste  (m,  i)  ;  dosos  pour 
de  ços  (il,  2),plasse  (iv,  1^,  etc.  \fenis  pourfeniz  (11,  4],porrés  (vu,  4),  etc. 

Avant  de  passer  aux  formes  grammaticales,  signalons  quelques  mots 
curieux  ou  rares.  Mont  11,  i  ;  v,  2),  pour  molt  ou  plutôt  mot  ;  on  en  a 
des  exemples  dans  la  vieille  langue  ;  racket  pour  rachat  (1,  4),  de  rache- 
ter; conduit  RU  sens  de  conduite  (11,  2);  changeler  pour  changer  (m,  2)  '; 
anprinere  au  sens  de  défenseur  (xvii,  1)  S  plain  au  lieu  de  plaint  (élégie, 

1.  Changeler  est  dérivé  de  changer,  comme  vcntekr  de  venter,  sautcler  de  sauter, 
etc.  Je  ne  connais  pas  d'autre  exemple  de  ehangeler. 

2.  Anprinere.  Le  sens  de  ce  mot  est  donné  par  Rasclii  qui  traduit  en  plusieurs 
passages  de  la  Bible  l'iicbrcu  kinhah  «  jalousie  »  pur  cnprenement.  Anisi  Nombres, 


474  A.    DARMESTETER 

(m,  4),  serorge  fxv,  4)  pour  serorgien.  Ce  mot  n'est  pas  en  effet  soro- 
rius,  beau-frère,  mais  dnrur^us,  comme  le  montre  le  contexte  :  «  serorge 
et  maître  de  Brinon.  »  D'ailleurs  dans  un  document  dont  nous  parle- 
rons plus  loin,  le  Rabbi  Haiim  appelé  ici  serorge  et  maître  de  Brinon  est 
vanté  comme  rendant  la  vue  aux  aveugles.  Il  est  donc  incontestable 
que  c'était  un  chirurgien,  et  serorge  qui,  traduit  par  sororius,  n'offre  ici 
aucun  sens,  ne  peut  s'expliquer  que  par  chirurgus,  bien  que  cette  forme 
ait  été  plus  habituellement  remplacée  par  chirurgianus  =  serorgien, 
surgien.  Fcnme  (v,  i)  n'est  peut-être  pas  une  faute  pour  femne,  et  indi- 
que une  prononciation  nasale /Jme.  Le  mot /eu  est  tantôt  écrit /o  (c.  à  d. 
feu)  (xi,  3  ;  XVI,  2  ;  etc.),  tantôt /og  (x,  2  ;  ix,  i ,  etc.j  ;  sous  cette  forme 
il  reste  masculin  :  la  foeki  éîet  e[m]brasé  (x,  2).  Forment,  bien  écrit  xii,  i, 
est  écrh forments  ix,  2.  Comme  le  mot  qui  suit  commence  par  une  s, 
peut-être  est-ce  une  erreur  du  copiste  qui  a  recommencé  deux  fois  la 
même  lettre.  Dans  efant  (v,  4),  le  scribe  a-t-il  fait  tomber  Vn  suivant 
son  habitude  ou  a-t-on  affaire  à  une  forme  dialectale  ^  Prechors  (xiv,  i) 
montre  la  contraction  de  eor  {eeur)  en  or  [eur]  :  precheeur,  prêcheur, 
ou  bien  c'est  un  dérivé  direct  de  prêcher  à  l'aide  du  suffixe  moderne  eur. 

Pour  les  formes  grammaticales,  je  remarque  dans  les  déterminatifs  et 
les  pronoms  le  dat.  masc.  sing.  li  (xiv,  2],  le  fém  s':  s'amor  (x,  4) ,  la 
forme  régulière  c/?  ou  mieux  an  pour  on  (vni,  4;  vu,  i  ;  xv,  4)  à  côté 
du  nominatif  singulier  on  =^  hom  (xi,  3),  qui  montre  bien  la  différence 
de  sens  de  ces  deux  mots  étymologiquement  identiques;  le  pluriel  05 
(c.  à  d.  eux;  VII,  3)  à  côté  de  as  [i,  3).  Notons  la  forme  i  pour  // 
devant  une  consonne  :  k'i  se  îornat  (xv,  2)  '.  L'article  se  présente  sous 
les  formes  li,  la,  le  (rare),  la,  lé  (les). 

La  conjugaison  offre  un  archaïsme;  je  vol  (xiv,  3)  de  vouloir  à 
côté  de  (je)  vos  (xiv,  4)  ;  'facrant  n'est  pas  encore  devenu  j'acrante  dans 
je  te  acrant  (vi,  4);  print  (xii,  i)  est  un  néologisme.  Nous  avons 
déjà  signalé  la  réduction  de  la  terminaison  cnt  à  et.  Dans  certaines 
formes,  le  /  de  la  troisième  personne  du  singulier  est  tombé  :  ju  [\x,  et 
passim),  sofri(y,  4),  e  pour  est  (ix,  2).  Il  est  inutile  de  rappeler  les 
parfaits  dit,  fit  pour  dist,  fist  (vi,  3  ;  v,  2  ;  etc.)  et  une  ioh  fis  pour  fist 
(xiv  2).  Il  y  a  quelques  impératifs  irréguliers  :  enten  (m,  3)  ,  repon 
(xvii,  4);  m-dh  prent  (m,  3)  et  devein  (xiv,  2)  sont  corrects.  Ce  que  la 

XI,  29,  sur  les  mots  es-tu  jaloux  pour  moi?  Raschi  explique  que  pour  moi  veut 
dire  dans  mon  inicrêt  et  il  ajoute  :  «  le  mot  kinhah  (jalousie)  indique  le  senti- 
ment de  celui  qui  met  son  cœur  à  une  chose,  soit  pour  se  venger,  soit  pour 
venir  au  secours.  Fr.  enprcnement.  »  Le  Dieu  enprenerc  de  notre  texte  est  donc  le 
«  Dieu  jaloux  »  {El  Kanah)  de  l'Ecriture,  c.  à  d.  le  Dieu  zélé  (pour  Israël). 
Anprinerc  a  exactement  le  sens  du  latin  zclosus. 

1.  Il  est  souvent  difficile  de  distinguer  le  pronom  i  (il)  de  la  conjonction  c  (et). 
Dans  les  cas  douteux  nous  nous  sommes  laissés  guider  par  le  contexte. 


DEUX  ÉLÉGIES  DU  VATICAN  475 

conjugaison  présente  de  plus  remarquable  ce  sont  les  imparfaits,  tous  en 
et,  cet  ('=  éent)  :  aurions-nous  là  déjà  notre  imparfait  moderne  ? 

La  conjugaison  et  certaines  formes  de  mots  présente  déjà  quelque 
caractère  de  la  langue  duxiv«s.,  mais  c'est  dans  la  déclinaison  que 
ce  caractère  se  montre  nettement.  Là  on  voit  l'oubli  le  plus  complet 
des  règles  de  la  vieille  langue;  les  formes  de  l'accusatif  et  du  nominatif 
se  remplacent  sans  raison  les  unes  les  autres  et  1'^  paraît  mise  ou 
omise  au  hasard.  Sujet  singulier,  formes  correctes  :  'il.  fu  amenez 
(ix,  i)  ;  s'c  penez  [ix,  2)  ;  (il)  fu  nez  (ix,  3),  et  au  vocatif  :  vanchere, 
anprinére  (xvii,  i  ;  remarquons  toutefois  l'archaïsme  de  ces  formes  où 
manque  1'^  finale  analogique)  et  on  (xi,  3).  Formes  incorrectes  :  (il)  fu 
amené  (iv,  i),  Châtelain  {iv,  \),  plein  (iv,  3);  bon  deportor  (iv,  4)  ;  un 
petit  e  un  grant  (y\,  1)  ;  lo  petit  fu  ébahi  (vi,  2)  ;  //  grant  li  aprant  (vi,3)  ; 
ki  mot  étet  prisé  [x,  ï)  {lo  fo)  ki  etet  e[m]hrasé  'x,  2);  bien  enfu  envesé 
(x,  4);  mot  etet  envenimé  lo  félon,  le  madit  (xi,  i),  etc.,  etc.  —  Régime 
singulier,  formes  correctes  :  dedans  lo  foe  (x,  21,  je  ne  lerrai  le  Dieu  vif 
[\\\,  4)  ;  mais  nus  pour  nul  d,  4).  —  Sujet  pluriel  :  la  ligne  suivante 
montre  l'application  et  la  violation  de  la  règle  :  furet  ars  meinz  proz  cors 
sage  et  gent  (i,  3).  Ajoutons  (^o/zi)  fenis  (11,  4;;  dos  frères  i  furet  ars 
(VI,  1)  ;  préchors  vinreî  (xiv,  i),  etc.  —  Régime  pluriel  :  Si  de  tos  biens 
est  correct  (iv,  3),  ainsi  que  de  céls^felons  (xvu,  1),  en  revanche  :  toi 
li  atres  a  e[n]hardit  est  d'une  incorrection  remarquable  ' .  Ces  exemples  suf- 
fisent. Ils  montrent  que  l'élégie  du  Vatican  ne  connaît  rien  aux  règles 
de  la  décHnaison  de  l'article  et  des  noms.  Et  remarquons  que  ces 
fautes  ne  sont  pas  des  fautes  de  scribe,  mais  appartiennent  à  l'auteur 
de  l'élégie,  ainsi  qu'on  peut  s'en  assurer  par  les  rimes  déduit  (n,  i)  à 
côté  de  nuit,  conduit,  rekenuit;  plein  (iv,  3^  à  côté  de  tôt  à  plein,  etc.; 
grant  (vi,  i)  à  côté  dit  aprant,  etc.;  prisé,  embrasé,  envesé  {x,  i,  2, 
4)  à  côté  de  reiisé  ;  madit  (xi,  ,1)  à  côté  de  dit,  etc.  Le  chaos  orthogra- 
phique qui  règne  dans  ce  texte  est  celui  qu'on  est  habitué  à  rencontrer 
chez  les  écrivains  de  la  seconde  partie  du  xiv-  siècle.  Il  faut  en  conclure 
que  déjà  à  la  fin  du  xiii^  siècle  ou  au  commencement  du  xiV,  la  langue 
populaire  avait  abandonné  son  système  de  déclinaison,  et  tendait  vers  les 
formes  qui  ont  prévalu  au  siècle  suivant,  et  si  notre  élégie  paraît  en 
avance  d'un  demi-siècle  sur  les  monuments  français  proprement  dits,  c'est 
que  la  langue  littéraire  —  toujours  plus  conservatrice  —  a  été  en  retard 
d'un  demi-siècle  sur  la  langue  populaire^. 


1 .  On  ne  peut  lire  lé  atres,  parce  que  te  pour  les  ne  se  trouve  que  devant  une 
consonne. 

2.  D'ailleurs  la  transcription  en  lettres  héhraïques  n'a  pas  dû  peu  contribuer 
à  faire  négliger  au  copiste  les  traditions  orthographiques  et  i  l'engager  à  re- 
produire son  texte  tel  qu'il  le  prononçait. 


476  A.    DARMESTETER 

Tels  sont  les  traits,  curieux  en  somme,  de  notre  texte.  Y  trouve- 
t-on  un  caractère  franchement  dialectal  ?  Nous  avons  signalé  des  formes 
qui  indiquent  un  dialecte  de  l'est;  mais  l'absence  des  diphthongues 
caractéristiques  ai  pour  a,  ei  pour  é,  etc.,  prouve  en  faveur  du  fran- 
çais', il  faut  sans  doute  supposer  un  dialecte  intermédiaire  entre  le 
français  et  le  lorrain,  le  champenois,  le  dialecte  de  Troyes,  par 
exemple.  Toutefois,  il  est  vraisemblable  que  la  langue  primitive  de  cette 
pièce  a  été  altérée  par  les  scribes  qui  nous  l'ont  transmise.  En  effet,  il 
ne  faut  pas  se  flatter  d'avoir  là  l'œuvre  originale  de  l'auteur  (bien  que 
la  copie  ne  soit  guère  postérieure  à  la  fin  du  xiii^  siècle  ou  au  commen- 
cement du  xivf,  comme  le  montre  l'écriture  du  ms.l  La  copie  du 
Vatican  est  vraisemblablement  l'oeuvre  d'un  Juif  méridional,  qui  aura 
reproduit  —  plus  ou  moins  exactement,  on  ne  peut  l'affirmer  —  une 
copie  écrite  en  caractères  hébreux  ou  français  2,  laquelle  est  une 
reproduction,  sans  doute  faite  de  mémoire,  comme  nous  le  verrons  plus 
loin,  de  la  pièce  originale.  Maintenant,  entre  ces  intermédiaires  qui 
nous  paraissent  assurés,  on  est  libre  d'en  supposer  encore  d'autres, 
dont  rien,  il  est  vrai,  ne  prouve  l'existence.  Est-il  admissible  que 
la  langue  primitive,  à  travers  ces  copies  successives,  soit  restée  intacte  .'' 
Il  nous  paraît  difficile  de  l'affirmer.  C'est  ce  qui  diminue  la  valeur  philo- 
logique de  notre  texte,  valeur  qui  toutefois,  même  avec  ces  restrictions, 
garde  encore  de  l'importance. 

L'élégie  est  en  quatrains  monorimes,  comme  nombre  de  petites  pièces 
du  xiiie  siècle.  Mais  les  vers  sont  d'une  mesure  singulièrement  arbitraire, 
tantôt  trop  longs,  tantôt  trop  courts.  Il  n'est  pas  vraisemblable  que 
l'auteur  de  la  pièce  se  soit  amusé  à  faire  des  alexandrins  aussi  gro- 
tesques ;  d'ailleurs,  pour  peu  qu'on  lise  l'élégie  avec  attention,  on  y 
sent  un  rhythme  caché  qui  semble  avoir  été  déformé  après  coup.  D'un 
autre  côté,  les  phrases  sont  souvent  embarrassées  de  particules  qui 
gênent  la  mesure  en  même  tempsque  la  construction;  parfois  aussi  le  sens 
paraît  appeler  des  mots  qui  viennent  heureusement  remplir  la  mesure. 
Par  exemple,  m,  ^  :  Gé  !  prent  en  pitié,  l'hémistiche  est  évidemment: 
Gé!  prent  nos  en  pitié,  iv,  7,.  A  Gé  vif  se  rendi  cil  ki  de  tos  biens  estet  plein, 
ce  cil  ki  est  singulièrement  prosaïque  ;  qu'on  le  supprime,  et  le  rhythme 
est  rétabli  en  même  temps  que  la  phrase  reprend  une  allure  plus  poé- 
tique. III,  4,  le  sens  exige  la  négation  ne;  la  mesure  s'en  trouve  égale- 
ment satisfaite.  On  peut  multiplier  ces  exemples:  je  me  contenterai  d'en 
ajouter  un  seul  :  x,   5,  D'ofrir  son  cors  por  Gé  i  n'ot  pas  rusé.   Si  l'on 


1.  La  forme  tée  pour  ta  est  douteuse,  j'y  vois  une  faute  pour  tê  ^  tel. 

2.  Je  penche  pour  le  français  à  cause  de   la  suppression  systématique  de  \'n 
dans  des  nasales  an,  en,  on.  Voir  plus  haut,  p.  458. 


DEUX  ÉLÉGIES  DU  VATICAN  477 

songe  qu'au  xiii^  siècle  la  forme  de  rusé  était  encore  reiisé,  que  ce  n'est 
qu'au  milieu  du  xiv^  siècle  qu'on  voit  paraître  dans  les  textes  rusé,  et 
que  par  suite  c'est  au  plus  tôt  au  commencement  du  xiv^  siècle  que 
rusé  a  dû  se  produire  dans  la  prononciation,  il  faut  voir  dans  cette 
forme  l'œuvre  du  copiste.  Et  l'on  est  en  droit  de  corriger  rusé  en 
reiisé  qui  rétablit  précisément  la  mesure. 

De  ces  observations  diverses  on  peut  conclure  que  l'élégie  a  été  com- 
posée en  alexandrins,  et  retranscrite  —  sans  doute  de  mémoire  —  par 
un  scribe  qui  l'a  reproduite  avec  plus  ou  moins  d'exactitude.  Il  n'y  a 
donc  pas  de  témérité  à  en  essayer  la  restitution.  On  verra  que  les  vers  se 
laissent  rétablir  sans  grande  difficulté,  hormis  la  strophe  finale  dont  les 
deux  derniers  vers  paraissent  composés  de  quatre  vers  de  huit  syllabes. 
Toutefois  avant  d'essayer  la  restitution,  il  faut  se  demander  dans  quel  dia- 
lecte elle  se  fera.  Comme  il  est  impossible  de  déterminer  exactement 
le  dialecte  primitif  de  l'élégie,  comme,  en  outre,  notre  première  resti- 
tution conserve  aussi  fidèlement  que  possible  la  physionomie  du  texte,  et 
que  le  lecteur  pourra  y  étudier  à  l'aise  les  traits  intéressants  de  phoné- 
tique ou  de  morphologie  qu'il  peut  présenter,  nous  nous  croyons  en  droit 
d'user  maintenant  d'un  peu  plus  de  liberté.  Nous  voulons  donner  un 
texte  moins  hérissé  et  de  lecture  plus  facile^  et  nous  essayons  une  resti- 
tution en  langue  commune,  rétablissant  les  formes  telles  qu'elles  se 
seraient  présentées  à  un  bon  copiste  français  de  la  fin  du  xiir"  siècle, 
conservant  cependant  les  incorrections  ou  les  particularités  dialectales 
qu'exigent  la  mesure  des  vers  et  la  rime,  ou  qui  peuvent  donner  un 
cachet  propre  au  style  de  l'élégie. 

TEXTE      RESTAURÉ. 

I     Mont  sont  il  a  meschief  mis  l'esgaree  gent, 
Et  il  n'en  poent  mes  si  se  vont  enrajant  ; 
Car  d'entre  eus  furent  ars  maint  proz  cors  sage  et  gent, 
Qui  por  lor  vivre  n'orent  doné  rachet  d'argent. 

II     Troblee  est  nostre  joie  a  tôt  nostre  desduit 

De  ceus  qui  m et  l'ont  en  lor  conduit  ; 

Ne  finoient  lor  tasche  et  le  jor  et  la  nuit  : 
Or  sont  ars  et  feni  ;  chescun  Gé  rekenuit. 

III     De  la  felone  gent  sofrons  ceste  dolor  ; 
Bien  nos  pot  changeler  et  muer  la  color. 
Gé  !  prent  nos  en  pitié  e  entend  cri  et  plor  : 
Pcr  nient  avons  perdu  maint  home  de  valor. 


478  A.  DARMESTETER 

IV     En  place  est  amenez  Rab  Içak  Chastelains 
Qui  por  Gé  lessa  rentes  et  mesons  tôt  a  plein, 
A  Gé  vif  se  rendi  :  de  tos  biens  estoit  pleins. 
Bon  deportor  estoit  de  Thosfoîh  et  de  plain  ' . 

V     La  prude  fenme,  quant  vit  ardir  son  mari. 
Ma  li  fist  li  deparz;  de  ce  jeta  grand  cri  : 
«  De  tel  mort  vais  morir  com  mon  ami  mori  !  »  ^ 
D'enfant  ele  estoit  grosse;  por  ce  poine  sofri. 

VI     Dos  frères  furent  ars,  uns  petiz  et  unz  granz. 
Li  petiz  s'esbahit  du  feu  qui  si  s'esprent, 
E  dit  :  «  Haro  î  j'ar  toz!  »  E  li  granz  li  aprent 
E  dit  :  «  A  Paradis  seras  ;  tôt  je  t'acrant.  ;> 

VII  La  brus  qui  tant  fu  bêle,  an  la  vint  por  prechier. 
Riche  estoit  de  deniers  que  tenoient  molt  chier  ?. 
Tantost  ele  aquemence  encontre  as  a  crachier  : 

«  Ne  lerrai  Gé  ;  por  tant  me  porrez  escorchier.  » 

VIII  D'une  vois  tuit  ensemble  chantoient  hat  et  cler 
Com  fuissent  gens  de  feste  qui  dussent  caroler. 
Les  mains  orent  liées  ;  ne  pooient  baler  ; 
Onques  gens  an  ne  vit  si  bêtement  aler. 

IX     En  feu  isnellement  com  Hathan  fu  menez. 
De  fere  sa  kdouscha'^  forment  il  s'est  penez  ; 
Les  atres  enhardit  ;  de  bone  hore  fu  nez  ; 
Il  ot  a  nom  Samson  le  jone  et  le  séné  5, 

X     Apres  vint  Rab  Schlomo^  qui  mot  estoit  prisiez. 

1.  Thosfoth  (prononciation  vulgaire;  plus  correctement  Thosafoth).  Ce  sont 
des  commentaires  talmudiques.  Cf.  Romania,  I,  160.  Pour  le  mot  plain  qui 
suit,  voyez  plus  haut  p.  473.  —  Il  n'est  resté,  en  dehors  de  ce  témoignage, 
aucune  trace  des  œuvres  de  R.  Isaac  Châtelain. 

2.  Je  supprime  de  dist.  Dans  les  complaintes  populaires,  telles  qu'est  notre 
élégie,  les  dialogues  d'ordinaire  se  suivent  sans  indication  des  personnages,  les 
différences  d'intonation  dans  le  récit  suffisent  en  effet  pour  les  désigner. —  De  tel 
mort.  Le  texte  porte  tce  qu'on  peut  corriger  en  tê  :=  tel. 

3.  Restitution  plus  que  douteuse.  Voir  p.  464  et  465. 

4.  Kdouscha ,  prononciation  vulgaire  de  kedoiischah  (sanctification)  ;  cf.  la 
note  1. 

5.  Le  texte  porte  :  «  le  jone  et  le  kadmenath  »  ;  ce  dernier  mot  qui  corres- 
pond à  l'hébreu  kadmôn  est  sans  doute  une  glose  du  scribe.  Je  restitue  hypo- 
thétiquement  ce  vers  avec  l'adj.  séné  (sensé  1,  épithète  commune  en  vieux  fran- 
çais. La  rime  exigerait  bien  le  nominatif  /;'  senez;  mais  notre  texte  comporte  plus 
d'une  incorrection  de  ce  genre. 

6.  Sclîlomo,   prononciation  vulgaire  pour  Schelomo  (Salomon)  ;  cf.  la  note  i . 


DEUX  ÉLÉGIES  DU  VATICAN  479 

Fu  jetez  dans  le  feu  qui  estoit  embrasez  ; 
D'ofrir  son  cors  por  Gé  il  n'ot  pas  reùsé  ; 
Por  s'amor  mort  sofri  ;  bien  en  fu  envesiez. 

XI     Mot  fu  envenimez  li  félon,  li  madit 

D'ardir  l'un  après  l'atre.  Dont  le  kadosch^  li  dit; 

«  Fai  grand  feu,  maves  hon  !  »  De  blasmer  s'enhardit. 

Mot  bêle  fu  sa  fin  d'Avirey  de  Bendit. 

XÎI     II  i  ot  un  prodome  qui  fort  print  a  plorer 

E  dist  :  «  Por  ma  mesnie  me  veez  desperer, 
Non  por  mon  cors.  »  Ardir  se  fist  sansdemorer; 
Ce  fu  Simon  Sopher  ^  qui  si  bien  sot  orer. 

XU\     Li  biaus  Colons  i  vint  qui  son  feu  atiza 

Por  rendre  a  Gé  loanges ' 


XIV     Prechors  vinrent  Içak  le  Cohen^  requérir  : 
«  Tast  a  lor  créance  ou  1'  kevanroit  périr.  » 
Il  dist  :  «  Que  avez  tant  ?  Je  voil  por  Gé  morir. 
Je  sui  Cohen  :  ofrande  de  mon  cors  voil  ofrir.  4  » 

XV  «  A  peine  eschaperas,  puis  que  nos  te  tenons 
Deviencrestiens»  5.  E  il  respondi  tantost  :  «  Non! 
Por  les  chiens  ne  lerrai  le  Gé  vif  ne  son  nom.  « 
Anl'apeloit  Haiim,  le  mestre  de  Brinon"^. 

XVI  Encore  ot  un  kadoschi  qui  fut  menez  avant. 
An  li  fist  petit  feu  e  l'aloit  on  grevant  ; 
Huchoit  Gé  de  bon  cor  e  menu  e  sovant; 
Docement  sofri  poine  por  servir  Gé  vivant  s. 


1 .  Kadosch,  saint.  Ce  mot  chez  les  Juifs  a  généralement  le  sens  de  martyr.  Sous 
Louis  XV,  un  Juif  de  Boulay  (Moselle)  mourait  sur  le  bûcher.  J'ai  vu  des  vieil- 
lards de  Metz  qui  se  rappelaient  avoir  jeûné,  étant  enfants,  à  l'anniversaire  delà 
mort  de  cet  homme  qu'ils  appelaient  le  kadosch  de  Boulay,  le  saint  de  Boulay. 

2.  Le  scribe.  —  3 .  Le  prêtre. 

4.  Félix  :  Adore-les  ou  meurs.  —  Polyeucte  :  Je  suis  chrétien. 

(Potyeucte,  V,  ?). 

5.  Le  texte  porte  :  Fist  li  baillis,  dcvien  crestiens,  etc.  Fist  li  baillis  doit  être 
une  glose    postérieure  du   scribe.  Cf.  p.  478,  n.  2. 

6.  Des  deux  ép'ilhèies  serorgc  et  mestre  de  Brinon,  je  supprime  la  première  qui 
doit  être  une  glose,  comme  me  le  fait  remarquer  M.  P.  Meyer.  Le  maître  de 
Brinon,  tel  devait  être  en  effet  le  titre  qu'on  donnait  au  chirurgien  Haiim. 

7.  Voir  n.  i.  —  8.  Cf.  p.  469,  en  bas. 


480  A.   DARMESTETER 

XVII     Gé  venchére,  emprinére  '  !  vanche  nos  des  félons  ! 
D'alandre  ta  vanchance  nos  semble  li  jors  Ions  ! 
De  te  preer  de  cor  entier 
La  ou  nos  seons  et  alons  ^ 
Près  somes  et  aparellié. 
Respon,  Gé,  quand  nos  t'apelons  ! 


Abordons  maintenant  la  question  historique. 

La  notice  et  les  deux  élégies  nous  apprennent  que  des  frères  prê- 
cheurs^ c'est-à-dire  des  Dominicains,  ou  membres  de  l'Inquisition,  livrè- 
rent au  bûcher  treize  Juifs,  à  savoir  : 

R.  Isaac  Chastelain. 

Sa  femme,  qui  était  enceinte. 

Ses  deux  fils,  l'un  marié,  l'autre  encore  enfant. 

La  femme  du  fils  aîné. 

R.  Simsôn,  fiancé,  appelé  le  kadmàn  ou  le  jeune  alakadmenath. 

R.  Salomon, 

R.  Baruch  d'Avirey. 

R.  Siméon,  scribe,  de  Châtillon. 

R.  Jonahou  Colon3  (Comlon  dans lanotice,  sans douteparerreur). 

R.  Isaac  Cohen. 
Maître  R.  Haiim  de  Brinon,  chirurgien. 
Et  R.  Haiim. 
Le  supplice  eut  lieu  à  Troyes^,  le  samedi,  quinze  jours  avant  la  Pente- 
côte de  l'an  5048  (ère  juive).  R.  Jacob,  fils  de  Juda,  de  Lorraine,  com- 
posa sur  les  victimes  une  élégie  hébraïque  et  peut-être  une  élégie  fran- 
çaise 4  —  si  les  deux  poésies  viennent  d'un  même  auteur  —  et  l'élégie 
hébraïque  fut  récitée  officiellement  dans  les  synagogues  françaises,  même 
dans  celles  du  midi,  puisque  c'est  dans  un  rituel  des  Juifs  dits  portugais 
qu'on  l'a  trouvée. 

D'autres  documents  viennent  confirmer  ce  fait  en  y  ajoutant  quelques 
détails  nouveaux. 

1.  Comparez  pour  le  mouvement  :  «  Dieu  des  vengeances,  Eternel!  Dieu 
des  vengeances,  apparais!  »  (Psaumes,  xciv,  i). 

2.  Souvenir  du  Deutéronome,  VI,  7  :  «  Tu  répéteras  les  paroles  de  Dieu  et 
en  restant  dans  ta  demeure  et  en  allant  en  chemin.  » 

3.  Cf.  plus  haut,  p.  45  5,  n.  3. 

4.  Ces  deux  pièces  ont  été  faites  évidemment  aussitôt  après  l'événement.  On 
y  sent  l'impression  profonde  et  immédiate  d'un  contemporain,  et,  j  ajouterais, 
d'un  témoin  oculaire.  D'ailleurs,  composées  longtemps  après  l'événement,  on  ne 
comprend  pas  l'intérêt  qu'elles  auraient  otiert. 


DEUX  ÉLÉGIES  DU  VATICAN  48  l 

M.  d'Arbois  de  Jubainville,  à  qui  je  me  suis  adressé  pour  savoir  si  les 
archives  de  Troyes  ne  contenaient  aucun  document  relatif  à  cet  événe- 
ment, me  signala  une  note  publiée  sur  ce  sujet  par  M.  Boutiot  dans  son 
Histoire  de  Troyes  (I,  p.  487).  Cette  note,  comme  me  l'a  écrit  M.  Bou- 
tiot, était  prise  à  l'Annuaire  israélite  de  185 5-1 856,  où  se  trouve  une 
notice  due  à  M.  Carmoly  et  intitulée  :  Un  auto-da-jé  à  Troyes  en  1288. 
L'historien  juif,  après  avoir  rappelé  les  accusations  générales  qu'on  por- 
tait contre  les  Juifs,  d'égorger  les  chrétiens,  de  tuer  leurs  enfants  pour 
recueillir  leur  sang,  etc.,  s'exprime  ainsi  :  «  A  Troyes,  la  patrie  de  l'il- 
»  lustre  Raschi,  on  les  accusa  ainsi  en  i288_,  et,  pour  les  punir,  on  les 
»  condamna  au  feu.  Treize  personnes  innocentes  furent  brûlées  vives  au 
»  cri  :  Ecoute,  Israël,  l'Eternel  Notre  Dieu,  l'Eternel  est  un.  Un  ancien 
»  martyrologe,  qui  fait  partie  de  notre  cabinet  des  manuscrits,  nous  a 
»  conservé  les  noms  de  ces  martyrs  de  la  foi  ;  les  voici  (je  supprime  la 
»  liste  hébraïque,  et  ne  donne  que  la  traduction  de  M.  Carmoly)  :  Isaac 
»  Castelien, —  sa  femme,— ses  deux  enfants,— et  sa  bru, —  Isaac  Cohen, 
»  — Salamin,  fils  de  Phébus,  receveur, — Chaïm  de  Bérigny,  —  Chaïm  de 
»  Coursan,  —  Siméon  scribe,  —  Bénédict  d'Aviré,  —  Rabbi  Jona,  —  et 
»  Siméon,  gendre  du  précédent.  « 

Je  me  suis  adressé  à  M.  Carmoly  qui  habite  Francfort-sur-le-Mein, 
pour  obtenir  communication  du  passage  du  ms.  que  résume  cette 
notice;  mais  M.  Carmoly,  affaibli  par  l'âge  et  la  maladie,  ne  peut  plus 
s'occuper  d'études  ;  et  les  démarches  réitérées  qu'a  tentées  auprès  de  lui 
mon  ami  M.  Joseph  Herz  sont  restées  sans  résultat.  Je  suis  donc  réduit 
à  me  contenter  de  ce  document  tel  quel. 

Il  est  très-vraisemblable,  comme  le  dit  M.  Carmoly,  que  les  Juifs 
furent  condamnés  sous  le  coup  d'une  fausse  accusation  ;  ce  détail  est  en 
effet  confirmé  par  un  autre  texte  dont  nous  parlerons  tout  à  l'heure.  Que 
les  victimes  soient  allées  à  la  mort  au  cri  de  Schéma,  Israël  !  «  Ecoute 
Israël  »,  ceci  encore  n'offre  rien  d'invraisemblable.  D'ailleurs  nos  deux 
élégies  disent  que  Isaac  Châtelain  et  les  siens  moururent  en  chantant  ; 
et  assurément  c'est  le  Schéma,  ce  Credo  des  Juifs,  qu'ils  durent  entonner 
en  allant  au  supplice. 

Pour  la  liste,  elle  présente,  —  en  dehors  des  interversions,  —  de 
légères  différences  avec  la  nôtre.  —  Isaac  Castelien  doit  être  corrigé  en 
Isaac  Chastelain,  la  forme  hébraïque  du  nom  telle  que  la  donne  M.  Car- 
moly se  prêtant  aussi  bien  à  la  seconde  lecture  qu'ù  la  première. 
—  Salamin,  fds  de  Phébus,  receveur,  est  notre  R.  Salomon  qui,  à  côté 
de  son  nom  hébreu,  avait  ainsi  un  nom  français  correspondant'.    — 

I.  Le  nom  de  S^j/am//î  doit  se  lire  SiiUmin  ou  Sjlmin  (forme  que  favorise 
l'orthographe  hébraïque)  ;  le  nom   de  Salemin  a   été  porté  par  plusieurs  Juifs 

Romania,lll  V 


482  A.    DARMESTETER 

Le  Chaïm  de  Bérigny  est  notre  Haiim  de  Brinon,  chirurgien.  Le  nom  de 
ville  a  été  mal  lu.  En  effet,  le  mot  hébreu  tel  que  le  donne  M.  C,  ne 
peut  se  lire  Bérigny,  mais  Brigne  ou  quelque  chose  d'approchant  ;  et  il 
était  facile  de  prendre  pour  un  e  la  terminaison  on  du  mot  dans  le  ms. 
qui,  selon  nous,  portait  Brignon.  Après  ce  Haiim  de  Brignon  ou  Brinon 
vient,  comme  dans  notre  liste  du  Vatican,  un  autre  Haiim  que  la  liste 
hébraïque  de  M.  C.  appelle  Chaim  de  Caorse  ou  Corse  ou  Course,  ce  que 
M.  C.  corrige  sans  raison  en  Coursan,  puisque  il  existe  un  Chaource 
dans  l'Aube.  Le  Siméon  scribe  est  notre  scribe  de  Châtillon.  —  Benedict 
d'Aviré  est  notre  Baruch  d'Avirey.  Le  nom  de  Barucli  (bénit)  se  trouve  ici 
sous  une  forme  française.  Toutefois  je  ferai  remarquer  que  le  ms.  de  M.  C. 
pone  non  Benedict,  mais  Bendit^.  —  R.  Jona  est  le  Colon  de  l'élégie 
française,  appelé  d'ailleurs  Jona  dans  l'élégie  hébraïque.  —  Le  dernier 
personnage  de  la  liste  est  Siméon  gendre  du  précédent  (c.  à  d.  de  Jona), 
traduction  inexacte  de  l'hébreu:  Siméon  Hatlian  Kadmenath.  Siméon 
doit  d'abord  être  changé  en  Simson  ou  Samson  2.  Quant  à  cette  qualité 
de  gendre  de  Jonah,  que  M.  C.  voit  dans  les  mots  Hathan  Kadmenath,  le 
texte  du  Vatican  nous  montre  (\\iQ  Kadmenath  nQ  signifie  pas  pre'ceW^^f  (dé- 
rivé de  l'adjectif  Kadmôn  «  antérieur  »),  mais  que  c'est  un  nom  propre; 
et  le  mot  Hathan  qui  veut  dire  fiancé  et  gendre  doit  signifier  ici  fiancé, 
comme  on  le  voit  par  l'élégie  française. 

En  somme  il  résulte  de  cette  discussion  que  notre  liste  du  Vatican  ne 
doit  se  modifier  qu'en  quelques  points  : 

R.  Salomon  devient  Salemin,  fils  de  Phébus,  receveur, 
R.  Baruch  Bendit  (Biendit),  d'Avirey, 

et  le  second  Haiim      Haiim  de  Chaource. 

Outre  ce  document,  il  existe  encore  deux  élégies  hébraïques  ou  Seli- 
choth  composées  sur  le  même  sujet.  Elles  sont  signalées  et  analysées  par 


français  au  moyen-âge.  Ainsi,  dans  un  document  qui  se  trouve  aux  Archives 
nationales  (J,  227,  34)  et  qui  est  un  accord  de  Philippe-le-Bel  entre  des  gens  de 
son  royaume  et  des  gens  du  comte  d'Anjou  au  sujet  de  la  possession  de  45  Juifs 
désignés  nominativement,  je  trouve  un  Salminus  films  Bochardi  de  argentorio. 
Cf.  Histoire  générale  de  Bourgogne  III,  78  :  «  I!  (le  duc  de  Bourgogne)  donna 
pouvoir  à  Joseph  de  S.  Mier,  Salemin  de  Balmes  et  David  de  Balmes  son  père, 
demeurant  en  la  ville  de  Dijon,  de  choisir  les  52  familles  à  volonté.  » 

r.  Le  document  cité  dans  la  note  précédente  parle  également  d'un  Banditus  de 
Montigniaco,  ce  qui  prouve   l'exactitude  de  la  forme  Bendit  =  Benedictus  Baruch. 

2.  L'élégie  française,  comme  nous  l'avons  vu,  donne  également  à  ce  person- 
nage le  nom  de  Siméon  ;  mais  la  correction  de  Siméon  en  Simson  (Samson) 
s'impose  là  d'elle-même.  Il  est  possible  même  que  le  ms.  porte  Simson  et 
que  MM.  Neubauer  et  Angelo  aient  lu  Siméon;  il  suffit  pour  cela  que  le  troisième 
petit  trait  vertical  à  gauche  du  schin  soit  quelque  peu  effacé.  Cf.  p.  466  et 
467.  Le  nom  de  Samson  se  retrouve  encore  dans  deux  autres  documents 
dont  nous  parlerons  plus  loin.  Le  nom  de  Siméon  donné  par  M.  C.  est  donc 
isolé,  et  l'on  a  le  droit  de  corriger  dans  sa  notice  Siméon  en  Samson. 


DEUX  ÉLÉGIES  DU  VATICAN  483 

M.  Léop.  Zunz  dans  sa  Literaturgeschichte  der  Synagogalen  Poésie  (Ber- 
lin, 1865,  p.  ^62).  Il  a  bien  voulu  m'en  envoyer  une  copie'  ;  elles 
ajoutent  quelques  faits  intéressants.  La  première  composée  par  Meïr  hen 
Eliab  est  en  22  strophes  de  quatre  vers  monorimes  ^  comme  la  pièce  du 
Vatican,  mais  à  refrain.  Ecrite  avec  une  abondance  quelquefois  élégante, 
assez  souvent  plate  et  diffuse,  elle  lui  est  passablement-inférieure.  En 
voici  le  résumé  :  «  Je  pleure  sur  les  malheurs  de  la  communauté  de 
Troyes  ;  le  septième  jour  de  Pâque,  chacun  dans  sa  demeure  s'apprê- 
tait, disant  :  Demain,  Dieu  reconnaîtra  les  siens.  En  effet,  les  méchants, 
affligés  de  la  mort  de  leur  seigneur  2,  prirent  prétexte,  et  vinrent  armés 
dans  la  maison  d^Isaac,  lui  parlèrent  amicalement  et  lui  dressèrent 
des  embûches.  Le  deuil  entra  dans  sa  demeure,  et  Isaac  fut  suivi  par 
ses  deux  fils,  sa  femme  et  sa  bru.  On  pilla  sa  maison.  Vint  le  tour  du 
jeune  Salomon,  d'Isaac  le  prêtre,  de  Siméon  le  scribe,  de  Simson  qui 
fut  lié  sur  le  bûcher  avec  des  cordes  neuves ,  ainsi  que  Haiim  et 
Salomon.  Jonah  périt  aussi  et  Haiim  qui  rendait  la  vue  aux  aveugles. 
Dieu  !  prends  pitié  d'Israël.  »  Cette  pièce  est  alphabétique  ;  c'est- 
à-dire  que  la  première  strophe  commence  par  Valej,  la  seconde  par 
le  beth,  et  ainsi  de  suite  pour  les  22  strophes  dont  les  initiales  épuisent 
les  22  lettres  de  l'alphabet  hébreu.  Les  poésies  hébraïques  du  moyen- 
âge  emploient  souvent  cette  disposition  dont  le  modèle  se  trouve  dans 
quelques  psaumes.  Sans  nous  arrêter  aux  faits  nouveaux  que  nous  apprend 
cette  élégie,  signalons  une  divergence  au  sujet  d'un  nom.  Baruch  d'Avi- 
rey  est  remplacé  par  un  second  Salomon.  Peut-être  est-ce  un  même  per- 
sonnage portant  les  deux  noms  de  Salomon  et  de  Baruch  (ou  Biendii). 

La  seconde  élégie  communiquée  par  M.  Zunz,  signée  en  acrostiche 
Salomon  Sinicha  (poète  connu  aussi  sous  le  nom  de  Salomon  le  scribe^j ,  est 
en  neuf  grandes  strophes  à  refrain.  Ecrite  dans  un  style  prolixe,  bizarre 
et  obscur,  elle  se  laisse  difficilement  résumer  :  «  Le  feu  a  dévoré 
1 1  jeunes  hommes  et  deux  femmes  dont  une  enceinte.  0  Dieu  !  vois  le 
bûcher  de  Troyes  où  périt  R.  Isaac  avec  ses  enfants.  On  s'était  caché  le 
sixième  jour  maudit  3,  et  il  y  eut  des  victimes.  Salomon  se  dévoua  et 
Baruch  Tob  Elem,  et  les  deux  Haiim  et  Simson.  0  Dieu  !  nous  oublie- 
ras-tu ?  )) 

Cette  dernière  élégie,  incomplète  comme  on  le  voit,  ne  nous  apprend 
rien  de  plus,  sinon  que  Baruch  d\\virc\  appartenait  à  la  famille  connue  au 
moyen-âge  des  Tob  Elem  ou  Bon  fils  qui  a  produit  un  certain  nombre  de 
littérateurs. 


I .  il  ne  me  désigne  pas  le  ms.  ou  les  mss.  d'où  il  les  n  tirées. 

2  et  3.  Allusion  au  vendredi-saint. 


484  A.    DARMESTETER 

Des  divers  documents  qui  précèdent  combinés  entre  eux,  on  peut 
tirer  le  récit  suivant  : 

Le  vendredi-saint,  26  mars  1288,  avant-dernier  jour  de  Pâque',  des 
chrétiens  de  Troyes,  voulant  venger  «  la  mort  de  leur  Seigneur  »,  enva- 
hirent la  maison  d'un  riche  Juif,  Isaac  Châtelain,  auteur  de  commentaires 
talmudiques  et  de  poésies  élégiaques.  Ils  lui  dressèrent  des  embûches, 
sans  doute  en  l'accusant  de  quelque  crime  supposé,  l'arrêtèrent  avec  sa 
famille,  mirent  sa  maison  au  pillage,  et  s'emparèrent  également  de  huit 
autres  notables  Juifs  qu'ils  livrèrent  aux  frères  Dominicains.  L'inquisition 
instruisit  le  procès  et  condamna  les  treize  prisonniers  au  supplice  du  feu. 
Ceux-ci  offrirent  de  se  racheter  à  prix  d'or  ;  on  leur  accorda  la  vie 
sauve  s'ils  voulaient  abjurer  ;  ils  refusèrent  et  le  samedi  24  avril,  un 
mois  après  l'attaque  de  la  maison  d'Isaac  Châtelain,  ils  montèrent  sur  le 
bûcher. 

Isaac  Châtelain,  sa  femme  qui  était  enceinte,  ses  deux  fils,  sa  bru, 
«  qui  tant  était  belle  »,  furent  amenés  les  premiers  au  heu  du  supplice. 
Les  mains  liées  derrière  le  dos,  ils  allèrent  à  la  mort  avec  intrépidité, 
entonnant  le  schéma,  s'encourageant  mutuellement,  et  outrageant  le  bour- 
reau et  la  foule. 

Vint  ensuite  Samson  Hakkadmôn,  fiancé,  qui  mourut  en  adressant 
des  paroles  d'encouragement  aux  autres  victimes.  Puis  ce  fut  le  tour  de 
Salomon^  ou  Salmin  fils  de  Phébus,  receveur  ;  de  Baruch  ou  Biendit, 
d'Avirey  -  qui  «  s'enhardit  de  blâmer  le  bourreau  »  ;  de  Siméon  le 
chantre  et  scribe,  de  Châtillon?,  «qui  si  bien  savait  orer»  et  qui  mourut 
en  pleurant  sur  ses  enfants;  du  «beau»  Colon;  Isaac  le  prêtre,  requis  par 
les  frères  prêcheurs  de  se  tourner  à  leur  croyance,  déclara  que,  prêtre 
de  Dieu,  il  voulait  lui  faire  offrande  de  son  corps.  Haiim  le  chirurgien,  le 
maître  de  Brinon4,  «  qui  rendait  la  vue  aux  aveugles  »,  refusa  le  salut 
que  lui  offrait  le  bailli.  Enfin,  périt  à  petit  feu  Haiim  de  Chaource$. 
Tels  sont  les  treize  saints  qui,  le  samedi  24  avril,  quinze  jours  avant 
la  Pentecôte  juive,  périrent  au  milieu  des  flammes,  en  confessant  «  le 
vrai  Dieu  ». 

1.  La  Pâque  juive  dure  huit  jours. 

2.  Avirey-Lingey  (Aube,  arrondissement  de  Bar-sur-Seine,  canton  des  Riceys). 

3.  M.  Boutiol  voudrait  identifier  le  Marsianum  donné  à  la  place  de 
Châtillon  par  Assemani  dans  sa  notice,  et  y  voir  le  village  de  Marcenay,  situé 
près  de  Chàtillon-sur-Seine.  C'est  peu  probable.  Pourquoi  Assemani,  n'ayant 
d'autre  document  que  la  notice  historique  du  Vatican,  aurait-il  eu  l'idée  de  rem- 
placer Châtillon  par  Marcenay?  Et  d'ailleurs  Marsianum  n'est  pas  Marciniacum. 
Assemani  a  défiguré  simplement  le  nom  hébreu  de  Châtillon,  et  Ta  changé 
au  hasard  en  Marsian,  comme  il  a  changé  Brinon  en  Berlin,  Haiim  en  Hana- 
ml,  Lolra  en  Volaterra. 

4.  Brinon-l'Archevêque  (Yonne,  arrondissement  deJoigny). 

5.  Chaource  (Aube,  arrondissement  de  Bar-sur-Seine,  chef-lieu  de  canton). 


DEUX  ÉLÉGIES  DU  VATICAN  485 

La  justice  royale  semble  être  restée  étrangère  à  cet  événement.  Il 
parait  même  que  les  protestations  que  cette  exécution  dut  soulever, 
furent  entendues  par  Philippe-le-Bel  ' .  Car,  trois  semaines  après,  le 
17  mai  128S,  lundi  de  la  Pentecôte,  le  roi  de  France  dans  une  séance 
du  Parlement  interdit,  par  ordonnance  spéciale,  aux  pères  et  aux  frères 
de  tout  ordre  de  poursuivre  aucun  Juif  du  royaume  de  France  sans 
information  préalable  faite  par  le  bailli  ou  le  sénéchal  et  sur  des  faits 
clairs  et  patents  2. 

Il  n'y  a  pas  de  témérité  à  supposer  que  cette  ordonnance,  qui  restrei- 
gnait le  pouvoir  de  l'inquisition  au  profit  de  la  justice  royale,  fut  inspirée 
par  l'exécution  du  24  avril  1288. 

VI. 

Il  est  temps  de  conclure  cette  étude.  Les  deux  élégies  du  Vatican, 
comme  on  le  voit,  ne  sont  pas  sans  valeur.  A  divers  égards,  et  comme 
document  historique,  et  comme  document  philologique  et  comme  docu- 
ment littéraire,  elles  apportent  des  faits  nouveaux  à  la  science.  Elles 
ajoutent  une  page  de  plus  à  la  sombre  histoire  des  Juifs  au  moyen- 

1 .  Toutefois,  nous  voyons  un  bailli  offrir  à  Haïm  de  Brinon  de  racheter  sa 
vie  par  l'apostasie.  Mais  vraisemblablement  ce  n'était  pas  un  bailli  royal  (la 
Champagne  était  réunie  depuis  quatre  ans  à  la  couronne  de  France),  mais 
un  bailli  comtal  appartenant  à  l'administration  de  Jeanne  de  Navarre  :  la 
comtesse  Jeanne,  après  son  mariage  avec  Philippe-le-Bel ,  avait  conservé 
l'administration  de  ses  états  de  Champagne  et  de  Navarre,  et  la  Champagne  ne 
fut  réellement  réunie  à  la  couronne  qu'en  131  i.  On  s'explique  donc  qu'une 
condamnation  prononcée  par  l'inquisition  ait  été  exécutée  par  la  justice  seigneu- 
riale, mais  que  le  fait  une  lois  accompli,  Philippe-le-Bel  qui  n'était  pas  favorable 
à  l'inquisition  ait  pris  ses  mesures  pour  empêcher  le  retour  de  pareils  événements. 

Au  dernier  moment,  M.  G.  Pans  me  lait  observer  que  certains  passages  de 
l'ordonnance  citée  dans  la  note  suivante  pourraient  faire  croire  que  le  bjtlli  du 
texte  était  un  bailli  royal,  qui  s'était  excusé  per  ignorantiam. 

2.  Archives  Nationales,  Trcsor  Jcs  Chartes,  JJ  34  (ancien  35),  fol,  54, 
pièce  25.  Ordonnances  des  rois  de  France,  I,  p.  317.  Cf.  Boutaric ,  /.;  France 
sous  Philippc-le-Bcl,  p.  83.  Voici  cette  ordonnance,  d'après  le  texte  ms.  des 
Archives,  le  texte  des  Ordonnances  offrant  quelques  inexactitudes. 

«  Expeditiones  parlamenti  penthecostes,  anno  domini  M°.  CC".  octogesinio 
octavo.  —  Ordinatum  est  quod  Judei  rcgni  Francie,  vel  aliqui  aut  aliquis  eorum 
non  capiantur  seu  incarcerentur  ad  mandatum  vel  requisitioncm  aliqnorum  patriim, 
fratrum  alicujus  ordinis,  vel  aliorum,  quocunque  fungantur  ofticio,  nisi  prius 
informato  Senescallo  aut  Baillivo  nostro,  sub  cujus  jurisdictione  moram  faciant, 
capiendi  aut  capiendusdecasu  proquocapi  mandabuntur  aut  requircnlur,  et  quod 
sit  talis  casus  sic  clarus  pro  quo  capi  debcant  aliqui  vel  aliquis  eorumdem  et  qui 
ad  jurisdictionem  mandantium  eos  capi  pertineat,  ex  forma  mandati  apostolici, 
cujus  mandati  copiam  habere  mandamus  et  volumus  universos  Scnescallos  et 
Baillivos  et  alios  officiales  nostros,  ne  possint  per  ignoranliam  excusari  nostri 
officiales  predicti,  in  dictum  mandatum  apostolicum  exequendum.  Et  si  sil  super 
hoc  aliquod  dubium  vel  obscurum,  non  capiant  aliquem  vel  aliquos  coruni,  nisi 
prius  consulta   Uomuii  Régis  curia  et  magislris.  )> 


486  A.    DARMESTETER 

âge  ;  elles  permettent  de  constater  certaines  expressions  nouvelles  de 
la  vieille  langue  et  nous  donnent  une  idée  de  la  prononciation  du  fran- 
çais à  la  fin  du  xiii"  siècle.  Enfin,  comme  œuvre  poétique,  la  pièce 
hébraïque  est  un  bel  échantillon  de  la  poésie  juive  en  France  au 
moyen-âge  ;  la  pièce  française,  remarquable  également  par  la  simplicité, 
la  naiveté  de  l'expression  et  l'énergie  contenue  du  sentiment,  mérite 
d'occuper  une  place  parmi  les  poésies  de  notre  vieille  littérature.  Enfm, 
comme  l'a  fait  remarquer  M.  Neubauer  ',  c'est  la  première  œuvre  litté- 
raire transcrite  en  caractères  hébreux  que  l'on  connaisse.  La  littérature 
des  glosses  et  des  glossaires  ^,  quoique  très-abondante,  en  son  genre, 
est  bornée.  Avec  l'élégie  française  du  Vatican,  on  peut  concevoir  l'espé- 
rance de  trouver  des  œuvres  littéraires  dues  aux  Juifs  de  France,  d'un 
caractère  plus  large,  et  d'un  intérêt  plus  grand. 

Arsène  Darmesteter. 


1 .  Rapport   sur  une  mission  en  France  et  en  Italie.  Archives   des  missions, 
3'  série,  t.  I,  p.  ss8. 

2.  Voir  la  Romanui,  I,  p.  146-176. 


LETTRE  A  M.  GASTON   PARIS 


SUR 


LE  TEXTE  DE  JOINVILLE. 


^  Monsieur, 

C'est,  une  bonne  fortune  pour  moi  d'avoir  obtenu,  comme  éditeur  de 
Joinviile,  l'approbation  d'un  juge  aussi  compétent  que  vous  l'êtes;  mais 
ce  qui  rend  cette  approbation  plus  précieuse  encore,  ce  sont  vos  obser- 
vations sur  un  certain  nombre  de  leçons  qui  vous  ont  paru  douteuses 
ou  mauvaises.  Grâce  à  vous,  je  pourrai  corriger  dans  ma  prochaine  édi- 
tion plusieurs  fautes  que  j'avais  laissées  subsister,  tantôt  parce  qu'elles 
m'avaient  échappé,  tantôt  parce  que  je  n'avais  pas  su  trouver  les  heu- 
reuses restitutions  que  vous  me  suggérez.  Il  en  est  une  surtout  qui  me 
satisfait  d'autant  plus  qu'elle  me  fournit  à  la  fois  la  correction  d'une 
erreur  évidente,  et  la  confirmation  d'une  pensée  que  j'avais  négligé  de 
mûrir  et  de  vérifier.  Le  résultat  du  petit  travail  que  je  viens  d'entre- 
prendre, c'est  que  le  clerc  chargé  de  recueillir  la  dictée  de  Joinviile  a 
commis  quelques  méprises  parce  que,  de  loin  en  loin,  il  lui  arrivait  d'en- 
tendre mal  ce  qu'on  lui  dictait.  Si  vous  le  permettez,  Monsieur,  je  cite- 
rai quelques  mauvaises  leçons  qui  peuvent  s'expliquer  ainsi,  et  j'e.xami- 
nerai  ensuite  quelles  conséquences  on  en  peut  tirer  pour  la  classification 
des  manuscrits.  Sur  ce  point  il  existe  entre  votre  opinion  et  la  mienne 
une  nuance  bien  légère,  que  j'aurais  l'ambition  de  faire  disparaître. 

Qu'est-ce  que  la  locution  liui  et  le  jor,  critiquée  par  vous  avec  raison  ? 
c'est  à  mon  avis  une  faute  commise  par  le  clerc,  à  qui  Joinviile  avait 
dicté  liai  el  jor,  équivalent  de  la  restitution  liui  cel  jor,  que  vous  m'indi- 
quez. La  faute  hui  et  le  jor  pourrait  s'expliquer  à  la  rigueur  par  l'étour- 
derie  d'un  copiste,  si  elle  ne  se  rencontrait  qu'une  fois;  mais  elle  se  lit 
textuellement  dans  trois  passages  du  ms.  A  (§  25,  62  et  670),  et  elle 
est  contenue  implicitement,  d'abord  dans  BL  aux  §§  25  et  62  {liui  et 
tous  les  jours) ,  puis  dans  Menard  au  g  2)  [tous  les  jours  maintendrit\ .  Si 
on  en  perd  la  trace  dans  BL  au  g  670,  c'est  que  le  hasard  a  conduit  à 


488  N.   DE  WAILLY 

une  traduction  meilleure  ('/;owr /e/our^'/î/iy;.  Quanta  l'édition  de  Menard, 
elle  omet  en  entier  ce  dernier  paragraphe  et  n'offre  au  paragraphe  62 
aucun  équivalent  des  mots  hui  et  le  jor.  Il  est  néanmoins  permis  d'affir- 
mer que  si  ces  mots  ont  été  reproduits  trois  fois  dans  A  c'est  qu'ils  se 
lisaient  trois  fois  dans  la  dictée  du  clerc.  Je  considère  aussi  le  mot  aïdier 
comme  une  des  fautes  que  le  clerc,  trompé  par  son  oreille,  avait  intro- 
duites dans  sa  dictée  '^  184).  Si  troubler  se  présente  en  cet  endroit  dans 
B,  c'est  que  le  sens  avait  suggéré  cette  correction  au  copiste  du  manus- 
crit; mais  cette  leçon  isolée  ne  peut  prévaloir  contre  l'accord  des  autres 
textes  (aïdier  dans  A,  haydier  dans  L,  secourir  dans  Rieux  et  Menard). 
J'en  conclus  que  pendant  que  Joinville  dictait  hardier,  le  clerc  entendait 
et  écrivait  aïdier. 

C'est  d'une  méprise  semblable  qu'est  sortie  cette  armée  de  mille  che- 
valiers que  vous  avez  dissipéed'untraitde  plume,  et  qui  ne  reparaîtra  désor- 
mais dans  aucune  édition  de  Joinville.  Vous  avez  trouvé,  suivant  l'expres- 
sion des  géomètres,  la  solution  élégante  d'un  problème  difficile,  en  réta- 
blissant à  coup  sûr  les  propres  paroles  de  Joinville,  mi  chevalier,  à  la 
place  de  l'erreur  du  clerc,  mil  chevalier.  Voilà  comment  vous  m'avez 
remis  en  mémoire  mon  ancienne  conjecture  sur  les  mauvaises  leçons  qui 
pouvaient  s'expliquer  par  des  consonnances.  J'ai  reconnu  alors  que  telle 
devait  être  l'origine  de  quelques-unes  des  fautes  signalées  par  vous. 
Vous  penserez  comme  moi,  Monsieur,  que  le  clerc  de  Joinville  a  pu 
entendre  Bichiers  au  lieu  de  Vichiers  (§,  185),  ses  branches  au  lieu  de  set 
branches  (§  191),  Guis  Guibelin  au  lieu  de  Guis  d'Ibelin  (§,  2681.  De  telles 
coïncidences,  qui  ne  sauraient  être  fortuites,  suffisent  pour  justifier  ma 
thèse.  Permettez-moi  cependant  de  citer  encore  une  mauvaise  leçon  du 
paragraphe  479  [la  chose),  à  la  place  de  laquelle  vous  proposez  la  chace. 
Cette  correction,  qui  satisfait  parfaitement  au  sens,  m'a  conduit  à  cher- 
cher un  synonyme  dont  la  consonnance  avec  le  mot  chose  pût  expliquer 
l'erreur  commise  par  le  clerc;  et  il  m'a  paru  que  Joinville  avait  proba- 
blement dicté  Penchaus. 

On  peut  demander  pourquoi  je  cherche  l'explication  de  cette  mauvaise 
leçon  dans  une  consonnance  plutôt  que  dans  une  étourderie  de  copiste. 
La  raison  en  est  que  cette  mauvaise  leçon  la  chose,  comme  toutes  celles 
dont  j'ai  parlé  jusqu'ici,  existe  à  la  fois  dans  tous  les  textes,  y  compris 
celui  de  Menard  ;  c'est  donc  une  faute  originelle,  qui  a  précédé  la  sépa- 
ration des  familles  de  manuscrits,  et  qui  par  conséquent  doit  remonter 
à  la  dictée  du  clerc.  Or  quand  les  fautes  de  cette  dictée  peuvent  être 
attribuées  à  des  consonnances  de  mots,  il  est  plus  naturel  de  s'en  tenir 
à  cette  explication. 

Ce  point  une  fois  établi,  je  vais  essayer  de  déterminer  l'origine  du 
texte  reproduit  dans  M  (l'édition  de  Menard).  M  ne  peut  appartenir  à  la 


LETTRE  A  M.   G.  PARIS  489 

même  famille  que  ABL,  puisqu'il  fournit'  seul:  Pies  mots  au  col 
(§  3  h)  5  2°  Morentaigne  au  lieu  de  Morîaing  {^  372);  3"  les  mots  sur 
mer  (§,404)  que  j'ai  reproduits  sous  une  forme  dont  Joinville  fournit  ail- 
leurs l'exemple  [en  la  mer].  Puisque  A  dérive  certainement  de  H  manus- 
crit de  Louis  le  Hutin),  M  ne  peut  dériver  que  de  J  ^manuscrit  de  Join- 
ville) ou  de  D  (dictée  du  clerc).  Il  ne  peut  s'agir  d'une  dérivation  immé- 
diate, car  M  reproduit  une  traduction  moderne,  tantôt  abrégée,  tantôt 
paraphrasée,  et  si  grossièrement  inexacte  à  son  début  que  le  traducteur 
avait  nécessairement  sous  les  yeux  un  manuscrit  dont  la  première  page 
était  devenue  illisible.  J'ajoute  que  ce  manuscrit  avait  probablement 
perdu  un  assez  grand  nombre  de  feuillets  puisqu'il  manque  dans  cette 
traduction  (telle  que  nous  la  connaissons  aujourd'hui)  à  peu  près  la  hui- 
tième partie  du  texte  original.  Est-ce  le  manuscrit  personnel  de  Joinville 
ou  la  dictée  du  clerc  qui  avait  dû  subir  de  telles  injures?  Je  crois  que 
c'est  la  dictée  du  clerc,  qu'on  avait  dû  négliger  comme  inutile  du  jour 
où  elle  avait  été  transcrite.  Je  rattache  donc  l'édition  de  Menard  à  une 
traduction  de  cette  dictée  que  je  désigne  par  les  lettres  TD. 

M,  qui  diffère  si  évidemment  de  A  comme  de  BL,  a  cependant  quel- 
ques points  de  ressemblance  avec  ces  deux  derniers  manuscrits.  En  effet 
M  omet,  comme  BL,  non-seulement  la  date  fmale  du  mois  d'octobre  1  ^09, 
mais  encore  la  sévère  apostrophe  à  Philippe  le  Bel  du  §  42,  les  détails 
donnés  par  Joinville  sur  la  manière  dont  il  ordonna  son  affaire  pendant 
son  séjour  en  Orient  (§  501,  502  et  503I,  enfin  le  passage  que  vous 
avez  si  bien  corrigé  sur  son  commandement  militaire  ig,  504).  On  trouve 
de  plus  dans  M,  comme  dans  BL,  à  l'exclusion  de  A  :  1°  la  mauvaise 
leqon  les  patriarches  au  lieu  de  //  patriarches  (§  529);  2°  dans  la  même 
phrase  le  verbe  combatre;  3"  les  mots  et  lis  autres  choses,  etc.,  ou  des 
mots  équivalents,  qui  terminent  le  paragraphe  768.  Ainsi  donc,  par  des 
considérations  indépendantes  de  celles  que  j'avais  présentées  il  y  a  plu- 
sieurs années,  avant  que  j'eusse  à  me  préparer  des  arguments  contre 
M.  Corrard  et  contre  le  P.  Gros,  je  suis  ramené  à  ranger  BL  dans  une 
autre  famille  que  A,  en  faisant  dériver  ces  deux  manuscrits  du  manuscrit 
de  Joinville  par  l'intermédiaire  d'une  traduction  presque  toujours  litté- 
rale, qui  fut  entreprise  au  seizième  siècle  pour  Antoinette  de  Bourbon, 
et  que  je  désignerai  par  les  lettres  TJ. 

Je  crois  avoir  affaibli  déj;^  votre  objection  principale  ;  car  les  fautes 
qui  dérivent  de  la  dictée  sont  à  déduire  de  celles  qui  vous  engageaient  ;^ 
comprendre  ABL  dans  une  seule  et  môme  famille.  Il  faut  en  déduire 


1.  Pour  plus  de  simplicité,  je  fais  abstraction  ici  de  l'édition  de  F^ierre  de 
Rieux  qui  altère  systématiquement  le  texte  dont  Menard  a  voulu  donner  la 
reproduction  fidèle. 


490  N.   DE   WAILLY 

également  les  trois  leçons  vaillant  (§,  2^1,  disait  des  mors  'Z  54^  et  Jaques 
(S  39? )>  'î^'  sont  antérieures  à  la  formation  des  familles  puisqu'elles  se 
trouvent  aussi  dans  M.  J'en  dis  autant  de  la  leçon  encoste  'S  ^^9)  ^"i  est 
textuelle  dans  A,  et  qui  est  représentée  par  une  périphrase  équivalente 
dans  M  aussi  bien  que  dans  BL.  Mais  ce  qui  diminue  de  beaucoup  le 
nombre  des  leçons  à  signaler  comme  indice  d'une  origine  commune,  c'est 
que  vos  citations  appartiennent  pour  près  de  moitié  au  seul  manuscrit  A. 
Une  fois  qu'on  a  opéré  ce  dernier  retranchement,  qui  est  le  plus  consi- 
dérable, au  lieu  de  soixante  exemples  il  vous  en  reste  moins  de  vingt  que 
vous  puissiez  invoquer  contre  mon  système  de  classification.  Je  pourrais 
encore  réduire  ce  nombre  en  essayant  de  justifier  quelques-uns  de  ces 
passages,  qui  me  paraissent,  sauf  examen  ultérieur,  susceptibles  d'être 
maintenus  dans  le  texte;  mais  j'aime  mieux  vous  montrer  tout  de  suite 
qu'en  modifiant  mon  opinion  sans  l'abandonner  dans  ce  qu'elle  a  d'es- 
sentiel, j'ai  pu,  si  je  ne  me  trompe,  donner  satisfaction  entière  à  tous  vos 
scrupules. 

A  l'origine,  je  m'étais  persuadé  que  le  manuscrit  offert  à  Louis  le 
Hutin  avait  été  exécuté  directement  d'après  la  copie  du  clerc,  comme 
l'exemplaire  personnel  de  Joinville.  Les  nouvelles  vérifications  que  je 
viens  de  faire  m'ont  amené  à  croire  que  H  doit  être  une  copie  de  J, 
mais  une  copie  augmentée  des  paragraphes  42  et  501  à  504,  que  Join- 
ville y  aura  fait  entrer  pour  réparer  une  omission  dont  il  se  serait  aperçu 
après  l'achèvement  de  J.  Cette  hypothèse  a  aussi  l'avantage  d'expliquer 
d'une  manière  plus  naturelle  l'altération  du  texte  dans  les  trois  paragra- 
phes où  M  a  conservé  les  bonnes  leçons  de  la  dictée  ;  le  copiste  de  H 
n'a  fait  que  reproduire  les  trois  fautes  dont  le  copiste  de  J  est  seul 
responsable.  Ce  raisonnement  s'applique  à  toutes  les  mauvaises  leçons 
qui  se  rencontrent  à  la  fois  dans  A  et  dans  BL  puisque  J  est  la  souche 
commune  de  ces  trois  manuscrits. 

En  résumé,  je  propose  la  classification  suivante  : 

D,  dictée  écrite  par  le  clerc  ; 

J,  ms.  de  Joinville,  copie  de  D  ; 

H,  ms.  donné  à  Louis  le  Hutin,  copie  de  J  ; 

A,  ms.  1 3  $68  du  fonds  français,  copie  de  H  ; 

TD,  traduction  abrégée  ou  paraphrasée  de  la  dictée  ; 
R,  édition  de  Pierre  de  Rieux,  altérant  volontairement  TD: 
M,  édition  de  Menard  reproduisant  ce  qui  restait  de  TD  ; 
TJ,  brouillon  de  la  traduction  littérale  de  J,  avec  additions  ; 
L,  ms.  d'Antoinette  de  Bourbon,  dit  de  Lucques,  copie  de  TJ  ; 

B,  ms.  de  M.  Brissart-Binet,  autre  copie  de  TJ. 


B  L 


49' 


R 


M 


Ainsi  que  vous  avez  pu  le  remarquer,  Monsieur,  la  courte  légende 
qui  précède  répond  sommairement  à  la  question  subsidiaire  que  vous 
avez  posée  dans  les  termes  suivants  :  «  dans  quel  rapport  précis  les  mss. 
B.  et  L  sont-ils  entre  eux  ?  »  Comme  la  traduction  littérale  entreprise 
pour  Antoinette  de  Bourbon  présentait  d'assez  grandes  difficultés,  elle 
a  dû  être  préparée  à  tête  reposée  sur  un  brouillon  qui  est  la  source 
commune  et  immédiate  de  BL.  Si  B  a  quelquefois  des  leçons  meilleures, 
c'est  parce  que  le  copiste  se  permettait  de  modifier  ce  brouillon  ;  mais 
ce  qui  empêche  de  le  dériver  de  L  c'est  que,  dans  des  cas  d'ailleurs 
assez  rares,  le  texte  de  ce  dernier  manuscrit  offre  de  courtes  lacunes  qui 
sont  comblées  dans  B.  D'un  autre  côté,  il  y  a  dans  B  un  assez  grand 
nombre  de  ces  petites  lacunes,  qui  sont  comblées  dans  L  parce  que  le 
brouillon  y  a  été  transcrit  avec  une  plus  grande  attention.  B  et  L  sont 
donc  des  copies  indépendantes  de  TJ. 

Il  a  été  fait  aussi  sur  la  dictée  une  traduction  que  je  considère  comme 
la  source  directe  et  immédiate  des  éditions  de  Rieux  et  de  Menard.  On 
ne  pourrait  avoir  qu'une  idée  fort  inexacte  de  cette  traduction  si  on  ne 
la  connaissait  que  par  Pierre  de  Rieux,  qui  se  vante  de  l'avoir  polie  et 
dressée  en  meilleur  ordre.  Menard,  au  contraire,  qui  reproche  à  son 
devancier  de  ne  s'être  pas  contenté  de  gaster  le  langage  et  peslcmcsler 
l'ordre  de  l auteur,  mais  d'avoir  ajouté  beaucoup  de  choses  qui  n'en  étaient 
pas,  offre  dans  son  édition  un  moyen  de  contrôle  qui  mérite  toute  con- 
fiance. Je  me  suis  donc  imposé  la  tùche  de  collationner  l'édition  princcps 
de  R  et  celle  de  M  avec  le  texte  original,  afin  de  savoir  aussi  exacte- 
ment qu'il  est  possible  en  quoi  consistait  le  texte  TD,  dont  ils  se  sont 
successivement  servis. 

Pour  montrer  que  TD  était  une  traduction  quelquefois  abrégée,  je 
citerai  les  paragraphes  ^^83  à  585  qui,  étant  identiques  dans  R  et  M, 
sont  par  conséquent  reproduits  fidèlement  d'après  TD.  Or  le  texte  de 
ces  paragraphes,  qui  se  compose  ù  peine  de  onze  lignes  dans  l'une  et 


492  N.   DE  WAILLY 

l'autre  édition  (R,  cxx  verso,  1.  1 1  à  21  ;  M,  p.  162,  1.  19  à  29,  en 
aurait  fourni  plus  du  triple  si  le  texte  original  n'avait  pas  été  écourté. 
Au  contraire,  en  se  reportant  aux  paragraphes  4^9  et  440,  on  trouvera 
que  R  et  M  ont  un  texte  deux  fois  plus  long  qu'il  ne  serait  si  l'original 
n'avait  pas  été  paraphrasé  (R,  cxxxvi  verso  1.  1 5  à  cxxxviii  recto  1.  2  ; 
M,  178  I.  16  à  i79  1.  30).  Le  texte  de  TD  joignait  probablement  à  ce 
double  défaut  celui  de  n'être  pas  complet;  car  il  y  a  quatre-vingt-douze 
paragraphes  qui  manquent  à  la  fois  dans  R  et  dans  M.  Or  il  est  vraisem- 
blable, comme  je  l'ai  dit  plus  haut,  qu'une  partie  de  ces  lacunes  résultait 
du  mauvais  état  dans  lequel  se  trouvait  la  dictée  du  clerc  lorsque  la  tra- 
duction en  a  été  entreprise.  Je  vous  ferai  remarquer,  par  exemple, 
qu'outre  les  deux  premiers  paragraphes  dont  la  grossière  altération 
atteste  assez  le  déplorable  état  de  la  dictée,  on  ne  retrouve  dans  R  ni 
dans  M  aucune  trace  des  paragraphes  5,  6  à  8  et  10  à  17.  J'en  conclus 
que  tout  le  commencement  de  la  dictée  avait  beaucoup  souffert. 

Quant  à  Pierre  de  Rieux  il  a  systématiquement  altéré  le  texte  de  TD, 
d'abord  en  voulant  le  polir,  ensuite  en  y  introduisant  un  ordre  qu'il  pré- 
tendait meilleur,  ce  qui  a  entraîné  le  déplacement  des  paragraphes  19, 
24,  26  à  28,  :;o  à  38,  54,  $7  à  60,  66  et  67,  76  à  78,  sans  parler  de 
quelques  autres.  En  outre,  il  a  supprimé  cinquante  et  un  paragraphes, 
qui  existaient  dans  TD  puisque  Menard  les  a  rétablis.  Enfin,  il  a  fait  des 
contresens  (voyez-en  un  échantillon  g)  171);  il  a  introduit  des  person- 
nages, comme  Arnauld  de  Comminges,  dont  Joinville  ne  parle  pas 
(§§  223  et  224),  et  il  a  même  ajouté  de  longs  morceaux  qu'il  emprun- 
tait à  diverses  chroniques.  Je  vous  citerai  entre  autres  un  chapitre  entier 
sur  la  prise  de  Castel-Sarrazin  par  le  comte  de  Toulouse  (fol.  vi) ,  et 
un  autre  sur  la  conquête  de  la  Sicile  par  Charles  d'Anjou  (fol.  ccii). 

Menard,  au  contraire,  a  reproduit  fidèlement  le  texte  de  TD  dans 
l'état  où  il  l'a  trouvé.  S'il  a  omis  vingt-trois  des  paragraphes  qui 
existent  dans  R,  c'est  à  coup  sûr  parce  que  le  ms.  TD  avait  subi  entre 
1 548  et  1617  des  altérations  qui  s'expliquent  assez  par  les  troubles  qu'ont 
entraînés  nos  guerres  de  religion.  Il  a  poussé  l'exactitude  si  loin  qu'ayant 
trouvé  dans  TD  mon  frère  sire  Gilles  de  Bruyn  (leçon  suivie  aussi  dans  R) 
au  lieu  de  monseigneur  Cille  le  Brun,  il  a  laissé  subsister  dans  son  édi- 
tion ce  prétendu  frère  de  Joinville.  Un  tel  exemple  montre  assez  que 
s'il  faut  se  défier  de  sa  critique  on  doit  avoir  confiance  dans  sa  fidélité. 
Il  est  fâcheux  que  les  paragraphes  605  à  608  soient  omis  dans  son  édi- 
tion; on  manque  ainsi  de  tout  moyen  de  contrôle  pour  savoir  si  c'est  à 
l'auteur  du  texte  TD,  ou  à  Pierre  de  Rieux,  que  revient  le  mérite  d'avoir 
imaginé  que  les  huissiers  de  la  chambre  avertissaient  le  roi  de  l'arrivée 
de  sa  mère  en  battant  de  leurs  verges,  non  plus  les  huis,  mais  les  chiens 
affin  de  les  faire  crier  (R,  clxxix  verso). 


LETTRE  A  M.  G.  PARIS  493 

Jusqu'ici,  Monsieur,  je  ne  vous  ai  parlé  que  du  texte  de  Joinville,   et 
je  crois  que  nous  serions  entièrement  d'accord  sur  la  filiation  des  ma- 
nuscrits, si  la  miniature  de  présentation  n'était  pas  pour  vous  la  preuve 
que  le  ms.  L  dérive  nécessairement  de  l'exemplaire  royal.  J'avoue  que 
sur  ce  point  mon  impression  est  contraire  à  la  vôtre.  Remarquez  que  je 
parle  d'impression,  et  non  d'opinion,  parce  que  vous  n'alléguez  pas  de 
preuves.  On  m'assure  que  j'en  pourrais  trouver  plusieurs  qui  me  donne- 
raient raison;  mais  le  temps  me  manque  pour  les  chercher.  Je  me  borne 
à  vous  dire  pourquoi  mon  impression  diffère  de  la  vôtre.  Il  me  semble  à 
moi  que  Joinville  a  dû  éprouver  le  désir  d'avoir  dans  son  exemplaire  une 
peinture  qui  lui  rappelât  une  des  circonstances  les  plus  mémorables  de 
sa  vie,  et  qui  en  transmît  le  souvenir  à  ses  descendants.  Cette  explica- 
tion une  fois  donnée,  je  m'empresse  d'ajouter  que  sur  ce  point  encore  je 
puis  vous  proposer  un  moyen  terme  qui  nous  mettra  d'accord.  Un  juge 
fort  éclairé  en  pareille  matière  m'a  suggéré  la  pensée  que  l'exemplaire 
conservé  par  l'auteur  avait  pu  être  primitivement  destiné  au  roi,  mais 
que  Joinville  se  serait  décidé  à  le  garder  pour  lui  parce  qu'il  y  aurait 
aperçu  quelque  défaut.  Ce  défaut  ne  serait-il  pas  l'omission  des  paragra- 
phes que  je  vous  ai  signalés  plus  haut  comme  manquant  à  la  fois,  non- 
seulement  dans  BL,   mais  encore  dans  M,  et  par  conséquent  dans  la 
dictée  .''  Joinville,  dans  cette  hypothèse,  aurait  voulu  réparer  une  omission 
dont  il  était  lui-même  coupable.  Ne  pourrait-on  pas  croire  aussi  que  la 
miniature  de  présentation,  telle  que  l'artiste  l'avait  exécutée  d'abord, 
n'avait  pas  répondu  à  son  désir  ?   Si  vous  comparez  la  copie  de  A  et 
celle  de  L,  vous  y  apercevrez  tout  de  suite  des  différences  considérables. 
Dans  la  première,  Joinville  occupe  le  centre  du  petit  tableau;  il  est, 
comme  cela  convient,   un  personnage  principal  qui  attire  l'attention  au 
moins  autant  que  le  roi,  et  beaucoup  plus  que  le  groupe  des  assistants. 
Aucune  de  ces  convenances  n'est  observée  dans  l'autre  miniature;  la 
tête  de  Joinville  est  dominée  par  toutes  les  autres,  et  les  assistants,  au 
lieu  de  s'effacer  avec  discrétion,  sont  posés  de  manière  à  se  faire  regarder 
à  l'envi  les  uns  des    autres.   Vous  m'accorderez  facilement  que  si  le 
premier  essai  ressemblait  à  cette  copie,  Joinville  n'a  pas  eu  tort  de  le 
garder  dans  son  château  et  de  le  faire  recommencer. 

Vous  voyez,  Monsieur,  que  j'ai  mis  à  profit  toutes  vos  observations, 
et  qu'elles  m'ont  été  utiles  alors  même  que  je  ne  les  adopte  pas  entière- 
ment. Cette  discussion,  qui  m'a  fait  apprécier  mieux  encore  le  service 
que  vous  m'avez  rendu  en  me  critiquant  sur  quelques  points  accessoires, 
ne  peut  avoir  d'autre  conclusion  que  des  remerciements  bien  sincères, 
dont  je  vous  prie  d'agréer  l'expression  avec  celle  de  mes  sentiments  les 
plus  dévoués. 

N.   DE   W'ailly. 


COMPTES-RENDUS. 


Ueber  die  Beziehungen  der  Ortnit  zu  Huon  de  Bordeaux.  Inau- 
gural-Dissertation der  piiilosophischen  Facult;tt  der  Universitaet  Rostock  vor- 
gelegt  von  D'  F.  Li.ndner.  Rostock,  1872,  in-8%  45  p. 

11  y  a  longtemps  qu'on  a  signalé  la  ressemblance  qui  existe  entre  Huon  de 
Bordeaux  et  le  poème  allemand  d'Ortnit.  On  regardait  autrefois  Huon  comme 
imité  d'0r//»7;  M.  Lindner  s'efforce  de  prouver  que  c'est  l'inverse  qui  est  le 
vrai.  J'ai  cherché  jadis  à  faire  prévaloir  une  troisième  solution,  qui  me  paraît 
encore  la  meilleure^  :  les  deux  poèmes  sont  indépendants  l'un  de  l'autre,  mais 
ils  sont  la  mise  en  œuvre  d'une  même  tradition.  M.  L.  n'a  pas  connu  mon 
article,  qui  peut-être  aurait  modifié  son  opinion.  Il  paraît  d'ailleurs  à  plusieurs 
reprises  se  rapprocher  de  la  thèse  que  j'ai  soutenue  ;  les  raisons  qui  le  détermi- 
nent à  ne  pas  l'admettre  m'ont  paru  peu  probantes.  Au  reste,  ses  raisonnements 
et  ses  conclusions  n'ont  pas  toujours  toute  la  précision  désirable.  —  On  saura  gré 
à  M.  L.  d'avoir  établi  d'une  manière  irréfutable  l'identité  d'Alberich  et  d'Au- 
beron;  mais  il  aurait  àù  faire  suivre  l'analyse  de  Huon  de  celle  d'Ortnit:  on 
aurait  ainsi  vu  les  différences,  qu'il  passe  sous  silence,  et  qui  ne  permettent  pas 
de  regarder  l'un  comme  une  imitation  de  l'autre.  —  Un  trait  curieux ,  sur 
lequel  M.  L.  passe  trop  vite,  c'est  la  substitution,  dans  le  poème  de  DUtrichs 
Flucht,  du  nom  de  Godian  à  celui  de  Machorel  pour  le  roi  dont  Ortnit  épouse 
la  fille.  Il  est  possible,  comme  le  dit  trop  affirmativement  l'auteur,  que  ce  nom 
soit  identique  à  celui  de  Gaudise,  porté  dans  le  poème  français  par  le  père  d'Es- 
clarmonde.  Il  faudrait  alors  en  conclure  que  ce  nom  faisait  déjà  partie  de  la  tra- 
dition quand  elle  a  passé  en  France.  Mais  M.  L.  aurait  dû  nous  dire  où  le 
poème  de  Dietrichs  Flucht  a  puisé  ce  nom  :  si  c'est  dans  une  forme  d'Ortnit  plus 
ancienne  que  la  nôtre,  tout  son  système  est  renversé.  —  M.  L.  suppose  que 
l'histoire  d'Auberon  est  le  fond  du  poème  français,  et  que  l'auteur  l'a  rattachée 
arbitrairement  au  cycle  carolingien.  Cela  est  à  peu  près  vrai,  mais  avec  quelques 
modifications  :  l'histoire  de  Huon  et  de  son  exil  était  le  sujet  d'un  ancien 
poème,  dans  lequel  un  habile  remanieur  du  XII'  siècle  a  intercalé  le  fantastique 
épisode  du  roi  de  faerie.  C'est  ce  que  j'avais  conjecturé  autrefois  et  ce  qui  s'est 
trouvé  confirmé  par  la  précieuse  allusion  d'un  autre  poème  (voy.  Romania  III 

I.  Revue  Germanique,  1861. 


//  Contrasta  di  Ciullo  d'Alcamo,  p.  p.  d'ancona  495 

iio)^.  —  Quelques  légères  inadvertances*  n'empêchent  pas  que  le  travail  de 
M.  Lindner  n'ait  été  fait  avec  soin  ;  mais  je  ne  pense  pas  que  la  critique  en 
accepte  les  conclusions*. 

G.  P. 

Il  Contraste  di  Ciullo  d'Alcamo,  ristampato  seconde  la  lezione  del  cod. 
Vaticano  3793,  con  commenti  e  illustrazioni  di  Alessandro  d'AxcoNA.  Bolo- 
gna,  1874,  in-S",  217  p.  (tirage  à  part,  à  30  ex.,  de  la  Raccolta  di  rime  an- 
tiche  qui  fait  partie  de  la  Colkzione  officielle  di  opère  inédite  0  rare). 

Ce  nouveau  mémoire  de  M.  d'Ancona  comptera  parmi  ses  meilleures  produc- 
tions et  parmi  les  plus  grands  services  qu'il  aura  rendus  à  la  littérature  italienne. 
Il  débute  par  une  édition  du  texte  qui  annule  toutes  les  précédentes  :  elle  repro- 
duit le  manuscrit  du  Vatican,  et  donne  en  note  toutes  Us  variantes  des  autres  édi- 
tions, ainsi  que  toutes  les  corrections,  explications,  discussions  auxquelles  le 
texte,  fort  difficile  en  maint  endroit,  a  donné  lieu.  —  Viennent  ensuite,  sous  le 
nom  d'Appendices,  huit  petites  dissertations  que  je  n'hésite  pas  à  signaler  comme 
des  chefs-d'œuvre  en  leur  genre  :  c'est  le  bon  sens  le  plus  lumineux  appuyé  sur 
une  érudition  à  laquelle  rien  n'échappe  et  dirigé  par  une  impartialité  absolue. 
Pour  comprendre  l'utilité  de  ces  morceaux  et  le  mérite  qu'a  eu  l'auteur  à  les 
écrire,  il  faut  lire  —  car  il  les  rapporte  en  substance  —  toutes  les  hypothèses 
aventureuses,  contradictoires,  souvent  absurdes,  dont  ce  petit  poème  a  été  l'ob- 
jet :  on  ne  peut  savoir  sans  cela  de  quoi  sont  capables  en  Italie  le  patriotisme 
local  et  la  fantaisie érudite.  Je  donne  de  ces  appendices  une  analyse  malheureuse- 
ment trop  courte. 

I.  //  poeta.  Natura  délia  poesia.  —  M.  d'A.  montre  que  c'est  tout  à  fait  sans 
raison  qu'on  a  fait  de  Ciullo  (=  Vincenziullo)  un  haut  baron,  un  puissant  feu- 
dataire,  et  que  toutes  les  allusions  qu'on  a  trouvées  dans  le  poème,  à  sa  puis- 
sance^  à  sa  richesse  ou  à  celles  de  sa  belle,  sont  purement  imaginaires,  c'est-à- 
dire  qu'on  a  pris  lourdement  pour  des  réalités  des  plaisanteries  ou  des  formules 
populaires.  —  On  a  tracé  des  tableaux  fort  compliqués  des  voyages  de  Ciullo 
d'après  ces  vers  : 

Ciercat'  aio  Calabria,    Toscana  e  Lombardia, 
Pulglia,  Costantinopoli,     Gienoa,  Pisa,  Soria, 
Lamagna  e  Babilonia     e  tutta  Barberia, 
Donna  non  trovai  tanto  cortese  ; 

mais  le  savant  critique  fait  voir  que  la  poésie  populaire  italienne  emploie  encore 
constamment  des  formules  semblables,  notamment  en  Sicile.  —  La  chanson  du 
poète  d'Alcamo  (bourg  voisin  de  Palerme)  est  en  effet  imitée  de  la  poésie  popu- 

1.  Au  reste,  à  un  autre  endroit,  M.  L.  semble  comprendre  à  peu  près  de  niéiiie 
l'état  des  choses. 

2.  M.  L.  prend  (p.  31)  la  Bibliothèque  protypognipluiiiif  de  Barrois  pour  une  collec- 
tion de  livres  appartenant  à  cet  amateur  ;  il  ignore  l'existence  du  Hiiy^he  vjn  Bourdeus 
publié  dans  le  t.  jj  de  la  bibliothèque  du  Cercle  littéraire  de  Stuttgart,  etc.  —  Je 
m'étonne  qu'il  regarde  avec  Mone  Otnit  comme  dérivé  d'Odin  (')  ;  la  forme  la  plus 
ancienne  est  Ortriit  :  cf.  Ortwin,  Ortluiri,  etc. 

5.  Je  me  permettrai  d'appeler  l'attention,  A  propos  d'Ortnit  et  des  poèmes  lombards  en 
général,  sur  le  livre  récent  de  M.  Kirpitchnikof,  l'ocm'i  lombardskago  Tsiklii  (Moscou, 
1873),  ouvrage  plein  de  recherches  et  d'idées  du  plus  grand  intérêt. 


496  COMPTES-RENDUS 

laire  et  notamment  de  la  poésie  populaire  sicilienne  :  elle  appartient  à  ce  genre 
éminemment  national  de  la  dispute  poétique,  du  chant  Amébée,  que  Théocrite 
avait  déjà  trouvé  florissant  parmi  les  bergers  grecs  de  la  Trinacrie,  et  qui  ne  l'est 
pas  moins  chez  les  paysans  siciliens  de  nos  jours:  ce  genre  de  pièces  s'appelle 
contrasta,  et  M.  d'Ancona  a  très-justement  donné  ce  nom  au  poème  de  Ciullo.  Il 
rapproche  avec  un  grand  bonheur  certains  traits  du  contrasta  du  treizième  siècle 
de  traits  analogues  des  poésies  siciliennes  modernes,  parmi  lesquelles  il  s'en 
trouve  qui  offrent  avec  la  pièce  de  Ciullo  une  ressemblance  suivie.  Dans  plusieurs 
d'entre  elles,  comme  ici,  nous  avons  une  longue  lutte  de  paroles  entre  un  amou- 
reux et  sa  belle,  qui  le  rebute  d'abord  durement,  lui  annonce  tout  ce  qu'elle 
fera  pour  lui  échapper',  mais  finalement  s'avoue  vaincue  et  se  rend  à  l'amour 
(c'est,  comme  on  voit,  une  oaristys,  et  Théocrite  a  dû  trouver  son  thème  dans 
quelque  antique  contrasta)  ;  les  frères,  les  parents  jouent  dans  ces  pièces  tout  à 
fait  le  même  rôle  que  dans  la  nôtre. 

II.  Dclla  lingua  in  chc  j'u  scritto  il  contrasta.  —  Cette  dissertation  est  la  plus 
importante  de  toutes  ;  elle  résout  définitivement,  à  mon  avis,  une  question  qui 
paraît  d'ailleurs  assez  simple,  mais  qui  a  été  tellement  embrouillée  par  les  idées 
fausses,  les  préjugés,  les  méprises  de  toutes  sortes,  que  ce  n'est  pas  un  petit  mérite 
d'avoir  remis  l'ordre  et  la  lumière  dans  ce  chaos.  Il  y  a  en  réalité  deux  points 
distincts  à  examiner  :  dans  quelle  langue  ont  écrit  les  poètes  siciliens  du  treizième 
siècle  en  général.?  Dans  quelle  langue  a  écrit  en  particulier  Ciullo  d'Alcamo .?  — 
On  sait  que  les  plus  anciens  poètes  lyriques  de  l'Italie  ont  été  des  Siciliens, 
groupés  à  la  cour  des  Hohenstaufen  ;  il  est  clair  que  ces  poètes  qui,  à  l'imita- 
tion des  troubadours  et  des  Minnesinger,  essayaient  de  créer  en  langue  vulgaire 
une  poésie  courtoise,  employèrent  le  dialecte  du  pays  oi!i  ils  vivaient.  Cependant 
les  œuvres  qui  nous  sont  parvenues  sous  leur  nom  ne  diffèrent  pas  des  œuvres 
toscanes  postérieures.  On  en  a  conclu  que  dès  la  première  moitié  du  treizième 
siècle  il  y  avait  en  Italie  un  vulgaire  illustre,  une  langue  littéraire,  dans  laquelle 
ces  poètes  auraient  écrit  comme  plus  tard  les  Toscans.  Il  fallait  évidemment  tirer 
de  ce  fait  la  conclusion  inverse  :  la  brillante  culture  sicilienne  ayant  disparu  avec 
la  dynastie  souabe,  les  poésies  siciliennes  se  perdirent  dans  l'île,  où  le  mouve- 
ment littéraire  de  la  cour  des  Hohenstaufen  n'avait  été  qu'une  fugitive  et  su- 
perficielle apparition,  tandis  qu'elles  furent  en  partie  transcrites  à  Florence,  oiî 
commençait  à  s'éveiller  le  goût  de  tous  les  arts.  Seulement  les  Florentins  tosca- 
nisèrent  les  pièces  qu'ils  copiaient.  C'est  là  un  procédé  qui  est  tellement  familier 
à  tous  ceux  qui  s'occupent  des  littératures  de  la  France  ou  de  l'Allemagne  au 
moyen-âge  qu'une  seule  chose  est  surprenante,  c'est  qu'il  n'ait  pas  été  univer- 
sellement admis  pour  l'Italie.  Dante  a  beaucoup  contribué  à  répandre  l'erreur  : 
comme  pour  lui,  à  son  insu  d'ailleurs,  le  vulgaire  illustre  dont  il  voulait  établir 
l'usage  était  un  toscan  choisiz;  il  crut  que  les  poésies  des  Siciliens  avaient  été 


1.  Par  là  le  contrasta  se  rapproche  de  la  plus  jolie  variété  de  ce  genre  de  débat 
amoureux,  la  chanson  des  Métamorphoses,  si  connue  par  Magali.  Deux  menaces  de  la 
belle  de  Ciullo,  de  se  faire  nonne  et  de  se  tuer,  se  retrouvent  dans  la  plupart  des  ver- 
sions des  Métamorphoses. 

2.  Voy.  ci-dessous  l'extrait  de  l'article  de  M.  d'Ovidio  sur  le  De  vulgari  eloquio  de 
Dante  dans  l'Archivio  glottologico.  M.  d'Ovidio  exprime  sur  les  poètes  siciliens  les  mêmes 
idées  que  M.  d'A.,  et  se  réfère  à  un  cours  professé  par  lui. 


//  Contrasta  di  Ciullo  d'Alcamo,  p.  p.  d'ancona  497 

composées  dans  la  forme  où  il  les  lisait^  et  s'en  autorisa  pour  dire  que  le  vul- 
gaire illustre  était,  non  tel  ou  tel  dialecte  italien,  mais  un  type  supérieur  à  tous. 
M.  d'A.  donne  des  preuves  irrécusables   du  caractère  dialectal  que  les  poésies 
lyriques  des  Siciliens  ont  dû  avoir  à  l'origine.  Il  faut  espérer  que  la  question  est 
maintenant  vidée.  —  Mais  le  contrasta  de  Ciullo  se  présente  dans  des  conditions 
toutes  particulières  :  au   milieu   de  formes  toscanes,  il  en  offre  en  assez  grand 
nombre  de  siciliennes.  Le  savant  critique  explique  que,  la  pièce  de  Ciullo  étant 
essentiellement   populaire  et  répandue  comme  telle,  comme  spécimen  des  chan- 
sons populaires  de  la  Sicile,  on  lui  conserva,  bien  qu'impariaitement,  ce  cachet 
local,  ce  goût  de  terroir  dont  on  dépouillait  au  contraire  avec  soin  les  poésies 
courtoises  :  c'est  ainsi  que  Dante  en  cite  un  vers  (quelque  peu  toscanisé  d'ail- 
leurs) comme   échantillon  de  ce  que  pouvaient   composer  en  Sicile  les  médiocres 
terrigcnac.  On  a  répété  longtemps  que  le  contrasta  était  plein  de  formes  emprun- 
tées presque  à  toutes  les  langues   romanes  (sans  compter  le  grec  et  l'arabe)  ; 
M.  Grion,  qui  avait  d'abord  restitué  (un  peu  hardiment)  au  poème  la  forme  sici- 
lienne, s'est  repenti  d'avoir  été  une  fois  judicieux  et  a  plus  tard  découvert  dans 
ce  qu'il  s'appelle  le  sirventese  ou  le  sermontese[\)  de  Ciullo  un  mélange  voulu  de  tous 
les  dialectes  de  l'Italie;  M.  Vigo  y  a  du  moins  reconnu  l'influence  du  dialecte  de 
la  Fouille.  M.  d'A.,  patiemment,  solidement,  brièvement,  réfute  toutes  ces  fan- 
taisies :  le  dialecte  de  Ciullo  est  purement  sicilien,  mais  il  est  fort  altéré  dans  les 
deux  manuscrits  qui  nous  l'ont  transmis.  Des  formes  françaises  (la  plus   remar- 
quable est  mon   péri  =   mon  père)  n'y  sont  pas   rares  :  cela  tient  à  ce  que  la 
domination  des  Normands  avait   laissé  dans  le   parler  de  l'île  des  traces  nom- 
breuses, qui  n'y  sont  pas  encore  effacées. 

lU.  Del  métro  adoperato  da  Ciullo.  —M.  d'A.  justifie  sa  division  de  la 
strophe  en  cinq  vers  et  non  en  huit,  et  rapporte  les  opinions  émises  sur  la  cons- 
truction du  vers  de  Ciullo.  Le  sujet,  comme  il  le  remarque  d'ailleurs  lui-même, 
prêterait  à  des  observations  plus  étendues,  mais  elles  auraient  trop  dépassé  le 
cadre  d'une  notice  sur  le  contrasta. 

IV-VIII.  Dd  tempo  in  che  fu  scritto  il  contrasta  :  la  Defcnsa;  Gli  Agostari;  Bari; 
L'Imperatare  ;  //  Saladino.  —  Chacun  de  ces  titres  exprime  une  des  données 
chronologiques  contenues  dans  le  poème  et  dont  on  s'est  servi  pour  en  fi.xer  la 
date.  M.  d'A.,  les  examinant  à  son  tour  avec  autant  d  érudition  que  de  critique, 
conclut  que  le  contrasta  a  été  nécessairement  écrit  après  1 2  5 1  ;  comme  d'autre  part 
l'empereur  auquel  il  souhaite  longue  vie  ne  peut  être  que  Frédéric  II,  on  a  pour 
terminus  ad  (juem  Vannée  1250.  C'est  une  antiquité  déjà  fort  respectable,  mais 
elle  ne  suffit  pas  à  tout  le  monde  :  les  Siciliens  notamment  veulent  à  tout  prix 
faire  remonter  Ciullo  au  douzième  siècle.  M.  d'A.  montre  d'ailleurs  fort  sage- 
ment tout  ce  qu'il  y  a  d'exagéré  et  de  faux  dans  l'importance  qu'on  attache  au 
titre  plus  ou  moins  mérité  de  primo  pocta. 

En  terminant  ce  long  mémoire,  pour  lequel  on  lui  doit  tant  de  reconnais- 
sance et  où  il  a  rompu  en  visière  avec  des  préjugés  fort  répandus  autour  de  lui, 
M.  d'A.  s'exprime  ainsi  :  «  Tralti  dall'  occasione  ad  esporre  cio  che  da  più 
tempo  avevamo  pensato  e  raccolto  intorno  a  quest'  argomento,  ce  ne  togliamo 
colla  ferma  intenzione  di  non  più  ritornarvi  sopra.  Se  siamo  caduti  in  qualche 
errore  di  fatto,  saremo  grati  a  chi  vûrr.\  facernc  convinti,  comc  a  chi  rccher.i 
Romania,!!!  >~ 


49^  COMPTES-RENDUS 

in  questa  controversia  documenti  nuovi  c  sinceri  ;  ma  quanto  a  divergenze 
d'opinioni  e  a  battaglie  di  giudizj,  ci  sembra  potersi  dire  :  Claudite  jam  rivos. 
Il  lettore  illuminato  trova  qui  raccolte  ampiamente  e  ieaimente  esposte  tutte 
le  varie  sentenze  :  porti  egli  ormai  il  définitive  giudizio   suH'  argomento.  « 

G.  P. 

Ein  altladinisches  Gedicht  in  Oberengadiner  Mundart.  Herausge- 
geben,  ùbersetzt  und  erklaert  von  A.  Rochat.  Ziirich,  Schmidt,  1874,  in-8*, 
56  p. 

Ce  petit  poème  en  vingt  strophes  de  sept  vers  est  du  pasteur  J.  Gritti.  Il  fut 
composé  en  1618,  à  l'occasion  de  la  terrible  catastrophe  de  la  petite  ville  de 
Plurs  (ou  Pleurs),  engloutie  avec  tous  ses  habitants  par  la  chute  d'une  mon- 
tagne. Les  catholiques  et  les  protestants,  qui  se  partageaient  le  pays,  furent 
d'accord  pour  voir  dans  la  ruine  de  cette  nouvelle  Gomorrhe  un  châtiment  de 
Dieu  :  notre  pasteur  l'attribue  surtout  à  ce  que  le?  habitants  de  Plurs  goûtaient 
peu  la  crctta  reformaeda  (cependant  les  protestants  de  l'endroit  étaient  occupés  à 
la  prière,  comme  les  catholiques,  quand  l'éboulement  les  surprit).  —  M.  Rochat 
publie  ce  petit  poème  d'après  le  ms.  original  :  les  monuments  anciens  des  dia- 
lectes ladins  sont  trop  rares  pour  que  toutes  les  publications  de  ce  genre  ne 
soient  pas  les  bienvenues.  —  Il  le  fait  suivre  d'un  commentaire  philologique 
très-soigneux,  où  sont  surtout  relevés  les  faits  intéressant  les  voyelles  toniques, 
sur  lesquelles  l'auteur  avait  depuis  longtemps  fait  des  études  qu'il  a  çà  et  là 
complétées  à  l'aide  du  grand  travail  d'Ascoli.  — La  traduction  n'étant  pas  litté- 
rale, un  glossaire  alphabétique  aurait  été  commode. 

Chansons  hébraïco-provençales  des  Juifs  Gontadins,   réunies  et 
transcrites  par  E.  Sabatier.  Nîmes,  Catèlan,  1874,  in- 12,  22  p. 

En  parlant  ici  de  la  Chanson  du  chevreau  (Rom.  I  224)  et  des  versions  en 
patois,  à  l'usage  des  Juifs  du  Midi,  que  M.  Darmesteter  en  avait  signalées,  nous 
disions  :  «  Il  serait  curieux  de  connaître  ces  traductions  ;  peut-être  un  de  nos 
lecteurs  des  pays  de  langue  d'oc  serait-il  en  état  de  nous  les  communiquer.  » 
Ce  vœu  a  été  réalisé  par  M.  E.  Sabatier,  qui  a  publié,  dans  la  petite  brochure 
dont  on  vient  délire  le  titre,  la  version  méridionale  du  chant  Had  gadjah.  Cette 
version  est  absolument  conforme  au  texte  hébraïque  {Romania,  1.  1.),  si  ce  n'est 
que  le  chevreau  a  été  acheté  «  pero  un  escu,  dous  escu  »  au  lieu  de  «  pour 
deux  zouz.  »  M.  S.  a  ajouté  à  ce  chant  plusieurs  petites  poésies,  mélangées 
d'hébreu  et  de  provençal,  usitées  chez  les  Juifs  du  Midi  dans  certaines  cérémo- 
nies religieuses.  Il  les  a  tirées  d'un  rituel  du  XVIII«  siècle,  et  il  ajoute  qu'elles 
«  commencent  à  tomber  en  désuétude.  »  Il  signale  avec  raison  l'intérêt  que  peut 
avoir  la  transcription  en  caractères  hébraïques  employée  dans  ce  rituel  pour  la 
prononciation  du  provençal  au  siècle  dernier.  —  M.  S.  nous  donne  enfin  une 
liste  curieuse  de  premiers  vers  de  chansons  populaires  provençales  d'après  les- 
quelles se  chantaient  diverses  poésies  hébraïques  insérées  dans  le  même  rituel. — 
On  voit  que  ce  petit  opuscule  est  intéressant  à  divers  titres. 


PÉRIODIQUES. 


I.  Revue  des  Langues  Romanes,  VI,  i.  —  P.  i.  E.  Egger  :  les  Substan- 
tifs verbaux  formés  par  apocope  de  l'infinitif]  deuxième  édition,  revue,  corrigée, 
augmentée,  d'un  mémoire  bien  connu  des  philologues,  publié  pour  la  première 
fois  il  y  a  dix  ans.  —  P.  39  :  le  Mémorial  des  Nobles  (suite  et  fin).  Nous  espé- 
rons qu'on  publiera  un  jour  de  ce  précieux  cartulaire  une  édition  complète, 
revue  avec  soin  sur  le  manuscrit.  —  P.  68  :  Acte  de  procuration  ;  pièce  béarnaise 
de  1409,  publiée  par  M.  Alart.  —  P.  70  :  le  Cérémonial  des  consuls,  document 
du  XV^ siècle,  en  français,  publié  par  M.  Alart;  peu  intéressant,  au  moins  comme 
texte  de  langue.  —  [P.  94,  Chabaneau  :  du  z  final  en  français  et  en  langue  d'oc  (fin). 
On  trouve  dans  ce  travail  la  bonne  méthode  et  la  pénétration  qui  distinguent  l'au- 
teur. Il  me  fait  sur  plusieurs  points  des  critiques  qui,  en  général,  paraissent  fondées. 
Sur  Iz  pour  Ihs,  phénomène  qui  n'est  pas  encore  absolument  éclairci,  je  m'étonne 
que  M.  Ch.  ne  renvoie  pas  à  la  note  publiée  ici  par  M.  Schuchardt  {Romania  III, 
285).  Je  ne  trouve  pas  les  raisons  alléguées  pour  tirer  z  de  ti  {tuz  toti)  tout-à- 
fait  suffisantes.  C'est  par  inadvertance  que  M.  Ch.  traduit,  dans  l'ancienne  imi- 
tation du  Canti(jue  des  Cantiques,  Icuz  par  Hliunt  :  c'est  simplement  locus.  L'au- 
teur s'est  borné  à  la  partie  étymologique  du  sujet,  et  n'a  pas  suivi  l'histoire  du 
z  final  passé  le  milieu  du  XII^  siècle  ;  mais  son  étude  fournit  une  base  solide  à 
ceux  qui  voudront  la  continuer.  —  G.  P.]  —  P.  103-134,  Fesquet  :  Pro- 
verbes et  dictons  recueillis  à  Colognac  (arr.  du  Vigan,  Gard)  ;  intéressant 
recueil.  Ces  proverbes  sont  numérotés,  ce  qui  est  d'un  grand  avantage 
pour  les  citations.  L'auteur  a  fait  effort  pour  classer  méthodiquement  les 
faits  du  dialecte  auquel  appartiennent  les  proverbes  qu'il  a  rassemblés  :  il 
ne  s'est  pas  gardé  de  certaines  petites  erreurs  qu'il  serait  trop  long  de 
relever,  et  qui,  du  reste,  ne  tirent  point  à  conséquence.  Parmi  ces  proverbes, 
dont  beaucoup  sont  relatifs  au  temps  et  aux  saisons,  il  s'en  trouve  un  qui  se 
rapporte  aux  jours  d'emprunt  ou  de  la  vieille  (ci-dessus,  p.  -94).  M.  Fesquet 
indique  à  ce  propos,  en  note,  quelques  témoignages  qui  m'avaient  échappé.  Ce  ne 
sont  pas  les  seuls.  En  voici  un  autre  que  je  viens  de  retrouver.  Dans  le  Recueil 
des  proverbes  météorologiques  et  agronomiques  des  Cévennois..,  par  M.  L.  A.  D.  F. 
{Annales  de  l'agriculture  française,  2"  série,  t.  XIX,  1822),  je  lis  sous  le  n*  15: 
Aco  soun  bus  vacheirious,  Quatre  de  mars  e  très  d'abriou.  M.  Fesquet  a  pris  la 
peine  de  signaler  en  note,  d'après  divers  recueils  méridionaux,  d'autres  leçons 
des  proverbes  qu'il  a  recueillis  à  Colognac.  Le  Livre  des  proverbes  français  de  Le 
Roux  de  Lincy  lui  aurait  fourni  l'occasion  de  nouveaux  rapprochements.  Ainsi 
les  prov.  VI  et  VII  se  retrouvent  dans  Le  Roux  de  Lincy,  I,  p.  109;  de  même 
X  =  Le  Roux,  I,  124,  125  ;  XLl  =^  Le  Roux,  I,  219;  LXXI  (Besounh  fo  la 
vielho  troutà)    =  Le  Roux,  II,  247  et  486;  c'est  un  prov.  bien  ancien  en  fran- 


500  pÉRiODiQ^!r-:s 

çais,  et  qui  existe  aussi  en  anglais;  voir  mes  Rapports,  l,  174  ;  prov.  CV  =  Le 
Roux,  I,  162,  etc.  —  P.  168.  Epigraphk  romane  (suite;.  Il  nous  semble  que 
le  terme  épigraphie  est  ici  mal  appliqué.  Les  pièces  dont  il  s'agit,  qui  sont  très- 
modernes  et  d'une  valeur  souvent  contestable,  ont  à  la  vérité  été  gravées  ou 
écrites  sur  la  pierre,  mais  ordinairement  elles  ne  ressemblent  à  une  inscription 
par  aucun  caractère  intrinsèque.  —  P.  171.  Chabaneau,  Grammaire  limousine 
(suite).  Deux  menues  observations  :  il  ne  faut  pas  dire  (p.  172),  Amanieu  des 
Escas,  mais  de  Sescas,  voy.  Romania,  I,  384.  Les  poésies  contenues  dans  le  ms. 
lat.  1 139,  provenant  de  Saint-Martial  de  Limoges,  ne  sont  pas  du  XI*  siècle, 
mais  du  XII",  ou  du  moins  il  n'y  a  aucune  raison  pour  les  croire  plus  anciennes. 
Je  suis  étonné  de  voir  un  homme  aussi  attentif  que  M.  Chabaneau  tomber  dans 
cette  erreur  (p.  184)  que  j'ai  relevée  un  grand  nombre  de  fois,  et  dans  la 
publication  même  d'après  laquelle  il  cite  les  poésies  en  question  '.  Nous  n'atten- 
dons que  la  fin  de  cette  excellente  grammaire  pour  en  rendre  compte  avec  tout 
le  soin  qu'elle  mérite.  —  P.  206.  Noulet,  Histoire  littéraire  des  patois  du  Midi  de 
la  France  au  XVIII'  siècle.  Travail  exécuté  avec  beaucoup  de  goût  et  de  mesure.  — 
P.  244.  Atger,  Poésies  populaires  recueillies  en  Languedoc,  petite  collection 
intéressante,  oià  nous  remarquerons  une  variante  de  la  Porcheronne  (voy.  Roma- 
nia, \,  3  54),  et  une  autre  de  la  chanson  si  répandue  de  l'Escrivoto.  La  chanson 
du  Galant  est  bien  connue  aussi  dans  la  France  du  Nord  et  donnerait  lieu  à 
des  remarques  curieuses;  notons  seulement  qu'une  version  à  peu  près  pareille  à 
celle-ci,  recueillie  par  Fr.  Mistral  et  écrite  sous  sa  dictée,  a  été  donnée  dans  le 
Pèlerinage  de  Mireille,  par  A.  Lexandre  (Paris,  1864),  p.  170.  —  P.  278. 
P.  Glaize,  Le  centenaire  de  Pétrarque,  relation  en  style  coloré.  —  Bibliographie. 
Compte-rendu,  par  M.  Chabaneau,  de  ma  notice  sur  Guillaume  de  la  Barre 
(1868)  et  de  l'Etude  consacrée  à  cette  notice  par  M.  Noulet  (voy.  Romania,  II, 
274).  Diverses  observations  judicieuses.  M.  Ch.  conteste  avec  raison  l'interpré- 
tation du  mot  azempriu  proposée  par  M.  Noulet,  et  en  revient  à  la  mienne, 
qu'il  justifie  en  rattachant  ce  mot  à  adimperare.  J'en  sais  maintenant  beaucoup 
plus  long  sur  azempriu  et  azemprar  qu'en  1868,  mais  la  place  me  fait  défaut  dans 
ce  n°  pour  rapporter  les  nombreux  exemples  que  j'ai  recueillis  de  ces  mots.  Ce 
sera  l'objet  d'une  prochaine  note  dans  nos  Mélanges.  M.  Ch.  constate  en  limou- 
sin le  passage  de  g  spirant  à  d,  que  j'ai  relevé  dans  Guillaume  de  la  Barre  (p.  ex. 
ditar,  dinolh  pour  gitar,  ginolh).  J'en  trouve  un  autre  exemple  dans  la  Chanson 
de  la  croisade  contre  les  Albigeois,  v.  5865,  oij  le  ms.  porte  fort  lisiblement 
adenolha,  que  Fauriel  a  corrigé  (sans  en  avertir,  selon  son  habitude)  en  agenolha. 
L'explication  que  donne  M.  Ch.  des  mots  solas  am  luy  (pour  am  lieu,  en  liège)  et 
solas  de  vaca  dans  mes  Derniers  troubadours,  p.  119,  me  paraît  très-satisfaisante, 
ou,  à  tout  le  moins,  beaucoup  plus  probable  que  celle  à  laquelle  je  m'étais  résigné. 
—  Compte-rendu  par  M.  Roques  Ferrier  des  Anciens  proverbes  basques  et  gascons 
recueillis  par  Voltaire,  et  remis  au  jour  par  G.  Brunet,  et  des  Chansons  hébraico- 
provençales  des  Juifs  contadins,  publiées  par  M.  Sabatier.  — P.  3 17.  La  Bibliothèque 
de  Tours  et  ses  manuscrits.  Nous  croyons  que  l'auteur  de  cette  notice  (M.  Dorange, 
bibliothécaire  de  Tours?)  exagère  quelque  peu  les  dangers  que  la  Bibliothèque  de 

I.  Anciennes  poésies  religieuses  en   langue  d'oc,  p.  6;  cf.  Revue  critique,  1868,  t.  11, 
p.  20,  etc. 


PÉRIODIQUES  501 

Tours  aurait  courus  pendant  l'invasion.  Ce  n'est  pas  du  reste  la  première  fois  qu'on 
nous  fait  part  de  ces  dangers  et  de  la  sollicitude  du  bibliothécaire  pour  le  dépôt 
confié  à  sa  garde'.  Nous  sommes  obligés  de  dire  que  l'assertion  de  la  p.  519, 
relative  à  la  Bibliothèque  de  Montbéliard,  est  fausse.  —  Périodiques.  Le  compte- 
rendu  du  n°  10  de  la  Romania  consiste  uniquement  en  une  note  dans  laquelle 
M.  Alart  maintient  le  sens  qu'il  a  attribué  au  mol  exaugar  {d.  ci-dessus,  p.  313), 
en  quoi  il  peut  avoir  raison,  et  propose  pour  étymologie  soit  exhaurirc,  soit 
exsiccare,  en  quoi  il  a  tort.  Nous  préférerions  en  tout  cas  exaquarc. 

P.  M. 

II.  RrviSTA  ])i  FiLOLOGiA  ROMANZA,  I,  4  2.  —  P.  207-225,  Canello  :  il 
Vocalismo  tonico  italiano  ;  travail  fait  avec  soin  et  méthode,  et  qui  n'est  pas  sans 
contenir  des  choses  neuves  ;  ce  premier  article  est  consacré  tout  entier  à  1'/,  par 
lequel  l'auteur  commence,  sans  nous  dire  pourquoi  il  a  choisi  cet  ordre  inusité. 

—  P.  226-234,  P.  Rajna  :  contrastare,  contastare  ;  l'auteur  rattache  l'une  et 
l'autre  forme  au  lat.  contestari.  —  P.  235-270,  E.  Monaci  :  Uffizl  drammalicl  dei 
Disciplinati  dcll'  Umbria  ;  commencement  d'une  publication  faite  avec  beaucoup 
de  soin  d'après  trois  manuscrits,  et  précédée  d'une  intéressante  étude  sur  les 
origines  du  théâtre  italien. 

III.  Jahrbuch  fur  romaxische  Literatuu,  N.F.,II,i  . — P.;-3 1,  R.  Kœhler, 
les  exemples  de  Cirait  de  Roussillon  ;  il  s'agit  du  poème  du  XIV<=  siècle  publié 
par  M.  Mignard  ;  M.  K.  y  relève,  avec  son  érudition  habituelle,  un  grand 
nombre  de  petits  contes  pieux  ou  moraux,  intercalés  dans  le  récit,  et  qu'il 
ramène  à  leur  source  immédiate,  qui  lui  paraît  être  Vincent  de  Beauvais,  et  à 
leurs  sources  plus  éloignées.  11  faut  toutefois  remarquer  que  le  poème  français 
est  en  grande  partie  traduit  du  latin,  et  que  le  travail  de  comparaison  aurait  été 
plus  complet  si  M.  K.  avait  connu  la  légende  latine.  Nous  reviendrons  sur  ce  sujet. 

—  P.  32-41,  C.  Horstmann,  les  Légendes  de  S.Dunstan  et  S. Christophe, en  anglais, 
d'après  le  ms.  Laud  108.  —  P.  42-62,  Schmid  :  le  Faust  de  Marlowe  et  son 
rapport  avec  les  livres  anglais  et  allemands  de  Faust. — P.  65-80,  A.  Morel-Fatio: 
Poésies  burlesques  et  satiriques  inédites  de  Diego  Hurtado  de  Mendoza,  d'après  le  ms. 
de  la  B.  N.  Esp.  258;  publication  curieuse,  qui  n'est  que  commencée  ici.  — 
P._  81-105,  Bœddeker  :  Chansons  et  ballades  anglaises  du  XVl^  siècle,  d'après  un 
ms.  du  British  Muséum.  —  P.  101-118,  Comptes-rendus  :  Papanti,  Catalogo 
di  Novellun  in  prosa  (L.);  Meyer,  Recueil  d'anciens  textes  (K.  Bartsch)  ;  Péri- 
odiques {Romania;  Rivista  di  filologia  romanza). 

IV.  Archivio  Glottologico  italiano.  II,  1.  —  p.  1-58,  Flechia,  Postilk 
etimologiche,  observations  pleines  d'érudition  et  de  critique  sur  le  Glossaire 
modcnais  de  G.  Galvani.  —  P.  59-1  10,  D'Ovidio,  Sul  de  vulgari  eloquentia  <// 
Dante]  l'auteur  examine  l'ouvrage  de  Dante  au  point  de  vue  linguistique,  appré- 
cie très-sainement  les  idées  sous  l'empire  desquelles  il  juge  et  caractérise  les 
différents  dialectes   italiens,  et  démontre  qu'en  croyant  parler  d'un  «  vulgaire 

1.  Voy.  par  ex.  le  Petit  Moniteur  du  28  avril  1872. 

2.  Le  fascicule  n'est  pas  complet  ;  la  suite  est  promise  prochainement. 


502  PÉRIODIQUES 

illustre,  »  Dante  ne  parle  en  réalité  que  d'un  usage  choisi  du  dialecte  florentin. 

—  P.  1 1  1-160,  Ascoli,  Del  poslo  che  spetta  al  genovese  ntl  sislema  da  diatetti 
italiani;  avec  cette  méthode  rigoureuse  qu'il  manie  si  bien,  l'auteur  s'efforce  de 
démontrer,  surtout  par  une  phonologie  comparée  du  génois  et  du  piémontais, 
que  le  premier  de  ces  dialectes  n'est  pas,  comme  le  dit  Diez,  intermédiaire  entre 
les  dialectes  de  la  Basse-Italie,  notamment  de  la  Sardaigne,  et  ceux  de  la  Haute- 
Italie,  mais  qu'il  appartient,  tout  en  ayant  quelques  traits  en  propre,  au  groupe 
gallo-italique;  en  passant,  M.  A.  nous  donne  une  phonétique  succincte,  mais 
suffisante  et  très-précieuse,  du  sarde  central  et  du  sicilien. 

II,  2.  —  P.  161-312.  Poésie  genovesi  dclla  fine  del  S.  XIII  e  del  pnnctpio 
dcl  XIV,  édite  ed  illustrate  da  N.  Lagomaggiore.  Ce  fascicule  ne  contient  que  les 
textes  ;  nous  en  reparlerons  en  rendant  compte  de  la  livraison  suivante. 

V.  The  EducationalReview  of  the  french  languageand  literature,  IV. 

—  P.  5-17,  G.  Masson ,  French  mediaeval  romances  (suite).  —  P.  17-24, 
Th.  Karcher^  analyse  d'une  leçon  de  M.  Cassai  sur  les  homonymes  français. 

VI.  Bibliothèque  de  l'École  des  Chartes,  XXXV,  3. —  P.  217-248,  N. 

de  Wailly,  Mémoire  sur  le  ramant  ou  chronicjue  en  langue  vulgaire,  dont  Joinville  a 
reproduit  plusieurs  passages.  Ce  très-intéressant  mémoire  se  rattache  à  celui  de 
M.  Viollet  contenu  dans  le  n"  précédent  (voy.  Romania  III,  429).  Dans  la  pre- 
mière partie,  M.  de  W.  étudie  le  ms.  2615,  signalé  par  M.  Viollet,  et  en 
montre  l'importance  pour  l'histoire  de  l'historiographie  à  Saint-Denis.  Dans  la 
seconde,  il  défend  contre  M.  Viollet  l'authenticité  des,  passages  des  Enseignements 
de  Saint  Louis  qui,  manquant  à  la  fois  dans  le  texte  étendu  et  dans  l'abrégé  de 
Geoffroi  de  Beaulieu,  ne  se  trouvent  que  dans  la  version  des  Chroniques  de 
S.  Denis  (empruntée  par  Joinville),  version  qui  est  d'ailleurs  tirée  de  l'abrégé  de 
Geoffroi  de  Beaulieu.  M.  de  W.  soutient  cette  authenticité,  parce  qu'il  ne  lui 
paraît  pas  admissible  qu'une  fraude  ait  été  commise  à  Saint-Denis,  avant 
1297,  dans  un  texte  si  récent,  si  vénérable,  et  qu'on  pouvait  si  bien  con- 
naître, quand  d'ailleurs  il  est  impossible  de  trouver  à  cette  fraude  un  motif  et  un 
but.  Il  présente  alors  deux  hypothèses  pour  expliquer  comment  des  passages 
authentiques,  absents  du  texte  officiel  et  de  l'abrégé  qu'en  a  fait  Beaulieu,  peuvent 
se  trouver  dans  une  version  tirée  de  cet  abrégé  ;  mais  il  n'est  pas  pleinement 
satisfait  des  explications  qu'il  donne,  car  il  ajoute  :  «  S'il  s'en  présente  d'autres 
qui  scient  meilleures,  je  suis  prêt  à  les  accepter,  pourvu  qu'elles  se  concilient 
avec  ma  conclusion  principale,  qui  est  de  repousser  absolument  l'hypothèse 
d'une  interpolation  frauduleuse.  »  Peut-être  l'éminent  critique  grossit-il  à  ses 
propres  yeux  la  difficulté,  en  qualifiant  de  «  fraude  «  et  «  d'interpolation  frau- 
duleuse, »  le  fait,  pour  le  rédacteur  des  Chroniques,  d'avoir  introduit  quel- 
ques phrases  dans  le  texte  qu'il  copiait  :  nul  ne  sait  mieux  que  lui  que  les  scru- 
pules modernes,  en  fait  d'intégrité  des  textes,  n'existaient  guère  au  moyen-âge. 
M.  de  W.  n'acceplerait-il  pas  l'hypothèse  d'additions  faites  à  Saint-Denis  à 
l'abrégé  de  Beaulieu,  si  on  ajoutait  que  les  idées  prêtées  au  roi  par  ces  addi- 
tions étaient  réellement  les  siennes,  qu'il  les  avait  exprimées  (ce  qui  paraît  bien 
assuré  pour  ce  qui  concerne  les  bonnes  villes),  qu'une  tradition  sincère,  directe 


PÉRIODIQUES  505 

peut-être,  ies  avait  conservées  dans  l'abbaye,  seulement  qu'elles  ne  faisaient  pas 
partie  du  texte  des  Enseignements,  et  ne  doivent  figurer  en  tout  cas  dans  ce 
morceau  qu'à  titre  de  gloses  marginales  ?  Cette  explication  simple  me  paraît  de 
nature  à  concilier  les  deux  savants  et  courtois  adversaires;  il  est  cependant  fort 
possible  qu'ils  ne  l'acceptent  ni  l'un  ni  l'autre.  — P.  256-265,  Charte  sarde  écrite 
en  caractères  grecs;  texte  par  Wescher,  notice  par  Blancard,  fac-simile  par 
Pilinski.  Nous  reviendrons  sur  cet  important  document,  qui  sera  dans  la  Bibl. 
de  l'Éc.  des  Ch.  l'objet  d'une  notice  philologique.  —  Bibliographie  :  Marty- 
Laveaux,  Cours  historiques  de  langue  française  iLéopold  Pannier)  ;  Bonnardot, 
Chartes  françaises  de  Lorraine  (L.  P.). 

XXXV,  4.  —  Mélanges,  p.  43  5-6  :  les  Manuscrits  de  Froissart  de  lord  Mostyn; 
notice  de  ces  deux  mss.  extraite  du  Catalogue  des  manuscrits  historiques,  publié  par 
la  Commission  officielle  (anglaise).  G.  P. 

VII.  Zeitschrift  fur  deutsches  Alterthum,  N.  F.,  VI,  i.  —  P.  1-9, 
K.  Mûllenhoff.  ûber  Reinhart  Fuchs.  Ce  court  et  substantiel  article  est  d'une 
grande  importance  pour  nous  :  M.  M.  abandonne  définitivement  la  théorie  sou- 
tenue par  J.  Grimm  avec  tant  de  science  et  de  passion  sur  l'origine  des  romans 
de  Rcnart,  et  accepte  à  peu  près  complètement  le  système  qu'a  exposé 
M.  P.  Paris.  Qu'on  en  juge  :  d'après  l'éminent  critique,  la  théorie  d'une 
«  épopée  animale  >■>  primitive,  commune  aux  peuples  germaniques,  est  insoute- 
nable ;  les  fables  où  Grimm  a  cru  en  reconnaître  des  vestiges  proviennent  de 
l'antiquité;  «  l'épopée  animale  n'est  pas  sortie  d'une  ancienne  tradition  populaire, 
mais  est  un  produit  de  la  poésie  des  clercs;  »  les  noms  des  héros  n'ont  pas  le 
sens  que  leur  attribuait  Grimm  ;  ce  sont  des  noms  propres  devenus  français,  et 
c'est  du  nord  de  la  France  qu'ils  ont  passé  dans  les  autres  pays.  Il  ne  reste  qu'un 
point  sur  lequel  M.  M.  ne  se  prononce  pas  :  c'est  l'hypothèse  de  la  fabrication 
postérieure  de  la  seconde  partie  du  Rcinaert  flamand,  hypothèse  contre  laquelle 
Grimm  n'avait  pas  assez  d'indignation  (voy.  Kl.  Schr.  V,  p.  463)  ;  mais  M.  Martin, 
le  dernier  éditeur  de  Reinaert,  l'accepte  sans  hésitation  fp.  XXXVII),  de  même 
qu'il  se  range  en  général  au  système  de  M.  Mûllenhoff.  On  ne  peut  que  féliciter 
la  science  allemande  d'avoir  renoncé  à  une  théorie  édifiée  par  l'imagination  et 
soutenue  par  le  patriotisme.  —  P.  58-70,  Poésies  de  Naso,  publiées  par 
E.  Dùmmler,  d'après  un  ms.  du  British  Muséum.  Ces  poésies  composées, 
comme  le  montre  l'éditeur,  entre  804  et  814,  ajoutent  aux  noms  fictifs  de 
l'académie  palatine  celui  de  Nason,  c'est-à-dire  Ovide  ;  peut-être  le  personnage 
qui  s'appelait  ainsi  est-il  Modoïn,  plus  tard  évcque  d'Autun.  Les  poésies  en 
elles-mêmes,  consacrées  à  la  gloire  de  Charlemagne,  ne  sont  pas  sans  mérite.  — 
P.  124-136,  Ganymcdes  et  Helena,  poème  en  quatrains  latins  rhythmiques,  sur  le 
même  thème  que  les  Amores  attribués  à  Lucien,  extrêmement  curieux  pour  la 
connaissance  des  mœurs  du  monde  des  écoles  au  XII"^  siècle  ;  aussi  doit-on  savoir 
gré  à  M.  Wattcnbach  de  l'avoir  publié  (d'après  deux  mss.  de  Rome  et  un  de 
Berlin)  malgré  ce  que  le  sujet  a  de  répugnant.  Il  serait  très-intéressant  de  savoir 
si  ce  poème  a  servi  de  modèle  au  De  Planctu  Nature  qui  a  le  même  sujet,  ou  si 
au  contraire  c'est  le  poète  rhythmique  qui  a  imité  Alain  de  Lille  1  cette  seconde 
hypothèse   me   paraît  plus  vraisemblable  :  ainsi  le  vers  VIII  3  n'a  de  sens  que 


^04  PÉRIODIQUES 

par  une  allusion  grammaticale  qui  est  plusieurs  fois  répétée  dans  le  De  Planclu). 

G.  P. 

VIII.  MlOMOinES  DE  LA   SOCIKTÉ  ACADEMIQUE  DE  MAlNE-ET-LoinE.  T.  XXVII 

(Lettres  et  Arts).  — P.  205-J12,  A.  Loiseau.  Progrès  delà  Grammaire  en  France 
depuis  la  Renaissance  jusqu'à  nos  jours.  Ce  mémoire  déjà  long  s'annonce  comme 
n'étant  que  la  première  partie  d'un  ouvrage  considérable  :  mais  il  faut  espérer 
que  la  Société  académique  d'Angers  ne  prêtera  pas  son  assistance  à  la  conti- 
nuation d'une  œuvre  dénuée  de  toute  valeur.  L'auteur  parle  de  grammaire  sans 
comprendre  les  questions  qu'il  traite,  à  plus  forte  raison  sans  être  en  état 
de  démêler  les  points  intéressants  des  livres  qu'il  analyse.  Il  se  lance  sans  hésita- 
tion dans  des  domaines  où  il  est  complètement  étranger,  comme  l'onomastique 
allemande  (voy.  les  étymologies  bouffonnes  des  pp.  273  ss.).  Il  affecte  une  éru- 
dition qui  lui  fait  défaut  et  ne  craint  pas  de  citer  des  ouvrages  qui  n'ont  jamais 
été  imprimés  (p.  305  :  «  Paul  Meyer,  Thèse  de  l'Ecole  des  chartes,  d'après 
l'étude  des  textes  latins  aux  temps  mérovingiens,  i86o  »).  Il  ne  connaît  même 
pas  les  éléments  de  la  grammaire  comparée,  car  il  soutient  encore  (p.  297)  que 
«  le  grec  n'a  admis  le  duel  qu'à  une  époque  assez  avancée  de  son  existence  ». 
On  jugera  de  sa  critique  et  de  son  instruction  par  l'explication  qu'il  donne  de 
l'x  qui  termine  nos  pluriels  en  aux  et  eux:  après  avoir  raillé  Ménage,  dont  l'expli- 
cation contient  cependant  une  parcelle  de  vérité,  M.  L.  ajoute  :  «  Nous  aimons 
mieux  voir  là  l'influence  du  patois  champenois  sur  la  langue  littéraire.  Effectivement, 
en  Champagne,  les  paysans,  aujourd'hui  encore,  disent  deusse  pour  deux,  chc 
eusse  pour  chez  eux  ;  comme  au  XVI<^  siècle,  grâce  à  la  présence  des  Italiens  à  la 
cour,  on  prononçait  Massime,  Alessandre,  l'x  pour  1'^  ne  proviendrait-il  pas  tout 
simplement  de  la  confusion  de  cette  lettre  double  avec  \'s  (p.  300)?  »  Ce  qui 
est  particulièrement  plaisant,  c'est  de  voir  de  quel  ton  M.  L.  reprend  les  autres, 
de  quelle  hauteur  il  traite  nos  plus  grands  écrivains.  Bossuet  ayant  écrit  une 
phrase  parfaitement  correcte  suivant  l'usage  de  son  temps,  qui  n'a  d'autre 
défaut  que  d'être  suranné  aujourd'hui,  M.  L.  (p.  260)  s'écrie  :  «  Voilà  ce  que 
produisait,  même  dans  les  ouvrages  les  mieux  écrits,  l'ignorance  prolongée  des 
saines  doctrines  grammaticales!  » —  Il  est  à  regretter  que  nos  Sociétés  savantes 
de  province  accueillent  des  productions  aussi  faibles.  G.  P. 

IX.  Revue  Critique  d'Histoire  et  de  Littérature,  juillet-septembre.  — 
113,  Laubert,  Esquisse  des  progrès  de  la  philologie  sur  le  terrain  de  la  langue 

française  (M.  B.).  —  15^,  Papanti,  Dante  suivant  la  légende  (G.  P.).  --    167, 
Pamphile  ou  VArt  d'être  aimé,  p.p.  Baudouin  (G.  P.). 

X.  The  Acâdemy,  n"  118  (8  août).  — Joret,  du  c  dans  les  langues  romanes, 
compte-rendu  de  M.  H.  Nicol,  qui  contient  beaucoup  de  critiques,  justes  en 
partie,  mais  en  partie  émises  un  peu  hâtivement. 

XI.  Saturdav  Review,  n"  987  (26  sept.).  —  P.  410-41 1,  Romania  ;  long 
et  très  bienveillant  article  sur  notre  recueil  (fasc.  i-io),  dont  nous  remercions 
vivement  l'auteur  (M.  Ralston,  si  connu  par  ses  excellents  livres  sur  la  littéra- 
ture populaire  russej.   M.  R.   analyse  surtout  l'article  par  lequel   s'est  ouvert 


PÉRIODIQUES  505 

la  Romania  ;  il  observe  que  l'auteur  de  cet  article  «  n'aborde  pas  la  question 
souvent  agitée  du  rapport  du  nom  walh  ou  walah  avec  le  sanscrit  mleccha.  »  Nous 
avons  annoncé,  dans  cet  article  même,  un  travail  spécial  sur  le  mot  walah  ;  dès 
à  présent  nous  pouvons  dire  qu'il  n'y  a  pour  nous  aucune  connexité  entre  le  mot 
allemand  et  le  mot  indien. 

XII.  LiTERARiscHES  Centralrlatt,  juillct-septembre.  —  N"  34,  Zupitza, 
zur  Literaturgeschichte  des  Guy  von  Wanvick. 

XIII.GoETTiNGER  Gelehrte  Anzeigen,  1874,  n°  3  3  (19  août).  —  P.  1029- 
1050,  Rickars  II  hiaus,  p.  p.  Fœrster.  Je  reparlerai  de  cet  important  article  de 
M.  Ad.  Tobler  en  rendant  compte  à  mon  tour  de  la  publication  de  M.  Fœrster, 
que  le  critique  de  Berlin  apprécie  très-favorablement.  Je  relèverai  seulement 
aujourd'hui  quelques  observations  d'une  portée  générale.  —  L'ê  de  l'art,  féminin 
rég.  picard  le  peut-il  s'élider  devant  une  consonne  ?  il  est  sûr  qu'on  dit  ordi- 
nairement de  k  cose  et  del  castel,  mais  peut-on  dire  dcl  cose?  J'en  doute,  comme 
je  l'ai  déjà  dit  ici  (Romania,  II,  4);  M.  T.  en  cite  quelques  exemples  qui  parais- 
sent assurés,  mais  qui  auraient  cependant  besoin  d'être  contrôlés  avec  rigueur: 
dans  Richart  même  il  est  facile  au  v.  1846  de  changer  n«/ en  w,  et  il  ne  reste  ainsi 
qu'un  exemple  (v.  501),  ce  qui  est  bien  peu.  Il  me  semble  que  si  ce  procédé  avait 
été  en  usage,  il  serait  employé  très-fréquemment  ;  en  outre  il  se  concilie  mal  avec 
l'usage  du  pays,  qui  a  conservé  les  noms  propres  Delepierre  Delebergue,e\.c.;  Delpierrc, 
Delbergue sont  modernes.  — Le  pronom  /i,  datif  deilelc,  peut-il  élider son  /devant 
une  voyelle  (p.  ex.  //  l'aporta  une  lance)  ?  Je  l'ai  dit  dans  V Alexis  par  une 
distraction  que  relève  M.  T.  ;  je  crois  qu'il  a  raison  de  repousser  cette  élision. 
—  M.  T.  sépare  résolument  le  mot  seri,  «  doux,  calme,  suave,  »  du  lat.  serenus, 
auquel  on  l'a  toujours  rapporté:  je  suis  depuis  longtemps  d'avis  que  cette  étymo- 
logie  est  en  effet  insoutenable;  mais  celle  qu'il  propose,  secretus,  me  paraît 
offrir  de  grandes  difficultés  :  comme  il  promet  de  revenir  sur  ce  point,  il  faut 
attendre  sa  démonstration.  —  Le  mot  renais  [Richart,  v.  5428)  lui  paraît  très-dou- 
teux, car  la  forme  du  régime  renoit  (voy.  le  Dict.  de  Cachet)  empêche  de  le 
rattacher  à  renegare;  aussi  le  considère-t-il,  avec  M.  Scheler  (Dict.  Et.  s.  v. 
revéche),  comme  une  faute  de  lecture  pour  revois,  nom.  de  revoit,  provenant  de 
revictus;  il  s'appuie  sur  un  passage  de  Villehardouin  où  revoiz  a  certainement 
le  sens  de  «  convaincu  »  ;  il  aurait  pu  y  joindre  le  mot  revit,  dont  le  sens  est 
encore  plus  clair,  dans  Girart  de  Rossilho  (voy.  Bartsch,  Chrest.  prov.^,  32,  35). 
Il  reste  encore  cependant  quelques  doutes,  tant  sur  l'existence  d'un  adj.  ravis 
que  sur  l'impossibilité  de  rattacher  renoit  à  renegare  (renegitus  pour  renegatusf). 
C'est  une  question  que  résoudra  un  examen  minutieux  des  textes. 

G.  P. 


CHRONIQUE 


Cours  intéressant  la  philologie  romane  pendant  le  semestre  d'hiver  1874-75. 

Paris.  Collège  de  France.  G.  Paris  :  les  Contes  orientaux  dans  la  littérature  fran- 
çaise du  moyen  âge  (i  h.);  explication  de  textes  (i  h.). 

École  pratique  des  Hautes-Études.  Première  année  :  G.  Paris,  exer- 
cices pratiques  (i  h.  1/2);  —  A.  Darmesteter,  Grammaire  des  langues 
romanes  :  introduction  et  lexicologie  (i  h.  1/2). 

Deuxième  année.  G.  Paris:  Études  critiques  sur  le  Fierabras  (1  h.  1/2);  — 

A.  Darmesteter^  Grammaire  des  langues  romanes  :  morphologie  et 
syntaxe  (i  h.  1/2), 

École  des  chartes.  P.  Meyer  :  Grammaire  comparée  de  l'ancien  français 

et  du  provençal;  explications  de  textes  (2  leçons). 

Neuchâtel.  Ayer  :  Grammaire  historique  de  la  langue  française  (phonologie)  ; 
lecture  et  interprétation  étymologique  de  textes. 

Genève.  Ritter  :  Origine  de  la  langue  française;  Grammaire  historique;  la 
langue  française  au  moyen-âge. 

Strasbourg.  Bœhmer  :  Grammaire  comparée  des  langues  romanes;  Rhétoro- 
man  ;  exercices  pratiques. 

Leipzig.  Ebert  :  Introduction  à  l'étude  comparée  des  langues  romanes  ;  Gram- 
maire provençale  et  explication  de  la  Chrestomathie  provençale  de  Bartsch. 

Gœttingen.  Muller  :  Histoire  du  drame  français;  exercices  d'ancien  français 
d'après  la  Chrestomathie  française  de  Bartsch. 

Zurich.  Suchier  :  Premiers  monuments  de  la  langue  française;  métrique  fran- 
çaise; exercices  pratiques. 

Heidelberg.  Bartsch  :  Grammaire  provençale  ;  exercices  pratiques  d'ancien 
français. 

Berlin.  Tobler:  Grammaire  française;  morceaux  choisis  provençaux;  exercices 
pratiques. 

Académie  de  philologie  moderne.    Herrig  :    introduction    à    la    philologie 

moderne  ;  —  Mahn  :  grammaire  provençale;  poésies  lyriques  et  épiques 
provençales  ;  Girart  de  Rossilho  ;  grammaire  italienne  ;  —  Lucking  :  phoné- 
tique historique  du  français  ;  —  Goldbeck  :  formation  des  mots  en 
français  ;  —  Benecke  :  prononciation  française  éclaircie  par  l'histoire  et 
la  physiologie;  —  Scholle  :  Introduction  à  l'étude  de  l'ancien  français, 
avec  explications  d'après  la  Chrestomathie  de  Bartsch  ;  —  Bucholtz  : 
syntaxe  italienne  ;  le  Purgatoire  de  Dante. 

Munich.  Hofmann  :  Explications  romanes  (anc.  franc.,  prov.,  cat.  et  anc.  esp.); 
exercices  pratiques  {Mcraugis^  Tristan,  Girart  de  Rossilho). 


CHRONIQUE  507 

Breslau.  Grœber:  Histoire  de  la  littérature  française  au  moyen  âge;  grammaire 
provençale;  exercices  pratiques. 

Rostock.  Bechstein  :  Explication  de  morceaux  choisis  dans  la  Chrestomathie 
française  de  Bartsch. 

LiNONER,  pr.  doc.  :  Grammaire  historique  de  la  langue  française. 

Bonn,  DiEz  :  Histoire  des  langues  romanes. 

Delius  :  Vie  et  œuvres  de  Dante. 

Halle.  Schuchardt:  Grammaire  italienne;  exercices  pratiques. 

Kœnigsberg.  Schipher  :  Histoire  de  la  littérature  française  au  moyen  âge. 

Munster.  Mall  :  Métrique  française;  exercices  pratiques. 

Giessen.  Lemcke  :  Grammaire  comparée  des  langues  romanes;  exercices  pra- 
tiques. 

Marbourg.  Stengel  :  Histoire  des  langues  romanes;  formation  et  composition 
des  mots  en  français;  exercices  pratiques. 

Vienne.  Mussafia  :  Vie  et  œuvres  de  Dante;  grammaire  de  l'ancien  français, 
avec  lectures. 

—  M.  W.  Fœrster  vient  d'être  nommé  professeur  extraordinaire  de  langues 
et  littératures  romanes  à  l'Université  de  Prague. 

—  (I  La  Société  pour  l'étude  des  langues  romanes  vient  de  prendre  une  décision 
qui  était  depuis  longtemps  dans  la  pensée  de  ses  membres  :  elle  a  résolu  qu'un 
concours,  philologique  et  littéraire  à  la  fois,  aurait  lieu  à  Montpellier,  en  1875. 

»  Dans  la  séance  qu'elle  tiendra  le  lundi  de  Pâques,  29  mars,  des  prix  seront 
décernés  : 

»  Au  meilleur  travail  philologique  (géographie  dialectale,  grammaire,  phoné- 
tique, préparation  d'un  texte  inédit  ou  peu  connu,  étude  d'un  dialecte  particu- 
lier, etc.)  sur  la  langue  d'oc  ancienne  ou  moderne,  le  catalan  compris. 

»)  A  la  meilleure  pièce  de  poésie  en  langue  d'oc; 

»  Au  meilleur  écrit  en  prose  en  langue  d'oc. 

»  Les  pièces  envoyées  devront  être  inédites.  Toutefois  le  prix  de  philologie 
pourra  être  distribué  à  un  ouvrage  ayant  paru  depuis  le  i"  janvier  1874  et 
n'ayant  concouru  nulle  part. 

»  Les  manuscrits  et  les  ouvragés  imprimés  devront  être  adressés  franco  avant 
le  10  mars,  terme  de  rigueur,  au  secrétaire  de  la  Société  pour  l'étude  des  langues 
romanes,  à  Montpellier.  »  —  (Revue  des  langues  romanes.) 

—  P.  Meyer  a  continué  en  août  et  septembre  dernier  l'exploration  des 
bibliothèques  de  Cambridge  qu'il  avait  commencée  en  1871.  Ses  recherches  ont 
été  cette  fois  particulièrement  fructueuses.  Il  a  trouvé  de  nouveaux  manuscrits 
de  Maugis  d'Aigremont,  de  Renaut  de  Montauban,  de  Guillaume  d'Angleterre, 
d'Evrart  et  de  Heli  de  Winchester,  traducteurs  des  Distiques  de  Caton  (ce  qui 
porte  à  trois  le  nombre  des  mss.  connus  de  chacun  d'eux),  divers  lapidaires 
français  en  vers  et  en  prose  (dont  M.  Pannier  pourra  encore  faire  usage  dans  son 
travail  sur  les  Lapidaires  du  moyen-âge),  un  ouvrage  inconnu  de  Jean  de  Gar- 
lande  où  abondent  les  glosses  françaises,  etc.,  etc. 

—  Dans  un  feuillet  joint  au  cahier  de  la  Revue  des  langues  romanes  dont  nous 
avons  rendu  compte  ci-dessus,  la  rédaction  de  ce  recueil  demande  qu'il  soit  crée 


JOS  CHRONIQUE 

deux  chaires  de  provençal,  l'une  à  Paris,  l'autre  à  Montpellier.  C'est,  à  notre 
avis,  dans  une  grande  ville  du  midi  comme  celle  où  se  publie  la  Revue  que  l'en- 
seignement scientifique  de  la  langue  d'oc  et  de  sa  littérature  pourrait  le  mieux 
trouver  sa  place.  Mais  nous  doutons  que  la  voie  indiquée  par  le  recueil  de 
Montpellier  soit  la  meilleure  pour  atteindre  le  but.  Comprenant  combien  un 
cours  purement  scientifique  et  d'un  caractère  aussi  spécial  est  en  dehors  du  cadre 
et  des  habitudes  de  nos  F"acultés  des  lettres,  la  Revue  (/«  langues  romanes  propose 
de  rattacher  directement  au  Collège  de  France  la  chaire  qu'on  instituerait  à 
Montpellier.  Il  est  à  craindre  qu'une  semblable  proposition  rencontre  des 
objections  de  plus  d'un  genre.  Il  nous  semble  qu'il  y  a  un  moyen  plus  simple  et 
peut-être  plus  pratique.  Dans  un  grand  pays  voisin,  quand  le  besoin  d'une 
création  de  ce  genre  se  fait  sentir,  c'est  à  l'initiative  privée  qu'on  s'adresse,  et 
elle  fait  bien  rarement  défaut.  Pourquoi  ne  pas  essayer  d'imiter  l'Angleterre.? 
Le  patriotisme  et  l'amour  de  la  science  se  réuniraient  pour  faire  réussir  une 
entreprise  de  ce  genre.  Une  somme  de  cent  mille  francs  suffirait  pour  assurer  à  tout 
jamais  l'existence  d'une  chaire  de  provençal,  et  il  ne  semble  pas  qu'il  soit  impos- 
sible de  la  réunira  Montpellier.  Ce  mode  de  dotation^  outre  qu'il  serait  d'un  très- 
heureux  exemple,  aurait  encore  un  immense  avantage:  ce  serait  de  permettre  au 
comité  désigné  par  les  souscripteurs  et  aux  exécuteurs  qui  le  remplaceraient 
dans  des  conditions  prévues  par  lui  de  déterminer  le  caractère  de  l'enseigne- 
ment, de  fixer  le  nombre  d'heures  hebdomadaires  qui  paraîtrait  utile,  de  choisir 
le  titulaire,  de  régler  la  manière  dont  se  ferait  l'élection  des  titulaires  futurs,  etc. 
Si  la  Société  des  langues  romanes  se  décide  à  prendre  l'initiative  d'une  souscrip- 
tion de  ce  genre,  la  Romania  annonce  dès  aujourd'hui  qu'elle  souscrit  pour  une 
somme  de  mille  francs. 

—  L'Institut  a  décidé  de  ne  point  décerner  cette  année  le  prix  Volney,  mais 
a  accordé,  sur  les  fonds  de  ce  prix,  une  récompense  à  M,  Charles  Joret,  pour 
son  livre  sur  le  c  dans  les  langues  romanes. 

—  La  Société  pour  la  publication  des  anciens  textes  français  et  provençaux 
n'est  pas  encore  fondée,  mais  elle  ne  tardera  pas  à  l'être.  Nous  tiendrons  nos 
lecteurs  au  courant  de  tout  ce  qui  se  fera  pour  mettre  à  exécution  une  entre- 
prise qui  ne  peut  manquer  d'avoir  toutes  leurs  sympathies. 

—  M.  Karl  Bartsch  a  entrepris  la  publication  d'un  recueil  général  des  poé- 
sies des  troubadours,  dans  des  textes  critiques  établis  par  une  révision  générale 
des  manuscrits.  Nous  rendrons  compte  de  cette  importante  publication  dès 
qu'elle  commencera  à  paraître. 

—  M.  H.  Suchier  prépare  une  édition  de  la  Vie  de  sainte  Modewenne,  poème 
anglo-normand  du  XII''  siècle^  en  6,000  verS;,  qui  paraîtra  dans  la  collection  du 
Cercle  littéraire  de  Stuttgart. 

—  On  publiera  prochainement  à  Munich  une  traduction  allemande  de  VYs- 
toire  de  li  Normant,  version  franco-italienne  de  la  chronique  latine  (perdue) 
d'Amatus  du  Mont-Cassin.  M.  Conrad  Hofinann,  qui  a  revu  cette  traduction, 
s'occupe  actuellement,  avec  un  de  ses  élèves^  de  traduire  en  allemand  le  Perceval 
de  Crestien. 


CHRONIQUE  509 

—  M.  Léon  Gautier  a  mis  sous  presse,  pour  Marne,  une  nouvelle  édition  de 
la  Chanson  de  Roland. 

—  M.  Pio  Rajna  va  prochainement  publier  un  grand  travail  sur  les  Sources  de 
l'Arioste. 

,  —  MM.  de  Tourtoulon  et  Bringuier,  qui  ont  commencé  l'année  dernière, 
sous  les  auspices  du  ministère  de  l'instruction  publique,  une  exploration  à  l'effet 
de  déterminer,  s'il  est  possible,  la  limite  de  la  langue  d'oïl  et  de  la  langue  d'oc, 
l'ont  reprise  et  terminée  cet  été.  Le  rapport  sur  la  première  partie  de  leur  mis- 
sion sera  prochainement  publié  dans  les  Archives  des  missions  scientifiques  et  litté- 
raires. 

—  Il  est  bien  tard  maintenant  pour  parler  avec  quelque  détail  des  belles  fêtes 
célébrées  à  Avignon  en  l'honneur  de  Pétrarque,  les  18,  19  et  20  juillet.  Il  y  a 
longtemps  que  nos  lecteurs  ont  lu  et  admiré  le  charmant  discours  qu'a  prononcé 
à  cette  occasion  M.  Nigra.  Nous  voulons  cependant  en  reproduire  ce  passage, 
oili  l'orateur  a  si  heureusement  mêlé  des  souvenirs  personnels  à  des  remarques 
érudites,  et  qui,  sous  sa  forme  gracieuse,  a  une  véritable  valeur  scientifique. 

«  Vous  savez.  Messieurs,  a  dit  aux  Provençaux  le  représentant  de  l'Italie, 
qu'il  fut  un  temps  oij  votre  belle  langue  était  parlée  et  cultivée  de  l'autre  côté 
des  Alpes,  et  que  vos  troubadours  ont  souvent  rencontré  en  Italie  des  émules 
célèbres.  Les  rois  de  Sicile  n'ont  pas  dédaigné  de  toucher  aux  cordes  de  la  lyre 
provençale,  et  l'histoire  nous  a  conservé  les  noms  et  parfois  les  compositions  de 
plus  de  trente  troubadours  italiens,  parmi  lesquels  vous  me  permettrez  de  citer 
Nicolet  de  Turin,  le  Génois  Lanfranc  Cicala,  Boniface  Calvo,  Luc  de  Lascaris, 
Parcival  et  Lanfranc  Doria,  le  Vénitien  Barthélémy  Zorgi,  Ferrari  de  Ferrare, 
le  marquis  Albert  Malaspina,  Bernard  Arnaud  et  Sordel  de  Mantoue. 

»  Nos  châteaux  et  nos  villes  résonnaient  de  sons  provençaux.  Nous  voyons 
accueillis  et  fêtés  aux  cours  de  Montferrat,  de  Ferrare,  de  Mantoue,  à  V^enise, 
à  Gênes,  en  Lombardie,  en  Toscane,  Foulquet  de  Romans,  Élie  Cairel,  Albert 
de  Sisteron,  Bernard  de  Ventadour,  Guillaume  Figueira,  Guillaume  de  la  Tour, 
Hugues  de  Saint-Cir,  Rambaud  de  Vaqueiras,  Peirol  et  d'autres  non  moins 
illustres.  Mon  cher  pays  du  Canaves,  où  je  suis  né  et  à  qui  j'envoie  d'ici  le  meil- 
leur de  mes  souvenirs,  est  mentionné  par  Pierre  Vidal  de  Toulouse,  dans  des 
termes  qui  encore  maintenant  seraient  compris  par  le  plus  illettré  de  mes  mon- 
tagnards : 

Ara  m'alberc  Dieus  e  sans  Julias, 

E  la  doussa  terra  de  Canaves  !  >> 

—  Annonçons  quelques  livres  qui  viennent  d'être  publiés,  et  dont  nous  espé- 
rons bien  rendre  compte  un  jour  ou  l'autre:  Bartsch,  Chrestomathie  provenfitle 
(troisième  édition);  Milà  y  Fontanals,  de  la  Poesia  heroico-popular  castcllana  (Bar- 
celona,  Verdaguer);  Brachet,  Nouvelle  grammaire  française  (Paris,  Hachette); 
Scheler,  les  Enfances  Ogier  le  Danois, Glossaire  de  Froissart  (Bruxelles);  G.  Storni, 
Sagnkredserne  von  Karl  dem  Store  og  Dulrik  af  Bern  hos  de  nordiske  Folk  (Chris- 
tiania) ;  Braga,  Historia  de  Camôes,  I,  II  (Porto);  Bladé,  Contes  populaires  âge- 
nais  (Paris,  Baer). 


TABLR    DES   MATIKRES. 


H    ScHuciiARDT,  Phonétique  comparée.  —  De  quelques  modifications  de  la  con- 
sonne initiale  dans  les  dialectes  de   la   Sardaigne,    du   Centre   et  du  Sud  de 

l'Italie I 

P.  Rajna,  Uggeri  il  Danese  nella  letteratura  romanzesca  degl'  Italiani  (2"  art.)  31. 

F.  BoNNARDOT,  Sur  un  nouveau  manuscrit  des  Loherains 78 

Th.  de  Puymaigre,  Chants  populaires  recueillis  dans  la  vallée  d'Ossau 89 

Historia  Daretis  Frigii  de  origine  Francorum  p.  p.  G.  Paris 129 

S.  BucGE,  Etymologies  françaises  et  romanes 145 

A.  d'Ancona,  le  Fonti  del  Novellino  (2"  art.) 164 

F.  Bonnardot,  Essai  de  classement  des  manuscrits  des  Loherains,  suivi  d'un  nou- 
veau fragment  de  Girbert  de  Metz 19  j 

A.  CoELHo,  Romances  sacros,  oraçôes  e  ensalmos  popuiares  do  Minho    ....  26} 

L.  Havet,  0(  et  ui  en  français 321 

Berta  de  li  gran  pié  p.  p.  A.  Mussafia 339 

V.  Smith,  Chants  du  Velay  et  du  Forez 365 

P.   Meyer,  Etude  sur  une  charte  landaise  de  1268  ou  1269 433 

A.  Darmesteter,  Deux  élégies  du  Vatican 443 

N.  DE  Wailly,  Lettre  à  M.  Gaston  Paris  sur  le  texte  de  Joinville.   .....  487 

MÉLANGES. 

Le  Savetier  Baillet,  chanson  comique 103 

Mier  (meruj)  dans  les  patois  (J.  Cornu) 106 

Phonétique  française  :  0/,  u/;  fft  ;  Iz;  nz  (H.  Schuchardt) 279 

Etude  sur  le  vocalisme  des  Serments  de  842  (J.  Storm) 286 

Tableau  rectificatif  des  assonances  du  Roland  (G.  Raynaud) 290 

Frammento  di  una  raccolta  di  favole  in  provenzale  (P.  Rajna) 291 

Les  jours  d'emprunt  (P.  M.) 294 

Le  vocalisme  des  Serments  de  Strasbourg   (P.  M.) 371 

Un  fragment  de  Renart  (G.   P.) 373 

Etymologies  ;  admoUstare,  maie  habitus  (J.  Cornu) 377 

CORRECTIONS. 

Les  lettres  satiriques  de  Diego  Hurtado  de  Mendoza  (A.  Morel-Fatio) 298 

COMPTES-RENDUS. 

Ancona  (d'),  Il  Contrasto  di  CiuUo  d'Alcamo 495 

Bernoni,  Fiabe  popolari  veneziane 418 

Cancionero  de  Stuniga,  p.  p.  le  marquis  de  la  Fuensanta  del  Valle  et  Rayon 

(A.  Morel-Fatio) 413 


TABLE    DES    MATIÈRES  5  I  I 

CoELHO,  Questôes  da  lingua  portugueza  (A.  Morel-Fatio) jio 

De  Wailly,  voy.  Joinville. 

Flugi,  Die  Volkslieder  des  Engadin  (J.  Cornu) 11} 

HiLL,  Ueber  das  Metrum  der  Chanson  de  Roland  (G.  P.) 598 

HoFMANN,  Ein  katalanisches  Thierepos  von  Ramon  Lull 111 

Joinville,  Œuvres,  par  N.  de  Wailly  (G.  P.) '  .     .     .  401 

JoRET,  Du  C  dans  les  langues  romanes  (A.  Darmesteter) 379 

JUBINAL,  voy.   RUTEBEUF. 

LiNDNER,  Ueber  die  Beziehungen  des  Ortnit  zu  Huon  de  Bordeaux  [G.  P.).     .     .  494 

Mahn,  Gedichte  der  Troubadours  (P.  M.) 305 

Meyer,  voy.  Recueil  d'anciens  textes. 

MussAFiA,  Beitrag  zur  Kunde  der  norditalienischen  Mundarten  im  XV.  Jarhrun- 

derte  (G.  P.) 112 

—       Zur  Katharinenlegende 413 

Recueil  d'anciens  textes  bas-latins,   provençaux  et  français,  accompagnés  de  deux 

glossaires,  par  P.  Meyer  (P.  M.) 107 

RocHAT,  ein  altladinisches  Gedicht 498 

Rocher,  Les  Rapports  de  la  ville  du  Puy  avec  Girone  (G.  P.) 309 

Rutebeuf,  Œuvres  complètes,  par  Jubinal  (P.  M.) 401 

Sabatier,  Chansons  hébraïco-provençales  des  Juifs  contadins  (G.  P.)     .     .     .     .  498 
Stencel,  Mittheilungen  aus  franzœsischen  Handschriften  der  Turiner  Universitaets- 

Bibliothek  (G.  P.) 109 

PÉRIODIQUES. 

Academy,  n"  48 J04 

Alemannia,  11 431 

Archiv  fur  das  Studium  der  neueren  Sprachen,  Ll,  i 314 

Archives  des  missions  scientifiques  et  littéraires,  3"  série,  I,  2 126 

Archivio  glottologico  italiano,  I 121 

—  —                 II,  1-2 501 

Archivio  storico  Italiano,  1873-1875 126 

Ateneo,  vol.  I,   fasc.   9 429 

Bibliothèque  de  l'École  des  chartes,  XXXIV,  j-6 316 

—  —                  XXXV,  1-2 429 

—                 XXXV,  3 J02 

Bibliographia  critica,  fasc.    IX-X 127 

Bulletin  de  la  Société  des  sciences,  lettres  et  arts  de  Pau,  1872-187} 316 

Educational  Review  of  the  French  Language  and  Literature,  III 421 

—  -                       —                        IV 502 

Germania,  XVIII,  } 123 

—  XVlll,4 31S 

—  XIX,  2 4^0 

Gœttingische  gelehrte  Anzeigen,  n"  9 jiS 

—  —           —         n°  33 $os 

Il  Propugnatore,  VI,  6 122 

Jahrbuch  fiir  romanische  und  englische  Sprache  und  Literatur,  N.  F.,  1,  }.         .  n4 

—  _                                  N.  F.,1,  4.     .     .  421 

—  —                                     N.  F.  II,  1.     .     .  )0i 

Literarisches  t.entralblatt 127,  u8.  452,  (05 

Mémoires  de  la  Société  académique  de  Maine-et-Loire,  XXVII 404 


^12  TABLE    DES    MATIÈRES 

Mémoires  de  la  Société  de  linguistique  de  Paris,  II,  3 124 

—  —  11,4 322 

Nuova  Antologia,  1873,  t.  III •     .  }i6 

Revista  contimporana,  n"  9,  novembre   1873 125 

Revue  celtique,  11,  2 451 

Revue  critique  d'histoire  et  de  littérature 127,  318,432,  504 

Revue  de  Gascogne,  1873,  novembre 430 

Revue  de  linguistique  et  de  philologie  comparée,  V,  3 124 

Revue  des  langues  romanes,  IV,  4 117 

—  V,  1 313 

—  V,  2 419 

—  VI,  I 499 

Revue  des  Sociétés  savantes,  mai-juin  1873 126 

—  septembre-octobre  1873 432 

Rivista  di  Filologia  romanza,  I,  3 118 

—  1,  4 501 

Romanische  Studien,  I,  3 118 

-  1,  4 421 

Saturday  Review,  n"  987 504 

Séances   et  travaux  de  l'Académie  des   sciences  morales  et  politiques.  Juillet   et 

novembre  1873,  mars-avril   1874 431 

Tidskrift  for  Philologie  og  Paedagogik,  N.  S.,  I 317 

Transactions  of  the  philological  Society  for   1873-4 428 

Wissenschaftliche  Monatshefte,   I,  9 318 

Zeitschrift  fiJr  deutsche  Philologie,  V,  2 315 

Zeitschrift  fur  deutsches  Alterthum  N.  F.,  V,  3 430 

—  —  N.  P.,  VI,  I J03 

Zeitschrift  fur  die  Œsterreichischen  Gymnasien,  1874,  II  et  III 430 

Zeitschrift  fur  vergleichende  Sprachforschung,  N.  P.  1.  vi.  —  II,   2 422 

CHRONIQUE. 

Janvier.      .     .     .' 128 

Avril 319 

Juillet 432 

Octobre 506 


Nogent-le-Rotrou,  imprimerie  de  A.  Gouverneur. 


PC  Romania 

2 

R6 
t. 3 


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